LISTE DES PRINCIPALES PROPOSITIONS

Proposition n° 1 : Renforcer le suivi épidémiologique sur les pathologies mentales et poursuivre l'analyse de l'impact de la pandémie sur la santé mentale

Proposition n° 2 : Soutenir et coordonner, au niveau national et européen, les études de suivi de l'impact de la crise sanitaire sur la santé mentale de la population générale ainsi que sur des populations spécifiques comme les soignants ou les jeunes

Proposition n° 3 : Favoriser la conduite d'une étude de suivi des patients post-covid-19 pour étudier les liens entre infection et maladie mentale et évaluer l'impact des stratégies thérapeutiques

Proposition n° 4 : Renforcer l'offre de soins en santé mentale et les capacités d'accueil en psychiatrie et particulièrement en pédopsychiatrie

Proposition n° 5 : Soutenir et développer les démarches visant à favoriser la prévention et le repérage précoce

Proposition n° 6 : Faciliter l'accès à des inventaires des structures compétentes et contacts pertinents au niveau local

Proposition n° 7 : Développer des programmes d'accompagnement et de soutien à la parentalité pour favoriser le repérage précoce des signes de détresse chez l'enfant et l'adolescent et prévenir les troubles psychologiques

Proposition n° 8 : Pérenniser des lignes d'écoute et d'orientation en veillant à la cohérence et à la lisibilité des dispositifs proposés au niveau régional. Établir une labellisation des sites ou plateformes de téléconsultation pour s'assurer de la compétence des intervenants

Proposition n° 9 : Favoriser le recours à la téléconsultation ou au soutien par téléphone ou messagerie comme compléments aux prises en charge habituelles

Proposition n° 10 : Favoriser la diffusion auprès des médecins généralistes, pédiatres, médecins scolaires et médecins du travail d'outils cliniques permettant de détecter précocement d'éventuels troubles psychologiques

Proposition n° 11 : Expérimenter, dans le cadre d'une organisation territoriale, des offres permettant de faciliter un « premier contact », physique ou virtuel, avec des professionnels spécialisés en santé mentale

Proposition n° 12 : Favoriser l'émergence de nouveaux métiers de médiation et d'aide à la coordination des parcours en santé mentale et revaloriser le statut des infirmiers de pratique avancée

Proposition n° 13 : Revaloriser le positionnement des psychologues dans les parcours de prise en charge « de première ligne » en adaptant en conséquence leur formation

Proposition n° 14 : Associer les psychologues aux dispositifs territoriaux tels que les projets territoriaux de santé mentale pour renforcer leur visibilité et leur articulation avec les autres acteurs et renforcer le dispositif de présence de psychologues libéraux dans les maisons et centres de santé

I. LA CRISE SANITAIRE, UN AMPLIFICATEUR DES BESOINS EN MATIÈRE DE SANTÉ MENTALE

A. UN ÉVÉNEMENT COLLECTIF ANXIOGÈNE : UN IMPACT À SUIVRE ET ÉVALUER DANS LE TEMPS

1. La santé mentale, victime collatérale de la crise sanitaire : des enseignements encore partiels
a) Une augmentation des états anxieux et dépressifs en population générale

La pandémie de covid-19, dont les premières répercussions ont démarré en mars 2020 en France et en Europe, a produit une série de conséquences palpables sur la santé mentale de la population.

Deux aspects de la pandémie ont contribué à ces conséquences sur la santé mentale :

- l'épidémie elle-même , avec la crainte face au virus , au risque de contamination et à la maladie et son risque mortel , pour soi ou ses proches ;

- les mesures de lutte contre la propagation du virus , avec des mesures de confinement , d'activité partielle ou de télétravail subis ou encore la fermeture des écoles, perturbant fortement la vie sociale et familiale et l'environnement économique.

Différentes études épidémiologiques ont été menées, en France comme au niveau international, pour analyser l'impact de la pandémie sur la population générale, certaines étant spécifiquement consacrées à la santé mentale. Les analyses convergent pour constater une dégradation sensible de l'état psychologique de la population générale .

En France, l'agence nationale de santé publique, Santé publique France, mène depuis le 23 mars 2020 une enquête pour suivre en population générale l'évolution des comportements et de la santé mentale. Les différentes vagues de cette enquête, qui se poursuit encore, montrent les dynamiques de la situation française en matière de santé mentale et un impact certain de la période sur l'état psychologique de la population générale

L'enquête CoviPrev

CoviPrev est une enquête transversale répétée (chaque échantillon est indépendant) par internet auprès de 2000 répondants âgés de 18 ans et plus, recrutés au sein d'un panel d'internautes (inscrits pour obtenir des points cadeaux en l'échange de participation à des enquêtes) selon la méthode des quotas appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, CSP, taille d'agglomération, région de résidence.

Il est actuellement prévu de prolonger cette étude jusqu'à l'automne prochain. Ensuite, si la sortie de crise épidémique se poursuit, d'autres dispositifs d'enquête tels que le baromètre santé pourront prendre la relève, si la fréquence des points exigée par la crise épidémique n'est plus justifiée

Les principaux indicateurs retenus montrent dès le premier confinement, une dégradation sensible :

- de la satisfaction de vie actuelle, qui s'effondre brutalement en mars 2020 à 66,3 % contre 84,5 % hors épidémie ;

- concernant l'interrogation sur la projection positive dans le futur, avec un taux de 80,3 % en mars 2020 contre 86,5 % hors épidémie.

Parallèlement, différents indicateurs sont eux en hausse notable , également dès le premier confinement :

- les signes d'anxiété sont ainsi estimés en mars 2020 à hauteur de 26,7 % des Français, contre 13,5 % hors épidémie, avec une baisse progressive au fil du confinement mais un taux jamais inférieur à 18 % ;

- les syndromes dépressifs sont eux évalués à 19,9 % dès la fin mars 2020, contre 9,8 % hors épidémie ;

- les problèmes de sommeil sont relevés dès la fin mars 2020 pour 61,3 % de la population, contre 49,4 % en temps normal.

Évolution de différents indicateurs de santé mentale
depuis le début de la pandémie

Source : Santé publique France - Enquête CoviPrev

Prévalences

Sources : Baromètre de Santé publiques France (BSpF), France métropolitaine, 2017 // Enquête Coviprev, France métropolitaine, 2020-2021

Les différentes phases de la pandémie conduisent à des variations dans les indicateurs suivis par le baromètre de Santé publique France. Ainsi, concernant l'anxiété et la dépression, on constate une baisse relative à l'issue du premier confinement, une stabilisation à un niveau élevé , avant une nouvelle hausse dès la fin de l'été 2020, avant même le deuxième confinement.

Surtout, les rapporteurs soulignent que plus d'un an après le début de la pandémie, les différents aspects analysés demeurent à des niveaux estimés très supérieurs à la situation observée hors épidémie. Ainsi, au début du mois de novembre 2021, un état anxieux demeure relevé pour 22,9 % de l'échantillon , soit plus de 9 points au-dessus de l'enquête de 2017 servant de référence, quand les syndromes dépressifs sont encore estimés pour 16,7 %, soit près de 7 points au-dessus de 2017.

Ces analyses ont été confirmées par l'enquête EpiCov menée conjointement par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees). Dans les résultats relatifs à la première vague de l'enquête 4 ( * ) , la Drees estime ainsi qu'en mai 2020, à l'issue du premier confinement, 13,5 % des personnes âgées de 15 ans ou plus en France présentaient un symptôme dépressif , soit une hausse de 2,5 points par rapport à 2019.

Constatant que la survenue d'un syndrome dépressif est fortement corrélée à la situation individuelle, les auteurs de l'étude soulignent certains facteurs spécifiques à la situation sanitaire , notamment le fait de voir sa situation financière se dégrader depuis le confinement, ou les conditions mêmes de ce dernier - en appartement, seul, ou en dehors de son logement habituel, chez ses parents ou un conjoint -, ou encore d'avoir présenté des symptômes évocateurs de la covid-19.

Une troisième vague de l'enquête, menée de juin à août 2021, a été dédiée particulièrement à l'impact de la crise sanitaire sur la santé mentale. Ses résultats ne sont à cette date pas encore connus.

Enfin, élément révélateur des besoins en matière de santé mentale, le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie a souligné auprès des rapporteurs l'évolution de la nature des consultations auprès des médecins généralistes durant la première phase de la crise sanitaire. Ainsi, « alors qu'au début de l'épidémie les demandes de consultation pour d'autres motifs, comme le suivi de maladies chroniques, le suivi pédiatrique ou le suivi de grossesse ont chuté de plus de 50 % par rapport à l'activité courante pour près d'un médecin généraliste sur deux, les demandes de soins liées à la santé mentale sont une exception notable : elles ont augmenté pour la moitié des médecins ».

Malgré ces enquêtes, le suivi épidémiologique apparaît insuffisant aux yeux de différents intervenants. Les Prs Pelissolo et Leboyer ont ainsi insisté sur la nécessité de renforcer l'analyse des conséquences du covid en population générale et post-covid.

Interrogé par les rapporteurs sur une « vague psychiatrique » qui pourrait être identifiée, le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie considère qu'une telle vague n'est pas visible jusqu'à l'été 2020 , avec cependant des situations très contrastées selon les régions , une forte tension étant soulignée en Île-de-France par exemple. Cependant le délégué constate une dégradation généralisée attestée de la santé mentale de la population depuis la rentrée de septembre 2020 .

b) Une préoccupation particulière concernant les suicides

La question des suicides durant les différentes vagues de la crise sanitaire et particulièrement la première vague est un sujet de préoccupation particulière. En effet, les différents facteurs évoqués précédemment, particulièrement la solitude , sont des facteurs de risque suicidaire.

La poursuite sur la durée des mesures de confinement et, plus globalement, de la crise sanitaire, ont renforcé les craintes sur la santé mentale et, particulièrement, sur la question du suicide. Ainsi, l'après-confinement et la situation observée avaient conduit en 2020 Michel Debout à titrer une enquête pour la fondation Jean Jaurès « suicide : l'autre vague à venir du coronavirus ? », le psychiatre soulignant les effets récurrents des crises économiques et sociales sur cette question.

Si les analyses sur les suicides durant la crise sanitaire doivent encore être complétées, les données 5 ( * ) relevées au niveau national par le CHU de Montpellier sont de 10 400 hospitalisations pour tentative de suicide durant le premier confinement. Ce chiffre, conforme aux observations faites dans d'autres pays, montre une baisse par rapport à l'année 2019 . Cependant, comme le soulignent certaines analyses, cette baisse est essentiellement le fait des tentatives « non-sévères » quand on constate en revanche une stabilité du nombre de tentatives sévères et de décès pendant l'hospitalisation. Cette analyse semble également partagée par le Pr Gorwood 6 ( * ) , chef de pôle au GHU Paris-Psychiatrie et neurosciences, qui soulignait que, si le nombre de tentatives avait pu baisser au début de l'épidémie, elles se traduisaient en proportion davantage par un décès .

Le Pr Gorwood estime en outre que si de nouvelles tentatives sont sans doute imputables en partie à l'épidémie, d'autres ont sans doute été évitées ce qui, d'un point de vue statistique, peut expliquer leur stabilité.

D'un point de vue plus général et sur une période plus longue, concernant la question des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois , l'enquête CoviPrev montre un taux élevé à la fin 2021, avec 9,6 % des Français, soit 5 points de plus que le niveau hors épidémie .

Cet indicateur, mesuré depuis la vague de février 2021 où l'agence estimait à 8,2 % le nombre de Français ayant eu des pensées suicidaires au cours de l'année écoulée, se maintient à un niveau élevé, toujours supérieur à ce taux.

c) Une confirmation par la consommation de médicaments

L'enquête CoviPrev, sans avoir de données de référence hors épidémie, a suivi sur une partie de l'année 2020 la consommation de médicaments psychotropes . Celle-ci a sensiblement augmenté durant le premier confinement, concernant 10,4 % de la population à la fin mars 2020 et jusqu'à plus de 13,5 % sur les dernières semaines du confinement. Surtout, cette progression a été quasi continue, malgré une baisse durant le mois de juillet, et cette consommation concernait finalement 15,8 % de la population à la fin du mois d'octobre 2020 , à la veille du deuxième confinement.

Les rapports du groupement d'intérêt scientifique (GIS) de l'Assurance maladie et de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, Epi-Phare, permettent également de suivre la consommation de médicaments, particulièrement révélatrice de l'état psychologique de la population durant la pandémie et qui confirme les résultats des enquêtes épidémiologiques.

Consommations médicamenteuses des médicaments des troubles mentaux
et des troubles des addictions entre les semaines S10 de 2020 et S16 de 2021

Consommations médicamenteuses du 2 mars 2020 au 25 avril 2021 : écart relatif entre les nombres de délivrances observés et attendus.
Les périodes de confinement entre les semaines 12 et 19 de 2020 et entre les semaines 44 et 51 de 2020 sont représentées en rouge, la 3 ème phase de mesures restrictives à partir du 3 avril 2021 est représentée en bleu.

Source : Rapport EPI-PHARE, Usage des médicaments de ville en France durant l'épidémie de covid-19 - point de situation jusqu'au 25 avril 2021 .

On constate ainsi une augmentation immédiate et substantielle de la consommation de médicaments dès la première semaine de confinement de mars 2020 , avec des consommations d'antidépresseurs, d'antipsychotiques ou d'anxiolytiques toutes supérieures aux cibles attendues, et ce dans des proportions autour de 20 % .

Cette tendance à une consommation majorée, même dans de moindres proportions, est également constatée pour les hypnotiques et pour les traitements de dépendance à l'alcool ou aux opiacés .

D'autres périodes de forts écarts à la hausse sont aussi constatées depuis : au milieu de l'été 2020, immédiatement lors du deuxième confinement de 2020 et, en 2021, durant plusieurs semaines du couvre-feu et immédiatement au démarrage de la phase de mesures restrictives. Chaque « choc » de mesures ou de reprise épidémique semble ainsi conduire à une surconsommation de ces médicaments.

Sur cet aspect également, l'évolution semble durable : la dynamique constatée en 2020 lors des premières vagues apparaît maintenue en 2021. Le rapport de mai 2021 constate ainsi que « la tendance forte de l'augmentation d'utilisation de ces 3 classes de médicaments s'est encore amplifiée en 2021 », avec des hausses des délivrances de + 5% à + 13 % selon les médicaments, et des hausses d'instaurations de + 15% à + 26 % par rapport à l'attendu.

Usage des médicaments de ville en France
durant l'épidémie de covid-19

Année 2020

1 er confinement

post-confinement

2 ème confinement

Total

S12 à S19

S20 à S43

S44 à S51

S12 à S51

Antidépresseurs

+ 2,2 %

+ 142 304

+ 1,9 %

+ 375 440

+ 4,7 %

+ 313 841

+ 2,6 %

+ 831 585

Antipsychotiques

+ 4,2 %

+ 75 412

+ 1,9 %

+ 106 740

+ 3,6 %

+ 67 938

+ 2,7 %

+ 250 089

Anxiolytiques

+ 6,3 %

+ 387 207

+ 6,1 %

+ 1 136 972

+ 8,6 %

+ 544 405

+ 6,7 %

+ 2 068 584

Hypnotiques

+ 5,4 %

+ 125 574

+ 7,5 %

+ 526 390

+ 8,4 %

+ 200 154

+ 7,3 %

+ 852 119

Trait dépendance aux opiacés

+ 2,3 %

+ 9 677

+ 2,8 %

+ 34 999

+ 3,6 %

+ 15 061

+ 2,9 %

+ 59 736

Traitements dépendance alcool

- 0,7 %

- 678

+ 1,4 %

+ 4 108

+ 6,1 %

+ 6 125

+ 1,9 %

+ 9 555

Année 2021

couvre-feu

3 ème phase
de mesures restrictives

Total

S1 à S12

S13-S16

S1-S16

Antidépresseurs

+ 7,3 %

+ 721 314

+ 10,3 %

+ 331 283

+ 8,0 %

+ 1 052 596

Antipsychotiques

+ 4,4 %

+ 126 704

+ 6,6 %

+ 60 244

+ 5,0 %

+ 186 948

Anxiolytiques

+ 9,7 %

+ 913 898

+ 12,5 %

+ 374 301

+ 10,3 %

+ 1 288 199

Hypnotiques

+ 11,9 %

+ 414 506

+ 15,5 %

+ 169 169

+ 12,7 %

+ 583 675

Trait dépendance aux opiacés

+ 4,5 %

+ 28 421

+ 5,0 %

+ 10 192

+ 4,7 %

+ 38 613

Traitements dépendance alcool

+ 7,8 %

+ 11 742

+ 13,5 %

+ 6 556

+ 9,2 %

+ 18 297

Source : Rapport 6 Epi-phare 7 ( * )

Ainsi, comme le souligne le rapport, sur la période de plus d'un an après le début du premier confinement 8 ( * ) , entre mars 2020 à avril 2021, on observe une augmentation par rapport à l'attendu et + 1,9 million de délivrances d'antidépresseurs , + 440 000 de délivrances d'antipsychotiques, + 3,4 millions de délivrances d'anxiolytiques et + 1,4 million de délivrances d'hypnotiques.

Le groupement note enfin que les moins de 60 ans montrent les taux d'augmentation « de loin » les plus élevés de consommation d'antidépresseurs, antipsychotiques, anxiolytiques et hypnotiques en 2021.

2. Des signaux de vigilance sur certains publics vulnérables
a) Des fragilités identifiées sur certaines catégories, particulièrement les femmes et les jeunes

Si l'impact de la crise sanitaire est constaté dans l'ensemble de la population générale, certains profils ont connu des évolutions particulièrement sensibles, comme l'ont souligné auprès des rapporteurs les professeurs Leboyer et Pelissolo 9 ( * ) : les jeunes, les femmes et les personnes précaires ont ainsi montré une dégradation plus forte que la moyenne de leur état de santé mentale.

Maria Melchior, directrice de recherche à l'Inserm, soulignait elle aussi auprès des rapporteurs que « les données recueillies soulignent la vulnérabilité des soignants (surtout ceux qui sont en contact avec des personnes atteintes de covid-19), les personnes qui avaient des antécédents de difficultés psychologiques, les personnes qui ont des difficultés financières ou qui n'ont pas d'emploi, les adolescents et jeunes adultes ».

Cette analyse se retrouve également dans l'enquête EpiCov qui estime ainsi que l'augmentation des syndromes dépressifs est plus forte chez les 15-24 ans (22 % en mai 2020, contre 10,1 % en 2019) et chez les femmes (15,8 % en 2020, contre 12,5 % en 2019).

Concernant les enfants et les jeunes , le délégué ministériel a mis en avant le bilan tiré de la surveillance des passages aux urgences , avec une augmentation des recours liés à la santé mentale. Entre les printemps 2020 et 2021, une augmentation de 40 % des admissions aux urgences pédiatriques a été constatée, avec une saturation des lits en pédopsychiatrie .

Surtout, il a souligné l'augmentation « particulièrement inquiétante » des tentatives de suicides chez les moins de 15 ans , avec 160 passages hebdomadaires aux urgences pour geste suicidaire. Sur ce point en particulier, le Pr Pelissolo faisait état d'échanges avec des homologues étrangers constatant cette même hausse des gestes suicidaires avec parfois jusqu'à un doublement des chiffres observés 10 ( * ) .

La Pr Angèle Consoli, du service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière a également fait ce constat d'une « explosion » à l'automne 2020 des demandes de soins pédopsychiatriques .

La professeure souligne en outre deux raisons principales à l'augmentation des symptômes anxieux, dépressifs ou du stress chez les enfants :

- l'impact du confinement et particulièrement les périodes de fermeture des écoles, avec des symptômes d'autant plus présents que le niveau scolaire est avancé ;

- les violences et tensions familiales et la maltraitance , majorées par les confinements.

La question de la santé mentale des enfants est enfin une préoccupation relayée également par la Défenseure des Droits dans son rapport de 2021 11 ( * ) qui recommande une étude pluridisciplinaire et longitudinale sur les effets à long terme de la crise sanitaire sur la santé mentale des enfants et des adolescents .

Concernant les étudiants , Santé publique souligne que si les données de l'enquête CoviPrev montrent des prévalences plus importantes d'états dépressifs et anxieux chez ce public, la faible taille de l'échantillon ne permet pas de produire des analyses plus fouillées ni de faire des distinctions entre les filières académiques.

L'étude Cover, menée auprès des étudiants de trois grandes écoles de Rennes, a également tenté également d'identifier l'impact de la pandémie sur les étudiants.

Étude COVER

L'étude a pour objectif d'évaluer l'impact de la crise sanitaire jusqu'au mois de novembre 2020 en France sur la santé mentale des étudiants au travers de divers indicateurs : détresse psychologique, soutien social, solitude, symptômes dépressifs et symptômes anxieux. Elle se base sur les données recueillies dans le cadre de l'enquête longitudinale COVER portant plus largement sur les facteurs de risque et les comportements des étudiants de Rennes face à l'épidémie de covid-19.

Les auteurs soulignent les lacunes que peut présenter une telle étude déclarative et conduite sur un échantillon particulier d'étudiants quand cette population est très hétérogène, malgré un taux de réponses jugé élevé (18 %). Cependant, ils estiment que « si l'on essaie de comparer ces résultats avec des études réalisées précédemment, on constate une augmentation du niveau de détresse psychologique ».

b) Une atteinte particulière des personnes déjà vulnérables ou précaires

Entendues par les rapporteurs, Coralie Gandré et Magali Coldefy, chargées de recherche à l'institut de recherche et documentation en économie de la Santé, ont également constaté de fortes inégalités dans la survenue d'une situation de détresse psychologique au cours du premier confinement .

Pour elles, si le fait d'être exposé au virus en constitue un facteur de risque, les conditions et conséquences du confinement semblent jouer le rôle le plus marqué . Ainsi, « certains segments de la population particulièrement à risque ont été identifiés, notamment les femmes, les personnes vivant avec une maladie chronique, celles bénéficiant d'un faible soutien social, celles confinées dans des logements sur-occupés et celles dont la situation financière s'est dégradée ». La crise sanitaire apparaît ainsi comme révélant ou renforçant des inégalités sociales préexistantes.

Il semblerait selon elle que les mesures de confinement affectent plus fortement des populations déjà vulnérables et renforcent des inégalités préexistantes .

Dans son panorama des vulnérabilités identifiées, Maria Melchior soulignait ainsi : « Par ailleurs les personnes sans logement stable et en particulier les personnes étrangères qui représentent la grande majorité des personnes hébergées dans des structures collectives, ont des niveaux de dépression et stress très élevés qui sont encore majorés par l'épidémie . »

Dans le cas plus particulier des personnes vivant avec une maladie chronique ou un handicap , il apparaît que la survenue d'une détresse psychologique au cours du confinement s'avère en grande partie liée à des problématiques qui leur sont propres, les deux chercheuses mentionnant notamment les difficultés à appliquer les mesures sanitaires , la crainte de ne pas être pris en charge comme les autres en cas d'infection par la covid-19, l'arrêt ou la diminution du suivi médical ou médico-social habituel pendant le confinement.

Enfin, les personnes âgées , de par leur isolement social et la solitude qu'elles subissent, que ce soit en établissement comme à domicile, ont été identifiées comme un public vulnérable.

• Si de premiers constats convergents peuvent être distingués à travers les premières études, ce suivi doit être approfondi et, surtout, prolongé dans la durée alors que le suivi de la santé mentale est, en temps normal, particulièrement lacunaire.

c) Une catégorie professionnelle particulièrement suivie : les soignants

L'impact de la pandémie sur la santé mentale de la population doit également s'appréhender à travers les conséquences de l'épidémie et des mesures de lutte, particulièrement les confinements successifs, sur l'organisation du travail .

Ces aspects ont été suivis par Santé publique France, qui a analysé les risques liés à l'isolement et au télétravail durant cette période mais aussi les différences d'impact selon les catégories professionnelles et les secteurs d'activité.

L'enjeu de la santé mentale en milieu professionnel

Concernant l'impact des modifications de l'organisation et des conditions de travail durant la pandémie, Santé publique France procède pour le moment à la collecte et à la production d'informations sur cette crise en milieu professionnel.

Sont notamment suivies tant les conditions de l'activité que les interruptions éventuelles durant le confinement ou les risques économiques liés aux changements dans l'activité , l'agence soulignant que la crise a accéléré le déploiement de nouvelles modalités d'organisation du travail (dont le télétravail), de mesures de prévention en milieu professionnel voire une impossibilité de travail pour certaines catégories de travailleurs.

Particulièrement, « de longues périodes de travail sédentaire, le travail isolé ou encore la porosité des frontières entre vie professionnelle et vie privée représentent quelques-uns des risques associés au télétravail qui peuvent avoir un impact sur la santé mentale et physique des travailleurs (anxiété, dépression, addiction, santé musculo-squelettique, prise de poids...) ».

Les études en cours à Santé publique France portent à la fois sur la caractérisation des inégalités d'exposition et leurs conséquences , ainsi que sur les conséquences du confinement et de ce qu'il a impliqué en termes d'adaptation à de nouvelles modalités d'organisation :

- des analyses spécifiques de l'enquête CoviPrev permettent d'appréhender l'évolution de l'anxiété et de la dépression selon les différentes modalités de travail, les professions et les secteurs d'activité : dans CoviPrev, les indicateurs sur l'anxiété et la dépression font l'objet de suivi dans la population active occupée avec des analyses spécifiques de leur évolution lors des vagues successives d'enquêtes. Dans cette population, comme en population générale, les taux de dépression étaient plus élevés lors des deux confinements que pendant la période de déconfinement, tandis que ceux de l'anxiété très élevés au début du premier confinement ont diminué dès la mi-avril et leur évolution est restée relativement stable durant tout le reste de l'année 2020. Une publication de ces analyses est prévue en juin 2021 ;

- l'évolution des conditions de travail et de la consommation de substances psychoactives avant, pendant et après le premier confinement a également été interrogée lors d'une enquête auprès de 4 000 salariés. Cette étude est coordonnée par plusieurs institutions dont la Mildeca, l'Anact, l'Anses, l'INRS et Santé publique France ;

- les cohortes COSET-indépendants et COSET-MSA vont aussi permettre de mesurer dans ces populations spécifiques (les travailleurs indépendants et les travailleurs agricoles) les symptômes dépressifs et anxieux au cours du premier confinement.

Cependant, Santé publique France estime que les résultats produits, dont ceux visant à mesurer l'impact du télétravail, sont liés à un contexte extrême . Ces résultats reflètent avant tout l'impact de la crise sanitaire liée à la covid-19 sur l'organisation du travail et la santé mentale des travailleurs. Les résultats constatés ne pourraient être généralisés.

Source : Réponses au questionnaire

Parmi les catégories professionnelles, les soignants ont été désignés par différents intervenants comme particulièrement vulnérables avec un impact sensible en termes de santé mentale. Leur exposition directe à l'épidémie, le stress, l'épuisement et la confrontation avec la mort sont des facteurs soulignés.

Si Santé publique France précise que les études CoviPrev et COSET-indépendants n'ont pas permis de produire des analyses spécifiques sur le personnel soignant , de nombreux articles provenant d'établissements hospitaliers en France mettent en avant une prévalence importante de symptômes dépressifs et anxieux , de troubles de sommeil, comme cela a été noté dans d'autres pays. L'enjeu semble maintenant être dans la prévention secondaire et la prise en charge de ces troubles chez les soignants.

Un exemple concret a été souligné auprès des rapporteurs, avec le bulletin épidémiologique 12 ( * ) et l'analyse de la situation des personnels de nuit de l'AP-HP à Paris . Cette étude montre des peurs très fortes chez les répondants, déclarant craindre, pour plus de 90 %, de transmettre la covid-19 à leurs proches , ou, pour 65,5 % d'entre eux, d'être infectés au travail. Près de 78 % se sentent en outre plus vulnérables face à l'infection.

d) Une absence de conclusions sur l'évolution des pathologies

Si l'état de la population générale a été particulièrement marqué, et continue de l'être, par la crise sanitaire, aucune conclusion n'est tirée à ce jour concernant l'évolution des pathologies mentales .

Ainsi, comme l'ont souligné les psychiatres rencontrés lors du déplacement sur le site de l'hôpital Sainte-Anne, seuls les troubles de l'alimentation ont pour le moment connu une évolution sensible, à la hausse , au cours de la crise sanitaire.

Durant les premières phases de la pandémie, il convient cependant de souligner que le redéploiement des effectifs et la réorganisation des services hospitaliers dans l'urgence n'a pas permis de maintenir l'ensemble des activités . L'exemple parisien de l'hôpital Sainte-Anne montre par exemple l'arrêt de certaines consultations de sevrages. En cela, la pandémie, sans aggraver directement les pathologies, a pu avoir un impact en termes de retard de soins.

Enfin, si cela peut paraître paradoxal, certains patients atteints de pathologies mentales ont parfois vu leur état s'améliorer durant la pandémie, avec ce que les médecins désignent comme un « syndrome de résilience » face à une catastrophe.

Proposition n° 1 : Renforcer le suivi épidémiologique sur les pathologies mentales et poursuivre l'analyse de l'impact de la pandémie sur la santé mentale

Proposition n° 2 : Soutenir et coordonner, au niveau national et européen, les études de suivi de l'impact de la crise sanitaire sur la santé mentale de la population générale ainsi que sur des populations spécifiques comme les soignants ou les jeunes

3. Soutenir et coordonner un effort d'amélioration des connaissances et de recherche en matière de santé mentale
a) Un besoin de recherche et de suivi

Interrogée sur les perspectives en matière de santé mentale, Maria Melchior, directrice de recherche à l'Inserm, considérait auprès des rapporteurs qu'il est pour le moment trop tôt pour savoir si ces troubles vont durer dans le temps ou s'aggraver , soulignant comme variable potentielle tant la durée de la crise sanitaire que les conséquences sociales et économiques qu'elle engendrera. Aussi, la chercheuse a souligné que les études existant sur des crises sociales et économiques passées montrent une augmentation des taux de suicide deux ans après le début de la crise.

Les différents acteurs entendus par les rapporteurs, tant chercheurs que professionnels de santé, estiment que les conséquences de la pandémie en matière de santé mentale ne sauraient être pleinement estimées à ce jour et que des recherches supplémentaires seront nécessaires .

Si les impacts psychologiques de cette crise devront être évalués dans le temps long, cela soulève cependant, comme l'ont rappelé plusieurs intervenants, les lacunes du financement des études et de la nécessaire coordination des travaux de recherche , plutôt éparses à l'heure actuelle.

Or, le manque de ressources et de compétences pérennes sur ces thématiques de santé mentale est relevé par les chercheurs qui notent également des enjeux d'amélioration des connaissances sur la santé mentale des enfants de moins de 11 ans et des populations en situation de grande vulnérabilité, non ciblées dans les enquêtes.

b) Une interrogation sur les conséquences mêmes de la maladie

Au-delà de l'impact sur la population générale que peut avoir ou continuer d'occasionner la crise sanitaire, ses conséquences et les mesures prises pour lutter contre la propagation de l'épidémie, se pose enfin la question des éventuelles conséquences psychologiques ou psychiatriques que pourrait avoir la covid-19 .

Ainsi, les Prs Leboyer et Pelissolo ont également attiré l'attention des rapporteurs sur les « covid longs » et les conséquences psychiques pour les patients hospitalisés. À ce jour, les deux chercheurs constatent qu'aucun appel d'offre dédié n'est lancé en France sur ces sujets, alors que, soulignent-ils, un lien ancien a été établi entre infections et troubles psychiatriques.

Le Pr Pelissolo invite ainsi à soutenir les études épidémiologiques pour quantifier les conséquences psychiatriques de la crise en population générale et post-covid : celui-ci estime entre 20 et 30% de personnes déprimées mais non diagnostiqués et non traitées. Le chercheur souligne aussi la nécessité de comprendre l'action cérébrale du virus.

Sur ce sujet, l'agence Santé publique France a indiqué qu'une étude sur la prévalence des troubles de la santé mentale chez les patients ayant été hospitalisés pour covid-19 est prévue, qui devrait être menée à partir du système national des données de santé (SNDS).

Proposition n° 3 : Favoriser la conduite d'une étude de suivi des patients post-covid-19 pour étudier les liens entre infection et maladie mentale et évaluer l'impact des stratégies thérapeutiques


* 4 Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, numéro 1185, mars 2021.

* 5 Présentation sur le site de la Fondation FondaMental « Les hospitalisations pour tentative de suicide pendant le premier confinement en France », avril 2021.

* 6 Déplacement au GHU Paris-Neurosciences.

* 7 Epi-phare, Usage des médicaments de ville en France durant l'épidémie de la covid-19 - point de situation jusqu'au 25 avril 2021. Étude pharmaco-épidémiologique à partir des données de remboursement du SNDS, 27 mai 2021, rapport 6.

* 8 Période du 16 mars 2020 au 25 avril 2021 et portant sur 4 milliards de lignes de prescriptions remboursées par l'assurance maladie à 51,6 millions d'assurés du régime général.

* 9 Audition et réponses au questionnaire.

* 10 Audition.

* 11 Défenseure des droits, Rapport annuel 2021 - Santé mentale des enfants : le droit au bien-être.

* 12 Santé publique France, BEH covid-19 n°6 - 13 avril 2021 : Vécu et gestion de la crise sanitaire liée à la covid-19 : le point de vue du personnel hospitalier de nuit de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris durant la première vague épidémique (enquête AP-HP ALADDIN, 15 juin-15 septembre 2020).

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