III. POUR ÉVITER L'ASPHYXIE, LA POLITIQUE D'HÉBERGEMENT DOIT SE COORDONNER AVEC LES AUTRES POLITIQUES PUBLIQUES ET SE TOURNER VERS L'ACCÈS AU LOGEMENT

A. LA CRISE SANITAIRE A PLUS QUE JAMAIS SOULIGNÉ LA NÉCESSITÉ DE MIEUX ARTICULER LA POLITIQUE DE L'HÉBERGEMENT AVEC LES POLITIQUES SANITAIRE, SOCIALE ET DE L'ASILE

L'hébergement d'urgence, en application du principe de l'inconditionnalité de l'accueil, rassemble des populations variées, dont le point commun est la précarité. Cette précarité prend plusieurs dimensions : à l'extrême pauvreté s'ajoutent souvent des pathologies diverses et, pour les migrants, une situation administrative souvent complexe.

Un point ressorti de plusieurs auditions menées par le rapporteur spécial est la nécessité, déjà ressentie avant la crise sanitaire que celle-ci a largement renforcée, de concevoir la politique d'hébergement en lien étroit avec les autres politiques : sanitaire, sociale mais aussi d'asile.

1. Les dimensions sanitaire et sociale sont indissociables de l'hébergement

L'accompagnement social fait partie intégrante depuis longtemps des missions de la politique d'hébergement : il constitue l'une des valeurs ajoutées des CHRS par rapport aux autres formes d'hébergement. Il contribue à la réinsertion des personnes hébergées et manque fortement, en revanche, pour les ménages hébergés à l'hôtel.

La dimension sanitaire, en revanche, était sans doute moins prise en compte par les acteurs de l'hébergement jusqu'à une période récente . Or les personnes à la rue, ou en grande précarité, cumulent souvent les difficultés et au manque de logement s'ajoutent fréquemment des pathologies diverses. Des enquêtes ont montré que la majorité des personnes rencontrées en rue souffrent de problèmes de santé , alors que seulement une maraude sur quatre dispose de compétences médicales, et la situation est pire encore concernant la santé psychique des personnes à la rue, face à laquelle les maraudes sont largement démunies.

La fédération des acteurs de la solidarité souligne donc la nécessité d'un décloisonnement entre le secteur de l'accueil, de l'hébergement et de l'insertion et le secteur sanitaire . Les problématiques sont multiples : accès au logement, mais aussi, selon le cas, handicap, accès aux soins, accès aux droits sociaux, protection de l'enfance...

À titre d'exemple, le Samu social de Paris a mis en place le dispositif OPALE, dont d'autres associations ont également signalé l'intérêt au rapporteur spécial. Il apporte à des familles hébergées depuis une longue durée en hôtel, à Paris, signalées par les services chargés de la réservation hôtelière, un accompagnement global apporté par une équipe pluridisciplinaire : santé, situation sociale et administrative (notamment un soutien juridique pour les personnes à droits incomplets), emploi et logement. Ce type de dispositif renforce les chances de trouver une solution pour sortir les personnes de l'hébergement d'urgence.

La crise sanitaire a confirmé l'utilité de constituer des équipes pluridisciplinaires : la question de l'hébergement, puis du logement, est mieux traitée lorsque les personnes bénéficient également, selon les cas, d'un traitement de leur état de santé (soignant), de leur droits (pour les personnes à droits incomplets), de leur situation sociale (par un travailleur social).

En particulier, les équipes mobiles sanitaires ont joué un rôle très positif et ont permis, à partir du mois de mai, d'améliorer l'accès au soin des personnes sans abri : c'est l'une des leçons à tirer de l'année 2020 et l'intégration des aspects sanitaires devra être renforcée dans les structures d'hébergement.

La mise en place pendant la crise sanitaire des centres d'hébergement spécialisés (CHS), formule d'hébergement avec un traitement sanitaire pour les malades non graves du Covid, a également conduit à rapprocher les équipes sanitaires de celles qui s'occupent d'hébergement.

Les SIAO, par leur place au coeur de la mise en oeuvre de l'hébergement, pourraient jouer un rôle important dans cette pluridisciplinarité . C'est ainsi que M. Alain Christnacht, président du Samu social de Paris, dans un rapport sur l'hébergement post-crise 61 ( * ) , propose que les SIAO organisent une mutualisation des moyens d'assistance médico-sociale pour les personnes sans abri et assurent un suivi de l'accès aux droits pour les personnes sans abri : la veille sociale deviendrait donc également sanitaire et pourrait être renforcée par des travailleurs sociaux. Une telle proposition mérite d'être étudiée mais sa mise en oeuvre devrait sans doute être différenciée selon les territoires , la situation étant extrêmement différente entre les grandes métropoles et les zones moins tendues.

D'une manière générale, le rapporteur spécial constate la nécessité de poursuivre , au-delà des logiques administratives, le rapprochement entre les secteurs de l'hébergement, du sanitaire et du social, ainsi que de la gestion des demandeurs d'asile.

L'interaction entre les politiques portées par le programme 177 et la politique sanitaire apparaît pleinement dans la question actuelle de la vaccination contre le Covid .

Si la politique de vaccination vise à terme l'ensemble de la population, les personnes en grande précarité en ont d'autant plus besoin qu'elles sont particulièrement fragiles et vulnérables.

Or la campagne de vaccination , telle qu'elle est définie par les agences régionales de santé, devrait prendre en compte leurs spécificités .

Ainsi, la prise de rendez-vous avec une personne à la rue pose des difficultés particulières, surtout lorsqu'il faut faire deux injections à un intervalle de quelques semaines. À cet égard, l'arrivée de vaccins mono-doses apporterait une réponse partielle et il paraîtrait justifié d'attribuer ces vaccins prioritairement aux personnes sans abri.

Il faut également s'assurer que la même personne ne sera pas vaccinée deux fois , au passage de deux maraudes différentes. Ce problème renvoie à celui de la connaissance de la population sans-abri, et plaide à la fois pour la pluridisciplinarité des maraudes, qui devraient inclure des soignants, mais aussi pour leur coordination.

Le rapporteur spécial appelle donc à une prise en compte explicite des publics précaires et en particulier des personnes sans abri dans la stratégie nationale de vaccination.

2. La question des demandeurs d'asile exige une clarification des financements

En application du principe d'accueil inconditionnel, les centres d'hébergement relevant budgétairement du programme 177 acceptent tous types de publics, y compris ceux qui ne disposent pas d'une situation administrative en règle.

L'hébergement d'urgence est ainsi, bien souvent, la seule solution pour des personnes dites « à droits incomplets » , qui représentent 40 % à 50 % des personnes hébergées, malgré la circulaire « Valls » de 2012 qui visait à faciliter le traitement des dossiers 62 ( * ) . Ces personnes peuvent s'y retrouver pendant plusieurs années, faute de pouvoir accéder à des logements traditionnels tels que les logements sociaux.

S'agissant par ailleurs des demandeurs d'asile , ils relèvent en principe d'un hébergement en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), ou à défaut, dans une structure d'hébergement d'urgence dédiée aux demandeurs d'asile (HUDA), relevant du financement du programme 303 « Immigration et asile » de la mission « Immigration, asile et intégration ». Des centres provisoires d'hébergement (CPH) ont également été créés pour les réfugiés bénéficiaires d'une protection internationale.

En pratique, la saturation de ces centres entraîne un fort report sur l'hébergement d'urgence de droit commun , relevant du programme 177. Ces structures ne sont pas adaptées comme les CADA à la situation des demandeurs d'asile et l'hébergement traditionnel ne devrait constituer qu'une solution transitoire. Or le chevauchement entre les dispositifs s'est accru pendant la crise sanitaire , en raison de la fermeture des guichets uniques pour demandeur d'asile (GUDA).

D'après le rapport annuel de performances du programme 303 « Immigration et asile » en 2020, 52 % seulement des demandeurs d'asile ayant formulé une demande d'hébergement sont effectivement accueillis en CADA ou en HUDA . Il est probable qu'une partie importante des autres demandeurs d'asile se retrouvent dans des structures d'hébergement de droit commun. Une enquête réalisée par la DGCS en juin 2020 faisait état de 7 032 demandeurs d'asile et de 4 987 bénéficiaires de la protection internationale présents dans le parc d'hébergement généraliste, soit près de 7 % de la totalité de places du parc 63 ( * ) .

En outre, le programme 177 finance plusieurs dispositifs spécifiques :

- l'accompagnement vers et dans un logement des réfugiés hébergés aussi bien dans des centres d'hébergement généralistes que dans ceux du programme 303 (montant de 10,6 millions d'euros en 2019 et 2020) ;

- une plateforme nationale de relogement des réfugiés, créée en octobre 2015 pour orienter les réfugiés hébergés dans les structures d'hébergement vers des logements vacants (0,3 million d'euros en 2019) ;

- un dispositif expérimental de cohabitations solidaires visant à encourager l'hébergement citoyen de réfugiés chez des particuliers (0,9 million d'euros en 2019) ;

- le programme « Engagés pour la Mobilité et l'Insertion par le Logement et l'Emploi » (EMILE) qui vise à proposer à 1 500 personnes en difficulté d'insertion professionnelle et mal-logées en Île-de-France, dont des personnes ayant le statut de réfugié et hébergées, de débuter un nouveau projet de vie dans un territoire d'accueil hors Île-de-France (0,3 million d'euros au titre de la DGCS en 2019).

Selon les éléments apportés au rapporteur spécial à l'occasion de l'examen du dernier projet de loi de finances, le coût pour le programme 177 de la prise en charge des demandeurs d'asile et réfugiés a été estimé à 73,9 millions d'euros en 2019, mais il n'a pas été refacturé au ministère de l'intérieur, faute d'un accord interministériel.

L'instruction interministérielle du 27 mars 2020 a d'ailleurs précisé que, « dans un souci de simplification et au titre de l'urgence », l'ensemble des places exceptionnelles d'hébergement ouvertes pendant la crise sanitaire seraient prises en charges par le programme 177. Elle demandait aux gestionnaires locaux d'identifier, à la fin de la crise, le montant des dépenses relevant de chacun des programmes.

Le rapporteur spécial souligne une nouvelle fois la nécessité de mieux identifier le partage des responsabilités entre les programmes 177 et 303 et d'en tirer les conséquences sur la prise en charge financière en dressant, dès le projet de loi de finances pour 2021 , un bilan précis des dépenses supportées par le programme 177 alors qu'elles auraient dû relever du programme 303.


* 61 Alain Christnacht, La protection, l'hébergement et le logement des personnes en situation de précarité , rapport au ministre chargé du logement, fondé sur les travaux des associations, 11 septembre 2020.

* 62 Circulaire du ministère de l'intérieur relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, 28 novembre 2012. NOR : INTK1229185C.

* 63 Réponses au questionnaire budgétaire envoyé par le rapporteur spécial pour l'examen du projet de loi de finances pour 2021.

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