II. LES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION POUR RÉDUIRE L'ÉLOIGNEMENT ET L'ISOLEMENT DES FEMMES RURALES, EN CONJUGANT SOLUTIONS DE MOBILITÉ ET DE PROXIMITÉ

Forte de ces différents constats et de témoignages recueillis à la fois lors d'auditions et via sa consultation en ligne, la délégation formule huit recommandations de nature à réduire l'éloignement et l'isolement des femmes rurales. Elles s'articulent autour de deux grands axes qui doivent se conjuguer :

- faciliter la mobilité des femmes, en rendant plus accessibles et en diversifiant les solutions en la matière ;

- faire venir les services au plus près des femmes.

A. RENDRE PLUS ACCESSIBLES ET DIVERSIFIER LES SOLUTIONS DE MOBILITÉ

1. Faciliter l'accès au permis de conduire et à des véhicules individuels

L'examen du permis de conduire est en France à la fois particulièrement difficile et coûteux , comme l'a souligné Sylvie Landriève, co-directrice du Forum Vies Mobiles : « Aux États-Unis, il est possible d'obtenir le permis en deux jours et l'accidentologie n'y est pas supérieure à notre pays. Nous devrions peut-être nous interroger sur les raisons des accidents en France. La difficulté à passer l'examen ne semble pas y remédier . »

Afin de faciliter son obtention, la délégation estime essentiel de davantage accompagner l'apprentissage des compétences « mobilité » . Elle souhaite reprendre à son compte une proposition de la FNCIDFF tendant à intégrer cet apprentissage dans le parcours scolaire, dans le prolongement des attestations et brevet de sécurité routière (ASSR 1 et 2 et BSR), et apporter son soutien aux initiatives déjà existantes en la matière.

Ainsi, l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) a soutenu un appel à projet des missions locales, qui vise à permettre aux jeunes de s'entraîner sur des simulateurs de conduite en complément des heures de conduite dispensées dans les auto-écoles, afin de mieux les préparer et de les mettre en confiance tout en limitant le nombre d'heures de conduite. Cette mesure est suivie selon un filtre genré. Vingt-quatre missions locales ont d'ores et déjà installé de tels simulateurs de conduite.

Certains CIDFF, dont celui de l'Ardèche par exemple, travaillent avec des plateformes de mobilité sur leur territoire. Celles-ci aident les bénéficiaires à réaliser un bilan de compétences « mobilité », identifier leurs besoins, trouver le mode de transport adapté et se repérer dans les réseaux de transport existants. La plateforme peut ensuite proposer un module de découverte de la conduite et fournir des aides, par exemple pour préparer le permis de conduire auprès d'une auto-école sociale ou bien acheter, louer ou réparer un véhicule.

Ces plateformes permettent de mieux faire connaître les aides au permis de conduire existantes, qui sont nombreuses . Ainsi, des aides sont octroyées par Pôle emploi et par certaines collectivités, des aides et prêts spécifiques existent pour les jeunes et les apprentis, le compte personnel de formation peut être utilisé, des auto-écoles sociales et solidaires ou l'auto-école en ligne En Voiture Simone proposent des formules à prix réduit, etc. Des initiatives parfois très locales existent. Ainsi, dans sa réponse à la consultation, une élue a évoqué la ville de Bar-sur-Aube qui propose des aides aux permis de conduire en échange d'heures de bénévolat auprès du monde associatif.

La délégation souhaite aussi souligner le rôle des garages solidaires qui permettent de se former à la mécanique et d'entretenir sa voiture à moindre coût, comme elle l'avait mis en avant dans son rapport précité de 2016 sur les femmes et l'automobile.

Recommandation n° 1 : Intégrer dans le parcours scolaire l'apprentissage du code de la route, développer les simulateurs de conduite et mieux faire connaître les aides au permis de conduire.

Le recours à des véhicules à deux roues, motorisés ou non, peut également constituer une option.

Le CIDFF du Puy-de-Dôme a pu acheter, grâce à une subvention du conseil départemental, deux vélos électriques, deux vélos classiques et un scooter électrique. En lien avec la plateforme de mobilité, dix ateliers de prise en main et trois ateliers théoriques ont été organisés. Ces vélos et scooters pourront ensuite être mis à disposition des femmes pour lever les freins à la mobilité dans le cadre de futurs entretiens d'embauche, de prises de postes et d'entrées en formation.

Pour autant, les femmes étant très largement responsables des déplacements d'accompagnement, il importe de ne pas perdre de vue que les deux-roues ne peuvent constituer qu'une solution d'appoint. La définition actuelle de politiques de mobilité soutenant une mobilité douce et « décarbonée » ne saurait occulter cette spécificité des déplacements féminins en milieu rural notamment.

2. Développer des transports publics collectifs réguliers ou à la demande, éventuellement mutualisés

Au-delà de la mobilité individuelle, les transports publics collectifs ont évidemment un rôle important à jouer, qu'il s'agisse des cars grand public, des petites navettes communales ou intercommunales ou des cars scolaires. La loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités a étendu à tout le territoire, y compris les zones rurales, le périmètre des autorités organisatrices de mobilité (AOM), leur donnant de nouvelles possibilités d'action.

Sylvie Landriève a évoqué devant la délégation l'exemple de la Suisse et de son système de desserte de l'ensemble des villages de plus de 200 habitants, au moins six fois par jour par car postal. La desserte de l'ensemble du territoire y est vraiment considérée comme une question de service public.

Sans aller jusqu'à l'adoption d'un tel modèle, il est indéniable que les collectivités doivent s'engager en la matière. Avant même d'envisager la création de nouvelles lignes ou de nouveaux réseaux, la possibilité de mutualisation de l'offre existante doit être examinée.

Sylvie Landriève a ainsi mentionné les travaux menés par Vincent Kaufmann en Ardèche. Ce dernier a montré que le système de spécialisation des transports limitait le nombre de personnes pouvant avoir accès à l'offre de transport.

Cependant, une mutualisation des transports soulève des problèmes juridiques et financiers. Des contraintes administratives doivent être levées.

Certaines collectivités sont parvenues à surmonter ces contraintes. Tel est le cas de la région Sud qui a offert la possibilité, sur les territoires des Hautes-Alpes et des Alpes-de-Haute-Provence, principalement ruraux, d' ouvrir les transports scolaires à tous les publics . Chacun peut les emprunter selon un calendrier scolaire et des horaires définis.

Comme l'a exposé Corinne Mérand Leprêtre, cheffe du service « Réseau transports des Alpes-de-Haute-Provence et Hautes-Alpes » à la région Sud devant la délégation, le transport scolaire peut être un levier d'autonomisation pour les femmes à un double titre : il « peut offrir à la population locale, féminine ou non, une solution de transport » mais aussi « constituer un outil pour libérer du temps de vie aux femmes [car] lorsqu'il existe, il leur permet d'avoir du temps à consacrer à elles-mêmes ou à d'autres activités . »

En effet les déplacements domicile-école, qui sont assurés majoritairement par les mères, demandent plus de logistique à la campagne qu'en ville : 34 % des enfants de 6 à 10 ans sont scolarisés en-dehors de leur commune de résidence, contre 12 % des enfants du même âge qui résident en ville.

Comme le mentionnent des participantes à la consultation en ligne de la délégation, le transport scolaire pourrait également être utilisé pour conduire aux loisirs les mercredis et samedis.

Cependant, le transport scolaire est complexe à organiser, notamment en raison d'un déficit de conducteurs qualifiés, le permis D (transport en commun) étant nécessaire pour transporter plus de huit personnes au sein d'un véhicule .

Le permis D coûte environ 2 500 euros, un coût non négligeable. Partant, la délégation appelle au développement d'aides pour préparer le permis D, comme cela existe pour le permis B.

Le recrutement de davantage de conducteurs suppose également d'autoriser une mixité d'emploi, le transport scolaire ne proposant pas suffisamment d'heures de travail au conducteur pour lui verser une rémunération convenable.

Recommandation n° 2 : Encourager le développement de transports publics collectifs accessibles à tous en finançant la préparation du permis D et en facilitant le recrutement de conducteurs qualifiés.

Les transports publics ponctuels ou à la demande peuvent également constituer une solution .

L'Ile-de-France a identifié quarante territoires ruraux dans lesquels la région offre un service de transport à la demande.

La région Sud a également mis en place sur les territoires du Var et des Alpes-Maritimes des TAD (« transports à la demande »), des transports en commun sur réservation. Les personnes appellent la veille de leur déplacement et indiquent leur destination. L'itinéraire est ensuite établi en fonction des réservations.

Cependant, selon Corinne Mérand Leprêtre, « ces TAD représentent un réel coût pour la collectivité. En moyenne mensuelle, nous transportons sur ces deux territoires 118 personnes pour approximativement 1 000 trajets, soit sept trajets par personne en moyenne, pour un coût de 1 300 euros mensuels par personne transportée. Le montant de cette dépense pourrait être mis à profit pour des solutions plus optimisées, moins onéreuses, pouvant satisfaire un public plus nombreux . »

Afin de minimiser les coûts tout en répondant aux besoins des usagers et usagères, la délégation est favorable à une généralisation des dispositifs d'« arrêts à la demande », permettant aux femmes de descendre du car au plus près de leur domicile.

Elle soutient également la mise en place de transports publics ponctuels, permettant de répondre, de façon ciblée, à des besoins clairement identifiés. Une élue de l'Aveyron a ainsi évoqué l'existence dans sa commune d'un système de navette pour se rendre au marché une fois par semaine. Une élue des Côtes-d'Armor évoque quant à elle l'instauration par son EPCI d'une navette gratuite reliant certaines communes du territoire à la ville centre et d'une navette estivale reliant quelques villes côtières.

Recommandation n° 3 : Encourager les collectivités à développer des transports publics ponctuels et/ou autorisant les « arrêts à la demande ».

3. Soutenir des modes de transport alternatifs

Des modes de transport alternatifs ont émergé dans les territoires, tels que le covoiturage ou les transports privés à but social.

Interrogés par la FNCIDFF, à la demande de la délégation, sur les pratiques de mobilité innovantes dans leurs territoires, les exemples de plateformes de covoiturage sont les plus cités par les CIDFF. Certains sont gratuits, comme Rezo Pouce qui cherche à organiser et sécuriser la pratique de l'auto-stop en zone rurale et périurbaine.

Ces réseaux peuvent être soutenus par les collectivités. La loi précitée d'orientation des mobilités autorise les autorités organisatrices de la mobilité à subventionner des co-voitureurs . Des décrets d'application fixent les conditions dans lesquelles peuvent être réalisés ces covoiturages.

Ainsi, la région Centre-Val-de-Loire soutient les associations de covoiturage solidaire. De même, la Région Bretagne, le département du Finistère, Rennes Métropole, Nantes Métropole, Brest Métropole, la CARENE St Nazaire Agglomération et l'État (DREAL Bretagne) se sont réunis en groupement de commande avec le soutien de l'ADEME afin de développer la plateforme ouestgo , qui propose des covoiturages du quotidien et notamment des covoiturages solidaires à destination de personnes en situation d'insertion professionnelle.

Quelques réseaux sécurisés pour les mineurs existent également mais semblent encore peu développés.

En outre, ainsi que l'a exposé Corinne Mérand Leprêtre, cheffe du service « Réseau transports des Alpes-de-Haute-Provence et Hautes-Alpes » à la région Sud devant la délégation, les décrets d'application de la loi d'orientation des mobilités laissent un vide quant à la possibilité de subventionner du covoiturage scolaire . Des expérimentations gagneraient à être menées en la matière, tout en les encadrant juridiquement afin de préciser les responsabilités partagées du co-voitureur, du co-voituré et des autorités organisatrices de la mobilité, compétentes en matière de transport scolaire. Corinne Mérand Leprêtre a en effet évoqué devant la délégation les risques juridiques soulevés lorsqu'elle avait tenté de mettre en place un covoiturage scolaire dans une petite commune rurale.

Recommandation n° 4 : Développer les plateformes de covoiturage y compris de covoiturage scolaire.

4. Faire connaître les diverses solutions de mobilité existantes

La délégation a pris connaissance avec intérêt de nombreuses initiatives plus ponctuelles et à plus petite échelle, qu'elle souhaite mettre en avant afin d'inspirer d'autres collectivités ou organismes impliqués sur les questions de mobilité.

Diverses fédérations locales de Familles rurales ont mis en place des services de transport solidaire. Certaines achètent des véhicules qu'elles louent, prêtent ou avec lesquels elles transportent les personnes les sollicitant. D'autres mettent en place un réseau de bénévoles qui organisent un système de transport à la demande. C'est notamment le cas en Moselle et dans les Deux-Sèvres pour permettre à des mères de se rendre à des entretiens d'embauche.

Familles rurales propose également des services d'accompagnement des enfants lors des trajets domicile/école, permettant de décharger les mères de ces trajets.

Au sein du CIDFF de la Seine-Maritime, qui travaille avec le club nautique de Dieppe et le centre social Saint-Nicolas d'Aliermont, la mobilité a été organisée pour permettre la pratique sportive et l'accès aux événements sportifs. C'est ainsi que le centre social met à disposition un bus pour emmener les participantes au projet de Saint-Nicolas vers le club nautique de Dieppe. Le bus a également permis d'accompagner les participantes à des événements culturels ou sportifs, comme à un match de la Coupe du monde féminine de football en juin 2019.

Le Centre Hubertine Auclert met également en avant, dans son rapport précité sur les femmes des territoires ruraux franciliens, l'existence de dispositifs de transport privé à but social, dont le coût peut être pris en charge en tout ou partie par la Sécurité sociale, des assurances, des associations d'aide à la personne ou des centres communaux d'action sociale.

Toutes ces solutions ne sont malheureusement pas toujours connues du public concerné.

Les CIDFF qui mènent des projets innovants en font part à la fédération nationale qui étudie ensuite la possible de conclure des accords-cadres nationaux ayant vocation à être déployés au niveau local.

Cependant, un recensement plus systématique des solutions est nécessaire.

Ainsi que l'a recommandé Corinne Mérand Leprêtre devant la délégation, « nous pourrions nous appuyer sur les réseaux locaux, les maisons de service au public ou les maisons de la mobilité pour recenser et informer sur toutes les possibilités offertes. Il existe parfois des initiatives individuelles, associatives ou collectives peu connues. Il est ardu de les recenser, de les identifier et de les centraliser pour ensuite diffuser l'information . »

La loi précitée d'orientation des mobilités prévoit que des plans de mobilité solidaire doivent être mis en place à l'échelle de chaque bassin de mobilité, avec un travail transversal entre les services de mobilité et les services sociaux. Ces plans peuvent être l'occasion de recenser les solutions de mobilité existantes.

Recommandation n° 5 : Recenser au sein de chaque bassin de mobilité les solutions de mobilité existantes.

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