B. UNE PROFONDE RÉORGANISATION SYSTÉMIQUE DE L'ÉCOLE INCLUSIVE

1. Les PIAL, une volonté d'une reconfiguration de l'accompagnement des élèves en situation de handicap

L'article 25 de la loi pour une école de la confiance crée dans chaque département des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL), chargés de coordonner les moyens d'accompagnement humain au sein des écoles et établissements scolaires de l'enseignement public et de l'enseignement privés sous contrat.

La mise en place de ces PIAL traduit l'une des préconisations du rapport commun des inspections générales des affaires sociales, de l'éducation nationale et de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche relatif à l'évaluation de l'aide humaine des élèves en situation de handicap, recommandant l'organisation de l'accompagnement des élèves handicapés au niveau de l'établissement, ou dans le premier degré, de la circonscription. Les premiers PIAL ont été expérimentés à la rentrée 2018.

Depuis la rentrée 2021, il existe des PIAL sur l'ensemble du territoire national. On en dénombre 2 719 dans l'enseignement public, 307 dans l'enseignement privé sous contrat, et 994 mixtes (publics et privés sous contrat). Chaque DASEN définit un périmètre des PIAL en fonction des spécificités de son territoire : géographie, nombre d'établissements, ... Certains DASEN ont fait le choix de les organiser en fonction du secteur des collèges. À titre d'exemple, dans le Var, 78 PIAL ont été mis en place ; 20 dans la Drôme - certaines circonscriptions du premier degré pouvant comprendre jusqu'à trois PIAL ; et 68 dans les Pyrénées-Atlantiques.

2. Un premier bilan des PIAL pour les différents acteurs
a) Du point de vue des familles

Le PIAL peut constituer un progrès pour les familles, dans la mesure où la territorialisation et une gestion plus opérationnelle des AESH permettent d'éviter les risques de rupture dans l'accompagnement.

Ils peuvent également permettre une réponse à la gestion complexe des AESH mutualisés et donner une plus grande confiance des familles vis-à-vis de cette proposition d'aide.

Les raisons d'une défiance des familles vis-à-vis des AESH mutualisés

Certains enfants n'ont besoin que d'un accompagnement partiel, pour certaines matières, certains types d'exercice, ou encore de conditions qui évoluent au cours de la journée. La notification de la MDPH n'indique pas un nombre d'heures, mais un besoin d'accompagnement à un moment de la journée ou pour un apprentissage particulier. Or, l'Éducation nationale a pu, en fonction de la disponibilité d'un AESH , le mettre à disposition de l'élève à un moment où il n'en avait pas réellement besoin : selon un directeur de MDPH, « ce que l'on a vu par le passé, c'est que l'enfant est la variable d'ajustement : on se calait sur les possibilités et disponibilités de l'AESH » .

Dans ces conditions, de nombreuses familles demandaient un accompagnement individualisé pour leur enfant.

Il n'existe pour l'instant pas de bilan exhaustif de la mise en place des PIAL. Deux interventions en audition méritent néanmoins d'être relevées :

- pour le coordinateur du PIAL des Pyrénées-Atlantiques, le nombre d'appel à la cellule « école inclusive » a fortement décru à la rentrée scolaire 2021, alors que cette période se caractérise traditionnellement par de très nombreuses sollicitations des familles, pour une mise en oeuvre effective des notifications ;

- en revanche, la mise en place des PIAL demeure insuffisante pour répondre à l'ensemble des notifications. Selon la directrice de la MDPH de Paris, au moment des vacances de la Toussaint 2021, 400 notifications pour des élèves n'étaient pas satisfaites.

b) Du point de vue des AESH : une mise en place des PIAL au bilan mitigé

Pour certains AESH, cela a entraîné une amélioration de leurs conditions de travail, pour d'autres une dégradation de celles-ci . La coordinatrice des PIAL de la Drôme a indiqué aux rapporteurs que la perception de cette réforme dépend souvent de la manière dont les AESH voient leurs missions. La principale source de dégradation est l'augmentation du nombre d'élèves ou de classes à suivre, qui est considérée comme une dégradation plutôt que comme une évolution du métier . Dans la Drôme, un AESH accompagne en moyenne 4,15 élèves.

La création des PIAL a également pu être perçue comme un échelon administratif supplémentaire.

En revanche, dans de nombreux cas, le PIAL a permis d'uniformiser la quotité par défaut , et souvent d'augmenter la quotité d'heures proposée dans les contrats. Ainsi, dans les Pyrénées-Atlantiques, il n'y a plus de contrats d'AESH avec une quotité inférieure à 60 %, alors qu'auparavant la plupart était à 40 %.

Pour les coordinateurs de PIAL auditionnés par les rapporteurs, cette nouvelle organisation permet une stabilisation des AESH sur un territoire, alors qu'auparavant, des évolutions importantes en cours d'année étaient fréquentes. Certains PIAL ont également mis en place des réunions régulières entre AESH leur permettant d'échanger entre pairs, évoquer des problèmes particuliers et créer ainsi un « sentiment d'appartenance ».

Bonnes pratiques mises en en place par certains PIAL
relevées par les rapporteurs à l'occasion de leurs auditions

- Mise en place des réunions avec les chefs d'établissements, les IEN et les directeurs d'école PIAL par PIAL, afin de présenter le rôle des PIAL, la nouvelle organisation et le rôle des AESH ;

- Réunion de tous les AESH au sein de chaque PIAL pour entendre leurs souhaits d'affectation ;

- Engagement moral d'une distance maximale entre le domicile et les lieux d'affectation, dans la mesure du possible (Pyrénées-Atlantiques : engagement moral d'une distance maximale de 15 km ; dans la Drôme, la distance parcourue ne dépasse pas en général les 20 minutes) ;

- Prise en compte des binômes AESH/enseignants qui fonctionnent bien, lors de l'élaboration annuelle de la répartition des AESH sur le territoire (permettre à un AESH de se spécialiser sur un PIAL ou un établissement) ;

- Organisation systématique d'une réunion de travail AESH, enseignant, famille, chef d'établissement avant le début de l'accompagnement, comme le prévoient les textes.

Les rapporteurs ont également entendu des collectifs d'AESH opposés à la mise en place des PIAL . Ceux-ci dénoncent le fait d'être affectés sur plusieurs établissements, parfois dans une même journée , « une mutualisation à outrance » , avec l'obligation de s'occuper simultanément de 3 à 4 élèves dans une même classe , le manque d'informations vis-à-vis d'un nouvel élève dont ils ont la charge, ou encore l'accompagnement de l'élève sur des temps courts, empêchant de créer un lien de confiance et, de manière générale, « une perte de sens du métier ».

Interrogés sur les modifications brusques d'emploi du temps et des élèves accompagnés, les coordinateurs de PIAL ont indiqué qu'elles étaient notamment dues à des notifications des MDPH émises en cours d'année. Le délai d'examen de la demande d'accompagnement et de notification peut parfois être long, participant à ces notifications au fil de l'eau, en raison des fortes tensions sur les moyens humains des MDPH. L'enjeu d'une notification plus rapide dépend ainsi d'un renforcement de leurs moyens. Comme a pu l'indiquer un coordinateur de PIAL aux rapporteurs, « si ces notifications en cours d'année sont peu nombreuses, elles mettent en tension tous les acteurs des PIAL » . Les coordonnateurs de PIAL peuvent être « amenés à détricoter certaines heures mutualisées pour répondre à une notification d'accompagnement individualisée » .

Proposition n° 9 :

Assurer par les PIAL une couverture de territoires limités, tenant compte de la géographie, afin de limiter les temps de trajets entre établissements pour les AESH .

c) Du point de vue des services déconcentrés de l'éducation nationale

Comme le soulignent les directeurs de MDPH auditionnés par les rapporteurs, les PIAL sont « principalement un outil de gestion RH à destination du ministère de l'éducation nationale, permettant de structurer, de planifier et d'optimiser le réseau des AESH » . Ils doivent permettre de répondre plus rapidement aux notifications et aux besoins d'accompagnement des élèves. Ils permettent de positionner les AESH sur un territoire.

Signe qu'il s'agit avant tout d'un nouveau mode de gestion de ressources humaines, des besoins d'accompagnement correspondant à des troubles différents peuvent être mutualisés . Comme l'a indiqué un coordonnateur de PIAL aux rapporteurs, « nous ne prenons pas complètement en priorité en considération le trouble de l'élève, dans la désignation de son AESH » et « les changements d'affectation sont la raison d'être du PIAL ; son but est d'être réactif ».

Proposition n° 10 :

Prendre en compte le trouble dont souffre l'enfant, d'une part, et les formations et expériences de l'AESH, d'autre part, dans l'affectation de celui-ci .

3. Une évolution des conditions de recrutement des AESH

Le recrutement des personnes chargées d'accompagner les élèves en situation de handicap a évolué. Alors qu'il s'agissait auparavant d'auxiliaires de vie scolaire, recrutés par des contrats aidés - souvent précaires -, les AESH sont désormais recrutés en CDD de trois ans, renouvelable une fois avant de se transformer en CDI. Les rapporteurs saluent cette évolution permettant un recrutement sur un contrat à durée indéterminée. De manière générale, les rapporteurs appellent à une amélioration des perspectives et parcours de carrière des AESH.

Les rapporteurs constatent également que la formation initiale a été renforcée. La circulaire n° 2019-090 du 5 juin 2019 relative au cadre de gestion des personnels exerçant des missions d'accompagnement d'élèves en situation de handicap prévoit une formation initiale de 60 heures pour ceux non titulaires d'un diplôme professionnel dans le domaine de l'aide à la personne. Ils doivent normalement bénéficier de cette formation « au plus tard à la fin du premier trimestre de l'année scolaire, voire si possible, avant la prise de fonction ». Certains coordonateurs de PIAL auditionnés par les rapporteurs ont indiqué que la formation a lieu postérieurement à la prise de poste : en décembre pour les personnes recrutées depuis septembre, et en avril pour celles recrutées entre janvier et mars. Les efforts en termes de formation initiale doivent être poursuivis.

Cette formation témoigne également du changement systémique de l'organisation de l'école inclusive induit par le PIAL, qui met la couverture le plus rapidement possible du besoin d'accompagnement exprimé au centre de son organisation. Ainsi, certains DASEN ont fait le choix de former tous les AESH d'un même PIAL en même temps, et de proposer une formation généraliste couvrant tous les niveaux scolaires et tous les besoins, afin que les AESH puissent se substituer les uns aux autres en cas d'absence.

Au-delà de la formation initiale, le Gouvernement a souhaité renforcer la formation continue, en permettant notamment aux AESH d'avoir accès aux plans départementaux de formation continue.

Certains PIAL ont également entrepris la démarche de recenser les besoins de formation de leurs AESH . Dans les Pyrénées-Atlantiques, quatre modules de six heures ont été créés en lien avec les équipes mobiles médico-sociales des services déconcentrés, à la suite de cette concertation avec les AESH. Ils portent sur :

- les difficultés comportementales,

- le spectre de l'autisme,

- les troubles spécifiques du langage et de l'apprentissage,

- les troubles sensoriels.

L'objectif est que d'ici quatre ans, l'ensemble des AESH du PIAL aient suivi les quatre modules.

Les rapporteurs saluent de telles démarches de formation mises en place par certains PIAL . Ils estiment en effet essentiel de renforcer la formation continue des AESH. Aussi, ils appellent à une ouverture plus large, que ce qui existe actuellement, des formations des plans départementaux aux AESH. Il n'est en effet pas acceptable que certains AESH financent sur leurs fonds propres des formations pour prendre en charge les besoins des élèves qu'ils accompagnent .

Proposition n° 11 :

Renforcer la formation des AESH notamment dans le cadre de leur formation continue, en partant de leurs besoins .

Quant aux conditions de rémunérations, celles-ci ont été légèrement améliorées : le salaire est désormais calculé sur la base de 41 semaines, au lieu de 39, afin de prendre en compte le temps de travail masqué hors présence de l'enfant. Un cadre d'emploi avec des grilles indiciaires a été instauré. Une nouvelle grille indiciaire est entrée en vigueur à la rentrée 2021, prévoyant une progression automatique de 10 points d'indice majorés tous les trois ans, et un déroulement de carrière sur 11 échelons 13 ( * ) . Le coût de cette revalorisation est estimé à 60 millions d'euros par an.

Néanmoins, le travail d'AESH demeure souvent un emploi précaire, à temps partiel, à faible rémunération . Par définition, un AESH qui accompagne toute la semaine un élève de primaire ne peut avoir un contrat de temps plein, car la semaine d'école au primaire est de 24 heures : un AESH perçoit pour cette quotité une rémunération brute mensuelle de 978 euros. Certes, les rapporteurs constatent une volonté d'amélioration des conditions de travail des AESH. Mais dans les faits, leur précarisation reste élevée. Afin d'améliorer leurs rémunérations, les rapporteurs proposent d'augmenter la base semaine de calcul de cette dernière (calculée actuellement sur 41 semaines).

Proposition n° 12 :

Augmenter la base semaine de calcul actuellement fixée à 41 semaines, afin d'améliorer la rémunération des AESH .

Un turn-over qui varie selon les territoires

La question du turn-over des AESH a été posée lors des auditions. Il n'existe pas de données au niveau national. Les taux communiqués pour certains territoires, s'ils sont notables, restent raisonnables :

- Pyrénées-Atlantiques : 7 % de démissions à la rentrée 2021, un taux moins élevé qu'auparavant (source : coordinateur de PIAL) ;

- Drôme : à la rentrée 2021, le turn-over est de 10 % (98 % des personnes ayant démissionné ont trouvé un CDI ou un temps complet ailleurs) (source : coordinateur de PIAL) ;

- dans le Val-de-Marne, en juillet et août, une soixantaine de démissions ont été constatées sur 1 400 AESH (soit 4 %), « sans compter les abandons de postes des collègues qui ne se présentent pas au travail à la rentrée » , selon les informations transmises par les collectifs d'AESH.


* 13 Pour un AESH débutant ayant un service de 24 heures par semaine, cela représente une augmentation de 45 euros bruts par mois.

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