PARTIE LIMINAIRE : UNE FRANCE DURABLEMENT RICHE POUR NE PAS PAUPÉRISER LES FRANÇAIS

Le Sénat a créé, à l'initiative du groupe Les Républicains, une mission d'information afin d'étudier l'évolution et la lutte contre la précarisation et la paupérisation d'une partie des Français.

Ce sujet, particulièrement ambitieux, se situe au coeur des préoccupations de nos compatriotes et interpelle l'ensemble du monde politique de manière de plus en plus aiguë. En effet, la pauvreté ou plus simplement la difficulté croissante à « joindre les deux bouts » pour de nombreux Français participe d'un climat de défiance qu'ont pu traduire aussi bien un mouvement comme celui des « gilets jaunes » et, dans un registre différent, le niveau de l'abstention à l'occasion des derniers rendez-vous électoraux. Et, au-delà de la pauvreté réellement vécue, la crainte du « dérapage » voire du basculement dans la pauvreté est désormais diffuse au sein de la société et a été renforcée par la crise actuelle.

Partant de ces constats, les membres de la mission d'information ont souhaité orienter leurs travaux « à hauteur d'homme », c'est-à-dire vers les personnes concernées par ces phénomènes afin d'en comprendre l'origine, de les décrire et bien sûr de formuler des propositions susceptibles d'apporter des réponses à nos concitoyens 1 ( * ) .

Le rapporteur souscrit pleinement à cette approche et tel sera bien l'objet du présent rapport dans le cadre des parties suivantes.

Pour autant, avant d'aborder ces sujets, le rapporteur souhaite rappeler dans cette partie liminaire une vérité d'évidence : à moyen et à long termes, la façon la plus sûre de lutter contre la précarisation et la paupérisation d'une partie des Français est d'assurer que la France demeure une Nation prospère . Tout doit donc être fait pour que notre pays continue de produire demain et après-demain de la richesse sur sol et dans ses différents territoires.

Or la tendance observée ces dernières décennies dans plusieurs domaines stratégiques ne peut qu'inquiéter et nécessite un changement de cap :

- en matière de production industrielle tout d'abord, car, comme les responsables politiques et économiques l'ont trop longtemps oublié, l'industrie est une richesse en soi et a des effets d'entraînement multiples dans l'écosystème des territoires. En outre, disposer de capacités de production sur son sol est un des éléments essentiels de la souveraineté économique, voire de la souveraineté globale, d'un pays ;

- et, sans doute plus important encore, en matière de performance de notre système d'éducation car chacun mesure bien que là réside la clef de notre avenir.

Bien sûr, chacune de ces questions est un sujet en soi et suffirait largement à occuper une, voire plusieurs, missions parlementaires. L'ambition de la présente partie n'est donc évidemment pas de les traiter de façon complète et étayée mais, d'une part, de souligner en préambule leur importance dans la réponse de fond à la question de la précarisation et de la paupérisation d'une partie des Français et, d'autre part, d'esquisser les pistes que le rapporteur considère comme les plus adéquates.

I. UNE ATTRACTIVITÉ ET UNE CULTURE INDUSTRIELLES À RETROUVER

A. LE LONG DÉCLIN INDUSTRIEL DE LA FRANCE

La France a subi une forte désindustrialisation entre les années 1970 et le milieu des années 2010.

Quelques données illustrent l'ampleur de ce phénomène documenté par de nombreuses études, dont le rapport d'information 2 ( * ) que notre collègue Alain Chatillon avait rédigé en avril 2011.

Tout d'abord, l'évolution de la part de la production industrielle dans le PIB de la France, qui a reculé de dix points depuis 1980 pour ne plus atteindre que 13,4 % en 2018 . Si un tel recul a également pu être constaté chez la plupart de nos voisins européens, celui-ci a généralement été moins prononcé (sauf au Royaume-Uni) : ainsi, l'industrie compte pour 25,5 % du PIB en Allemagne, pour 19,7 % en Italie et pour 16,1 % en Espagne.

En termes d'emplois, la baisse est encore plus accentuée , la part de l'emploi industriel dans l'emploi total étant passée de 25 % en 1974 à 10 % en 2018.

Le graphique suivant montre l'ampleur du déclin de l'emploi industriel au cours des vingt dernières années, avec une baisse globale de 25 %. Il souligne également que ce déclin concerne la quasi-totalité des filières, en dehors de l'agro-alimentaire, dont le nombre d'emplois est resté relativement stable au cours de cette période.

Évolution de l'emploi salarié industriel hors intérim

(base 100 en 2010)

Source : Insee

Ces évolutions se retrouvent également dans la balance des échanges de la France, déficitaire depuis 2004 , comme le montre le graphique suivant. Il est à souligner que ce déficit ne s'explique pas seulement par les échanges de biens avec les pays à bas salaire mais aussi (et même principalement) par notre déficit vis-à-vis des pays de l'Union européenne, qui représente près de 60 % de nos échanges avec l'extérieur.

Il s'agit donc bien avant tout d'un problème de compétitivité de l'industrie française, y compris par rapport à des pays comparables, signe d'un problème spécifique à la France.

Commerce extérieur des produits industriels de 2000 à 2018

(en milliards d'euros)

Source : Insee


* 1 En outre, la coexistence de plusieurs missions d'information sénatoriales au cours de la présente session ont conduit leurs présidents et rapporteurs à délimiter les périmètres de chacun, ce qui explique que la situation des jeunes de moins de dix-huit ans et des étudiants ne sera pas spécifiquement abordée dans ce rapport d'information.

* 2 Rapport d'information n° 403 (2010-2011), fait au nom de la mission commune d'information sur la désindustrialisation des territoires.

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