II. L'ÉGALITÉ DES CHANCES : UN PRIORITÉ AFFIRMÉE, DES POLITIQUES INSUFFISAMMENT SOUTENUES ET COORDONNÉES

L'effet persistant des inégalités liées à l'origine sociale ou géographique sur les parcours scolaires puis les perspectives d'insertion professionnelle et sociale des jeunes est une réalité que les gouvernements successifs ont soulignée, cherchant à la prendre en compte et la combattre.

On doit constater en effet que l'égalité des chances est présentée comme une priorité constante des politiques en direction de la jeunesse .

Ainsi, en annonçant le plan « agir pour la jeunesse » le 29 septembre 2009, Nicolas Sarkozy affirmait vouloir bâtir « une politique structurelle de la jeunesse ... qui doit donner une chance à chaque jeune quelle que soit son origine, quels que soient ses talents, quelles que soient ses inspirations ». François Hollande avait fait de la « priorité jeunesse » un axe fort de ses engagements et déclarait le 23 janvier 2013, dans ses voeux à la jeunesse, vouloir « lui donner toutes ses chances pour que la promesse de la République continue à être effective ... parce qu'aucun jeune, et cela vaut aussi pour leurs parents, ne doit avoir le sentiment que son destin est inscrit avant même qu'il n'ait eu le moindre diplôme, que sa vie n'est pas déterminée à l'avance ... Aucun jeune ne veut être enfermé ni dans son établissement, ni dans son quartier, ni dans son destin ». Enfin, devant le Congrès, le 9 juillet 2018, Emmanuel Macron estimait que « le modèle français de notre siècle ... doit choisir de s'attaquer aux racines profondes des inégalités de destin, celles qui sont décidées avant même notre naissance, qui favorisent insidieusement les uns et défavorisent inexorablement les autres ».

L'égalité des chances comporte de multiples dimensions ; elle est tributaire de nombreux facteurs. Concrétiser cette priorité reconnue et l'ambition maintes fois réaffirmée qui s'y attache suppose une action continue, cohérente, couvrant l'ensemble du parcours des jeunes , de l'enfance à l'entrée dans l'âge adulte, adaptée à une grande diversité de situations et sollicitant une très grande variété d'acteurs , tant au plan national que local.

Aussi, au-delà des dispositifs destinés à rétablir l'égalité des chances et des moyens qui leur sont consacrés, l'efficacité d'une telle action repose largement sur la capacité à maintenir une impulsion politique forte et à dépasser la grande dispersion des responsabilités .

Or au plan national , en dépit d'une volonté périodiquement réitérée et de réelles avancées, l'action publique demeure davantage caractérisée par l'addition et la juxtaposition de nouveaux dispositifs que par la conduite d'une politique mobilisant l'ensemble des intervenants autour d'objectifs communs et faisant l'objet d'évaluations régulières.

À l' échelon local , où se mènent nécessairement les actions concrètes susceptibles de lever les barrières auxquelles se heurtent les parcours de beaucoup de jeunes, les efforts entrepris pour articuler de manière cohérente l'action de l'ensemble des institutions et partenaires concernés demeurent encore insuffisants et doivent être amplifiés.

A. LES POLITIQUES NATIONALES EN DIRECTION DES JEUNES : UN MANQUE D'IMPULSION GLOBALE ET COHÉRENTE

Appréhender la situation des jeunes, c'est obligatoirement devoir considérer différents seuils d'âge qui jalonnent leurs parcours, avant l'école, durant la scolarité et au sortir de celle-ci, ainsi qu'une grande diversité de statuts auxquels correspondent des champs bien délimités de l'action publique : accueil du jeune enfant, scolarisation, protection de l'enfance, accès à la culture et aux loisirs, formation et insertion professionnelles...

Si les sociologues, en grande majorité, se réfèrent davantage aux « jeunesses » qu'à « la jeunesse », la mission d'information a mesuré tout au long de ses travaux qu' il n'existe guère une politique de la jeunesse, mais plutôt des politiques s'adressant aux jeunes .

Les effets de cette segmentation marquée sont particulièrement sensibles en matière de lutte contre les inégalités , car celles-ci résultent de multiples facteurs, souvent très imbriqués. En outre, la mission d'information a constaté combien il est difficile de redresser les inégalités de départ, à chaque franchissement d'étape et aux différents stades du parcours des jeunes. Bien souvent, ces inégalités s'accumulent - et donc s'accentuent - de la petite enfance et la période scolaire jusqu'à l'arrivée à l'âge adulte et l'entrée des jeunes dans la vie professionnelle, censée consacrer leur autonomie complète.

Ce constat n'est pas nouveau. L' ambition de politiques plus globales, plus transversales, plus attentives à la continuité des parcours des jeunes , s'est exprimée à plusieurs reprises. En dépit de tentatives périodiques, elle n'a pu s'ancrer dans les faits et l'on se trouve toujours aujourd'hui face à une juxtaposition de politiques. Ces politiques peuvent avoir leurs mérites, mais ne sont pas suffisamment coordonnées et orientées pour agir en profondeur sur les inégalités qui déterminent encore trop lourdement les trajectoires des jeunes.

1. Une volonté politique qui peine à s'inscrire dans la durée et à s'imposer face à la dispersion des responsabilités
a) Ambitions et limites des politiques nationales de jeunesse

Déjà il y a vingt ans, le Commissariat général du Plan soulignait que l'action des pouvoirs publics en direction des jeunes « depuis vingt ans ... a donné lieu à une prolifération d'actions, de programmes, de dispositifs s'accumulant et se succédant dans le temps et l'espace » tout en suscitant « de nombreuses critiques qui portent sur la pertinence comme sur l'efficacité des interventions réalisées », alors que « des inégalités fortes perdurent, quand elles ne se sont pas accrues ». Plus qu'à « vouloir définir et mettre en oeuvre une improbable politique "globale" de la jeunesse », il affirmait que « la jeunesse ... doit être inscrite dans l'ensemble de nos choix et non traitée comme un champ particulier », faisant de ce « devoir d'avenir » la base d'un nouveau projet collectif 34 ( * ) .

On ne peut que partager le constat et saluer l'objectif.

Celui fixé en juillet 2009, dans son « Livre vert », par la commission sur la politique de la jeunesse, présidée par Martin Hirsch, Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse, sera de définir « une ambition de toute la société pour tous ses jeunes », celle d'une jeunesse « autonome, solidaire, responsable et engagée ». Si elle juge nécessaire « une politique nationale de jeunesse à long terme », elle reconnaît toutefois « qu'il est difficile de concevoir une nouvelle politique qui traverse la jeunesse dans son ensemble », « des solutions ciblées sur une partie d'entre elle » devant être la plupart du temps privilégiées 35 ( * ) .

Aussi ce Livre vert avançait-il 57 propositions devant conduire à refonder la politique en faveur des 16-25 ans. Elles sont en partie reprises dans le « plan agir pour la jeunesse », présenté en septembre 2009, qui prévoit notamment la mise en place de plateformes régionales de suivi des décrocheurs, le développement de l'alternance et la revalorisation de l'apprentissage et l'ouverture du RSA aux jeunes actifs.

Une nouvelle impulsion est donnée en 2012, la jeunesse étant définie comme la première priorité du nouveau quinquennat. Suivant des mesures immédiates comme la création des emplois d'avenir ou le renforcement des moyens de l'enseignement primaire, un important travail réunissant une vingtaine de ministères est conduit durant six mois pour préparer la réunion, en février 2013, d'un comité interministériel de la jeunesse. Il en résulte un « plan priorité jeunesse » comportant 47 mesures portant sur la santé, le logement, les conditions de vie, la place des jeunes dans la société, relatives notamment au service public de l'orientation, à l'expérimentation des emplois francs et à la création de la Garantie jeunes. Ces mesures se doublent d'une volonté de renforcer le pilotage et le suivi des politiques en direction des jeunes , avec des réunions régulières du comité interministériel, la création d'un délégué interministériel à la jeunesse, la mise en place de tableaux de bord retraçant l'état d'avancement des objectifs fixés.

Force est de constater que la volonté de mieux structurer ces politiques et d'en assurer la lisibilité s'est quelque peu émoussée depuis 2017.

La Cour des comptes soulignait en janvier 2020 que « malgré quelques tentatives de globalisation, la politique de la jeunesse est demeurée un ensemble de politiques sectorielles peu coordonnées. Deux plans successifs, en 2009 et en 2013, ont tenté de donner une feuille de route commune aux différents ministères. Au fil du temps, le suivi global de leurs mesures a été perdu de vue même si certaines actions, telles que celles contre le décrochage scolaire, ont fait l'objet de beaucoup d'attention » 36 ( * ) .

Depuis 2017, de multiples actions ont été engagées, en particulier dans le domaine scolaire. Des moyens importants ont été mobilisés, en tout dernier lieu dans le cadre du plan « un jeune une solution » arrêté en réponse à la crise sanitaire. Mais au cours des travaux de la mission d'information, il n'est pas apparu que soient véritablement en place, à l'échelon gouvernemental, les moyens de veiller à la mise en oeuvre efficace et cohérente d'une addition de mesures en direction des jeunes qui relèvent de responsabilités dispersées. Ce constat rejoint celui effectué devant la mission d'information au sujet de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté par Louis Schweitzer, président du comité chargé de son évaluation : « Il existe donc une stratégie globale, mais pas de cohérence de pilotage global de la stratégie au niveau de l'État. » 37 ( * )

Enfin, si la mobilisation accrue d'acteurs privés - associations, entreprises - est bienvenue, comme on le voit par exemple avec le plan « mentorat », elle ne saurait justifier un étiolement des politiques publiques à destination des jeunes et des moyens humains et financiers qui y sont consacrés.

b) Des responsabilités dispersées

« Aucune politique n'est aussi segmentée que celle destinée aux jeunes », constatait le Gouvernement dans le rapport publié à l'occasion du comité interministériel de la jeunesse de février 2013.

La mission d'information l'a tout particulièrement mesuré en analysant les réponses apportées par les politiques publiques aux enjeux d'égalité des chances et d'accès des jeunes à l'autonomie , car elles passent par de multiples actions à portée éducative, sociale ou socio-culturelle impliquant une très grande diversité d'institutions ou de partenaires associatifs.

Le schéma ci-après, tiré d'une publication de l'Injep, propose une cartographie du champ couvert par les politiques en direction des jeunes.

À un titre ou à un autre, toutes ces politiques doivent concourir à l'égalité des chances, mais deux constats sont clairement apparus au fil des travaux de la mission d'information :

- d'une part, pour chacune de ces politiques, les responsabilités sont partagées entre des acteurs de niveaux différents . Ainsi, en matière de politique éducative, aux côtés des services de l'État, les collectivités locales interviennent non seulement au titre des équipements et de leur fonctionnement, mais également dans le soutien à des projets éducatifs qui font aussi appel au concours d'associations. C'est également le cas pour les politiques d'insertion, avec le rôle des missions locales mais également de multiples structures impliquées dans l'information et l'accompagnement des jeunes ;

- d'autre part, à l'échelon gouvernemental, les instruments permettant de relier ces politiques sur un objectif commun, comme celui de l'égalité des chances, sont peu développés , ce qui n'est pas de nature à dissiper un sentiment de dispersion des actions.

Schéma. Cartographie simplifiée des politiques en direction des jeunes

Source : Parisse J., Injep, 2019

La politique en faveur de la jeunesse fait l'objet, depuis 2010, d'un « document de politique transversale » annexé au projet de loi de finances. Pas moins de 20 missions budgétaires et 42 programmes sont concernés, couvrant plus de 140 actions d'importance extrêmement variable. Ainsi, sur une masse de près de 100 milliards d'euros identifiés, près des trois-quarts des crédits se concentrent sur l'enseignement du premier et du second degré, les contributions des autres programmes étant très variables.

Ce document, qui ne retrace que les interventions financières de l'État, illustre la très grande variété des dispositifs existants et des actions menées tout au long du parcours des jeunes , dans les domaines de l'éducation, de la formation, de l'insertion sociale et professionnelle, des loisirs éducatifs, sportifs et culturels, de l'engagement, mais aussi de la santé ou du logement. Il s'efforce de les présenter autour de grandes lignes directrices, mais « n'a qu'une visée informative, en aucun cas stratégique », comme l'observe la Cour des comptes dans son référé précité de janvier 2020.

À cela s'ajoutent les actions des collectivités territoriales , dans le cadre de leurs compétences propres ou de projets contractualisés avec l'État, mais aussi celles d'autres organismes publics, en premier lieu les caisses d'allocations familiales , dont les fonds d'action sanitaire et sociale financent des dispositifs de soutien répondant aux besoins spécifiques de certains jeunes et de leurs familles.

Ainsi, la situation des jeunes mobilise de très nombreux intervenants, au travers d'un ensemble hétérogène de dispositifs , plus ou moins bien connus des jeunes et de leurs familles, parfois même ignorés de certains acteurs publics ou privés intervenant dans le champ de la jeunesse quand ils ne relèvent pas de leurs responsabilités propres.

Au-delà de la lisibilité de ces politiques, c'est leur articulation et leur mise en cohérence qui pose question.

2. Des enjeux de coordination trop peu pris en compte

Comment agir contre les inégalités d'origine sociale ou territoriale et soutenir l'accès des jeunes à l'autonomie avec des leviers aussi dispersés entre secteurs de l'action publique et niveaux de responsabilité, nationale ou locales ?

Nécessairement en dépassant les cloisonnements et en assurant une bonne articulation des politiques.

Il s'agit pourtant d'un domaine dans lequel les enjeux de coordination, très bien identifiés et particulièrement forts, ne sont qu'imparfaitement pris en compte .

a) Une impulsion interministérielle insuffisante

La nécessité d'une impulsion et d'une coordination interministérielles des politiques en direction des jeunes est reconnue de longue date. Des instruments ont été mis en place. Ils doivent être pleinement mobilisés.

Le comité interministériel à la jeunesse : un fonctionnement à éclipses

Institué en 1982, le comité interministériel à la jeunesse doit réunir autour du Premier ministre « au moins deux fois par an » 38 ( * ) , selon le texte toujours en vigueur, l'ensemble des ministres concernés par les problèmes intéressant la jeunesse, en vue de proposer « toutes mesures propres à améliorer les conditions de vie des jeunes ».

Le comité interministériel à la jeunesse a été réuni à plusieurs reprises entre 1982 et 1984, puis, après six années d'interruption, en octobre 1990, pour arrêter des mesures pour une politique coordonnée en faveur des jeunes.

Après une longue éclipse de 18 ans, il est réactivé le 30 janvier 2009 pour confier au Haut-commissaire à la jeunesse un rôle de coordination visant à garantir le caractère transversal de la politique en direction des jeunes. En juillet suivant, la commission sur la politique de la jeunesse estime dans son « Livre vert » que « le comité interministériel de la jeunesse devrait se réunir au moins une fois par an, plutôt que moins d'une fois tous les dix ans ». Pourtant, aucune autre réunion n'interviendra avant la fin de législature, notamment pour suivre la mise en oeuvre du plan « agir pour la jeunesse ».

Il faut attendre le 21 février 2013 pour qu'un comité interministériel à la jeunesse soit de nouveau réuni. Au-delà des mesures arrêtées, il affirme son ambition de constituer un véritable outil de pilotage des politiques en direction de la jeunesse . Une nouvelle méthode est définie avec, en amont, des réunions de groupes de travail interministériels préparant celle - en principe annuelle - du comité et en aval, un tableau de bord, assorti d'indicateurs, de la mise en oeuvre des mesures. Le comité interministériel se réunit à nouveau à deux reprises en mars 2014 et juillet 2015.

Depuis 2017 aucune réunion du comité interministériel de la jeunesse n'est intervenue , bien qu'une telle réunion ait été publiquement annoncée pour l'automne 2019.

Recommandation : réunir le comité interministériel de la jeunesse une fois par an pour assigner leur feuille de route aux différentes administrations agissant en direction des jeunes et en suivre la mise en oeuvre.

Le délégué interministériel à la jeunesse : des moyens d'action limités

En 2014, le directeur de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative s'est vu confier les fonctions de délégué interministériel à la jeunesse 39 ( * ) .

Il est chargé d'assurer la préparation des délibérations et le suivi des décisions du comité interministériel de la jeunesse et de coordonner la mise en oeuvre des actions menées par les différents ministères en faveur des jeunes en veillant à y associer l'ensemble des acteurs et des partenaires y contribuant.

Pour l'exercice de ses missions, il peut faire appel aux services relevant d'autres ministres concernés par les questions intéressant les jeunes.

Pour la Cour des comptes, la création d'un délégué interministériel « ne s'est accompagnée ni de la mise en place d'un service voué à la coordination interministérielle, ni de la recherche active d'une coordination entre les administrations » 40 ( * ) .

En effet, en pratique, le délégué interministériel ne dispose pas d'autres moyens que ceux dévolus à la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) et dédiés aux missions propres de celle-ci : règlementation et contrôle des accueils collectifs de mineurs, soutien au réseau d'information jeunesse et au secteur associatif, financement du service civique et mise en place du service national universel. Il peut certes également s'appuyer sur l'Injep, dont le rôle doit être salué et qui constitue un remarquable observatoire et un centre d'expertise reconnu pour toutes les questions intéressant la jeunesse. Mais à l'évidence, il n'est pas dans la vocation de cet organisme, ni dans ses possibilités, d'assurer ce rôle de coordination.

Recommandation : doter le délégué interministériel à la jeunesse des moyens lui permettant d'assurer sa mission de coordination des actions menées par les différentes administrations en direction des jeunes.

Depuis 2017, la DJEPVA est rattachée au ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Cette réorganisation obéit à une certaine logique en réunissant les deux administrations les plus directement en prise avec les jeunes, l'une en charge de la politique scolaire, l'autre, avec des moyens beaucoup plus modestes, tournée vers d'autres types d'actions éducatives et disposant de compétences transversales sur les questions de jeunesse.

Effective pour les services régionaux et départementaux depuis janvier 2021 41 ( * ) , elle peut constituer un atout pour renforcer la continuité éducative des politiques publiques dans et hors de l'école et pour ouvrir davantage l'éducation nationale vers les autres politiques en direction des jeunes.

Le risque est grand néanmoins qu'elle se traduise, en particulier dans les départements, comme on l'a vu pour d'autres réorganisations de services de l'État, sous couvert de mutualisation, par une contraction des moyens et une fragilisation des missions jusqu'alors exercées par les services de la jeunesse et des sports.

Ces incertitudes quant au devenir des moyens d'action de la DJEPVA renforcent bien entendu les interrogations sur sa réelle capacité à exercer la mission de coordination entre administrations qui lui est confiée depuis 2014.

Recommandation : veiller au maintien des moyens humains affectés aux questions de jeunesse dans les services déconcentrés de l'État.

Le conseil d'orientation des politiques de jeunesse : une instance dont les travaux méritent un suivi plus attentif

La création en 2016 du conseil d'orientation des politiques de jeunesse 42 ( * ) témoignait d'une double volonté de renforcer l'approche transversale des questions de jeunesse et d'impliquer davantage les représentants des jeunes dans la définition et le suivi des politiques qui les concernent.

Placé auprès du Premier ministre, il contribue à la coordination et à l'évaluation des politiques publiques relatives à la jeunesse de 16 à 30 ans, à l'éducation populaire et au dialogue entre les acteurs concernés par ces politiques. Le Premier ministre peut lui soumettre toute question en matière de politique de jeunesse, d'éducation populaire ou relative à l'insertion professionnelle des jeunes et le consulter sur les textes en préparation. Il peut aussi adresser au Gouvernement toutes propositions relatives aux politiques publiques de jeunesse et d'éducation populaire 43 ( * ) .

Il est composé de représentants des mouvements de jeunesse et d'éducation populaire, des partenaires sociaux et de grandes associations nationales, mais aussi des administrations, des collectivités territoriales et d'organismes tels que les caisses de sécurité sociale ou les missions locales.

Le conseil d'orientation des politiques de jeunesse a produit un ensemble extrêmement riche d'avis et de rapports sur des sujets tels que l'insertion des jeunes et l'évolution de la Garantie jeunes, la mise en place du service national universel ou les actions éducatives hors milieu scolaire.

Son rôle est strictement consultatif, mais dans un domaine où les responsabilités sont dispersées et les politiques souvent trop cloisonnées, la plus-value d'une telle instance réside dans l' approche transversale des questions concernant la jeunesse que lui permet sa composition.

Aussi est-il regrettable que, comme l'ont notamment souligné les représentants des organisations de jeunesse, ses travaux ne suscitent pas davantage de retours de la part des instances gouvernementales. Il en est ainsi par exemple des préconisations émises sur le revenu universel d'activité ou l'évolution de la Garantie jeunes. Arguant de réflexions en cours, le Gouvernement ne s'est guère exprimé sur les suites pouvant être données aux propositions du conseil d'orientation des politiques de jeunesse.

b) Des initiatives innovantes à la pérennité menacée

La nécessité de nouvelles approches, pour mieux répondre aux difficultés rencontrées par les jeunes à différents stades de leur parcours, a suscité des modes d'action innovants, destinés à articuler et même dépasser les politiques sectorielles conduites par des administrations centrées sur leurs compétences propres.

L'un de leurs premiers terrains de mise en oeuvre a certainement été celui de la politique de la ville, qui a rapproché administrations et acteurs locaux pour appréhender de manière plus globale et dans toutes leurs dimensions, à l'échelle de quartiers, les facteurs pesant sur les perspectives d'insertion sociale et professionnelle des jeunes.

Un pas supplémentaire a été fait en 2008, avec l'adoption par le Sénat d'un amendement gouvernemental créant le fonds d'expérimentation pour la jeunesse (FEJ) 44 ( * ) .

Ce fonds a pour objet de financer des programmes expérimentaux visant à favoriser la réussite scolaire des élèves et à améliorer l'insertion sociale et professionnelle des jeunes de moins de 25 ans, au moyen de dotations de l'État, de ses opérateurs et de partenaires privés.

Ces programmes, sélectionnés sur appels à projets et portés par des administrations, collectivités, acteurs privés ou associatifs, peuvent s'inscrire dans une démarche nationale ou répondre à des besoins spécifiques identifiés sur un bassin de vie. Dans les deux cas, ils associent étroitement expérimentation et évaluation.

Il s'agit bien, avec ce fonds, d' encourager des pratiques novatrices dans les politiques, nationales ou locales, en direction des jeunes , tout en fournissant les éléments d'appréciation nécessaires, en termes de résultats et de coûts, avant toute décision de pérennisation ou de déploiement à plus grande échelle.

Dans le même esprit a été instituée en 2014, dans le cadre du deuxième programme d'investissements d'avenir (PIA) une ligne budgétaire consacrée à des projets innovants en faveur de la jeunesse . Ici encore, l'objectif est de favoriser des formes nouvelles de partenariats entre acteurs publics et privés, en vue notamment de résorber les inégalités sociales et éducatives entre jeunes , avec une volonté explicite de surmonter les cloisonnements .

L'appel à projets vise à susciter « l'émergence de politiques de jeunesse globales et intégrées, qui permettent de traiter les problématiques des jeunes de façon globale et cohérente à l'échelle d'un territoire, en évitant l'écueil d'une juxtaposition d'initiatives sectorielles non harmonisées » 45 ( * ) .

La coexistence de deux supports distincts aux modalités de gestion différentes comme la très grande complexité des circuits de financement ne contribuent pas à la lisibilité de ces dispositifs et rendent leur suivi d'exécution particulièrement difficile 46 ( * ) .

Néanmoins, ce sont près de 900 projets qui ont été soutenus depuis plus de dix ans, avec des résultats significatifs .

Les enseignements tirés des expérimentations financées par le FEJ ont ainsi contribué à la mise en place des plateformes de repérage et de lutte contre le décrochage scolaire, au renforcement de l'association des parents à la scolarité (« malette des parents »), au déploiement de la Garantie jeunes, aux territoires zéro chômeur de longue durée. Le FEJ a également appuyé l'essaimage de projets, particulièrement dans le domaine de la petite enfance (projet « parler bambin » sur l'accroissement des compétences langagières dès la crèche), en matière scolaire (persévérance scolaire, éducation par la recherche) et sur l'accompagnement à la création d'entreprise (« groupements de créateurs »).

Quant au programme d'investissements d'avenir , il s'est concentré sur des projets visant des politiques intégrées de jeunesse à l'échelle d'un territoire. Les expérimentations, toujours en cours, ont notamment porté sur la coopération entre acteurs des politiques locales de jeunesse en Bretagne, la mise en place de référents jeunesse dans les Deux-Sèvres, la définition d'un projet multipartenarial avec et pour les jeunes à l'échelle du département de l'Ardèche ou encore la coopérations autour de thématiques spécifiques concernant les jeunes à La Réunion 47 ( * ) .

Au total, plus de 300 millions d'euros ont été mobilisés autour de ces expérimentations depuis 2009. Cependant, le FEJ n'est plus alimenté et au-delà de l'achèvement des expérimentations en cours, les dotations disponibles pour lancer de nouveaux projets arrivent à épuisement , puisqu'elles se situent désormais autour de 10 millions d'euros.

Lors de son audition, la directrice de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative a souligné l'importance du soutien de l'État à des démarches innovantes, assorties d'évaluation. Mais elle n'a pu s'engager sur la pérennisation, sous une forme ou sous une autre, d'un instrument particulièrement utile et nécessaire.

Sans doute peut-on s'interroger, au vu du nombre de projets engagés depuis l'origine, sur les risques de dispersion ou de saupoudrage et sur la capacité à mener systématiquement des évaluations suffisamment pertinentes pour en tirer des enseignements.

Pour autant, l'action publique est loin d'être optimale dans ses réponses aux difficultés et inégalités qui influent sur la trajectoire des jeunes. En la matière, le champ de l'innovation reste encore largement à défricher. L'expertise acquise dans le cadre du FEJ mérite d'être pleinement utilisée.

Il est indispensable de pérenniser le soutien aux initiatives innovantes , en dégageant dès cette année les financements nécessaires au lancement de nouveaux projets , ce qui n'exclut pas une réévaluation des modalités du FEJ, notamment un ciblage autour d'un nombre limité de thématiques.

Recommandation : pérenniser un fonds de soutien aux initiatives innovantes dans le domaine des politiques de jeunesse, sur le modèle du fonds d'expérimentation de la jeunesse.


* 34 Commissariat général du Plan, Jeunesse, le devoir d'avenir , rapport de la commission présidée par Dominique Charvet, mars 2001.

* 35 Commission sur la politique de la jeunesse, Livre vert , juillet 2009.

* 36 Cour des comptes, Référé sur l'action en faveur de la jeunesse conduite par la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative , 24 janvier 2020.

* 37 Audition de M. Louis Schweitzer, 26 mai 2021.

* 38 Article 3 du décret n° 82-367 du 30 avril 1982 portant création d'un comité interministériel de la jeunesse.

* 39 Décret n° 2014-18 du 9 janvier 2014.

* 40 Cour des comptes, Référé sur l'action en faveur de la jeunesse conduite par la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative , 24 janvier 2020.

* 41 Des délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (Drajes) sont désormais créées auprès des recteurs de région académique. Des services départementaux à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (Sdjes) sont installés auprès des inspecteurs d'académie-directeurs académiques des services de l'éducation nationale (IA-Dasen).

* 42 Par fusion de trois instances : le conseil national de l'éducation populaire et de la jeunesse, le conseil national de la jeunesse et le conseil national des missions locales.

* 43 Décret n°2016-1377 du 15 octobre 2016.

* 44 Article 25 de la loi n° 2008-1249 du 1 er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion.

* 45 Convention du 20 décembre 2016 portant avenant n° 2 à la convention du 10 décembre 2014 entre l'État et l'ANRU relative au programme d'investissements d'avenir action : « Projets innovants en faveur de la jeunesse ».

* 46 Le FEJ est alimenté par des crédits publics et a également reçu, pour un quart environ de ses ressources, des contributions d'entreprises privées, principalement Total (plus de 45 millions d'euros versés) et, dans le cadre de dispositions fiscales spécifiques, d'entreprises ultramarines. Le lancement des projets et leur évaluation incombent à l'Injep mais la gestion financière du fonds est confiée à la Caisse des dépôts et consignations. Les dotations inscrites au PIA 2, quant à elles, ont pour une part abondé le FEJ et pour l'autre part, à hauteur de 54 millions d'euros, été transférées à l'Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) qui a lancé 16 projets locaux.

* 47 Une analyse de ces expérimentations, effectuée sous l'égide de l'Injep, a été publiée en septembre 2019 dans les Cahiers de l'action, n° 54 , Politiques intégrées de jeunesse : une action publique renouvelée ?

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