B. LES PRÉCONISATIONS DU GROUPE DE TRAVAIL POUR PRÉSERVER LA DYNAMIQUE EN MATIÈRE DE PROTECTION DU PATRIMOINE

1. Les questions relatives au budget de l'État
a) Un besoin impérieux de maintien des financements

Il apparaît primordial que le patrimoine ne serve pas de variable d'ajustement dans les prochains mois face aux besoins engendrés par la crise sanitaire, alors que nos monuments et nos musées sont essentiels à la relance, que ce soit en tant que vecteur d'émancipation pour les citoyens, que levier de cohésion ou que facteur de rayonnement de notre pays et d'attractivité de nos territoires. La disparition de la réserve parlementaire en 2017 prive aujourd'hui les acteurs du patrimoine d'un outil qui pouvait se révéler particulièrement efficace en de pareilles circonstances pour financer des opérations de restauration du patrimoine.

Ø Pas de coup de rabot sur les crédits du programme 175 dans le cadre d'une loi de finances rectificative pour 2020

Le constat dressé par le Gouvernement en novembre 2017 lors de l'adoption de la stratégie pluriannuelle en faveur du patrimoine reste toujours d'une grande actualité : l'absence de stabilité et de visibilité concernant les financements publics génère des incertitudes préjudiciables à l'accomplissement des projets de restauration, d'entretien et de valorisation du patrimoine, dans la mesure où ces initiatives ont besoin de s'inscrire dans la durée .

Pour ne pas casser l'intérêt grandissant pour la cause du patrimoine sous l'effet du lancement de la mission Bern et du Loto du patrimoine notamment, il est impératif de maintenir en place la stratégie pluriannuelle en faveur du patrimoine , qui comporte notamment l'engagement d'une sanctuarisation des crédits destinés au patrimoine monumental tout au long du quinquennat .

La tentation de réduire les crédits du programme 175 par le biais d'une loi de finances rectificative pour 2020 doit absolument être évitée, au regard des effets dramatiques qu'une telle réduction aurait sur toute une filière économique essentielle à nos territoires et sur l'état de notre patrimoine. Le dernier bilan sanitaire du patrimoine protégé, réalisé en 2018, a montré que les besoins de restauration restent importants : 23 % des immeubles sont en péril ou en mauvais état et seuls 35 % peuvent véritablement être considérés en bon état. Les moyens financiers inscrits en loi de finances initiale pour 2020 demeurent donc indispensables pour entretenir, restaurer et valoriser correctement nos monuments.

Ø Pérenniser le Loto du patrimoine en 2021

Depuis son lancement en 2018, le Loto du patrimoine a joué un rôle considérable pour améliorer la protection du petit patrimoine . Il a permis d'apporter des financements supplémentaires et de sensibiliser les Français à cette cause, tout en facilitant le recensement du patrimoine menacé.

La poursuite de ce dispositif l'année prochaine n'est toutefois pas garantie. La convention conclue entre le ministère de la culture et la Fondation du patrimoine en février 2018 ne prévoit l'organisation de l'opération que pour une durée de trois ans.

Compte tenu du caractère précieux de cet outil pour de nombreux territoires en particulier ruraux et de l'activité qu'il génère pour les entreprises spécialisées dans la restauration du patrimoine, il paraît fondamental de pérenniser le Loto du patrimoine ou, à tout le moins, de reconduire le dispositif pour une nouvelle période de trois ans .

Au regard de l'ampleur des besoins dans le domaine du patrimoine, il semblerait également important que l'État renonce définitivement aux taxes qu'il perçoit à la fois sur le tirage et les jeux de grattage du Loto du patrimoine afin de les réinjecter en faveur de la protection du patrimoine, comme il l'avait fait la première année de l'opération, en 2018.

Ø Différer à l'exercice 2022 l'entrée en vigueur des dispositions réduisant l'incitation au mécénat pour les grandes entreprises

Compte tenu des contraintes pesant sur les budgets publics et de la contribution désormais importante des acteurs privés au financement des actions de protection du patrimoine et des projets des établissements patrimoniaux, il serait souhaitable de reporter à 2022 l'entrée en vigueur des dispositions introduites par la loi du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, qui réduisent l'avantage fiscal aux entreprises qui consentent des dons dans le cadre du mécénat au-delà de 2 millions d'euros.

Ce dispositif devrait en effet freiner le mécénat des grandes entreprises qui paraissent pourtant les plus à même de continuer à manifester leur générosité dans le contexte actuel, compte tenu de l'impact économique de la crise sanitaire sur les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises.

Ø Des efforts inévitables en 2021 en ce qui concerne les opérateurs

Le budget pour 2021 qui sera présenté à l'automne aura valeur de test pour se rendre compte la manière dont le Gouvernement entend associer le secteur du patrimoine au processus de relance. Dans ce contexte, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication se montrera très attentive aux crédits qui seront consacrés au patrimoine monumental et aux musées.

Même s'il paraît indispensable que les opérateurs poursuivent leurs efforts pour réduire leurs coûts de fonctionnement et examinent de quelle manière ils pourraient faire évoluer leur modèle de financement, une aide de l'État sur l'exercice 2021 apparait indispensable pour compenser une partie des pertes qu'ils auront subies au cours de l'année 2020 . En dépit de leur prochaine réouverture, les opérateurs continueront à accumuler des pertes au second semestre 2020 et, probablement encore, en 2021. Leurs réserves de trésorerie ne sont pas suffisantes pour leur permettre de poursuivre leur activité l'année prochaine sur les bases habituelles sans renfort de l'État. Allonger la durée des expositions ne permettra pas forcément de réaliser des économies, compte tenu des montants auxquels les oeuvres d'art sont prêtées, et renoncer à certaines grandes expositions aurait des conséquences immédiates sur le niveau de la fréquentation.

Les grands établissements doivent sans cesse se renouveler et se moderniser pour s'adapter aux attentes des publics, particulièrement exigeants. Les efforts réalisés au cours des dernières années ont permis à plusieurs établissements, y compris parmi les plus récents, tel le musée du quai Branly-Jacques Chirac, de figurer parmi les établissements les plus prestigieux et fréquentés dans le monde. Pour plusieurs d'entre eux, des retards ont déjà été accumulés ces dernières années dans la mise en oeuvre de leurs schémas directeurs ou, dans le cas du Centre des monuments nationaux, dans le lancement de plusieurs chantiers sur ses monuments, faute de moyens financiers suffisants. Il convient de prendre garde, au motif que la survie des opérateurs n'est pas véritablement menacée, à négliger de les accompagner face aux conséquences de cette crise, au risque que notre pays perde sa position de leader dans le domaine culturel , dont nous pourrions longtemps payer les conséquences économiques en termes d'attractivité touristique.

À cet égard, une attention particulière doit être portée à la question des budgets d'acquisition de nos musées , qui ont subi de fortes baisses au début de la décennie. Compte tenu des nombreuses annulations de foires d'art internationales dans plusieurs pays en raison de la crise sanitaire, la France pourrait opportunément revaloriser sa place sur le marché de l'art en décidant de maintenir ses principaux événements prévus à l'automne, sous réserve que les exigences sanitaires puissent être respectées.

b) Assurer la consommation des crédits destinés au patrimoine monumental en 2020 et veiller à maximiser leur efficience

Les crédits de l'État destinés au patrimoine monumental jouent un rôle déterminant pour soutenir la filière de la restauration . Leur consommation revêt donc une importance primordiale pour ce secteur. Elle accuse cette année des retards significatifs par rapport aux années précédentes. L' accélération du rythme de consommation revêt donc un enjeu majeur dans le contexte actuel.

Consciente de cet enjeu, la direction générale des patrimoines a indiqué que les DRAC auraient pour instruction de rattraper, d'ici décembre, les retards accumulés dans la consommation des crédits au cours du premier semestre. Afin de garantir une consommation intégrale des crédits au cours de l'année 2020, des crédits pourraient être redéployés entre les DRAC selon les besoins de financement dans chacune des régions - plusieurs cathédrales nécessitent des travaux de restauration. Une partie des crédits déconcentrés pourraient, par ailleurs, être transférée aux opérateurs nationaux afin de financer des opérations, jusqu'ici reportées faute de financements, qui avaient été identifiées dans le cadre des schémas directeurs des établissements ou qui concernent des monuments gérés par le Centre des monuments nationaux.

D' autres pistes mériteraient pourtant d'être prises en considération pour garantir une utilisation plus efficiente des crédits , tout en permettant le lancement rapide d'un certain nombre de chantiers.

Ø Privilégier les opérations pour lesquelles les crédits de l'État créent un effet de levier plutôt que les opérations qui portent sur les seuls monuments historiques appartenant à l'État

Même si l'on peut comprendre la tentation de l'État de consommer prioritairement les crédits pour des projets dont lui-même ou l'un de ses opérateurs assume la maîtrise d'ouvrage, il ne s'agit pas nécessairement des chantiers qui ont les plus fortes retombées , ni pour les entreprises de restauration du patrimoine dans leur ensemble, ni pour tous les territoires.

Les crédits investis par l'État pour subventionner des opérations portant sur des monuments historiques qui ne lui appartiennent pas profitent davantage aux entreprises de restauration des monuments historiques, dans la mesure où des subventions des collectivités territoriales, des aides d'associations de sauvegarde du patrimoine et/ou une prise en charge des travaux par les propriétaires privés s'ajoutent aux crédits de l'État. En outre, les collectivités territoriales et les propriétaires privés possèdent près de 95 % des monuments historiques.

C'est la raison pour laquelle il serait utile que les DRAC se mettent en relation avec les collectivités territoriales et les propriétaires privés pour identifier les chantiers qui pourraient être rapidement lancés.

À cette fin, des simplifications administratives pourraient être pertinentes afin de garantir que les projets puissent effectivement démarrer d'ici la fin de l'année : accélération du temps d'instruction des demandes d'urbanisme, report des délais pour éviter la caducité des autorisations ou des subventions.

Dans le même ordre d'idées, le groupe de travail estime que l'élargissement du champ géographique du label de la Fondation du patrimoine à l'ensemble des immeubles, bâtis et non bâtis, situés dans des communes de moins de 20 000 habitants , que l'article 1 er de la proposition de loi déposée par la sénatrice Dominique Vérien prévoit d'autoriser, serait de nature à créer un surcroît d'activité pour les entreprises de restauration du patrimoine. Ce label est en effet octroyé aux propriétaires qui s'engagent à réaliser des travaux de restauration sur un immeuble relevant du patrimoine non protégé et leur procure un avantage fiscal qui leur permet de déduire de son impôt une partie du montant des travaux. L'élargissement du champ géographique du label se révélerait efficace pour faciliter la relance de petits chantiers, facilement compatibles avec le respect des contraintes sanitaires.

Ø Instaurer, pour une période limitée, des mécanismes incitant les autres propriétaires de monuments historiques à lancer des opérations

Diverses mesures pourraient être mises en place pour faciliter la consommation des crédits, l'activité des entreprises de restauration et inciter les collectivités territoriales et les propriétaires privés à engager rapidement des opérations. Le groupe de travail estime qu'il serait pertinent de donner des instructions aux DRAC pour adapter certaines des règles et pratiques en vigueur à la situation exceptionnelle que nous connaissons. Ces adaptations pourraient s'appliquer de manière temporaire, pour une période n'excédant pas le terme de l'année 2021 .

• Augmenter le taux de subvention de l'État sur les immeubles protégés au titre des monuments historiques, ce qui impliquerait de relever le plafond maximal de subvention concernant les monuments inscrits

Le taux de subvention de l'État s'établit aujourd'hui en moyenne à 40 % pour les immeubles classés et à 15 % pour les immeubles inscrits au titre des monuments historiques. Face à l'impact économique de la crise sanitaire sur la situation financière des collectivités territoriales et des propriétaires privés, l'accroissement de la subvention de l'État pourrait constituer un levier important pour déclencher des opérations , dans la mesure où le coût de celles-ci s'en trouverait réduit pour leurs propriétaires.

Cette mesure répond à la même logique que celle qui a présidé à la création du Fonds incitatif et partenarial pour les monuments historiques des communes à faibles ressources (FIP) en 2018, à savoir susciter, par le biais d'une participation accrue de l'État au financement, de nouveaux projets ou permettre la réalisation de projets n'ayant pas pu trouver la totalité de leur financement à ce jour. Dans le cadre du FIP, la subvention de l'État peut être portée à 80 % s'il s'agit d'un immeuble classé et jusqu'à la limite légale de 40 % s'il s'agit d'un immeuble inscrit. Mais, le bénéfice du FIP est aujourd'hui limité aux immeubles en mauvais état ou en péril situés dans des communes à faibles ressources de moins de 10 000 habitants, sachant que les communes de moins de 2 000 habitants sont privilégiées. Il est également conditionné à une participation de la région représentant au moins 15 % du coût des travaux.

Dans le contexte actuel, le groupe de travail recommande d'ouvrir provisoirement la possibilité d'une participation accrue de l'État pour les immeubles en mauvais état ou en péril, sans autres conditions .

Il lui paraitrait également opportun de relever parallèlement le plafond de la subvention pour les immeubles inscrits, aujourd'hui fixé à 40 %. Les DRAC estiment en effet que ce plafond constitue à l'heure actuelle un frein pour leur permettre d'accompagner certains projets qui pourraient être rapidement lancés.

• Accroître la part des crédits alloués aux monuments appartenant à des propriétaires privés parmi les crédits destinés aux monuments qui n'appartiennent pas à l'État

Généralement, seuls 15 % des crédits déconcentrés destinés aux monuments qui n'appartiennent pas à l'État vont en direction des monuments qui appartiennent aux propriétaires privés, ce qui représente en 2020 environ 20 millions d'euros sur les quelques 130 millions d'euros inscrits en loi de finances initiale pour 2020 en faveur des monuments historiques hors État.

Du fait du report des élections municipales, les collectivités territoriales pourraient rencontrer des difficultés à consommer intégralement les crédits qui leur étaient destinés. Les propriétaires privés devraient être plus facilement en mesure de prendre la décision d'entreprendre des travaux dans les prochains mois . Dans ces conditions, il serait souhaitable qu'une partie des crédits initialement destinés à la restauration du patrimoine des collectivités territoriales soit réaffectée aux propriétaires privés de monuments historiques dont les travaux seraient prêts à être lancés, sous réserve qu'ils fassent appel à des entreprises qui disposent des compétences et des qualifications nécessaires pour garantir une restauration en bonne et due forme.

• Inclure les surcoûts de chantiers causés par les contraintes sanitaires dans le montant total de la dépense utilisé pour calculer le montant de la subvention de l'État

Les maîtres d'ouvrage et les entreprises sont aujourd'hui inquiets des surcoûts engendrés par les contraintes sanitaires, au point que certains chantiers initialement prévus pourraient être reportés à une date ultérieure dans l'attente d'un retour à la normale. Les maîtres d'ouvrage et les entreprises pourraient être partiellement rassurés si le montant des surcoûts pouvait être intégré dans le montant de la dépense subventionnable, ce qui permettrait d'en alléger le coût.

• Consacrer une part plus importante des crédits à l'entretien des monuments historiques

Si l'État réserve habituellement environ 15 % de ses crédits destinés aux monuments historiques à l'entretien de ceux-ci, il pourrait être pertinent de favoriser, dans les mois à venir, les chantiers d'entretien aux chantiers de restauration afin de faciliter la consommation intégrale des crédits inscrits au titre de l'année 2020. Il s'agit en effet de chantiers dont le lancement est à la fois plus facile et rapide , puisqu'ils ne nécessitent pas d'autorisation préalable. Ils pourraient procurer de l'activité aux entreprises de restauration de monuments historiques à travers tout le territoire.

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication plaide, depuis plusieurs années, pour qu'une culture de l'entretien des monuments se mette véritablement en place dans notre pays. L'entretien régulier des monuments demeure le meilleur moyen d'éviter la survenance de situations de péril. Les pays qui ont mis en place une politique systématique d'entretien des monuments ont constaté des résultats au bout d'une dizaine d'années , avec une baisse sensible du nombre de monuments nécessitant des travaux de restauration. Au final, le surcoût initial de cette politique d'entretien régulier s'est révélé bénéfique en termes de finances publiques par la suite, les travaux de restauration étant beaucoup plus onéreux que les travaux d'entretien.

C'est pourquoi le groupe de travail estime qu'il serait judicieux de lancer une expérimentation en matière d'entretien des monuments historiques et que la crise sanitaire actuelle pourrait, en fin de compte, en fournir l'occasion.

2. Tirer les enseignements de cette crise au niveau des politiques de valorisation du patrimoine
a) Adapter certains discours aux contraintes de la situation sanitaire

Ø Communiquer en direction des publics

Même si les opérateurs devraient organiser leurs propres campagnes de communication pour inciter les visiteurs à fréquenter de nouveau leurs établissements, les services du ministère de la culture auront un rôle à jouer pour les accompagner afin que la crise puisse être surmontée le plus rapidement possible.

Deux axes de communication apparaissent essentiels :

- d'une part, rassurer les publics sur la nature des précautions sanitaires prises pour assurer leur accueil dans des conditions sécurisées ;

- d'autre part, éveiller ou raviver leur intérêt pour les visites, en insistant sur différents aspects, comme le plaisir de la découverte d'un lieu et de son histoire, l'enrichissement né de la confrontation avec une oeuvre ou un monument, la proximité géographique des établissements patrimoniaux ou encore le caractère convivial de ce type de sorties, compte tenu de la multiplicité des activités et services proposés.

La question des modalités d'organisation des visites guidées constitue également une question cruciale pour la relance de l'activité des opérateurs, tout en étant fondamentales pour l'activité des guides-conférenciers, une profession particulièrement affectée par la crise sanitaire actuelle.

Le groupe de travail estime qu' un soin tout particulier devrait être apporté cette année à l'organisation des manifestations culturelles nationales , telles que les Journées européennes du patrimoine (19-20 septembre) ou la Nuit européenne des musées (reportée au 14 novembre), afin que ces événements apportent un coup de projecteur plus puissant encore qu'habituellement sur le secteur des patrimoines et soient l'occasion de dynamiser leur relance.

Ø Conserver le concours des mécènes

Jusqu'alors très dynamiques, les ressources procurées par le mécénat aux établissements et associations oeuvrant dans le domaine culturel pourraient pâtir des conséquences de la crise sanitaire. Cette ressource est pourtant aujourd'hui indispensable au financement des actions dans le secteur des patrimoines (projets de restauration du patrimoine, enrichissement des collections, modernisation des espaces d'expositions...).

Il serait important que la mission mécénat noue rapidement un dialogue avec les mécènes qui investissaient jusqu'ici dans le champ des patrimoines, à commencer par les principaux bienfaiteurs de la vie culturelle membres du Club des mécènes de la culture, afin de s'assurer qu'ils maintiennent leurs engagements. Les DRAC auraient également un rôle à jouer au niveau local pour poursuivre la création de réseaux entre le monde de la culture et le monde de l'entreprise.

Le discours à l'attention des mécènes sera sans doute amené à évoluer, afin de faire valoir aux entreprises l'impact sur le renforcement de la cohésion sociale que pourrait avoir leur générosité en faveur des patrimoines.

b) L'occasion de répondre à des besoins précédemment identifiés, encore exacerbés par la crise

Ø Fournir davantage d'ingénierie aux propriétaires de monuments

Depuis 2008, les propriétaires publics ou privés de monuments exercent la pleine maîtrise d'ouvrage des travaux d'entretien ou de restauration qu'ils font exécuter et les DRAC n'ont plus la possibilité de se substituer à eux. Même si le code du patrimoine autorise ces dernières à apporter une assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO), l'usage de ce dispositif « reste très hétérogène sur le territoire », comme le constatait Philippe Nachbar dans son rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2020. À l'exception de la région Bretagne, où une expérimentation en matière d'assistance à la maîtrise d'ouvrage par les services de l'État est menée, les DRAC n'exercent pratiquement plus cette mission, faute de moyens, même si les architectes des bâtiments de France (ABF), en particulier, continuent à dispenser des conseils techniques et administratifs lorsqu'ils sont sollicités en ce sens par les maîtres d'ouvrage.

Le manque d'ingénierie des petites communes et des propriétaires privés constitue un frein à la réalisation de nombreux projets . Cette difficulté pose particulièrement problème à l'heure actuelle, où le temps presse pour lancer des projets susceptibles d'aider les entreprises de restauration du patrimoine à surmonter la crise. Si les propriétaires de monuments historiques pouvaient accéder à une expertise en matière de travaux, la relance de l'activité pourrait en être facilitée. La DRAC de Bretagne a indiqué aux membres du groupe de travail qu'elle comptait justement utiliser le biais de l'AMO pour stimuler l'activité des entreprises sur son territoire.

Dans ce contexte, le groupe de travail estime opportun que , sur tous les territoires, les services de l'État reprennent leur mission d'AMO pour favoriser la relance de l'activité. Il pourrait en résulter également des effets positifs à plus long terme pour l'image des services déconcentrés sur le territoire et la qualité des relations entre les élus locaux et les ABF, en démontrant que cette profession n'a pas vocation à interdire la réalisation de projets, mais au contraire à mettre à disposition ses compétences scientifiques et techniques pour les accompagner.

Le groupe de travail est conscient que la reprise de cette mission représente un coût important pour l'État, puisqu'elle exige de pourvoir aux postes d'ABF vacants dans les différents départements et de remplacer les ingénieurs et techniciens qualifiés partis à la retraite au cours des dernières années. Il estime cependant ce coût proportionné à l'impératif de relance de l'activité et à l'enjeu de la préservation du patrimoine sur la durée, dont les ABF constituent un maillon central.

Familiers des enjeux urbanistiques, les départements pourraient trouver un intérêt à développer une expertise en matière d'ingénierie patrimoniale en faveur des petites communes et intercommunalités de leur périmètre géographique, afin de valoriser les territoires et de promouvoir la solidarité et la cohésion territoriales. Ils possèdent d'ailleurs déjà des services d'ingénierie pour remplir leur mission d'assistance technique en matière d'assainissement, de voirie, d'aménagement et d'habitat. Mais ces services proposent rarement une aide en matière patrimoniale et ne possèdent donc pas, aujourd'hui, les compétences requises pour venir en aide aux communes et intercommunalités sur le sujet. Par ailleurs, certains départements facturent le coût de ces services aux communes et aux intercommunalités auxquelles ils viennent en aide quand d'autres les offrent gratuitement. Par conséquent, il paraît difficilement envisageable de leur confier une compétence obligatoire sur ce sujet, compte tenu de leur manque de moyens financiers , sans prendre le risque de créer des inégalités territoriales. S'il était décidé de s'orienter dans cette voie, il faudrait absolument que l'État mette à la disposition des départements des moyens financiers pour leur permettre d'exercer convenablement cette nouvelle mission.

Ø Renforcer les liens entre culture et tourisme

En dépit du rôle incontesté de nos patrimoines dans le rayonnement et l'attractivité de notre pays, les liens entre culture et tourisme paraissent encore trop timides . Pourtant, nos patrimoines, en tant que vitrine de la France et de nos territoires, ont un impact direct sur le dynamisme économique. La restauration, la valorisation et la diffusion du patrimoine font partie intégrante d'une stratégie d'ensemble qui dépasse le seul champ des enjeux patrimoniaux pour englober l'attractivité des territoires et le rayonnement de la « destination France ».

Dans un rapport de mars 2017 consacré aux moyens d'améliorer la fréquentation touristique de la France à partir de nos patrimoines, Martin Malvy soulignait à juste titre qu'« accroître la fréquentation touristique ne dépend pas seulement du site, mais de l'histoire qu'il raconte ». Même si le ministère de la culture a pris l'initiative d'organiser, depuis maintenant trois ans, des « Rencontres du tourisme culturel » chaque année afin de renforcer la coopération entre les professionnels du tourisme et ceux de la culture, les interactions entre les ministères de la culture et du tourisme pourraient être encore renforcées .

La dimension économique et touristique du patrimoine n'est en effet véritablement traitée par aucun des deux ministères. En témoigne le fait que les critères d'octroi des aides au titre du plan de soutien au secteur du tourisme ne permettent pas, à ce stade, à l'ensemble des propriétaires et gestionnaires de monuments, quelle que soit leur forme juridique, de pouvoir y prétendre, puisque les aides accordées sont destinées aux seules entreprises. Plusieurs aides proposées par ce plan seraient pourtant utiles à l'ensemble d'entre eux dans le contexte actuel, telles que la prolongation du dispositif d'activité partielle, l'exonération des cotisations sociales pendant la période de fermeture et de très faible activité, ou l'accès au prêt garanti par l'État « saison » pour faire face aux difficultés susceptibles de survenir en fin de saison...

Alors que les Français devraient essentiellement passer leurs vacances cet été sur le territoire national, il est important d'éveiller leur intérêt pour le tourisme patrimonial, véritable alternative au tourisme balnéaire, compte tenu des incertitudes qui pèsent sur les modalités de séjour sur les plages dans le contexte sanitaire actuel. Le secrétaire d'État au tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne, a annoncé le lancement prochain d'une campagne d'information et de promotion, destinée à poursuivre le mouvement lancé par le collectif Patrimoine 2.0. avec l'initiative « Cet été, je visite la France ». Son besoin se fait particulièrement sentir pour venir en aide à ce secteur sinistré, dont les perspectives pour l'été sont mauvaises du fait de l'absence des touristes étrangers qui représentent généralement une bonne partie de leur fréquentation.

Ø Poursuivre les efforts pour mieux faire circuler les chefs d'oeuvre sur le territoire national

Face aux difficultés accrues pour faire venir des oeuvres de l'étranger, compte tenu du caractère mondial de la crise sanitaire, le groupe de travail estime qu'il serait opportun d' amplifier encore la politique de circulation des oeuvres sur le territoire national , à laquelle s'attelle la direction des musées de France depuis plusieurs années. Cette politique de mobilité croissante des oeuvres d'art pourrait avoir des effets positifs sur la relance de l'activité et le niveau de la fréquentation, tout en renforçant l'égalité d'accès à la culture à travers le territoire national.

c) Et demain, l'Europe du patrimoine ?

La stratégie pluriannuelle en faveur du patrimoine comporte un volet européen destiné à remédier à l'absence de stratégie coordonnée au niveau européen en matière de patrimoine. Elle évoque l'idée d'un « Grand tour » du patrimoine, mais peu d'avancées concrètes semblent avoir été enregistrées dans ce domaine depuis sa publication.

Le Conseil européen du 20 juin 2019 a pourtant reconnu que la culture et le patrimoine culturel était « au coeur de l'identité européenne », justifiant, à ce titre, des investissements de sa part.

Le groupe de travail s'interroge donc sur la possibilité d'utiliser le plan de relance de l'Union européenne en réponse à la crise sanitaire, s'il était effectivement validé par les États membres, pour amorcer une véritable stratégie européenne en matière de patrimoine.

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