L'ESSENTIEL

Les résultats obtenus au terme de près de vingt ans de politique de lutte contre les marées vertes en Bretagne, dont dix ans de « plans de lutte contre les algues vertes » (PLAV) cofinancés par l'État, sont réels mais ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Des avancées ont certes permis de diminuer la teneur en nitrates des eaux littorales bretonnes. Par ailleurs, les effets des actions menées sont limités par l'inertie des milieux, dans la mesure où la résorption des quantités d'azote épandues sur les terrains agricoles bretons depuis plus d'une cinquantaine d'années est un phénomène lent et soumis aux aléas climatiques.

Cependant, l'efficacité de la politique de lutte contre les algues vertes est avant tout limitée par la difficulté à réorienter suffisamment les pratiques agricoles vers des usages plus vertueux, dans le contexte de production agricole intensive développé en Bretagne à partir des années 1960. Les nitrates d'origine agricole utilisés en tant que fertilisants et l'usage intensif d'intrants sont en effet les principales causes du développement des algues vertes.

I. LE RÔLE DU MODÈLE AGRICOLE BRETON DANS LES MARÉES VERTES

A. UNE ORIGINE AGRICOLE DES NITRATES DÉSORMAIS RECONNUE

Les taux de nitrates élevés dans les eaux bretonnes découlent essentiellement de pollutions « diffuses », liées à l'exploitation intensive des sols par des épandages excessifs d'effluents d'élevage et d'un usage massif d'intrants, tous deux caractéristiques du modèle agricole breton développé à partir des années 1960. Le centre d'étude et de valorisation des algues (CEVA) a établi que 95 à 98 % des nitrates dans l'eau des bassins versants bretons sont d'origine agricole .

Le principal enjeu est donc de mettre en oeuvre une gestion des effluents limitant les fuites de nitrates , ce qui ne peut passer que par une évolution des pratiques agricoles, associée à un accompagnement des agriculteurs.

B. LES AMÉLIORATIONS ACTUELLEMENT CONSTATÉES SONT LE RÉSULTAT D'ACTIONS ENGAGÉES LORS DE LA DÉCENNIE PRÉCÉDENTE DU FAIT DU TEMPS LONG DE RÉPONSE DES MILIEUX

Au-delà de la seule qualité de l'eau, la prolifération des algues vertes dans les baies bretonnes découle aussi de facteurs environnementaux et climatiques . Il est donc difficile de mesurer le degré de corrélation directe entre les volumes d'algues échoués annuellement sur les côtes bretonnes et les évolutions des taux de nitrates.

Ces facteurs environnementaux rendent complexe l'évaluation des plans de lutte contre les algues vertes, d'autant plus que l'évolution des concentrations doit s'apprécier à moyen terme. En effet, étant donné que les flux de nitrates transitent par les sols, puis les nappes d'eau souterraines, avant de rejoindre les cours d'eau, le temps de réponse des milieux est d'environ 10 ans en moyenne . Ainsi, les teneurs en nitrates enregistrées aujourd'hui sont, pour l'essentiel, le résultat d'actions menées lors de la décennie précédente.

II. LES « PLANS DE LUTTE CONTRE LES ALGUES VERTES » (PLAV), OUTILS DE LA PARTICIPATION DE L'ÉTAT DONT LES RÉSULTATS SONT LIMITÉS PAR LA LENTE ÉVOLUTION DES PRATIQUES AGRICOLES

A. LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LES MARÉES VERTES, CENTRÉE SUR HUIT BAIES BRETONNES, EST PARTIELLE CAR BASÉE SUR LE VOLONTARIAT DES ACTEURS

1. Les plans de lutte contre les algues vertes, 2010-2015 et 2017-2021, des outils dont la mise en oeuvre a été longue et qui atteint ses limites sous sa forme actuelle.

Le plan de lutte contre les algues vertes est centré sur les bassins versants. Il est décliné sur huit projets de territoire , correspondant à huit baies prioritaires bretonnes , regroupant 10 % des exploitations de la région et 240 000 habitants . Ce sont les baies de la Fresnaye, Saint-Brieuc, la Lieue de Grève, le Douron, l'Horn-Guillec, Quillimadec, Douarnenez et enfin la baie de la Forêt.

Les PLAV sont déclinés en trois axes : un volet préventif visant à réduire les flux d'azote vers les baies, qui concentre l'essentiel des financements via des aides aux agriculteurs ; un volet curatif de ramassage systématique des algues vertes échouées sur les plages ; un volet scientifique afin d'encourager la recherche sur la prolifération et la valorisation des algues vertes.

Les plans de lutte fonctionnent sur la base du volontariat : les agriculteurs des baies concernées s'engagent contractuellement sur un plan d'actions visant à améliorer leurs pratiques agricoles. Ils bénéficient à ce titre des actions de conseil et des aides apportées dans le cadre des chantiers collectifs financées par le PLAV. La signature du contrat conditionne aussi les aides directes de droit commun versées au titre du PLAV.

Les acteurs entendus par le rapporteur spécial soulignent que la dynamique de volontariat sur laquelle se fonde le PLAV semble avoir atteint ses limites, de même que la courbe de réduction des teneurs en nitrates dans les baies bretonnes. Tous les agriculteurs susceptibles d'adhérer aux mesures contractuelles se sont engagés au cours des dernières années.

2. Près de la moitié des actions de lutte contre les algues vertes sont financées par l'État par le biais du programme d'interventions territoriales de l'État (PITE)

a) Un financement des PLAV réduit et réparti entre plusieurs partenaires

Les montants accordés lors de la signature du PLAV 1 s'élevaient à 95 millions d'euros pour la période 2010-2015, dont seuls 60 % ont été consommés. Tenant compte de cette sous-consommation, le PLAV 2 (2017-2021) s'élève à 60 millions d'euros , également sur cinq ans. Son financement est réparti entre l'État, le conseil régional de Bretagne, l'agence de l'eau Loire-Bretagne, les conseils départementaux du Finistère et des Côtes d'Armor, les communes et intercommunalités .

L'État contribue aux trois volets, préventif, curatif et scientifique. Il finance intégralement l'ensemble des aides dites « innovantes » , principal avantage du PLAV, dans la mesure où les financements apportés par le Conseil régional et par l'Agence de l'eau sont des aides de droit commun.

b) Le PITE, un outil budgétaire souple permettant de s'adapter aux besoins du terrain

L'intégralité du financement de l'État en faveur de la lutte contre les algues vertes est inscrite au PITE, programme porté par la mission « Cohésion des territoires ». Aux 5 millions d'euros annuels versés dans le cadre du PLAV s'ajoutent environ deux millions d'euros par an pour diverses actions auprès des agriculteurs et des collectivités . Le PITE est l'outil le mieux adapté pour financer la lutte contre les algues vertes . En gérant des crédits provenant de plusieurs ministères, il permet de prendre en compte les spécificités des actions locales et de garantir la cohérence de l'action de l'État grâce à un pilotage plus réactif qui laisse au préfet une marge de manoeuvre bienvenue.

B. UNE GOUVERNANCE TRANSFORMÉE MAIS QUI RESTE COMPLEXE

La mise en place du PLAV 2 en 2017 s'est accompagnée d'une refonte de la gouvernance régionale vers davantage de coconstruction avec les acteurs locaux, autour de trois structures : le comité de pilotage, le comité de programmation, le comité régional de suivi. Cette superposition des niveaux de décisions et d'information, si elle présente l'avantage d'associer l'ensemble des acteurs, complexifie néanmoins le processus d'arbitrage.

III. DES FINANCEMENTS À MIEUX CIBLER POUR ACCÉLERER L'ÉVOLUTION DES PRATIQUES AGRICOLES

A. DES ACTIONS INSUFFISAMMENT CIBLÉES VERS UN CHANGEMENT DES PRATIQUES AGRICOLES

En termes d'évolution des pratiques agricoles, les résultats du PLAV sont contrastés. Ainsi, entre 2014 et 2017, la quantité d'azote minéral épandue continuait de croître dans la moitié des baies algues vertes . Les filières agricole et agroalimentaire doivent davantage contribuer à une transition vers des pratiques plus vertueuses de gestion des effluents.

Le cadre règlementaire applicable dans les baies algues vertes est identique à l'ensemble de la Bretagne, sans prendre en compte la situation particulière de ces baies. Le rapporteur spécial estime que, si les actions de volontariat ont permis d'enclencher une dynamique positive, une nouvelle réglementation adaptée aux baies algues vertes doit désormais venir la compléter . Celle-ci doit progressivement accompagner les agriculteurs non volontaires à modifier leurs pratiques, dans le cadre du PLAV.

Le rapporteur spécial, comme les acteurs locaux, considère également qu'il est crucial de renforcer les moyens des services de contrôle , qui ont été constamment érodés. Malgré une stratégie de ciblage sur les exploitations les plus à risques, les services de l'État ne sont pas à même de mener à bien un nombre suffisant de contrôles.

B. MIEUX ARTICULER LES AIDES DU PLAN DE LUTTE CONTRE LES ALGUES VERTES ET LES FINANCEMENTS DE LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE (PAC)

Les montants en jeu dans le cadre du PLAV sont sans commune mesure avec les financements apportés par la PAC , pour la plupart d'entre eux en l'absence de toute conditionnalité environnementale. Pour la seule année 2018, la région Bretagne a bénéficié de 434 millions d'euros d'aides de la PAC , soit 6,5 % de l'enveloppe nationale.

Le PLAV 1 mobilisait en grande partie des aides de droit commun dans le cadre des financements de la PAC, et en particulier les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC). La nécessité de développer davantage les « aides innovantes » en faveur des agriculteurs a été prise en compte lors de l'élaboration du PLAV 2. Celles-ci, financées exclusivement par l'État, sont un réel succès. Mais elles doivent impérativement être renforcées et étendues. Les aides de droit commun ne sont pas, selon le rapporteur, l'outil le mieux adapté à la lutte contre les algues vertes .

IV. UN CADRE BUDGÉTAIRE À CONSOLIDER ET À SIMPLIFIER

A. UN MODE DE GESTION COMPLEXE ET PEU LISIBLE

Le PLAV est chaque année financé par un transfert de crédits en gestion qui intervient de plus en plus tard dans l'année. Ainsi, les deux-tiers du financement apporté par l'État ne sont pas inscrit au programme 162 lors du vote de la loi de finances et ne peuvent être anticipés lors de la programmation initiale. Il convient de normaliser cette situation , mise en cause depuis des années par le rapporteur spécial et par les gestionnaires sur le terrain, en mettant fin à la pratique du transfert en gestion.

B. LA NÉCESSAIRE CLARIFICATION DES RESPONSABILITÉS DES DIFFÉRENTS FINANCEURS

Le suivi financier du PLAV est peu lisible du fait de la pluralité des acteurs , malgré le décroisement des aides progressivement mis en place. L'élaboration d'instruments de suivi communs à l'ensemble des financeurs permettrait de fluidifier les échanges entre partenaires financiers et surtout d'identifier les responsabilités de chacun.

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