II. TROIS AXES DE RECOMMANDATIONS POUR UN DÉVELOPPEMENT DURABLE DES TERRITOIRES DE MONTAGNE

A. POURSUIVRE L'ADAPTATION DES NORMES ET DES SERVICES ESSENTIELS À LA POPULATION AUX SPÉCIFICITÉS DES TERRITOIRES DE MONTAGNE

L'adaptation des normes et des services essentiels à la population (éducation, santé, transports, numérique) aux spécificités des territoires de montagne était l'un des grands objectifs des lois Montagne I et II. Des ajustements peuvent être envisagés , notamment dans le cadre de l'examen prochain du projet de loi « 3D ». Dans cette perspective, le rapporteur formule les propositions suivantes :

Proposition 1 : renforcer les liens entre le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) d'une part et le Conseil national de la Montagne (CNM) et les comités de massif d'autre part, pour mieux évaluer et adapter la législation et de la réglementation nationales aux territoires de montagne et envisager des expérimentations spécifiques pour les territoires de montagne dans le cadre des prochains textes portant sur l'organisation territoriale de la République .

L'objectif est d'adapter, dès leur conception, les normes envisagées dans un secteur à la spécificité des territoires de montagne ou à la situation particulière de chaque massif ou partie de massif. De l'avis des personnes entendues par le rapporteur, l'objectif de différenciation territoriale et d'adaptation des normes aux spécificités des territoires de montagne n'est pas atteint à ce jour.

Si la création d'un programme « Ruralités - Montagne » au sein de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) apparaît comme un signal positif, qui permettrait d'adopter un « réflexe montagne » au stade de la conception des politiques publiques de cohésion, la commission souhaite donner toute sa substance à cet objectif de différenciation .

En prévoyant dans son article 8 un principe novateur de différenciation dans l'application des dispositions législatives et réglementaires, la loi Montagne de 1985 a été précurseur dans l'adaptation des politiques publiques et des normes aux spécificités des territoires . Pourtant, dans sa version initiale 32 ( * ) , cet article, trop programmatique, avait fait l'objet de peu d'applications et avait en conséquence été modifié en 2016 par la loi « Montagne II ». En étendant le champ de cet article, en listant, de manière non exhaustive, les politiques publiques susceptibles d'être adaptées, en prévoyant enfin la possibilité d'une expérimentation préalable aux adaptations éventuelles, la loi Montagne II devait permettre de donner enfin une vraie substance à l'article 8 de la loi de 1985 33 ( * ) .

Quatre ans après, le bilan de cette réforme s'avère décevant . Si le législateur a permis ponctuellement l'adaptation de certaines dispositions législatives aux spécificités de la montagne 34 ( * ) , l'adaptation de dispositions réglementaires fait défaut. Plusieurs directions d'administration contactées, à l'instar de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), compétente en matière d'urbanisme, n'ont ainsi pas connaissance d'application concrète de l'article 8 dans le domaine réglementaire . Le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) a également fait état des difficultés des acteurs de la montagne, et principalement des élus locaux, à exploiter pleinement cette disposition en lien avec les services de l'État.

Les promesses de la loi Montagne II n'ont donc pas été tenues et provoquent une incompréhension légitime dans les territoires. Dès lors, la commission propose de permettre une saisine directe du CNEN par le président de la commission permanente du CNM ou par le président de la commission permanente d'un comité de massif pour une demande d'avis portant sur l'adaptation des normes réglementaires et législatives, en vigueur ou en conception, aux spécificités des territoires de montagne ou pour une demande d'évaluation de ces normes.

L' article 10 de la loi « Montagne II » avait également prévu la possibilité pour le président de la commission permanente du Conseil national de la montagne de saisir le CNEN d'une demande d'évaluation de normes réglementaires en vigueur applicables aux collectivités territoires et à leurs établissements publics .

Toutefois, le décret n° 2016-19 du 14 janvier 2016 modifiant les dispositions réglementaires du code général des collectivités territoriales relatives à la composition et au fonctionnement du CNEN n'a pas été modifié après la création de cette disposition. En outre, cette faculté semble trop restrictive : elle ne vise pas explicitement des demandes d'avis sur des propositions d'adaptation de dispositions réglementaires aux spécificités des territoires de montagne et ne vise pas les normes de niveau législatif. Surtout, la saisine du CNEN n'est pour l'heure ouverte qu'au Conseil national de la montagne, et pas aux comités de massif .

Cette évolution, qui passerait par une modification de l'article L. 1212-2 du CGCT, permettrait de renouer avec l'esprit ayant présidé à l'élaboration des lois Montagne, réunissant deux de ses principes centraux : l'adaptation et la territorialisation. Au-delà, l'examen prochain du projet de loi « 3D » au Parlement permettrait de procéder à de nouvelles adaptations au bénéfice des territoires de montagne.

Proposition 2 : mieux concilier l'application conjointe des lois « Montagne » et « Littoral » en constituant une instance dédiée au sein du CNM.

La topographie des zones de montagne conduit parfois à des situations absurdes, comme le rappelait le rapport Herviaux-Bizet de 2014 sur la loi Littoral 35 ( * ) : « lorsque le périmètre d'une commune riveraine s'étend de l'autre côté de la montagne, l'urbanisation du contreversant reste soumise à la loi Littoral bien qu'une ligne de crête le sépare du plan d'eau ». Même en absence totale de covisibilité entre le terrain concerné et la mer ou le lac, des dispositions propres au littoral s'appliquent donc.

Partant d'un constat comparable, l'article 187 de la loi du 23 février 2005 36 ( * ) avait limité le champ d'application de la loi Littoral aux zones proches des lacs , délimitées par décret en Conseil d'État. La zone ainsi délimitée devait au minimum respecter la bande de 100 mètres autour des lacs concernés prévue par la loi Littoral. La loi Montagne aurait continué, elle, de s'appliquer dans les secteurs de montagne situés en dehors de la zone littorale. Cette disposition a toutefois été supprimée par la loi « Grenelle II » 37 ( * ) .

Si un retour au régime dérogatoire de la loi du 23 février 2005 ne semble pas souhaitable, les rives prisées des grands lacs nécessitant un degré de protection élevé et analogue à celui applicable aux bords de mer , les difficultés associées à l'application de la loi Littoral à des espaces sans covisibilité avec le plan d'eau persistent et mériteraient qu'on leur apporte des solutions ponctuelles.

Aussi, le rapporteur propose de modifier l'article 6 de la loi « Montagne » relatif au Conseil national de la montagne (CNM) pour prévoir la création d'une instance chargée d'émettre des propositions visant à concilier les dispositions de portée générale et d'application spécifiques aux zones de montagne et aux territoires littoraux. Cette proposition reprend et adapte la proposition n° 124 de l'Agenda rural (« constituer un groupe de travail pour concilier l'application des lois Montagne et Littoral sur les mêmes territoires »), qui avait dressé les mêmes constats de difficultés persistantes d'application conflictuelle des dispositions montagnardes et littorales. En plaçant cette instance auprès du CNM, cette proposition vise à garantir une bonne association des élus à ce travail et un traitement concret des problématiques rencontrées dans les territoires de montagne.

Proposition 3 : assouplir le cadre d'exercice de la compétence eau et assainissement pour les communes de montagne, en leur permettant de conserver ou de retrouver cette compétence au-delà du 1 er janvier 2026.

Si des assouplissements ont été prévus d'abord dans le cadre de la loi du 3 août 2018 relative à la mise en oeuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes 38 ( * ) , puis dans le cadre de la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique 39 ( * ) , les élus entendus par le rapporteur ont fait part de leur souhait, pour les communes qui le souhaitent, de conserver le plein exercice des compétences eau et assainissement . Une nouvelle modification du titre I er du livre II de la cinquième partie du code général des collectivités territoriales devrait donc être envisagée 40 ( * ) .

Proposition 4 : renforcer la dimension territoriale de la politique de santé pour lutter contre la désertification médicale , en associant mieux les élus à la gouvernance des agences régionales de santé (ARS), en créant des délégations territoriales des ARS par massif , en favorisant les stages en pratique ambulatoire en zones de montagne, en favorisant la création de maisons de santé à l'échelle territoriale pertinente et en garantissant le maintien d'une offre hospitalière de qualité et adaptée.

Cette proposition rejoint la position exprimée à de nombreuses reprises par la commission dans le cadre de travaux législatifs et de contrôle 41 ( * ) et plus largement la position du Sénat s'agissant de la gouvernance des ARS.

Proposition 5 : améliorer la couverture numérique des territoires de montagne.

Dans le prolongement de la position de la commission, le rapporteur appelle d'une part, à un accroissement de 600 millions d'euros les moyens du « guichet » France très haut débit pour garantir la couverture intégrale des territoires de montagne en fibre optique d'ici 2025 et d'autre part, à maintenir la pression de l'État et du régulateur sur les opérateurs pour le respect des engagements pris dans le cadre du New Deal mobile , visant notamment à résorber les zones blanches en territoires de montagne.

Sur les 1 374 premiers sites identifiés par le programme de couverture ciblée du New Deal mobile de 2018, 521 sont situés en zone de montagne soit 38 % du nombre total de sites . L'atteinte des objectifs du New Deal constitue donc un enjeu particulièrement fort pour les territoires montagnards.


* 32 « Les dispositions de portée générale sont adaptées, en tant que de besoin, à la spécificité de la montagne. Les dispositions relatives au développement économique, social et culturel et à la protection de la montagne sont en outre adaptées à la situation particulière de chaque massif ou partie de massif » .

* 33 L'article 8 prévoit dorénavant que « les dispositions de portée générale ainsi que les politiques publiques et les mesures prises pour leur application relatives, notamment, au numérique et à la téléphonie mobile, à la construction et à l'urbanisme, à l'éducation, à l'apprentissage et à la formation professionnelle, à la santé, aux transports, au développement économique, social et culturel, au développement touristique, à l'agriculture, à l'environnement ainsi qu'à la protection de la montagne sont, éventuellement après expérimentation, adaptées à la spécificité de la montagne ou à la situation particulière de chaque massif ou partie de massif ».

* 34 C'est principalement le cas en matière d'urbanisme : dans le Titre II du Livre 1 du code de l'urbanisme, un chapitre II « Aménagement et protection de la montagne » est dédié aux territoires de montagne.

* 35 Plaidoyer pour une décentralisation de la loi Littoral : un retour aux origines . Rapport d'information n° 297 (2013-2014), fait au nom de la commission du développement durable.

* 36 Loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux.

* 37 Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement.

* 38 Loi n° 2018-702 du 3 août 2018 relative à la mise en oeuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes.

* 39 Loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique.

* 40 Articles L. 5214-16 et L. 5216-5 du CGCT.

* 41 Voir Déserts médicaux : l'État doit enfin prendre des mesures courageuses !, rapport d'information n° 282 (2019-2020) de MM. Hervé Maurey et Jean-François Longeot et avis n° 515 (2018-2019) de M. Jean-François Longeot sur le projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page