DEUXIÈME PARTIE - LE GRAND RÉPUBLICAIN

Modérateur : Luc Laventure, journaliste, président d'Outremers 360

Luc Laventure . - Nous allons à présent évoquer le président du Sénat et sa carrière politique. Monsieur Philippe Martial, vous êtes secrétaire général de la Société des amis du président Gaston Monnerville et surtout « fils adoptif » de ce dernier. Vous êtes haut fonctionnaire de la République et auteur de la biographie de Gaston Monnerville. Que retenez-vous de lui, vous qui l'avez côtoyé au quotidien ?

LA CARRIÈRE POLITIQUE
Philippe Martial,
secrétaire général de la Société des amis du président Gaston Monnerville (SAPGM)

Messieurs les présidents,

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Mesdames et messieurs,

Avant de répondre à vos questions, je souhaite revenir sur les circonstances de l'élection de décembre 1953.

Un témoin de l'époque m'a expliqué que tous les partis attendaient que le Parti radical présente la candidature de Gaston Monnerville. André Cornu, sénateur des Côtes-du-Nord, ambitieux féroce, lui aussi radical, souhaitait devenir Chef de l'État, et sut convaincre le groupe qu'il ne fallait pas présenter Gaston Monnerville, quoique postulant naturel, en sa qualité de Président de la Haute Assemblée. Gaston Monnerville ne voulait pas poser lui-même sa candidature, car il pensait qu'en cas d'échec, ce serait l'outre-mer qui serait humilié tandis que la défaite prendrait une autre teinte s'il était présenté au nom de son groupe ; à la suite d'André Cornu, le groupe radical s'abstint. Ce n'est donc pas le président de la Haute Assemblée qui a été élu mais le vice-président René Coty.

Un historien, Jean-Paul Brunet, a consacré une biographie à Gaston Monnerville et je vous invite à vous y référer pour mieux connaître sa vie.

Quant à moi, je vais vous parler de l'être d'exception que j'ai connu. Je dois avouer que je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi exceptionnel et cela à tous les titres : pour son caractère, son courage, son intelligence, sa culture, sa carrière, sa moralité.

Gaston Monnerville a été le « petit dernier » d'une fratrie de sept enfants. Or il me semble que, en politique, nous avons souvent affaire au petit dernier ou à l'enfant unique, en tout cas toujours au « préféré » de la mère. Napoléon lui-même l'avait reconnu en disant que c'est la mère qui fait l'avenir d'un homme ! Dès l'enfance, Gaston Monnerville a été très choyé et il n'a jamais caché que ses frères et soeurs avaient toujours été admirables avec lui.

Cet état de « petit dernier » lui donne finalement une force, car personne après lui ne lui a pris sa couronne ! D'ailleurs, Gaston Monnerville a toujours eu une grande confiance en lui-même. C'était aussi un réaliste. La plupart du temps, les réalistes voient tous les obstacles sur leur route et ne sont donc pas toujours audacieux. Gaston Monnerville, lui, voyait bien qu'il risquait l'échec, mais il était résolument décidé à agir. Il voyait le mal mais intervenait pour le corriger. Comme Paul Valéry, il était l'illustration d'un « pessimisme contredit d'activités ».

Ses conseils étaient particulièrement précieux et j'en ai beaucoup bénéficié. Il conseillait de ne pas tenir compte du premier échec et de recommencer jusqu'à réussir. C'était à chaque fois une leçon d'opiniâtreté.

Il était aussi courageux. Combien de fois ai-je entendu qu'un avocat ne sait que parler et rien d'autre ? Mais Gaston Monnerville a donné l'exemple du contraire. En 1939, il est député. La loi sur l'organisation de la Nation en temps de guerre dispose qu'un parlementaire doit rester au Parlement et non rejoindre le front.

Mais Gaston Monnerville ne l'entend pas du tout de cette oreille. Il a passé son temps à combattre le nazisme et il décide de défendre ses idées les armes à la main. Il fait alors prendre un décret-loi qui autorise les parlementaires de plus de 40 ans à s'engager. Il est nommé officier de justice sur le cuirassé La Provence, la plus belle unité de la flotte de la Méditerranée. Gaston Monnerville va alors participer à toute une mission de guerre qui va se terminer tragiquement le 3 juillet 1940 à Mers el-Kébir. Lors de ces journées, il tient un journal de bord que je viens de finir de retranscrire et qui pourra être publié. Il y décrit le combat qui a lieu et la flotte française qui sombre emportant au moins 400 personnes. Les historiens oublient de citer Gaston Monnerville lorsqu'ils parlent de l'opposition au congrès de Vichy qui accorde les pleins pouvoirs constitutionnels à Pétain car Gaston Monnerville était encore dans la Marine à cette époque. Malheureusement, je n'ai pas encore vu d'historien qui le signale.

Il était également intelligent. La consultation de ses bulletins scolaires en atteste avec le prix d'excellence en classe de seconde au lycée Fermat, le premier prix de mathématiques, le premier prix en anglais, le premier prix en espagnol, etc. Il avait un esprit de raisonnement et une capacité logique exceptionnelle. En 1914, il reçoit la plus haute distinction du lycée Fermat de Toulouse : le prix Ozenne. Gaston Monnerville combine une puissance intellectuelle et une grande indulgence du jugement. Je ne l'ai jamais entendu dire du mal de personnes politiques à l'exception de deux : Edgar Faure et Françoise Giroud !

Gaston Monnerville était aussi l'homme le plus cultivé que j'ai rencontré. Dès l'enfance, les hussards de la République lui disent qu'il doit s'approprier la culture de la France. C'est ce qu'il fera, guidé aussi par sa curiosité exceptionnelle pouvant le conduire jusqu'à interroger lors de ses promenades en campagne les forgerons sur leur travail partant du principe, selon ses propres mots, que « l'on ne sait commander que ce que l'on sait faire ».

D'autres avant moi ont parlé de ses discours, de son éloquence, de sa capacité d'improvisation. Il était aussi un homme de culture jusqu'à devenir lui-même un écrivain. En tant que lecteur, il a commencé par Alexandre Dumas et par Anatole France, parmi les penseurs, il avait une préférence pour Alain, qui était le penseur du Parti radical, et pour Paul Valéry. Il était féru de poésie et m'a fait connaître Alexandre Pouchkine, qui était un sang mêlé russe. Au théâtre, il était l'ami de Madeleine Renaud et de Jean-Louis Barrault. Il m'emmenait donc à des premières ou à des reprises.

Dans toute l'oeuvre de Gaston Monnerville, on retrouve le mythe de l'esclave libéré. En tant que juriste, il avait le culte du droit, mais le droit n'est pas statique, il doit s'adapter.

Enfin, sa carrière politique a été exceptionnelle. Ambitieux, il a commencé à refuser d'être élu en Martinique. Après les émeutes de 1928 et l'affaire Galmot avec son procès en 1931, sa plaidoirie est tellement brillante que les quatorze accusés sont acquittés. C'est alors que l'on vient le chercher pour devenir député. Ensuite, il devient maire de Cayenne. Il n'a donc pas suivi le parcours habituel en commençant par être conseiller municipal avant de prendre d'autres fonctions. De même, il était déjà sénateur lorsqu'il est devenu maire de Saint-Céré.

Il était aussi un homme d'une moralité totale. À une époque où l'on accuse les parlementaires de tout, en 1962, lorsque les gaullistes ont cherché désespérément quelque chose à lui reprocher, ils n'ont rien trouvé au point même que des gaullistes historiques se sont inscrits à l'association des amis du président Gaston Monnerville à sa mort, ce qui en dit long !

En parlant de lui, nous essayons de rétablir la réputation d'un homme qui a souffert de l'opposition acharnée des gaullistes. Lorsque nous avons voulu qu'une rue, qu'une place porte son nom, on m'a montré la note d'un gaulliste important qui expliquait qu'il ne fallait surtout pas prendre cette initiative. Nous avons connu les mêmes résistances lorsque nous avons voulu que son effigie apparaisse sur un timbre. Cependant, si nous avons gagné ces batailles, c'est aussi parce que nous avons été soutenus par des gaullistes. C'est le maire du VI e arrondissement de Paris, pourtant gaulliste, qui a suggéré que l'on y installe un buste de Gaston Monnerville.

À sa mort, nous avons souhaité créer une société du souvenir pour le citer en exemple. Deux gaullistes historiques se sont inscrits parmi les premiers dont Roger Frey, ministre de l'Intérieur, et Marc Lauriol. Roger Frey savait que l'on avait accusé Gaston Monnerville d'avoir organisé l'attentat du petit Clamart mais, si ces accusations avaient été avérées, jamais Roger Frey, ministre de l'Intérieur, ne se serait inscrit à la société des amis du président Gaston Monnerville ! Quant à Marc Lauriol, celui-ci m'a dit que Gaston Monnerville était un homme de conviction ajoutant : « Croyez-moi, cher monsieur, en politique, c'est rare ! ».

Le Sénat composé d'hommes blancs a élu un président de couleur, un Sénat de majorité conservatrice a élu un homme se déclarant de gauche, tout cela prouve que le Sénat n'est ni raciste ni sectaire. Je crois que c'est à l'honneur de la Haute Assemblée !

Luc Laventure . - Monsieur Christian Charrière-Bournazel, vous êtes ancien président du Conseil national des barreaux, ancien bâtonnier de Paris. En quoi ses mémoires Témoignage : de la France équinoxiale au palais du Luxembourg est-il obsessionnel pour vous et en quoi cet ouvrage est-il important pour comprendre la carrière politique de Gaston Monnerville ?

Christian Charrière-Bournazel,
ancien président du Conseil national des barreaux, ancien bâtonnier du Barreau de Paris

Cher monsieur le vice-président du Sénat,

Monsieur le président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer,

Mesdames et messieurs les sénateurs et sénatrices,

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Cher André Bendjebbar,

Cher tous,

C'est pour moi un moment extrêmement émouvant que d'être ici au Sénat pour parler de Gaston Monnerville, et en particulier pour évoquer les souvenirs personnels que j'ai de lui.

Pendant toute mon enfance et mon adolescence, j'ai connu Gaston Monnerville à la maison puisque mon père, Guy Charrière, était conseiller général du canton de Vayrac. Il est donc venu tous les étés pour déjeuner dans notre maison du Lot avec Maurice Faure, avec le député Georges Juskiewenski, avec le préfet, etc. J'ai eu l'occasion de l'écouter parler et de l'écouter me parler, moi qui étais un tout jeune homme.

Pour répondre à votre question, l'histoire de Gaston Monnerville commence effectivement dans ce que l'on appelait la France équinoxiale, qui était une manière un peu hautaine, un peu lointaine de désigner cette France d'outre-mer. Il a repris ce terme lorsqu'il a choisi un titre à son ouvrage de souvenirs : De la France équinoxiale au palais du Luxembourg . Ce n'était pas pour se vanter mais pour s'émerveiller et montrer que l'on pouvait naître dans la France équinoxiale et finir président du Sénat. Il n'en tirait aucune vanité, mais simplement une grande reconnaissance envers la République.

Je me rappellerai toujours ce qu'il me disait de son enfance. Il allait place des Amandiers à Cayenne regarder l'océan en espérant qu'un jour il pourrait le traverser et aller dans cette France de la République qui avait donné la liberté aux esclaves et qui avait donné une égalité totale de principe, et très souvent d'actes, à tous les citoyens français. Il récitait le vers de Victor Hugo : « Ah ! Insensé qui crois que je ne suis pas toi ! » ou encore celui de Lamartine : « Je suis concitoyen de tout homme qui pense. La liberté, c'est mon pays ! ». Quand il était sur la place des amandiers, il savait que, de l'autre côté, un homme était au large, sur l'île du Diable, souffrant mille maux parce qu'il avait eu le malheur de naître juif.

Son engagement a été immédiat, dès la jeunesse et dès l'enfance, pour la fraternité républicaine. Quand il est arrivé en France, il a participé avec Bernard Lecache à la fondation de la Ligue internationale contre l'antisémitisme (Lica) devenue en 1972 la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) dont j'ai eu l'honneur d'être vice-président national et président de la commission juridique.

Le titre qu'il a choisi pour son ouvrage illustre bien aussi son parcours depuis son enfance dans la misère après la révocation de son père fonctionnaire jusqu'à son arrivée à Toulouse et son inscription au barreau. Après avoir réussi le concours de la conférence de Toulouse, il cherche à venir à Paris. Il se présente alors au bâtonnier et lui dit qu'il veut être inscrit très vite au tableau. Le bâtonnier lui demande pourquoi et Gaston Monnerville lui répond : « Pour gagner ma vie ! ». Le bâtonnier s'exclame : « Comment ? Vos arrières ne sont pas assurés ? », résumant ainsi les moeurs de l'époque. Cette anecdote, je la tiens de la bouche même de Gaston Monnerville car celui-ci, avec clairvoyance, a su se rattraper en ajoutant : « C'est pour passer très vite le concours de la conférence de Paris ». Cette réponse lui a permis d'être inscrit aussitôt.

Au-delà de nos rencontres dans la maison familiale, j'ai aussi entendu souvent Gaston Monnerville lors de réunions publiques au cours desquelles j'ai pris toute la mesure de l'orateur exceptionnel qu'il était. Il ne faisait jamais étalage de sa culture, mais sa langue était parfaite. Sa vie intérieure se reflétait dans ses mots. Il était toujours dans une sorte d'intensité jamais feinte, jamais vaniteuse, mais toujours dans une cordialité à l'égard du public.

C'est par ailleurs dans le Lot que je l'ai connu et que je l'ai vu à l'oeuvre. Lorsque j'étais enfant, mon père, alors conseiller général, avant d'être maire de Vayrac, lui demande de poser la première pierre du groupe scolaire qu'il avait fait construire. Gaston Monnerville a accepté et rappelé dans son discours que l'école était un lien de fraternité républicaine et un lieu de progrès contre tous les dangers.

C'est ce même homme que les « fanatiques gaullistes » continuent à dénigrer à cause de 1962. Mais, à ce sujet, on colporte encore des choses inexactes car j'ai encore à l'oreille le discours qu'il a prononcé pour s'opposer au référendum : « Dans une récente allocution radio-télévisée, le Président de la République a dit : « J'ai le droit ! ». Avec la haute considération due à ses fonctions, mais avec gravité, avec fermeté, je réponds : non, monsieur le Président, vous n'avez pas le droit, vous le prenez ! ». Ses propos sont donc autre chose que son procès pour forfaiture. Sa phrase était remarquable, profondément juridique et profondément exacte. Après ses déclarations, il a été mis au ban. Gaston Monnerville avait été un résistant sous le nom de Saint-Just et s'était engagé contre les nazis et contre l'occupant, comme de Gaulle. Il n'a pas été antigaulliste, il n'a fait que professer sa foi dans une République parlementaire et contre une monarchie présidentialiste républicaine à la manière des pays latino-américains, comme le disait Maurice Duverger. Aujourd'hui, nous élisons en même temps le Président de la République et le Parlement pour la même durée, il n'y a donc plus qu'une unanimité totale autour d'un pseudo-monarque. Il n'y a même plus l'espérance d'une cohabitation de temps en temps ! Je pense que Gaston Monnerville serait, s'il était parmi nous, extrêmement sévère à l'égard de notre régime politique dont il ne résulte rien de très glorieux ni de très admirable...

Je parlerai aussi du complot. Je tairai les trois noms qu'il citait, qui étaient des noms de personnages célèbres, mais je les dirai ensuite à l'oreille de Philippe Martial car je ne souhaite pas les citer publiquement. Ce sont des personnes qui ont cherché à s'allier pour que Gaston Monnerville ne puisse pas accéder à l'Élysée pour y assurer la présidence par intérim si jamais Charles de Gaulle venait à disparaître. Je pense que ce complot mériterait d'être su. Le général de Gaulle n'a pas été responsable d'une tentative éventuelle d'attentat sur Gaston Monnerville mais son acrimonie à son endroit va se manifester lors du référendum de 1969 qui porte une réforme visant à amoindrir le Sénat pour réduire Gaston Monnerville qui y siège déjà depuis vingt ans. C'est la seule raison pour laquelle ce référendum est organisé par le général de Gaulle. Que fait alors Gaston Monnerville ? Alors qu'il est sûr d'être réélu président du Sénat en septembre 1968, il ne se représente pas pour avoir les mains libres dans son combat contre le référendum de 1969 afin qu'on ne lui dise pas qu'il cherche à sauver sa place. Son combat, il le mène pour sauver une assemblée essentielle de la République française. Cette posture ne peut recevoir que notre respect et notre admiration.

Ce grand homme mérite d'entrer au Panthéon. Je ne vois pas comment l'on peut s'allier davantage pour faire en sorte que les rumeurs injustes se taisent car il n'y avait pas d'orgueil chez Gaston Monnerville. Il faut cesser de le décrire comme un antigaulliste primaire. Au contraire, il a toujours été un homme très respectueux du général de Gaulle.

Gaston Monnerville aurait dû être élu à la place de René Coty, puisque le président du Conseil de la République était naturellement le président de la République au moment de l'alternance, mais il n'avait pas la bonne couleur ! C'est en tout cas le sentiment que tout le monde a pu avoir. Cet homme exceptionnel, cet avocat prodigieux, a été ma caution morale lorsque j'ai prêté serment. J'ai fait forger son médaillon pour l'apposer dans les couloirs du palais de justice et j'ai baptisé une des salles de la maison du barreau salle Gaston Monnerville en signe du respect, de l'attachement et de la reconnaissance que j'ai eus pour cet homme et que nous devons tous avoir à son égard.

Luc Laventure . - Les témoignages que nous avons entendus cet après-midi sont des paroles très fortes. En cette période de crispation de l'identité culturelle, il est intéressant de dire les choses pour les démystifier et pour permettre que la parole circule. En tant que journaliste et réalisateur, et avec le concours d'André Bendjebbar, nous aurons l'occasion de revenir sur ces pages d'Histoire. En tant que natif de cette France équinoxiale, « poussière de l'Empire », entendre toujours parler de tout ce que la France a donné à Gaston Monnerville, c'est oublier que Gaston Monnerville et que l'outre-mer ont aussi apporté beaucoup à la France du point de vue de l'épaisseur, de la couleur et d'une humanité transverse.

L'HÉRITAGE D'AUJOURD'HUI

Luc Laventure . - Nous allons maintenant entamer la dernière séquence. Monsieur Olivier Serva, vous êtes député de Guadeloupe et président de la Délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale. Quel est selon vous l'héritage de Gaston Monnerville pour les outre-mer ?

Olivier Serva,
député de la Guadeloupe,
président de la Délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale

Monsieur le président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, cher Stéphane Artano,

Monsieur le vice-président du Sénat, cher Georges Patient,

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Mesdames et messieurs,

Je suis très impressionné de prendre la parole après les propos incarnés de deux orateurs brillants qui ont connu Gaston Monnerville. Ce n'est pas mon cas.

Il y a une cinquantaine d'années, la France a su élire un homme noir au Sénat, mais j'ai l'impression que l'ambiance a changé de nos jours. Comme Philippe Martial l'a rappelé, le Sénat n'était pas raciste. Aujourd'hui, quand je regarde notre héritage, je ne suis pas sûr que nous n'ayons retenu que le meilleur de cette période.

Gaston Monnerville était un avocat, un très bon orateur. Un parlementaire a besoin de cette qualité pour faire passer ses idées. C'était un homme de gauche, ce n'est pas forcément une qualité, mais ce n'est pas un défaut non plus pour l'homme de gauche que je suis !

Sur le plan local, je retiens qu'il a fait fermer le bagne de Cayenne, sûrement par humanisme, un humanisme philosophique, maçonnique, qui là aussi est une valeur dont on ne doit pas avoir honte et dont on ne doit pas se cacher dans une période où parfois la laïcité et le droit de croire ou de ne pas croire sont bafoués.

Je retiens qu'il a été un parlementaire à part entière. Il s'est même érigé contre une légende, le général de Gaulle, que cela soit en 1962 ou en 1969. Il a voulu défendre les prérogatives des parlementaires à élire le Président de la République et défendre le rôle du Sénat. Même sous la V e République, et pourquoi pas sous la VI e , il demeure essentiel de défendre le poids du Parlement et le bicaméralisme face à un pouvoir exécutif qui - nous devons le reconnaître - a de plus en plus de moyens de nous contraindre.

Gaston Monnerville était un visionnaire sur le devenir des territoires ultramarins. Il avait une vision des colonies « à la britannique » dans un esprit de Commonwealth c'est-à-dire avec d'anciennes colonies autonomes mais conservant des liens assez forts dans l'Hexagone dans le domaine régalien. Lorsque l'on regarde aujourd'hui la Nouvelle-Calédonie, et à des degrés divers la Guyane et la Martinique ou encore la Guadeloupe, nous pourrions imaginer que chacun de ces peuples puisse accéder à l'autonomie tout en gardant un lien régalien avec l'Hexagone. En ce sens, je le vois comme un visionnaire alors que nous constatons actuellement des réticences que je juge rétrogrades.

Je retiens aussi que Gaston Monnerville était un homme brillant mais sans ostentation, avec sobriété et avec la volonté de ne jamais oublier d'où il venait. Il disait lui-même que rien ne ferait de lui un déraciné. Or il est important de savoir d'où l'on vient pour être fier de ses origines et apporter à la France archipélagique une richesse qui lui permet d'être ce qu'elle est sur les trois océans, c'est-à-dire une puissance mondiale.

Voilà ce que je retiens d'une personne que je n'ai pas connue mais que j'admire.

Luc Laventure . - Merci monsieur le député. Je vous propose d'écouter maintenant en duplex Ramachandra Oviode-Siou, étudiant en droit et président de l'Institut Gaston Monnerville.

Ramachandra Oviode-Siou,
président de l'Institut Gaston Monnerville

Mesdames et messieurs,

Je tiens tout d'abord à remercier la Société des amis du président Gaston Monnerville et son président le sénateur Georges Patient, la Délégation sénatoriale aux outre-mer et son président, le sénateur Stéphane Artano, ainsi que la présidence du Sénat pour l'organisation de cette manifestation. Je souhaite également m'excuser car, étant retenu par des impératifs universitaires, je ne peux malheureusement pas être physiquement présent avec vous aujourd'hui. Je veux donc remercier les organisateurs de me permettre d'intervenir dans ce format à distance.

Durant cette table ronde spécifiquement axée sur son héritage, je m'efforcerai, sans faire de jeunisme, d'apporter mon éclairage - je précise que je suis originaire de La Réunion - et le prisme de la jeunesse face à l'héritage de Gaston Monnerville.

Mon intervention s'organisera autour de deux principaux axes : un premier plus national autour de ce qu'incarne Gaston Monnerville pour la République et un second plus ultramarin qui se concentrera sur ce qu'il représente ou ce qu'il pourrait représenter pour la jeunesse, particulièrement celle des outre-mer.

Je ne vais pas revenir sur la biographie de Gaston Monnerville qui a été détaillée plus avant par les différents intervenants mais, effectivement, dans ce parcours, il y a quelques points saillants qui, de son enfance jusqu'à ses brillantes études dans l'Hexagone, puis sa carrière d'avocat et son engagement politique qui l'a mené aux plus hautes fonctions de la République, s'apparentent à un cursus honorum républicain.

Gaston Monnerville incarne résolument une réussite républicaine. À une époque où les principes fondamentaux de la République énoncés dans notre devise ainsi que les valeurs qu'elle véhicule sont malmenées, nous aurions tous à gagner à nous réapproprier la figure de Gaston Monnerville et son héritage. Il est vrai que son parcours témoigne d'un engagement sans faille pour les valeurs républicaines, pour cette République à laquelle il a dédié sa vie et dont l'intérêt a toujours guidé ses choix comme une boussole.

Ces valeurs dont on aime se réclamer, que l'on aime proclamer, elles restent difficiles à concevoir pour les jeunes car elles sont désincarnées. Pourtant, Gaston Monnerville incarne très bien cet engagement et donne corps aux valeurs auxquelles il croyait. En effet, en tant que législateur, il a participé à la fabrique de la loi, mais il a également été avocat, et donc il a concouru à son effectivité. Plus que jamais aujourd'hui, ces valeurs demandent à être effectives, demandent à être incarnées. Dans son parcours professionnel et politique, Gaston Monnerville a su leur donner corps.

À titre personnel, j'ai découvert Gaston Monnerville lors de mes études à Paris après une scolarité à La Réunion. C'est en effet un homme que l'on n'évoque jamais dans les programmes scolaires. C'est un véritable paradoxe car il a laissé une empreinte indélébile dans l'histoire et la vie politique française, mais demeure inconnu tant dans l'Hexagone que dans les outre-mer. Les commémorations organisées à l'occasion du trentième anniversaire de sa disparition sont fondamentales à ce titre car ces manifestations sont autant d'occasions de planter des graines que nous espérons voir germer dans un avenir proche pour perpétuer et diffuser l'héritage de Gaston Monnerville.

Il m'apparaît aussi important de nous réapproprier la figure de Gaston Monnerville comme un role model . Gaston Monnerville peut réellement être une boussole pour la jeunesse. La jeunesse ultramarine peut être en manque de modèles, en manque d'exemples. Gaston Monnerville peut montrer que de grandes choses sont possibles. Il est vrai qu'il a été empêché d'accéder à la magistrature suprême pour diverses raisons, mais il peut malgré tout incarner nos valeurs républicaines par son beau parcours. Certains aiment à le comparer à un « Barack Obama à la française », mais nous pourrions même dire qu'il a été un Barack Obama bien avant l'original ! Voilà pourquoi j'estime que le travail de mémoire que nous faisons aujourd'hui est fondamental car il doit concourir à diffuser la figure de Gaston Monnerville parmi les jeunes et à assurer une pérennité de son héritage et de ses engagements, et peut-être à inspirer et donner envie à d'autres jeunes d'endosser ses engagements.

Luc Laventure . - Merci beaucoup. Je me tourne à présent vers Monsieur Laurent Lise-Cabasset, trésorier de la Société des amis du président Gaston Monnerville et petit-fils du sénateur Roger Lise, président fondateur de la Société des amis du président Gaston Monnerville.

En échangeant en amont de ce colloque, nous avons évoqué le dépassement des barrières psychologiques de Gaston Monnerville, puisqu'il était petit-fils d'esclaves, et ses motivations à se hisser haut dans la pyramide sociale. Pensez-vous que ces questions sont encore actuelles ?

Laurent Lise-Cabasset,
trésorier de la Société des amis du président Monnerville

Mesdames et Messieurs,

Je voudrais d'abord remercier la présidence du Sénat d'avoir organisé cet événement. C'est un devoir essentiel que celui de devoir évoquer Gaston Monnerville car ce personnage considérable va jalonner les III e , IV e et V e Républiques, non pas en tant que commentateur ou spectateur, mais en tant que véritable acteur des événements qui marqueront le siècle. En témoignent son discours de 1933 au Trocadéro, son engagement dans la Résistance, son opposition au référendum de 1969, etc.

Évidemment, Gaston Monnerville est une personnalité que je n'ai pas eu la chance de rencontrer physiquement, puisqu'il est décédé un an après ma naissance. En même temps, il me serait impossible de vous raconter la première fois que j'ai entendu parler de Gaston Monnerville tant j'ai l'impression de l'avoir toujours connu. Ce personnage, pourtant immense, a toujours habité les récits familiaux et celui qui en parlait le mieux, avec le plus de ferveur, était mon grand-père, encore aujourd'hui. Je suppose que c'est ce qui m'a conduit à considérer, dès mon enfance, Gaston Monnerville comme une figure tutélaire, une sorte de grand-oncle, respecté dont on entend souvent évoquer la mémoire. C'est une figure lointaine et proche à la fois, d'autant plus proche que ses parents sont tous les deux issus de Case-Pilote, petite commune de la Martinique dont je suis originaire.

En forçant un peu le trait, on peut dire que les habitants de cette commune ont tous un lien de parenté avec Gaston Monnerville tant les noms de Monnerville et Orville sont fréquents dans les familles de la ville. Les habitants de Case-Pilote entretiennent avec Gaston Monnerville une relation très forte. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'en cette année anniversaire sera érigé un quatrième buste de Gaston Monnerville, après Cayenne, Paris et Saint-Céré, sur la place qui porte déjà son nom, l'idée étant d'en faire un modèle pour les générations futures de la ville et bien au-delà.

Le souvenir d'enfance que j'ai de Gaston Monnerville tourne autour de mon grand-père qui lui vouait une admiration sans borne. Il ne manque jamais d'évoquer son souvenir, son parcours, sa vie, ses sacrifices, ses combats. Quand vous voyez le grand-père que vous admirez naturellement et que vous le voyez lui-même admirer un homme comme Gaston Monnerville, vous avez la sensation d'être en présence d'un personnage hors normes, un géant. S'il n'est pas encore au Panthéon, il a toujours été pour nous une figure majeure de notre panthéon familial. Malgré tous les récits de mon grand-père, les anecdotes, la petite et la grande Histoire, je dois avouer que ce personnage demeure pour moi sous certains aspects mystérieux voire énigmatique.

Je n'ai pas une connaissance aussi précise de Gaston Monnerville que d'autres de vos invités mais la question qui me fascine est de comprendre comment un homme de couleur, issu d'un territoire se situant aux confins de ce qui est encore un empire colonial, a pu se hisser aussi haut dans la République et, plus que cela, participer activement à la grande Histoire du XX e siècle.

Dès son enfance, Gaston Monnerville, petit-fils d'esclaves, né en Guyane, issu d'une famille modeste, va complètement dépasser les barrières mentales, des barrières presque psychologiques que l'on imaginait sans doute insurmontables à l'époque, puisque ce sont les mêmes que peuvent encore avoir aujourd'hui les jeunes de ma génération. Cette question du dépassement de ses propres limites, celles que l'on se donne et celles que la société nous impose, me paraît une question essentielle quand on évoque Gaston Monnerville comme modèle pour les générations futures.

Comment se sentir légitime dans un environnement où l'on ne nous attend pas forcément ? Comment a-t-il pu totalement s'affranchir de ces questions à son entrée au lycée Pierre de Fermat en 1912, puis à la faculté de droit de Toulouse, lors de ses premiers pas d'avocat dans le cabinet de César Campinchi en 1921, au cours de ses mandats de députés dès 1932, puis de maire et conseiller, à sa nomination au ministère des colonies en 1937, à son élection à la présidence du Sénat en 1947, au conseil général du Lot, et plus tard à son entrée au Conseil constitutionnel en 1974 ?

Naturellement, Gaston Monnerville se montre brillant dès ses premières années d'études. Il connaît sa valeur. Sans doute mesure-t-il une certaine supériorité sur ses camarades, ce qui lui donne une confiance en lui sans limite. Mais, au-delà du travail considérable qu'il abat pour en arriver là, ce qui est intéressant à comprendre, c'est ce qui le motive. C'est la force qui l'anime, les combats qu'il veut mener, ce qu'il doit absolument gagner. Un combat en particulier me semble façonner chaque moment de sa vie à chacun des postes qu'il occupera : c'est le combat pour le droit, le droit pour tous, le combat sans relâche pour l'égalité entre les peuples colonisés et les Français de plein droit de la métropole. Ce sera sa boussole : obtenir cette égalité et, plus tard, la garantir et la protéger coûte que coûte. « Fais ce que dois » est sa devise. C'est sans doute là une partie de son héritage.

Les armes pour mener ce combat pour le droit, c'est l'école de la République qui va les lui donner. Il est d'ailleurs fascinant de voir que ce sont avec les grands idéaux hérités des Lumières de 1789 que Gaston Monnerville, comme tous les intellectuels issus des territoires colonisés, va mener ses combats, l'universalité de la Déclaration des droits de l'Homme trouvant là un défi à la dimension mondiale. C'est donc la France républicaine qui donne les armes pour combattre la France coloniale, ses injustices insupportables dont il est témoin et sa violence inouïe.

Aujourd'hui encore, il y a sans doute à trouver dans les grands textes fondateurs, dans l'essence même de l'École républicaine, les ressorts pour les combats d'aujourd'hui pour vaincre ces ruptures d'égalité qui fragilisent encore notre société, et cela malgré les progrès considérables auxquels Gaston Monnerville a pris part d'une manière déterminante. C'est donc pour servir cet idéal de justice républicaine que Gaston Monnerville deviendra avocat défendant avec le brio que l'on connaît les insurgés de Cayenne.

Quand il devient député, c'est toujours le combat du droit qui le pousse. Sa nomination au ministère des Colonies, qui ne manquera pas de faire réagir à Berlin, sera l'occasion pour lui de fermer l'indigne bagne de Cayenne. Son opposition farouche au nazisme, son entrée en Résistance, c'est là encore le combat, mais cette fois les armes à la main, pour la liberté que l'Allemagne nazie menace.

La participation aux Assemblées constituantes des IV e et V e Républiques, c'est travailler de l'intérieur à l'égalité pour tous. Avant la présidence du Sénat, il met fin, avec d'autres, au statut colonial des quatre vieilles colonies donnant les mêmes droits à tous les colonisés, désormais citoyens de plein droit.

Enfin, lorsqu'il s'oppose à de Gaulle pour protéger les institutions, leur équilibre subtil, c'est là encore dans le seul but de protéger les droits acquis de haute lutte et, cette fois-ci, pour tous les citoyens français. C'est un combat qu'il continuera au Conseil constitutionnel jusqu'en 1983.

C'est peut-être ce combat de chaque instant qui permet de comprendre la cohérence d'un parcours qui peut en dérouter plus d'un. Ce parcours le mènera de sa Guyane natale au Palais du Luxembourg en passant par Mers el-Kébir ou les maquis de l'Auvergne. La raison pour laquelle on doit encore et toujours parler de Gaston Monnerville aux générations futures, c'est qu'il a montré la voie. Il a montré que c'était possible à chacun d'avoir une place dans la République. Malgré les difficultés qu'il a rencontrées, les humiliations qu'il a subies, il nous montre que tous les obstacles que l'on nous oppose ou les barrières mentales que l'on s'impose n'attendent qu'à être dépassés.

Luc Laventure . - Sans transition, je donne la parole à Félix Beppo qui clôturera cette table ronde. Monsieur Beppo, vous êtes ancien adjoint au maire du XVII ème arrondissement. Au vu de toutes ces analyses et de ces regards croisés, comment l'héritage de Gaston Monnerville peut-il nous aider à traverser les fractures républicaines et comment sa vie peut-elle éclairer l'avenir du pays ?

Félix Beppo,
ancien adjoint au maire du XVIIIème arrondissement de Paris

Je souhaite tout d'abord remercier le président Georges Patient et le président Stéphane Artano de cette initiative et je remercie le Sénat d'accueillir la célébration du président Gaston Monnerville. Je ne suis pas un spécialiste de celui-ci mais je fais partie de ceux qui ont eu la chance de le côtoyer. Je l'ai découvert en 1976 derrière mon écran de télévision en regardant Les dossiers de l'écran ! Gaston Monnerville y intervenait pour parler de l'abolition de l'esclavage. Depuis ce jour, il est devenu un modèle pour moi, un modèle d'homme de conviction, un modèle de républicain. Puis, j'ai eu la chance de le rencontrer lors d'une dédicace organisée à la faculté de droit d'Assas. J'ai profité de cette rencontre pour lui avouer ma passion pour son parcours et le président Gaston Monnerville m'a invité à chaque fois que j'en avais besoin à échanger avec lui. Ces échanges sont devenus des séances de formation, auxquelles j'étais très assidu, et qui m'ont beaucoup appris. L'homme était à la fois généreux et il a toujours eu une position d'ouverture totale. Nous pouvions ne pas être d'accord sur deux ou trois sujets, mais le débat était libre et c'est cet esprit qui me guide encore aujourd'hui.

Je retiens tout d'abord de Monnerville qu'il était un républicain convaincu. C'était un homme de droit, un passionné, un érudit. La France et la République sont les combats que le président Gaston Monnerville a toujours incarnés. En 1946 et 1953, nous aurions pu imaginer qu'il accède à la fonction suprême et ces épisodes doivent interroger notre pays car il nous appartient de connaître l'Histoire, y compris dans ses détails, sauf à ce que la France ne soit pas fidèle à sa devise et passe à côté d'un certain nombre de sujets très actuels sur lesquels notre pays se trouve dans l'impasse. Mon propos renvoie à l'actualité et je ne peux que m'étonner qu'une personne condamnée pour racisme puisse prétendre à la fonction suprême. Je me dis que, sur ces sujets, le président Gaston Monnerville serait sans doute intervenu.

Philippe Martial rappelait l'engagement politique qui fut le sien et l'affaire Galmot, mais les échanges que j'ai pu avoir avec lui ont souvent porté sur le 6 février 1934 lorsque les extrêmes menaçaient la République. Le président Gaston Monnerville voulait me convaincre que le 6 février 1934 n'était pas terminé car les fascistes seront toujours là et qu'ils reviendront car ils n'admettent pas la République. Cet amour de la République et cet amour de la France sont indissociables pour Gaston Monnerville, et ces valeurs ont aussi été le socle de mon engagement en tant qu'homme et en tant que responsable politique lorsque j'ai assumé de telles responsabilités.

Il nous revient aujourd'hui de faire la lumière sur le parcours de Gaston Monnerville dans toutes ses composantes, y compris sur les théories du complot qui l'ont empêché d'accéder aux fonctions suprêmes. À ce moment précis, la France a manqué l'occasion de concrétiser sa devise en ne permettant pas à Gaston Monnerville de franchir cette étape. Si l'héritage de Gaston Monnerville doit nous servir, c'est bel et bien pour continuer ce combat.

Sur le plan politique, je remercie le président Charrière-Bournazel d'avoir rappelé que l'opposition de Gaston Monnerville au référendum ne tenait pas à la figure du général de Gaulle mais que son combat était mené au nom du droit et de la République. Dans son discours de 1962, tout est dit : l'amour de la France, l'amour de la République, l'amour du droit. Il dit aussi qu'en politique on doit être fidèle à ses engagements. Or le combat de 1962 est encore devant nous. Ce qu'a dénoncé le président Gaston Monnerville est encore d'actualité car la « monarchie présidentielle » nous fait croire tous les cinq ans qu'un homme providentiel peut changer tout un pays et le destin de tous les Français. Je pense pour ma part que ce sont des sornettes que l'on nous raconte depuis 1962 et, sans reprendre les propos du député Olivier Serva sur la VI ème République, je pense qu'il faut apporter un peu d'équilibre dans tout cela et qu'il est grand temps de le faire...

Je terminerai en disant que je suis allé à la Guadeloupe et à La Réunion en début d'année et que j'y constate un vrai écart entre les outre-mer et l'Hexagone. Je ne vais pas convoquer les difficultés rencontrées autour de l'épidémie de Covid, mais quand même. Il n'y a pas un seul département d'outre-mer qui n'ait pas souffert de la pandémie beaucoup plus qu'il n'aurait dû.

En 1946, Gaston Monnerville soutenait la loi de départementalisation car il était convaincu que les territoires d'outre-mer avaient les mêmes droits et que l'autorité devait s'y exercer de la même manière. Aujourd'hui, ne faut-il pas avancer sur cette départementalisation et reprendre le sujet pour faire en sorte que l'équilibre des territoires soit assuré ? Aujourd'hui, cet équilibre ne me semble pas établi comme le montre le hiatus entre les grandes agglomérations et le reste de la France dans la gestion de la crise. Assurément, je pense que la loi de départementalisation doit être revue.

Luc Laventure . - Pour effectuer la synthèse de nos échanges, j'accueille André Bendjebbar, commissaire de l'exposition « Gaston Monnerville, une fierté de la République », docteur en histoire et professeur. Vous avez publié de nombreux ouvrages dont une réédition des mémoires de Gaston Monnerville, Vingt-deux ans de présidence, puis vous avez réalisé en 2010 un film Gaston Monnerville, la mémoire retrouvée . En ce moment, vous préparez un documentaire intitulé Gaston Monnerville et la caricature .

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