B. L'ÉCART RÉCURRENT ENTRE LE BUDGET DE LA POLITIQUE D'HÉBERGEMENT ET LES CRÉDITS RÉELLEMENT CONSOMMÉS APPELLE À UN TRAVAIL EN PROFONDEUR SUR LA GESTION BUDGÉTAIRE DE CETTE POLITIQUE

1. Le rebasage des crédits effectué en 2018 était nécessaire, mais ses effets ont été limités

Alors que le rapporteur spécial regrettait depuis plusieurs années la budgétisation initiale insuffisante du programme 177, un « rebasage » des crédits a été mis en oeuvre en 2017 et surtout en 2018 .

La « budgétisation en base zéro » (BBZ) consiste, conformément à l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) qui prévoit que les crédits sont justifiés « au premier euro », à établir le budget prévisionnel selon une analyse approfondie des besoins, et non pas en fonction des exercices précédents. Le gestionnaire de programme doit donc s'appuyer sur une définition et un chiffrage de l'ensemble des activités prévisionnelles afin de préciser le coût de chacune d'entre elles, ce qui permet ensuite de calculer le budget d'ensemble de la politique en fonction des activités retenues.

En pratique, la démarche BBZ peut être trop lourde pour être conduite chaque année : dans ce cas, une méthode incrémentale est définie pour élaborer le budget des années intercalaires.

Dans le cas de la politique d'hébergement, toutefois, l'exercice de rebasage ayant conduit à la budgétisation initiale en 2018 a été assez vite dépassé , tant en raison de la pression sur la demande d'hébergement d'urgence que des annonces gouvernementales régulières, concernant par exemple la Stratégie pauvreté ou la pérennisation de places d'hébergement ouvertes initialement à titre temporaire. En outre ce rebasage n'a été que partiel pour l'Île-de-France, qui représente 40 % environ des crédits 11 ( * ) .

Au total, le rebasage effectué en 2018 a produit des effets réels, mais limités .

Dès cette année-là, le niveau des crédits exécutés, tel que constaté en loi de règlement, a été supérieur de 145,8 millions d'euros par rapport au niveau des crédits votés en loi de finances initiale, soit une sur-exécution égale à 7,5 % du budget initial. La sur-exécution avait été comprise entre + 11,7 % à + 16,5 % au cours des quatre années précédentes.

Prévision et exécution du programme 177

(en millions d'euros)

Lecture : la consommation de crédits en 2019 (soit 2 115,7 millions d'euros) a dépassé de 224,5 millions d'euros la budgétisation initiale (soit 1 891,2 millions d'euros), qui a été elle-même inférieure de 208,3 millions d'euros à la consommation de crédits en 2018 (soit 2 099,5 millions d'euros).

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

En 2019, le programme a été budgétisé en loi de finances initiale à un niveau inférieur de plus de 200 millions d'euros au niveau des crédits consommés en 2018 et, comme pouvait le laisser prévoir cette volonté d'économies peu réaliste, les crédits consommés ont été supérieurs de 11,9 % à ceux prévus en loi de finances initiale.

2. L'insuffisance des ouvertures de crédit en 2020 a mis en difficulté les acteurs de la politique d'hébergement

La loi de finances pour 2020 a ouvert 1 991,2 millions d'euros en crédits de paiement pour le programme 177.

a) Avant même la crise sanitaire, les crédits ouverts en loi de finances initiale n'étaient pas suffisants

Le rapporteur spécial a noté alors que ces crédits étaient inférieurs de 78,2 millions d'euros à ceux ouverts en 2019 aux termes de la loi de finances rectificative pour 2019 12 ( * ) . L'écart atteint même 124,5 millions d'euros par rapport au montant des crédits effectivement consommés en 2019, tels qu'ils ont été constatés par la suite par la loi de règlement.

Pourtant le ministère chargé de la cohésion sociale, alors responsable du programme 177, avait exprimé, lors des conférences de budgétisation préparatoires au projet de loi de finances initiale, des besoins égaux à 2 093,4 millions d'euros 13 ( * ) , supérieurs de 102,2 millions d'euros à ceux qui ont été finalement accordés. Certains facteurs d'augmentation des dépenses étaient en effet prévisibles, tels que l'évolution tendancielle des dépenses relatives à la masse salariale des centres d'hébergement ou les mesures nouvelles (pérennisation de places hivernales, effet en année pleine de mesures antérieures...).

L'insuffisance de la budgétisation initiale était donc patente. Dès le 30 janvier 2020, avant le début de la crise sanitaire, le contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) notait que la levée totale de la réserve de précaution ne suffirait pas à couvrir l'insuffisance de la budgétisation.

La Cour des comptes a ainsi détaillé le montant de la sous-budgétisation initiale du programme 177 en 2020, qu'elle évalue à un montant de 126,7 millions d'euros en crédits de paiement.

Estimation de la sous-budgétisation initiale du programme 177
en crédits de paiement

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir de la note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes (voir infra la description de chaque poste)

Ce manque de financement résultait pour plus des deux tiers du choix d'ouvrir des crédits inférieurs à la consommation en 2019 . L'écart de 86,7 millions identifié par la Cour tient compte de l'existence en 2019 d'une dépense exceptionnelle occasionnée par le règlement définitif d'une convention franco-suisse pour un montant de 37,8 millions d'euros 14 ( * ) .

Les autres éléments correspondent à des choix du Gouvernement : coût en 2020 d'une mesure de pérennisation de 6 000 places hivernales, coût en année pleine des renforcements du plan Logement d'abord opérés en 2019, crédits de la stratégie Pauvreté, mesure liée au dispositif « Un chez soi d'abord » 15 ( * ) , coût des marchés d'hébergement d'urgence avec accompagnement social (HUAS) et de la convention d'alternative à l'incarcération par le logement et le suivi intensif (AILSI).

En sens inverse, certaines mesures d'économie sur le coût des nuitées hôtelières et le mouvement de convergence des tarifs des CHRS, qui devait réduire leurs coûts avant la suspension de ce mouvement pendant la crise sanitaire, contribuaient à réduire quelque peu les besoins de budgétisation initiale.

b) La crise sanitaire a entraîné d'importantes dépenses nouvelles

La hausse des dépenses en 2020 résulte aussi bien de tendances longues que de l'impact de l'activité intense du secteur de l'hébergement pendant la crise.

Au total, les dépenses supplémentaires en 2020 ont principalement concerné les dispositifs d'hébergement d'urgence hors CHRS , annulant la diminution qui semblait avoir commencé en 2019, et les activités de veille sociale.

Évolution des crédits de l'action 12 « Hébergement et logement adapté »

(en millions d'euros)

En pointillés : loi de finances initiale pour 2020 (pour les postes « Hébergement d'urgence » et « Veille sociale », l'écart étant peu important pour les autres postes).

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Le surcoût de 366,8 millions d'euros de l'hébergement d'urgence par rapport à la budgétisation initiale résulte surtout de l'ensemble des mesures mise en oeuvre pour mettre à l'abri les personnes à la rue et éviter la promiscuité dans les centres existants afin de limiter la propagation du Covid. Elle provient aussi de la pérennisation de 7 000 places d'hébergement, qui n'a toutefois compté que pour les derniers mois de l'année.

Le financement des CHRS, en revanche, est resté proche de la prévision , avec des dépenses de 643,7 millions d'euros contre une prévision de 631,0 millions d'euros. Cette augmentation résulte notamment de la suspension de la convergence tarifaire (voir infra ), qui entraîne un surcoût de 5,1 millions d'euros, et de la transformation de places d'hébergement d'urgence en places de CHRS (7,5 millions d'euros).

Le surcoût du poste « veille sociale » correspond à la distribution de masques et de chèques services au profit des personnes hébergées et dans la rue. Les chèques services ont tout particulièrement été utilisés par les personnes hébergées à l'hôtel, en raison des difficultés qu'elles rencontrent pour s'alimenter.

Les chèques services

Le Gouvernement a annoncé, le 30 mars 2020, la mise en oeuvre d'un dispositif de chèques services, d'un coût initialement prévu de 15 millions d'euros, afin de permettre aux personnes sans domicile d'acheter des produits d'alimentation et d'hygiène pendant la crise sanitaire.

D'un montant unitaire de 7 euros, ces chèques sont distribués par les associations pour l'achat de denrées alimentaires, de produits d'hygiène et de produits à destination des enfants en bas âge.

L'enveloppe de 50 millions d'euros, prévue par la troisième loi de finances rectificative du 30 juillet 2020, a été presque entièrement consommée.

Source : commission des finances, rapport annuel de performances de la mission « Cohésion des territoires » pour 2020

c) L'année 2020 a connu d'importantes difficultés de financement des dépenses d'hébergement, surtout en Île-de-France

L'année 2020 a connu d'importantes ouvertures de crédits en cours d'année sur le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » : d'abord 200 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement par la troisième loi de finances rectificative du 30 juillet 2020, puis 249,9 millions d'euros en autorisations d'engagement et 249,2 millions d'euros en crédits de paiement par la quatrième loi de finances rectificative du 30 novembre 2020. Au total, le montant des crédits de paiement ouverts a augmenté en cours de gestion de 22,6 %.

Ouvertures de crédits et consommation en 2020

(en millions d'euros en crédits de paiement)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Ces ouvertures de crédits , en particulier celle résultant de la dernière loi de finances rectificative, ont cependant été trop tardives et d'un niveau insuffisant , alors même que la persistance de la crise sanitaire faisait apparaître des besoins importants.

La quatrième loi de finances rectificative a en effet été déposée le 4 novembre et adoptée définitivement le 24 novembre, ce qui aurait permis de prendre en compte les conséquences de la « deuxième vague » de la crise sanitaire, dont l'avancement au 18 octobre de l'ouverture de la campagne hivernale 2020-2021 et l'ouverture de nouvelles places d'hébergement 16 ( * ) .

Ainsi le responsable du programme 177 avait-il anticipé un manque de financement égal à 467 millions d'euros 17 ( * ) , ce qui, en prenant en compte l'inévitable déblocage de la réserve de précaution dont le montant était de 80 millions d'euros, aurait impliqué une ouverture de crédits de 387 millions d'euros au titre de la quatrième loi de finances rectificative. Celle-ci n'a pourtant ouvert que 249,2 millions d'euros de crédits de paiement supplémentaires.

Alors que le Gouvernement a demandé par ailleurs des ouvertures de crédits très supérieures aux besoins sur la mission « Plan d'urgence », entraînant une sous-consommation de 27,8 milliards d'euros 18 ( * ) , le programme 177 a, pour sa part, fait l'objet d'une sous-budgétisation aussi bien lors de la loi de finances initiale que dans le cadre des lois de finances rectificatives en cours d'année .

La tension a été particulièrement forte en Île-de-France , pour le budget relevant de la direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement (DRIHL) : les dépenses du mois de décembre 2020 ont représenté 30,7 % des dépenses annuelles de cette direction, contre 20,9 % dans les autres régions.

Consommation de crédits au cours de l'année 2020

(en millions d'euros consommés par mois)

Source : commission des finances, à partir des données d'exécution Chorus

Pour mémoire, les crédits du programme 177 sont répartis pour la quasi-totalité entre les régions, à raison d'un budget opérationnel de programme (BOP) par région.

Crédits consommés en 2020 par BOP

(en millions d'euros)

Autres BOP : DRCS Île-de-France, Corse et Outre-mer.

Source : commission des finances, à partir des données Chorus

Un montant inférieur à 5 % des crédits relève d'un BOP confié à l'administration centrale et recouvre notamment les aides aux organismes gestionnaires d'aires d'accueil pour les gens du voyage (ALT2), les dépenses du marché public « Hébergement d'urgence avec accompagnement social » (HUAS) et surtout, en 2020, la distribution de chèques services aux personnes en précarité pendant la crise sanitaire.

En Île-de-France, la majorité des crédits, soit 994,9 millions d'euros en 2020, sont confiés au BOP de la DRIHL, mais 20,7 millions d'euros ont relevé d'un BOP distinct, géré par la direction régionale de la cohésion sociale (DRCS), principalement pour le financement d'aides sociales (action 11 du programme 177).

d) Les associations et organismes ont dû mobiliser leur trésorerie pour passer le cap de 2020

Les crédits se sont révélés insuffisants dès le mois de septembre , alors que les difficultés n'apparaissaient habituellement qu'en toute fin d'année.

Selon une enquête menée a posteriori par la DGCS auprès des services déconcentrés, le montant des insuffisances de crédits constatées au 31 décembre 2020, malgré les ouvertures de crédits réalisées en troisième et en quatrième lois de finances rectificative, s'est élevé à 102,8 millions d'euros , attribués :

- à des dépenses exceptionnelles inhérentes à la crise sanitaire (veille sociale et hébergement d'urgence), à hauteur de 95,8 millions d'euros ;

- à des dépenses d'allocations et aides sociales pour 7,0 millions d'euros.

Il est d'ailleurs regrettable que, les autorisations d'engagement n'étant enregistrées que lors de la disponibilité des crédits de paiement, ces montants n'apparaissent pas dans les restes à payer suivis dans les documents budgétaires , alors qu'ils correspondent à des sommes dues par l'État 19 ( * ) .

Cette situation a mis l'ensemble des opérateurs dans une véritable insécurité sur l'exécution de leur budget.

Les associations et organismes qui mènent les actions sur le terrain ont ainsi signalé au rapporteur spécial qu'elles ont dû puiser dans leur trésorerie , sans avoir de visibilité sur les crédits dont elles pourraient bénéficier in fine dans le collectif de fin d'année. La Croix-Rouge française a dû avancer 10 millions d'euros fin 2020. Quant au Samu social de Paris, il a emprunté 20 millions d'euros pour régler les réservations hôtelières de 2020 ; au début du mois de mars 2021, il n'avait toujours pas été remboursé.

Selon les administrations centrales, les crédits ont pourtant été versés aux directions régionales tôt dans l'année. Ainsi 63 % des autorisations d'engagement et des crédits de paiement ont-ils été mis à disposition des budgets opérationnels de programme (BOP) régionaux avant la fin janvier 2020 (contre 70 % en 2019 et moins de 15 % en 2018) et 71 % avant la fin juillet 2020 (contre 88 % en 2019 et 90 % en 2018).

Toutefois on constate un écart entre le rythme de mise à disposition des crédits aux BOP régionaux et le rythme de décaissement par ces derniers . Alors que plus de 60 % des crédits consommés dans l'année ont été mis à disposition des BOP régionaux avant la fin janvier 2020, ce n'est qu'à la fin août que 60 % des crédits de paiement ont été effectivement consommés. Le rythme de consommation des crédits a ainsi connu un « palier » très marqué du mois de juin au mois de novembre, avant l'ouverture de crédits permise par la quatrième loi de finances rectificative du 30 novembre 2020.

Mise à disposition des crédits et consommation

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données Chorus

Cette situation mettant les associations et organismes gestionnaires dans une situation inacceptable de manque de visibilité sur leurs financements, le rapporteur spécial recommande de poser le principe du versement des financements prévisionnels aux opérateurs de l'hébergement dès le premier semestre.

3. L'apparition dès les premiers mois de l'année 2021 d'une nouvelle sous-budgétisation accroît la nécessité de procéder à un nouveau rebasage des crédits

L'année 2021 est marquée par le transfert de la gestion du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), qui en avait pourtant présenté les crédits à l'automne 2020, à la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL). La décision a été prise, selon les informations données au rapporteur spécial, dans les tous derniers jours de l'année 2020.

La responsabilité de la politique publique en matière d'hébergement, d'accès au logement et de maintien dans le logement des personnes sans abri ou mal logées a été effectivement transférée à la DIHAL le 1 er janvier 20 ( * ) . La DIHAL est en particulier chargée de la mise en oeuvre du service public de la rue au logement.

La gestion budgétaire du programme 177 en 2021

Pendant l'année 2021, à titre transitoire, la gestion et le pilotage budgétaire de l'ensemble du programme restent assurés par la DGCS, par délégation du ministère de la transition écologique, représenté par le DIHAL.

Les principales opérations relatives à l'exercice 2021 sont ainsi menées par la DGCS, mais avec validation préalable par le DIHAL : délégation des crédits, relations avec le CBCM, programmation des subventions, conférences techniques avec la direction du budget (notamment pour les indications de besoins pour l'année suivante...

La préparation de l'exercice 2022 relève en revanche directement de la DIHAL, avec l'appui de la DGCS : budgétisation en vue du projet de loi de finances pour 2022, rédaction des documents budgétaires, relations avec le Parlement, répartition des ressources par budget opérationnel de programme (BOP)...

Source : commission des finances, à partir des informations communiquées au rapporteur spécial

Le rapporteur spécial, tout en notant le caractère particulièrement rapide de ce « passage de témoin », compte que cette nouvelle organisation apporte une meilleure lisibilité à la gouvernance de cette politique .

Ce regroupement des compétences répond à un souhait qu'il avait formulé dans son rapport de 2016 sur l'hébergement d'urgence 21 ( * ) . Il notait alors que « la DIHAL pourrait être le pilote naturel de cette politique », pour autant qu'elle en ait les moyens : désormais responsable d'un programme budgétaire important, elle devra montrer une capacité à maîtriser aussi bien les enjeux nationaux que la coordination de cette politique au niveau déconcentré.

En tout état de cause, la mission de la DIHAL s'annonce délicate.

Dès les premiers travaux du rapporteur spécial sur le présent contrôle budgétaire, il apparaissait que les crédits ouverts par la loi de finances pour 2021 , soit 2 174,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et 2 200 millions d'euros en crédits de paiement, ne seraient pas suffisants .

Ce montant d'ouvertures de crédit est, encore une fois, inférieur de 125,2 millions d'euros, en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, à la demande de budgétisation de la DGCS, pourtant formulée avant le second état d'urgence sanitaire. Ils sont également inférieurs, de 237,3 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 234,0 millions d'euros en crédits de paiement, aux crédits consommés en 2020.

Or, comme indiqué supra , certains de ces crédits sont utilisés pour régler des arriérés de 2020, alors même que la poursuite et l'amplification de la crise sanitaire permettait de prévoir la nécessité de dépenses supplémentaires.

Il est donc manifeste que la DIHAL ne sera pas en mesure d'exercer ses missions si des crédits nouveaux ne sont pas ouverts en cours d'année , sans doute à hauteur de plusieurs centaines de millions d'euros.

Le contrôleur budgétaire comptable et ministériel, cité par la Cour des comptes 22 ( * ) , évalue même à un montant compris entre 712 et 937 millions d'euros les insuffisances de crédits sur le programme 177 au titre de l'année 2021 23 ( * ) , en fonction de la durée du maintien des places après la fin de la trêve hivernale prévue au 1 er juin 2021 :

- les reports sur 2021 de dépenses de 2020 sont estimés à 124 millions d'euros ;

- les besoins en hébergement d'urgence pérenne et non pérenne au titre de 2021 pourraient s'élever à un montant compris entre 497 et 722 millions d'euros (scénario médian à 611 millions d'euros) ;

- les dépenses du plan Pauvreté annoncé en octobre 2020 24 ( * ) seraient de l'ordre de 43 millions d'euros en 2021, auxquelles il faut ajouter celles d'accompagnement social lié à l'hébergement (27 millions d'euros) et enfin de veille sociale (62 millions d'euros).

Estimation des insuffisances de crédits sur le programme 177
au titre de l'année 2021 (scénario médian)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir de données CBCM/Cour des comptes

En conséquence, le rapporteur spécial demande que des crédits nouveaux soient ouverts au titre du programme 177 par une loi de finances rectificative dès la mi-2021, sans attendre le collectif de fin d'année, afin que les associations et organismes gestionnaires ne soient pas placés à l'automne dans une situation plus difficile encore qu'en 2020.

Il se réjouit en conséquence que Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée chargée du logement, interrogée par lui lors de son audition devant la commission des finances le 19 mai 2021, ait annoncé que le projet de loi de finances rectificative prévu pour le mois de juin contiendrait des ouvertures de crédits en faveur de la politique d'hébergement. Ces ouvertures de crédits devraient porter aussi bien sur les dépenses non réglées en 2020, dont la ministre a confirmé le montant égal à 100 millions d'euros environ, que sur les besoins issus des places ouvertes ou conservées en 2021.

La réserve de précaution ayant été répartie en 2021 sur l'ensemble des régions, et non concentrée sur la seule Île-de-France comme en 2020 (voir infra ), les difficultés connues par les grands organismes franciliens pourraient s'étendre également aux régions.

L'administration est consciente de la nécessité de déterminer de manière plus objective les besoins réels.

Selon les éléments apportés au rapporteur spécial, chaque région reçoit, avant le 31 janvier de l'année, un montant calculé en fonction de la budgétisation « base zéro » effectuée en 2018, auquel sont ajoutés des crédits correspondant aux mesures nouvelles : création de places d'intermédiation locative de pension de famille, pérennisation de places d'hébergement d'urgence, plan Logement d'abord, renforcement des dispositifs de veille sociale, revalorisation du forfait pour les pensions de famille... Ce montant est réduit du montant de la réserve de précaution (voir supra ), laquelle était imputée jusqu'en 2020 sur la DRIHL et, en 2021, est répartie sur l'ensemble des régions (soit 4 % du montant des crédits).

Toutefois, selon les remontées des directions régionales, il apparaît que ces montants ne sont pas suffisants du fait par exemple de la non-actualisation des financements en terme notamment de masse salariale . À cette difficulté s'ajoute régulièrement l'impact de la crise migratoire sur l'hébergement d'urgence, avant même la crise sanitaire.

Le budget attribué en début d'année à certaines régions, principalement l'Île-de-France, demeure ainsi très inférieur à celui qui est exécuté l'année précédente , alors que les besoins restent au moins égaux. La répartition initiale des crédits a été de 698,3 millions d'euros seulement en 2019 pour la DRIHL, alors que le montant exécuté l'année précédente était de 948,0 millions d'euros, soit - 26,3 %. L'écart était de - 18,3 % et il est encore de - 20 % en 2021. Cette année toutefois, l'écart entre l'exécution et la prévision est négatif, et souvent supérieur à 10 %, pour la totalité des régions métropolitaines, le Gouvernement faisant le pari que les dépenses d'hébergement n'atteindront pas les sommets connus en 2020 à cause de la crise sanitaire.

L'administration avait prévu de lancer en 2020 une nouvelle budgétisation « en base zéro » du programme . Elle a indiqué au rapporteur spécial que l'impact de la crise sanitaire n'a pas permis de mener à bien cet exercice en 2020.

On peut comprendre que la forte mobilisation des services dans la gestion de la crise au quotidien a pu retarder la mise en oeuvre de cette sincérisation du budget en 2020. L'exercice est complexe car il exige un dialogue avec les territoires et les opérateurs afin de déterminer au mieux les besoins et les ressources disponibles.

Le rapporteur spécial souligne qu' une budgétisation sincère doit être à nouveau élaborée . Cet exercice de rebasage , qui devrait être idéalement réalisé dès cette année afin de fonder le budget 2022 sur des bases cohérentes, ne peut être un simple exercice ponctuel, mais doit définir des règles d'évolution des coûts (notamment de la masse salariale) d'année en année, afin de ne pas être obsolète dès l'année suivante.

Il lui a cependant été indiqué que l'exercice commençant à peine, il risque de ne pas aboutir pour le projet de loi de finances pour 2022, ce qu'il ne peut que regretter.

4. La réserve de précaution présente un caractère irréaliste

La pratique de la réserve de précaution dans le cadre du programme 177 présente des limites fortes .

La réserve de précaution

Afin de sécuriser le respect de la norme de dépense, une partie des crédits ouverts en loi de finances initiale est mise en réserve dès le début de l'exercice, préalablement à la mise à disposition des crédits disponibles au niveau des budgets opérationnels de programme (BOP), en principe pour faire face à des aléas ou de financer des mesures nouvelles en cours de gestion (principe d'auto-assurance des ministères). Les sommes mises en réserve peuvent ensuite être « dégelées » pour être mise à disposition des gestionnaires. À l'inverse, la réserve peut être augmentée en cours d'année (« surgel »).

En application de l'article 51 de la loi organique relative aux lois de finances, l'exposé général du projet de loi de finances initiale indique, pour les programmes dotés de crédits limitatifs, le taux de mise en réserve général prévu pour les crédits ouverts d'une part sur le titre des dépenses de personnel et d'autre part sur les autres titres.

Alors que ce taux atteignait jusqu'à 8 % au cours des années antérieures, il a été fixé depuis la loi de finances pour 2018 à 3 % pour les crédits hors masse salariale, et à 0,5 % pour les crédits de masse salariale. La réduction du taux de mise en réserve a pour but d'améliorer la qualité de l'exécution budgétaire et de responsabiliser les gestionnaires.

En 2021, le taux de mise en réserve 0,5 % est également appliqué à trois programmes dotés de dépenses contraintes, à savoir les programmes 109 « Aide à l'accès au logement », 157 « Handicap et dépendance » et 304 « Inclusion sociale et protection des personnes » dont les crédits portent très majoritairement des dépenses de guichet, ce qui conduit à appliquer un taux de mise en réserve de 4 % sur les autres programmes afin d'atteindre un niveau global de 3 %.

Source : commission des finances

Le caractère artificiel de la réserve de précaution, dans le cadre du programme 177, peut être illustré par la manière dont l'administration l'affecte à certaines lignes budgétaires non pas parce que des économies sont envisageables sur ces lignes, mais parce que les dépenses correspondantes peuvent être plus facilement limitées au cours des premiers mois, en attendant le dégel de la réserve de précaution, voire une ouverture de crédits en loi de finances rectificative de fin d'année.

Ainsi, en 2021, la totalité de l'enveloppe destinée aux collectivités et organismes qui gèrent des aires d'accueil des gens du voyage (ALT2), dont le montant était de 15,2 millions d'euros en loi de finances initiale, a été affecté à la réserve de précaution . Ce choix ne se fonde en rien sur une prévision de non-consommation sur cette enveloppe, qui connaît même plutôt une tendance à la hausse 25 ( * ) , mais sur une simple opportunité fournie par le calendrier de consommation des crédits : l'État verse les sommes correspondantes à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) au mois de décembre, ce qui permet de « tenir » en attendant un dégel de la réserve de précaution ou une ouverture de crédits en loi de finances rectificative. La réserve de précaution est donc alimentée de manière artificielle par cette avance de trésorerie consentie par l'ACOSS au budget de l'État.

De manière comparable, selon les informations transmises au rapporteur spécial, les lignes budgétaires « Maisons-relais » et « Intermédiation locative » supportent en 2021 la réserve de précaution à un taux respectif de 7,7 % et 7,8 % : elles apportent ainsi 26,7 % de la réserve de précaution du programme 177 alors qu'elles ne reçoivent que 13,8 % des crédits de ce programme. Ces taux très élevés ne correspondent pas, là encore, à des perspectives d'économies sur ces lignes , le développement de ces modes de logement répondant à des priorités fixées par le Gouvernement dans le cadre de la politique du « Logement d'abord ». En réalité, le financement des nouvelles places en intermédiation locative fait l'objet de plusieurs délégations de crédits au cours de l'année, après recensement auprès des services déconcentrés : les services comptent donc sur le « dégel » de la réserve de précaution avant le dernier versement du mois de novembre pour assurer les paiements.

Ces taux de mise en réserve artificiels permettent d'afficher un taux global de 4 % sur le programme 177 , dans la mesure où la réserve de précaution n'est pas imputée sur le financement des CHRS, dont les dépenses sont fortement normées. La répartition de la réserve de précaution entre les différentes lignes budgétaires varie d'ailleurs selon les années.

Répartition de la réserve de précaution entre les lignes budgétaires
du programme 177

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des réponses de la DGCS aux questions du rapporteur spécial

Or le principe même d'un taux de mise en réserve de 4 % sur les dépenses d'hébergement mérite d'être remis en cause .

La direction du budget, interrogée à ce sujet, a indiqué au rapporteur spécial qu'il existait des marges de maîtrise des coûts sur la politique d'hébergement et que ces dépenses ne constituaient pas des dépenses de guichet au même titre que, par exemple, les aides personnelles au logement du programme 109, qui bénéficient d'un taux de mise en réserve réduit à 0,5 %.

Or, si ces dépenses ne sont pas à proprement parler des dépenses de guichet 26 ( * ) , elles constituent bien, en pratique, des dépenses contraintes, sur lesquelles l'État ne dispose que de possibilités de pilotage très limitées . L'hébergement d'urgence répond en effet au principe de l'inconditionnalité de l'accueil des personnes sans abri ou en détresse 27 ( * ) et au principe de continuité de prise en charge 28 ( * ) .

En outre il est difficile d'objectiver les marges de maîtrise des coûts sur un budget qui nécessite en fait un rebasage complet de ses crédits .

Compte tenu du caractère artificiel de la réserve de précaution et des difficultés pratiques qu'elle pose aux gestionnaires du programme 29 ( * ) , le rapporteur spécial propose d'annuler la réserve de précaution sur le programme 177, ou de la ramener au taux de 0,5 % appliqué aux dépenses de guichet .

La Cour des comptes formule également cette recommandation, ainsi que le contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM), qui considère que le programme pourrait être exonéré en tout ou en partie de la réserve de précaution, en contrepartie d'une « sincérisation » des crédits initiaux par le budget en base zéro 30 ( * ) .

La réserve de précaution pesait sur l'essentiel, en 2020, sur la DRIHL, dans la mesure où elle paraissait plus facile à absorber pour une région et des opérateurs qui gèrent des crédits importants. Or c'est dans cette région que le rapporteur spécial a constaté des difficultés très importantes de financement en fin d'année.


* 11 Note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes relative à la mission « Cohésion des territoires » pour l'exercice 2018, p. 37.

* 12 Voir le rapport spécial « Logement et ville » de Philippe Dallier, annexé au rapport général n° 138 (2020-2021), faut au nom de la commission des finances, sur le projet de loi de finances pour 2021.

* 13 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire pour 2020, p. 22.

* 14 Cette somme, transférée en gestion depuis le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes » de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », correspondait au coût de la dénonciation de la convention entre la France et la Suisse concernant l'assistance aux indigents, signée à Paris le 9 septembre 1931.

* 15 Le dispositif « Un chez soi d'abord » permet aux personnes sans abri les plus fragiles (notamment souffrant de troubles psychiques) d'accéder directement à un logement ordinaire, sans passer nécessairement par un centre d'hébergement.

* 16 Voir les annonces du ministère chargé du logement : « Couvre-feu : Le plan hivernal avancé au 18 octobre » (19 octobre 2020) et « Reconfinement : Emmanuelle Wargon détaille les mesures de soutien au secteur du logement, du bâtiment, de l'immobilier et de l'hébergement d'urgence » ( novembre 2020).

* 17 Rapport du contrôleur budgétaire et comptable ministériel auprès des ministères sociaux, exercice 2020.

* 18 Les première à quatrième loi de finances rectificative ont ouvert des crédits à hauteur de 69,6 milliards d'euros sur la mission « Plan d'urgence », pour une consommation de 41,9 milliards d'euros constatée dans le projet de loi de règlement pour 2020.

* 19 Les restes à payer du programme 177, égaux à 39,6 millions d'euros selon le rapport annuel de performances pour 2020, résultent principalement de l'exécution du marché d'hébergement d'urgence avec accompagnement social (HUAS) engagé en 2017.

* 20 Décret n° 2021-322 du 25 mars 2021 modifiant le décret n° 2008-680 du 9 juillet 2008 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, décret n° 2021-326 du 25 mars 2021 modifiant le décret n° 2010-817 du 14 juillet 2010 instituant un délégué interministériel pour l'hébergement et l'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées.

* 21 Philippe Dallier, L'hébergement d'urgence sous forte tension : sortir de la gestion dans l'urgence , rapport d'information n° 193 (2016-2017), fait au nom de la commission des finances, déposé le 7 décembre 2016.

* 22 Note d'exécution budgétaire 2020, p. 79-80.

* 23 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire de la mission « Cohésion des territoires » en 2020.

* 24 Gouvernement, « De nouvelles mesures pour prévenir et lutter contre la bascule dans la pauvreté », 14 octobre 2020.

* 25 Le montant des crédits consommés sur la ligne ALT2 a été de 13,8 millions d'euros en 2018 (pour une budgétisation initiale de 15,3 millions d'euros) et de 19,2 millions d'euros en 2019 (pour une budgétisation initiale de 10,2 millions d'euros seulement, résultant de la réduction des crédits de 5 millions d'euros par application d'une partie d'un amendement « rabot »). En 2020, la consommation de crédits constatée dans le rapport annuel de performance est de 12,0 millions d'euros, inférieure à la prévision de 15,2 millions d'euros, ce qui doit s'interpréter dans le contexte de la crise sanitaire qui a réduit le nombre de places ouvertes.

* 26 Une dépense dite « de guichet » est une dépense pour laquelle l'État a compétence liée dès lors que le demandeur remplit les conditions d'attribution. C'est le cas des aides personnelles au logement, dont les conditions d'attribution sont prévues par le code de la construction et de l'habitation.

* 27 Article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles.

* 28 Article L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles.

* 29 Au cours de l'exercice 2020, la DGCS, responsable du programme, a demandé le dégel de la réserve de précaution dès le 3 avril, mais celui-ci n'est survenu que le 20 octobre.

* 30 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire de la mission « Cohésion des territoires » en 2020.

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