C. DES INÉGALITÉS SOCIALES ET TERRITORIALES QUI PERSISTENT TOUT AU LONG DU PARCOURS SCOLAIRE

En dépit des réformes successives et de l'image longtemps entretenue de « l'école Ferry » garante d'un traitement égalitaire des élèves, le système scolaire français ne parvient toujours pas à résorber les inégalités liées à la naissance des individus, voire les accentue .

1. Un impact déterminant du milieu social sur l'obtention des diplômes

Le contexte global d'amélioration de l'accès à l'éducation, et en particulier l'élévation générale du niveau de diplôme en France au XX e siècle, a également bénéficié aux enfants les moins favorisés, mais dans des proportions moindres qu'à ceux nés dans des familles plus aisées . Ainsi, si le taux de réussite au baccalauréat a progressé de 19,6 points entre 1987 et 2019 , cette hausse recouvre de persistantes inégalités d'accès au diplôme en fonction du milieu social d'origine.

Les écarts d'obtention d'un diplôme du secondaire se sont toutefois réduits. Selon la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l'éducation nationale, parmi les élèves entrés en 6 e en 1995, la proportion d'enfants d'ouvriers non qualifiés sortis sans diplôme atteignait 33 % contre 8 % parmi les enfants de cadres. Douze ans plus tard, cette proportion atteignait respectivement 19 % et 4 %.

En 2018, 93,7 % des élèves dont la mère détenait un diplôme de l'enseignement supérieur obtenaient le baccalauréat, contre 58,1 % seulement des élèves dont la mère est sans diplôme 20 ( * ) et un tiers des enfants d'ouvriers non qualifiés et moins d'un enfant d'inactifs sur quatre 21 ( * ) .

Plus largement, si plus de neuf enfants de cadres ou d'enseignants sur dix deviennent bacheliers, ce n'est le cas que des deux tiers des enfants d'ouvriers non qualifiés , un enfant de cadres ayant onze fois moins de risque de sortir du système scolaire sans diplôme qu'un enfant dont l'un des parents est inactif.

Par la suite, ces inégalités persistent dans l'enseignement supérieur, dès lors que 67 % des enfants de cadres obtiennent un diplôme de l'enseignement supérieur au-delà de la licence, contre seulement 16 % des enfants d'ouvriers .

2. De fortes divergences de niveau scolaire selon l'origine sociale qui se creusent tout au long de la scolarité

On observe une forte corrélation entre les résultats scolaires et l'origine sociale , et ce dès l'entrée en cours préparatoire, dans un sens défavorable aux enfants issus de familles modestes. Les enquêtes de la DEPP, menées chaque année, permettent d'établir un panorama global du niveau des élèves, et constituent un outil robuste de comparaison, notamment selon l'origine sociale des élèves.

Ces enquêtes démontrent qu'en début de CP, la maîtrise des compétences lexicales est déjà expliquée pour 30 % par l'origine sociale .

Ces inégalités de résultats se creusent tout au long de l'école primaire. Ainsi, à la fin du CM2, si l'ensemble des élèves voient leurs performances en mathématiques et en français chuter par rapport aux années 1980, la baisse est de plus grande ampleur pour les élèves de milieux moins favorisés , tandis que ceux de milieux plus aisés résistent mieux à la baisse générale de niveau.

Score en calcul des élèves en CM2 selon le milieu social

Source : mission d'information d'après la DEPP, enquêtes « Lire, écrire, compter »

Ces inégalités se propagent tout au long de la scolarité. Ainsi, selon l'enquête Cedre de la DEPP, moins de 2 % des enfants de cadres sont déjà en retard à l'entrée en sixième, contre 7 % des enfants d'ouvriers . La proportion d'élèves en retard est jusqu'à 7 fois plus grande lorsque les parents sont inactifs que lorsqu'ils sont enseignants 22 ( * ) .

Proportion d'élèves en retard à l'entrée en sixième à la rentrée 2019
selon l'origine sociale de l'élève, en %

Source : DEPP

Le niveau de l'établissement scolaire se reflète fortement sur la réussite scolaire des enfants. Dans les 20 % de collèges les plus favorisés socialement, les taux de maîtrise des compétences fondamentales s'élèvent à 92,4 % pour le français et 82,7 % pour les mathématiques, contre respectivement 70 % et de 49,2 % dans les collèges les moins favorisés 23 ( * ) . Un écart comparable peut être constaté dans le cas des lycées. Dans les 20 % des lycées les plus favorisés, le taux de maîtrise est de 92,8 % en français et 90,9 % en mathématiques, soit deux fois plus dans les 20 % de lycées les moins favorisés (57,6 % et de 44,7 % selon les disciplines) 24 ( * ) .

Plus généralement, les comparaisons menées dans le cadre de l'OCDE permettent de déterminer que la France est l'un des pays où l'origine sociale conditionne le plus fortement le parcours scolaire des enfants.

L'enquête PISA comprend notamment une mesure du poids du statut économique de la famille (l'indice de statut économique, social et culturel ou SESC) sur les résultats scolaires des enfants. La France est le pays de l'OCDE où ce lien est le plus étroit. En 2018, l'écart de réussite entre les élèves de milieu social favorisé et défavorisé atteignait 107 points en France, du même ordre que celui constaté en Allemagne et en Belgique, et très nettement au-dessus de la moyenne de l'OCDE (89 points). Cet écart est cependant comparable à celui observé dix ans plus tôt, soit 110 points en France en 2009 25 ( * ) .

Un rapport du Cnesco 26 ( * ) résume assez crûment la situation française : « les disparités sociales se cumulent pour constituer des contextes d'apprentissages particulièrement peu favorables pour les élèves socialement défavorisés. Regroupés le plus souvent dans certains établissements « ghettos », du fait de phénomènes forts de ségrégations sociales, ces élèves se voient offrir des temps d'enseignement plus courts, des méthodes d'apprentissage moins efficaces, par un personnel moins expérimenté et surtout moins stabilisé dans les établissements. » S'agissant de ce dernier aspect, à la rentrée 2016, les 10 % de communes françaises au revenu médian le plus faible ont un taux d'enseignants de moins de 30 ans dans les collèges publics deux fois plus élevé que les 10 % de communes au revenu médian le plus élevé .

Enfin, l'école ne parvient pas pour autant à gommer les inégalités de résultats qui tiennent aux conditions de vie. La DEPP souligne notamment dans ses études un « effet vacances scolaires » 27 ( * ) , les compétences des élèves issus de milieu défavorisés chutant de façon plus importante entre CP et CE1 du fait des vacances d'été et de l'éloignement de l'école qui en résulte.

3. Les écarts de résultats des élèves varient également selon les territoires
a) Malgré l'apparente unité du système éducatif français, une forte différenciation territoriale des résultats scolaires

Les évaluations nationales menées par la DEPP permettent d'établir le caractère géographiquement disparate des résultats des élèves, et ce à tous les niveaux et dans toutes les disciplines . En classe de 6 e par exemple, le taux de maîtrise des compétences fondamentales en français s'étend entre 90,1 % à Paris et 79,4 % dans l'académie d'Amiens, voire 30 % à Mayotte et 51,5 % en Guyane . En mathématiques, le taux de maîtrise des compétences fondamentales est en baisse dans l'ensemble des académies, mais reste plus élevé à Paris (78,3 %) qu'ailleurs, et descend jusqu'à 62 % à Créteil et 60 % en Corse. Là encore, les territoires ultramarins se caractérisent par des taux de maîtrise extrêmement faibles, 12 % à Mayotte et 30 % en Guyane, et 50 % dans les autres départements d'outre-mer 28 ( * ) . L'écart moyen de niveau aux évaluations nationales entre les élèves de sixième les plus ou les moins favorisés est ainsi en 2020 de 23,5 points s'agissant des compétences en français et de 42 points en mathématiques.

Écart de maîtrise en français entre les élèves de sixième
les plus favorisés et les moins favorisés en 2020

Source : DEPP, Géographie de l'école 2021

La DEPP construit un indicateur permettant de mesurer la probabilité qu'aurait un jeune de sixième, une année donnée, de réussir l'examen du baccalauréat s'il rencontrait tout au long de son parcours les conditions scolaires que connaissent les autres jeunes cette année-là. À la session 2019, l'espérance d'obtenir le baccalauréat pour un élève de sixième variait de 54,1 % à Mayotte à 82,2 % à Paris.

En 2017, la part de jeunes âgés de 16 à 25 ans qui ont quitté le système éducatif sans obtenir de diplôme est particulièrement faible à Paris (3,4 %) et dans l'académie de Rennes (6,2 %) et en dessous de 9 % dans une moitié des académies, qui se regroupent principalement sur le front Ouest de la France. Elle s'élève à plus de 10 % dans les académies d'Amiens et Lille, en Corse et dans les départements d'outre-mer.

Ces inégalités sont également très présentes au niveau infra régional. Le Cnesco a notamment mené des analyses à l'échelle des quartiers dans les trois académies d'Île de France 29 ( * ) . Les taux de réussite aux épreuves écrites du brevet y varient du simple au double : 57,5 % de réussite dans les territoires parisiens et de banlieue très favorisés et 24,3 % dans les territoires cumulant le plus de difficultés socioéconomiques , contre 42,8 % en moyenne pour la région Île-de-France dans son ensemble.

Il est ainsi possible de dresser une cartographie fine des territoires, et de chances dont disposent les élèves qui y étudient.

Cartographie des zones à risque social d'échec scolaire

Source : Atlas des risques sociaux d'échec scolaire, DEPP, 2016

Selon le rapport du Cnesco de 2016 précédemment mentionné, « la liste des inégalités territoriales propres à l'école est longue : temps de transports longs dans les communes peu denses, des internats qui ne couvrent pas l'ensemble du territoire, une concentration d'enseignants jeunes et de contractuels dans les zones les plus en difficulté, un nombre d'élèves par classe qui peut être très variable, des budgets différenciés selon les collectivités territoriales, une réussite aux examens clivante, un redoublement qui peut varier du simple au double ou encore des orientations contraintes » 30 ( * ) .

b) Une opposition entre élèves ruraux et urbains accentuée par un ciblage des dispositifs d'éducation prioritaire sur les zones urbaines

La géographie de l'école prioritaire, qui concerne un cinquième des élèves français, se veut un palliatif à ces inégalités territoriales. Toutefois, le réseau d'éducation prioritaire est indexé sur la politique de la ville.

En conséquence, elle conduit à laisser de côté une part importante des élèves, en particulier ceux scolarisés dans les zones rurales.

Ces derniers obtiennent jusqu'au collège des résultats similaires à la moyenne nationale, voire légèrement supérieurs. En revanche, après la 3 e , les élèves des communes les plus rurales s'orientent davantage vers l'enseignement professionnel que ceux scolarisés en zone urbaine 31 ( * ) . Seuls 46 % des élèves résidant dans des communes éloignées très peu denses ont obtenu un baccalauréat général ou technologique, contre 60 % pour les élèves dans une commune urbaine très dense. À partir du lycée, les parcours scolaires d'une partie des jeunes résidant dans les territoires ruraux sont marqués par des écarts à la moyenne voire des difficultés, selon une ampleur comparable aux élèves de l'éducation prioritaire. Ce constat est accentué par le fait que certains territoires ruraux voient se cumuler des difficultés sociales qui influencent mécaniquement les résultats scolaires.

Les élèves en zones rurales sont très dépendants des transports scolaires. Selon le rapport de la mission Territoires et réussite précédemment cité, plus de 4,2 millions d'élèves, soit plus de 30 % , utilisent quotidiennement les transports en commun 32 ( * ) .

Indice d'éloignement moyen des collèges au domicile en 2019

Source : DEPP, Géographie de l'école, 2021

Si les jeunes issus de certains territoires ruraux poursuivent leurs études supérieures, cela implique bien souvent de quitter le territoire. La mobilité sociale implique dès lors une mobilité géographique, au détriment des départements les plus ruraux.

Comme l'indique le rapport de la mission Orientation et égalité des chances dans la France des zones rurales et des petites villes, dont les travaux ont été publiés en 2020, « cette fracture est longtemps restée sous les radars des pouvoirs publics, la ruralité demeurant la grande absente des statistiques de l'Éducation nationale et les contraintes territoriales effacées au profit de contraintes sociales ou de critères de réussite scolaire - à l'exception du cadre de la politique de la ville » 33 ( * ) .

La mission considère qu'il est crucial d'intégrer davantage la dimension rurale et l'éloignement des territoires dans la construction des politiques éducatives au niveau de chaque académie.

Reproduction sociale et système éducatif :
le point de vue d'une « transfuge de classe »

Au cours des auditions qu'elle a organisées, la rapporteure a pu s'entretenir avec Rose-Marie Lagrave, sociologue, ancienne directrice d'études à l'EHESS. Celle-ci a publié en 2021 Se ressaisir. Enquête autobiographique d'une transfuge de classe féministe , ouvrage dans lequel elle retrace son parcours personnel, du milieu rural où elle est née, dans une famille modeste et nombreuse, à la carrière d'enseignement et de recherche menée dans une grande institution nationale.

Pour Rose-Marie Lagrave, de tels parcours constituent des exceptions à une reproduction sociale qui demeure largement la règle.

S'arracher aux déterminismes sociaux ne résulte, à son sens, ni de dons innés, ni de la simple volonté personnelle, les parcours ascendants n'étant jamais individuels. Elle évoque elle-même les différents appuis, qu'ils soient institutionnels (famille, école, État ...) ou individuels (un instituteur, un directeur de lycée ...), sur lesquels elle a pu compter aux différentes étapes de son parcours.

Le système scolaire reste, à ses yeux, le principal creuset de reproduction des inégalités sociales, la promotion scolaire de quelques-uns masquant la relégation du plus grand nombre, alors que la massification de l'accès à l'école et aux diplômes apparaissent plutôt comme une démocratisation ségrégative.


* 20 Note d'information DEPP 20.07.

* 21 Audition de Mme Fabienne Rosenwald, directrice de la DEPP, 4 mars 2021.

* 22 Audition de Mme Fabienne Rosenwald, directrice de la DEPP, 4 mars 2021.

* 23 Note d'information DEPP 20.13.

* 24 Note d'information DEPP 20.24.

* 25 DEPP, L'Europe de l'éducation en chiffres , 2020.

* 26 Conseil national d'évaluation du système scolaire, Comment l'école amplifie-t-elle les inégalités sociales et migratoires ? , septembre 2016.

* 27 Annexe 14 au rapport général n° 138 (2020-2021) de M. Gérard Longuet, fait au nom de la commission des finances du Sénat, novembre 2020.

* 28 DEPP, État de l'école 2020 .

* 29 Cnesco, Panorama des inégalités scolaires d'origine territoriale dans les collèges d'Île-de-France , 2018.

* 30 Cnesco, Panorama des inégalités scolaires d'origine territoriale en France , 2018.

* 31 DEPP, note d'information 19.35.

* 32 Rapport Mission Territoires et réussite, Ariane Azéma et Pierre Mathiot, novembre 2019.

* 33 Mission orientation et égalité des chances dans la France des zones rurales et des petites villes, Restaurer la promesse républicaine, Salomé Berlioux, présidente de l'association Chemins d'avenirs, mars 2020.

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