D. FRET SNCF : UNE SURVIE QUI DÉPEND DES AIDES DE L'ÉTAT

Depuis des décennies, l'activité de fret ferroviaire décline inexorablement en France, en contraste avec les évolutions constatées chez nos voisins européens . L'annexe 24 décrit ce déclin, l'incapacité de l'État à l'enrayer et les principaux freins qui entravent le développement de cette activité en France.

1. Fret SNCF est structurellement déficitaire et sa viabilité financière repose sur les aides publiques
a) Une situation financière structurellement dégradée et très dépendante des aides publiques

Situation financière Fret SNCF (2015-2020)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses de Fret SNCF au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Le chiffre d'affaires de Fret SNCF ne cesse de se dérober au gré des pertes de part de marché et du déclin de l'activité de fret ferroviaire. Avant la crise, entre 2015 et 2019, il s'était replié de près de 20 %.

Évolution du chiffre d'affaires de Fret SNCF (2015-2020)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses de Fret SNCF au questionnaire des rapporteurs spéciaux

La société escompte inverser la tendance au déclin de son activité et anticipe une ambitieuse trajectoire de progression de son chiffre d'affaires dès 2022 . Les rapporteurs spéciaux suivront avec attention la réalisation de cet objectif volontariste au regard de l'évolution constatée depuis de nombreuses années et en dépit des mesures de soutien que le Gouvernement s'est engagé de maintenir jusqu'en 2024.

Le secteur de la sidérurgie et le transport combiné sont les activités qui contribuent le plus au chiffre d'affaires de Fret SNCF. Avec la chimie se sont les domaines qui devraient être les plus dynamiques dans les années à venir.

Entre 2015 et 2019, les charges d'exploitation de Fret SNCF ont baissé à un rythme plus lent que le chiffre d'affaires : - 17 % contre - 19 %.

Charges d'exploitation de Fret SNCF (2015-2020)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de la SNCF

Les achats et charges externes ainsi que les charges de personnel se sont repliés de 14 % sur la période qui précédait la crise.

La marge opérationnelle de Fret SNCF est structurellement négative à hauteur de 10 à 20 % de son chiffre d'affaires depuis 2016. Après une amélioration significative entre 2010 et 2015, cet indicateur s'est de nouveau fortement dégradé depuis. Les conséquences de mouvements sociaux ont pu contribuer à cette dégradation 108 ( * ) .

Source : Fret SNCF

Le compte de résultat de Fret SNCF est déséquilibré de façon structurelle et, avant la crise, son résultat net était systématiquement négatif et en dégradation (- 329 millions d'euros en 2019). En 2020, la reprise de la dette de Fret SNCF par la société mère du groupe a conduit à faire disparaître le coût de cette dette historique et, par conséquent, à améliorer le résultat de la société .

Évolution du résultat net de Fret SNCF (2015-2020)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de la SNCF

La structure de financement de Fret SNCF est très déséquilibrée . Sa capacité d'autofinancement (CAF) nette est structurellement négative . Elle continue même de l'être en 2020 malgré la reprise de la dette de la société.

Évolution des investissements, de la MOP, de la CAF et du CFL
de Fret SNCF (2015-2020)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de la SNCF

La société perd chaque année entre 200 et 400 millions d'euros en raison de son cash-flow libre négatif.

Le bilan comptable de Fret SNCF reflète la fragilité de sa situation financière. Ses capitaux propres sont en baisse constante , même dans les trajectoires prévisionnelles optimistes réalisées par la société et ce, même si elle prévoit de les maintenir à un niveau supérieur à 50% de son capital social.

Le seuil de sécurité de la trésorerie est évalué à 25 millions d'euros. La garantie de ce seuil induit notamment un versement trimestriel de l'aide au wagon isolée. Les rapporteurs spéciaux veilleront à ce que l'accord de principe donné par l'État pour mettre en place ce versement trimestriel à compter de 2022 soit respecté .

À l'occasion de la réorganisation du groupe et de son changement de statut, en application de l'ordonnance n° 2019-552 du 3 juin 2019 portant réforme ferroviaire, la dette de Fret SNCF a été intégralement reprise par la société mère . Cette décision, contestée au regard de l'encadrement des aides d'État , fait actuellement l'objet d'un recours auprès de la Commission européenne dont l`issue déterminera les perspectives financières de la société 109 ( * ) . Si cette reprise de dette venait à être considérée comme une aide d'État non conforme au droit européen de la concurrence, la viabilité et la survie même de Fret SNCF en tant que société par actions simplifiée (SAS) serait menacées.

Il est à noter qu' en Allemagne, DB Cargo , l'homologue de Fret SNCF, elle aussi opérateur historique, fait l'objet d'un contentieux de même nature. Or, le 31 janvier 2022, la Commission européenne a annoncé ouvrir « une enquête approfondie sur les mesures de soutien allemandes en faveur de DB Cargo » 110 ( * ) .

Fret SNCF , qui doit couvrir seule ses besoins de financement car elle n'a pas accès à la trésorerie commune ( cash-pool ) du groupe, a pour objectif de ne pas se réendetter . Cet objectif ambitieux compte-tenu des difficultés financières structurelles de l'opérateur et de la tendance antérieure à l'augmentation de son encours de dette, reste à confirmer .

Fret SNCF, opérateur historique et ancien monopole, évolue dans un environnement de plus en plus concurrentiel, ce qui la conduit à perdre régulièrement des parts de marché au profit de ses concurrents. En 2020, d'après les dernières données de l'Autorité de régulation des transports (ART) 111 ( * ) , Fret SNCF a perdu 3 points supplémentaire pour une part de marché qui s'établit désormais à 52 % (voir pour plus de détails l'annexe 25). Il apparaît également qu' en cette période de reprise, son activité est moins dynamique que celle de ses concurrents .

L'ancienneté de son matériel roulant pèse sur la rentabilité et la compétitivité de Fret SNCF en raison des défaillances et du manque de fiabilité de celui-ci. Cette situation va conduire la société à engager des opérations de renouvellement d'envergure qui vont entrainer de lourdes dépenses d'investissement au cours des années 2021 à 2026. L'optimisation de la disponibilité et de la fiabilité de son parc de locomotives sera un enjeu majeur pour Fret SNCF dans les années à venir.

Fret SNCF n'est pas le seul opérateur historique en Europe à connaître une situation financière difficile . La plupart des grands opérateurs historiques ont présenté des résultats déficitaires au cours de la période 2015-2019 . DB Cargo , filiale du groupe Deutsche Bahn , le plus important acteur du marché en Europe, présente une situation financière très déséquilibrée . Négative pour plus de 300 millions d'euros avant la crise, sa marge opérationnelle s'est encore significativement dégradée en 2020 à - 720 millions d'euros. Pour autant, la société allemande a annoncé des investissements massifs de 1 milliard d'euros dans le renouvellement de son parc de locomotives. L'opérateur belge Lineas affiche des pertes systématiques depuis 2015 et une marge opérationnelle négative. À l'instar de celle de DB Cargo, sa situation financière s'est significativement dégradée en 2020.

b) Au sein du groupe, Fret SNCF a fait montre d'une certaine résilience face à la crise

Comparativement au groupe et en particulier à SNCF Voyageurs, Fret SNCF a fait montre d'une certaine résilience face à la crise sanitaire. Aussi, en 2020, les pertes imputables à la crise ont atteint 92 millions d'euros de chiffre d'affaires et 68 millions d'euros de marge opérationnelle 112 ( * ) . Certains de ses homologues européens ont subi plus durement la crise . C'est le cas de DB Cargo dont la marge opérationnelle a plongé de plus de 400 millions d'euros. En revanche, CFF Cargo, filiale fret des chemins de fer fédéraux suisses (CFF), a vu quant à elle son activité baisser de seulement 12 % pour des pertes de 35 millions de francs suisses.

En 2020 , pour répondre à la crise, Fret SNCF a mis en oeuvre un plan d'économies d'environ 12 millions d'euros tandis que les baisses de charges résultant mécaniquement de la baisse d'activité (charges de personnel, sous-traitance, énergie, péages) ou liées aux aides de droit commun (activité partielle) se sont élevées à 33 millions d'euros .

Économies réalisées en 2020 par Fret SNCF dans le cadre de la crise

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses de Fret SNCF au questionnaire des rapporteurs spéciaux

c) Une perspective ambitieuse d'amélioration de ses ratios financiers qui reste à confirmer

Dans ses projections financières, Fret SNCF espère retrouver une marge opérationnelle positive dès 2023 . Au regard du caractère structurellement négatif de cet indicateur, cet objectif apparaît très ambitieux . Il n'est envisageable qu'à la condition d'une hausse sensible de l'activité dans les années à venir, ce qui suppose une inversion significative de la tendance observée depuis plusieurs dizaines d'années. La généralisation du système de production de la gestion capacitaire ainsi que le développement du transport combiné pourraient constituer les moteurs de cette croissance. Les années 2021 à 2024 seront absolument déterminantes pour l'avenir de la rentabilité financière de Fret SNCF.

En toute hypothèse, les ambitions d'amélioration de l'équilibre financier de la société ne pourront se matérialiser sans d'importants gains de performance . En outre, le retour à l'équilibre escompté par Fret SNCF dépendra très largement des concours apportés par l'État à une activité structurellement déficitaire , notamment dans sa dimension wagon isolé. Les analyses financières prospectives démontrent clairement que sans les aides complémentaires décidées par le Gouvernement dans le cadre de la stratégie de relance du fret ferroviaire, la situation financière de la société se dégraderait irrémédiablement et ne serait plus viable à moyen-terme. Aussi, une aide au wagon isolé au moins équivalente à son niveau de 2021, soit 56 millions d'euros pour Fret SNCF, est une condition sine qua non de l'amélioration de ses perspectives financières . À ce jour, l'État s'est engagé à la maintenir au moins jusqu'en 2024 .

S'ils saluent cet engagement nécessaire, les rapporteurs spéciaux estiment que l'atteinte des objectifs de développement du fret ferroviaire et la pérennité financière d'un opérateur tel que Fret SNCF exigeront un effort financier renforcé et maintenu dans la durée .

Dans les hypothèses les plus optimistes et en dépit des concours publics, le cash-flow libre (CFL) de la société devrait quant à lui rester négatif ou, au mieux, très proche de zéro .

d) Un déficit de compétitivité qui reste à combler malgré des baisses d'effectifs conséquentes

Les efforts de performance de la société s'inscrivent dans le cadre du projet « Fret SNCF 2025 » , qui est lui-même une déclinaison de la stratégie de groupe « Tous SNCF ». En dépit des efforts réalisés ces dernières années, notamment en termes d'effectifs, Fret SNCF souffre toujours d'un déficit de compétitivité par rapport à ses concurrents. Elle doit poursuivre ses mesures d'efficience afin de combler progressivement cet écart et contribuer ainsi à dégager ses perspectives financières.

Fret SNCF a réalisé des gains d'efficience significatifs du fait d'une baisse d'effectifs de 52 % en dix ans , soit une réduction de 7 % en moyenne annuelle . Ces baisses d'effectifs résultent du déclin de l'activité de fret ferroviaire ainsi que de l'ouverture à la concurrence et des pertes de parts de marché régulières subies par la société.

Évolution des effectifs de Fret SNCF (2011-2021)

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses de la direction des ressources humaines de la SNCF au questionnaire des rapporteurs spéciaux

En 2021, Fret SNCF a réduit ses effectifs de 397 ETP. Cet effort doit se poursuivre dans les années à venir. L'évolution à la baisse des effectifs pourrait être stabilisée voire légèrement infléchie à moyen-terme si les objectifs de croissance de l'activité fret venaient à se confirmer.

Fret SNCF a pour ambition de diminuer de façon significative sa masse salariale d'ici 2024 . Celle-ci dépasse encore les 400 millions d'euros et représente près de 50 % du chiffre d'affaires de la société.

Dans le futur, l'optimisation des coûts de structure doit être particulièrement recherchée tandis que l'effort sur les effectifs de production devra être proportionné à l'évolution de l'activité. La simplification des processus transverses implique leur profonde refonte . Les coûts de structure de Fret SNCF restent nettement supérieurs aux standards . Entravés par des lourdeurs et des redondances, les processus n'ont pas évolué depuis plus de dix ans. Manifestement sous-optimaux, ils ne sont plus en phase avec les nouvelles réalités du secteur et contribuent à l'écart de coûts et de compétitivité à l'égard des opérateurs concurrents.

La société a su poser un constat lucide sur cette situation et a lancé un programme de simplification de son organisation et de son fonctionnement baptisé « Fret efficace ». Son objectif est de redéfinir les rôles, les processus et l'organisation des fonctions support et transverses et de réduire les coûts de structure. Les gains de compétitivité qui doivent résulter de ce plan d'action conditionnent les capacités qu'aura la société à tirer pleinement partie d'une éventuelle reprise de l'activité fret dans les prochaines années. D'ici 2023 , au terme de la première étape de ce plan de simplification, Fret SNCF a ainsi pour ambition de réduire de moitié l'écart de compétitivité avec ses concurrents en matière de coûts de structure. Les perspectives financières futures de la société dépendront de la réalisation effective de ce programme d'optimisation.

Les cessions d'actifs doivent aussi être mobilisées pour améliorer la situation financière structurelle de Fret SNCF. La société poursuit ainsi des programmes de cessions d'actifs immobiliers ainsi que de matériel roulant . En 2020, le total des cessions a rapporté 20 millions d'euros à Fret SNCF, 18,5 millions d'euros au titre des actifs immobiliers et 1,5 million d'euros de vente de locomotives. Ces programmes ont vocation à rester soutenus dans les prochaines années , notamment car la société entend mettre en vente une centaine de locomotives. En 2021 , les cessions d'actifs immobiliers devaient dépasser les 100 millions d'euros tandis que les ventes de matériel roulant devaient se situer à un niveau légèrement supérieur à 10 millions d'euros .

Fret SNCF a également engagé des projets de digitalisation . Cet enjeu est tout à fait majeur s'agissant de l'activité de fret ferroviaire. La société doit ainsi impérativement poursuivre et amplifier ses efforts en la matière . Très ancien, le système d'information (SI) de la société constitue pour elle un vrai handicap . Elle a pour ambition de le moderniser radicalement à l'horizon 2025. Un nouvel outil d'optimisation des ressources de production (OPR), a été lancé en 2021.

Si des gains de performance ont été réalisés au cours des dernières années, le coût de production moyen de Fret SNCF reste significativement supérieur à celui de ses concurrents . Aussi les rapporteurs spéciaux insistent-ils sur le fait que les efforts d'efficience doivent impérativement se poursuivre pour se conjuguer avec les effets de la fin du recrutement au statut.

2. La relance du fret ferroviaire : un nouveau plan pour rien ?
a) Un objectif ambitieux de doublement de la part modale du fret ferroviaire désormais inscrit dans la loi climat

Sous l'impulsion notamment de l'alliance 4F (fret ferroviaire français du futur), une coalition regroupant l'ensemble des acteurs du secteur du fret ferroviaire en France, le Gouvernement a repris à son compte l'objectif de doubler la part modale du fret ferroviaire en France d'ici 2030 . Cet objectif, qui reviendrait à passer de 9 % à 18 % de part modale, a été formalisé dans la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, publiée par le Gouvernement en septembre 2021. Sous l'impulsion du Sénat, il a une portée législative à travers l'article 131 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

L'atteinte de ces objectifs est intimement liée à la numérisation des circulations de fret et au déploiement de la technologie de signalisation ERTMS , des domaines dans lesquels la France affiche un retard notable.

Le développement du transport combiné, y compris les autoroutes ferroviaires, dont la mise en route doit être soutenue par la puissance publique, sera la principale clé de l'atteinte de l'objectif. À condition de bénéficier d'aides suffisantes, cette activité pourrait tripler d'ici 2030 .

Dans le cadre de son pacte vert (le green deal ), l'Union européenne s'est également fixé des objectifs ambitieux en matière de développement du fret ferroviaire. L'objectif de la filière au niveau européen, représentée par l'alliance Rail Freight Forward, est de porter à 30 % 113 ( * ) la part modale du fret ferroviaire à horizon 2030. La Commission européenne souhaite voir s'accroître les trafics de fret ferroviaire de 50 % d'ici 2030 et de 100 % à horizon 2050 .

Ailleurs en Europe, nos partenaires ont également annoncé des objectifs de développement du fret ferroviaire. L'opérateur historique autrichien (les chemins de fer fédéraux autrichiens dits ÖBB) et sa filiale de fret Rail cargo Austria ont pour ambition d'augmenter de 50 % leur activité d'ici 2030 et d'atteindre un doublement d'ici 2040. En Allemagne, DB Cargo, filiale de la Deutsche Bahn , a pour ambition de doubler son activité fret d'ici 2030.

b) De nouvelles aides à l'exploitation qui ont fait l'objet d'engagements pluriannuels de l'État jusqu'en 2024

À compter de la loi de finances initiale pour 2021 , l'État a instauré de nouvelles aides à l'exploitation en faveur du fret ferroviaire pour un total de 170 millions d'euros . Elles se composent d'une aide à l'activité de wagon isolé, d'un soutien au paiement des péages, d'une majoration de l'aide à la pince destinée à promouvoir le transport combiné et d'un concours spécifique en faveur du démarrage des autoroutes ferroviaires.

Nouvelles aides à l'exploitation de l'État destinées au fret ferroviaire depuis 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la direction du budget au questionnaire des rapporteurs spéciaux

En annonçant le 13 septembre 2021 sa stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, le Gouvernement s'est engagé à prolonger ces aides au moins jusqu'en 2024 . Cette prorogation était une condition sine qua non à l'amélioration des perspectives financières de Fret SNCF et , plus généralement, à la relance du secteur . Ces soutiens s'ajoutent à la compensation fret qui préexistait ainsi qu'à l'aide dédiée au transport combiné qui n'atteignait que 27 millions d'euros avant 2021.

Évolution des aides à l'exploitation versées par l'État en faveur
du fret ferroviaire (2019-2021)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les annexes budgétaires aux projets de loi de finances et de règlement des comptes

L'aide au wagon isolé était devenue incontournable pour soutenir cette activité en croissance mais structurellement déficitaire. Fret SNCF perçoit 56 millions d'euros de cette aide, soit 80 % de son montant total, qui atteint 70 millions d'euros. Elle joue un rôle absolument déterminant dans les perspectives financières de la société .

Partout où a été mise en place cette aide en Europe, elle n'a jamais été remise en cause par la suite. Il apparaît donc nécessaire de la pérenniser , d'autant que l'activité wagon isolée, du fait de la fragmentation des transports, devrait se développer plus vite que le fret ferroviaire en général.

À l'heure où la croissance du transport combiné jouera un rôle déterminant dans la relance du fret ferroviaire il était nécessaire de renforcer « l'aide à la pince » qui permet de compenser le déficit de compétitivité lié au phénomène de rupture de charge occasionné par le transbordement des marchandises lors du changement de moyen de transport. Cette aide a ainsi été majorée de 20 millions d'euros pour atteindre 47 millions d'euros .

Pour promouvoir l'objectif de report modal, il pourrait être envisagé d'indexer le montant des aides au wagon isolé et au transport combiné sur les volumes d'activité .

Instaurée dès le deuxième semestre de l'année 2020, l'aide complémentaire aux péages , qui vient s'ajouter au dispositif de compensation fret existant, doit être pérennisée pour permettre l'atteinte des objectifs de report modal. Cette aide représente un coût budgétaire pour l'État de 65 millions d'euros . Fret SNCF en perçoit environ 20 millions d'euros , soit 30 % de l'enveloppe totale.

Si cette aide était absolument nécessaire pour se donner une chance de relancer enfin le secteur, les rapporteurs spéciaux notent qu'aujourd'hui, son bénéfice risque malheureusement d'être effacé par le phénomène d'envolée des prix de l'énergie . Une hausse durable de ces derniers pourrait constituer un nouveau frein au développement du fret ferroviaire en France.

Enfin, dans le but d'atténuer les effets très préjudiciables des travaux sur l'activité de fret, le plan de relance prévoit de consacrer 210 millions d'euros pour compenser à SNCF Réseau les surcoûts occasionnés par une meilleure prise en compte des enjeux du secteur .

À l'initiative de la France, dans une déclaration commune du 30 mars 2021, seize ministres des transports de l'Union Européenne ont appelé la commission à « lancer une initiative en faveur des opérateurs de fret ferroviaire afin de promouvoir le report modal vers des transports propres » . Ils estiment que le soutien européen actuel est trop centré sur les gestionnaires d'infrastructure, laissant aux États la responsabilité du soutien aux opérateurs.

À ce stade, l'exécutif européen se montre très sceptique quant à cette initiative et n'entend pas la faire prospérer. Néanmoins, comme sur d'autres sujets tels que la modernisation du réseau et dans la perspective du green deal , les rapporteurs considèrent qu'il serait cohérent et nécessaire que l'Union européenne puisse consacrer davantage de financements en faveur du secteur ferroviaire. Aussi appellent-ils le Gouvernement à se montrer proactif, à prendre de nouvelles initiatives en la matière et à poursuivre ses efforts pour convaincre ses partenaires ainsi que la commission européenne.

c) Plus de dix milliards d'euros d'investissements dans les infrastructures de fret seront nécessaires d'ici 2030.

La vétusté des infrastructures est un gros frein pour le fret et elle explique en grande partie la mauvaise qualité des sillons qui lui sont proposés. Des investissements considérables, évalués à plus de 10 milliards d'euros en dix ans, seraient nécessaires pour pouvoir espérer atteindre l'objectif de développement de la filière fixé à horizon 2030. À ce stade, dans le cadre de sa stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, l'État ne s'est engagé que sur la première phase du programme d'investissements à hauteur d' 1 milliard d'euro d'ici 2024 (détaillés en annexe 26).

Au-delà de cette première phase dont le calendrier devra être impérativement respecté, l'État doit urgemment sécuriser le financement des investissements pour le reste de la période dite du « plan de développement » (2025-2030) au cours de laquelle 10 milliards d'euros seront nécessaires 114 ( * ) .

L'ampleur des investissements requis doit être relativisée au regard des bénéfices socio-économiques qui en résulteront. Ainsi, le un rapport de juin 2020 115 ( * ) estime que les co-bénéfices générés par des investissements dans les infrastructures de fret sont en moyenne deux fois plus importants que les dépenses initiales consenties.

La modernisation du réseau et en particulier le déploiement de l'ERTMS ainsi que la digitalisation seront aussi des paramètres déterminants pour atteindre l'objectif de report modal. La modernisation du réseau est en effet indispensable au développement du train de fret du futur, que ce soit pour automatiser les opérations de préparation des trains que pour ouvrir la voie à la circulation de trains télécommandés, voire autonomes. Le retard français en matière de modernisation du réseau constitue ainsi un frein majeur au développement du fret ferroviaire et si la situation venait à perdurer faute de financements nécessaires, l'objectif de relance du secteur serait nécessairement compromis.

d) Le projet de contrat de performance de SNCF Réseau n'est pas cohérent avec la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire

Présentée par le Gouvernement en septembre 2021, la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire comprend 72 mesures destinées à lever les freins qui bloquent l'essor du secteur en France. Outre la pérennisation jusqu'en 2024 des nouvelles aides à l'exploitation accordées par l'État depuis 2021, cette stratégie prévoit de consacrer, d'ici 2024, 1 milliard d'euros d'investissements dans les infrastructures. Si les professionnels du secteur avaient pu saluer ce premier pas , la diffusion du projet de contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau pour la période 2021-2030 les a fait déchanter . Des incohérences apparaissent entre les deux documents stratégiques pourtant préparés simultanément et portant sur le même horizon temporel.

Le projet de contrat de performance traduit plusieurs renoncements de l'État. Insuffisamment tourné vers le fret , le projet de contrat prévoit un décalage du calendrier et des financements des investissements annoncés dans les infrastructures.

Les 250 millions d'euros d'investissements financés par le plan de relance ferroviaire et dont la réalisation est annoncée par le Gouvernement d'ici 2024 sont étalés jusqu'en 2027 sur le tableau figurant en annexe 2 du projet. Par ailleurs, les chantiers prévus dans la stratégie nationale , pour 1 milliard d'euros au total d'ici 2024, ne sont ni décrits, ni programmés, ni budgétés dans le projet de contrat. En réaction à la diffusion du projet de contrat, l'alliance 4F a déclaré craindre que cette énième tentative de relancer le fret ferroviaire n'aboutisse finalement qu'à un nouveau « plan pour rien » .


* 108 Contre la réforme du droit du travail en 2016, contre la réforme ferroviaire en 2018 et contre le projet de réforme des retraites en 2019.

* 109 Il est à noter qu'en Allemagne, DB Cargo, l'homologue de Fret SNCF, elle aussi opérateur historique, fait l'objet d'un contentieux similaire.

* 110 Cette enquête cible notamment l'accord par lequel la maison mère du groupe Deutsche Bahn s'engage à couvrir intégralement et de façon structurelle les pertes de sa filiale DB Cargo. D'après le communiqué de presse de la Commission du 31 janvier 2022, ce soutien pourrait constituer « une aide d'État incompatible avec le marché intérieur en faveur de l'entreprise ».

* 111 « Le marché français du transport ferroviaire en 2020 », ART, décembre 2021.

* 112 L'automobile et la sidérurgie ont été les secteurs les plus touchés.

* 113 Environ 18 % aujourd'hui.

* 114 Les financements devront permettre d'investir dans la mise au gabarit P400 (des remorques de quatre mètres de hauteur) des ouvrages d'art et des axes structurants du réseau, la résorption des noeuds ferroviaires, les terminaux de transport combiné, la rénovation des lignes capillaires, les autoroutes ferroviaires, le développement de trains plus longs et plus lourds, le renforcement de l'intégration du réseau français aux corridors du réseau transeuropéen de transport (RTE-T), les voies de service et de triage, etc.

* 115 « Les co-bénéfices du fret ferroviaire, éléments d'évaluation et propositions », Altermind, juin 2020.

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