CONTRIBUTIONS DES SÉNATEURS
ET DES GROUPES POLITIQUES

Contribution des commissaires aux lois du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER)

Éric KERROUCHE, Marie-Pierre de la GONTRIE, Jér™me DURAIN, Patrick KANNER, Hussein BOURGI, Laurence HARRIBEY, Jean-Yves LECONTE, Didier MARIE, Jean-Pierre SUEUR

En raison de la pandémie et de la crainte qu'elle a générée chez nos concitoyens, les dernières élections municipales ont été globalement marquées par une progression de l'abstention même si celle-ci a pu varier selon les territoires. Au-delà de ces circonstances exceptionnelles, il faut également pouvoir mettre en Ïuvre des modalités de vote alternatives qui permettent à ceux qui ne peuvent voter à l'urne d'exprimer leur choix et ainsi de donner aux élus le maximum de légitimité pour agir sur les territoires.

C'est pourquoi, sans remettre en cause le vote a? l'urne qui doit demeurer la forme essentielle de participation démocratique, examiner les modalités de votes qui nous permettent d'imaginer une démocratie « tout-terrain È répondant a? ces cas de figure particuliers est une nécessité à laquelle cette mission d'information à apporter des réponses en un temps record.

En effet, depuis le mois de mai, certaines initiatives ont été prises pour inciter l'exécutif à une réflexion sur des modalités de vote alternative, en particulier en ce qui concerne le vote par correspondance. Outre les trois propositions de loi d'Éric Kerrouche des 24 mai et 14 novembre 2020, des amendements ont été défendus et adoptés tels que :

- les amendements identiques adoptés en séance de Messieurs Bruno Retailleau 91 ( * ) et Eric Kerrouche 92 ( * ) à la proposition de loi tendant à sécuriser l'établissement des procurations électorales et l'organisation du second tour des élections municipales de juin 2020;

- les amendements identiques de séance déposés par le rapporteur Philippe Bas 93 ( * ) et Éric Kerrouche 94 ( * ) au projet de loi relatif au régime transitoire institué à la sortie de l'état d'urgence du 16 septembre 2020 (le texte fut retiré de l'ordre du jour par le Gouvernement et son examen interrompu);

- l'amendement de commission adopté du rapporteur Philippe Bas 95 ( * ) au projet de loi de prorogation de l'état d'urgence sanitaire du 21 octobre 2020 (cette disposition fut supprimée en commission mixte paritaire).

Si le rapport de Jean-Louis Debré du 13 novembre 2020, relatif au report des élections régionales et départementales, propose des aménagements pour la tenue du scrutin dans de bonnes conditions, les auditions ont été conduites uniquement auprès des élus nationaux et locaux, des membres du conseil scientifique et de certaines autorités indépendantes. Ce panel était bien entendu incontournable puisqu'il s'agissait de recueillir le plus large consensus politique, principalement sur la date de report des élections, mais il ne permet pas d'aborder en profondeur l'opportunité et la faisabilité des modalités de vote alternatives qui méritent néanmoins examen.

Compte tenu du manque d'anticipation du Gouvernement, pourtant alerté par des sénateurs de tous bords depuis le mois de mai 2020, de l'objectif de la mission de Jean-Louis Debré et des délais qui lui étaient assignés, et enfin, de l'imminence de l'examen du projet de loi de report des élections régionales et départementales 2021 qui ouvrirait la possibilité à l'introduction de nouvelles dispositions, la mission d'information a conduit des travaux certes approfondis et multidisciplinaires, mais dans des délais plus que contraints. On regrette juste que les élus locaux interrogés dans le cadre de la mission n'aient pu disposer des contributions des intervenants interrogés par la mission (universitaires, prestataires, fonctionnairesÉ).

En parallèle à cette consultation, on peut souligner les résultats de sondages récents :

- un sondage Haris Interactive du 12 novembre 2020 réalisé pour Régions Magazine a indiqué que 72 % des Français seraient favorables au vote par correspondance et au vote par internet pour les prochaines élections régionales et départementales ;

- un autre sondage IFOP commande? par le groupe des sénateurs de l'Union centriste a montré que les Français sont majoritairement favorables a? une évolution en faveur de l'accès au vote a? distance pour les prochaines élections : vote par procuration, dont ils ont effectivement l'habitude (72 %), vote par internet (58 %), vote par correspondance (57 %) et vote anticipe? (55 %).

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a fait le choix de s'abstenir sur ce rapport, la place donnée au vote par procuration hors pandémie étant jugée importante. Cette modalité de vote est effectivement socialement connotée et ne répond pas aux standards internationaux, qui lui préfèrent d'autres techniques de vote, notamment le vote par correspondance.

La présente contribution, tout en soulignant la qualité des travaux de la mission d'information, apporte des éléments d'analyse complémentaires, en particulier sur le vote par procuration. Elle s'inscrit en phase avec le rapport de la mission d'information sur l'intérêt porté au vote par correspondance sous pli fermé, qu'il y aurait au moins lieu d'expérimenter dans le cadre d'une élection législative partielle. C'est en ce sens qu'Éric Kerrouche avait déposé un amendement au projet de loi de report des élections législatives 96 ( * ) et municipales partielles 97 ( * ) . L'expérimentation pourrait s'appuyer sur le dispositif qu'il a par ailleurs proposé dans sa proposition de loi n 126 visant à instaurer le vote par correspondance pour les scrutins électoraux et les opérations référendaires 98 ( * ) dont le schéma est joint à la présente contribution.

La crise sanitaire, qui met en exergue les faiblesses de la démocratie française, doit devenir une opportunité d'adaptation de nos processus électoraux. Si les agendas électoraux sont loin d'être neutres dans l'organisation du processus électoral, ils ne doivent pas non plus devenir un prétexte à procrastiner sur la voie de la modernisation de notre démocratie. Dans le cas contraire, il pourra toujours être argué que la mise en place de nouvelles modalités de vote ne se présente jamais au bon moment.

1. CONSTRUIRE UNE DÉMOCRATIE TOUT-TERRAIN : UNE NÉCESSITÉ DÉMOCRATIQUE ABSOLUE DE LÉGITIMITÉ ÉLECTORALE

1.1 Le vote : expression du suffrage universel, unique source du pouvoir

La loi constitutionnelle du 3 juin 1958 stipulait dans le premier alinéa de son article unique que Ç seul le suffrage universel est la source du pouvoir. C'est du suffrage universel ou des instances élues par lui que dérivent le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif È. Cette formule, reprise en partie par l'article 3 de la Constitution de 1958, indique à elle seule combien le vote est déterminant dans notre démocratie : depuis 200 ans, parce qu'il s'agit de l'un de nos droits civiques essentiels, il fait l'objet d'une intense valorisation symbolique.

Le droit de vote d'abord, puis le suffrage universel ensuite, sont des conquêtes populaires qui se sont construites par étapes. L'opération électorale ne se ramène pas à la seule expression d'une opinion : l'accès au vote est synonyme d'acquisition, puis d'exercice de la citoyenneté tout autant qu'elle constitue une célébration de l'unité sociale de la République. Cette importance particulière des scrutins électoraux dans la vie démocratique explique également pourquoi le vote est une activité codifiée, empreinte d'une certaine gravité. Pour autant, encore faut-il que ce rituel démocratique conserve la même importance et, ensuite, qu'il puisse réellement avoir lieu.

Au-delà de l'importance de la liturgie républicaine, la participation électorale détermine la légitimité politique. Ë titre indicatif, certains maires de communes importantes ont pu être élus avec moins de 10 % des inscrits lors du dernier scrutin municipal. Si la loi ne détermine aucun seuil de participation, il n'en demeure pas moins qu'une faible participation obère la légitimité à agir des élus, ce qui n'est jamais souhaitable : dans le meilleur des cas, elle favorise l'immobilisme ; dans le pire des cas, elle produit une instabilité institutionnelle pouvant éventuellement conduire à une élection partielle pour de mauvaises raisons.

1.2 La crise de la participation : un phénomène structurel

Les dernières années ont montré un affaiblissement de la participation démocratique, singulièrement pour les échéances locales, démontrant la désacralisation du rituel démocratique. En France, les années quatre-vingt ont constitué une charnière. Si l'on excepte l'élection présidentielle qui enregistre toujours des taux de participation élevés même s'ils déclinent, la montée de l'abstention ne s'est pas démentie depuis, bien au contraire, comme en témoignaient déjà les taux records atteints aux élections municipales de 2008 et de 2014. Les municipales de 2020, qui se sont déroulées dans le contexte de la pandémie de covid-19, ont vu s'amplifier le phénomène. En mars 2020, au premier tour la participation est tombée à 44,7 %. En juin 2020, la situation était pire encore, la participation s'écroulant à 41,2 %.

Sur un autre plan, il est évident que la possibilité de participer à un scrutin peut être marquée par certaines difficultés. Au-delà des explications politiques et sociales qui sont bien entendu les plus importantes, les obstacles au vote peuvent être d'ordre organisationnel. Ainsi les individus les plus jeunes, qui sont aussi les plus mobiles, sont-ils les plus fréquemment mal inscrits. En 2014, 31,1 % des 25-34 ans étaient inscrits à une autre adresse que celle où ils résidaient effectivement. Ë l'autre bout de l'échelle, si la participation des plus de 65 ans est toujours la plus forte, le vieillissement amène une abstention des plus %ogés liée, soit à la baisse de la mobilité qui peut se manifester à partir d'un certain %oge, soit à un changement de statut comme le passage en maison de retraite. Dans les faits, si l'on considère la participation électorale, on observe une chute assez notable après quatre-vingts ans. Ces exemples montrent que, quand le vote en présentiel n'est pas ou plus possible, il peut être nécessaire de mettre en place des modalités de vote qui soient plus Ç personnalisées È que le vote par procuration.

1.3 La crise sanitaire et l'impérieuse nécessité d'assurer une continuité démocratique

Au-delà de ces facteurs bien identifiés, le trait distinctif de la période que nous traversons est d'être caractérisée par la multiplication des crises de tout type, ou, de manière plus inédite, à des pandémies comme celle de covid-19. Cette dernière a très gravement perturbé la vie sociale tout en ayant un impact brutal sur la participation politique, les opérations électorales de 2020 coïncidant avec l'extension de l'épidémie en France : le second tour des élections municipales de 2020 a été inférieur de 20 % à celui de 2014.

Sylvain Brouard, directeur de recherche à la FNSP, relève dans une note relative à l'effet du covid-19 sur la participation aux élections municipales que cette crise sanitaire a joué un r™le majeur et direct dans la progression de l'abstention lors de l'élection municipale 2020 : l'intensité variable de l'épidémie sur le territoire français au moment du premier tour des élections municipales était associée à une progression variable de l'abstention constatée au niveau communal 99 ( * ) . En outre, les différentes vagues de l'enquête d'opinion réalisées par IPSOS - CEVIPOF pour le projet Ç Attitudes des citoyens sur le covid-19 È, réalisée les 16 et 17 mars 2020, soulignent que 57 % des répondants n'ayant pas participé au scrutin du 15 mars 2020 indiquaient ne pas avoir souhaité se rendre dans un bureau de vote à cause du coronavirus, dont la moitié pour ce seul motif. Pour le second tour, ils seront 43 %, dont 58 % pour ce seul motif.

La pandémie de covid-19 montre que ce qui était un phénomène conjoncturel peut se transformer en une réalité structurelle. Pour répondre à ce type de défi, il est absolument nécessaire de construire une démocratie résiliente, aussi bien dans son fonctionnement quotidien qu'au moment des élections. Il n'est pas possible que la vie démocratique soit suspendue à des évènements extérieurs qui viennent priver les citoyens de leur capacité à choisir, simplement parce que des situations exceptionnelles n'auraient pas été prises en compte ou suffisamment anticipées. Si tous les compartiments de la vie sociale peuvent et doivent être adaptés lors de ce type de crise, il en va de même s'agissant de la continuité démocratique.

1.4 Garantir la légitimité politique des élus en développant d'autres modalités de votes

Ë cet égard il faut souligner que même pendant cette période de pandémie un nombre non négligeable de pays ou de territoires ont fait le choix d'un maintien des élections. Parmi eux, certains ont décidé d'adapter les opérations électorales, comme ce fut le cas en Corée du Sud. D'autres, comme l'Allemagne ou encore les États-Unis ont pu bénéficier de la possibilité légale qui préexistait de recourir au vote par correspondance, parfois même en allant plus loin et en systématisant cette solution. Dans des États fédérés comme la Bavière en Allemagne le vote par correspondance est devenu la seule modalité de vote lors du second tour des élections municipales de mars 2020. De son c™té la Caroline de Nord, comme d'autres États américains, a modifié sa législation en mai 2020 afin de faciliter le recours au vote postal.

Institutionnellement d'abord, il n'est pas possible d'exclure le fait que la pandémie de covid-19 continue à se diffuser après l'année 2020. Cela implique donc que dans l'hypothèse, soit d'un maintien aux dates prévues des élections régionales et départementales, soit d'un report de celles-ci à une date plus tardive dans l'année 2021, il est impératif de mettre en place des modalités de vote complémentaires de celles qui existent. Par ailleurs, il faut utilement préciser que si les élections locales pourraient faire l'objet d'un report, tel n'est pas le cas de l'élection présidentielle puisque cela nécessiterait une révision de l'article 6 de la Constitution. Il est pourtant impératif de garantir le déroulement dans de bonnes conditions d'un vote que les Français considèrent comme déterminant.

Pratiquement, et au-delà de la situation actuelle, il ne faut par ailleurs pas oublier que le vote par correspondance peut constituer une opportunité pour une partie de la population, sa praticabilité intrinsèque pouvant amener à une hausse de la participation, voire une moindre diminution de celle-ci.

Toutefois, cela ne signifie pas qu'il faille rompre avec la dimension symbolique du vote. Il est simplement question de trouver des modalités de vote complémentaires, pour rendre plus facile l'exercice du droit de vote, quelles que soient les conditions dans lesquelles un scrutin se déroule.

2. LE VOTE PAR PROCURATION : UNE MODALITÉ DE VOTE ALTERNATIVE SURVALORISÉE ET SOCIALEMENT INÉGALE

Si les procurations peuvent avoir un r™le, il ne faut cependant pas les survaloriser. Cette technique de vote est en effet marquée par des limites structurelles et sociales.

2.1 Une modalité de vote dérogatoire aux principes d'égalité devant le scrutin et au secret du vote

Les procurations sont, de fait, assez peu utilisées en Europe. On rappellera utilement que l'OSCE a édicté un guide des bonnes pratiques des méthodes de vote, dans lequel est souligné le fait le vote par correspondance est Ç une manière effective de rendre le vote plus accessible È et qu'il est préférable au vote par procuration 100 ( * ) . Pourquoi ? Tout simplement parce que le principe du secret du vote n'est pas respecté en cas de vote par procuration : dans le cadre de ce dernier rien n'assure jamais au mandant que le mandataire respecte in fine le choix qui était le sien. En outre, le mandataire détenant deux, voire trois, procurations, l'égalité devant le scrutin par rapport à un électeur ne détenant aucune procuration n'est pas respectée.

L'étude de l'Institut International pour la Démocratie et l'Efficacité des Élections portant sur les modes de vote alternatifs (IDEA) souligne d'ailleurs que, si l'on excepte le cas de la Suède, le principal défi du vote par procuration est justement que, dans la plupart des cas, le secret du vote ne peut pas être maintenu 101 ( * ) . Ë tel point que de nombreux pays limitent le nombre de procurations par électeur pour atténuer toute manipulation des votes par procuration (Commission européenne 2018). Cela explique pourquoi l'OSCE a toujours recommandé aux États autorisant le vote par procuration de revoir cette pratique, y compris en faveur d'autres méthodes et arrangements de vote alternatifs qui ne posent pas les mêmes défis à la lumière des normes internationales.

2.2 Une modalité de vote qui accentue les inégalités de participation

Socialement, les études réalisées en France en la matière soulignent que le vote par procuration soutient la participation de ceux qui participent déjà le plus 102 ( * ) . Dans cette perspective, et parce que le poids de ce type de vote progresse avec le temps puisqu'il représente entre 6 et 9 % des voix exprimées à la présidentielle de 2017, le vote par procuration accentue les inégalités de participation et déforme plus l'électorat que le vote à l'urne. Le vote par procuration ne remédie donc pas à l'abstention. Il ne permet pas, en raison d'une procédure qui demeure exigeante dans son déroulement, aux individus qui sont les plus distants du vote de se mobiliser.

Ces observations en amènent une dernière : si de plus en plus d'électeurs confient leur vote a? un mandataire, le résultat du scrutin est-il aussi solide qu'avec une utilisation limitée du vote par procuration ?

2.3 Les critiques de Ç vote familial È et de fraude s'appliquent également au vote par procuration

Par ailleurs, il est important de le souligner, la critique du Ç vote familial È ou de la pression sociale s'applique tout autant sinon plus au vote par procuration, qu'au vote par correspondance. Aux Pays-Bas, des études ont été faites qui démontrent l'existence de fraudes communautaristes 103 ( * ) . Un autre défi posé par le vote par procuration est le potentiel de son utilisation abusive. Il peut en résulter des tentatives de fraude en raison de la possibilité de collecte des bulletins de vote. Dans la mesure où il est difficile de garantir que toute décision de voter par procuration et de confier à une personne le soin d'exercer le choix de l'électeur soit prise véritablement et volontairement en considération par l'électeur, le vote par procuration laisse potentiellement la place à la coercition, l'intimidation, la pression ou la tromperie ce qui affecte la capacité des électeurs à exercer leur droit de vote en toute liberté. Préférer le vote par procuration au vote par correspondance est donc étonnant du point de vue des règles du droit électoral au niveau international.

La facilitation croissante du vote par procuration en France est une réalité, et il ne convient pas nécessairement de le remettre en cause 104 ( * ) . Toutefois si la double procuration peut être une solution ponctuelle en période de pandémie, les arguments qui précèdent montrent qu'elle ne peut être une solution pérenne et que d'autres solutions, comme le vote par correspondance, doivent être envisagées.

3. LE VOTE PAR CORRESPONDANCE SOUS PLI FERMÉ : DÉCONSTRUIRE LES PRÉJUGÉS POUR EN IDENTIFIER LES AVANTAGES

Au préalable, il convient de souligner que les modalités du vote par correspondance abrogées en 1975 étaient particulièrement laxistes et centralisées. Le dispositif contenait intrinsèquement des risques de fraudes élevés, qui se sont avérées en réalité marginale compte tenu du caractère archaïque du système. Il serait donc exclu de rétablir de telles dispositions. De même, il est exclu de s'appuyer sur cette unique expérience pour discréditer le vote par correspondance comme s'il était par essence générateur de fraude.

3.1 Le vote par correspondance et son développement à l'étranger

Les expériences étrangères présentées dans le rapport de la mission d'information tendent à montrer, d'une part, que la solution du vote par correspondance tend à se développer et que, d'autre part, elle suscite un intérêt croissant des électeurs. Cette modalité est par ailleurs recommandée par les standards internationaux.

Dans le cas de la Bavière, le premier tour de scrutin a eu lieu en même temps qu'en France, le 15 mars 2020. Comme en France, la Bavière faisait face à la première vague de l'épidémie et était l'une des régions les plus touchées d'Allemagne. Alors, qu'en France, la participation par rapport à 2014 recula de 17 points, en Bavière, elle progressa de 4 points.

Dans le cas de l'élection présidentielle aux États-Unis, malgré une épidémie de covid-19 en pleine progression, le taux de participation a progressé d'au moins 7,5 points entre 2016 et 2020. Si cette hausse de la participation s'explique par une polarisation marquée et particulièrement mobilisatrice lors de ce scrutin, il faut néanmoins retenir que les électeurs américains ont massivement eu recours aux différentes modalités alternatives de vote (dont le vote postal) puisque la participation électorale enregistrée avant le jour du scrutin équivalait aux trois quarts de la participation à l'élection présidentielle 2016 et à près des deux tiers de celle de 2020.

En Espagne, même s'il demeure marginal, le recours au vote par correspondance tend à cro”tre. Par ailleurs lors des derniers scrutins régionaux de juillet 2020, la situation sanitaire liée à la pandémie de covid-19 a entra”né une nouvelle hausse du recours au vote par correspondance, lui-même facilité par certaines mesures. Ainsi au Pays basque, le taux de recours au vote par correspondance a atteint 7,2 % en juillet 2020 contre 1,43 % aux élections régionales de 2016.

Par conséquent, la mise en place de modalités alternatives de vote, comme le vote postal, est susceptible de compenser les effets délétères de la crise sanitaire actuelle sur la participation électorale. D'un point de vue comparatif, le contraste entre les deux cas évoqués et la France laisse peu de doute sur l'effet de l'absence ou de la présence de modalités alternatives de vote sur l'abstention dans un contexte de crise sanitaire.

3.2 Des critiques qui s'entendent mais qui confinent parfois au fantasmeÉ

Au-delà des adaptations techniques nécessaires à la mise en place du vote par correspondance qui sont avant tout des changements d'habitudes (telle la nécessité de systématiser un entre-deux tours de quinze jours), il convient de revenir sur certaines critiques du vote par correspondance qui sont néanmoins régulièrement pointées pour les remettre en perspective et y répondre.

a) S'agissant de la fraude, la plupart des études concluent que le vote par correspondance n'est ni plus ni moins immunisé contre celle-ci que le vote en présentiel. Par ailleurs, les données disponibles démontrent que dans les démocraties occidentales les propensions à la fraude sont extrêmement faibles, certains auteurs parlant même d'un mythe de la fraude électorale. En outre la plupart des études convergent pour conclure que, dans le cas du vote par correspondance, les cas de fraudes massives et organisées sont, sinon impossibles, du moins plus que rares. Les études à la fois longitudinales et ponctuelles menées en Suisse en la matière sont une parfaite illustration de la fiabilité du processus quand il est bien mis en Ïuvre. Faudrait-il donc avoir à arbitrer entre une abstention massive et une potentielle fraude marginale que le droit électoral permet de régler lors des contentieux ?

b) Certains évoquent la faillibilité du service postal. Or, dans l'hypothèse où La Poste serait l'opérateur chargé de l'acheminement des plis, on peut se référer aux propos de la Cour des comptes soulignant plut™t la fiabilité de la Poste : Ç pendant la période 2013-2017, La Poste a respecté la très grande majorité des objectifs réglementaires 105 ( * ) È, assurant ainsi ses missions de prestataire du service universel postal. En outre, lors des auditions réalisées, aussi bien l'opérateur postal historique que les routeurs se sont dits prêts à une mise en place d'un vote par correspondance et ce dès le mois de juin 2021.

c) L'un des autres points évoqués concerne celui de l'orientation partisane des votes par correspondance. La plupart des études disponibles, notamment les plus récentes, font surtout ressortir le fait que, de manière globale, le vote par correspondance ne profite pas à une couleur politique plus qu'à une autre, pas plus qu'il n'accro”t la participation au profit d'une tendance politique et au détriment d'une autre.

d) D'autres critiques mettent l'accent sur les pressions qui peuvent s'exercer sur l'électeur, soulignant le risque d'un Ç vote familial È en cas de vote par correspondance. Ces arguments sont recevables. Reste que si le souci de Ç vote familial È qui traduit les pressions des proches vis-à-vis de l'électeur putatif est légitime, il convient cependant de souligner que ce type de problématiques ne peut pas non plus être totalement écarté lors du vote en présentiel (ou par procuration), le poids de la famille ou d'autres liens pouvant ne pas être négligeable. Comme le montre les études en la matière le vote est souvent inscrit dans une dynamique familiale.

e) D'autres études soulignent, à juste titre, la dynamique du choix électoral et la possibilité pour l'électeur de voir son choix évoluer dans le temps. Afin de répondre à cette problématique, il peut être suggéré que les votes par correspondance reçus ne soient comptabilisés qu'à la fin du processus de vote, de telle façon qu'un électeur qui aurait changé d'avis, entre le moment où il a envoyé son vote et le scrutin à proprement parler, puisse venir voter en présentiel le jour de l'élection, rendant caduc son choix initial fait par correspondance.

Reste la problématique des délais de mise en place dans la perspective du double scrutin. La question est légitime, mais apporter une réponse ultérieurement ne résoudra pas le problème de participation résultant de la crise sanitaire qui, on l'espère, sera résolue en 2022.

3.3 Des avantages dont il ne faut pas se priver

Le vote par correspondance comporte également des avantages induits :

a) Il demeure plus Ç personnel È que le vote par procuration. Il faut en effet se rappeler que, dans le cadre de ce dernier, rien n'assure jamais au mandant que le mandataire respecte in fine le choix qui était le sien. Par ailleurs la critique du Ç vote familial È ou de la pression sociale s'applique tout autant sinon plus au vote par procuration qu'au vote par correspondance. Il est alors assez paradoxal que l'attitude française soit de favoriser le vote par procuration, alors même que celui-ci favorise plus le vote familial que le vote par correspondance.

b) Dans les études menées, le vote par correspondance, voire sa généralisation, est régulièrement accompagné d'une augmentation de la participation qui concerne tous les groupes d'électeurs et particulièrement les plus jeunes et les moins dipl™més.

c) Dans des périodes comme celle que nous traversons, le vote par correspondance procure la garantie de pouvoir maintenir les échéances démocratiques, en assurant une participation satisfaisante. En ce sens, il contribue à la sincérité du scrutin qui implique une égalité devant celui-ci et donc, la possibilité pour chacun de prendre part au vote. En outre, en limitant le risque de déficit de participation, il préserve la légitimité des élus.

Pour conclure, il va de soi que la mise en place du vote par correspondance ne peut être réalisée à l'impromptu. Elle nécessite réflexion, préparation et moyens. Le ma”tre mot de sa réussite, qui caractérise d'ailleurs la période actuelle, est bien l'anticipation.

Au final, la proposition de mise en place du vote par correspondance ne constitue pas une remise en cause du rituel républicain que constitue le vote. Il s'agit uniquement de l'adjonction d'une modalité de vote. Elle ne plaide pas pour un basculement vers un système de vote par correspondance systématique mais se présente avant tout comme un moyen de consolider notre démocratie et, du même coup, de la rendre résiliente dans des périodes extra-ordinaires.

Si la démocratie ne peut en aucune façon se réduire au vote, sans vote il n'y a pas de démocratie. De la même façon qu'il y a une continuité du service public, il doit y avoir une continuité démocratique.

En outre certaines innovations utilisées à l'étranger - par exemple la possibilité de suivre en direct le cheminement de son bulletin de vote en ligne - peuvent venir compléter la tradition de vote ancrée par la mise en place d'une nouvelle scénographie de la démocratie pendant plusieurs semaines et devenant ainsi une nouvelle forme d'incitation au vote.

Il n'est plus excusable de devoir interrompre le cours de la démocratie aujourd'hui. L'imprévisibilité, et donc l'impréparation, ne sont plus des arguments recevables. Il convient de sortir de l'improvisation permanente, de faire preuve d'anticipation et d'innovation, et, enfin, de ne pas conditionner la démocratie à des contraintes financières.

Contribution du groupe Communiste républicain citoyen et écologiste (CRCE)

Le groupe CRCE demeure attaché au principe du vote à l'urne. Au-delà du symbole, il incarne un principe fort de notre démocratie française : le vote est secret et individuel.

Notre système électoral connaît des élections à deux tours. Ainsi, à l'exception des élections européennes et des élections sénatoriales pour les départements à la proportionnelle, toutes les élections sont à deux tours, que celles-ci soient des élections au scrutin proportionnel ou uninominal.

Le vote du premier tour a lieu à l'issue d'une campagne électorale de plusieurs semaines. Le vote du second tour à lieu dans un temps beaucoup plus court, une semaine pour les élections locales et deux semaines pour les élections présidentielles.

Rappelons qu'à l'exception des élections présidentielles où seuls les deux premiers candidats arrivés en tête peuvent se maintenir, les autres élections peuvent être concernées par des triangulaires, quadrangulaires, selon des règles de fusion ou de maintien propre à chaque élection.

À l'aune des différentes auditions, il apparait que la mise en place du vote par correspondance bouscule l'organisation des élections. Il impose un délai de deux à trois semaines pour l'entre-deux tours et un dépôt des candidatures plus en amont pour le premier tour. Il remet en cause la temporalité - unique - du vote.

L'évolution des élections ne peut se faire à la hâte, en période de crise sanitaire.

Si pour certains la mise en place du vote par correspondance est justifiée afin de combattre l'abstention majeure dans notre pays, nous alertons qu'au nom de cette ambition il ne faudrait pas que cette mise en place accroît la défiance envers notre système et la multiplication de recours nombreux, justifiés entre autre par des retards de courrier, entachant durablement la sincérité des scrutins.

Rappelons ainsi, qu'aux élections régionales en 2010, une liste manque les 5% à 44 voix, empêchant de fait une possibilité de fusionner, qu'aux élections départementales de 2015, de nombreux candidats ont pu se maintenir au second tour dans des triangulaires à quelques dizaines de voix près.

Enfin la mise en place du vote par correspondance invite inévitablement les électeurs à voter avant la fin de la période de campagne officielle. Or diverses études démontrent que de plus en plus d'électeurs décident définitivement leur vote seulement le jour de celui-ci.

L'abstention électorale est un phénomène social contre lequel nous luttons, mais nous estimons qu'il est préférable de favoriser la participation politique par d'autres moyens. Aujourd'hui, tout comme pour les procurations, les personnes ne votant pas ne sont pas celles les plus susceptibles de se saisir du vote par correspondance.

Si le système par procuration peut connaitre des dérives, et ne répond pas à l'exigence du vote secret individuel, il en limite cependant les abus, alors que le vote par correspondance pourrait entrainer des votes « collectifs » à plus grande échelle.

Pour toutes ces raisons, le groupe CRCE approuve les recommandations de cette mission.

Contribution de M. Guy Benarroche, sénateur du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires

Constatant une faible participation aux élections ces dernières années, quel que soit le type d'élections (municipales, présidentielles, européennes etc .), notre mission a souhaité entamer une réflexion sur les remèdes organisationnels à apporter à cette abstention en croissance continue.

Cette mission s'est attachée en particulier à étudier l'évolution possible des modalités de vote en période de crise sanitaire et pour les séquences électorales proches en 2021 et 2022, crise sanitaire qui a contribué à augmenter l'abstention lors du dernier scrutin municipal et dont nous devons prévoir l'éventuelle prolongation.

Nous le savons, ce désintérêt des élections n'est pas seulement dû aux seules difficultés matérielles que rencontrent les citoyens à exercer leur droit de vote (dans l'établissement de procurations par exemple).

Certes la crise sanitaire de cette année nous a amené à prendre des mesures exceptionnelles afin de faciliter le vote en permettant à une personne de porter deux procurations.

Les élections américaines et la montée du vote par correspondance peuvent sembler constituer également une piste pour augmenter le taux de participation aux élections.

Le vote dit électronique à distance (internet) a lui suscité des réticences liées à l'impossibilité de le sécuriser totalement, en tout cas à ce jour et pour un corps électoral si important.

De plus, il me semble urgent de s'attacher au problème posé par les « mal-inscrits » (électeurs qui ne sont pas inscrits dans le bureau de vote correspondant à leur adresse au moment du vote).

Cette population importante de 7,5 millions de citoyens, majoritairement jeunes, constitue dès maintenant un réservoir important et mobilisable de votants potentiels dont l'État doit se préoccuper prioritairement.

De manière générale nous devons offrir des solutions aux personnes ne pouvant se déplacer jusqu'au bureau de vote (personnes en prison qui ne pourraient pas voter sur leur lieu de détention, personnes diminuées physiquement, personnes à risques dans le cadre de la pandémie...).

Il me paraît indéniable que, même si nous tenons au vote à l'urne et aux modalités spécifiques du vote en France, ces modalités évolueront au cours des prochaines années.

Évolution qui devra permettre une plus grande facilité de vote en s'adaptant à l'évolution de l'organisation sociale de notre société. Et également en prenant en compte de manière globale les raisons de l'abandon du « rituel » du vote républicain par de plus en plus de citoyens.

Je ne reviendrai pas en détail sur nos travaux particulièrement fournis, ni sur leur conclusion étayée mais j'émets des doutes sur la solution proposée préconisant la poursuite de la double procuration, ainsi que sa simplification dès les prochaines élections régionales et départementales, et surtout sur la pérennisation de ces mesures.

En effet, les arguments légitimes, pointant les défaillances possibles de sécurité et de sincérité du scrutin en cas de vote par correspondance, sont totalement applicables de la même façon, voire de manière plus prégnante, pour le vote par procuration.

Certes, nous avons une grande habitude de cette modalité de vote, mais cela ne la dédouane en aucun cas à la fois du risque de fraude, du risque d'organisation d'un système de collecte, ainsi que du doute sur la sincérité du vote (je rappellerai que la personne qui donne sa procuration n'a strictement aucun contrôle sur le bulletin qui sera mis dans l'urne).

Pérenniser les mesures de simplification des procurations et de double procuration nous paraît contradictoire avec les doutes émis sur les autres modalités de vote à distance. Je ne souhaite donc pas cette pérennisation, même si l'on peut accepter ces mesures en cas de scrutin se déroulant en période d'urgence sanitaire.


* 91 http://www.senat.fr/amendements/2019-2020/468/Amdt_19.html

* 92 http://www.senat.fr/amendements/2019-2020/468/Amdt_21.html

* 93 http://www.senat.fr/amendements/2020-2021/10/Amdt_49.html

* 94 http://www.senat.fr/amendements/2020-2021/10/Amdt_10.html

* 95 https://www.senat.fr/amendements/commissions/2020-2021/74/Amdt_COM-65.html

* 96 http://www.senat.fr/amendements/commissions/2020-2021/185/Amdt_COM-7.html

* 97 http://www.senat.fr/amendements/2020-2021/195/Amdt_4.html

* 98 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl20-126.html

* 99 https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/Note10_BROUARD_McAVAY_Abstention_25%20juin.pdf

* 100 Rapport OSCE/ODHIR, Alternative voting methods and arrangements. Benefits, risks and practical considerations in light of international standards and good practice, including in the context of the covid-19 pandemic, 2020.

* 101 https://www.idea.int/news-media/news/special-voting-arrangements-svas-europe-country-postal-early-mobile-and-proxy

* 102 Cf. notamment B. Coulmont, Ç In absentia. Le vote par procuration, une participation électorale à distance ? È, Revue française de science politique, vol 70 (3), 2020, pp. 469-488.

* 103 Kiesraad, Rapport gebruik volmachtstemmen bij verkiezingen 2012 en 2014.

* 104 La loi 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique ne rend plus nécessaire de justifier un recours à la procuration.

* 105 Cour des comptes, Ç Le service postal face à la baisse du courrier : des transformations à poursuivre È, Rapport public annuel 2020, février 2020.

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