C. UNE CRISE RÉVÉLATRICE DES CARENCES STRUCTURELLES DU SYSTÈME DE RECHERCHE FRANÇAIS

1. Une recherche biomédicale trop longtemps délaissée

La recherche biomédicale est définie comme l'ensemble des recherches organisées et pratiquées sur l'être humain en vue du développement des connaissances biologiques et médicales.

Dans un contexte de concurrence internationale croissante, la France n'a pas réussi à maintenir son rang en matière de recherche biomédicale 26 ( * ) . En biologie fondamentale , elle se place au 6 ème rang , à égalité avec le Canada, et représente 3,5 % des publications mondiales, derrière les États-Unis (26,9 %), la Chine (11,5 %), l'Allemagne (5,7 %), le Japon (5,2 %) et le Royaume-Uni (5,2 %). En recherche médicale , la France se situe au 7 ème rang de la production scientifique mondiale (3,4 % des publications), derrière les États-Unis (26,1 %), la Chine (8,1 %), le Royaume-Uni (6,1 %), le Japon (5,5 %), l'Allemagne (5,2 %) et l'Italie (4,3 %).

Plusieurs raisons expliquent ce décrochage , comme l'a montré la Cour des comptes dans un rapport 27 ( * ) remis à la commission des affaires sociales du Sénat en décembre 2017 : érosion et cloisonnement des financements alloués à ce domaine de recherche, carences stratégiques , essoufflement du modèle hospitalo-universitaire , dispersion des acteurs ...

L'épidémie de Covid-19 a fait ressurgir ce constat bien connu et mis en lumière les conséquences délétères de ce désengagement en matière de recherche biomédicale . Ainsi, les travaux de recherche sur les coronavirus ont considérablement été réduits il y a une quinzaine d'années en France, faute de financements et de programmation stratégique , alors qu'ils ont été poursuivis dans d'autres pays, notamment en Allemagne. Ce point a été soulevé au cours des auditions tant par le président de la section 27 du CNRS que par les représentants de l'Académie des sciences.

Pour le groupe de travail, la crise actuelle révèle la nécessité d'un réinvestissement budgétaire et stratégique en faveur de la recherche biomédicale afin que la France rattrape son retard au niveau international .

2. L'érosion constante des dotations de base des laboratoires de recherche

Le fonctionnement des laboratoires de recherche repose aujourd'hui sur deux sources de financement principales : les financements sur projets, qu'ils proviennent de l'ANR, de l'Union européenne, du Programme d'investissements d'avenir (PIA) ou de contrats avec les entreprises ou les collectivités territoriales, et les dotations dites « de base » c'est-à-dire les subventions pour charges de service public attribuées par l'État.

L'érosion continue des dotations de base depuis plusieurs années oblige les opérateurs de recherche à se tourner de plus en plus vers les financements sur projets . Ce type de financement est, certes, pertinent à plusieurs titres - il est source d'émulation pour les chercheurs, il permet de structurer les projets de recherche, il limite le « saupoudrage » des aides, il crée des possibilités en termes de débouché -, mais il n'est pas non plus exempt de désavantages : le temps passé par les chercheurs à préparer les dossiers de candidature réduit d'autant le temps consacré à leur recherche ; il est peu compatible avec la prise de risques ; il ne permet pas de mener des projets exploratoires .

Or certains pans de la recherche, comme ceux concernés par le nouveau coronavirus (recherche fondamentale, recherche médicale), sont particulièrement affectés par ces évolutions. Ce constat est très largement partagé au sein de la communauté scientifique.

Aussi, le groupe de travail estime indispensable de mettre un terme à la diminution constante des dotations de base des laboratoires de recherche et de rééquilibrer leur structure de financement entre ces dotations et les financements sur projets.

3. L'urgence d'une réforme globale de la recherche

La crise sanitaire a éclatée quelques semaines avant que le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) soit, selon le calendrier annoncé par le Gouvernement, examiné en Conseil des ministres. La présentation de ce projet de loi, tant attendu par la communauté de recherche, avait cependant déjà été retardée à plusieurs reprises.

Avec l'épidémie de Covid-19, le monde de la recherche s'est retrouvé sous le feu des projecteurs : jamais il n'a été autant question de recherche dans les médias, le débat public, les discussions privées, que depuis la propagation du nouveau coronavirus.

C'est dans ce contexte exceptionnel que le Président de la République a promis, le 19 mars dernier, une augmentation de 5 milliards d'euros du budget de la recherche d'ici à 2030. Lors de son audition par la commission, le 6 avril, la ministre de la recherche a précisé que cet effort budgétaire serait amorcé dès l'année prochaine avec une augmentation de 400 millions d'euros inscrite au projet de loi de finances pour 2021.

À l'origine, il était prévu que la trajectoire de financement de la recherche soit portée et programmée par la LPPR. Mais la crise ayant suspendu l'examen de tous les grands projets de loi et confirmé l'importance de l'investissement dans la recherche, l'exécutif a choisi de communiquer rapidement sur une hausse du budget .

La LPPR ne devait toutefois pas se limiter à un volet financier, elle devait aussi traiter de sujets restés depuis trop longtemps en suspens comme l'organisation du système de recherche, le statut et de la carrière des chercheurs, le développement de la recherche partenariale. Le 7 juin dernier, un projet de texte comportant 24 articles, organisés en 5 titres 28 ( * ) , a été dévoilé dans la presse spécialisée. Il devrait être examiné par le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) le 12 juin et en Conseil des ministres le 8 juillet. Cependant, à ce jour, aucune date d'inscription à l'agenda parlementaire n'est prévue.

Pour le groupe de travail, l'épidémie de Covid-19 confirme la nécessité d'une réforme globale de la recherche, qui tirerait les leçons de cette crise .

Plusieurs chantiers lui paraissent incontournables :

- amorcer une trajectoire financière ambitieuse qui permette d'atteindre l'objectif de 1 % du PIB consacré à la recherche publique ;

- définir des orientations stratégiques redonnant toute sa place à la recherche biomédicale ;

- clarifier la gouvernance du système ;

- rééquilibrer la structure de financement des laboratoires de recherche entre dotations de base et financements sur projets ;

- revaloriser très nettement la rémunération et le statut des chercheurs .

4. À très court terme, l'indispensable soutien aux doctorants et post-doctorants pénalisés par la crise

Avec la crise, beaucoup de projets et travaux de recherche sont ralentis voire arrêtés. La fermeture des établissements d'enseignement et de recherche, ainsi que le confinement, ont en effet contraint de nombreux doctorants, chercheurs, techniciens, ingénieurs à interrompre leurs travaux expérimentaux en laboratoire - pour les sciences de la nature et les sciences formelles - ou à suspendre leurs recherches documentaires, leurs enquêtes et études de terrain - pour les sciences humaines et sociales.

Afin de tenir compte de ce contexte exceptionnel et limiter ses effets négatifs sur les activités de recherche, la ministre a annoncé, le 23 avril dernier, la possibilité pour les établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche de prolonger les contrats de leurs personnels en CDD, dont les doctorants et post-doctorants . Cette mesure figure au projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de Covid-19 actuellement en discussion au Parlement.

Si le groupe de travail salue cette initiative, il appelle à la plus grande vigilance sur plusieurs points :

• le nombre de doctorants et post-doctorants , dont les travaux ont été ou sont encore pénalisés par la crise, n'a fait l'objet d'aucun chiffrage officiel par le ministère ;

• toutes les filières de recherche ne sont pas affectées de la même manière : certaines ont pu rapidement reprendre leurs travaux, alors que d'autres sont durablement empêchées ;

• les critères de prolongation de ces contrats nécessitent d'être extrêmement précis afin d'éviter des disparités de traitement d'un établissement à l'autre et au sein d'un même établissement ;

• le financement de ce dispositif repose, en l'état, sur le budget à périmètre constant des établissements, ce qui n'est pas acceptable : après avoir indiqué que les prolongations de contrats seraient « soutenues financièrement par l'État » , sans davantage de précision, la ministre a annoncé que des discussions étaient en cours avec d'autres financeurs, dont les régions. Le groupe de travail sera très attentif aux modalités de financement qui devraient être prochainement précisées par circulaire .


* 26 L'évolution des résultats de la recherche biomédicale française peut être analysée à travers les différents indicateurs calculés par l'Observatoire des sciences et des techniques (OST) portant sur la recherche en biologie fondamentale et sur la recherche médicale.

* 27 Cour des comptes, « Le rôle des CHU dans l'enseignement supérieur et la recherche médicale », décembre 2017.

* 28 Titre I : programmation budgétaire ; titre II : mesures de ressources humaines ; titre III : mesures d'organisation de la recherche ; titre IV : diffusion de la recherche ; titre V : mesures de simplification et autres.

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