PREMIÈRE PARTIE
LA SECONDE PHASE DE L'ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE : UN ÉQUILIBRE COMPLEXE
ENTRE PROTECTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE
ET PRÉSERVATION DES LIBERTÉS

Depuis la déclaration de l'état d'urgence sanitaire par la loi d'urgence du 23 mars 2020, la mission a accordé une attention spécifique au suivi des mesures prescrites dans le cadre du régime de l'état d'urgence sanitaire par les autorités publiques compétentes, à savoir le Premier ministre, le ministre de la santé et les autorités préfectorales.

Elle a pu, pour ce faire, bénéficier d'une information complète et précise, grâce à la mise à disposition de l'Assemblée nationale et du Sénat d'une plateforme en ligne leur permettant d'accéder à l'ensemble des actes administratifs pris par les autorités préfectorales.

À l'occasion de son bilan intermédiaire, le 29 avril dernier, elle a dressé l'analyse des mesures prescrites lors de la première phase de l'état d'urgence sanitaire, observant, à cet égard, que le cadre légal avait été globalement respecté 9 ( * ) .

La seconde phase de l'état d'urgence sanitaire, initiée le 11 mai avec la levée du confinement, s'est traduite par un assouplissement des mesures restrictives de libertés. Paradoxalement, elle s'est aussi caractérisée par une fragilité juridique plus importante des mesures prescrites, dont la proportionnalité au regard de l'amélioration de la situation sanitaire a pu, à plusieurs reprises, être mise en cause par le juge.

A. L'ORGANISATION DU DÉCONFINEMENT

1. L'état d'urgence sanitaire : un régime prolongé et adapté pour accompagner la levée du confinement

Déclaré sur l'ensemble du territoire national par la loi d'urgence du 23 mars 2020 jusqu'au 10 mai 2020, l'état d'urgence sanitaire a été prolongé, pour une nouvelle période d'un mois et demi, soit jusqu'au 10 juillet inclus , par la loi du 11 mai 2020 10 ( * ) , au regard de la situation sanitaire encore dégradée qui prévalait alors.

Cette loi est venue, dans le même temps, compléter le régime juridique adopté par le législateur au mois de mars , en vue de faciliter la levée progressive du confinement de la population et la reprise de l'activité sociale et économique du pays.

Outre la mise en place de systèmes d'information destinés à lutter contre l'épidémie, il a été procédé à plusieurs adaptations législatives .

Peu utilisé pendant la phase de confinement, le régime des mises en quarantaine et des placements à l'isolement a tout d'abord été sécurisé afin de permettre de protéger les territoires les plus fragiles, en particulier les collectivités d'outre-mer, dans la perspective du déconfinement et d'une reprise des déplacements.

Alors que le régime de l'état d'urgence sanitaire comprenait principalement, dans sa version initiale, des mesures d'interdiction et de restrictions des libertés, a par ailleurs été introduite une possibilité, pour les autorités administratives, de réglementer les moyens de transports publics et les conditions d'accès aux établissements recevant du public . Là encore, il s'agissait, pour le législateur, d'accompagner le rétablissement de la libre circulation des personnes sur le territoire, tout en évitant des concentrations de population aux effets potentiellement délétères sur le plan sanitaire.

2. L'assouplissement progressif des mesures restrictives de liberté

Ainsi complété, le régime de l'état d'urgence sanitaire, dont la mission de suivi soulignait déjà, dans le cadre de son deuxième rapport d'étape, « la souplesse [...] pour apporter des réponses rapides à l'évolution de la situation sanitaire », a conféré aux autorités administratives l'ensemble des prérogatives nécessaires pour mettre en oeuvre, à compter du 11 mai, un déconfinement progressif de la population.

Si le cadre réglementaire d'application de l'état d'urgence sanitaire a fait l'objet de neuf modifications après le 11 mai, trois phases principales peuvent être distinguées.

• La première phase, qui a duré du 11 mai au 1 er juin , a été régie par le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19, qui a été modifié à cinq reprises sur la période.

Elle s'est traduite par la levée des mesures les plus restrictives en termes de libertés individuelles, au premier rang desquelles l'interdiction généralisée de sortie du domicile . Il a également été procédé à la réouverture de plusieurs catégories d'établissements recevant du public, de manière toutefois différenciée selon l'exposition des départements au risque sanitaire.

Le déconfinement :
la mise en oeuvre d'une logique territorialisée

Le déconfinement a été organisé selon une logique territoriale , de manière à garantir l'application de mesures nécessaires et proportionnées à la réalité sanitaire de chaque territoire.

Pour ce faire, les départements de France ainsi que les collectivités d'outre-mer de l'article 73 de la Constitution ont été classés , par décret, en deux catégories - verte et rouge, puis orange - sur la base de critères sanitaires (taux d'indice de nouveaux cas, facteur de reproduction du virus, taux d'occupation des lits de réanimation, taux de positivité des tests, vulnérabilité des territoires).

Cette classification a permis l'application de mesures différenciées , plus ou moins restrictives de libertés en fonction des risques encourus par la population, qui ont été amenées à évoluer à mesure de l'amélioration de la situation sanitaire.

En contrepartie, de nouvelles mesures ont été imposées , parmi lesquelles l'interdiction, généralisée à tout le territoire, de se déplacer à plus de 100 kilomètres de son domicile , sauf en cas de motifs impérieux.

• La deuxième phase a été engagée le 2 juin, et est restée en vigueur jusqu'au 22 juin . Elle a été déclinée dans le cadre d'un nouveau décret en date du 31 mai 2020 11 ( * ) , qui a été modifié une fois avant le 22 juin.

Cette seconde phase a été marquée par un nouvel assouplissement des mesures imposées à la population . Outre la levée de certaines interdictions de portée générale (interdiction des déplacements au-delà de 100 kilomètres notamment), les différenciations territoriales dans l'application des autres prescriptions sanitaires se sont progressivement réduites au cours de cette période à mesure de l'amélioration des situations sanitaires locales.

À compter du 15 juin, seuls deux départements, la Guyane et Mayotte, sont demeurés en zone orange et se sont vus, à ce titre, imposer des normes plus restrictives, notamment en termes d'ouverture des établissements recevant du public.

• Une troisième phase a été annoncée par le Président de la République lors de son allocution du 14 juin et a débuté le 22 juin .

Régie par le même décret du 31 mai, modifié par un décret du 21 juin 12 ( * ) , elle marque une nouvelle étape vers un « retour à la normale » et se caractérise notamment par la réouverture complète des crèches et des écoles, la levée des interdictions de déplacement par voie aérienne vers certaines collectivités d'outre-mer, la réouverture de certains lieux de réunion (salles de cinéma, centres de vacances, établissements d'enseignements artistiques) ainsi que par un allègement des règles applicables dans certains transports (marchandises, taxi).

3. Une importante déclinaison de l'état d'urgence sanitaire au niveau local

Ainsi que le relevait la mission de suivi dans son deuxième rapport d'étape, les possibilités offertes par le législateur, dès la loi d'urgence du 23 mars, de décliner les mesures de l'état d'urgence sanitaire au plan territorial ont été pleinement mobilisées pendant la période de confinement.

Les prérogatives des préfets
dans le régime de l'état d'urgence sanitaire

L'article L. 3131-17 du code de la santé publique prévoit que le Premier ministre ou le ministre de la santé peuvent habiliter le représentant de l'État territorialement compétent à :

- prendre toutes les mesures générales ou individuelles d'application des mesures qu'ils prescrivent au niveau national ;

- décider lui-même des mesures autorisées au titre de l'état d'urgence sanitaire, lorsqu'elles ont vocation à s'appliquer dans un champ géographique qui n'excède par le territoire d'un département.

Cette logique territoriale s'est poursuivie, voire accentuée, pendant la phase de déconfinement . Le décret du 11 mai 2020, puis celui du 31 mai 2020, ont en effet habilité les préfets à prescrire :

- des mesures plus restrictives que celles définies au niveau national par le Premier ministre, en cas de dégradation de la situation sanitaire ou d'inadéquation de la mesure nationale à la réalité du territoire concerné ;

- des mesures, à l'inverse, moins restrictives, par exemple pour autoriser l'ouverture de certains établissements recevant du public ou encore pour autoriser des rassemblements sur la voie publique.

Au total, entre le 11 mai et le 14 juin , ont été pris 7 845 arrêtés préfectoraux .

Une majorité d'entre eux a consisté à alléger les mesures de restriction imposées au niveau national : ont ainsi été dénombrées, sur la période précitée, 5 023 autorisations d'accès aux plages et aux plans d'eau (64 % du total des mesures) et 1 740 autorisations d'ouverture d'établissements recevant du public (24 % du total des mesures).

Des mesures plus restrictives qu'au niveau national ont également été prescrites, mais dans des proportions moindres. Ont par exemple été pris 220 arrêtés préfectoraux de restriction des conditions de déplacements et 264 arrêtés ayant eu pour objet de fermer un établissement recevant du public ou restreignant la pratique d'une activité.


* 9 Voir le deuxième rapport d'étape de la mission de suivi, disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/lois/MI_Covid19/Mission_suivi_urgence_Covid-19_Deuxieme_rapport_etape.pdf .

* 10 Loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions.

* 11 Décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19.

* 12 Décret n° 2020-759 du 21 juin 2020 modifiant le décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

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