II. ÉCHANGES DE VUES SUR LE CALENDRIER DES TRAVAUX

(Jeudi 17 février 2022)

Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous touchons à la fin des travaux de la commission d'enquête sur le passe vaccinal. Les rapporteurs estiment pouvoir présenter leurs conclusions à la commission la semaine prochaine. Je rappelle que nous entendrons le ministre mardi à 9 heures. Le projet de rapport sera mis à disposition pour consultation le mardi après-midi, de 16 heures à 19 heures. Vous pourrez consulter le rapport dans une salle, sous surveillance et avec l'interdiction de prendre des photos. Une commission se tiendra le lendemain à 10 heures 30 puisque nous entendrons le modélisateur danois, qui a déjà fourni les éléments nécessaires au rapport. La commission sur l'examen du rapport se tiendra mercredi, à l'issue de l'audition des modélisations danois.

Selon les règles procédurales, en particulier le secret qui entoure les travaux d'une commission d'enquête, la partie consacrée à la présentation du rapport lors de la commission de mercredi ne se fera qu'en présentiel. Aux termes de notre règlement, le dépôt du rapport ouvre un délai de 24 heures, durant lequel une demande d'examen par le Sénat, en comité secret, peut être formulée. Jusqu'à l'expiration du délai de 24 heures, les travaux sont donc strictement soumis au secret. Je demanderai de laisser à nos rapporteurs, qui sont issus de groupes politiques différents, la primeur de présentation de leurs conclusions au cours d'une conférence de presse, le jeudi à 16 heures.

Mme Laurence Cohen . - La mission sur le passe vaccinal est-elle une mission d'information ou une commission d'enquête ?

Mme Catherine Deroche . - Il s'agit d'une mission d'information, avec des pouvoirs de commission d'enquête ce qui entraîne l'application des procédures applicables aux commissions d'enquête. La situation est différente pour la commission d'enquête Hôpital, dont je suis la seule rapporteure. Pour les EHPAD, notre commission sera aussi investie de la même manière des pouvoirs d'une commission d'enquête.

III. EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 23 février 2022, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission des affaires sociales, dotée des prérogatives de commission d'enquête le 20 janvier 2022, examine le rapport d'information de Mme Chantal Deseyne, M. Olivier Henno, et Mme Michelle Meunier, rapporteurs, sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous poursuivons nos travaux avec l'examen du rapport de la mission d'information, dotée des pouvoirs de commission d'enquête, sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19, dont le dépôt doit marquer la fin de nos travaux.

Je rappelle que l'objectif que nous nous étions fixé n'était pas de refaire le débat sur le passe vaccinal, largement approuvé par le Sénat dans le contexte d'une cinquième vague de l'épidémie qui s'annonçait particulièrement violente, ce qui a été confirmé depuis. Nous partagions alors la volonté d'éviter la submersion de capacités hospitalières mises à l'épreuve par deux ans d'épidémie. Il s'agissait plutôt pour nous de veiller, au fil du temps, à l'adéquation de cet outil à la situation de l'épidémie.

Mme Chantal Deseyne , rapporteur . - Le 17 décembre 2021, le Premier ministre a annoncé la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal. Cette annonce s'est traduite par la loi du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire, après des péripéties qu'il n'est pas nécessaire de rappeler. Le Sénat, en responsabilité, a adopté l'article 1 er à une très large majorité de 242 voix contre 69.

Les anticipations de l'évolution de l'épidémie, confirmées depuis, appelaient une nouvelle étape dans les réponses apportées. Je rappelle que nous étions alors à l'amorce d'une cinquième vague du variant Delta qui s'annonçait particulièrement violente avec un virus à la fois très transmissible et très dangereux. Sur le terrain de la vaccination, il y avait une bonne et une mauvaise nouvelle : la vaccination se révèle très efficace face au variant, mais la réponse immunitaire qu'elle apporte s'estompe avec le temps, nécessitant une dose de rappel. L'ampleur annoncée de la vague n'a pas été démentie et elle s'est abattue sur un système hospitalier fragilisé à la fois par des difficultés structurelles et par deux années de lutte contre l'épidémie.

Lors de l'annonce du passe vaccinal, nous savions encore très peu de choses du variant Omicron. Entendu le 30 novembre par la mission d'information « confinement », présidée par notre collègue Bernard Jomier, le professeur Yazdanpanah déclarait : «  S'agissant du variant Omicron, il nous faut rester humbles, car nous avons peu d'éléments : s'il semble plus transmissible, nous ne connaissons pas son impact sur la sévérité de la maladie ni sur l'efficacité des vaccins et des traitements. »

Au cours du mois qui a séparé l'annonce de la mesure de la promulgation de la loi, la situation et les connaissances ont évolué très vite. La France, on le sait, a eu pour caractéristique de connaître la superposition de deux vagues : celle du variant Delta, complétée et prolongée par celle du variant Omicron.

Dès le vote du texte, le Sénat a annoncé son intention de suivre la mesure. Le 20 janvier 2022, il a octroyé à la commission des affaires sociales les pouvoirs d'une commission d'enquête afin d'examiner l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19.

Un mois plus tard, nous vous présentons nos conclusions, ce calendrier étant motivé tant par l'évolution de la situation que par la multiplication des annonces et la suspension prochaine des travaux parlementaires en séance publique.

Nous ne sommes ni épidémiologistes, ni modélisateurs, ni experts. Pour répondre à la question qui nous était posée, notre méthode a été la suivante. Nous avons tout d'abord pris comme feuille de route la décision du Conseil constitutionnel du 21 janvier 2021. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a considéré que « ces dispositions, qui sont susceptibles de limiter l'accès à certains lieux, portent atteinte à la liberté d'aller et de venir et, en ce qu'elles sont de nature à restreindre la liberté de se réunir, au droit d'expression collective des idées et des opinions ». Il a toutefois estimé que le législateur avait « poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé », les dispositions contestées opérant « une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles ». Il a également estimé qu'en l'état des connaissances scientifiques disponibles, la vaccination permettait de limiter la transmission de la maladie et le développement des formes graves. Il a également observé que le dispositif était borné dans le temps, jusqu'au 31 juillet 2022.

Il a ensuite dessiné une forme de « tableau de bord de l'épidémie » dans les termes suivants : « En outre, les mesures contestées ne peuvent être prises que dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre l'épidémie de covid-19 et si la situation sanitaire le justifie au regard de la circulation virale ou de ses conséquences sur le système de santé, appréciées en tenant compte des indicateurs sanitaires tels que le taux de vaccination, le taux de positivité des tests de dépistage, le taux d'incidence ou le taux de saturation des lits de réanimation. Elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. »

Forts de cette feuille de route, nous avons ensuite arrêté une méthode très simple et décidé d'interroger les différents acteurs institutionnels du dossier sur les indicateurs retenus pour apprécier l'efficacité du passe vaccinal au regard des objectifs qui lui avaient été assignés.

Cette méthode était sans doute trop simple puisque c'est là où les choses ont commencé à se compliquer. Il est très vite apparu qu'il serait très difficile d'isoler les effets du passe vaccinal des autres instruments de lutte contre l'épidémie.

Le passe poursuivait un double objectif : limiter les contaminations en réduisant l'accès des personnes non vaccinées à certains lieux et préserver le système de soins en réduisant les tensions sur le système hospitalier par une incitation forte à la vaccination sans toutefois y contraindre. L'objectif final reste, comme tout au long de cette épidémie, de permettre aux capacités hospitalières de prendre en charge les patients covid sans pour autant compromettre les chances de patients atteints d'autres pathologies.

Mme Michelle Meunier , rapporteure . - À la différence du passe sanitaire, dont nous avions tous salué le succès, il nous est apparu au regard de ces objectifs que le passe vaccinal n'avait pas pleinement atteint sa cible.

S'il est exact qu'un outil comme le passe vaccinal produit ses effets dès son annonce, force est de constater que le sursaut escompté n'est pas intervenu dans les proportions attendues : 800 000 primo-vaccinations sont intervenues entre le 20 décembre et le 23 janvier, à rapporter aux près de 5 millions de personnes qui restaient à vacciner.

Surtout, on observe qu'outre la vaccination des enfants, ouverte le 22 décembre, qui a pu atténuer l'effet du passe vaccinal, les publics les plus réceptifs au passe vaccinal ont été assez logiquement ceux des tranches d'âge les plus concernées par une vie sociale très développée.

Entre le 12 décembre et le 6 février, le nombre de personnes non vaccinées a ainsi diminué de 34 % pour les personnes âgées de 18 à 39 ans, de 20 % pour celles âgées de 40 à 64 ans, et seulement de 13 % pour les personnes de 65 ans et plus. Le grand échec de la période reste celui du taux de vaccination complète avec rappel des plus âgés et des plus fragiles qui plafonne à 74,3 %pour les plus de 80 ans alors que certains de nos voisins sont parvenus à un taux de 100 % pour ce public cible.

Quant à l'admission rapide et massive des doses de rappel, le passe sanitaire produisait là une incitation strictement identique. Au-delà de cette cible manquée, la difficulté tient aussi au fait que l'épidémie, décidément protéiforme, a changé de visage. Comme l'indiquait à la commission le professeur Yazdanpanah le 16 janvier dernier : « Je suis très prudent, mais nous sommes quasiment devant une autre maladie. » Le variant Omicron s'est en effet révélé à la fois beaucoup plus transmissible - avec des taux d'incidence records et jusqu'à 500 000 personnes contaminées par jour, situation à laquelle nous n'aurions jamais pu faire face s'il avait eu la même létalité que le précédent variant -, mais aussi moins dangereux, avec théoriquement moins de conséquences pour le système hospitalier, qui reste cependant à une forte pression du fait de l'importance même de la circulation virale.

En somme, c'est davantage l'évolution du virus, avec la perspective d'entrer dans une phase endémique, plus que le passe vaccinal, qui aura modifié le visage de la crise dans notre pays.

Ainsi, si le vaccin protège toujours très efficacement contre les formes graves liées au variant Omicron, il prévient beaucoup moins bien les infections, dont le nombre a cru de façon exponentielle y compris chez les personnes vaccinées avec rappel, et la transmission du virus. Le bénéfice individuel et collectif du vaccin a donc pu sembler moins évident à l'heure même où il était rendu obligatoire pour l'accès à certains lieux. Lors de son audition, le Pr Fischer s'est inscrit en faux contre cette perception du vaccin, en rappelant que s'il ne prévenait pas totalement les transmissions, il les réduisait de 40 %, ce qui suffisait à préserver son bénéfice collectif. Toutefois, le bénéfice d'un passe vaccinal donnant accès à des lieux « sûrs », car fermés aux personnes non vaccinées, s'en est trouvé quelque peu relativisé.

S'est ajoutée à cette évolution du virus une communication illisible du Gouvernement.

Moins de cinq semaines après avoir déclaré, en quelque sorte « la patrie en danger », et avant même l'entrée en vigueur de la loi, le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé, au cours d'une conférence de presse organisée jeudi 20 janvier 2022, ont annoncé une série d'allègements des restrictions, du fait de l'amélioration de la situation sanitaire. Ces allègements devraient être actés en deux temps, à compter du 2 février puis du 16 février. Pour les entreprises notamment, dès le 2 février, le télétravail n'était plus « obligatoire », mais « recommandé » et son niveau devait être défini en fonction du « dialogue social interne ». Les boîtes de nuit, identifiées comme un haut lieu de contaminations, ont pourtant rouvert le week-end dernier.

À la suite de l'audition du Pr Fischer, qui avait estimé possible une levée du passe vaccinal à l'horizon fin mars début avril, le porte-parole du Gouvernement, Gabriel Attal, a confirmé cette hypothèse, sans pour autant la fonder sur des avis scientifiques récents ni sur des indicateurs précis, le Gouvernement s'étant toujours refusé à le faire.

Nous le savons maintenant grâce aux projections de l'Institut Pasteur rendues publiques ou transmises à la commission au titre de ses pouvoirs d'enquête, la décrue engagée devrait se confirmer et la dynamique s'accélérer avec une baisse rapide des hospitalisations et de l'occupation des lits de soins critiques est anticipée pour le mois de mars.

Ce que nous aurons montré ces travaux, c'est la grande difficulté à fonder le suivi et le pilotage de la crise sur des données articulées et transparentes. Bien sûr, nous avons pu le constater en audition, et le Pr Salomon n'a pas manqué de le rappeler, beaucoup de données sont en open data sur les sites publics. Ce n'est pas tant la diffusion des données qui fait défaut - même si la mise à disposition de certaines, comme sur les covid accessoires, a tardé - que la capacité du Gouvernement à en livrer une lecture au public qui trace des perspectives pour son action et pour les efforts demandés.

Les organismes chargés de la santé publique, au premier rang desquels l'agence nationale Santé publique France, au-delà de la seule mise à disposition des données, semblent singulièrement absents de la stratégie ou, à tout le moins, de son exposition à la population. L'audition du Pr Chêne était à cet égard frappante. L'articulation des missions entre les services du ministère et l'agence, déjà identifiée comme une difficulté lors de la commission d'enquête sur le covid, devra décidément être réexaminée.

M. Olivier Henno , rapporteur . - Publié le 17 février dernier, le dernier point épidémiologique de Santé publique France, qui porte sur la semaine du 7 au 13 février relève les éléments suivants.

Le taux d'incidence est de 1 367 cas pour 100 000 habitants, soit 917 313 nouveaux cas confirmés, et le taux de positivité est à 28,1 % en baisse dans toutes les classes d'âge. Le fameux « R » s'élève à 0,59 %.

Les nouvelles hospitalisations baissent dans l'ensemble des régions, avec 11 699 nouvelles hospitalisations, de même que le nombre de nouvelles admissions en soins critiques dans la quasi-totalité des régions, avec 1 415 nouvelles admissions en soins critiques. Le 15 février 2022, 31 160 patients covid étaient hospitalisés en France dont 3 248 en services de soins critiques, contre 3 568 le 8 février, soit une baisse de 9 %, ce qui nous ramène au niveau de la fin novembre.

Mais la mortalité reste toujours élevée avec plus de 800 décès par semaine.

Sur le terrain de la vaccination, 79,1 % de la population totale a reçu une primo-vaccination complète ; 81,3 % des personnes éligibles ont reçu une dose de rappel, 90,7 %parmi les 65 ans et plus.

Pour ce qui concerne les nouvelles primo-injections, l'effet du passe vaccinal, qui n'a jamais été massif, s'essouffle. Alors que 326 000 primo-injections ont été réalisées du 16 au 31 janvier, on n'en compte plus que 140 000 entre le 1 er et le 16 février. On peut penser que les hésitants ont été convaincus, mais que les opposants persistent et persisteront.

L'ensemble des indicateurs épidémiologiques nous semblent, sinon satisfaisants, du moins bien orientés et nous conduisent à préconiser de lever sans délai le passe vaccinal, c'est la première de nos recommandations.

Instruits par les précédentes vagues, nous envisageons cette décision avec prudence. Le professeur Delfraissy nous a rappelé, non sans humour, que l'intitulé de l'avis du Conseil scientifique du 5 octobre 2021, était : Une situation apaisée : quand et comment alléger ? Nous ne sommes pas à l'abri de nouveaux développements de l'épidémie, sous l'effet notamment, de l'apparition d'un nouveau variant.

Nous disons d'emblée qu'en levant le passe, il faut préciser les conditions d'une réversibilité de cette décision, en cas de diffusion d'un nouveau variant aux caractéristiques inquiétantes. Nous précisons aussi que la levée du passe vaccinal ne signifie pas la levée du passe sanitaire dans les hôpitaux ni de l'obligation vaccinale pour les soignants. L'épidémie n'est pas terminée.

Interrogé sur la levée des mesures et sur leur effet sur les libertés publiques, le même professeur Delfraissy nous a dit deux choses qui nous ont marqués.

La première, c'est « qu'il est toujours plus facile, comme en médecine, de prescrire de la restriction que de la liberté. »

La seconde, c'est qu'« un autre critère, bien sûr, sera l'acceptabilité des mesures par nos concitoyens, qui est fondamentale depuis le début de la crise. Pour l'instant, les Français ont accepté des choses extraordinaires. Jusqu'à quel point ? » La question de la proportionnalité des mesures est tout à fait essentielle. Il nous semble, compte tenu des indicateurs évoqués précédemment, mais surtout de leur orientation favorable, cette proportionnalité n'est aujourd'hui pas garantie.

Autre élément, si l'effet du passe s'est amoindri avec le temps, il est bien évident que l'annonce de sa levée prochaine ne va pas contribuer à convaincre les opposants à la vaccination. Si le passe produit des effets dès son annonce, il en produit aussi dès l'annonce de la levée.

Nous pensons qu'il faut impliquer le Parlement dans cette décision, en veillant à un certain formalisme qui représente une garantie de transparence pour nos concitoyens. C'est notre deuxième recommandation.

Comme cela a été le cas pour le déconfinement, nous préconisons un débat au Parlement en application de l'article 50-1 de la Constitution. Ce débat doit permettre de préciser les indicateurs à retenir pour le suivi de l'épidémie, ce que le Gouvernement avait refusé d'inscrire dans la loi, les conditions de la réversibilité éventuelle de la levée du passe vaccinal ou encore les lieux dans lesquels il conviendrait de maintenir un passe sanitaire compte tenu de la vulnérabilité particulière des personnes qui le fréquentent ou d'un risque de contaminations hors norme. Il doit aussi être l'occasion de définir un pilotage de l'épidémie qui ne passe plus par le conseil de défense. Nous ne sommes pas en guerre, nous luttons contre un virus et ses effets sur notre système de santé.

En période de suspension des travaux en séance publique, nous pourrions envisager une présentation de ces allègements par le ministre devant notre commission, élargie à l'ensemble des sénateurs.

En troisième lieu, nous recommandons d'axer les efforts dans la lutte contre l'épidémie sur les populations les plus fragiles, qu'il s'agisse de personnes âgées, précaires ou présentant des comorbidités. Pour elles, l'épidémie n'a pas changé de visage et le virus représente une menace bien présente.

L'aller-vers par le truchement des médecins traitants n'ayant connu qu'un succès mitigé, nous préconisons que ce soit l'assurance maladie qui effectue ce travail, comme elle le fait pour d'autres vaccinations ou d'autres mesures de prévention. Il faut peut-être aussi orienter la communication en direction des proches et des familles qui ont joué un rôle décisif dans des pays voisins, comme l'Espagne.

Nous préconisons enfin une politique plus systématique et plus volontariste envers les 300 000 personnes immunodéprimées de notre pays, qui vivent un confinement forcé depuis maintenant 2 années. Elles doivent se voir systématiquement proposer des traitements préventifs, ce qui n'est pas le cas actuellement et il faut encourager la recherche au profit de ces personnes pour lesquelles l'enjeu n'est pas le libre choix face au vaccin, mais bien l'impossibilité de bénéficier de la protection qu'il procure.

À l'heure où le pays s'apprête à alléger les mesures de restrictions et à retrouver une vie plus normale, c'est d'abord à ces personnes pour qui le risque est toujours bien présent, que nous devons d'abord penser.

M. René-Paul Savary . - Le rapport est bon, ses recommandations pertinentes. Ne pourrions-nous pas ajouter toutefois une recommandation visant à nous donner la possibilité de tirer les leçons de la crise pour définir les décisions à prendre à l'avenir en cas de nouvelles vagues, afin que ces décisions soient fondées sur l'expérience et étayées sur des données issues de situations déjà vécues. Cela aiderait nos concitoyens à les comprendre et les rassurerait. Pour cela, il faut mieux partager les données. Certes, elles sont accessibles en open data, mais il est difficile de les interpréter.

Mme Catherine Deroche , présidente . - C'est une bonne idée.

M. Alain Milon . - Je ne serai pas aussi optimiste que mon collègue. Créer une commission d'enquête immédiatement après avoir voté une loi est dangereux pour le Parlement. Cela revient à se demander, mais après avoir voté, si la loi est applicable ou non et quelles sont ses conséquences ! À ce rythme, il faudrait alors créer une commission d'enquête sur bien des sujets, comme, par exemple, sur la loi allongeant les délais de recours à l'IVG qui vient d'être votée. Par conséquent, je m'abstiendrai. J'ajoute que les mesures proposées ont déjà été mises en oeuvre par le Gouvernement, avant même que nous ne les formulions. Cette démarche me semble donc à la fois dangereuse pour le Parlement, et inutile.

M. Daniel Chasseing . - Je félicite nos rapporteurs. Au Danemark, l'épidémie a été endiguée par les mesures barrières et par la multiplication des tests, jusqu'à 10 % de la population testée par jour : en France, cela représenterait 6 millions de tests par jour.

M. Martin Lévrier . - Je rejoins la position de M. Milon. Je m'étonne que nous multipliions les rapports alors que la crise n'est pas finie... Lors de notre travail, l'an passé, sur l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion, nous avions multiplié les auditions, mais notre rapport n'a pas produit tous ses effets, car la crise a redémarré aussitôt ! Cette fois, un mois à peine après avoir voté la loi sur le passe vaccinal, on propose déjà d'autres solutions et on explique déjà que l'on n'aurait pas dû voter la loi !

On sait que le passe vaccinal vise avant tout les réfractaires. On savait qu'il serait difficile de toucher ce public. Je regrette à cet égard que nous n'ayons pas auditionné d'antivax. Nous aurions pu leur demander notamment comment ils appréciaient le passe vaccinal par rapport au passe sanitaire ou à d'autres dispositifs. Ils sont contre tout...

Autre point d'étonnement, nous sommes tous favorables à une démarche pédagogique, préférant convaincre pour inciter à la vaccination, plutôt que d'y obliger ; or cette approche n'a pas été explorée dans le rapport. J'ajoute que les préconisations du rapport sont déjà mises en oeuvre... Quelle image donnons-nous aux Français ? On demande au Gouvernement de simplifier, mais le faisons-nous en proposant des mesures qui existent déjà ? Notre rapport ne fait qu'ajouter de la complexité. Je ne le voterai pas.

M. Laurent Burgoa . - Je tiens à féliciter nos rapporteurs pour la qualité de leur travail et leur souhaite bon courage pour la communication : il ne faudrait pas donner, en effet, des armes aux antivax. Il faudra être vigilant sur ce point. Je m'abstiendrai.

Mme Catherine Procaccia . - Je félicite les rapporteurs : il n'était guère aisé de faire des propositions en si peu de temps. Tant mieux d'ailleurs si elles correspondent aux mesures qui viennent d'être prises. Cela montre que l'on ne va pas dans le sens des antivax qui souhaitent la suppression immédiate sans condition du passe vaccinal.

Avez-vous envisagé de rendre obligatoire la vaccination uniquement pour les personnes les plus fragiles ? Cela permettrait de supprimer le passe vaccinal pour le reste de la population.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Certes notre travail a été rapide, mais cela n'aurait eu aucun sens d'attendre des mois avant de formuler des propositions ! Le Sénat fait preuve de cohérence. Lorsque nous avons voté la loi créant le passe vaccinal, nous avions prévu des indicateurs permettant de vérifier l'utilité de ce dispositif et de pouvoir le lever en fonction de certains paramètres. L'Assemblée nationale n'a pas retenu ces dispositions. La création de notre commission d'enquête s'inscrit donc dans le prolongement de notre position. Si nos recommandations sont conformes aux dernières décisions du Gouvernement, tant mieux ! Mais je rappelle que les premiers à avoir parlé de levée des restrictions, alors même que le passe vaccinal n'était pas encore en place, ce ne sont pas les sénateurs !

Je ne vois pas non plus comment notre rapport fournirait des arguments aux antivax : ceux-ci sont toujours très critiques et demandent la levée de toutes les restrictions. Nous sommes cohérents avec nos demandes : nous souhaitions un suivi de la loi, nous l'avons assuré. Les gens ne comprennent pas pourquoi on leur demande d'aller se faire vacciner dès lors que l'on annonce déjà la levée prochaine des restrictions. Le ministre, qui plaidait pour une quatrième dose, évoque maintenant une « fatigue vaccinale ». La communication du Gouvernement a été, pour le moins, brouillonne. En tout cas, notre travail ne décrédibilise pas notre commission. Nous voulions définir des indicateurs. Notre travail s'inscrit dans cette ligne.

M. René-Paul Savary . - La question de Mme Procaccia est pertinente. Si l'épidémie évolue vers une épidémie saisonnière, comme la grippe, il sera plus opérant de mettre en oeuvre une vaccination centrée sur les populations les plus fragiles. Ne faudrait-il pas réfléchir alors à un système de vaccination plus ciblé ? Il n'existe pas de passe vaccinal pour la grippe, mais de simples recommandations pour inciter certaines personnes à se faire vacciner. Le passe vaccinal ne pourrait-il pas être pérennisé, selon des formes graduées, si l'épidémie devenait saisonnière ? L'enjeu est de protéger les personnes fragiles sans pénaliser les autres.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Les personnes les plus fragiles ne sont pas forcément celles qui se font le plus vacciner.

Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Nous avons du mal à atteindre certains publics fragiles. Il conviendrait sans doute de s'appuyer sur les communes et leurs centres communaux d'action sociale (CCAS) ou sur les départements pour mieux aller-vers ces personnes vulnérables, dans le cadre d'une démarche d'accueil global : à l'occasion, par exemple, d'un entretien pour les orienter dans une recherche d'emploi ou de stage, on pourrait ainsi les interroger sur leurs conditions de vie ou de santé pour mieux les accompagner.

M. Olivier Henno , rapporteur . - Autant la décision de mettre en oeuvre le passe sanitaire était solidement fondée, autant celle concernant le passe vaccinal apparaît fragile. M. Lévrier faisait part de son étonnement. En ce qui nous concerne, c'est la conférence de presse du Gouvernement du 20 janvier qui nous a surpris ! Moins d'un mois après la création du passe vaccinal, le Gouvernement annonce déjà la levée prochaine des restrictions ! C'est dire la fragilité de la décision. Cela change la donne. Nous avons donc dû réorienter et accélérer en conséquence nos travaux pour pouvoir faire des préconisations.

La question posée par Mme Procaccia est centrale pour l'avenir. Le Gouvernement n'a pas répondu à notre interrogation sur l'âge moyen et le profil des personnes décédées. Il semble qu'il s'agisse principalement de personnes fragiles ou immunodéprimées. La question centrale est bien d'aller vers les publics fragiles.

M. Martin Lévrier . - Si ce virus se transforme en virus saisonnier, la question se posera avec acuité d'atteindre les personnes fragiles. La CNIL avait autorisé la transmission aux médecins généralistes de la liste de leurs patients non vaccinés. Mais j'ai le sentiment qu'ils n'ont pas vraiment joué le jeu ; il était sans doute plus intéressant financièrement d'aller faire des vacations dans des centres de vaccination que d'appeler le soir ses patients pour les convaincre d'aller se faire vacciner... Les médecins ont un rôle central à jouer pour toucher les publics les plus fragiles, car leurs patients leur font confiance.

Mme Nadia Sollogoub . - J'habite la Nièvre, un département rural où beaucoup de personnes n'ont pas de médecins traitants et sont éloignés des soins. Dès lors, on se tourne vers les élus. Le maire d'une commune de l'Yonne a ainsi reçu un courrier lui indiquant qu'il y avait trois personnes non vaccinées dans sa commune, mais il ne savait pas qui...

Il existe toujours un décalage entre la vague épidémique et la mesure que l'on peut faire de ses conséquences à terme. Ainsi, on ne sait pas encore si Omicron, qui ne provoque pas de formes graves, n'entraîne pas des séquelles. Il semble donc encore prématuré de considérer le covid comme une épidémie saisonnière et de choisir dès lors de cibler les mesures sur les plus fragiles.

M. Daniel Chasseing . - Je ne suis pas d'accord avec M. Lévrier. Il ne faut pas généraliser. Dans les maisons de santé que je connais, les équipes soignantes se sont réunies pour identifier les personnes fragiles isolées non vaccinées.

Mme Chantal Deseyne , rapporteur . - Le passe vaccinal est sans doute intervenu un peu tard : l'annonce du passe sanitaire avait entraîné un pic de primo-vaccinations, mais la dynamique s'essoufflait et on n'en observait plus guère après octobre. C'est pourquoi le Gouvernement a proposé ce nouveau dispositif. Je l'ai voté et ne le regrette pas. Je déplore toutefois que les préconisations de M. Bas pour permettre la levée du passe en fonction de la situation sanitaire n'aient pas été retenues. Le dispositif doit rester en vigueur jusqu'au 31 juillet. Nous préconisons qu'il puisse être levé en fonction de l'évolution de la situation sanitaire et qu'il puisse être réactivé si la situation se dégradait à nouveau. L'annonce de la mise en place du passe le 17 décembre a été suivie d'un pic de primo-vaccinations jusqu'à la mi-janvier, puis le chiffre a baissé rapidement, les vaccinations étant alors surtout des rappels.

Cette crise nous montre l'importance du respect des règles barrières et d'hygiène, comme se laver les mains ou porter le masque. Quant à la vaccination des plus fragiles, il me semble difficile de l'imposer, mais il est tout à fait possible de mettre en oeuvre des recommandations incitant à se faire vacciner comme il en existe pour la grippe.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Pour donner suite à la proposition de notre collègue Savary, nous vous proposons d'adopter une nouvelle recommandation ainsi rédigée : « Améliorer la transparence dans la gestion de l'épidémie. Renforcer la mise à disposition en open data de l'ensemble des indicateurs permettant de suivre l'épidémie et d'évaluer la nécessité des mesures prises. »

La proposition de recommandation est adoptée.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Celle-ci s'ajoute à nos trois autres recommandations. Nous proposons ainsi de parvenir à une gestion de crise plus démocratique ; d'engager la levée du passe vaccinal en fonction d'indicateurs objectifs ; et de protéger les plus vulnérables, en développant une politique d'aller-vers qui cible les personnes âgées ou atteintes de comorbidités. On sait les limites de la vaccination pour les personnes immunodéprimées ; l'enjeu dans ce cas est plutôt les traitements préventifs et curatifs.

Il a été évoqué la possibilité de s'inspirer de la vaccination contre la grippe. Je rappelle toutefois que celle-ci n'est pas obligatoire. Les personnes âgées reçoivent simplement un courrier les incitant à se faire vacciner - il serait d'ailleurs sans doute plus judicieux de vacciner les plus jeunes, car l'efficacité du vaccin est moindre chez les personnes âgées, tandis que ceux qui les contaminent, et qui développent parfois des formes sévères, sont ceux qui viennent les voir et qui ne sont pas vaccinés.

Nous vous proposons d'adopter le titre suivant : Engager avec transparence la levée du passe vaccinal.

Il en est ainsi décidé.

M. Martin Lévrier . - Je regrette que nous n'ayons eu accès au rapport qu'hier pendant quelques heures, dans une salle fermée. Nous n'avons été informés que tardivement. Honnêtement je n'ai pas pu le lire. Il est difficile de changer son emploi du temps au dernier moment. Ne faudrait-il pas changer les règles pour les prochains rapports ?

Mme Catherine Deroche , présidente . - C'est le problème des rapports des commissions d'enquête qui sont toujours consultables la veille de la réunion d'examen, dans une salle fermée, pendant quelques heures. Nous avions annoncé lors de notre réunion de jeudi que le rapport serait consultable le mardi suivant. Même si le rapport ne fait que trente pages, il était difficile en effet d'en prendre connaissance dans de bonnes conditions.

Je vais mettre aux voix les recommandations et la publication du rapport de la commission d'enquête.

La commission d'enquête adopte les recommandations ainsi modifiées et autorise la publication du rapport.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Je veux saluer nos rapporteurs qui ont travaillé dans des délais très contraints.

Je rappelle que le dépôt du rapport ouvre un délai de 24 heures au cours duquel il peut être demandé que le Sénat se réunisse en comité secret. Aucun d'entre nous ne doit donc faire état de ce qui a été exposé ce matin dans ce délai.

Je consulte la commission sur la publication du compte rendu de la réunion d'adoption.

Il est décidé d'insérer le compte rendu de cette réunion dans le rapport.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Je rappelle que tous les travaux non publics de la commission d'enquête, autres que les auditions publiques et la composition du bureau de la commission, sont soumis à la règle du secret pour une durée maximale de trente ans ; le non-respect du secret est puni par le code pénal, mais aussi par le Règlement du Sénat qui prévoit l'incapacité de faire partie, pour la durée de son mandat, de toute commission d'enquête.

Je rappelle que la conférence de presse est prévue ce jeudi 24 février à 16 heures et je vous demande de laisser la primeur de la communication à nos rapporteurs.

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