IV. L'ÉCOLE PRIMAIRE : « LA PRIORITÉ DES PRIORITÉS » POUR LE MINISTÈRE

À de nombreuses reprises, Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, a souligné la priorité que son ministère souhaite donner au primaire lors de ce quinquennat. Il s'agit même, pour reprendre les propos tenus devant la commission lors de son audition du 3 novembre 2021 de « la priorité des priorités » .

A. UNE FORTE AUGMENTATION DU BUDGET CONSACRÉ À L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE SUR LE QUINQUENNAT

Sur l'ensemble du quinquennat, le budget dédié à l'enseignement primaire a augmenté de 10,5 % 15 ( * ) .

PLF 2018

Mrds euros

PLF 2022

Mrds euros

Évolution (%)

Programme 140 : « enseignement scolaire public du 1 er degré »

22,0

24,2

+ 10 %

Actions enseignement pré-élémentaire et élémentaire du programme 139 : « enseignement privé des 1 er et 2 nd degrés »

1,7

2,0

+ 17,6 %

Total

23,7

26,2

+ 10,5 %

Les rapporteurs souligne néanmoins que cette hausse doit être examinée au regard des dépenses d'éducation sur le quinquennat :

- elle est inférieure au pourcentage d'augmentation du budget de l'éducation nationale - hors pensions - sur la même période, qui est de 13 % ;

- la dépense par élève du primaire en France reste inférieure de 9 % à la moyenne de l'OCDE .

B. LE DÉDOUBLEMENT DES CLASSES DE GRANDE SECTION, CP ET CE1 EN ÉDUCATION PRIORITAIRE, MESURE PHARE DU QUINQUENNAT

1. Une mesure dont le déploiement n'est pas encore achevé

Promesse de campagne présidentielle, le dédoublement des classes de CP et CE1 situées en zone d'éducation prioritaire a commencé à la rentrée 2017 et se fait de manière progressive. À la rentrée 2021, selon les chiffres transmis par le ministère, 100 % des classes de CP et de CE1 sont dédoublées. Cela concerne 144 526 élèves de CP et 144 137 élèves de CE1 . Cette politique de dédoublement des classes a permis de réduire de manière effective le nombre d'enfants par classe pour ces deux niveaux.

Nombre moyen d'élèves par classe

REP +

REP

École publique hors éducation prioritaire

2015

2021

2015

2021

2015

2021

Grande section

23,6

15,1

23,7

18,6

25

22,9

CP

21,7

12,5

21,8

12,5

22,5

21,4

CE1

22,6

12,6

22,7

12,8

23,3

22,4

Source : DEPP

La politique de dédoublement des classes de grande section de maternelle, amorcée plus tardivement, n'est pas encore finalisée . À la rentrée 2020, 21 475 élèves de grande section bénéficiaient d'une classe dédoublée sur les 148 558 élèves de ce niveau scolarisé en éducation prioritaire, soit un taux de 14 % . Selon les éléments transmis par le ministre lors de son audition devant la commission en novembre dernier, à la rentrée 2021, « près de 90 % des grandes sections de maternelle de REP + et 50 % de ces classes en REP » sont dédoublées.

Alors que le ministre avait annoncé la finalisation du dédoublement pour la rentrée 2022, les dernières informations transmises par ses services dans le cadre des auditions réalisées pour la préparation du présent rapport indiquent que celle-ci sera achevée au plus tôt à la rentrée 2023 . Les rapporteurs notent néanmoins une rupture nette des effectifs par classe depuis cette rentrée : les élèves étaient en moyenne 22,1 en REP + et 22,7 en REP par classe de grande section à la rentrée 2020 ; ils sont désormais respectivement 15,1 et 18,6 à la rentrée 2021.

2. Le dédoublement des classes en éducation prioritaire : une mesure à 16 686 ETP

Le dédoublement de ces classes a un coût en ETP important. Pour les classes de CP et CE1, 10 800 postes ont été affectés à cette mesure.

Pour le dédoublement des classes de grande section, 5 900 ETP sont prévus. À la rentrée 2021, 2 949 emplois y ont été dédiés. Autant sont encore nécessaires pour finaliser la mesure. Au total, la mise en oeuvre de cette mesure nécessite 16 686 ETP .

Calendrier de déploiement du dédoublement des classes

Source : DGESCO

3. Des premiers résultats mitigés au regard des moyens importants consacrés
a) Un effet sur les résultats scolaires qui varie en fonction des matières et des classes

Les études de la DEPP 16 ( * ) permettent de dresser un premier bilan du dédoublement des classes en éducation prioritaire. Celui-ci a eu quelques effets positifs : avant la mise en oeuvre du dédoublement des classes, 40 % des élèves de REP + étaient en très grande difficulté en mathématiques et en français en 2018. Cette proportion a baissé : ils sont désormais 7,8 % en français et 12,5 % en mathématiques à connaître de telles difficultés.

En CE1, sur les évaluations de 2019 , les écarts de performances entre les élèves scolarisés en zone d'éducation prioritaire et ceux scolarisés hors zone d'éducation prioritaire diminuent. En français, les élèves de REP + parviennent à rattraper leur retard entre le début du CP et la fin du CE1 par rapport à des élèves ayant des caractéristiques similaires, mais n'ayant pas bénéficié d'un dédoublement de leur classe.

Les effets les plus significatifs concernent les mathématiques et le CP . En CP, le dédoublement a permis de diminuer de 36 % l'écart de niveau observé en début de CP entre les enfants scolarisés en REP + et ceux scolarisés hors éducation prioritaire.

Néanmoins, le budget conséquent n'a pas permis une inversion franche des difficultés scolaires rencontrées par les élèves de REP et REP +. L'effet est faible en classe de CE1 cette année . Comme le souligne la DEPP, « l'impact positif de la réduction des classes en REP + sur les progrès des élèves est surtout visible en CP et subsiste en CE1 sans effet supplémentaire ». En français par exemple, si la proportion d'élèves en difficulté diminue entre le début et la fin du CP, elle remonte à la fin du CE1 (22,3 % d'élèves en difficulté), pour atteindre un niveau comparable au début du CP (22,4 % d'élèves en difficulté).

Les évaluations de la rentrée 2020 ont été marquées par une augmentation des écarts entre les performances des élèves scolarisés dans les secteurs public hors éducation prioritaire et ceux scolarisés en éducation prioritaire. Cette hausse est particulièrement significative en français (+ 3 points dans 5 domaines), et moindre en mathématiques sauf dans deux domaines : « lire des nombres entiers » et « écrire des nombres entiers » où les écarts ont progressé de quatre points. Pour le ministère, ces résultats s'expliquent par la crise sanitaire. Il en veut pour preuve, le retour, lors des évaluations de septembre 2021, de résultats proches de ceux de septembre 2019.

Écart de performances en français en CE1 entre élèves scolarisés dans le secteur public hors éducation prioritaire et élèves scolarisés en éducation prioritaire ( DEPP )

Écart de performances en mathématiques en CE1 entre élèves scolarisés dans le secteur public hors éducation prioritaire et élèves scolarisés en éducation prioritaire

b) Une amélioration du climat de classe et une formation continue renforcée pour les enseignants des classes dédoublées

Selon la DEPP, la réduction des tailles de classe permet une amélioration du climat de classe . Les enseignants de ces classes se déclarent plus confiants vis-à-vis de leur enseignement. Les rapporteurs notent que le déploiement de cette politique s'est fait dans un contexte d'un accompagnement fort des enseignants : Ainsi, les enseignants de classe de CP dédoublée ont pu bénéficier de 6 heures de formation consacrées exclusivement au niveau de CP.

Les rapporteurs voient dans cet effort massif envers une formation continue répondant directement aux besoins des enseignants un élément indispensable de toute réforme. Il doit être amplifié.

Par ailleurs, les rapporteurs, attachés à la liberté pédagogique, rappellent que cette formation doit être conçue comme une boîte à outils et non comme une « doxa » verticale . D'ailleurs, l'étude de la DEPP montre que le dédoublement des classes entraîne une évolution des pratiques des enseignants de CP en REP + dédoublés qui « ont un recours plus marqué à la différenciation, à la pédagogie active, à l'étayage et à la stimulation cognitive ». Il ressort du sondage commandé par la commission dans le cadre de l'Agora de l'éducation que les enseignants de REP utilisent de manière très significative et davantage que leurs collègues hors éducation prioritaire des pédagogies alternatives 17 ( * ) . Le dédoublement des classes conduit à de nouvelles conditions de travail, renouvelant le lien entre l'enseignant et l'élève . Il est essentiel d'accompagner les enseignants dans le développement de nouvelles pratiques pour tirer pleinement profit de la réduction des effectifs.

Propositions n° s 16 et 17 :

Prévoir une formation systématique portant sur le niveau de la classe dédoublée qu'a en charge l'enseignant, telle qu'ont pu en bénéficier les enseignants concernés par les premiers dédoublements ;

Accompagner les enseignants dans le développement de nouvelles pédagogies intégrant pleinement cette réduction d'effectifs dans les classes.

4. Des effets de bord à surveiller

Les rapporteurs soulignent que dans certains cas, en raison de contraintes sur le bâti, le dédoublement n'a pas pu physiquement se faire . Comme l'explique un directeur d'école de Villeneuve-Saint-Georges dans le cadre de l'Agora de l'éducation, « par manque de places, les élèves dédoublés sont dans la même classe. On est passé d'un enseignant pour vingt élèves dans une salle, à deux enseignants pour 25 élèves ». Ces situations de deux professeurs par classe peuvent néanmoins être une alternative intéressante. Les rapporteurs appellent à faire preuve de souplesse dans la mise en oeuvre de ce dédoublement, et à faire confiance à l'équipe pédagogique dans la répartition des moyens alloués aux niveaux concernés . Certaines situations peuvent rendre intéressantes de préférer une classe de 24 élèves à deux enseignants, plutôt que deux classes à 12 élèves.

Les effets limités du dédoublement des classes en CE1 - qui ne permettent pas de réduire davantage les écarts entre les élèves scolarisés en zone d'éducation prioritaire et non prioritaire, mais simplement de maintenir la dynamique amorcée en CP - nécessitent d'avoir une attention renforcée sur les classes de CE2 au CM2 qui ne bénéficient pas de ces mesures de limitation d'élèves.

Nombre moyen d'élèves par classe

REP +

REP

École publique hors éducation prioritaire

2015

2021

2015

2015

2021

2015

CE1

22,6

12,6

22,7

12,8

23,3

22,4

CE2

22,9

21,2

23,1

20,9

24,0

23,1

CM1

23,0

21,6

23,3

21,4

24,3

23,5

CM2

23,1

21,8

23,4

21,7

24,4

23,7

Source : DEPP

Comme le montre le tableau ci-dessus, les élèves sont confrontés à une augmentation de 6 à 7 élèves par classe en passant en CE2 - alors qu'hors zone d'éducation prioritaire, les effectifs restent globalement stables.

Cette hausse brutale peut être source de perturbation pour l'élève - climat scolaire, moins grande disponibilité individuelle de l'enseignant notamment après avoir bénéficié pendant trois ans, depuis sa grande section de maternelle, d'une classe à effectif réduit.

Proposition n° 18 :

Renforcer, pour les classes du CE2 au CM2 ne bénéficiant pas de mesures de dédoublement, les mesures d'accompagnement scolaire, pour que les avantages en termes d'acquisition des connaissances du dédoublement ne se dissipent pas .

Les rapporteurs ont également interrogé le ministère sur le respect du seuil de dédoublement des classes fixé à 12 élèves . Lors de son audition, Édouard Geffray, directeur général de l'enseignement scolaire, a indiqué que les dédoublements se faisaient parfois à 11 élèves, parfois à 13 élèves et dans certains cas à 14 élèves. Il a également souligné que la présence de 14 élèves dans une classe dédoublée pouvait s'expliquer par des arrivées d'élèves en cours d'année.


* 15 Hors budget dédié à l'école inclusive et aux aides sociales qui concernent également des élèves de primaire.

* 16 Notamment l'évaluation et l'impact de la réduction de la taille des classes de CP et CE1 en REP + sur les résultats des élèves et les pratiques des enseignants, DEPP, n°2021.E04, septembre 2021.

* 17 60 % des enseignants en REP déclarent recourir à la pédagogie Montessori et 59 % à la pédagogie Freinet, contre respectivement 43 % et 41 % pour l'ensemble des enseignants.

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