DEUXIÈME PARTIE :
EFFACER LES « ANGLES MORTS » QUI SUBSISTENT DANS LA CONNAISSANCE DE L'AAH ET DE SES BÉNÉFICIAIRES

En dépit du coût budgétaire important de l'AAH pour l'État et de son dynamisme, le suivi de cette prestation demeure largement lacunaire , et la population des bénéficiaires et personnes éligibles est insuffisamment connue.

Ce constat étant largement imputable au caractère décentralisé de la prestation , les MDPH pourraient davantage contribuer à effacer les « angles morts » qui subsistent en matière d'AAH.

Deux pistes peuvent ainsi être explorées à cette fin :

- l'enjeu du système d'information des MDPH ;

- l'enjeu de l'association des MDPH à une démarche de lutte contre la fraude et contre le non-recours à la prestation .

I. LE SYSTÈME D'INFORMATION COMMUN : UN « SERPENT DE MER » EN VOIE DE CONCRÉTISATION

A. LE CHANTIER DU SYSTÈME D'INFORMATION HARMONISÉ EST DÉSORMAIS BIEN ENGAGÉ

1. Une obligation légale longtemps restée lettre morte

La bonne connaissance de l'AAH et de ses bénéficiaires, dans un contexte où l'attribution de la prestation est décentralisée, implique une consolidation robuste des données au niveau national , qui suppose elle-même un traitement homogène des mêmes données au niveau de chaque MDPH.

C'est la raison pour laquelle, l'article 88 de la loi précitée du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées , avait expressément prévu la création d'un système d'information commun aux MDPH (articles L. 247-2 à L. 247-4 du code de l'action sociale et des familles), interopérable avec ceux des départements, de la CNAF et de la CNSA, qui permettrait un traitement homogène des données relatives, notamment :

- à l'activité des MDPH et leurs équipes pluridisciplinaires ;

- aux caractéristiques des usagers ;

- aux décisions relatives aux droits et prestations dont l'attribution relève de la CDAPH, parmi lesquels l'AAH.

Le système d'information commun des MDPH : une obligation légale
(articles L. 247-2 à L. 247-4 du code de l'action sociale et des familles)

Art. L. 247-2. - Dans le cadre d'un système d'information organisé par décret pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, les maisons départementales des personnes handicapées transmettent à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, outre les données mentionnées à l'article L. 146-3, des données :

- relatives à leur activité, notamment en matière d'évaluation des besoins, d'instruction des demandes et de mise en oeuvre des décisions prises ;

- relatives à l'activité des équipes pluridisciplinaires et des commissions des droits et de l'autonomie ;

- relatives aux caractéristiques des personnes concernées ;

- agrégées concernant les décisions mentionnées à l'article L. 241-6.

Art. L. 247-3. - Les données agrégées portant sur les versements opérés à la suite d'une décision de la commission mentionnée à l'article L. 146-9 et sur les caractéristiques de leurs bénéficiaires sont transmises par les organismes en charge de ces prestations au ministre chargé des personnes handicapées dans des conditions fixées par décret.

Art. L. 247-4. - Les informations individuelles relatives aux personnes concernées par les décisions de la commission mentionnée à l'article L. 146-9 relatives aux prestations versées suite à ces décisions sont transmises au ministre chargé des personnes handicapées, dans des conditions fixées par voie réglementaire, à des fins de constitution d'échantillons statistiquement représentatifs en vue de l'étude des situations et des parcours d'insertion des personnes figurant dans ces échantillons, dans le respect des dispositions de l'article 7 bis de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques et des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Source : code de l'action sociale et des familles

Cette obligation est cependant restée lettre morte durant près de 15 ans , ce qui s'explique notamment par le fait que les départements font appel à des éditeurs de logiciels distincts pour leurs propres systèmes d'information, lesquels sont bien souvent imbriqués avec ceux des MDPH, rendant complexe l'unification des systèmes d'information.

Dans son rapport relatif à l'AAH, la Cour des comptes est allée jusqu'à recommander de sanctionner financièrement , dans le cadre des relations conventionnelles avec la CNSA, l'absence de mise en oeuvre par les MDPH de leurs obligations légales en matière de suivi statistique, par exemple par un mécanisme de retenue financière. Si l'enjeu du système d'information doit constituer une priorité, une telle solution ne semble pas souhaitable : elle reviendrait à faire peser une contrainte supplémentaire sur les seules MDPH, dont l'activité s'est complexifiée au cours des dernières années du fait, notamment, de l'augmentation du nombre des demandes et d'une volonté d'individualisation croissante dans le traitement des situations. Or, ce sont bien les autorités nationales, l'État et la CNSA, qui doivent prendre leurs responsabilités pour impulser une telle transformation.

2. Des avancées encourageantes
a) À défaut d'un système d'information unique, le choix d'un système d'information harmonisé

Force est cependant de constater que des avancées encourageantes ont pu être constatées ces dernières années.

Ainsi, la loi n°2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement a attribué à la CNSA une mission de conception et de mise en oeuvre d'un SI commun aux MDPH. Dans le cadre de cette nouvelle mission, la CNSA s'est dotée d'une cellule dédiée à la mise en place de ce système d'information commun aux MDPH et a mis en place un programme de déploiement spécifique . Ce programme a pour ambition de mettre en place un système d'information commun à l'ensemble des MDPH conformément à la loi mais également d'outiller les MDPH pour améliorer le service qu'elles rendent aux usagers et faciliter le pilotage de leur activité afin de gagner en performance et en qualité de traitement des situations.

La solution retenue n'est toutefois pas celle d'un véritable système d'information unique, mais d'un système d'information harmonisé (SIH) dans lequel chaque MDPH pourrait préserver son propre système d'information et conserver son éditeur. Les départements sont toutefois pleinement engagés dans la démarche, et un accord de méthode a été signé en ce sens entre l'État et l'Assemblée des départements de France le 11 février 2020 aux termes duquel « L'État et les départements s'engagent résolument à soutenir le déploiement du système d'information des MDPH et à en faire une priorité structurante » 11 ( * ) .

Le chantier d'harmonisation se déploie dans trois directions :

- l'harmonisation des systèmes d'information de gestion des demandes, du dépôt jusqu'à la notification des droits (dit « tronc commun » ) ;

- l'harmonisation des échanges de données de la MDPH avec ses partenaires : caisses d'allocations familiales (CAF), service public de l'emploi (SPE), Éducation nationale, établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS).

- le dépôt des demandes en ligne .

b) Un déploiement progressif, par palier successifs

Ce déploiement s'effectue en outre par paliers successifs, qui correspondent à un périmètre de fonctionnalités défini en amont et identique pour chaque MDPH .

Le « palier 1 » est déjà largement déployé. Il intègre :

- une première version du tronc commun, mise en place par 99 MDPH à date ;

- un système de suivi des orientations en ESMS (96 MDPH) ;

- un système de dématérialisation des échanges avec les CAF pour ce qui concerne l'identification des personnes (78 MDPH), les flux de données relatifs aux mises à jour pour le maintien des droits (53 MDPH) et ceux relatifs aux dépôts de demandes (8 MDPH).

Lancé fin 2020, le « palier 2 » intègre de nouvelles fonctionnalités :

- dans le cadre du tronc commun (gestion des recours administratifs et contentieux...) ;

- en matière d'échanges avec les partenaires (transmissions automatisées des décisions entre les MDPH et les agences Pôle emploi...) ;

- une solution d'interopérabilité entre le SIH et le télé-service « MDPH en ligne » proposé par la CNSA et permettant la dématérialisation du dépôt des formulaires de demandes, déjà mis en place par 55 MDPH (sur 69 volontaires).


* 11 Accord de méthode entre l'État et les départements relatif au fonctionnement et au pilotage des MDPH, 11 février 2020.

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