B. MENER UNE DIPLOMATIE FÉMINISTE TRANSVERSALE PLUS AMBITIEUSE

Si la prise en compte de l'égalité femmes-hommes dans la politique d'aide publique au développement constitue un jalon important de l'affirmation des droits des femmes à l'international, elle ne constitue pas le seul élément d'une diplomatie véritablement féministe.

1. Mener une réflexion plus large sur la diplomatie féministe et inscrire l'égalité femmes-hommes dans toutes les composantes de la politique de développement

À ce jour, outre la France, trois pays se sont réellement engagés dans une véritable diplomatie féministe : la Suède depuis 2013, le Canada depuis 2017 et le Mexique depuis janvier 2020.

AU CANADA, UNE APPROCHE FÉMINISTE
DE LA POLITIQUE INTERNATIONALE

Lors de la table ronde de la délégation du 23 janvier 2020 sur l'égalité femmes-hommes, enjeu de l'aide publique au développement, Amy Baker , cheffe de mission adjointe de l'ambassadrice du Canada en France, a présenté les grandes lignes de la politique d'aide internationale féministe du gouvernement canadien et les progrès de sa mise en oeuvre depuis son lancement en 2017.

Cette approche féministe de la politique internationale est fondée sur la conviction que toutes les personnes doivent avoir accès aux mêmes droits. Cette conviction implique de lutter contre les discriminations sectorielles auxquelles sont confrontées les femmes et les filles, y compris sur la base de leur identité personnelle, de leur origine ethnique, de leur religion, de leur langue, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs compétences ou de leur statut d'immigrantes ou de réfugiées.

Le gouvernement canadien travaille ainsi en étroite collaboration avec les groupes locaux de défense des droits des femmes , notamment en matière de santé sexuelle et reproductive, de lutte contre les mariages d'enfants précoces et forcés, de soutien à l'accession à l'économie et à la prise de décision.

La politique internationale féministe a été adoptée suite à un vaste processus de consultation au Canada et dans le monde. Plus de 15 000 personnes ont été entendues dans plus de 65 pays qui ont soutenu que la dignité humaine et l'égalité des sexes doivent être au coeur du développement et des actions humanitaires du Canada.

En mettant l'accent sur les plus pauvres et les plus vulnérables, la politique du Canada se conforme pleinement aux objectifs de développement durable (ODD) à l'horizon 2030.

Le Canada a donc fixé des objectifs spécifiques liés à l'égalité des genres. D'ici 2022, au moins 95 % des investissements d'aides internationales bilatérales au développement du Canada viseront l'intégration de l'égalité des genres et l'autonomisation des femmes et des filles . L'objectif est presque atteint aujourd'hui, car 94 % des investissements le satisfont déjà.

Parmi les initiatives citées par le gouvernement canadien, le programme Voix et Leadership des femmes soutient les organisations qui oeuvrent en faveur des femmes dans les pays en développement et qui militent pour les droits des femmes et l'égalité des genres. Il existe 32 projets répartis dans 30 pays et régions , souvent portés par des organisations très petites.

S'agissant de l'amélioration de la santé et des droits sexuels et reproductifs des femmes et des filles, lorsque le Canada était l'hôte de la conférence internationale sur l'éducation de juin 2019, le gouvernement a annoncé l'augmentation du financement canadien pour la promotion de la santé et des droits des femmes et des filles à travers le monde à hauteur de 1,4 milliard de dollars canadiens d'ici 2023 , avec une moyenne de 700 millions de dollars canadiens par année.

Pendant la présidence du G7 du Canada en 2018 , le Canada et ses partenaires se sont engagés à investir près de 3,8 milliards de dollars canadiens dans l'éducation pour les femmes et les filles dans les pays en situation de crise ou de conflit. L'engagement du Canada se porte à 400 millions de dollars sur trois ans ; il a été alloué à des projets en Afrique subsaharienne, au Moyen-Orient, en Asie et dans les Amériques.

Le Canada travaille également sur le changement climatique, la paix et la sécurité, la croissance économique, la dignité humaine et la gouvernance inclusive.

Le développement s'est complexifié ces dernières années avec des besoins croissants et divers. Lors de la conférence Women Deliver de 2019, le Canada a annoncé un engagement de 300 millions de dollars canadiens pour travailler avec le consortium France égalité. Cette initiative a abouti à la première plate-forme de financement mondiale innovante pour créer et maintenir une source de financement durable pour les organisations des femmes dans les pays en développement, en catalysant les financements et en offrant des subventions flexibles.

Dans un rapport publié en novembre 2020 intitulé « La Diplomatie féministe, d'un slogan mobilisateur à une véritable dynamique de changement ? » 20 ( * ) , le HCE estime que l'objectif premier d'une diplomatie féministe doit être de promouvoir un féminisme universel contre toutes les formes de relativisme, qu'il soit religieux, culturel ou politique, et il invite la France à tendre vers une diplomatie féministe transversale.

La délégation partage cet impératif de transversalité de l'approche du genre dans la conception et la mise en oeuvre de notre politique de développement et de notre politique diplomatique. L'égalité de genre ne saurait en effet représenter qu'une simple priorité sectorielle, qui viendrait en concurrence avec d'autres secteurs et supposerait de rediriger des pans entiers de financement. Il s'agit bien d'une priorité transversale qui doit concerner la très grande majorité des projets de développement, que ce soit dans les domaines d'accès aux soins de santé, d'agriculture ou encore d'infrastructure, en s'assurant que les besoins spécifiques des femmes et des filles ne constituent pas des angles morts du projet . Lorsqu'il s'agit par exemple de financer des réseaux d'eau et d'assainissement, s'assurer de la construction de toilettes dans ou à proximité d'écoles est essentiel pour garantir la présence des filles à l'école. À défaut, de nombreuses filles pourraient renoncer à se rendre à l'école.

Dans son rapport précité, le HCE relève également que les questions commerciales et la politique de défense et de sécurité ne font pas aujourd'hui partie du spectre de la diplomatie féministe. Ainsi, « seuls 20 % des accords commerciaux de l'UE mentionnent les droits des femmes et 40 % font mention de la promotion de l'égalité femmes-hommes ». De même, le rapport estime que l'agenda « Femmes, paix et sécurité » devrait être partie intégrante de la « diplomatie féministe » et figurer à ce titre au coeur de certains dispositifs, comme l' Alliance Sahel dédiée à la sortie de crise dans cette région.

Enfin, le HCE recommande la création d'un « Conseil pour la diplomatie féministe française », placée sous l'autorité du Président de la République ou du Premier ministre, qui aurait pour rôle de donner une impulsion générale à cette diplomatie. La Suède depuis 2015 et le Canada depuis 2019 disposent ainsi d'un ambassadeur spécifiquement en charge de la politique étrangère féministe.

Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a mis en place un réseau de correspondants égalité femmes-hommes qui compte aujourd'hui 170 personnes. Ils sont chargés de dialoguer avec les partenaires sociaux et d'assurer une appropriation des enjeux et des objectifs de la diplomatie féministe. Cependant, ces correspondants, quoique maillons essentiels pour poursuivre les efforts entrepris, ne doivent pas constituer les seuls agents sensibilisés à cet enjeu.

Le réseau francophone « genre en action » a également été lancé avec l'appui du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Il a pour ambition de permettre à toutes celles et ceux impliqués dans les questions de développement de s'informer, de se former et d'échanger sur les enjeux et la pratique de l'approche « genre et développement ».

Recommandation n° 6 : Intégrer l'approche du genre de façon transversale dans toutes les composantes de la diplomatie française et créer une instance chargée d'impulser cette dynamique et de sensibiliser tous les acteurs.

2. Assurer une meilleure représentation des femmes au sein des instances de conception et de mise en oeuvre des projets de développement

Une véritable diplomatie féministe ne peut se concevoir sans une implication réelle des femmes dans les instances chargées de sa conception, de son pilotage et de son contrôle. C'est pourquoi, la délégation appelle à une meilleure représentation des femmes au sein de ses différentes instances, à la fois au niveau français et au sein des pays partenaires.

a) Au niveau français

La délégation se félicite des progrès déjà accomplis au sein du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE). Ce ministère a été le premier à obtenir le label AFNOR « égalité femmes-hommes » en 2017.

De plus la féminisation des fonctions progresse : en 2020, le ministère comptait 27 % d'ambassadrices, contre 11 % en 2011, et le taux de féminisation des primo-nominations atteint 32 % pour les ambassadrices et directrices d'administration centrale et 40 % pour les cheffes de service et les sous-directrices. On peut néanmoins déplorer que près d'un tiers des femmes ambassadrices le sont dans des « postes à présence diplomatique », c'est-à-dire des postes aux missions et aux effectifs réduits.

La dynamique impulsée récemment doit donc être poursuivie.

Au niveau de l'AFD, des progrès ont également été accomplis. L'AFD mène en effet une politique RH en faveur de l'égalité femmes-hommes et est impliquée dans un processus de labellisation AFNOR « alliance diversité et égalité professionnelle ». Six personnes travaillent à plein temps sur l'égalité femmes-hommes et 70 référents « Genre » ont été nommés au sein du réseau. L'AFD a aussi fixé des objectifs de féminisation du management par niveau hiérarchique.

La délégation souhaite que les règles de représentation équilibrée de chaque sexe soient plus systématiques au sein des différentes structures publiques françaises en charge de l'APD.

Recommandation n° 7 : Systématiser les règles de représentation équilibrée de chaque sexe au sein des instances françaises en charge de l'APD et accélérer les politiques de féminisation des postes à responsabilités.

b) Au niveau local

Le CPG annexé au projet de loi de programmation prévoit que l'ambassadeur accrédité auprès d'un pays partenaire préside un conseil local du développement, qui regroupe les services de l'État, les opérateurs du développement sous tutelle de l'État ainsi que les organisations françaises et locales de la société civile, les acteurs de la coopération décentralisée, les élus locaux, les conseillers des Français de l'étranger, les parlementaires représentant les Français établis hors de France au titre d'observateurs et les parties prenantes locales de la solidarité internationale.

Le CPG précise également que l'ambassadeur doit veiller à susciter la présence de femmes au sein de ce conseil et à tendre vers une représentation équilibrée et paritaire en termes de genre.

Recommandation n° 8 : Systématiser les règles de représentation équilibrée de chaque sexe au sein des conseils locaux du développement.

La délégation appelle également à renforcer le soutien financier aux associations féministes dans le cadre de la politique de développement. La France se caractérise en effet par un pourcentage de l'APD dédiée aux associations extrêmement faible : 3 à 4 % de l'APD passent par les associations de la société civile, contre 13 à 17 % dans le reste de l'OCDE.

À cet égard, lors de la table ronde de la délégation, le 23 janvier 2020, sur « l'égalité femmes-hommes, enjeu de l'aide publique au développement », Aurélie Gal-Régniez, directrice exécutive d' Équipo p et membre du Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI), soulignait que « cet aspect révèle un défi important en termes de montant, mais suppose aussi de changer les modalités d'attribution de cette aide. Il ne s'agit pas simplement d'augmenter les montants attribués à un combat, mais de réfléchir à la méthode qui permettra un changement en profondeur du système. Actuellement, les modalités d'octroi des financements empêchent très clairement de créer des partenariats avec des associations locales et des mouvements de femmes à cause d'un effet barrière de certains critères ».

Au cours de cette même table ronde, Claire de Sousa Reis, déléguée générale d' Étudiants & Développement , référente au Conseil d'administration de Coordination Sud pour la commission « Genre et développement » notait également qu'« il convient de s'assurer que tous les projets soutenus aient un véritable impact sur les conditions de vie des femmes et leur permettent d'atteindre leur propre émancipation. Nul n'est plus en mesure que les organisations féministes locales d'en juger : les associer à cette démarche est donc une nécessité, de même que l'implication des femmes et des jeunes filles dans les instances de décision de manière pleine, effective et égale . »

Dans cette optique, la France a mis en place en juillet 2020 un Fonds de soutien aux organisations féministes (FSOF), géré par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et l'Agence française de développement. Ce fonds doit mobiliser 120 millions d'euros sur la période 2020-2022 pour financer les activités et les coûts de structure des mouvements féministes, français ou locaux, opérant dans les pays partenaires de la politique de développement de la France.

Un premier appel à projets en faveur des droits et santé sexuels et reproductifs a été décidé fin 2020, à hauteur de 15 M€ et a débouché sur la sélection d'un consortium d'ONG piloté par l'ONG Care. De prochains appels à projets pourraient porter sur le genre et climat (5 M€) et sur les violences à l'égard des femmes et des filles (15 M€).

La délégation appelle à pérenniser le financement de ce fonds au-delà de 2022 et à veiller à ce qu'il bénéficie à de petites structures, plus proches du terrain. La délégation se félicite également que les critères définis par l'AFD s'agissant de la sélection des projets bénéficiaires de subventions aient récemment évolué et permettent désormais aux plus petits projets menés par des associations de terrain d'obtenir des financements.

Recommandation n° 9 : Pérenniser le financement du Fonds de soutien aux organisations féministes.


* 20 Rapport n° 2020-09-22 DIPLO-44 publié le 4 novembre 2020 ( https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-diplomatie_feministe-v4.pdf )

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