B. LES NUITÉES HÔTELIÈRES ONT JOUÉ À UNE NOUVELLE ÉCHELLE LEUR RÔLE HABITUEL DE VARIABLE D'AJUSTEMENT DE LA POLITIQUE D'HÉBERGEMENT D'URGENCE

1. La crise sanitaire a amplifié l'augmentation du nombre des nuitées hôtelières

Comme l'observe chaque année le rapporteur spécial, le recours aux nuitées hôtelières connaît une hausse continue , malgré les tentatives de l'administration d'en réduire le nombre ou en tous cas d'en infléchir la croissance.

Le plan de maîtrise des nuitées hôtelières engagé en 2015, dans un contexte de crise migratoire persistante, a seulement permis de réduire la croissance du recours à ce mode d'hébergement au cours des années ultérieures.

C'est donc à un niveau déjà très élevé de places d'hébergement hôtel que se sont ajoutées les places nouvelles utilisées pour héberger des personnes sans abri au cours du confinement.

Début mars 2021, le nombre de nuitées hôtelières s'élevait à plus de 74 000 . Une population équivalente à celle de villes comme Cannes ou Calais est actuellement hébergée dans des hôtels. Ce nombre n'inclut toutefois que les personnes en grande précarité et pas celles hébergées en hôtel au titre d'autres dispositifs (demandeurs d'asile dans le cadre de l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA), mineurs au titre de l'aide sociale à l'enfance 57 ( * ) ).

Évolution du nombre des nuitées hôtelières

(en nombre de places et en pourcentage)

Lecture : le taux de croissance annuel moyen a été de + 16,2 % entre 2007 et 2012, de 19,8 % entre 2012 et 2017 et de 5,0 % entre 2016 et 2019.

Source : commission des finances

2. Le recours exceptionnel aux nuitées hôtelières pendant la crise du Covid a aussi constitué une opportunité pour les hôteliers

Dès le mois de mars 2020, l'État et l'Union des métiers et industries de l'hôtellerie (UMIH) ont signé un accord-cadre pour faciliter l'hébergement hôtelier des personnes relevant de l'hébergement d'urgence . Cet accord définissait les règles générales d'occupation des chambres, de ménage et de nettoyage, dans le respect des mesures barrières, et fixait un tarif à la nuit dépendant du classement de l'hôtel (de 30 euros pour un hôtel non classé à 60 euros pour un hôtel 3 étoiles).

Cet accord permettait de tirer parti de l'opportunité offerte par la fermeture ou la sous-occupation d'un grand nombre d'hôtels causée par le confinement : un grand nombre de places de bon confort, mais avec les limitations habituelles de l'hébergement hôtelier (manque d'accompagnement et d'offre de restauration, ce qui rendait d'autant plus utiles les chèques services) permettait de contribuer à l'hébergement massif des personnes à la rue, tandis que les hôteliers, notamment dans les grandes métropoles, bénéficiaient d'un revenu garanti par le paiement sur fonds publics.

Une charte conclue en novembre 2020 entre le Gouvernement et les organismes professionnels 58 ( * ) a mis à jour l'accord-cadre de mars. Sa portée est plus large, car elle prévoit l'hébergement non seulement de personnes sans abri en bonne santé, mais aussi de soignants, de personnes accompagnant des patients ayant fait l'objet d'une évacuation sanitaire et de personnes malades du Covid sans gravité nécessitant un isolement. Les tarifs maximaux sont fixés à la chambre, à un niveau identique à l'accord de mars. Un nombre minimal de chambres doit être réservé aux fins d'hébergement par les services de l'État ou les associations, sauf lorsque l'hôtelier choisit de conserver une activité hôtelière classique en plus de l'hébergement.

a) Le coût de l'hébergement hôtelier pendant la crise sanitaire a été plus élevé qu'en temps normal

Si l'on considère l'Île-de-France , qui représentait 57 % des places exceptionnelles en hôtel au mois d'août 2020, le tarif moyen des nuitées était ce mois-là de 20,37 euros pour les places exceptionnelles ouvertes en raison de la crise sanitaire, soit un surplus de 14 % par rapport au coût moyen habituel de 17,87 euros constaté juste avant la crise sanitaire.

L'administration explique cette hausse par la diminution du taux d'occupation par chambre : outre la limitation des contacts imposée par les mesures barrières, de nombreuses personnes isolées ont bénéficié du dispositif alors que qu'elles ne recouraient pas à l'hébergement hivernal classique.

Il semble donc, si l'on neutralise ces effets, que les coûts de l'hébergement hôtelier n'ont pas dérivé . Une hausse des coûts aurait d'ailleurs été anormale, car l'hébergement d'urgence représentait et représente encore une véritable opportunité pour certains hôteliers face à la chute de l'activité hôtelière classique.

b) La clause de remise en état des chambres ne semble pas avoir eu de conséquences financières pour l'instant

L'accord-cadre prévoyait également le maintien en l'état des chambres et, en cas de besoin, leur remise en état à la fin du séjour aux frais de l'État.

La Cour des comptes, dans son rapport public annuel 2021, s'est inquiétée des conséquences de cette clause, considérant que cette remise en état « pourrait s'avérer d'autant plus coûteuse qu'il n'a pas été procédé à des états des lieux lors de l'entrée dans les hôtels et que les personnes hébergées, tout juste sorties de la rue, ont rarement bénéficié de mesures d'accompagnement ou même de sensibilisation au respect des locaux ». Au total, elle évoquait un coût potentiel pour l'État supérieur à 50 millions d'euros, tout en reconnaissant qu'aucune estimation n'a encore pu être réalisée.

Interrogée à ce sujet par le rapporteur spécial, l'administration fait valoir que très peu de dégradations ont été signalées à ce sujet. Cette clause n'aurait selon elle entraîné aucun coût pour l'État pour l'instant et les éventuels coûts futurs attendus seraient très inférieurs à l'estimation faite par la Cour des comptes. Les rares dégradations concerneraient souvent des chambres qui étaient déjà de mauvaise qualité ; or les hôtels utilisés depuis le début de la crise sanitaire sont plutôt de bon niveau (une ou deux étoiles, parfois même trois) et ils disposent d'assurances. La charte conclue en novembre 2020 ne contient d'ailleurs plus cette clause.

3. Le recours massif à l'hébergement en hôtel était inévitable, mais ses limites habituelles n'en perdurent pas moins...

L'hôtel constitue un moyen inévitable d'hébergement, tout particulièrement depuis le début de la crise sanitaire .

Les associations font observer que l'hébergement en chambre d'hôtel, pendant la crise sanitaire, présentait l'avantage d'offrir un hébergement individuel facilitant le respect des règles de distanciation physique. En outre, la mobilisation des hôtels a été extrêmement rapide au début de la crise sanitaire, ce qui a été facilité en Île-de-France par l'existence d'un pôle de réservation unique au niveau régional, géré par le Samu social de Paris. Selon la DRIHL, 12 000 places d'hôtel supplémentaires ont été mobilisées dans la région, sur un total de 25 000 places supplémentaires.

Les limitations de l'hébergement à l'hôtel sont toutefois connues : les chambres sont souvent de qualité correcte, mais situées dans des endroits trop périphériques, inadaptés notamment pour les familles. L'absence de lieu pour cuisiner est préjudiciable : le Samu social de Paris a indiqué au rapporteur spécial qu'il essayait de mettre en place des cuisines collectives.

L'hébergement en hôtel a aussi posé des problèmes spécifiques pour les enfants scolarisés en période de confinement , car ils ne bénéficiaient souvent pas des équipements informatiques ou de la connexion Wifi de qualité indispensables au suivi des cours à distance.

Or la durée de l'hébergement en hôtel est beaucoup trop longue : elle atteint couramment plusieurs années. En Île-de-France, près de la moitié des ménages hébergés en hôtel en 2019 y étaient depuis au moins deux ans 59 ( * ) .

La question de la pérennisation des places en hôtel se pose donc. Elle nécessite toutefois un aménagement afin d'améliorer les qualités d'hébergement (en particulier pour les familles ou les mineurs) et l'accompagnement et peut passer par des opérations de rachat d'hôtels.

4. ... et la sortie de crise impose de réfléchir à la reconversion éventuelle d'hôtels en structures d'hébergement ou de logement pérennes et mieux adaptées

Les limites de l'hébergement en hôtel et la nécessité de prévoir le retour à l'activité commerciale de ces établissements oblige à poursuivre les tentatives, amorcées depuis plusieurs années, d'ouvrir des places spécifiques, offrant des prestations plus adaptées au public de l'hébergement. Deux modalités sont expérimentées : le marché public « Hébergement d'urgence avec accompagnement social » (HUAS) et la transformation d'hôtels en structures d'hébergement pérennes.

Un appel à projet, doté sur deux ans de 5 millions d'euros au titre du plan de relance (investissement) et 20 millions d'euros dans le cadre de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté (fonctionnement), a été lancé en janvier 2021 pour des projets tendant à la création de « tiers-lieux » favorisant l'accès à des équipements de cuisine pour des ménages hébergés à l'hôtel 60 ( * ) . Cet appel à projets répond à un vrai besoin, le recours à l'aide alimentaire ayant été massif pour les personnes hébergées à l'hôtel pendant la crise sanitaire, surtout s'il permet de rapprocher les secteurs de l'aide alimentaire, de l'hébergement et de l'accompagnement social. Il est toutefois nécessaire d'aller vers une transformation de ces places en résidences plus pérennes.

a) Le marché public HUAS a introduit une nouvelle manière de mobiliser des places d'hébergement d'urgence

Face à l'augmentation du recours aux nuitées hôtelières, l'État a lancé en 2016 deux marchés publics d'hébergement d'urgence , l'un pour les migrants (dispositif PRAHDA), l'autre pour les personnes en situation de grande précarité (dispositif HUAS ou hébergement d'urgence avec accompagnement social).

Le marché HUAS avait pour objet l'ouverture de 5 000 places d'hébergement d'urgence avec accompagnement social pour un public en situation de grande précarité en demande d'une solution d'hébergement et d'accompagnement social. Certains des lots, qui étaient organisés de manière géographique, ont été déclarés infructueux, et la DGCS a retenu quatre prestataires prévoyant l'ouverture de 3 675 places d'hébergement. 3 525 places sont actuellement ouvertes. L'administration fait également état de l'opposition de certains élus locaux.

Ces places sont installées dans le « diffus », c'est-à-dire dans des appartements, ou regroupées dans des résidences hôtelières à vocation sociale (RHVS). Elles offrent des conditions matérielles d'accueil plus satisfaisantes qu'en hôtel, permettant par exemple aux ménages de préparer leurs repas et de bénéficier d'un accompagnement social.

L'administration tire un bilan positif de ce marché , considérant qu'il permet de maîtriser les coûts pour une prise en charge avec accompagnement social. Le pilotage et la gestion paraissent toutefois lourds et impliquent plusieurs administrations tant au niveau central qu'à l'échelon déconcentré.

La reconduction du marché fait actuellement l'objet d'une réflexion dans la mesure où il expire en mars 2022.

b) Si la fin de la crise sanitaire devrait entrainer le retour à l'activité commerciale pour la majorité des d'hôtels, certains pourraient être convertis en structures d'hébergement pérennes

La fin de la crise sanitaire devrait entraîner la reprise d'activité d'un certain nombre d'hôtels . Toutefois, si on peut espérer une reprise du tourisme de loisir, les professionnels anticipent une réduction durable du tourisme d'affaires avec le développement des techniques de téléconférence, ce qui devrait affecter particulièrement la région parisienne.

La fin de la crise sanitaire pourrait donc, pour répondre aux besoins de l'hébergement d'urgence mais aussi dans l'intérêt des hôteliers eux-mêmes, fournir l'occasion de transformer des hôtels en structures d'hébergement ou de logement pérennes.

Les organismes auditionnés ont indiqué qu'un travail était engagé avec les préfectures pour anticiper la réouverture de certains hôtels.

Toutefois, les perspectives de rachat d'hôtels ne sont pas encore claires . Le rapporteur spécial a eu des retours contrastés à ce sujet : alors que l'administration semble avoir du mal à identifier des hôteliers qui seraient prêts à céder leur établissement (y compris le bâti), certains opérateurs de l'hébergement d'urgence parviennent mieux à trouver des opportunités en la matière.


* 57 S'agissant des mineurs au titre de l'aide sociale à l'enfance, voir L'accueil de mineurs protégés dans des structures non autorisées ou habilitées au titre de l'aide sociale à l'enfance , rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), novembre 2020.

* 58 Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH), Groupement national des indépendants de l'hôtellerie et de la restauration (GNI), Groupement national des chaînes hôtelières (GNC).

* 59 Rapport d'activité 2019 du Samu social de Paris.

* 60 DIHAL, Lancement d'un appel à projets pour le développement de tiers-lieux favorisant l'accès à l'alimentation des personnes hébergées à l'hôtel , 12 janvier 2021.

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