Rapport d'information n° 594 (2021-2022) de Mme Mélanie VOGEL , fait au nom de la MI Sécurité sociale écologique, déposé le 30 mars 2022

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N° 594

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 mars 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'information (1) sur le thème « Protéger et accompagner les individus en construisant la sécurité sociale écologique du XXIème siècle »,

Président
M. Guillaume CHEVROLLIER,

Rapportrice
Mme Mélanie VOGEL,

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette mission d'information est composée de : M. Guillaume Chevrollier , président ; Mme Mélanie Vogel, rapportrice ; Mme Martine Berthet, M. Joël Bigot, Mmes Émilienne Poumirol, Anne-Catherine Loisier, Nadège Havet, Guylène Pantel, Cathy Apourceau-Poly, M. Alain Marc , vice-présidents ; MM. François Calvet, Olivier Henno, secrétaires ; Mme Marta de Cidrac, M. Mathieu Darnaud, Mmes Nassimah Dindar, Micheline Jacques, Annie Le Houerou, M. Didier Mandelli, Mme Frédérique Puissat, membres ; MM. Éric Gold, Guillaume Gontard, membres suppléants.

LES PROPOSITIONS

LES PROPOSITIONS POUR DÉVELOPPER LA CAPACITÉ
DE RÉSILIENCE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Proposition n° 1 : Prendre en compte l'impact environnemental dès la conception des politiques publiques afin de créer un système de protection sociale plus résilient.

Proposition n° 2 : Diffuser le concept Une Seule Santé ( One Health) dans la littératie pour prendre davantage en compte la santé environnementale.

Proposition n° 3 : Appliquer les engagements pris à la sixième conférence ministérielle d'Ostrava de 2017 sur l'environnement et la santé et signer l'appel de Glasgow de novembre 2021 en faveur de l'instauration de systèmes de santé résilients aux changements climatiques et à faible émission de carbone.

Proposition n° 4 : Renforcer la prévention dans toutes les politiques publiques et en particulier en matière de santé et d'environnement afin de combler le retard pris par la France en ce domaine.

Proposition n° 5 : Mener des études sur l'impact économique global de la prévention, au-delà des études ponctuelles sur un risque précis (air, bruit...).

Proposition n° 6 : Confier le pilotage interministériel des politiques environnementales à un Haut-commissaire à la planification de la transition environnementale.

Proposition n° 7 : Intégrer dans les études de santé, et dans la formation continue des professionnels de santé, des enseignements sur l'impact des facteurs environnementaux et du changement climatique sur la santé.

Proposition n° 8 : Créer de nouveaux indicateurs de santé publique et associer le Parlement dans leur détermination, leur suivi et leur évaluation.

Proposition n° 9 : Établir une méthodologie solide permettant la prise en compte des facteurs environnementaux et climatiques sur les dépenses couvertes par la sécurité sociale.

Proposition n° 10 : Organiser un débat annuel au Parlement de la Stratégie française sur l'énergie et le climat (SFEC).

Proposition n° 11 : Intégrer la santé environnementale dans les études d'impact accompagnant les projets de loi et renforcer le recours aux évaluations d'impact sur la santé dans le cadre de l'élaboration de grands projets d'aménagements publics.

Proposition n° 12 : Élaborer une stratégie publique de décarbonation des acteurs publics et privés de la santé permettant le respect des accords de Paris.

Proposition n° 13 : Confier à France Stratégie la coordination d'un plan quinquennal de préparation à l'adaptation de notre système de protection sociale.

Proposition n° 14 : Créer une cartographie des risques, en lien avec la direction générale de la santé et l'assurance maladie.

LES PROPOSITIONS POUR MIEUX INTÉGRER LA PRISE EN COMPTE
DES RISQUES CLIMATIQUES DANS NOTRE MODÈLE DE PROTECTION SOCIALE

Proposition n° 15 : Développer la prise en compte des dimensions humaine et environnementale dans la mesure des performances économiques nationales et compléter la comptabilité financière des entreprises et de l'État en matière environnementale.

Proposition n° 16 : Accroître les marges de manoeuvre financière de l'État face aux conséquences du changement climatique sur le solde de la sécurité sociale tout en tenant compte des besoins révélés par la crise sanitaire.

Proposition n° 17 : Affiner l'évaluation des conséquences du changement climatique sur la croissance économique et le financement de la protection sociale afin de mieux orienter les politiques publiques.

Proposition n° 18 : Inciter les organismes d'assurance à augmenter les moyens qu'ils consacrent à l'effort de transition écologique et à la maîtrise des risques environnementaux.

Proposition n° 19 : Lier une partie du financement des acteurs de la santé par l'assurance maladie à la poursuite d'objectifs environnementaux.

Proposition n° 20 : Développer les compétences en matière de développement durable au sein du ministère de la santé.

Proposition n° 21 : Travailler à la mise en place d'une couverture sociale des risques environnementaux.

Proposition n° 22 : Adapter la fiscalité environnementale afin d'assurer le financement de la sécurité sociale écologique.

Proposition n° 23 : Asseoir une partie du financement de la sécurité sociale écologique sur les économies budgétaires dégagées par la transition d'un système curatif vers un système préventif.

Proposition n° 24 : Associer des acteurs de l'économie, du dialogue social, de la protection de l'environnement et des citoyens tirés au sort à la gouvernance de la sécurité sociale écologique.

LES PROPOSITIONS POUR ACCOMPAGNER LA TRANSITION PROFESSIONNELLE ET AMÉLIORER LA PRÉVENTION DE LA SANTÉ
AU TRAVAIL

Proposition n° 25 : Élaborer des scénarios de transformation de l'économie nécessaires pour respecter les orientations de transition écologique de la France et anticiper les besoins de main-d'oeuvre correspondants d'ici à 2050.

Proposition n° 26 : Établir une cartographie professionnelle des compétences en fonction de leur transférabilité entre filières en tension et en contraction.

Proposition n° 27 : Renforcer l'accompagnement des salariés des filières en contraction.

Proposition n° 28 : Développer le rôle prospectif des Crefop dans l'évaluation des impacts de la transition écologique.

Proposition n° 29 : Confier aux observatoires d'analyse et d'appui au dialogue social une mission d'évaluation des nouvelles méthodes de travail liées au changement climatique.

Proposition n° 30 : Améliorer le suivi de la santé au travail en France en assurant la bonne réalisation des documents uniques d'évaluation des risques professionnels (DUERP), et les adresser chaque année à Santé publique France afin de mieux évaluer l'exposition aux risques sanitaires.

Proposition n° 31 : Évaluer au niveau de la France la prévalence des pics de chaleur dans les années à venir et encourager l'adaptation des employeurs à ces pics en vue de préserver la santé des travailleurs.

Proposition n° 32 : Créer un guichet unique pour l'accès des entreprises aux aides à la transition écologique et une base de suivi de ces aides, établir une liste exhaustive des critères environnementaux à remplir pour en bénéficier, et prévoir des sanctions en cas de non-conformité à ces critères.

Proposition n° 33 : Modifier l'article L. 2112-3 du code de la commande publique pour permettre aux acheteurs publics de prendre en compte la dimension RSE dans leurs appels d'offres.

Proposition n° 34 : S'assurer du respect et de l'efficacité du Plan santé au travail pour la fonction publique.

Proposition n° 35 : Créer une cartographie des risques de santé publique des trois fonctions publiques, mise à jour régulièrement.

LES PROPOSITIONS POUR UNE SÉCURITÉ SOCIALE ALIMENTAIRE

Proposition n° 36 : Mieux prendre en compte les difficultés socio-économiques des individus dans l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques de l'alimentation.

Proposition n° 37 : Approfondir le Nutri-score en intégrant l'impact sur l'environnement des produits, tenant compte de la santé environnementale et opérant une distinction entre produits bruts ou peu transformés et aliments ultra-transformés.

Proposition n° 38 : Développer la littératie alimentaire tout au long de la vie, en favorisant une éducation propice à une alimentation saine, et accentuer la lutte contre le gaspillage.

Proposition n° 39 : Mieux encadrer la publicité et le marketing alimentaire dans les médias, notamment aux heures de grande audience et dans les programmes destinés à la jeunesse.

Proposition n° 40 : Analyser les causes de non-recours et de renoncement à l'aide alimentaire, pour élaborer des modèles plus inclusifs et moins stigmatisants, en améliorant le couplage entre aide alimentaire et accompagnement social.

Proposition n° 41 : Inscrire le droit à l'alimentation durable dans le droit français et européen, afin d'enclencher une dynamique transformatrice de nos systèmes de production alimentaire.

Proposition n° 42 : Accroître les incitations à une alimentation saine et durable pour tous les maillons de la chaîne alimentaire, en garantissant une juste rémunération pour les agriculteurs et un système prix favorable à la qualité.

Proposition n° 43 : Améliorer le contrôle de la qualité des aliments et la crédibilité des sanctions, dans une logique de prévention, en augmentant significativement les moyens des organismes publics chargés du contrôle.

Proposition n° 44 : Dans le cadre d'une démarche concertée avec les industriels de l'agroalimentaire afin d'éviter des phénomènes de distorsion de concurrence, réduire la teneur en sel ajouté dans les produits transformés.

Proposition n° 45 : Organiser une concertation nationale pour élaborer de manière démocratique les fondements d'une allocation alimentaire durable ou de mécanismes plus ciblés favorisant la consommation de produits sains, locaux et de qualité.

Proposition n° 46 : Intégrer un volet de lutte contre la précarité alimentaire dans tous les projets alimentaires territoriaux.

Proposition n° 47 : Systématiser l'affichage précis du lieu de production ou de culture pour les produits bruts à une échelle territoriale fine, en tenant compte de la spécificité des produits et soutenir les démarches de circuit court.

Proposition n° 48 : Instaurer des mécanismes de démocratie alimentaire, pour ancrer les systèmes de production alimentaire dans une logique de durabilité et de qualité nutritionnelle et renouveler en profondeur le pacte social alimentaire.

L'ESSENTIEL

Créée à l'initiative du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) dans le cadre de l'article 6 bis du Règlement du Sénat, qui confère à chaque groupe politique un « droit de tirage » pour la création d'une instance temporaire par année parlementaire, la mission d'information sur le thème « Protéger et accompagner les individus en construisant la sécurité sociale écologique du XXI e siècle » comprenait 19 membres titulaires et deux suppléants. Elle a procédé à l'audition de 48 personnes entre décembre 2021 et mars 2022. Le rapport d'information a été adopté par les groupes GEST, Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) et communiste républicain citoyen et écologiste (CRCE), le groupe Les Républicains (LR) s'est abstenu et le groupe Union Centriste (UC) n'a pas pris part au vote.

Le constat est préoccupant : notre protection sociale n'est pas suffisamment résiliente face aux risques environnementaux et l'État ne s'est pas doté des outils prospectifs pour faire face à la survenance plus fréquente et plus aigüe d'événements climatiques et de crises imprévues , dont les effets sur les finances publiques seront lourds de conséquences. La pandémie de Covid-19 l'a démontré avec force. Les chocs futurs risquent d'être encore plus violents. Il est donc urgent de changer de paradigme , avec des politiques publiques dont l'impact environnemental est pris en compte dès la conception et en développant une culture de prévention, d'adaptation et de résilience de notre système de protection sociale.

Selon un rapport de l'OMS de 2016, 23 % des décès dans le monde sont directement liés au fait d'avoir vécu ou travaillé dans un environnement insalubre. Les facteurs de risque environnementaux, tels que la pollution de l'air, de l'eau et des sols, l'exposition aux substances chimiques, le changement climatique ou le rayonnement ultraviolet, contribuent à la survenue de plus de 100 maladies ou traumatismes. Ce sont les plus défavorisés qui supportent la plus forte charge de morbidité liée à l'environnement. Le changement climatique et l'appauvrissement de la biodiversité provoqueront des chocs écologiques de forte amplitude sur notre économie et la société, dont la pandémie actuelle, d'origine zoonotique, n'est qu'une des premières manifestations.

Comment, dès lors, construire de nouvelles protections collectives pour répondre à ces vulnérabilités émergentes, à ces expositions et à ces sensibilités croissantes aux risques environnementaux ?

Les mauvaises performances des politiques de santé environnementale

La transition écologique pourrait créer un million d'emplois durables.

Un gain potentiel d'espérance de vie de 10 ans en choisissant un régime alimentaire varié et nutritionnellement équilibré.

Une entreprise socialement responsable est en moyenne 13 % plus performante qu'une entreprise qui ne l'est pas.

I. GUÉRIR LA SÉCURITÉ SOCIALE DE SA MYOPIE POUR RÉPONDRE À L'ÉMERGENCE DE NOUVEAUX RISQUES

Les crises écologiques frappent de plus en plus durement nos sociétés et la France est l'un des dix États les plus exposés au risque climatique . Notre pays a implicitement fait le choix d'allonger l'espérance de vie, mais moins d'un Français sur deux (46 %) est en bonne santé à 65 ans contre 77 % en Suède .

Le lien entre santé et environnement, santé humaine, animale et état écologique global est avéré et l'OMS promeut depuis 2010 le concept Une Seule Santé ( One Health ). L'épidémie de Covid-19 a mis en évidence la pertinence de ce concept. Il appelle en conséquence un changement de paradigme et la prise en considération de la santé environnementale dans l'ensemble des politiques publiques , recommandée par le rapport Chauvin, président du Haut Conseil en santé publique 1 ( * ) . Ce champ de la santé publique doit être considérablement développé dans la formation, la gestion et la gouvernance de tous les acteurs du système de protection sociale.

La mise en oeuvre des Accords de Paris de 2015 serait bénéfique en termes de santé publique et contribuerait à la réduction des inégalités, les populations les plus vulnérables étant affectées par les nouveaux risques. La santé occupant une place croissante dans les négociations climatiques internationales, la France doit signer l'appel de Glasgow de novembre 2021 en faveur de l'instauration de systèmes de santé résilients aux changements climatiques et à faible émission de carbone.

Notre système de protection sociale doit se repenser pour être résilient et affronter les défis du réchauffement climatique . Si, à l'origine, la Sécurité sociale a été pensée dans une optique curative, qui accapare 97 % des dépenses de santé , la montée préoccupante des maladies chroniques rend nécessaire de prioriser les politiques de prévention , qui sont économiquement rentables.

La prise en compte de l'environnement dans l'ensemble des politiques publiques dès leur conception doit permettre de réduire fortement le coût d'absorption des chocs écologiques et climatiques. En effet, la réduction de la probabilité d'occurrence des dommages sur notre environnement, au-delà de prévenir le « coût de l'inaction », générera des effets bénéfiques à la fois en termes de santé publique et de gains économiques.

Pourtant, les politiques de l'environnement et de la santé sont encore trop pilotées en silo . La santé environnementale doit devenir une politique transversale, le Parlement être davantage associé dans la détermination, le suivi et l'évaluation des objectifs de santé publique, avec une forte implication des territoires , en généralisant les évaluations d'impacts sur la santé (EIS) et de la population et en dynamisant les conseils territoriaux de santé (CTS). Les acteurs de la santé doivent être mieux formés à l'impact des facteurs environnementaux sur la santé comme au concept Une Seule Santé ( One Health) , un programme national ambitieux de recherche en santé environnementale doit être construit, afin de développer une culture de la santé environnementale .

L'État apparaît particulièrement démuni , depuis l'abandon du suivi des 100 indicateurs de la loi de santé publique du 9 août 2004. Les plans de santé sont des catalogues non contraignants et non financés. Aucune stratégie d'adaptation de notre administration de la sécurité sociale à la transition climatique, aucun plan de résilience et aucune planification publique de décarbonation de la santé n'ont été réalisés. Trop peu d'établissements de santé calculent leur empreinte carbone. Mais l'État dispose-t-il encore des capacités d'expertise et de la volonté politique de long terme d'effectuer un exercice comparable au plan de transformation de l'économie française (PTEF), réalisé par l'ONG The Shift Project , qui vise à proposer des solutions pragmatiques pour décarboner l'économie en favorisant la résilience et l'emploi, et son volet pour le secteur de la santé ?

La stratégie nationale d'adaptation au changement climatique doit faire l'objet d'un débat annuel au Parlement . L'étude d'impact des projets de loi doit inclure un volet climatique et de santé environnementale . Enfin, France Stratégie doit coordonner l'élaboration d'un plan quinquennal d'adaptation de notre système de protection sociale intégrant une cartographie des risques .

LES PROPOSITIONS POUR DÉVELOPPER LA CAPACITÉ
DE RÉSILIENCE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Proposition n° 1 : Prendre en compte l'impact environnemental dès la conception des politiques publiques afin de créer un système de protection sociale plus résilient.

Proposition n° 2 : Diffuser le concept Une Seule Santé ( One Health) dans la littératie pour prendre davantage en compte la santé environnementale.

Proposition n° 3 : Appliquer les engagements pris à la sixième conférence ministérielle d'Ostrava de 2017 sur l'environnement et la santé et signer l'appel de Glasgow de novembre 2021 en faveur de l'instauration de systèmes de santé résilients aux changements climatiques et à faible émission de carbone.

Proposition n° 4 : Renforcer la prévention dans toutes les politiques publiques et en particulier en matière de santé et d'environnement afin de combler le retard pris par la France en ce domaine.

Proposition n° 5 : Mener des études sur l'impact économique global de la prévention, au-delà des études ponctuelles sur un risque précis (air, bruit...).

Proposition n° 6 : Confier le pilotage interministériel des politiques environnementales à un Haut-commissaire à la planification de la transition environnementale.

Proposition n° 7 : Intégrer dans les études de santé, et dans la formation continue des professionnels de santé, des enseignements sur l'impact des facteurs environnementaux et du changement climatique sur la santé.

Proposition n° 8 : Créer de nouveaux indicateurs de santé publique et associer le Parlement dans leur détermination, leur suivi et leur évaluation.

Proposition n° 9 : Établir une méthodologie solide permettant la prise en compte des facteurs environnementaux et climatiques sur les dépenses couvertes par la sécurité sociale.

Proposition n° 10 : Organiser un débat annuel au Parlement de la Stratégie française sur l'énergie et le climat (SFEC).

Proposition n° 11 : Intégrer la santé environnementale dans les études d'impact accompagnant les projets de loi et renforcer le recours aux évaluations d'impact sur la santé dans le cadre de l'élaboration de grands projets d'aménagements publics.

Proposition n° 12 : Élaborer une stratégie publique de décarbonation des acteurs publics et privés de la santé permettant le respect des accords de Paris.

Proposition n° 13 : Confier à France Stratégie la coordination d'un plan quinquennal de préparation à l'adaptation de notre système de protection sociale.

Proposition n° 14 : Créer une cartographie des risques, en lien avec la direction générale de la santé et l'assurance maladie.

II. NON-ASSISTANCE À SÉCURITÉ SOCIALE EN DANGER FINANCIER

Dans une logique productiviste faisant fi de la préservation des ressources naturelles, nos économies modernes sont focalisées sur la mesure de la croissance économique au travers du produit intérieur brut (PIB). L'équilibre financier de notre système de protection sociale lui-même repose sur la croissance , dont dépendent ses ressources.

C'est le cas notamment du système de retraites, financé par des cotisations sociales dont le montant dépend de la croissance, de la productivité et des salaires, tandis que ses dépenses sont liées à celle des prix, le niveau des pensions étant indexé sur l'inflation depuis 1987.

Dans ce contexte, le changement climatique menace la soutenabilité financière de la sécurité sociale , prise en étau entre l'accroissement prévisible de ses dépenses du fait des conséquences sanitaires de ce phénomène et le ralentissement économique qui devrait résulter de l'épuisement des ressources de la planète et de la transition écologique.

Malgré les réformes législatives récentes, notamment en ce qui concerne le régime des catastrophes naturelles et le système d'assurance récolte, les risques couverts par les organismes d'assurance s'avèrent, quant à eux, de moins en moins assurables : le coût des catastrophes naturelles devrait en effet doubler d'ici à 2040 .

Dès lors, c'est notre pacte social qui risque d'être ébranlé, les ménages les plus défavorisés étant généralement les plus dépendants aux énergies fossiles et les moins à même d'assumer le coût de la transition écologique. Il importe donc d'intégrer aux politiques climatiques une dimension redistributrice de façon à assurer leur acceptabilité sociale , comme le propose la Commission européenne avec le Fonds social pour le climat.

Pour relever les défis climatiques du XXI e siècle, la perspective d' une nouvelle branche de sécurité sociale dédiée à la couverture des risques environnementaux est portée dans le débat public par certains économistes.

Selon ces derniers, une telle entité permettrait d'unifier une grande partie des dépenses liées au changement climatique et à la transition écologique de façon à disposer de la visibilité et des marges de manoeuvre nécessaires à une action efficace . Par ailleurs, face à l'enjeu de l'acceptabilité de la fiscalité environnementale, mis en lumière par le mouvement des Gilets jaunes, l'affectation des ressources qui en sont issues à cette branche « vulnérabilité » permettrait de garantir au contribuable que ces prélèvements financent directement la lutte contre le changement climatique .

Un fonds pour l'environnement , chargé de l'intervention publique en matière d'assurance récolte, de prévention des risques naturels majeurs et de transition énergétique, pourrait constituer une alternative.

Bien que la rapportrice soit favorable à ces propositions, la mission d'information n'a pas retenu ces orientations.

Champ d'intervention envisageable de la sécurité sociale écologique

Quelle que soit la solution retenue par le législateur, la plupart des charges pouvant être supportées par cette entité sont déjà financées à ce jour par le budget de l'État, les cinq branches de la sécurité sociale, les organismes d'assurance ou des fonds tels que le fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) ou le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit « fonds Barnier ». Il s'agit donc essentiellement d'assurer le financement de leur accroissement probable au cours des prochaines décennies .

Dans cette perspective, plusieurs ressources ont été proposées par les personnes auditionnées : les économies considérables pouvant être générées par l'assurance maladie du fait de la transition d'un système curatif vers un système préventif, l'affectation du produit de la fiscalité environnementale ou des ressources dédiées au remboursement de la dette sociale une fois celle-ci éteinte, ou encore une contribution des ménages, proportionnelle à leur empreinte environnementale, et des organismes d'assurance .

LES PROPOSITIONS POUR MIEUX INTÉGRER LA PRISE EN COMPTE
DES RISQUES CLIMATIQUES DANS NOTRE MODÈLE DE PROTECTION SOCIALE

Proposition n° 15 : Développer la prise en compte des dimensions humaine et environnementale dans la mesure des performances économiques nationales et compléter la comptabilité financière des entreprises et de l'État en matière environnementale.

Proposition n° 16 : Accroître les marges de manoeuvre financière de l'État face aux conséquences du changement climatique sur le solde de la sécurité sociale tout en tenant compte des besoins révélés par la crise sanitaire.

Proposition n° 17 : Affiner l'évaluation des conséquences du changement climatique sur la croissance économique et le financement de la protection sociale afin de mieux orienter les politiques publiques.

Proposition n° 18 : Inciter les organismes d'assurance à augmenter les moyens qu'ils consacrent à l'effort de transition écologique et à la maîtrise des risques environnementaux.

Proposition n° 19 : Lier une partie du financement des acteurs de la santé par l'assurance maladie à la poursuite d'objectifs environnementaux.

Proposition n° 20 : Développer les compétences en matière de développement durable au sein du ministère de la santé.

Proposition n° 21 : Travailler à la mise en place d'une couverture sociale des risques environnementaux.

Proposition n° 22 : Adapter la fiscalité environnementale afin d'assurer le financement de la sécurité sociale écologique.

Proposition n° 23 : Asseoir une partie du financement de la sécurité sociale écologique sur les économies budgétaires dégagées par la transition d'un système curatif vers un système préventif.

Proposition n° 24 : Associer des acteurs de l'économie, du dialogue social, de la protection de l'environnement et des citoyens tirés au sort à la gouvernance de la sécurité sociale écologique.

III. CHANGEMENT CLIMATIQUE ET TRANSITION ÉCOLOGIQUE :
DES TRANSFORMATIONS DE L'EMPLOI À ANTICIPER ET À INTÉGRER

La transition écologique appelle une profonde mutation de l'emploi . Certaines filières verront leurs effectifs diminuer : énergies fossiles, transports aériens de voyageurs. D'autres devront procéder à une formation professionnelle massive pour requalifier les métiers, par exemple la réorientation de l'industrie automobile thermique vers l'électrique. Enfin, des gains d'emplois dans des secteurs non délocalisables et à forte intensité de main d'oeuvre sont attendus, comme pour la rénovation thermique des bâtiments, les énergies renouvelables, les nouvelles modalités de transports.

Ce vaste mouvement de transition professionnelle concernerait 3,8 millions d'emplois. Il appelle à repérer les compétences nécessaires au développement des filières en tension, à renforcer l'analyse de l'impact de la transition écologique sur les métiers et compétences, à financer davantage de projets de reconversion professionnelle, à rendre le dispositif Transco, actuellement individualisé, plus collectif, et à renforcer le rôle des opérateurs de compétence (OPCO), les engagements et développement de compétence devant mieux intégrer la transition et recentrer la formation en direction des secteurs porteurs.

Pour tous les travailleurs, l'impact du changement climatique se ressent , notamment pour ce qui concerne la chaleur et la pollution. Les évaluations quantitatives d'impact sur la santé (EQIS) sont cependant insuffisantes, faute du déploiement satisfaisant du document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) qui font encore défaut pour 55 % des employeurs. Pourtant, il est avéré qu'une chaleur excessive met en danger la santé des salariés, conduit à des pertes d'heures de travail, et cause des millions de décès dans le monde. L'augmentation des pollutions sonores et des troubles musculo-squelettiques (qui représentent 88 % des 50 000 cas de maladies professionnelles) appelle à des mesures renforcées.

Les efforts des employeurs en faveur de la santé des travailleurs s'inscrivent aujourd'hui dans le cadre de la responsabilité sociétale des entreprises , aussi entendue comme leur responsabilité sociale et environnementale (RSE). Celle-ci complète les obligations légales de l'employeur en matière de prévention, qui ne suffisent pas toujours au regard de la prévalence des accidents du travail et des maladies professionnelles . L'ensemble entre dans le cadre des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), dont l'appréciation doit garantir que les employeurs vont au-delà du simple écoblanchiment, ou greenwashing . La réforme récente de la santé au travail repose sur la contribution des employeurs à une meilleure évaluation de l'exposition des salariés aux risques sanitaires. L'outil de la commande publique pourrait constituer un levier pour encourager les entreprises dans cette démarche. Mais l'État doit aussi se montrer exemplaire en élaborant une cartographie des risques pour tous les agents publics.

LES PROPOSITIONS POUR ACCOMPAGNER LA TRANSITION PROFESSIONNELLE ET AMÉLIORER LA PRÉVENTION DE LA SANTÉ
AU TRAVAIL

Proposition n° 25 : Élaborer des scénarios de transformation de l'économie nécessaires pour respecter les orientations de transition écologique de la France et anticiper les besoins de main-d'oeuvre correspondants d'ici à 2050.

Proposition n° 26 : Établir une cartographie professionnelle des compétences en fonction de leur transférabilité entre filières en tension et en contraction.

Proposition n° 27 : Renforcer l'accompagnement des salariés des filières en contraction.

Proposition n° 28 : Développer le rôle prospectif des Crefop dans l'évaluation des impacts de la transition écologique.

Proposition n° 29 : Confier aux observatoires d'analyse et d'appui au dialogue social une mission d'évaluation des nouvelles méthodes de travail liées au changement climatique.

Proposition n° 30 : Améliorer le suivi de la santé au travail en France en assurant la bonne réalisation des documents uniques d'évaluation des risques professionnels (DUERP), et les adresser chaque année à Santé publique France afin de mieux évaluer l'exposition aux risques sanitaires.

Proposition n° 31 : Évaluer au niveau de la France la prévalence des pics de chaleur dans les années à venir et encourager l'adaptation des employeurs à ces pics en vue de préserver la santé des travailleurs.

Proposition n° 32 : Créer un guichet unique pour l'accès des entreprises aux aides à la transition écologique et une base de suivi de ces aides, établir une liste exhaustive des critères environnementaux à remplir pour en bénéficier, et prévoir des sanctions en cas de non-conformité à ces critères.

Proposition n° 33 : Modifier l'article L. 2112-3 du code de la commande publique pour permettre aux acheteurs publics de prendre en compte la dimension RSE dans leurs appels d'offres.

Proposition n° 34 : S'assurer du respect et de l'efficacité du Plan santé au travail pour la fonction publique.

Proposition n° 35 : Créer une cartographie des risques de santé publique des trois fonctions publiques, mise à jour régulièrement.

IV. L'APPLICATION IMMÉDIATE D'UNE SÉCURITÉ SOCIALE ÉCOLOGIQUE : LE DROIT À UNE ALIMENTATION SAINE

La contribution d'une alimentation saine à une bonne santé est établie depuis Hippocrate. A contrario , les méfaits de la malnutrition seraient responsables de 22 % des décès mondiaux. Pourtant, si le patrimoine culinaire de la France est inscrit au patrimoine mondial depuis 2010 grâce à une agriculture de qualité et si le pays se passionne pour les émissions télévisées culinaires, les mauvaises pratiques alimentaires se multiplient et 80 % des dépenses alimentaires des ménages s'orientent vers des produits transformés . Les inégalités nutritionnelles sont également fortement corrélées à des facteurs socio-économiques : les contraintes budgétaires contribuent à expliquer des consommations différenciées entre les ménages suivant leur niveau de vie. Elles sont un facteur d'accès inégal à une alimentation équilibrée et de qualité.

Les pouvoirs publics tentent de favoriser une alimentation plus saine, grâce notamment à l'adoption du Nutri-score depuis 2017, lequel, s'il peut contribuer à l'évolution des pratiques d'achat, n'est pas suffisant pour modifier les pratiques alimentaires dans leur ensemble, et devrait être amélioré. Plusieurs dispositifs législatifs favorisent une meilleure éducation à la santé alimentaire . Pourtant, un enfant sur trois ne sait pas reconnaître ce qu'il mange , et le marketing alimentaire, notamment dans les programmes destinés à la jeunesse, n'est pas suffisamment encadré.

Il est nécessaire :

Ø de passer d'une logique d'assistance alimentaire à une logique d'accompagnement par l'alimentation et établir une sécurité alimentaire saine et durable ;

Ø d'accentuer les efforts pour promouvoir des habitudes de consommation propices à une alimentation saine tout au long de la vie ;

Ø d'accroître les incitations à une alimentation saine et durable pour tous les maillons de la chaîne alimentaire, en garantissant une juste rémunération pour les agriculteurs et un système prix favorable à la qualité ;

Ø d'améliorer le contrôle de la qualité des aliments et la crédibilité des sanctions, dans une logique de prévention, en augmentant significativement les moyens des organismes publics chargés des contrôles ;

Ø d'organiser une consultation démocratique préalable à la mise en place d'une allocation alimentaire universelle ou de mécanismes plus ciblés favorisant la consommation de produits sains.

À cet égard, il faut éviter l'effet stigmatisant attaché aux dispositifs adaptés pour certaines catégories de population, réduire les liens de dépendance entre aide alimentaire et invendus , territorialiser la lutte contre la précarité alimentaire et oeuvrer à la mise en oeuvre d'une démocratie alimentaire.

LES PROPOSITIONS POUR UNE SÉCURITÉ SOCIALE ALIMENTAIRE

Proposition n° 36 : Mieux prendre en compte les difficultés socio-économiques des individus dans l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques de l'alimentation.

Proposition n° 37 : Approfondir le Nutri-score en intégrant l'impact sur l'environnement des produits, tenant compte de la santé environnementale et opérant une distinction entre produits bruts ou peu transformés et aliments ultra-transformés.

Proposition n° 38 : Développer la littératie alimentaire tout au long de la vie, en favorisant une éducation propice à une alimentation saine, et accentuer la lutte contre le gaspillage.

Proposition n° 39 : Mieux encadrer la publicité et le marketing alimentaire dans les médias, notamment aux heures de grande audience et dans les programmes destinés à la jeunesse.

Proposition n° 40 : Analyser les causes de non-recours et de renoncement à l'aide alimentaire, pour élaborer des modèles plus inclusifs et moins stigmatisants, en améliorant le couplage entre aide alimentaire et accompagnement social.

Proposition n° 41 : Inscrire le droit à l'alimentation durable dans le droit français et européen, afin d'enclencher une dynamique transformatrice de nos systèmes de production alimentaire.

Proposition n° 42 : Accroître les incitations à une alimentation saine et durable pour tous les maillons de la chaîne alimentaire, en garantissant une juste rémunération pour les agriculteurs et un système prix favorable à la qualité.

Proposition n° 43 : Améliorer le contrôle de la qualité des aliments et la crédibilité des sanctions, dans une logique de prévention, en augmentant significativement les moyens des organismes publics chargés du contrôle.

Proposition n° 44 : Dans le cadre d'une démarche concertée avec les industriels de l'agroalimentaire afin d'éviter des phénomènes de distorsion de concurrence, réduire la teneur en sel ajouté dans les produits transformés.

Proposition n° 45 : Organiser une concertation nationale pour élaborer de manière démocratique les fondements d'une allocation alimentaire durable ou de mécanismes plus ciblés favorisant la consommation de produits sains, locaux et de qualité.

Proposition n° 46 : Intégrer un volet de lutte contre la précarité alimentaire dans tous les projets alimentaires territoriaux.

Proposition n° 47 : Systématiser l'affichage précis du lieu de production ou de culture pour les produits bruts à une échelle territoriale fine, en tenant compte de la spécificité des produits et soutenir les démarches de circuit court.

Proposition n° 48 : Instaurer des mécanismes de démocratie alimentaire, pour ancrer les systèmes de production alimentaire dans une logique de durabilité et de qualité nutritionnelle et renouveler en profondeur le pacte social alimentaire.

LE RAPPORT

I. GUÉRIR LA SÉCURITÉ SOCIALE DE SA MYOPIE POUR RÉPONDRE À L'ÉMERGENCE DES NOUVEAUX RISQUES ET À UN BESOIN DE PROTECTIONS RENOUVELÉ

A. LA SÉCURITÉ SOCIALE VA DEVOIR ABSORBER DES CHOCS ET DES RISQUES DE NOUVELLE NATURE

1. La montée des risques environnementaux et climatiques
a) Les crises écologiques frappent de plus en plus durement nos systèmes

Le changement climatique, amplifié de manière considérable par les activités humaines depuis le XX e siècle, modifie de manière durable et progressive l'équilibre thermique de la Terre. Il influence alors incontestablement la fréquence et l'ampleur de certains aléas naturels, démultipliant dès lors notre exposition aux risques environnementaux d'année en année.

Comme l'a rappelé Éloi Laurent, chercheur à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), lors de son audition par la mission d'information : « Ce début du XXIe siècle marque le début des chocs écologiques de grande ampleur. Par rapport à la période préindustrielle, la planète va se réchauffer de manière certaine et rapide au cours des années à venir. La communauté scientifique estime aujourd'hui ce réchauffement à 1,2 degré depuis le début du siècle, ce chiffre tendant vers 1,5 degré dans un horizon très proche. Nous savons de façon certaine que ces chocs écologiques vont se multiplier au cours des décennies à venir 2 ( * ) ».

Les scientifiques s'accordent en effet aujourd'hui sur le fait qu'une évolution à la hausse des températures moyennes et une accélération dès le début des années 1960 est indéniable, d'autant plus que les changements climatiques constituent une urgence mondiale qui dépasse les frontières nationales.

Selon les chiffres publiés le 7 janvier 2022 par l'initiative européenne Copernicus de surveillance de l'atmosphère dans le cadre du changement climatique (C3S) 3 ( * ) , « ces sept dernières années ont clairement été les sept années les plus chaudes jamais enregistrées ».

De fait, l'année 2021 a une nouvelle fois été marquée par des événements climatiques fréquents et dévastateurs, « la température mondiale ayant augmenté de 0,3 degré par rapport à la moyenne des trois décennies passées » .

Évolution des anomalies de température observées depuis le début du XXe siècle, en prenant pour référence la période 1951 à 1960

Source : C3S/Copernicus data.

Or, les effets induits par ces crises écologiques à répétition sont multiples et sévères. Du bouleversement des conditions météorologiques, qui affectent notablement la production agricole et alimentaire à long terme, à l'élévation du niveau des mers et des océans, qui augmente les risques d'inondations, de nombreuses études scientifiques alertent en effet sur les conséquences imprévisibles et irrévocables de ces chocs à répétition. Comme l'a rappelé Patricia Crifo, professeure à l'École Polytechnique et au Centre de recherche en économie et statistique lors de son audition par la mission d'information : « Il n'est plus possible de dénier les effets du réchauffement climatique. L'objectif central de l'Accord de Paris de maintenir l'augmentation de la température mondiale à un niveau bien inférieur à deux degrés par rapport aux niveaux préindustriels ne doit pas être perdu de vue car au-delà d'un tel niveau, les dangers et conséquences identifiés par les experts comme l'élévation du niveau des mers, des températures, des événements extrêmes, la baisse des ressources en eau, ou encore la destruction des écosystèmes sont démultipliés : à partir de deux degrés, jusqu'à 13 % des terres mondiales pourraient se transformer radicalement, et la disparition de la biodiversité serait multipliée par deux 4 ( * ) ».

En effet, ces crises écologiques affectent de plus en plus durement nos systèmes. Selon un rapport de l'Agence européenne de l'environnement (AEE) publié en février dernier 5 ( * ) , les canicules, inondations, vagues de froid et autres événements climatiques extrêmes ont entraîné 142 000 décès supplémentaires en Europe, et ont coûté près de 510 milliards d'euros au continent ces quarante dernières années .

Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC)
tire la sonnette d'alarme

Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), créé en 1988 par l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et ONU Environnement en vue de fournir des évaluations scientifiques, techniques et socio-économiques sur les changements climatiques, a publié en février dernier le deuxième volet de son sixième rapport d'évaluation.

Ce document, élaboré par 270 scientifiques issus de 67 pays, se veut beaucoup plus préoccupant que le dernier rapport publié par le collectif, en 2014. « Les tendances actuelles et passées (les émissions, le développement et le changement climatique) n'ont pas permis de progresser vers un développement global résilient au changement climatique » , affirment les chercheurs.

Pour la première fois, les chercheurs mettent en garde contre les effets du changement climatique, qui diffèrent selon les régions et selon les catégories socio-économiques, et qui s'avèrent, non seulement, « de plus en plus complexes à gérer » , mais qui risquent également de se produire de manière de plus en plus simultanée, avec parfois des conséquences « en cascade » d'une région à l'autre.

Le rapport distinguait dans son premier volet deux périodes, le court terme (2021-2040) et le moyen-long terme (2040-2100). Pour la première, les prévisions sont pessimistes et la trajectoire déjà tracée, aux vues des quantités de gaz à effet de serre déjà émises. Pour la seconde, contenir le réchauffement climatique à 1,5 °C - objectif le plus ambitieux prévu par l'accord de Paris - « réduirait considérablement les pertes et dommages » , mais « sans pouvoir tous les éliminer » , face à une « hausse inévitable de multiples dangers » .

En cas de dépassement de cette limite, les effets négatifs et les dégâts irréversibles « s'intensifieront encore, à chaque hausse du réchauffement » . Dans le cas des inondations, par exemple, les dégâts seront, par rapport à un réchauffement de 1,5°C, jusqu'à 2 fois supérieurs pour 2°C, et jusqu'à 4 fois supérieurs pour un réchauffement de 4°C. Or, à l'heure actuelle, les engagements pris par les États, s'ils sont effectivement mis en place, devraient nous conduire vers un réchauffement minimum de 2,7°C, laissant présager des conséquences catastrophiques selon les chercheurs du GIEC.

En conclusion, les chercheurs alertent sur l'urgence de la situation : « Tout retard dans la mise en oeuvre d'une action concertée, globale et anticipée en faveur de l'adaptation et de l'atténuation nous fera rater la courte fenêtre d'opportunité, qui se referme rapidement, pour garantir un avenir vivable et durable pour tous. ».

Le rapport souligne cependant qu'à l'heure actuelle, la plupart des mesures sont « fragmentées, à petite échelle, progressives, spécifiques à un secteur, pensées pour répondre aux conséquences actuelles ou aux risques à court terme, et concentrées sur la planification plutôt que sur la mise en oeuvre » . Pour le GIEC, il est indispensable de mettre en oeuvre des solutions « intégrées, multisectorielles, qui traitent aussi les inégalités sociales » , et ce le plus rapidement possible.

Source : « Changement climatique 2022 : impacts, adaptation et vulnérabilité »,
2 e volet du sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.

b) La France est particulièrement exposée

Sur le modèle des évolutions mondiales, le climat en France métropolitaine est aussi marqué par de fortes hausses de températures depuis le milieu du XXe siècle.

Plus encore, la situation française est particulièrement préoccupante : Météo France observe ainsi une hausse des températures moyennes dans notre pays de 1,7 °C depuis 1900, sous l'effet du changement climatique, alors même que le réchauffement constaté en moyenne dans le monde est estimé à + 0,9 °C sur la période 1901-2012 selon les données récoltées par le GIEC en 2013, dans son cinquième rapport sur les changements climatiques et leurs évolutions futures.

Météo France note par ailleurs une accélération depuis les années 1980. Sur la période 1959-2009, le service national français de météorologie observe une tendance de + 0,3 °C par décennie en moyenne annuelle, avec une évolution notable de la fréquence et de l'intensité des événements extrêmes, puisque le nombre de journées chaudes (températures maximales supérieures à 25 °C) ne cesse d'augmenter, tandis que le nombre de jours de gel ne cesse, quant à lui, de diminuer.

L'exemple des canicules est flagrant en France pour démontrer le bouleversement climatique qui s'opère.

Nombre de canicules départementales en France, 1970-2016

Météo France a détaillé, en 2021, les impacts anticipés selon trois scénarios de référence du GIEC, qui conduisent tous à une hausse des températures moyennes comprise entre + 2,1 °C et + 4,9 °C. Le nombre de jours de vagues de chaleur ou de canicules est annoncé en hausse dans tous les scénarios avec, en fin de siècle, un nombre de jours de vagues de chaleur qui pourrait doubler, être multiplié par un facteur 3 à 4 dans un scénario intermédiaire et, dans le pire des scénarios (celui de l'inaction climatique), par un facteur de 5 à 10. À horizon proche (2021-2050), la fréquence des vagues de chaleur pourrait doubler par rapport à la période 1981-2010.

Un constat alarmant partagé par Éloi Laurent qui affirmait, lors de son audition par la mission d'information, que « La France est l'un des pays les plus exposés au risque climatique . Les données sont évidentes : en s'appuyant sur l'indicateur des pertes humaines, les six désastres les plus meurtriers en France ces dernières années sont dus à des canicules. En clair, chaque année, des dizaines de milliers de personnes en France sont menacées du fait du changement climatique. Le risque en France est considérable 6 ( * ) ».

La France fait ainsi partie des dix pays les plus touchés en termes de pertes économiques ces vingt dernières années, avec 48,3 milliards de dollars . En 2018, le coût des sinistres climatiques s'est élevé à 3,4 milliards d'euros, montant supérieur de près de 1 milliard à la moyenne des dix années précédentes. Selon le Climate vulnerability index moyen de 1998 à 2017, le pays obtient un score de 33 qui le place au 15 e rang des pays les plus vulnérables en raison des pertes humaines constatées, qui le place au huitième rang mondial (par habitant), de loin le pays européen le plus touché 7 ( * ) .

La France parmi les 10 pays les plus exposés au changement climatique

Le cinquième rapport annuel publié, le 3 décembre 2020, par la revue scientifique Lancet, et intitulé « Le compte à rebours du Lancet » ( The Lancet Countdown on health and climate change ), insiste sur l'urgence universelle de prendre en compte les effets du changement climatique. « Aucun pays - qu'il soit riche ou pauvre - n'est à l'abri des effets du changement climatique sur la santé », alertent les 120 auteurs de ce rapport, issus de 35 institutions, dont l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Organisation météorologique mondiale (OMM).

Alors que le réchauffement ne cesse de s'accélérer, le rapport établit que les personnes de plus de 65 ans ont vécu un nombre record de jours d'exposition à des vagues de chaleur dans le monde en 2019, les décès liés à la chaleur ayant augmenté de 54 % lors des deux dernières décennies, pour atteindre, chez cette population, près de 300 000 morts en 2018, principalement en Inde, en Allemagne, en Chine et aux États-Unis.

L'Europe demeure la plus touchée des régions, du fait de sa population âgée, d'une forte prévalence des maladies cardiovasculaires et d'une large urbanisation induisant des îlots de chaleur urbains. Le rapport, résultat d'une étude de plus de 40 indicateurs sur les liens entre la santé et le changement climatique, précise également que la vulnérabilité de la France aux effets de la chaleur sur la santé est « l'une des plus élevées au monde en 2018 » , avec plus de 8 000 décès liés à la chaleur chez les plus de 65 ans. Le coût économique de cette mortalité représentait alors « l'équivalent de 1,3 % du revenu national brut du pays ».

Le rapport alerte enfin sur la convergence forte des crises sanitaire et climatique. « À moins que des mesures urgentes ne soient prises, le changement climatique menacera de plus en plus la santé mondiale, », selon ses auteurs. Or, les chercheurs notent que la capacité des infrastructures sanitaires à faire face à ces chocs est encore insuffisante, malgré de notables améliorations.

Seulement la moitié des pays étudiés par les chercheurs ont élaboré des plans nationaux faisant le lien entre la santé et le climat, et moins de la moitié ont mis en place des évaluations de leur vulnérabilité.

Source : Lancet, « Le compte à rebours du Lancet », 3 décembre 2020.

2. Des crises qui menacent nos mécanismes de protection collective

Les effets des crises écologiques sont de plus en plus destructeurs pour nos sociétés .

Comme le rappelait Patricia Crifo lors de son audition par la mission d'information : « Entre 1998 et 2017, les désastres géophysiques et liés au climat ont tué 1,3 million de personnes , et causé des dégâts - blessures, pertes de logement, besoins d'urgence - pour 4,4 milliards d'individus. 91 % des désastres ont été causés par des inondations, ouragans, canicules, et autres événements extrêmes 8 ( * ) ». Ces chiffres n'ont cessé d'augmenter durant ces 40 dernières années, mettant sous tension chaque année davantage nos modèles de protection collective.

Conséquences des événements climatiques par type entre 1980 et 1999 et entre 2000 et 2019

Source : Centre for Research on the Epidemiology of Disasters
CRED & United nations office for disaster risks reduction UNISDR.

Dès lors, l'intensification et la multiplication des aléas climatiques vont accroître considérablement notre exposition aux risques dans un avenir proche, augmentant dès lors indéniablement le recours aux systèmes d'indemnisation des dommages résultant de ces aléas. Un tel phénomène, de par l'ampleur des crises et les coûts sociaux et humains qui en résultent, risque alors de mettre en péril nos acquis sociaux.

Les événements climatiques « comptent pour 93 % du nombre total des morts et pour 22 % des dommages financiers », selon le dernier bilan de l'Agence européenne de l'environnement (AEE) 9 ( * ) qui repose sur les données de l'organisme CATDAT, recensant les pertes dues aux catastrophes dans le monde entier.

La France n'est pas en reste, faisant partie des pays européens dont la part des sinistres assurés, causés par des événements extrêmes liés au temps et au climat entre 1980 et 2020, est la plus importante selon l'AEE.

Le coût de l'adaptation aux conséquences futures de ces changements va donc croître .

Part des sinistres assurés causés par des événements extrêmes liés au temps et au climat dans les pays membres de l'Espace économique européen (1980-2020) - en %

Source : Agence européenne de l'environnement (AEE).

3. Des pandémies endémiques et chroniques

Au-delà de la hausse des températures planétaires et du niveau des océans, accompagnée de catastrophes naturelles plus fréquentes et plus intenses, notre système doit également faire face à la hausse des risques d'épidémies mortelles et des éclosions de maladies endémiques qui viennent là encore mettre à mal les grands principes de protection collective que nous connaissons.

La crise de la Covid illustre dès lors le bouleversement que peut provoquer une pandémie sur le système de santé. Désormais stabilisée, la maladie continue pour autant de se répandre ; or, lorsque sa présence se stabilise au sein de la population, on dit qu'une maladie connaît un caractère endémique. Le risque que les pandémies deviennent des endémies à terme est palpable, et met d'autant plus en péril nos systèmes, constamment contraints de s'adapter. La multiplication des maladies nouvelles, définies par l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) comme « une infection nouvelle, causée par l'évolution ou la modification d'un agent pathogène ou d'un parasite existant, qui se traduit par un changement d'hôtes, de vecteurs, de pathogénicité ou de souche », et des zoonoses - maladies ou infections qui se transmettent des animaux vertébrés à l'homme, et inversement - renforcent cette inquiétude.

À quand une nouvelle COVID ?

L'épidémie mondiale de COVID-19 a mis en lumière les failles de notre système de protection sociale, en provoquant une vague importante de recours aux soins, en particulier d'hospitalisations, qui a mis et met encore les systèmes de soins et de santé sous tension. Parmi ces failles, la trop faible place laissée à la prévention, le cloisonnement entre les divers champs de la santé et la défaillance des dispositifs de coordination questionnent sur la capacité de notre système de santé à amortir le choc que constitueraient de nouvelles pandémies.

D'autant plus que la destruction et la fragmentation des habitats de certaines espèces, ainsi que leur mise en élevage, viennent accroître les risques sanitaires. Le déclin de la biodiversité accélère en effet l'émergence de virus dangereux pour les populations humaines et augmente alors les risques de transmission des pathogènes et l'émergence des maladies associées.

Ainsi, il semblerait que si les activités humaines néfastes à la biodiversité, à l'hétérogénéité des paysages et de l'environnement ne sont pas réduites, les conditions à la diffusion de nouvelles maladies se retrouvent alors favorisées, mettant dès lors en péril l'équilibre du système que nous connaissons à court terme.

Source : « La santé publique en France à l'épreuve de la COVID-19 »,
Santé Publique, vol. 32, no. 1, 2020.

Au-delà de ces nouvelles pandémies qui peuvent émerger à n'importe quel moment, le système est également contraint par les maladies chroniques, et semble y être mal préparé . Laurent Gallet, adjoint au directeur de la sécurité sociale, à l'administration centrale du ministère de l'économie, des finances et de la relance et du ministère des solidarités et de la santé , rappelait au cours de son audition par la mission d'information, que « La France a fait le choix d'avoir un système axé sur les soins, qui augmente l'espérance de vie, sans rien modifier sur l'espérance de vie en bonne santé. Le nombre de patients porteurs de maladies chroniques croît de 2 % par an. On comptait 12 millions de porteurs de maladies chroniques dans les années 2000 ; nous sommes actuellement à 15 millions et l'on risque de dépasser les 20 millions en 2025 10 ( * ) » .

Notre système est sous la double contrainte « d'une part d'une tension démographique, avec un vieillissement de la population dont l'espérance de vie augmente , et d'autre part d'une tension épidémiologique, avec une contrainte liée aux maladies chroniques », résumait alors M. Laurent Gallet.

Devant les sénateurs de la mission, William Dab, professeur et titulaire de la chaire d'hygiène et sécurité au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), ancien directeur général de la santé, dressait alors un constat sans appel : « le système est mal armé pour prendre en charge les maladies chroniques 11 ( * ) ».

Lors de son audition, Laurent Gallet insistait sur le caractère insoutenable de ces tensions à terme, et le besoin de changement dans l'organisation de notre système : « Ça ne peut qu'empirer dans les années qui viennent. Il n'y a aucune chance que cela s'améliore. La France est un pays où moins d'un Français sur deux arrive en bonne santé à l'âge de 65 ans, soit environ 46 %, hommes et femmes confondus. En Suède, 77 % de la population arrive en bonne santé à 65 ans ! 12 ( * ) ».

4. L'éco-conception des politiques publiques, un préalable indispensable pour réduire les chocs à venir

Les nouveaux risques émergents, auxquels la France est exposée, qu'il s'agisse des maladies chroniques, des pandémies, des dangers pour notre environnement, la santé humaine ou celle de la planète, auront des conséquences à la fois humaines et financières qui s'annoncent particulièrement lourdes pour notre système de protection sociale. Comme l'exprime Géraud Guibert « la crise écologique a un impact quotidien sur la sécurité sociale : l'aggravation des problèmes de santé - pollution de l'air, canicule -, et son corollaire, l'augmentation des prestations d'assurance maladie 13 ( * ) . »

La prise en compte de l'environnement dans l'ensemble des politiques publiques dès leur conception permettrait donc de réduire fortement le coût d'absorption de la multiplication des chocs à venir.

En effet, la réduction de la probabilité d'occurrence des dommages sur notre environnement, au-delà de prévenir le « coût de l'inaction », générera des effets bénéfiques à la fois en termes de santé publique et de gains économiques. Plusieurs études récentes démontrent par exemple les gains économiques générés par des politiques de prévention bien construites.

L'intégration de ces externalités positives gagnerait donc à être réalisée dès la conception des politiques publiques, tant ces dernières constituent comme le rappelle le Conseil économique, social et environnemental (CESE) « un outil central pour construire un futur souhaitable et définir l'intérêt général qui permettra de préserver le bien-être des générations actuelles et futures 14 ( * ) . »

C'est ce que le présent rapport s'attachera à démontrer à travers de nombreux exemples, tels que le gain économique du respect des accords de Paris, le développement de politiques de prévention en santé publique et en santé environnementale ou la décarbonation de notre système de santé. P lus l'écologie et l'environnement sont pris en compte tôt lors de l'élaboration même des politiques publiques, plus il sera possible d'éviter des dépenses correctives futures .

Dès lors, la mission d'information préconise, à l'instar de l'approche initiée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) consistant à inclure « la santé dans toutes les politiques », de prendre en compte aussi « l'environnement dans toutes les politiques », environnement et santé étant deux politiques indissociables, interagissant l'une sur l'autre.

Proposition n° 1 : Prendre en compte l'impact environnemental dès la conception des politiques publiques afin de créer un système de protection sociale plus résilient .

B. L'IMPACT CROISSANT DE L'ENVIRONNEMENT SUR NOTRE SANTÉ

1. La dégradation de notre environnement, un fait certain

Au-delà du réchauffement de notre planète, les crises écologiques et climatiques mettent indéniablement en péril les populations. Qu'il s'agisse des incendies, des sécheresses ou encore des inondations, ces catastrophes environnementales affectent grandement la santé des individus.

Depuis plusieurs décennies, la qualité de l'environnement est altérée, et sa capacité à fournir à l'humanité ses précieux services se réduit de manière certaine. Si la dégradation de notre environnement est un fait certain, l'influence d'un tel phénomène sur notre santé ne fait plus débat et inquiète de manière croissante. Kevin Jean, maître de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers et chercheur épidémiologiste dans le domaine de la prévention des risques pour la santé, rappelait par exemple au cours de son audition que « 4000 tonnes de CO2 émises aujourd'hui causeraient en moyenne 1 décès d'ici la fin du siècle 15 ( * ) ».

Ces conséquences peuvent être directes - engendrant par exemple des problèmes respiratoires, des lésions pulmonaires ou cardiaques, ou encore la recrudescence d'épidémies - ou indirectes, le dérèglement climatique entraînant des phénomènes environnementaux - comme la réduction des récoltes, altérant dès lors la sécurité alimentaire, ou la perte d'heures de travail engendrées par les vagues de chaleur, se répercutant encore davantage sur la santé des plus défavorisés.

Représentation schématique des différentes voies d'impact du changement climatique sur la santé

Source : Actualité et dossier en santé publique ( adsp ) n° 93 décembre 2015.

En effet, en réduisant la disponibilité de la nourriture et de l'eau, ses effets risquent d'installer une forte insécurité alimentaire dans de nombreux pays, notamment en Afrique, en Asie, en Amérique centrale et du Sud, dans les petites îles ou en Arctique. Dans les villes, le réchauffement a aggravé la pollution de l'air et limité le fonctionnement d'infrastructures clés, comme les transports, l'énergie ou la distribution d'eau.

Ces effets sont souvent multiples et divers. À titre d'exemple, en plus d'accroître le risque de maladies cardiovasculaires et pulmonaires , une étude du Centre de recherche du Chum, à Montréal, avait montré que la pollution de l'air pouvait accélérer le déclin cognitif, symptôme annonciateur de démences comme la maladie d'Alzheimer 16 ( * ) .

Plus encore, une récente étude scientifique réalisée par des chercheurs de l'Inserm, de l'université Rennes-I et de l'École des hautes études en santé publique, publiée le 10 mars dans The Lancet Planetary Health , étudie pour la première fois simultanément plusieurs types de polluants (les particules fines d'un diamètre inférieur à 2,5 microns (PM2,5), le dioxyde d'azote (NO 2 ) et le carbone suie) et leurs effets sur les différents domaines de la cognition, et en conclut que « l'exposition à de plus grandes concentrations de ces polluants serait associée significativement à un plus bas niveau de performances dans les trois domaines cognitifs étudiés 17 ( * ) ».

Par ailleurs, ces bouleversements des milieux mettent également en péril de nombreuses espèces animales et végétales , dont la disparition de manière anticipée ne fait plus de doute 18 ( * ) .

Enfin, selon le GIEC 19 ( * ) , dans certaines régions, l'augmentation des températures et des événements extrêmes a également des conséquences sur la santé mentale des individus . L'OMS estime que les facteurs de stress environnementaux sont responsables de 12 à 18 % des décès dans les 53 pays de la région Europe de l'OMS 20 ( * ) .

Conscients de la gravité et de la pluralité des conséquences de ces phénomènes, au-delà de la communauté scientifique, les pouvoirs publics se saisissent également de plus en plus de ces problématiques.

Les travaux du Sénat sur la pollution de l'air de 2015

Dans le cadre des travaux de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, le Sénat publiait en 2015 un rapport précurseur intitulé « Pollution de l'air : le coût de l'inaction ».

Ce rapport rendu par Mme Leila Aïchi, sénatrice de Paris, rappelait le caractère multi-sources de la pollution de l'air, dont les effets sur la santé sont « nombreux et sous-estimés ». À ces coûts humains et sanitaires dramatiques s'ajoutent des coûts économiques substantiels liés au changement climatique et à la pollution environnementale, notamment les soins médicaux et le système de santé et les coûts d'opportunité liés aux baisses de productivité des populations à cause de la pollution.

S'appuyant sur le constat qu' « au niveau mondial, selon les estimations de l'OMS publiées en mars 2014, près de 3,7 millions de personnes sont décédées prématurément en 2012, du fait de l'exposition à la pollution de l'air extérieur, soit le double par rapport à l'année précédente », les sénateurs ont analysé le coût majeur et pourtant largement sous-évalué de la pollution de l'air.

Il ressortait dès lors de l'analyse des sénateurs que la pollution de l'air présentait d'une part un coût sanitaire tangible, qui se mesure principalement à travers les dépenses de santé remboursées par l'assurance maladie afin de prendre en charge les pathologies imputables à la pollution de l'air, estimé « a minima à 3 milliards d'euros par an », et d'autre part un coût non sanitaire, les polluants de l'air étant également responsables d'impacts négatifs en termes de baisse de rendements agricoles, de perte de biodiversité ou de dégradation et d'érosion des bâtiments « évalué a minima à 4,3 milliards d'euros par an » .

Au terme de ses auditions, la commission d'enquête « n'a pu que constater la faiblesse de la mobilisation de l'État face à un enjeu qui est durablement inscrit au premier rang des préoccupations de nos concitoyens » .

Les sénateurs avaient alors formulé de nombreuses propositions dans quatre domaines : « la recherche et le calcul du coût économique et financier de la pollution de l'air, les normes destinées à lutter contre la pollution, l'innovation, la formation, l'information et l'aide à la décision » , pour que soit enfin considérée la question de la qualité de l'air comme étant prioritaire au vu des conséquences dramatiques visibles et invisibles qu'une dégradation de celle-ci peut engendrer.

Source : Rapport fait au nom de la commission d'enquête
sur le coût économique et financier de la pollution de l'air
par Mme Leila Aïchi, sénatrice (n° 610, 2014-2015).

2. L'impact sanitaire des expositions environnementales, des effets complexes

Si la dégradation de notre environnement affecte de manière certaine et plurielle la santé des individus et pose un problème majeur pour notre économie, entraînant des conséquences invisibles et particulièrement destructrices sur le long terme, la prise en compte des facteurs environnementaux sur l'état de santé est cependant récente et soulève encore de nombreuses questions.

Comme le rappelait Géraud Guibert, président de La Fabrique Écologique, lors de son audition par la mission d'information : « En dépit des opinions divergentes sur ce point, nous avons aujourd'hui une bien meilleure connaissance des conséquences pour notre organisme de la dégradation de l'environnement, et notamment de l'accumulation de produits polluants, qu'il s'agisse de pesticides, de sucres, de la radioactivité, des particules fines, etc. » 21 ( * ) .

Mais s'il est vrai qu'aujourd'hui, l'influence de l'environnement sur le développement, le déclenchement ou l'aggravation d'un certain nombre de maladies n'est plus remise en cause, il demeure difficile, bien souvent, de déterminer avec certitude à quel point la dégradation de l'environnement - à l'instar de la hausse de la présence d'un polluant particulier dans l'air, le sol, l'eau ou l'alimentation - a une influence directe sur une maladie donnée .

Les effets sur la santé de certains polluants ne se manifestent souvent qu'après de nombreuses années, notamment car les populations ne sont dans la majorité des cas exposées qu'à de très faibles doses de polluants, mais ce pendant une très longue période. « L'effet de l'accumulation des faibles doses, beaucoup mieux connu aujourd'hui présente deux grandes caractéristiques : d'une part, il est peu perceptible immédiatement et moins facile à prendre en compte ; d'autre part, il affecte directement une bonne partie du système économique. L'effet n'est pas directement observé, mais se vérifie en quelques années, avec l'apparition de maladies très graves, telles que des cancers ou des affections cardiovasculaires 22 ( * ) » ajoutait Géraud Guibert au cours de son audition.

Par ailleurs, les polluants auxquels s'exposent les individus sont multiples, et les scientifiques considèrent dès lors que l'action simultanée de plusieurs polluants amplifie leur effet. Il est donc très difficile encore aujourd'hui d'isoler l'impact de l'exposition à un polluant particulier.

À cela s'ajoute le fait que nous ne sommes pas tous exposés de manière égale aux différents facteurs de l'environnement. Certains effets de l'environnement sur la santé sont eux-mêmes directement liés à des prédispositions génétiques. Les différences de niveaux d'exposition (qui varient en fonction du cadre de vie, des habitudes de vie et de l'activité professionnelle) et les facteurs individuels (sexe, âge, facteurs génétiques, état nutritionnel, niveau socio-économique) créent des situations individuelles très diverses.

La multiplication des études des effets sur la santé de notre environnement

Depuis le début du XXe siècle, le nombre d'études scientifiques alarmant sur les effets sur la santé de notre environnement croît à vitesse exponentielle. Divers organismes publient de manière régulière des rapports à destination du grand public, sur lesquels les autorités politiques peuvent s'appuyer pour légiférer.

Ainsi, en France aujourd'hui, plusieurs acteurs sont en charge de l'élaboration et du contrôle des politiques de santé environnementale. La direction générale de la santé (DGS) élabore les règles, normes et recommandations et les agences régionales de santé (ARS) sont chargées de la surveillance et du contrôle sanitaire des milieux.

Se distinguent également l'expertise de l'Agence nationale de Sécurité sanitaire de l'environnement, de l'alimentation et du travail (ANSES), qui évalue régulièrement les impacts de l'environnement sur la santé pour mieux identifier les risques sanitaires liés aux pollutions des milieux de vie (air, eaux, sols) ou aux agents physiques (champs et ondes), de l'Institut de veille sanitaire (InVS) pour le volet épidémiologique et la biosurveillance, ou encore du Haut Conseil de Santé publique (HCSP) pour l'aide à la gestion des risques.

Des organismes spécialisés - comme l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) qui contribue également à promouvoir des comportements et des environnements favorables à la santé ou l'observatoire national sur les effets du réchauffement, selon lequel actuellement 62 % de la population française est exposée de manière forte ou très forte aux risques climatiques - ont aussi émergé depuis le début du siècle pour mettre en lumière les liens entre les domaines de la santé et de l'environnement.

Au niveau international, nombre de contributions telles que les rapports du GIEC ou encore les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) alertent également de manière régulière et croissante sur les effets de la dégradation de l'environnement sur la santé en fournissant un état des lieux régulier des connaissances les plus avancées.

Ces dernières années, le nombre de think tanks abordant ces problématiques s'est également démultiplié, tout comme les associations de consommateurs qui dénoncent les effets néfastes que peut avoir l'environnement sur la santé humaine et considèrent que la santé environnementale doit être mise au coeur des politiques publiques pour répondre à la fois à la crise écologique et à la crise sociale.

Le domaine « santé et environnement » est donc au coeur d'enjeux intersectoriels nationaux et internationaux, enjeux dont les pouvoirs publics se saisissent à petits pas depuis le début du XXe siècle, comme l'illustre par exemple la mise en place des plans nationaux d'action en santé environnement (PNSE). Ces plans couvrent un champ très vaste, des traditionnelles questions liées à la qualité de l'air et de l'eau, au changement climatique, facteur d'accroissement de la fréquence des pics de chaleur estivaux, en passant par les risques émergents (à l'instar des nanomatériaux). Dès lors, le quatrième plan est en vigueur depuis le mois de mai 2021 et s'articule autour de quatre axes déclinés en 20 actions centrées sur la connaissance, l'information, la formation et la réduction des expositions environnementales.

3. L'émergence des concepts de « santé intégrée », au premier rang desquels figure Une Seule Santé (One Health)

Depuis le milieu du XX e siècle, la santé et l'environnement ont été globalement appréhendés de manière sectorielle, comme relevant de deux champs scientifiques distincts, et donc considérés comme appartenant à deux domaines de décision politique, sans réelle imbrication.

Progressivement, les enjeux environnementaux ont présenté de plus en plus souvent une dimension sanitaire. La Charte de l'Environnement de 2004, adossée à la Constitution, fait d'ailleurs mention des liens entre santé et environnement au sens d'un droit fondamental, dans son article 1 er qui déclare : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».

Il a ainsi fallu attendre le début des années 2000 pour voir émerger une prise de conscience générale des liens étroits entre la santé humaine, la santé animale, et l'état écologique global. C'est dans cette perspective que le concept « One Health » ou « Une Seule Santé », s'est développé, visant à promouvoir une approche pluridisciplinaire et globale des enjeux sanitaires. « Les pressions sur les écosystèmes favorisent l'émergence de nouveaux agents pathogènes, qui se transmettent à l'homme par le biais de réservoirs animaux 23 ( * ) », expliquait Julien Fosse, directeur adjoint du département développement durable et numérique à France Stratégie, lors de son audition devant la mission d'information.

Cet enjeu d'encourager la collaboration effective des organismes de recherche oeuvrant en santé humaine et animale ainsi qu'en environnement par une approche « en silos » est notamment promu par les institutions internationales que sont l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et l'Organisation des Nations Unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO ) . Un accord tripartite a été signé en 2010 entre ces trois organisations pour collaborer sur cette thématique, déclarant qu'il conviendrait de parvenir à « un monde capable de prévenir, détecter, circonscrire, éliminer et répondre aux risques pour la santé animale et humaine attribuables aux zoonoses et aux maladies animales ayant un impact sur la sécurité sanitaire des aliments 24 ( * ) ».

Source : Institute for Global Health.

L'épidémie de covid-19 a mis en lumière la pertinence d'un tel concept, illustrant la manière dont les perturbations des écosystèmes et de la biodiversité jouent un rôle dans l'apparition et le développement des zoonoses. Si la proportion des maladies humaines provoquées à travers le monde par le changement climatique reste mal quantifiée à l'heure actuelle, les incidences d'événements climatiques extrêmes survenus récemment
-- vagues de chaleur, sécheresses, inondations, cyclones et feux incontrôlés -- mettent en évidence la grande vulnérabilité et le degré élevé d'exposition de certains écosystèmes et de nombreux systèmes humains à la variabilité actuelle du climat.

Les partisans du concept One Health encouragent donc l'accroissement des connaissances scientifiques à travers le développement d'approches intégrées impliquant la prise en compte des relations complexes entre écologie, santé et société pour être capable d'anticiper et de mettre en oeuvre des stratégies de gestion des crises sanitaires.

Proposition n° 2 : Diffuser le concept Une Seule Santé ( One Health) dans la littératie pour prendre davantage en compte la santé environnementale.

Définitions des différentes approches intégrées en santé

Le concept « One Health » vise à mettre en lumière les relations entre la santé humaine, la santé animale et les écosystèmes et à faire le lien entre l'écologie et la médecine humaine et vétérinaire. L'approche « One Health » se concentre principalement sur les maladies infectieuses, qu'elles se transmettent des animaux aux humains ou inversement, leur émergence en lien avec les changements globaux, la résistance aux antimicrobiens, et la sécurité sanitaire des aliments.

Le concept « EcoHealth » prône une approche écosystémique de la santé, tendant à se concentrer sur les problèmes environnementaux et socio-économiques. Il a été initialement conçu par des écologistes spécialistes des maladies qui travaillent dans le domaine de la conservation de la biodiversité.

Le concept de « Planetary Health » prend en compte les limites physiques et biologiques planétaires au sein desquelles la santé, le bien-être et l'équité pour l'humanité peuvent se développer, d'un point de vue politique, économique et social. En d'autres termes, la santé planétaire considère la santé de la civilisation humaine et l'état des systèmes naturels dont elle dépend.

La santé globale met l'accent sur la convergence des problématiques de santé (par exemple : virus émergents, antibiorésistance, maladies chroniques) et des déterminants de la santé (par exemple : nutrition, tabagisme, pollution environnementale) à l'échelle mondiale, et sur l'interdépendance entre pays des réponses de santé publique à apporter à ces problématiques.

La santé environnementale comprend les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement.

Source : « One Health » - Une seule santé, santé humaine, animale, environnement :
les leçons de la crise - Contribution du Conseil scientifique COVID-19, février 2022.

a) Le concept Une Seule Santé appelle à un changement de paradigme du pilotage de nos systèmes de santé

Dès lors, si la prise en compte des liens entre santé et environnement est un véritable défi pour les politiques publiques, le concept One Health appelle à un véritable changement de paradigme du pilotage de nos systèmes de santé, encore trop lacunaire dans sa forme actuelle .

William Dab, professeur et titulaire de la chaire d'hygiène et sécurité au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), ancien directeur général de la santé, alertait sur le manque de prise en compte opérationnelle de ces enjeux imbriqués : « Les médecins, pas que épidémiologistes, ont un rôle important en matière de santé, mais assez peu d'entre eux ont une culture de sa relation avec l'environnement 25 ( * ) ». La prise en compte des liens entre santé et environnement nécessite en effet une interdisciplinarité plus profonde que celle que les professions de santé et d'environnement connaissent dans leurs domaines respectifs. « Le continuum d'analyses qui permettrait d'imbriquer tous ces segments dans des politiques de détection et de gestion de ces risques sanitaires pourrait être amélioré. Il conviendrait de décloisonner les dispositifs de formation au sein du monde médical et paramédical. Cela passe également par une refonte des dispositifs de surveillance, pour croiser les approches » , ajoutait Julien Fosse, directeur adjoint du département développement durable et numérique à France Stratégie, lors de son audition.

Le concept Une Seule Santé ( One Health) appelle à une prise en compte plus importante de l'environnement dans l'ensemble des politiques publiques

La Fabrique écologique soulignait dans son dernier rapport le fait que plusieurs associations ont dénoncé au cours du quinquennat le caractère limité des mesures effectivement prises en termes d'alliance entre santé et environnement. La stratégie nationale décennale (2021-2030) de lutte contre les cancers, par exemple, traite très peu des facteurs environnementaux . Plusieurs décisions ont de leur côté été critiquées car ne prenant pas suffisamment en compte les enjeux sanitaires de notre environnement, par exemple sur les néonicotinoïdes ou le déploiement de la 5G.

Un rapport de la commission d'enquête parlementaire sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale du 16 décembre 2020 met en lumière une trop grande absence de ces politiques des processus scientifiques et politiques et propose des initiatives locales pour répondre concrètement aux défis posés par la santé environnementale.

Un autre rapport d'information du 24 mars 2021 de la Commission sénatoriale des affaires sociales critique la mauvaise gestion des politiques de santé environnementale et identifie divers axes d'actions majeures en matière de gouvernance, de territorialisation et de connaissance scientifique des liens entre environnement et santé.

Pour apporter des solutions opérationnelles à ces nouveaux enjeux, de nombreuses propositions sont effectuées par les scientifiques, les politiques ou plus généralement les citoyens. À cet égard, une note publiée par La Fabrique Écologique en 2015 évoque « trois grandes lignes directrices à mettre en oeuvre afin de concilier santé et environnement :

- La fabrique démocratique d'une gestion des risques sanitaires, qui mettrait les citoyens-électeurs en situation de prise de décision, y compris le cas échéant par un référendum local, au lieu de fonctionner par un mode de « scandale-réponse » comme c'est le cas depuis une vingtaine d'années ;

- La promotion de la santé environnementale à l'échelon local, en systématisant les pratiques mises en oeuvre par les « villes-santé » et par les associations d'éducation sanitaire et populaire. On pourrait par exemple généraliser des maisons de santé environnementale groupant ces partenaires, afin de sensibiliser les citoyens aux pratiques quotidiennes de prévention et de renforcer l'estime de soi chez des populations défavorisées ;

- L'intégration systématique aux principes d'urbanisme et aux pratiques d'aménagement de l'espace des exigences de santé publique, ce que ne garantissent pas les autres enjeux de « durabilité » (densification et réduction des gaz à effets de serre, par exemple). »

Source : La Fabrique écologique, « La santé et l'environnement », 2021.

Il semblerait qu'il soit désormais temps de dépasser l'un des principaux obstacles au progrès de la santé environnementale, à savoir le cloisonnement institutionnel et académique entre la santé et l'environnement, qui s'est effectué au moment où ce dernier est devenu lui-même un objet autonome de politique publique .

Pour mettre au coeur des politiques publiques le lien entre santé et environnement, il demeure toutefois nécessaire de mieux comprendre, concrètement, l'influence sur la santé de toutes les expositions auxquelles est soumis un individu pendant sa vie entière , en prenant en compte les expositions environnementales aux agents chimiques, physiques, biologiques et les facteurs socio-économiques.

C'est de ces réflexions qu'est issu le concept d'exposome .

Le concept d'exposome

Théorisé par Christopher Wild, ancien directeur du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), en 2005, le concept d'exposome se définit en complément de celui du génome et s'entend depuis sa codification en 2014 comme « l'intégration sur la vie entière de l'ensemble des expositions qui peuvent influencer la santé humaine » , aux termes de l'article L1411-1 du code de la santé publique.

Est considéré comme exposome tout ce qui ne vient pas du génome, permettant de prendre en compte les facteurs de toutes origines : chimiques (polluants), physique (UV), psychoaffectifs (stress), sociaux (environnement proche), mode de vie (nutrition, sport). La santé humaine dépend donc de deux grandes composantes, reliées l'une à l'autre : le génome lié à notre caractère génétique et l'exposome lié à l'environnement dans lequel nous vivons ou nous avons vécu.

Le constat de départ est clair : de nombreux facteurs environnementaux sont susceptibles d'influencer l'état de santé (nourriture, air, eau, rayonnement UV, environnement sonore, environnement psychoaffectif, hygiène de vie, conditions socio-économiques...) que le concept d'exposome propose de considérer comme un tout, plutôt que de prendre en compte séparément l'effet de chacun sur l'organisme. En effet, certains facteurs peuvent agir en synergie, d'autres peuvent se compenser, et le facteur temporel (durée de l'exposition, fenêtre d'exposition) peut être déterminant.

Ce concept a été pris en compte dans le cadre du quatrième Plan national santé-environnement (PNSE4), qui a proposé d'améliorer la connaissance de l'exposome par l'instauration d'un Green data hub et de faciliter la structuration et le renforcement de la recherche en santé environnementale via un Programme prioritaire de recherche.

Cette mesure de l'exposome constitue un véritable défi méthodologique, qui nécessite une approche pluridisciplinaire mêlant sciences de la vie, chimie analytique, statistiques, sciences humaines, science des données, technologie et objets connectés. Si le concept est clair, sa mesure et, en conséquence, la possibilité d'établir des liens environnement-santé, est encore limitée par la difficulté de mise en pratique. Celle-ci tient en partie aux coûts très élevés associés à une telle méthodologie, et à la baisse des financements disponibles.

Dans sa note n° 23 consacrée à ce concept, l'OPESCT estime alors « très pertinent » de mettre en place une « infrastructure de recherche, accessible aux instituts de recherche et aux agences sanitaires, chargée d'apporter des moyens logistiques, humains et financiers au suivi de cohortes prospectives sur des échantillons représentatifs de la population mais aussi sur des populations vulnérables ».

Il apparaît aussi nécessaire selon cette même note de « développer une infrastructure dédiée à l'exploration analytique de l'exposome chimique et de renforcer la toxicologie moderne combinant les aspects expérimentaux et computationnels et ouverte à d'autres disciplines comme l'épigénétique et à des impacts sanitaires critiques, notamment l'immunité, le neurodéveloppement et le métabolisme ».

Source : OPESCT - Note n°  23 - L'exposome, un défi scientifique - décembre 2020.

Afin d'avoir une vision plus globale de la santé, il est donc nécessaire de repenser la façon d'aborder le concept de santé unique en intégrant mieux l'environnement et ainsi appréhender globalement la santé de tous les organismes vivants dans un écosystème donné. En février 2022, le conseil de défense scientifique rappelait également « l'urgence de passer d'une vision univoque de la santé à une vision intégrée, plus englobante et holistique 26 ( * ) ».

Dans un avis publié le 8 février dernier, le conseil scientifique a alerté sur les conséquences de la crise COVID et a démontré l'urgence de mettre en oeuvre les approches intégrées de la santé et en particulier l'approche One Health , par une organisation et des actions multisectorielles, multidisciplinaires, multi-acteurs, et ce à toutes les échelles, locales, nationales, régionales et mondiale.

Face au constat d'une approche One Health encore culturellement peu partagée, actuellement mal structurée, pas suffisamment opérationnelle et peu lisible, le conseil appuie en particulier sur la nécessité en particulier de « renforcer l'interaction entre science et décision :

- Repenser la gouvernance mondiale de la santé pour y inclure le One Health ;

- Favoriser le développement de réseaux régionaux One Health notamment dans les zones d'émergence ;

- Organiser en France une collaboration interministérielle pour une approche globale et concertée afin de mieux anticiper, prévenir, détecter le plus tôt possible et gérer les crises ».

Selon le rapport, « des mesures doivent être prises afin de prévenir et de surveiller de manière conjointe les risques majeurs d'émergence et d'associer l'ensemble des secteurs et acteurs dès le début de la gestion de crise sanitaire en levant les blocages administratifs et en favorisant la circulation d'information et de données. Le lien entre science et décideurs est une composante essentielle du dispositif, de même qu'une coordination renforcée entre ministères de la santé, de l'agriculture et de la transition écologique mais aussi de la recherche et du MAE ».

Un tel changement de paradigme passe selon les chercheurs par des « actions concrètes de recherche et de surveillance sur les émergences, de leur prévention à leur gestion en passant par l'anticipation, et la détection précoce au niveau national, régional, et international ». Elle nécessite un « changement de paradigme dans la formation des professionnels de santé et des décideurs, le développement d'une éducation à la complexité qui permettrait l'acquisition de compétences mobilisables dans de nombreux autres contextes ». Le Conseil scientifique souligne enfin à cette occasion que « l'approche One Health pourrait ainsi devenir ambassadrice de nombreux autres enjeux à impact sociétal déterminants à moyen et long terme ».

Source : « One Health », Une seule santé, santé humaine, animale, environnement : les leçons de la crise
Contribution du Conseil scientifique COVID-19, février 2022.

Enfin, la crise du Covid a également mis en évidence la nécessité accrue d'une coopération internationale. Le processus européen Environnement et santé, mené par OMS/Europe, vise ainsi à réunir les secteurs de l'environnement et de la santé et à promouvoir des solutions communes, en particulier pour répondre aux objectifs en matière de santé liés à l'environnement énoncés dans le Programme de développement durable à l'horizon 2030.

Dans la déclaration d'Ostrava de 2017, les ministres et représentants des pays de la région Europe de l'OMS ont également défini une approche intersectorielle et inclusive visant à améliorer la santé environnementale, « afin d'élaborer des mesures conjointes qui allégeront la charge des maladies dues à des facteurs environnementaux pour les générations actuelles et futures et d'encourager les synergies entre nos deux secteurs et les acteurs concernés, ce qui sera déterminant pour atteindre les objectifs du Programme de développement durable à l'horizon 2030 en matière de santé et de bien-être » 27 ( * ) .

La déclaration de cette sixième conférence définit sept domaines d'actions et notamment :

- le renforcement de la capacité d'adaptation et de la résilience face aux risques sanitaires liés au changement climatique et soutenir la prise de mesures visant à atténuer le changement climatique ;

- le renforcement de la durabilité environnementale des systèmes de santé et la réduction de leur impact environnemental par des moyens tels que l'usage efficient de l'énergie et des ressources, la bonne gestion des produits médicaux et chimiques tout au long de leur cycle de vie et une pollution limitée grâce à la gestion sûre des déchets et des eaux usées, sans que cela n'entrave la mission des services de santé.

La mission d'information appelle donc à une application concrète des principes de cette déclaration.

En 2021, les États parties prenantes à la COP 26 ont également adopté le Pacte de Glasgow pour le climat , qui vise à faire des années 2020 une décennie d'action et de soutien en faveur du climat et prévoit le renforcement des efforts visant à renforcer la résilience face aux changements climatiques, à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à fournir les financements nécessaires à ces deux fins.

Les pays ont réaffirmé leur devoir de tenir la promesse de fournir 100 milliards de dollars américains par an des pays développés aux pays en développement et ont convenu de travailler à réduire l'écart entre les plans de réduction des émissions existants et ce qui est nécessaire pour réduire les émissions, afin que l'augmentation de la température moyenne mondiale puisse être limitée à 1,5 degré Celsius.

Cette mise à jour des « accords climat » s'est doublée, à Glasgow, d'un important volet santé, avec l'engagement de 50 pays à concevoir des soins de santé respectueux du climat .

Ces engagements 28 ( * ) ont été pris dans le cadre du volet santé de la COP 26 , un partenariat entre l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les champions pour le climat de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et des organisations du secteur de la santé, comme Health Care Without Harm 29 ( * ) .

Une enquête de l'OMS 30 ( * ) a en effet souligné que si la majorité des pays incluent désormais la santé dans leurs plans nationaux pour le climat dans le cadre de l'Accord de Paris, ces plans manquent encore souvent de mesures détaillées en matière de santé ou de mécanismes d'accompagnement .

Les initiatives du volet santé de la COP 26 sont notamment les suivantes :

• Rendre les systèmes de santé résilients face aux changements climatiques.

• Créer des systèmes de santé durables à faible émission de carbone.

• Mener des recherches sur l'adaptation en faveur de la santé.

• Inclure des priorités en matière de santé dans les contributions déterminées au niveau national.

• Faire entendre la voix des professionnels de la santé qui appellent à un renforcement des objectifs en matière de changement climatique.

Dans le cadre du premier domaine d'engagement du volet santé de la COP 26, les pays se sont engagés à réaliser des évaluations de l'exposition de la santé aux changements climatiques, et à élaborer des plans d'adaptation nationaux pour la santé.

Dans le cadre du deuxième domaine d'engagement, les pays qui affichent des objectifs élevés ou qui sont de gros émetteurs s'engagent à fixer une date cible pour la mise en place de systèmes de santé à émissions net zéro et à élaborer un plan d'action ou une feuille de route pour parvenir à des systèmes de santé durables à faible émission de carbone. Ce dernier point est important pour les efforts d'atténuation au niveau mondial car le secteur de la santé représente 10 % du PIB mondial et contribue de manière substantielle aux émissions de gaz à effet de serre (environ 4,6 %).

Proposition n° 3 : Appliquer les engagements pris à la sixième conférence ministérielle d'Ostrava de 2017 sur l'environnement et la santé et signer l'appel de Glasgow de novembre 2021 en faveur de l'instauration de systèmes de santé résilients aux changements climatiques et à faible émission de carbone.

b) L'évaluation des impacts en santé : un champ récent de la santé publique

The Health impact assessment - en français, évaluation d'impact sur la santé (EIS) - est une approche prospective qui consiste à identifier les conséquences potentielles, tant négatives que positives, d'une intervention politique sur la santé des populations, dans le but d'encourager son amélioration.

Cette démarche, destinée à apporter un appui à un processus de décision, a émergé dès 1999, pour gagner rapidement en popularité et être progressivement déployée sur tous les continents, utilisant un ensemble varié de sources de données et de méthodes d'analyse.

L'évaluation d'impact sur la santé s'intéresse aux impacts sur la santé de politiques publiques, de projets, de programmes, qui n'ont pas pour objectif principal d'agir sur la santé. La notion de santé est par ailleurs considérée dans une acception large ; les impacts peuvent alors être observés tant sur l'état de santé que sur les facteurs qui l'influencent.

En France, les premiers travaux d'évaluation d'impact sur la santé ont commencé au début des années 2010 et se sont multipliés très rapidement. En 2020, par exemple, la Communauté d'agglomération Plaine Commune et l'Agence Régionale de Santé Île-de-France ont initié la toute première EIS d'envergure sur le territoire francilien. Cette EIS, inscrite dans le contrat de développement territorial de Plaine Commune, territoire de la culture et de la création du Grand Paris, s'est intéressée aux futurs transports en commun de Plaine Commune, conçus pour contribuer à une meilleure qualité de vie au bénéfice de ses habitants et des futurs usagers.

Dans un article récent, Françoise Jabot, enseignante-chercheuse à l'école des hautes études en santé publique (EHESP), expliquait ainsi que « fin 2013, quatre EIS étaient achevées 31 ( * ) » . Au cours des cinq années suivantes, le nombre de travaux engagés a été décuplé. « Les deux tiers des EIS portent sur des projets d'aménagement urbain, les autres étant réparties entre projets d'équipements, politiques, plans et programmes. Elles sont généralement confiées à un prestataire extérieur (établissement universitaire, observatoire régional de santé, bureau d'études) ; plus rarement, elles sont effectuées par l'institution responsable du projet concerné ».

L'EIS est en effet une démarche structurée en plusieurs étapes qui nécessite l'intervention et l'implication d'une pluralité d'acteurs, en raison de son caractère multidisciplinaire.

Les étapes de la démarche d'évaluation d'impact sur la santé (EIS).

Source : ARS Nouvelle-Aquitaine.

Si, pour Françoise Jabot, « l'évaluation d'impact sur la santé est une voie particulièrement intéressante pour introduire la santé dans les projets d'aménagement urbain 32 ( * ) », il est nécessaire de garder à l'esprit que « l'EIS est une activité d'évaluation pour laquelle la disponibilité de données est indispensable afin de réaliser l'estimation et la caractérisation des impacts », et que cette démarche, encore récente, est loin d'être systématique aujourd'hui en France.

c) L'impact bénéfique du respect des accords de Paris en termes de santé publique

Résultant de la coopération de 197 pays à l'issue de la COP 21 à Paris, en décembre 2015, l'Accord de Paris 33 ( * ) s'est donné pour objectif général de réduire considérablement les émissions mondiales de gaz à effet de serre et de limiter à 2 °C l'augmentation de la température mondiale au cours du siècle, tout en cherchant des moyens de ramener cette augmentation à 1,5 °C. Est ainsi proclamé l'objectif de la neutralité carbone (ou objectif de zéro émission nette), à savoir l'équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre et la compensation permise par les puits ou réservoirs de carbone, tels que les forêts. Le deuxième objectif d'une telle coopération vise à renforcer les capacités des pays à faire face aux impacts du changement climatique et à s'en remettre. Enfin, il était également question à travers cet accord de rendre les flux financiers compatibles avec les objectifs climatiques et mobiliser 100 milliards de dollars annuels de financements climat nord-sud d'ici 2020.

À travers ses trois piliers, l'accord fixe une trajectoire globale, mais accorde de la flexibilité aux parties pour déterminer elles-mêmes leurs engagements climatiques, sous la forme de contributions déterminées au niveau national, qui décrivent les efforts nationaux envisagés en termes d'atténuation et éventuellement d'adaptation, basés sur leurs circonstances nationales et doivent être révisées tous les 5 ans. L'Accord définit ainsi les engagements de chacun des pays à réduire leurs émissions de manière coordonnée, et à coopérer en vue de s'adapter aux effets des changements climatiques, tout en les appelant à renforcer leurs engagements au fil du temps.

Dans un rapport sur l'impact du changement climatique sur la santé présenté le 5 décembre 2018, l'OMS appelait les gouvernants à mettre en oeuvre de manière accrue l'accord de Paris sur le climat. Selon le rapport, la réalisation des objectifs de l'accord de Paris « pourrait sauver environ un million de vies par an d'ici 2050 grâce à la seule réduction de la pollution de l'air 34 ( * ) », alors même que l'exposition à la pollution atmosphérique provoque chaque année 7 millions de décès dans le monde et coûte plus de 5.000 milliards de dollars « en pertes de bien-être dans le monde ». L'OMS ajoutait que dans les 15 pays qui émettent le plus d'émissions de gaz à effet de serre, les impacts de la pollution atmosphérique sur la santé « pèseraient plus de 4 % de leur PIB », là où l es actions visant à atteindre les objectifs de l'accord de Paris coûteraient environ 1 % du PIB mondial.

Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat,  soulignait ainsi devant la mission d'information « une belle dynamique internationale depuis la signature des Accords de Paris en 2015 35 ( * ) ».

Dès lors, le respect de l'accord de Paris a un impact bénéfique en termes de santé publique , obligeant les dirigeants à intégrer la santé au coeur des politiques publiques de court et de long terme envisagées. Le rapport de l'OMS appelait d'ailleurs les pays à « prendre en compte la santé dans toutes les analyses coûts-avantages de l'atténuation du changement climatique ».

Le gain économique de la transition écologique

Pour mesurer les bouleversements induits par le changement climatique, la méthode d'évaluation quantitative des risques peut être utilisée pour quantifier les risques collectifs, tels que ceux qui vont découler du réchauffement climatique ou de la dégradation des écosystèmes. L'atteinte d'objectifs climatiques nécessite en effet des transformations dans tous les secteurs d'activité, dont certaines vont impacter favorablement la santé, et ce à court terme : c'est ce qu'on appelle les co-bénéfices sanitaires des politiques climatiques.

Dès lors, en améliorant la qualité de l'air, les régimes alimentaires, ou l'activité physique via les transports, les politiques climatiques peuvent avoir un impact sanitaire important, localement et à court terme - là où les bénéfices climatiques sont des bénéfices diffus à l'échelle de la planète et souvent de long terme - qu'il convient de pouvoir évaluer.

Cette démarche a ainsi été utilisée à plusieurs reprises, pour évaluer par exemple les impacts sanitaires de mesures climatiques permettant de respecter les objectifs des accords de Paris sur le climat.

Kevin Jean, maître de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers et chercheur épidémiologiste dans le domaine de la prévention des risques pour la santé, expliquait ainsi dans le cadre de son audition par la mission qu'une estimation du nombre de décès évités, au Royaume-Uni et en Allemagne par des mesures climatiques permettant de respecter les Accords de Paris conduite par une étude internationale démontrait que les gains liés à la qualité de l'air (moins d'émissions de moteurs thermiques, de centrales à charbons, d'industries polluantes) et à l'activité physique (liée à l'usage des transports actifs comme la marche et le vélo, en substitution de véhicules individuels) se chiffrent chacun en dizaine de milliers, et ceux liés à l'adoption d'un régime alimentaire plus soutenable pour la planète se chiffre en centaines de milliers.

Transposant ce travail au cas de la France, Kevin Jean, à partir du scénario de neutralité carbone négaWatt, qui pose l'hypothèse qu'une large part des trajets courts sera effectuée en transports en commun ou en transport actifs a évalué les bénéfices en santé de la marche et du vélo : « L'évaluation d'impact de ces bénéfices nous permet d'estimer que ces changements dans les transports pourraient se traduire par un nombre de décès évités de l'ordre de 10,000/an à l'horizon 2040, avec une montée en puissance progressive. Ces gains en santé pouvant être monétarisés sur la base du concept de la « valeur de la vie statistique », nous aboutissons à des bénéfices de l'ordre de 35 milliards d'euros par an et se traduirait par un gain de l'espérance de vie de l'ordre de 3 mois pour l'ensemble de la population ».

De telles méthodes permettent ainsi d'estimer les gains économiques induits par la transition écologique. Mais si, selon Kevin Jean, « il existe en France les compétences pour réaliser ces évaluations, du côté des établissements publics (l'École des Hautes Études en Santé publique ou le Conservatoire national des Arts et Métiers forment à ces méthodes) et dans le secteur privé (dans les faits, ces évaluations sont généralement réalisées par des bureaux d'études) », il n'en demeure pas moins que « le manque de vision interministériel ou inter-sectoriel est vraisemblablement un frein à la prise de conscience que des politiques dans le domaine de l'agriculture, de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme, du logement ou encore des transports peuvent avoir des répercussions fortes sur la santé des populations, parfois même plus que des politiques à visée sanitaire » .

Source : Audition de Kevin Jean, maître de conférences
au Conservatoire National des Arts et Métiers et chercheur épidémiologiste
dans le domaine de la prévention des risques pour la santé, 16 février 2022.

Si les pays signataires de l'accord de Paris semblent tout de même prendre leur temps pour amorcer une décrue drastique de leurs émissions de gaz à effet de serre, l'Accord de Paris participe à une prise de conscience majeure des effets du changement climatique, notamment chez les citoyens. Selon un rapport du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), publié le 26 janvier 2021, cette prise de conscience se traduit par une nette augmentation, au cours des quatre dernières, du nombre de poursuites judiciaires contre des États pour inaction climatique, qui ont presque doublé depuis un dernier rapport datant de 2017, pour s'élever désormais à 1 550 dans 38 pays.

4. Les populations les plus vulnérables seront les plus affectées par ces nouveaux risques
a) L'environnement apparaît comme la nouvelle frontière des inégalités avec des interactions réciproques entre logiques sociales et environnementales

Il existe un lien très fort entre inégalités sociales et crise climatique .

Il apparaît en effet que les populations les plus vulnérables sont celles qui subiront le plus durement les conséquences environnementales du dérèglement. La vulnérabilité des habitants et des écosystèmes diffère grandement selon les régions, et est exacerbée par d'autres facteurs, tels que les inégalités de développement, la pauvreté ou l'accès limité aux services. Selon l'OMS, la mortalité mondiale est liée en 2016 pour 23 % à l'environnement. Cela représente environ 12,6 millions de décès par an, dont 8,2 millions sont imputables aux maladies non transmissibles - le tout réparti inéquitablement dans le monde.

Répartition des décès dus à l'environnement dans le monde

Source : OMS.

De nombreux travaux ont ainsi mis en avant les inégalités d'exposition de populations défavorisées face aux effets des crises écologiques, et ce notamment en termes d'impacts des polluants environnementaux. D'autant plus que l'environnement n'agit pas de la même manière sur chaque individu. Une personne en bonne santé peut s'adapter plus facilement aux contraintes extérieures. Certains groupes de personnes sont également plus sensibles aux pollutions environnementales comme les enfants, des femmes enceintes, ou encore les personnes âgées. À même dose d'exposition, leur organisme se défend moins bien contre les agressions extérieures. Plus généralement, les inégalités sont cumulatives : l'environnement conditionne les opportunités et capacités sociales et les inégalités sociales renforcent les déséquilibres environnementaux 36 ( * ) .

À titre d'exemple, la pollution atmosphérique affecte en priorité les individus vivant dans des immeubles en bordure d'axes routiers très fréquentés ou dans des zones industrielles, ou ceux vivant à proximité de sites et sols pollués, qui sont exposés à divers polluants chimiques dans l'air (composés organiques volatils) ou dans le sol (métaux lourds : cadmium, arsenic).

Pollution de l'air et précarité énergétique : deux illustrations des interactions réciproques, entre logiques sociales et environnementales

Dans un rapport publié le 14 octobre 2021 dernier, à l'occasion de la Journée nationale de la qualité de l'air, l'Unicef France et le Réseau Action Climat dénoncent les inégalités économiques entre enfants face à la pollution de l'air.

Alors qu'en France, trois enfants sur quatre respirent un air toxique, d'après des données communiquées par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2018, le rapport indique que « les enfants pauvres sont généralement plus vulnérables à la pollution de l'air parce qu'ils sont soumis au cours de leur vie à davantage d'expositions néfaste » . À Paris, « les habitants les plus pauvres risquent trois fois plus de mourir d'un épisode de pollution que les habitants les plus riches » , en raison d'un moins bon état de santé et un moindre accès aux soins.

Enfin, les populations pauvres « peuvent plus difficilement se soustraire à des conditions de vie défavorables faute de ressources suffisantes », elles sont donc davantage susceptibles de « cumuler plusieurs expositions néfastes » (qualité de l'air intérieur dégradée, plus forte exposition au bruit, à la chaleur, etc.). La plupart des études montrent en effet que les zones socio-économiquement défavorisées disposent de moins d'espaces verts, de parcs, d'aires de jeux et de loisirs, ou d'autres ressources susceptibles de contrebalancer des conditions de vie moins favorables.

Le HCSP insiste également sur la question de l'habitat insalubre qu'il convient de traiter en urgence car elle affecte en particulier la santé des enfants (saturnisme, bruit...). On considère qu'environ 1,3 million de personnes vivent en France dans un habitat indigne. En 2015, 33 600 dossiers étaient répertoriés par l'observatoire de repérage et de traitement de l'habitat indigne, dont 18 % au titre de l'insalubrité. En 2013, les logements de 8,5 % des ménages (hors étudiants), soit 2,7 millions de personnes étaient en situation de surpeuplement, et 2,7 % des ménages rapportaient l'existence de signes d'humidité ou de moisissures sur certains murs de leur logement. L'Observatoire de la qualité de l'air intérieur estimait en 2014 à plus de 9 millions le nombre de logements contaminés par des moisissures en France. Un habitat dégradé ou au contraire favorable à la santé impactera par ailleurs de manière différente la santé physique, mentale et sociale de ses occupants.

Source : Unicef France et Réseau Action Climat,
« Pauvreté des enfants et pollution de l'air : de l'injustice sociale dans l'air »,
14 octobre 2021.

Outre l'insalubrité, la précarité énergétique constitue également un lourd enjeu pour les années à venir. « Est en situation de précarité énergétique [...] une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d'énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'habitat », aux termes de la loi du 10 juillet 2010, dite loi Grenelle II.

Or, selon l'ADEME, la précarité énergétique constitue une forme de « double peine » : les 20 % de ménages les plus pauvres consacrent à l'énergie une part de budget 2,5 fois plus élevée que les 20 % les plus riches 37 ( * ) . L'observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), mis en place le 1 er mars 2011 afin de disposer d'une connaissance fiable et partagée du phénomène de précarité énergétique, estimait en 2018 que près de 5 millions de ménages sont en situation de précarité énergétique, malgré les aides financières du Fonds de solidarité pour le logement (FSL), les tarifs sociaux de l'énergie et les aides à la rénovation ou à l'isolation du logement 38 ( * ) .

La précarité énergétique est souvent révélatrice d'autres précarités et entraîne des cercles vicieux : bien souvent en effet, un individu en précarité cumule d'autres sources d'endettement (crédit...) et une situation provisoire ou de longue durée de précarité, voire même de pauvreté. Par ailleurs, dans un contexte de hausse générale de l'énergie, les logements sociaux sont souvent énergivores faute d'isolation de qualité, là où les chauffages électriques sont les moins chers à l'achat, mais les plus coûteux sur le plan de la facture énergétique. Dès lors, les ménages aisés ont donc proportionnellement plus de facilités pour compenser les hausses de coût de l'énergie ou pour acquérir des logements moins énergivores.

Les inégalités dans les sources d'émissions, à savoir que les plus riches émettent davantage, existent également pour les émissions de polluants locaux. Par exemple, sur une étude de cas à Paris, il est montré que les 20 % plus gros émetteurs contribuent à entre 75 % et 85 % des émissions un jour de semaine représentatif, en fonction du polluant 39 ( * ) .

Les inégalités environnementales existent aussi dans le monde du travail comme le rappelait Kevin Jean, au cours de son audition : « des études basées sur des modèles climatiques ont permis d'estimer, en fonction de l'ampleur du réchauffement, le nombre de personnes exposées au moins un mois par an à des conditions de chaleur non compatibles avec le travail : on dépasse le milliard de personnes exposées à des conditions non « travaillables » autour de 2 degrés de réchauffement climatique », ajoutant que « les coûts induits, pour les entreprises et pour la société, sont vertigineux ; il faut également avoir en tête que les travailleurs les plus exposés sont évidemment ceux qui travaillent à l'extérieur, sans moyen de se protéger de la chaleur, des emplois peu qualifiés  comme les travailleurs du BTP » , et soulignant le « risque très fort de creusement des inégalités 40 ( * ) » .

Dès lors, selon le dernier rapport du GIEC précité, au total, entre 3,3 et 3,6 milliards d'humains vivent dans des « contextes qui sont hautement vulnérables au changement climatique 41 ( * ) ». Cette vulnérabilité devrait par ailleurs s'accroître encore à l'avenir, en raison de la destruction accélérée, sous l'effet des activités humaines, des écosystèmes qui protègent les sociétés (forets, coraux...).

Face à ces nouveaux risques climatiques, la question de la protection des populations est donc centrale .

Ces inégalités semblent par ailleurs exacerbées en période de crise, comme le rappelait Madame Magalie Reghezza, membre du Haut Conseil pour le climat, dans le cadre de son audition : « les populations les plus pauvres sont généralement les plus touchées par la crise : la Seine-Saint-Denis a été fortement impactée par le Covid, tout comme les outre-mer subissent de plein fouet la crise climatique », ajoutant également que « les vulnérabilités intergénérationnelles et le statut précaire des femmes sont enfin mis en lumière par les épisodes de crise 42 ( * ) ».

b) Les défis écologiques sont avant tout des défis sociaux

Les défis environnementaux qui sont devant nous sont donc également des défis sociaux qui touchent avant tout les plus vulnérables et qui risquent de mettre en péril nos acquis et progrès sociaux .

Ainsi, le Haut Conseil pour le climat, dans son rapport spécial publié le 22 avril 2020 pour exprimer ses recommandations au regard de la crise climatique, mais aussi sanitaire et économique, résume : « La crise en général met en relief les vulnérabilités structurelles, liées aux inégalités de revenu et de conditions de vie, que l'on retrouvera dans les épreuves sanitaires comme climatiques ; celles liées à la société de consommation (fragilité des approvisionnements et de la distribution), celles propres à certains populations ou territoires à la croisée des crises sanitaires et environnementales (quartiers populaires à la périphérie des grandes villes ; territoires ruraux ; outre-mer) ; les vulnérabilités intergénérationnelles encore - l'exposition des plus âgés, la solitude et le manque de ressource des étudiants - et de genre - les détentrices d'emplois de service peu qualifiés, d'emplois précaires, d'emplois à temps partiel, alors que dans le monde les femmes sont le plus exposées au changement climatique 43 ( * ) ».

Dans le prolongement de ces réflexions, Madame Magalie Reghezza, membre du Haut Conseil pour le climat, rappelait dès lors au cours de son audition devant la mission d'information « qu'il a été établi qu'il existait un lien étroit entre inégalités et capacités de résilience des sociétés : les inégalités suscitent des tensions, qui représentent une entrave à la mise en place de mesures visant au changement 44 ( * ) ».

C'est d'ailleurs bien l'annonce d'une mesure climatique qui aura déclenché les plus importantes protestations en France depuis mai 1968 : la crise des gilets jaunes, rassemblant des milliers d'individus refusant l'augmentation du coût de la vie sous prétexte de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ces manifestations ont rappelé le mouvement, en octobre 2013, des bonnets rouges, en réaction là aussi, notamment, à la taxe poids lourds et aux nombreux plans sociaux de l'agroalimentaire.

Au-delà des frontières de l'hexagone, les liens intimes entre écologie et social s'illustrent au travers de grands mouvements, à l'instar, début octobre 2019, des révoltes équatoriennes qui ont paralysé le pays, suite à une réforme visant la fiscalité des carburants en supprimant leurs subventions. Dès lors, les inégalités suscitent des tensions au sein de la collectivité et réduisent, de fait, l'acceptabilité et la faisabilité de mesures nouvelles. Les enjeux climatiques sont donc intimement liés aux questions sociales.

L'émergence des réfugiés climatiques, nouveau défi social et écologique

Contraints de quitter leur pays du fait d'une catastrophe climatique ou plus précisément du réchauffement climatique affectant son lieu de vie, les réfugiés climatiques illustrent les liens entre questions sociales et environnementales et constituent un enjeu majeur à long terme pour les années à venir. Un rapport du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) de 1985 définit ces derniers comme des personnes forcées de quitter leur habitat de façon temporaire ou permanente, en raison d'une rupture environnementale (d'origine naturelle ou humaine) mettant en péril leur existence ou affectant sérieusement leur qualité de vie 45 ( * ) .

Cette catégorie de réfugiés comprend un nombre croissant de personnes du fait de l'intensification des phénomènes climatiques extrêmes. Plus encore, d'après l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), les catastrophes climatiques pourraient ainsi provoquer le déplacement d'environ 250 millions de personnes d'ici 2050. Parmi les régions à risque, on peut notamment citer l'Afrique subsaharienne du fait des sécheresses, l'Asie du Sud et du Sud-Est exposée aux typhons et tsunamis, ou encore les petits États insulaires face à la montée du niveau des mers.

Malgré une préoccupation croissante depuis les années 1980, aucune convention ne propose de définition juridique précise, l'expression de « réfugié climatique » apparaissant par ailleurs comme un abus de langage - le terme de réfugié étant jusqu'à présent réservé aux personnes menacées de persécutions selon la Convention de Genève de 1951. Par ailleurs, le terme de réfugié implique de quitter son pays d'origine, alors que la majorité des migrations climatiques sont aujourd'hui des déplacements internes.

Enfin, le lien entre changement climatique (tsunamis, montée des eaux, désertification...) et migrations fait débat. Plusieurs chercheurs affirment que la dimension économique de ces départs démontre que la migration n'est généralement pas seulement due à la seule dégradation des conditions environnementales ; le changement climatique n'est pas en soi producteur de migrations, il aggrave des conditions de vie difficiles. Il n'en demeure pas moins que ces réfugiés, bien souvent, sont des travailleurs issus des métiers agricoles, peu qualifiés, forcés de quitter leur pays en raison des conséquences du réchauffement climatique qui ne leur permettent plus d'exercer leur métier dans leur pays d'origine. Un tel phénomène est ainsi voué à se multiplier proportionnellement aux effets du changement climatique.

Si, comme le rappelait Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat, « beaucoup de mesures climatiques ont tendance à creuser les inégalités plutôt qu'à les diminuer, comme les subventions aux véhicules électriques qui s'adressent davantage aux ménages qui ont déjà les moyens d'une telle acquisition, ce qui accentue les disparités 46 ( * ) » , les politiques environnementales sont supposées d'abord des outils généraux au service des plus démunis. Les mesures d'atténuation et d'adaptation permettent de préparer le pays aux catastrophes naturelles et à leurs conséquences économiques, et des politiques adaptées permettent de promouvoir de nouveaux secteurs à forte valeur ajoutée. La France est d'autant plus concernée que les efforts colossaux d'adaptation et de transition mettent en exergue les limites de notre État providence.

Les mesures de fiscalité écologiques doivent cependant être accompagnées d'amortisseurs sociaux et d'une communication étendue pour favoriser leur acceptation.

Face à l'enchevêtrement des enjeux sociaux et écologiques, améliorer la qualité de l'alimentation, des logements, des conditions de travail, et de l'exposition aux polluants des populations les moins favorisées en termes de revenus et de conditions de vie semble ainsi pouvoir participer à la fois d'une plus grande justice sociale et d'un coût moindre pour la sécurité sociale à long terme.

C. LA SÉCURITÉ SOCIALE DOIT S'ADAPTER ET DÉVELOPPER SA CAPACITÉ DE RÉSILIENCE

1. Un changement de paradigme à engager dès à présent : passer d'une logique de soin à une logique de prévention globale incluant la santé et l'environnement
a) Le choix d'un système de santé orienté vers le curatif conduit à un système sous-performant et inégalitaire

Dès l'origine, la sécurité sociale a été d'abord pensée dans une optique curative.

Le système actuel de sécurité sociale a été pensé pour répondre aux besoins des années 1950 et 1960, alors que le contexte économique, social, mais aussi environnemental était différent de celui d'aujourd'hui.

Avant de rappeler les caractéristiques et principaux écueils du système de sécurité sociale français, il convient de distinguer deux modèles différents qui ont servi à construire les principaux modèles de sécurité sociale.

D'un côté, le modèle Bismarkien, reposant sur un modèle assurantiel fondé sur le travail et dont le financement est assuré par les cotisations sociales.

De l'autre, le modèle Beverdigien, reposant sur le principe de l'état providence décrit par William Beveridge dans un rapport de novembre 1942. Ce système repose sur le principe dit des « 3 U » :

- universalité de la protection sociale par la couverture de toute la population et de tous les risques ;

- uniformité des prestations, fondée sur les besoins des individus et non sur leurs pertes de revenus en cas de survenue d'un risque ;

- unité de gestion étatique de l'ensemble de la protection sociale.

Le système français est un modèle mixte reposant sur trois piliers depuis la création de la sécurité sociale par Pierre Laroque et Ambroise Croizat : l'égalité, la soutenabilité et la socialisation du risque. Ce système a été adapté à de nouveaux risques avec la création de « branches », la dépendance étant devenue la cinquième.

Ce système a permis d'améliorer considérablement l'espérance de vie et la qualité des soins .

Mais il est imparfait et présente des biais que l'on peut résumer par deux constats :

- une faible amélioration de l'espérance de vie en bonne santé ;

- une part importante de personnes porteuses de maladies chroniques, avec dans le même temps une augmentation des inégalités de santé .

Ainsi notre système de santé et de protection sociale fondé et orienté pour répondre à une problématique de soins aigus principalement délivrés à l'hôpital se retrouve-t-il sous tension du fait de la croissance des maladies chroniques accentuée par le vieillissement démographique.

b) Première conséquence de notre modèle : l'augmentation de l'espérance de vie n'est pas celle de la vie en bonne santé

Pour évaluer la performance d'un système de santé, il est certes important de regarder l'indicateur de l'espérance de vie, sur lequel la France a atteint un excellent niveau comparé aux autres pays, mais aussi celui de l'espérance de vie sans incapacité.

Or moins d'un français sur deux arrive en bonne santé à l'âge de 65 ans (environ 46 % des hommes et femmes).

Espérance de vie et espérance de vie sans incapacité (EVSI)
entre 1995 et 2019 par sexe

Source : France, portrait social, Édition 2021, Insee.

Comme l'a précisé Franck Chauvin, président du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), « la France a fait le choix d'avoir un système axé sur les soins, qui augmente l'espérance de vie, sans rien modifier de l'espérance de vie en bonne santé 47 ( * ) ».

Il s'agit en effet d'un choix, dans la mesure où d'autres pays ont opté, à l'instar de la Suède , pour un modèle dans lequel la part de l'espérance de vie à 65 ans en bonne santé atteint 77,2 % pour les femmes et 79,1 % pour les hommes.

Cette problématique aura d'autant plus de conséquences que la société française est d'ores et déjà confrontée au vieillissement démographique et à la problématique de la dépendance.

La Suède possède la meilleure espérance de vie en bonne santé de l'Union européenne

La Suède possède la meilleure espérance de vie en bonne santé de l'Union européenne puisque celle-ci s'élève en 2018 à 72 ans pour les femmes et presque 74 ans pour les hommes contre une moyenne européenne de 63,5 ans.

Plus remarquable encore, celle-ci s'élevait respectivement à 61 ans et 62 ans en 2004. En 14 ans, le pays a ainsi fait augmenter son espérance de vie en bonne santé de 11 ans pour les femmes et de 12 ans pour les hommes. Ce sont surtout les AVC, les maladies cardiovasculaires, la consommation de tabac et d'alcool qui sont en baisse continue depuis le début des années 2000. En somme, au sein de l'Union européenne et en termes de santé publique, la Suède tient le rôle de bon élève.

Comment la Suède s'est-elle organisée pour obtenir ces résultats ?

En Suède, l'État garde un rôle central en définissant des priorités et des objectifs de santé publique. Néanmoins, dans l'exécution de ces grandes directions de chantiers de santé publique, l'organisation s'affine. C'est en ce sens un système de santé reposant sur l'articulation d'un service public universel et d'une vive démocratie locale en santé. Cette articulation s'inscrit dans la logique des réformes de décentralisation de la santé initiées depuis le milieu des années 1980 et jusqu'à la fin des années 2000. L'impulsion de la décentralisation incarnée par une série de mesures avait ainsi pour but d'assurer un meilleur contrôle de l'augmentation des dépenses en accroissant l'autonomie et la responsabilité des autorités locales dans leur champ de compétences.

Au-delà des très bons résultats globaux du système de santé suédois, les mesures prises ont parfois conduit à de nouveaux effets pervers ou accentués d'autre. En effet, L'OCDE pointe notamment des lacunes dans la coordination des soins aux patients ayant des besoins complexes et de manière générale la coordination des soins entre l'hôpital, les soins primaires et les autorités locales, mais également l'existence de listes d'attentes trop longues, malgré différentes mesures prises pour endiguer ces effets.

Source : Dessiner la santé publique de demain, Franck Chauvin (2022.)

Auteur d'un récent rapport remis le 4 mars 2022, « Dessiner la santé publique de demain 48 ( * ) », Franck Chauvin conclue ainsi que « l'allongement de l'espérance de vie en bonne santé est un objectif que n'a pas atteint le système de santé français durant les 50 dernières années ». Il propose que l'augmentation de l'espérance de vie en bonne santé devienne un des objectifs du système de santé dans les années à venir. « Grâce à une politique de prévention affirmée, à l'action sur les déterminants de la santé et à une réorganisation du système de santé publique, il est possible de fixer à 10 ans une augmentation de l'espérance de vie en bonne santé permettant ainsi à la France de rattraper son retard sur d'autres pays notamment européens. »

c) Seconde conséquence de notre modèle : le poids des maladies chroniques et des inégalités sociales de santé

L'OMS définit les maladies chroniques comme « des affections de longue durée qui en règle générale, évoluent lentement ». Elle les associe aux maladies non-transmissibles, ce qui inclue par exemple l'alcoolisme, le cancer et exclut les maladies infectieuses chroniques comme le sida, la tuberculose ou la maladie de Lyme.

Une des particularités du système français est leur évolution, puisque le nombre de patients atteint de maladies chroniques progresse chaque année d'environ 2 %.

Les facteurs environnementaux jouent un rôle majeur que ce soit dans l'apparition, le développement ou l'aggravation des maladies chroniques. Les modes de vie des personnes, leurs évolutions, les inégalités contribuent aussi à leur développement.

Ainsi, comme l'indique le document « France, Portrait social » publié par l'Insee dans son édition 2020 : « toutes les catégories de population ne sont pas égales face aux maladies ou problèmes de santé chroniques ou durables, qui concernent, en 2018, 38 % de la population, mais plus de deux personnes sur trois parmi les 70 ans ou plus. Différents facteurs influent sur la santé, qu'elle soit mesurée ou perçue, en particulier la pauvreté en conditions de vie. Ainsi 46 % des membres d'un ménage pauvre en conditions de vie déclarent souffrir d'une maladie ou d'un problème de santé chronique ou durable, contre 37 % parmi les membres d'un ménage non pauvre. À 70 ans ou au-delà, les taux atteignent respectivement 82 % et 66 %. »

Pour William Dab, professeur au Cnam et ancien directeur général de la santé, la prise en charge des maladies chroniques est le préalable indispensable à une sécurité sociale écologique : « vous voulez penser une sécurité sociale écologique, donc du risque, mais on saute une étape : le système est mal armé pour prendre en charge les maladies chroniques, pourtant point de passage obligé 49 ( * ) . »

Part des personnes déclarant une maladie ou un problème de santé chronique ou durable selon l'âge et les conditions de vie du ménage en 2018

Source : État de Santé de la population (décembre 2020), Insee.

De plus, cette augmentation des maladies chroniques pose évidemment la question de la soutenabilité financière pour l'assurance maladie. Ainsi, dans un rapport 50 ( * ) de juillet 2020, la Caisse nationale d'assurance maladie expliquait que « l'augmentation du poids des maladies chroniques et de la polypathologie, du fait du vieillissement de la population, continuera sans aucun doute dans les années à venir à constituer un défi important pour notre système de santé. »

Les deux conséquences héritées de notre modèle, que sont une relativement faible espérance de vie en bonne santé, et un poids important des maladies chroniques, fragilisent notre système de santé dans sa capacité à répondre aux chocs futurs et appellent donc à engager dès aujourd'hui une véritable politique de prévention afin de réduire le poids de ces deux facteurs .

2. La prévention est une notion transversale à la confluence de la santé et de l'environnement
a) Vers un changement de paradigme

Le système français dans sa forme actuelle favorise une approche individuelle par les soins, comme le rappelait Kevin Jean, maître de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers et chercheur épidémiologiste dans le domaine de la prévention des risques pour la santé, en affirmant que « la sécurité sociale dans sa version du XXe siècle propose la prise en charge de dépenses de santé à des individus, sans adopter véritablement de logique de prévention, reposant sur des mesures collectives 51 ( * ) » .

Or, comme l'expliquait le président du Haut Conseil de la santé publique lors de son audition par la mission d'information, « si l'on veut une approche de la santé et non des soins, il faut modifier notre angle d'attaque, et agir non plus sur les maladies mais agir sur les déterminants de la santé » 52 ( * ) .

Dans son rapport préliminaire de la stratégie nationale de santé 53 ( * ) , le Haut Conseil a identifié quatre menaces pour la santé des Français : les maladies chroniques, les risques infectieux, les risques liés à l'environnement, et enfin, les risques liés à l'inadaptation du système de santé et de soins. L'essentiel de la santé d'une population étant, selon le Haut Conseil, constitué de déterminants extérieurs au système de santé et de soins (sociaux, physiques et environnementaux et des comportements de santé), celui-ci propose alors « de ne plus avoir une approche par pathologie, mais une approche par le risque, donc par les déterminants de la santé ».

Un tel changement de paradigme se donne comme objectif l'augmentation de l'espérance de vie en bonne santé, de passer « d'une approche égalitaire à une approche équitable ».

Franck Chauvin ajoutait lors de son audition qu'il s'agit de « mettre en place l'universalisme proportionné comme mode d'action. Des actions générales s'adressant à l'ensemble de la population coexistent avec des actions spécifiques qui s'adressent à ceux qui en ont le plus besoin. Quand on propose des mesures générales, c'est toujours ceux qui en ont le moins besoin qui s'en emparent en premier. Par conséquent, on augmente toujours les inégalités sociales de santé. Ainsi une politique anti-tabac générale a essentiellement fait arrêter de fumer les cadres supérieurs et les cadres. Or, c'est déjà eux qui ont une espérance de vie supérieure. C'est exactement pareil sur le risque environnemental 54 ( * ) ».

C'est un véritable changement d'approche que prône donc Franck Chauvin, réaffirmé dans le rapport « Dessiner la santé publique de demain » publié le 4 mars 2022 dans lequel il propose une évolution en profondeur de l'organisation du système de santé publique français.

Dessiner la santé publique de demain

La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a mis à jour l'enjeu de résilience de son système de soins, l'importance de la prévention comme unique recours en l'absence de traitement curatif, mais aussi les faiblesses du système de santé publique français notamment en matière d'espérance de vie en bonne santé, de santé mentale ou encore d'inégalités sociales.

Ces constats, comme celui de la faiblesse de l'investissement et du budget de fonctionnement de la prévention institutionnelle qui est resté inférieur à 0,2 % de son PIB depuis plus de 10 ans, ont amené la France à engager une réflexion pour refonder son système de santé publique à court terme.

Pour refonder la santé publique, le rapport propose dix chantiers à mettre en oeuvre en cinq ans. Il propose de développer une culture de santé publique, à travers la mise en oeuvre d'un plan quinquennal de développement de la littératie en santé, de renforcer la qualification des professionnels de santé publique et de développer une recherche en santé publique permettant à la France de jouer un rôle de premier plan en Europe et dans le monde.

En matière de gouvernance, les objectifs de santé publique doivent être partagés avec la représentation nationale via le vote d'une loi de programmation de santé publique quinquennale par le Parlement intégrant une stratégie nationale de santé et un programme de recherche en santé publique. Le principe de « santé publique dans toutes les politiques » sera concrétisé avec la fonction de délégué interministériel à la santé publique confié au Directeur général de la santé. Un Institut français de Santé publique (IFSP) assurera au niveau national des missions de formation, expertise, recherche, anticipation et prospective.

Cet IFSP doit aussi contribuer à une réorientation des missions de veille et de sécurité sanitaire, dans une double logique de santé mondiale (« Global Health ») et « One Health », en évitant les cloisonnements dont la crise a montré les effets.

Enfin, constatant que l'interconnexion entre les questions de santé mondiale et le réchauffement climatique est désormais un fait établi, le rapport propose d'inscrire la santé mondiale comme un objectif de santé publique française.

Source : Dessiner la santé publique de demain, Professeur Franck Chauvin (novembre 2021).

b) La prévention a pris une nouvelle place récemment dans notre politique de santé

À la fin de l'année 2017, l'élaboration d'une nouvelle stratégie nationale de santé (SNS) pour la période 2018-2022 55 ( * ) a été une avancée importante puisqu'il a été décidé de donner la priorité à la prévention qui en constitue son axe n° 1.

Il s'agit en premier lieu de réduire les facteurs de risque majeurs (alimentation, alcool, tabagisme) qui induisent des coûts sociaux et financiers considérables.

Le document liste aussi des orientations concrètes telles que le renforcement de la couverture vaccinale, la préservation de l'efficacité des antibiotiques, le développement du dépistage et de la prise en charge des maladies chroniques.

Source : ministère de la santé.

À la suite de l'adoption de la SNS 2018-2022, un « Plan national de santé publique - Priorité Prévention » (PNSP) a été adopté pour mettre en oeuvre l'axe n° 1 de cette stratégie. Son objectif est de regrouper l'ensemble des déterminants qui concourent à rester en bonne santé.

De la prévention à la promotion de la santé

En 1948, l'OMS propose une première définition de la prévention en tant qu'« ensemble des mesures visant à éviter ou réduire le nombre et la gravité des maladies, des accidents et des handicaps  » . Elle distingue les actions visant à éviter l'apparition d'une maladie (prévention primaire), celles visant à ralentir la progression d'une maladie ou à en obtenir la guérison (prévention secondaire) et celles visant à ralentir la progression des séquelles (prévention tertiaire).

En 1982, une autre classification de la prévention fondée sur la population cible des actions a été proposée. Sont ainsi distinguées la prévention universelle, pour tous, la prévention sélective, qui s'adresse aux sujets ayant des caractéristiques populationnelles à risque particulier, et la prévention indiquée c'est-à-dire à partir d'un risque mesuré, repéré ou objectivé.

La promotion de la santé, plus large, englobe des activités qui visent à améliorer la santé des personnes et des communautés.

Selon la Charte d'Ottawa (1986), les actions en promotion de la santé ont pour but de donner aux populations et aux individus « les moyens d'assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé, et d'améliorer celle-ci ».

La déclaration de Shanghai sur la promotion de la santé (OMS 2016) met l'accent sur les liens entre développement durable et santé. Dans ce cadre, la mobilisation des élus sur les questions d'amélioration de la qualité de vie et de promotion de la santé est un enjeu fort pour réduire les inégalités sociales de santé sur les territoires.

Les changements de comportements doivent s'envisager en interaction avec l'environnement de vie des personnes dans une perspective « écologique ». Il s'agit de promouvoir des milieux de vie favorables à la santé et de développer les savoir-faire et les compétences des citoyens.

Source : avis du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie du 28 juin 2017.

c) Le volet environnemental de la prévention agit sur les déterminants de santé

Considérer la prévention de manière globale, cela signifie qu'il ne s'agit pas uniquement de diagnostiquer en amont des pathologies ou d'influer sur les comportements individuels, elle doit au contraire concerner toutes les politiques publiques dans leur dimension sanitaire ou environnementale.

Les connaissances scientifiques ont largement démontré qu'un bon état de santé et de bien-être ne dépend pas uniquement de facteurs biologiques ou comportementaux mais aussi de facteurs liés à l'environnement et aux conditions socio-économiques dans lesquelles vivent les personnes. Ces derniers peuvent favoriser un bon état de santé ou au contraire contribuer à le dégrader.

Or, si le ministère de la santé a comme mission de promouvoir la santé de la population, il ne détient pas tous les leviers d'action puisque la plupart des déterminants de la santé sont influencés par les décisions prises dans les autres secteurs comme celui du transport, de l'urbanisme, de l'éducation, de l'agriculture, du travail, etc.

Ainsi, comme l'a exposé Géraud Guibert, président de la Fabrique écologique, « agir contre le cancer ou les maladies cardiovasculaires est évidemment primordial, mais il faut aussi, à moyen terme, éliminer les causes de ces phénomènes. Une telle conception doit s'appliquer à la prévention mise en oeuvre par les organismes de protection sociale . 56 ( * ) »

C'est pourquoi le passage d'une logique curative à une logique de prévention doit dépasser le seul champ du ministère de la santé et concerner l'ensemble des ministères.

À cet égard, au sein du ministère de la transition écologique, plusieurs plans incarnent l'approche préventive de la santé environnement : le Plan national santé environnement (PNSE4), la Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE2), le Plan national d'action radon (PNAR), le Plan de réduction des émissions de polluants atmosphériques, le Plan d'action chauffage au bois, etc.

Cependant, il n'existe pas un seul et unique plan regroupant l'ensemble de l'approche préventive de la santé et de l'environnement et la coordination avec le ministère de la santé, les organismes d'assurance maladie ou les échelons territoriaux est parfois complexe.

Le PNSE4 et la logique de prévention en santé environnement

Le quatrième plan santé environnement (PNSE4) met en oeuvre une gestion des risques basée sur la prévention, en développant des actions transversales visant à rendre l'environnement plus favorable à la santé au sens d'une seule santé comme mieux former, informer, réduire les expositions et les risques associés, mieux comprendre les liens entre santé et environnement en renforçant notamment la recherche et la connaissance.

Un pilotage interministériel renforcé : un comité de pilotage interministériel associe plus d'une dizaine de ministères (santé, écologie, industrie, consommation, recherche, agriculture, éducation, enseignement supérieur, cohésion des territoires, etc ). Ce comité représentant l'ensemble de ces ministères assure la coordination et la mise en oeuvre du plan ainsi que les liens avec les plans sectoriels afin d'assurer la lisibilité, la cohérence et la priorisation des actions. Ce comité est présidé par le directeur général de la santé (du ministère des Solidarités et de la Santé) et celui de la prévention des risques (du ministère de la Transition écologique), permettant un portage politique de l'approche préventive et intégrative. L'instance balaye les actions du plan et vérifie également, dans son positionnement de plan chapeau, les contributions des autres plans à la santé environnement.

Source : site du ministère de la transition écologique.

3. La prévention constitue un investissement très rentable mais peine à s'imposer comme une priorité dans les dépenses de santé
a) Les dépenses de prévention restent insuffisantes au regard des enjeux et des comparaisons internationales

Précisons tout d'abord que les dépenses de prévention sont particulièrement difficiles à évaluer car elles combinent hétérogénéité des financeurs et des acteurs.

Les dépenses de préventions peuvent être regroupées en deux catégories :

- les dépenses regroupées au sein de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM). Ce sont celles qui sont remboursées par l'Assurance maladie obligatoire ou complémentaire ;

- les dépenses portées par des programmes de prévention nationaux ou départementaux. Ces dernières constituent ce qu'on appelle la prévention intentionnelle et pèsent d'après la DREES environ 1,8 % de la dépense courante de santé, soit 4,8 milliards d'euros.

De son côté, la Cour des comptes, dans son rapport « La politique de prévention en santé » 57 ( * ) , évalue l'ensemble des dépenses de prévention à environ 15 milliards d'euros , ce qui rejoint aussi l'estimation réalisée par le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie dans son avis du 28 juin 2017 « Refonder les politiques de prévention et de promotion de la santé » .

La répartition des dépenses de prévention entre les programmes institutionnels et les prises en charge préventives dans le système de soins

Source : Cour des comptes d'après annexe 7 PLFSS
et Panorama des comptes de la santé (Drees), Édition 2018

Dans son rapport la Cour souligne que ce montant est un minimum et que cet effort de 15 milliards d'euros par an est loin d'être négligeable, pourtant « les résultats obtenus sont médiocres, très éloignés de leurs cibles et des performances de pays comparables ».

Parmi les raisons évoquées, elle met en avant un Plan national de prévention le « Plan National de santé publique - Priorité Prévention » qui n'établit pas d'articulation précise avec les autres plans, une déclinaison de la stratégie de prévention mal assurée au niveau territorial, ou encore un mode de rémunération qui constitue un obstacle.

Par ailleurs, la majorité des personnes auditionnées ont souligné que les efforts budgétaires en matière de prévention étaient insuffisants, voire même en diminution.

Ainsi, William Dab considère que « notre système de santé, tel qu'il a été pensé à la libération où dominaient les maladies infectieuses, est déséquilibré. Il est conçu pour des prises en charge courtes, ponctuelles, et pour une guérison rapide. Ainsi, pour 100 euros dépensés dans le domaine de la santé, 97 le sont en soins curatifs et 3 en prévention organisée . 58 ( * ) »

D'après l'OCDE les dépenses de santé consacrées à la prévention se situeraient aux alentours de 2 % et sont surtout nettement en-dessous de la moyenne des autres pays de l'Union européenne soulignant ainsi le retard pris par la France en ce domaine.

Dépenses de prévention en % des dépenses courantes de santé (2014)

Source : Panorama de la santé en Europe, quelles leçons pour la France ?, OCDE (2016 ).

La France affiche donc un retard certain comme l'explique Géraud Guibert, président de la Fabrique Écologique : « Dans tous les domaines, la prévention et la résilience ont une importance majeure. À l'heure actuelle, les actions de prévention sont dispersées, peu lisibles, et faiblement prises en charge par les pouvoirs publics . Ce sujet doit être davantage pris en compte politiquement 59 ( * ) ».

Les membres de la mission partagent la nécessité d'accompagner le changement de paradigme vers davantage de prévention comme préalable à toute avancée sur la mise en oeuvre d'une sécurité sociale écologique

Proposition n° 4 : Renforcer la prévention dans toutes les politiques publiques et en particulier en matière de santé et d'environnement afin de combler le retard pris par la France en ce domaine.

b) De nombreuses études ont pourtant démontré que les dépenses de prévention sont économiquement rentables

La qualité des politiques environnementales peut réduire la dépense de santé. Comme l'a expliqué Éloi Laurent lors des auditions, « des dépenses liées à l'environnement sont actuellement cachées, la pollution de l'air en est un excellent exemple, avec une mortalité plus importante que le montraient les précédentes études 60 ( * ) ».

Si l'on convertit les morts prématurées, estimés à environ 40 000 , en dépenses d'assurance maladie, ou en perte de productivité, alors les sommes sont considérables. C'est ce que l'on pourrait appeler « le coût de l'inaction » .

Concernant le bruit, l'Agence de la Transition écologique (ADEME) et le Conseil National du Bruit (CNB) ont mené une évaluation de son coût social et chiffrent à 147 milliards d'euros par an le coût financier induit. Les auteurs du rapport notent aussi que « Le second volet de l'étude consacré à l'analyse coûts-bénéfices de mesures visant à réduire simultanément le bruit et la pollution atmosphérique a démontré tout l'intérêt d'engager de telles actions, du fait des co-bénéfices air-bruit attendus et des ratios bénéfices / coûts très intéressants susceptibles d'être générés 61 ( * ) . »

Mais au-delà du coût économisé, certaines études ont démontré la possibilité de générer de véritables gains économiques en menant des politiques environnementales .

C'est notamment le résultat d'une étude 62 ( * ) menée par une équipe pluridisciplinaire sur la ville de Grenoble, qui évoque des « bénéfices en cascade » et jusqu'à 8,7 milliards d'euros économisés sur 30 ans à l'échelle d'une ville.

Lutter contre la pollution atmosphérique : des mesures de prévention rentables

Diminuer de deux tiers la mortalité attribuable aux particules fines à l'échelle d'une agglomération peut se faire pour un coût bien inférieur aux bénéfices sociétaux et économiques. C'est ce que vient de démontrer une équipe pluridisciplinaire du CNRS, de l'Inserm, d'INRAE, de l'Université Grenoble Alpes (UGA) et d'Atmo Auvergne-Rhône-Alpes. Ces résultats sont publiés par Environment International le 15 janvier 2022.

Chaque année en France, la pollution aux particules fines entraîne la mort prématurée d'environ 40 000 personnes. Le coût associé est estimé à 100 milliards d'euros annuels. Or, les politiques publiques de lutte contre la pollution atmosphérique sont généralement mises en place sans évaluer au préalable leur futur impact sanitaire ou économique.

L'équipe a ciblé les deux secteurs locaux les plus émetteurs de particules fines : le chauffage au bois et les transports. Elle démontre que l'objectif sanitaire peut être atteint en combinant deux mesures : le remplacement de tous les équipements de chauffage au bois non performants par des poêles à granulés récents, et la réduction de 36 % du trafic des véhicules personnels au sein de l'agglomération.

La mise en oeuvre réussie de ces mesures entraînerait des bénéfices sanitaires en cascade, qui dépassent le gain sanitaire directement associé aux particules fines . Les scénarios avec le plus fort développement des modes actifs (marche et vélo) conduisent alors à un bénéfice net de 8,7 milliards d'euros sur la période 2016-2045, soit un gain annuel de 629 € par habitant de la métropole .

Il s'agit ici de la première étude en France démontrant que les bénéfices sociétaux associés à des mesures d'amélioration de la qualité de l'air sont supérieurs au coût de ces mêmes mesures .

Source : communiqué de presse, site de l'INRAE.

Il s'agit moins de se demander comment financer aujourd'hui une dépense de prévention que de s'interroger sur notre capacité future à financer les conséquences d'une absence de prévention.

Face au changement climatique ou au vieillissement démographique qui feront mécaniquement augmenter les maladies chroniques, les membres de la mission sont donc convaincus qu'il faut massivement investir dans la prévention car comme l'a expliqué Franck Chauvin « plus on intervient tôt, plus le retour sur investissement est important », même si la réussite d'une politique de prévention ne se voit pas, ou très peu.

La mission préconise ainsi de mener des études globales qui permettraient de mesurer précisément les gains attendus pour la sécurité sociale des politiques de prévention menées.

Proposition n° 5 : Mener des études sur l'impact économique global de la prévention, au-delà des études ponctuelles sur un risque précis (pollution, bruit, etc).

4. Une absence de préparation de la sécurité sociale aux futurs risques environnementaux et climatiques
a) Une gouvernance qui associe insuffisamment l'ensemble des acteurs et des territoires
(1) Le pilotage en silo de l'élaboration des politiques liées à la santé et à l'environnement

Les plans et programmes dont les thématiques concernent l'environnement ou la santé sont nombreux. On peut ainsi citer ceux déjà évoqués qui constitue des plans généraux tels que la stratégie nationale de santé, le Plan national de santé publique, ou encore le Plan national santé environnement. Ce dernier se veut à la confluence des thématiques de santé et d'environnement. Il est aussi, depuis le PNSE 4 adopté l'année dernière, désigné comme le plan chapeau autour duquel s'articulent les autres plans.

Mais il existe bien d'autres plans, certains avec un prisme large tels que le Plan national d'adaptation au changement climatique, la Stratégie de développement durable ou la Stratégie nationale pour la recherche. Quand d'autres sont beaucoup plus restreints et concernent des secteurs précis, ainsi du plan Biodiversité, du plan Radon, du plan Cancer, de la feuille de route obésité ou encore du plan Santé travail pour n'en citer que quelques-uns.

En tout, ce sont plus de 35 plans qui s'articulent autour de PNSE4.

Néanmoins, les auditions menées par la mission d'information conduisent à penser qu'en dépit des avancées notables, notamment dans la méthode d'élaboration du PNSE, il n'existe pas, à ce jour, de véritable coordination d'ensemble.

En effet, ils n'ont pas tous les mêmes durées ni les mêmes modalités d'adoption, leurs formats ou objectifs sont très variables et ils ne s'articulent que très imparfaitement les uns aux autres.

Comme l'a exposé Philippe Bodenez, chef du service des risques sanitaires liés à l'environnement, des déchets et des pollutions diffuses au ministère de la transition écologique, « nous essayons de limiter l'effet silo, en réunissant périodiquement un comité de pilotage, mais cela reste quelque chose qui doit encore être approfondi 63 ( * ) . »

Chaque ministère dispose en effet de plans sectoriels en fonction de ses domaines de compétence, le schéma ci-contre permet de visualiser la répartition par ministère des différents plans.

Source : Plan national santé-environnement 4 (PNSE4).

Pour autant la mission considère qu'il ne serait pas opportun d'abandonner toute gestion ministérielle, ni même le principe des plans sectoriels, puisqu'ils permettent notamment d'agir avec une grande expertise dans un domaine précis. Mais la situation actuelle n'est pas satisfaisante et conduit à une absence de lisibilité globale de l'action publique.

Sur ce thème de la gouvernance de la santé environnementale, le rapport des sénateurs Bernard Jomier et Florence Lassarade sur les orientations et la gouvernance de la politique de santé environnementale 64 ( * ) expose parfaitement les faiblesses du pilotage interministériel et met en avant de nombreuses propositions telles que l'instauration d'un« défenseur des droits » en santé environnementale, la réactualisation des plans sectoriels et ministériels n'ayant pas la même temporalité que celle du PNSE ou encore la systématisation des évaluations d'impact sur la santé sur les grands projets d'aménagement envisagés par les collectivités territoriales.

Enfin, l'émergence du concept « One Health » conduit naturellement à réfléchir dans une optique interministérielle et notamment concernant l'élaboration du PNSE d'ouvrir le Groupe Santé Environnement 65 ( * ) (GSE) à de nouvelles parties prenantes. Ainsi, récemment, ce dernier a été ouvert à la Fédération nationale de la mutualité française.

Cependant, alors que la sécurité sociale est un acteur majeur du secteur, elle ne dispose d'aucun représentant au sein du GSE. Si, comme l'exprime Philippe Bodenez, le ministère de la transition écologique « copilote avec la direction générale de la santé 66 ( * ) », cette coopération est plus variable avec les autres acteurs, notamment ceux de la sécurité sociale.

Il est ainsi nécessaire d'instituer un pilotage interministériel qui apporterait davantage de cohérence aux différents plans. Ce pilotage serait confié à un Haut-commissaire qui serait en charge de l'architecture et de la coordination d'ensemble tout en laissant aux ministères les phases de réalisation, de suivi, et de mise en oeuvre. Il pourrait aussi être chargé de l'évaluation ex post des différents plans. Siégeant au conseil des ministres, il pourrait contribuer à la diffusion d'une culture de prévention plus transversale et horizontale.

Proposition n° 6 : Confier le pilotage interministériel des politiques environnementales à un Haut-commissaire à la planification de la transition environnementale.

(2) Une gouvernance territoriale qui doit associer l'ensemble des acteurs locaux, dont les collectivités territoriales

L'organisation territoriale de la santé publique est un enjeu majeur, aussi bien concernant la santé publique que dans le domaine plus spécifique de la santé environnementale. De nombreux acteurs participent à cette gouvernance, tels que les ARS, chargées du pilotage et de la coordination de l'ensemble des politiques de santé, le département en raison de son rôle de chef de file des politiques sociales ainsi que les autres collectivités territoriales qui influent, en raison de leurs compétences, sur les autres déterminants de santé.

Du côté de la santé environnementale, lorsque le PNSE avait été créé il y a 15 ans, l'objectif était de faire des plans régionaux santé environnement (PRSE) suivis par trois pilotes, à savoir par les conseils régionaux, les Agences Régionales de Santé et les DREAL. Dans un premier temps, les PRSE visaient la territorialisation de certaines actions du PNSE mais désormais l'ambition est davantage de mettre en oeuvre des thématiques, issues des différents plans et non du seul PNSE, qui nécessitent d'agir au niveau local.

Le PNSE4 et les territoires

Le PNSE4 renforce la prise en compte des enjeux en matière de santé environnement dans les territoires par une implication massive de l'ensemble des collectivités (régions, départements, EPCI, communes), en fonction de leur compétence et de leur levier d'action : aménagement du territoire, urbanisme, transport et mobilité, habitat, environnement, alimentation, action sociale, etc.

Pour impulser ce changement d'échelle, il est créé un comité d'animation territorial (CAT). Il est composé d'associations d'élus et de collectivités ainsi que de représentants d'ARS et de l'État.

L'objectif de ce comité est d'accompagner la gouvernance des plans régionaux de santé environnement (PRSE) , en tenant compte des propositions et recommandations émises par les représentants des collectivités. Ce comité vise également à partager les bonnes pratiques et à mettre à disposition des outils pour accompagner la mise en oeuvre d'actions en santé environnement à toutes les échelles des territoires.

Les plans régionaux santé environnement (PRSE) : Le plan national de prévention des risques pour la santé liés à l'environnement est décliné au niveau régional sous forme de « plans régionaux santé environnement » (PRSE). Ces plans ont pour objectif la territorialisation des politiques définies dans les domaines de la santé et de l'environnement.

Source : ministère de la transition écologique.

Cependant, le niveau d'engagement dépend beaucoup de la volonté des acteurs régionaux. En Nouvelle-Aquitaine par exemple, l'ARS est très active sur ces questions. Comme l'exprime Philippe Bodenez, « nous souhaitons pouvoir montrer des « success stories » et donc nous avons développé un site avec le Cerema qui présente des initiatives intéressantes 67 ( * ) », le site « Territoire engagé pour mon environnement, ma santé » .

Par ailleurs, il existe au sein du comité des territoires du GSE, un groupe dédié à la territorialisation du PNSE représentants des collectivités territoriales pour travailler aux conditions de réussite, livret pratique pour aider les territoires en matière de santé environnement publie pour le compte du Ministère de la Transition écologique et du Ministère des Solidarités et de la Santé, des dossiers de presse réalisés à partir de ces initiatives locales.

Concernant la santé publique, Franck Chauvin propose de doter la France d'un « système de santé publique territoriale simplifié ». Partant du constat que « la centralisation des décisions concernant la santé a montré son intérêt et ses limites pendant la crise du Covid-19 », ainsi que « l'importance des actions à tous les niveaux », il propose plusieurs pistes d'évolution vers « une organisation territoriale de santé publique efficace, proche du terrain et mobilisable en période de crise ».

Doter la France d'un système de santé publique territorial adapté aux enjeux

La simplification des projets régionaux de santé et la mise en place, sous la responsabilité des ARS, de Pactes de santé territoriaux ( PasT), regroupant les plans et contrats existants seront une étape nécessaire.

Il est proposé de constituer une force d'intervention territoriale en mobilisant, sous l'égide de l'ARS, les acteurs du soin sur des objectifs d'amélioration des déterminants de santé des populations dans une dynamique contractuelle et sur la base du volontariat.

Ces interventions de santé publique doivent voir leur dimension participative accentuée au bénéfice de la démocratie sanitaire . Les Conseils Territoriaux de Santé (CTS) doivent évoluer en parlements territoriaux de la démocratie en santé . Les liens entre les intervenants de terrain et les acteurs de l'enseignement et de la recherche doivent tout autant être renforcés. Cette organisation revue de la santé publique territoriale est un enjeu majeur pour lutter contre les inégalités sociales et territoriales de santé et pour agir en situation de crises sanitaires.

En cohérence avec ces missions, il est proposé de confier aux directeurs généraux des ARS une fonction de délégué interministériel à la santé publique dans les régions et les départements , et de renforcer les directions territoriales des ARS. Dans un souci de transparence et d'amélioration du pilotage, des tableaux de bord comprenant les principaux indicateurs de santé seront mis à disposition des autorités territoriales et des citoyens, après avoir été élaborés dans une logique de co-construction . Des objectifs de développement de l'approche populationnelle dans le secteur des soins primaires, chez les offreurs de soins de deuxième ligne et au sein des services médico-sociaux seront fixés avec les ARS.

Enfin, dans chaque département sera créée une conférence des financeurs des actions de santé publique , sur un modèle proche de la conférence des financeurs de la prévention de la perte d'autonomie.

Le soutien et la pérennisation des dispositifs de promotion de la santé à destination des populations vulnérabilisées par leurs conditions socio-économiques et/ou leur âge et/ou leurs conditions de santé constituent une autre priorité. Il est proposé de développer les dispositifs « d'aller-vers » (associations, travailleurs sociaux, collectivités territoriales), en lien avec les médiateurs en santé et les habitants « ambassadeurs de santé ». Dans ce même but, il conviendra de renforcer la place des infirmiers et des Services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) dans les dispositifs de prévention , de créer un métier de médiateur en santé , de renforcer les interventions des médiateurs d'inclusion numérique en santé auprès des personnes en situation d'exclusion numérique.

En lien avec les ministères chargés de l'Éducation nationale et de l'enseignement supérieur, le renforcement des dispositifs favorables à la santé des enfants, des adolescents et des jeunes adultes, avec une attention particulière portée à la santé mentale, est également essentiel. En lien avec le ministère du Travail, le développement des approches collectives de promotion de la santé au travail en complément des approches individuelles de santé au travail constitue également un enjeu majeur, notamment auprès des jeunes adultes en formation professionnelle.

Source : Dessiner la santé publique de demain, Franck Chauvin.

b) Une formation initiale et continue des acteurs de la santé qui peine à s'emparer des enjeux de la prévention sanitaire et environnementale

Les auditions menées par la mission d'information ont mis en lumière un manque de sensibilisation et de formation des professionnels de santé en matière de santé environnementale et de prise en compte du changement climatique sur nos systèmes de santé, et ce tant au niveau des études initiales que lors de la formation continue.

Comme l'exprime Jacques Reis, neurologue, « une sécurité sociale préventive dépend de l'information des parties prenantes, de l'éducation des médecins et d'une action préventive qui n'est pas que secondaire, mais qui implique l'ensemble des parties prenantes 68 ( * ) . »

La mission considère qu'il est indispensable que les étudiants a minima en médecine, idéalement dans l'ensemble des formations de santé, aient des connaissances approfondies sur la santé environnementale et sur le lien entre santé et climat.

Ce constat dressé par les membres de la mission d'information est confirmé par le rapport « Décarbonner la santé » du Shift Project (2021) . Leurs auteurs ont mené un recensement national des cours sur les enjeux environnementaux dans certaines filières 69 ( * ) . D'après les résultats de cette enquête « 96 % des étudiants interrogés pensent que le changement climatique est parmi les enjeux majeurs du XXIe siècle. 84 % pensent que les enjeux climatiques devraient être enseignés durant les études de santé, dont 54 % de manière obligatoire ». Pour autant, seuls « 21 % des étudiants disent avoir eu un enseignement sur les enjeux climatiques et environnementaux au cours de leur cursus ».

Quant à la formation continue , le PNSE4 prévoit la mesure n° 5 « Approfondir les connaissances des professionnels sur les liens entre l'environnement et la santé », dont l'objectif est de « mieux former et sensibiliser les professionnels de santé en intégrant la santé environnement dans leur formation » et de « favoriser les interactions et une approche globale, dans une démarche Une seule santé. » Pour autant, aucune liste exhaustive de l'offre de formation n'existe, pas plus que des études permettant d'estimer le nombre de professionnels formés à ces enjeux.

Plus largement la mission estime que c'est l'ensemble des professionnels du secteur de la santé qui devraient être formés : personnels des établissements de santé, des agences régionales de santé, mais aussi des organismes d'assurance maladie ou encore des collectivités territoriales.

Néanmoins, il faut noter que plusieurs avancées récentes laissent penser que cette question est aujourd'hui à l'agenda politique et plusieurs actions devraient être engagées d'après le PNSE4 pour généraliser la formation initiale des professionnels de santé à la santé-environnement dès 2022 :

- la création d'un module transversal ou de thèmes prioritaires du Diplôme de formation générale en sciences médicales (DFGSM), introduisant la santé-environnement ;

- la mobilisation du Service sanitaire des étudiants en santé (SSES) pour former les étudiants et mener des actions d'éducation à la santé auprès des populations (utilisation du téléphone portable et radiofréquences, qualité de l'air, pollens, écoute de la musique et bruit, santé et biodiversité, etc.) ;

- la diffusion du référentiel socle dans les unités d'enseignement de santé publique des maquettes de formation des infirmiers et des manipulateurs d'électroradiologie médicale et l'introduction de la santé-environnement lors des travaux de réingénierie des professions paramédicales (notamment aide-soignants et auxiliaires de puériculture).

De plus, dans les réponses au questionnaire le Ministère de la transition écologique nous a précisé qu' « un institut des hautes études « une seule santé » est en cours de création, pour regrouper les formations interdisciplinaires et intersectorielles dans les gestions des problématiques sanitaires (écoles de santé comme l'EHESP, écoles vétérinaires et agronomiques notamment). Il est également envisagé d'intégrer la sensibilisation à la santé-environnement dans les établissements scolaires ».

Proposition n° 7 : Intégrer dans les études de santé, et dans la formation continue des professionnels de santé, des enseignements sur l'impact des facteurs environnementaux et du changement climatique sur la santé.

5. Un État démuni : un manque d'outils et d'expertise
a) Un pilotage sans indicateurs précis et solides de la santé publique

Il existe actuellement très peu d'outils permettant de suivre l'impact du changement climatique ou des risques environnementaux sur la santé des populations et presque aucun concernant l'impact à venir sur notre système de protection sociale.

Dans ce domaine, la France a manqué un rendez-vous qui aurait pu lui permettre d'être à l'avant-garde du pilotage en matière de santé publique.

En effet, il y a plus de 15 ans, pour la première fois, lors du vote de la loi du 9 août 2004, la discussion avait porté sur des indicateurs de suivi et des objectifs de santé publique .

Il s'agissait de créer une liste de 100 indicateurs auxquels étaient associés des objectifs. Ainsi que le précise William Dab : « Jean-François Mattei [...] voulait créer un processus de santé publique et m'avait confié l'organisation d'une grande consultation d'expertise et de société civile. Il en était ressorti un tableau de bord de suivi des questions de santé publique, annexé à la loi. Certaines priorités avaient été arbitrées en réunion interministérielle, dont la santé et l'environnement. Lors du débat à l'Assemblée nationale, en commission des affaires sociales, des députés avaient demandé que ces objectifs soient revisités tous les cinq ans. [...] Le résultat, c'est que les priorités n'ont jamais été révisées, alors que c'était inscrit dans la loi. Le sujet n'est jamais revenu à l'ordre du jour du Parlement » 70 ( * ) .

Ces objectifs et indicateurs annexés à la loi de santé publique ne font désormais plus l'objet d'un suivi, le Haut Conseil de la santé publique ayant notamment mis en avant les « difficultés à évaluer ces objectifs ne disposant pas tous d'indicateurs fournis par des systèmes d'information appropriés ».

Si cette démarche a ensuite initié un processus ayant abouti sur l'élaboration d'une stratégie nationale de santé qu'il convient de saluer, il est regrettable qu'à ce jour aucune autre série d'indicateurs de la santé publique en France n'ait réellement pris le relais de cette tentative introduite par la loi de 2004.

Les rapports sur l'état de santé de la population en France ont constitué le support du suivi des indicateurs mentionnés dans ce rapport. Il y a eu 7 éditions, à intervalles irréguliers, entre 2006 et 2017 71 ( * ) .

Par ailleurs et probablement en lien avec le déploiement de la SNS 2018-2022, la création de Santé publique France, le fait qu'il s'agissait d'une compilation d'indicateurs disponibles par ailleurs ou encore les contraintes de moyens de la DREES, il a été décidé que celle-ci ne poursuivrait pas le suivi de ces indicateurs et la production de ce rapport.

Lors de son élaboration, le PNSE4 a certes aussi vu ses actions associées à des indicateurs avec un ou plusieurs pilotes identifiés mais leur caractère souvent très large se prête peu à une analyse en termes de performance ou à un suivi de long terme.

De plus, sur ces indicateurs du PNSE4, William Dab précise : « Il faut développer une culture de résultats, pas de moyens. Le PNSE4 est intelligent, mais ses indicateurs ciblent les moyens. Il faut disposer d'une logique de résultats : quel est le niveau d'exposition au risque, à la maladie, jusqu'où faut-il le diminuer ? Tant qu'on ne dispose pas d'une ingénierie de planification qui couvre jusqu'aux indicateurs de résultats, il existera un écart important entre l'ambition affichée et le résultat. L'asthme est la plus grande des maladies liées à l'environnement et n'a pas diminué depuis le premier PNSE et a même légèrement augmenté. Il serait facile d'avoir un traceur, des sujets représentatifs d'un certain domaine, dans l'état d'esprit de la loi de 2004. »

L'abandon du suivi des indicateurs des 100 objectifs de la loi de santé publique
du 9 août 2004

La loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique a instauré une démarche structurée pour la définition, la conduite et l'évaluation des politiques de santé en France.

Elle a créé un cadre méthodologique fort , visant à améliorer la pertinence, la lisibilité et la performance des politiques de santé. Mettant en exergue l'importance de la prévention, de la réduction de la mortalité prématurée et des inégalités de santé entre régions ou groupes de personnes, la loi définit des objectifs de santé quantifiés , susceptibles d'être atteints dans la population ou dans des groupes de population au terme d'une échéance pluriannuelle de cinq ans.

Les indicateurs de suivi des objectifs annexés à la loi d'août 2004 ont été définis en 2005 par un groupe de travail coordonné par la direction de la recherche, de l'évaluation et des études statistiques (Drees) et la direction générale de la santé (DGS), composé des principaux producteurs de données dans le champ sanitaire et social et d'experts de chacun des thèmes considérés.

Un peu plus de la moitié des objectifs de la loi du 9 août 2004 (56 sur 100) ont été considérés comme évaluables en 2009. Les difficultés rencontrées par les évaluateurs ont concerné, d'une part la mesure du résultat, d'autre part son interprétation. Le Haut Conseil en santé publique a ainsi mis en avant les « difficultés à évaluer ces objectifs ne disposant pas tous d'indicateurs fournis par des systèmes d'information appropriés ».

Source : rapport du Haut Conseil en santé publique sur le bilan des objectifs de la loi de 2004 (2010).

Par ailleurs, les plans et programmes ne comportent le plus souvent pas d'objectifs contraignants ou d'indicateurs de résultats propices à une évaluation ex post par des organismes de contrôle .

C'est ce que souligne William Dab en expliquant que la « loi de 2004 a développé la planification sur le moyen terme : PSE, plan national cancer voulu par le Président Chirac, plan santé au travail. Quinze ans après, les bilans réalisés par l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), par l'inspection générale des finances (IGF) et par la Cour des comptes sont très décevants. » Il ajoute « ces plans sont restés des catalogues non budgétés, mal définis, sans aucun indicateur de résultat ou presque. [...] Il y a un problème démocratique : cet écart entre intentions et moyens touche à la confiance de la population . »

C'est pourquoi la mission d'information considère que de nouveaux indicateurs de santé publique devraient être créés afin d'assurer le pilotage des objectifs de santé publique. Le Parlement serait associé à la détermination, au suivi et à l'évaluation de ces indicateurs.

Proposition n° 8 : Créer de nouveaux indicateurs de santé publique et associer le Parlement dans leur détermination, leur suivi et leur évaluation.

b) Une absence quasi-totale d'expertise concernant les impacts attendus de l'environnement et du changement climatique sur la sécurité sociale

Au-delà de la nécessité d'associer des indicateurs à des objectifs de santé publique et de la nécessité d'assurer leur suivi, la question de l'impact des facteurs environnementaux et climatiques sur la sécurité sociale, c'est-à-dire sur les nouveaux risques susceptibles d'être couverts par le système de sécurité sociale reste entière.

En matière d'investissements, une évaluation socio-économique, développée depuis plusieurs années sous l'égide du Comité d'experts des méthodes d'évaluation socio-économique et du Secrétariat général pour l'investissement, est réalisée en prenant en compte plusieurs risques sanitaires bien identifiés (par exemple ceux liés à la pollution atmosphérique dans les transports).

De plus, le Comité d'experts a récemment mandaté un groupe de travail pour élargir la prise en compte des impacts sanitaires dans l'évaluation socio-économique, et proposer une méthodologie d'estimation des coûts tangibles et intangibles des effets de santé, appliquée à titre d'exemple à quatre domaines différents (dommages psychologiques des inondations, bénéfices de santé des rénovations énergétiques des logements, gêne liée au bruit de chantier, bénéfices de santé liée à l'activité physique dans l'espace public).

Pour autant, il ne s'agit pas directement de réfléchir à l'impact sanitaire et environnemental sur la sécurité sociale. Comme l'a exprimé Philippe Bodenez, chef du service des risques sanitaires liés à l'environnement, des déchets et des pollutions diffuses au ministère de la transition écologique, « sur la préparation de la sécurité sociale, nous n'avons pas encore exploré les conséquences sur 10 ou 20 ans 72 ( * ) . »

Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale, partage la même analyse : « mon constat est que l'expertise est très faible sur ce sujet, en tout cas au ministère de la santé 73 ( * ) ». Ainsi, il n'existe pas de véritable expertise au ministère de la santé pour travailler sur ce sujet.

En 2009, la Direction générale de la santé, la Direction de la sécurité sociale, l'Anses et l'Institut de veille sanitaire avaient publié une étude sur « L'impact du changement climatique en France sur la santé » 74 ( * ) , dans laquelle les auteurs concluaient sur le fait que « en l'état actuel des connaissances et des données disponibles, il n'est pas possible de faire des projections de coût des impacts sanitaires du changement climatique en France » mais aussi « l'augmentation de la fréquence et le renforcement de l'intensité des phénomènes climatiques jusqu'ici exceptionnels doit amener à considérer plus attentivement dès à présent leurs effets à moyen et long terme sur la santé . »

Plus de dix ans après, la mission d'information réitère ce constat et préconise un renforcement des études sur l'impact du changement climatique et plus largement des facteurs environnementaux sur les dépenses de santé .

Proposition n° 9 : établir une méthodologie solide permettant la prise en compte des facteurs environnementaux et climatiques sur les dépenses couvertes par la sécurité sociale.

D. L'ÉTAT DOIT IMPÉRATIVEMENT SE DOTER DE NOUVEAUX OUTILS POUR PRÉPARER LA SÉCURITÉ SOCIALE AUX CHOCS CLIMATIQUES ET AUX RISQUES ENVIRONNEMENTAUX

1. Anticiper l'imprévisible en adaptant notre société au changement climatique
a) Les exemples étrangers d'adaptation au changement climatique

Aux États-Unis , la Social Security Administration a adopté, en août 2021, un plan d'action d'adaptation au changement climatique 75 ( * ) afin de préparer l'outil administratif de la sécurité sociale à la multiplication des événements climatiques extrêmes. Ce plan fait le point sur les évaluations de la vulnérabilité aux changements climatiques et met en évidence cinq domaines d'action prioritaires, comme le suivi des rapports nationaux d'évaluation du climat et des cartes des plaines inondables qui accroîtront la capacité à prévoir les vulnérabilités aux risques climatiques.

Plus largement, les États-Unis ont aussi adopté un plan d'action en faveur du climat qui prévoit qu'au cours des dix prochaines années, les émissions mondiales de gaz à effet de serre devront être réduites de 25 à 50 % pour que soit atteint l'objectif de l'Accord de Paris de 2015 qui consiste à limiter le réchauffement climatique à 1,5 à 2 degrés Celsius.

Les États-Unis élaborent ces deux plans au moment où ils subissent la pire année en termes de catastrophes climatiques de leur histoire. Avec leur plan d'action en faveur du climat, ils s'engagent à atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050.

De son côté, l'Allemagne a développé, dès 2008, une stratégie pour l'adaptation au changement climatique ( Deutsche Anpassungsstrategie an den Klimawandel ), dont le plan d'action III comporte 180 mesures.

Mais depuis, force est de constater que peu d'avancées ont été réalisées. À tel point que le ministère allemand de l'environnement a remis un rapport de suivi 2019 sur la stratégie allemande d'adaptation au changement climatique dont le constat est inquiétant puisque qu'il expose que le réchauffement de la planète est déjà une réalité en Allemagne avec une température en hausse de 1,5 °C entre 1881 et 2018 mais de 0,3 °C au cours des seules cinq dernières années et des pics de chaleur qui ont provoqué la mort de 7 500 personnes en 2003, puis de 6 000 en 2006 et autant en 2015.

À l'échelle internationale, l'Association internationale des instituts nationaux de santé publique (IANPHI), un réseau de 110 instituts nationaux de santé publique (INSP) dans 95 pays, soutient le développement des capacités des INSP à l'échelle mondiale pour qu'ils soient des défenseurs et des acteurs clés de la modération climatique et de l'adaptation au climat .

Néanmoins un sondage 76 ( * ) mené par cette association en 2021 a révélé que « peu d'INSP se considèrent comme des acteurs clés du climat et que leur implication dans les politiques nationales et régionales d'adaptation au climat et de modération du climat de leur pays est plutôt limitée. »

Source : International Association of National Public Health Institutes (IANPHI).

b) En France l'adaptation au changement climatique fait l'objet d'une stratégie nationale

La France a adopté en 2006, une Stratégie nationale d'adaptation au changement climatique pour orienter les actions d'adaptation au changement climatique puis un plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) couvrant la période 2011-2015 et un deuxième (PNACC-2), qui couvre la période 2018-2022 .

Suite à l'adoption le 8 novembre 2019 de la loi relative à l'énergie et au climat 77 ( * ) , une loi de programmation énergie-climat devra être votée d'ici le 1 er juillet 2023 et un troisième plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC-3) succédera ainsi au PNACC-2 et couvrira la période 2024-2029.

Parallèlement les travaux de la Stratégie française Énergie et Climat (SFEC) ont été lancés le 11 octobre 2021. La SFEC est la feuille de route de la France pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et pour assurer l'adaptation effective de notre pays au climat futur.

Les membres de la mission d'information considèrent cependant que, au-delà du vote de la future loi de programmation, la représentation nationale devrait régulièrement être associée à l'actualisation de la Stratégie française de l'énergie et le climat et qu'elle devrait ainsi faire l'objet d'un débat annuel devant le Parlement.

Proposition n° 10 : Organiser un débat annuel au Parlement de la Stratégie française sur l'énergie et le climat (SFEC).

Sur la question plus spécifique de l'impact du changement climatique sur notre système de santé il est surprenant qu'actuellement la stratégie nationale de santé et la stratégie française pour l'énergie et le climat ne s'articulent pas entre elles . Historiquement, ces deux stratégies se sont en effet construites séparément, et, à titre d'illustration, le Haut Conseil pour le climat ne comporte parmi ses membres aucun expert du domaine de la santé publique. Mais il paraît aujourd'hui anachronique de ne pas placer côte à côte les enjeux de santé publique et environnementaux autrement que par un plan chapeau que représenterait le PNSE4. Il est en effet certain que cette dispersion des efforts en direction d'un objectif commun brise les synergies qui pourraient être déployées en ce domaine.

Il apparaît pourtant crucial que le lien entre changement climatique et santé fasse l'objet d'un plan et d'une gouvernance spécifique compte tenu des interactions qui existent entre les deux.

Enfin, une dernière piste de réflexion concerne les études d'impact des projets de loi , et en particulier des projets de loi de financement de la sécurité sociale. En effet, bien qu'elles soient obligatoirement fournies au Parlement depuis 2009, force est de constater que ces analyses sont souvent très limitées sur le plan des conséquences environnementales des dispositions proposées.

Les études d'impact pourraient donc être étoffées et mieux quantifiées en ce qui concerne les conséquences environnementales des dispositions sur lesquelles elles portent, comme le suggèrent Dominique Libault et Magali Reghezza-Zitt 78 ( * ) .

L'évaluation de l'impact environnemental des projets de loi

Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, l'article 39 de la Constitution dispose que « la présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique ». Aux termes de ladite loi organique, adoptée en 2009, « les projets de loi font l'objet d'une étude d'impact. Les documents rendant compte de cette étude d'impact sont joints aux projets de loi dès leur transmission au Conseil d'État. Ils sont déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent » 79 ( * ) .

L'étude d'impact doit définir les objectifs poursuivis par le projet de loi, recenser les options possibles en dehors de l'intervention de règles de droit nouvelles, exposer les motifs du recours à une nouvelle législation et fournir « avec précision » un certain nombre d'informations, parmi lesquelles figure « l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d'administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ».

En matière environnementale, le Secrétariat général du Gouvernement précise que « l'évaluation préalable du projet de loi doit faire apparaître le coût des mesures envisagées pour le climat et pour la biodiversité, y compris leur « coût carbone ». Plus précisément, les ministères doivent mesurer les incidences du projet de loi sur les territoires, la mobilité des personnes ou des marchandises et le niveau de production des entreprises. Une attention particulière doit être portée aux impacts environnementaux envers les entreprises et les consommateurs, notamment sur le point de savoir si le projet de loi : favorise les modes de production et de consommation durables ; affecte les prix relatifs entre les produits « éco-compatibles » et les autres ; favorise ou défavorise les biens et services éco-compatibles par le biais de modifications des règles d'investissement, de prêts, d'assurance ; affecte le niveau de pollution produit par les entreprises par le biais de modifications de leurs modes de production ; a des effets sur la santé, le cadre de vie » 80 ( * ) .

À cet égard, le Conseil économique, social et environnemental formule plusieurs préconisations pouvant permettre d'améliorer la prise en compte des aspects environnementaux des projets de loi par le législateur 81 ( * ) . Il est ainsi proposé, entre autres :

- de veiller à ce que les impacts environnementaux soient toujours précisément envisagés ;

- de permettre au parlementaire rapporteur d'un projet de loi de disposer de prérogatives lui permettant de commander des évaluations ex ante à des universités ou organismes publics de recherche afin de compléter l'étude d'impact ;

- de demander la réalisation d'une étude d'impact rapide des amendements modifiant de façon substantielle le projet de loi initial.

Proposition n° 11 : Intégrer la santé environnementale dans les études d'impact accompagnant les projets de loi et renforcer le recours aux évaluations d'impact sur la santé dans le cadre de l'élaboration de grands projets d'aménagements publics.

2. Établir une stratégie publique de décarbonation de la santé

Dans le rapport « Décarboner la Santé pour soigner durablement », publié le 25 novembre 2021, le Shift Project a évalué l'impact du système de santé sur le changement climatique.

Lors de son audition, Laurie Marrauld, enseignante chercheuse à l'École des hautes études en santé publique (EHESP) et cheffe de projet Santé au Shift Project ouvre sa présentation en expliquant que « le secteur de la santé est doublement exposé au changement climatique : on connaît les effets de celui-ci sur la santé des individus, mais le fonctionnement de ces activités emporte également des conséquences sur le climat et sur l'environnement 82 ( * ) . »

En effet, le système de santé actuel, qui emploie 2,5 millions de personnes, soit plus de 9 % de la population active, est très carboné , ses émissions de gaz à effet de serre représentent plus de 46 millions de tonnes de CO², soit entre 6 et 8 % du total national.

Le schéma ci-dessous représente les causes et les conséquences du fonctionnement actuel de notre système de santé.

Système de santé très carboné

Source : The Shift Project.

L'objectif est que ce secteur prenne sa part dans la baisse des émissions de CO² de 5 % par jusqu'en 2050, permettant ainsi de rester sous l'augmentation de + 2° Celsius. Pour cela, le système de santé doit accélérer la transition bas-carbone, déjà engagée mais de manière insuffisante, afin de parvenir à une réduction de 80 % de ses émissions, et atteindre ainsi les 9 MtCO².

Le schéma ci-dessous représente les bénéfices attendus d'un système décarboné.

Système de santé décarboné

Source : The Shift Project.

Pour réussir cette transition, le Shift Project présente deux grandes catégories de recommandations :

- celles portant sur les postes d'émissions qui concernent l'alimentation, les bâtiments, les déplacements, les gaz médicaux, les déchets, les médicaments et les dispositifs médicaux ;

- celles portant sur le système de santé dans sa globalité telles que des mesures transverses en matière de formation ou de recherche, mais surtout le renforcement du système préventif déjà évoqué précédemment.

En effet, comme l'explique le rapport, décarboner l'existant ne sera pas suffisant puisqu'il manquerait encore, d'après les calculs du Shift Project, environ 30 % de diminution d'émissions . C'est la raison pour laquelle il est nécessaire d'aller vers un modèle encore plus soutenable et encore plus sobre.

D'après Laurie Marrauld, « ce modèle doit être plus préventif, appuyé sur des politiques transsectorielles favorables à la santé et à l'environnement. Nous disposons aujourd'hui d'exemples de cobénéfices très forts entre santé et climat, nous sommes donc capables de développer ce type de politiques. [...] Ensuite, le système actuel est polluant, dépendant en matière d'énergie avec des possibilités de pénurie, il emporte des risques pour la santé et est sans doute trop focalisé sur le curatif 83 ( * ) . »

Mais ce changement de modèle ne pourra pas se faire sans changement dans la réglementation et la gouvernance, « le système de réglementation n'est pas assez efficace et les contrôles à ce sujet sont insuffisants. Il manque, pour tout cela, une gouvernance ministérielle identifiée de cette question de la décarbonation de la santé 84 ( * ) . »

Source : The Shift Project.

La mission ne peut que souscrire à ces recommandations qui rejoignent en grande partie les constats faits au cours des auditions menées et certaines des recommandations du présent rapport, et invite l'État à initier dans les meilleurs délais une stratégie publique de décarbonation de la santé.

Proposition n° 12 : Élaborer une stratégie publique de décarbonation des acteurs publics et privés de la santé permettant le respect des accords de Paris.

Décarboner la Santé pour soigner durablement

Avec près de 8 % des émissions de gaz à effet de serre de la France, le secteur de la santé fait face à une double contrainte carbone : il doit réduire ses émissions de gaz à effet de serre, et chercher des substituts aux ressources énergétiques fossiles dont la disponibilité s'amenuise. De plus, il doit en même temps gérer les conséquences de la dégradation des écosystèmes et des crises climatiques sur la santé des populations.

Sur le sujet environnement et santé, il nous vient spontanément à l'esprit les impacts du changement climatique sur la santé des individus, dont les conséquences, déjà visibles, vont croître.

Dans le cadre de ce travail, l'équipe santé du Shift a plutôt regardé l'impact du système de santé sur le changement climatique . Or, ce secteur qui compte 2,5 millions d'actifs apporte des services, consomme des biens et des aliments, produit des déchets, mobilise des transports, construit, chauffe et refroidit des locaux. Il joue donc un rôle dans la dégradation du climat et de la biodiversité.

La crise sanitaire que nous traversons depuis près de deux ans a révélé des failles abyssales dans notre système de santé, et nous a donné une idée des coûts exorbitants qu'entraîne le manque de préparation . Dans ce rapport, le Shift Project montre qu'il est non seulement urgent, mais surtout possible de réduire la dépendance du secteur de la santé aux énergies fossiles. Décarboner, c'est accroître la résilience du système de santé et le préparer aux crises futures.

Pour agir sur le prochain quinquennat mais aussi à long terme, le rapport propose de manière pragmatique d'agir sur tous les fronts. Sept principes d'action doivent guider la transformation du secteur de la santé. Parmi les 37 grandes mesures proposées, 24 ciblent les postes les plus émissifs de gaz à effets de serre (alimentation, bâtiments, déplacements, médicaments, dispositifs médicaux), cinq les gaz médicaux et les déchets. Les 8 mesures restantes sont transverses.

Les mesures visant la seule décarbonation du secteur de la santé ne suffiront pas : elles devront être complétées par une transformation plus profonde du système vers un système de santé préventif . Un tel système cherche à préserver les conditions communes d'une bonne santé individuelle et collective par la mise en avant des liens de cause à effet entre la préservation de l'environnement et notre santé.

Soutenir une transition vers un système préventif plutôt que curatif, c'est aussi opérer une transition vers un système de santé plus sobre dans les pratiques de soins (sur-prescription régulée par modification des incitations financières, nouveaux conditionnements des médicaments adaptés aux prescriptions) et plus efficace dans la préservation du capital-santé par la prévention, qui évite les maladies ou permet de prendre les patients en charge plus tôt. Cette approche valorise les co-bénéfices en termes de santé, de climat et de réduction des inégalités qui existent entre la transformation de l'économie française et l'évolution vers un système de santé plus résilient.

Source : The Shift Project.

3. Sortir de la myopie : intégrer le long terme, prendre en compte l'incertitude, mesurer les risques
a) Mieux anticiper les crises

Les experts climatiques s'accordent sur l'augmentation de la survenance et de la gravité des crises environnementales.

Mais il est particulièrement difficile de les prévenir , la crise du Covid en est une illustration récente. Pourtant, comme l'énonce Dominique Libault : « il y a aujourd'hui un enjeu d'anticipation des crises 85 ( * ) »

Sur cette question de l'évolution rapide de notre environnement, William Dab, rappelle l'impératif de gérer l'incertitude : « La question de la gestion scientifique et démocratique de l'incertitude est cruciale dans le monde actuel, car ce dernier fabrique des incertitudes comme jamais auparavant. Regardez les nanotechnologies, les smartphones que peu d'entre nous utilisaient il y a dix ans. On n'a pas achevé d'évaluer le niveau d'ondes radiotéléphonique auquel nous sommes exposés, d'évaluer la 2G, on évalue la 3G, les études sur la 4G commencent juste et on passe déjà à la 5G ! Entre les capacités technologiques et notre capacité d'évaluer les risques, il existe un écart abyssal. C'est une grande difficulté. Si on rajoute la complexité du concept de « One Health », il faut se demander si l'on dispose des capacités scientifiques pour mesurer ces enjeux. Elles existent mais ne sont pas encore organisées pour évaluer de tels enjeux 86 ( * ) . »

Sur cette question de l'anticipation, Jean-Louis Lambeau, conseiller technique au sein du département de la protection sociale à l'Organisation internationale du travail (OIT) constate que « le changement climatique, processus évolutif, a des répercussions croissantes que nous ne pouvons pas toutes anticiper 87 ( * ) . » De plus, « la protection sociale fonctionne selon la fréquence des événements : on observe peut-être une évolution de paradigme dans le sens où anticiper sur la base du passé ne suffit plus ».

Pour ces raisons, il considère qu'il est nécessaire de « passer à la planification et à la prévention. La protection sociale et les politiques sociales et environnementales doivent donc aller dans le sens de la planification à long terme, sur la base d'une collaboration avec les milieux académique et de la recherche . »

La mission d'information considère qu'une telle réflexion doit impérativement se situer à un niveau interministériel et pourrait être confiée à un organisme rattaché au Premier ministre tel que France Stratégie qui serait alors chargé de la coordination d'un plan quinquennal d'adaptation de notre système de protection sociale.

Proposition n° 13 : Confier à France Stratégie la coordination d'un plan quinquennal de préparation à l'adaptation de notre système de protection sociale.

b) Cartographier les risques

Si l'on souhaite que la sécurité sociale intègre et anticipe les questions environnementales et le changement climatique, il faut au préalable qu'elle connaisse les risques auxquels elle devra répondre.

Mais le principal outil à mettre en oeuvre serait une véritable cartographie des risques écologiques auxquels la sécurité sociale sera exposée dans les prochaines années.

Comme l'explique William Dab, « le problème dont vous traitez ne peut avancer que si l'État et les autres administrations se donnent une cartographie des risques. Celle-ci n'existe pas. J'ai travaillé avec de grandes entreprises, dont EDF, et j'ai participé à ce processus, pour son volet sanitaire. Pas une grande entreprise aujourd'hui n'imagine sa survie sans cartographie des risques. EDF la mettait à jour tous les 6 mois, et le comité exécutif en discutait. Il n'y a pas d'équivalent pour l'État. Et pour parler de sécurité sociale écologique, il faut parler de cartographie des risques. Le risque, la probabilisation de ce qui pourrait survenir, n'est donc pas un objet de politique publique. Une telle cartographie devrait relever de l'ensemble des ministères, pas seulement de celui de la santé. Il devrait être placé au niveau du Premier ministre, pour bénéficier de l'autorité nécessaire. Votre projet, qui répond à un constat que je partage, ne peut pas avancer s'il ne s'appuie pas sur cet outil 88 ( * ) . »

L'assurance maladie a certes développé une cartographie des pathologies et des dépenses fondée sur les données issues du système national des données de santé (SNDS) et qui concerne environ 66 millions de bénéficiaires de l'ensemble des régimes d'assurance maladie ayant eu recours à des soins remboursés une année donnée.

Mais il n'existe pas de cartographie qui recense l'impact des risques écologiques sur les dépenses couvertes par la sécurité sociale . D'après les auditions menées, la difficulté à mettre en place un tel outil n'est pas d'ordre technique mais relève d'une prise de conscience et d'une volonté politique d'agir en prenant en compte les facteurs environnementaux.

Proposition n° 14 : Créer une cartographie des risques, en lien avec la direction générale de la santé et l'assurance maladie.

Enfin, lors des auditions, il est apparu que les outils numériques pourraient constituer une piste intéressante pour mesurer et améliorer notre connaissance des facteurs environnementaux.

Ainsi, Philippe Bodenez a mis en avant plusieurs outils développés récemment par l'État 89 ( * ) :

- L'application recosanté 90 ( * ) qui donne des informations sur la qualité de l'air. Le titulaire de cette application indique son adresse et obtient des informations grâce à la géolocalisation. C'est une application publique en cours de développement qui permettra à terme d'ajouter d'autres types d'expositions comme les ultraviolets ou des informations sur la qualité de l'eau potable.

- Le Green data for health est un outil qui s'adresse à des chercheurs et permet d'aller rechercher des liens entre des informations qui sont dans des bases de données environnementales et de constater s'il y a des effets sur la santé. Il s'agit d'un outil codéveloppé par la direction générale de la santé et le Commissariat général au développement durable. Ce n'est pas une base de données mais un outil qui va chercher dans ces bases et peut être utilisé par les chercheurs pour faire leurs recherches.

II. NON-ASSISTANCE À SÉCURITÉ SOCIALE EN DANGER FINANCIER

A. LE CHANGEMENT CLIMATIQUE FRAGILISE NOTRE MODÈLE DE COUVERTURE DES RISQUES SOCIAUX ET ENVIRONNEMENTAUX

1. L'équilibre financier de la sécurité sociale repose sur une croissance économique liée à la dégradation de l'environnement
a) La soutenabilité environnementale de la croissance économique ne fait pas l'objet d'une évaluation
(1) Les indicateurs économiques traditionnels ne tiennent pas compte de la dimension environnementale du progrès économique

Les sociétés modernes accordent une place prépondérante à la croissance économique , c'est-à-dire à l'augmentation de la production de biens et de services d'une année sur l'autre, dans la mesure où celle-ci permet d'augmenter le niveau de vie des populations.

C'est la raison pour laquelle l'analyse économique repose largement sur la mesure de la production au travers du produit intérieur brut (PIB).

Le produit intérieur brut (PIB) et le produit intérieur net (PIN)

Le PIB est un agrégat économique permettant de mesurer la richesse produite par les agents économiques résidant sur un territoire national pendant une période donnée .

Il peut être mesuré de trois façons :

- selon l'optique de la production, en faisant la somme des valeurs ajoutées de toutes les activités de production de biens et de services et en y ajoutant les impôts moins les subventions sur les produits ;

- selon l'optique des dépenses, en faisant la somme de toutes les dépenses finales (consacrées à la consommation ou à l'accroissement de la richesse) et en y ajoutant les exportations moins les importations de biens et de services ;

- selon l'optique du revenu, en faisant la somme de tous les revenus obtenus dans le processus de production de biens et de services (revenus salariaux, excédent brut d'exploitation et revenu mixte) et en y ajoutant les impôts sur la production et les importations moins les subventions.

La production entraînant des amortissements et des dépréciations d'actifs qui ne sont pas pris en compte dans le calcul du PIB, un second agrégat économique, le PIN, permet de mesurer la production des agents économiques résidents au cours de la période nette de la consommation de capital fixe, c'est-à-dire du coût d'usure du capital au cours de la même période.

Source : Institut national de la statistique et des études économiques.

Or, comme l'a souligné la commission Stiglitz en 2009 91 ( * ) , le PIB est davantage un indicateur de revenu que de richesse . Il ne tient compte ni d'éléments indissociables du bien-être des sociétés humaines, tels que le niveau d'éducation, le progrès technique, la qualité du système de soins ou le degré d'inégalités, ni de la soutenabilité environnementale de la croissance économique , c'est-à-dire de sa capacité à satisfaire les besoins de la population sans pour autant priver les générations futures du capital naturel nécessaire à la satisfaction des leurs, dès lors qu'il n'intègre pas ce qu'une nation perd au cours du processus de production.

Au contraire, la production de biens et de services, base du PIB, contribue à l'épuisement des ressources naturelles tout en favorisant la croissance économique.

(2) L'épuisement des ressources naturelles et les conséquences du changement climatique sur la santé humaine invitent à l'utilisation d'indicateurs de soutenabilité de la croissance économique

Forts de ces constats, les experts du programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) ont élaboré un indice de richesse inclusive (IRI) permettant d'intégrer à la mesure des performances économiques l'utilisation du capital naturel.

Le « PIB vert »

Présenté lors de la conférence des Nations unies sur le développement durable en juin 2012, l'IRI est un indicateur économique permettant de mesurer le niveau de richesse globale d'une nation et sa capacité à soutenir durablement sa croissance en intégrant au PIB la consommation du capital humain et du capital naturel.

Il a ainsi été calculé qu'au cours de la période 1990-2008, l'IRI de la Chine et des États-Unis n'a cru que de 45 % et 13 %, tandis que leur PIB augmentait de 442 % et 37 %, l'écart s'expliquant par une diminution du capital naturel de l'ordre de - 17 % en Chine et - 20 % aux États-Unis.

L'IRI a toutefois fait l'objet de critiques liées, notamment, aux difficultés d'addition de flux économiques à des stocks et de valorisation économique du capital naturel et du capital humain.

La comparaison entre les performances des nations en termes de PIB et d'IRI permet de constater à quel point la mesure de la croissance économique élude la dimension environnementale.

Taux de croissance annuel moyen du PIB par habitant entre 1990 et 2014 (en %)

Source : Programme des Nations unies pour le développement,
Inclusive wealth report 2018, Measuring sustainability and well-being.

Taux de croissance annuel moyen de l'IRI par habitant entre 1990 et 2014 (en %)

Source : Programme des Nations unies pour le développement,
Inclusive wealth report 2018, Measuring sustainability and well-being

Il paraît donc nécessaire, avant toute chose, d' encourager la prise en compte du capital naturel et du capital humain dans la richesse nationale afin de mieux évaluer la soutenabilité du développement des nations et les effets du changement climatique sur les finances publiques et les systèmes de protection sociale.

À cet égard, en rappelant que « la monétisation des externalités environnementales reste complexe » et que « la fabrique des politiques publiques peine à raisonner au-delà du PIB, indicateur critiqué mais enraciné profondément dans notre pratique de l'économie », France Stratégie évoque trois pistes d'action :

- l'internalisation du déficit environnemental dans la statistique publique, au travers d'un tableau entrée/sortie en empreinte carbone permettant d'effectuer des comparaisons par secteur ;

- la modification de la comptabilité publique et d'entreprise en vue d'intégrer un contenu carbone à la dépense de consommation et d'administration publique, notamment celle de protection sociale ;

- l'intégration de la question climatique aux modèles macroéconomiques dans le but de diminuer l'incertitude que créent les contraintes environnementales sur le commerce extérieur, la croissance ou l'investissement 92 ( * ) .

En matière de santé, en particulier, le professeur Franck Chauvin, président du Haut Conseil de la santé publique, indique que les cinquante dernières années ont été caractérisées par une amélioration considérable de l'espérance de vie, mais également par une faible amélioration de l'espérance de vie en bonne santé, la croissance rapide du nombre de personnes atteintes de maladies chroniques et l'augmentation des inégalités de santé, avec treize années de différence d'espérance de vie entre les 20 % des personnes les plus riches et les 20 % les plus pauvres 93 ( * ) . De tels phénomènes tendent nécessairement à relativiser l'amélioration du bien-être matériel permise par la croissance économique .

Proposition n° 15 : développer la prise en compte des dimensions humaine et environnementale dans la mesure des performances économiques nationales et compléter la comptabilité financière des entreprises et de l'État en matière environnementale.

b) Les ressources de la sécurité sociale dépendent largement de la croissance de l'activité économique
(1) L'évolution des recettes de la sécurité sociale suit celle de la croissance économique

Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS au Centre d'études européennes de Sciences Po, a attiré l'attention de la mission d'information sur l'explosion des dépenses de protection sociale depuis l'industrialisation du pays 94 ( * ) . Elles n'ont eu de cesse d'augmenter depuis lors : d'après la Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques (DREES), en France, les dépenses de protection sociale ont augmenté de 14,3 % à 35,4 % du PIB entre 1959 et 2020 95 ( * ) .

Les dépenses des seuls régimes de base de sécurité sociale ont représenté, au cours des dernières années, entre 21 et 23 % du PIB et les dépenses d'assurance maladie, en particulier, de 9 à 10 % du PIB. Leurs recettes ne suffisent pas à couvrir leurs charges et les conduisent à accumuler des déficits, par ailleurs fortement aggravés par la crise sanitaire.

Évolution du PIB, des dépenses et des recettes des régimes obligatoires de base de sécurité sociale entre 2018 et 2020 (en milliards d'euros)

Année

2018

2019

2020

PIB

2 363,3

2 437,6

2 302,9

Recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du FSV

498,6

508,0

497,2

Dépenses de l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du FSV

500,0

509,7

537,0

Solde de l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du FSV

- 1,4

- 1,7

- 39,7

Source : Mission d'information du Sénat, d'après l'Insee (Les comptes de la Nation 2020)
et la loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022.

Évolution de la croissance du PIB et des recettes des régimes obligatoires de base et du FSV entre 2018 et 2022 (en %)

Source : Mission d'information du Sénat, d'après l'Insee (Les comptes de la Nation 2020)
et la loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022

(2) Cette corrélation s'explique par la sensibilité du produit des cotisations sociales et des impôts et taxes à la croissance

Les recettes des régimes obligatoires de base et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) sont constituées de cotisations sociales à 48 % et de contributions, impôts et taxes affectés 96 ( * ) à près de 38 % .

Répartition des recettes des régimes obligatoires de base et du FSV par catégorie de recettes en 2020

Source : Rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale, septembre 2021.

Leur niveau dépend donc très largement de l'activité économique . En effet, la majeure partie d'entre elles -- cotisations, CSG activité, taxe sur les salaires 97 ( * ) , forfait social 98 ( * ) -- est assise sur les revenus d'activité. Ainsi, en 2020, sous l'effet de la crise sanitaire et du recul de 5,7 % de la masse salariale du secteur privé, les recettes des régimes obligatoires de base et du FSV ont diminué de 2,1 %. À l'inverse, la commission des comptes de la sécurité sociale estimait en septembre 2021 que ces produits devraient rebondir 6,5 % en 2021 et de + 3,4 % en 2022 du fait, notamment, de la progression attendue de la masse salariale (+ 6,2 % en 2021).

La contribution sociale généralisée (CSG)

Créée en 1991 99 ( * ) , la CSG est un impôt prélevé à la source sur la plupart des revenus visant à élargir les sources de financement de la protection sociale . Le Conseil constitutionnel considère qu'il ne s'agit pas d'une cotisation sociale, dans la mesure où elle n'ouvre pas de droits à prestations 100 ( * ) .

En 2020, le rendement de la CSG brute s'est élevé à 121,7 milliards d'euros , dont 69 % au titre de la CSG sur les revenus d'activité 101 ( * ) (au taux de 9,2 %), 20 % pour la CSG sur les revenus de remplacement 102 ( * ) (à taux variable -- 0 %, 3,8 % ou 6,2 % -- selon les revenus du foyer fiscal), 10 % pour la CSG sur les revenus du capital 103 ( * ) (au taux de 9,2 %) et moins de 1 % pour la CSG sur les revenus des jeux, en recul de 3,9 % par rapport à 2019.

Sur ce total, 69 milliards d'euros ont été perçus par l'assurance maladie, 17 milliards par le FSV, 13 milliards par l'assurance chômage, 12 milliards par la branche famille, 8 milliards par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) et 2 milliards par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).

D'autre part, certaines des recettes fiscales affectées à la sécurité sociale varient en fonction de la consommation, qui dépend elle-même largement de la croissance économique . Ainsi, entre 2019 et 2020, la chute de la consommation provoquée par les mesures de confinement a entraîné une diminution de l'assiette de la TVA de 8 % - presque autant que le PIB (-7,9 %) - et de son produit de 10,2 %, tandis que les recettes issues des taxes sur les alcools reculaient de 2,2 % et celles des contributions sur les jeux et paris de 10,6 %.

La taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

Impôt indirect sur la consommation institué en 1954 104 ( * ) et assis sur tous les biens et services consommés en France, la TVA, dont le rendement s'est élevé à 113,8 milliards d'euros en 2020 contre 129,2 milliards en 2019 , est facturée aux consommateurs par les entreprises, qui la reversent à l'État, après déduction de la TVA acquittée sur les consommations intermédiaires.

Depuis 2014, les taux de TVA 105 ( * ) sont fixés à :

- 20 % pour le taux normal ;

- 0 % pour le premier taux réduit (restauration, produits agricoles non transformés, bois de chauffage, travaux d'amélioration du logement, traitement des déchets, transports de voyageurs, etc.) ;

- 5,5 % pour le second taux réduit (produits alimentaires, livres, billetterie de spectacle vivant et de cinéma, travaux d'amélioration de la qualité énergétique des logements, logements sociaux ou d'urgence, etc.) ;

- 2,1 % pour le taux particulier (médicaments remboursables par la sécurité sociale, redevance télévision, spectacles, publications de presse, etc .).

Augmentée de façon à compenser le coût de la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en allègements de cotisations patronales, la fraction de TVA affectée à la sécurité sociale s'est élevée à 41 milliards d'euros en 2019 et à 36,8 milliards en 2020. Elle devrait atteindre 43,8 milliards d'euros en 2022.

En somme, notre modèle de sécurité sociale est caractérisé par une forte dépendance à la croissance économique , qui s'avère indispensable pour générer les recettes nécessaires au financement de la protection sociale dans un contexte le vieillissement démographique et d'accroissement des dépenses de santé, de retraite et de dépendance.

En se fondant sur les travaux de Pierre Charbonnier 106 ( * ) , Bruno Palier a rappelé que la démocratie libérale et le progrès social eux-mêmes sont fondés sur un présupposé de croissance infinie , censé affranchir les hommes des limites posées par la nature 107 ( * ) . Ce postulat étant battu en brèche par les conséquences du changement climatique, c'est un nouvel idéal de société qu'il s'agit aujourd'hui de concevoir .

c) La croissance de la productivité : un déterminant essentiel de l'équilibre du système français de retraites
(1) À partir de 1987, les pensions ont été indexées sur la croissance des prix au lieu de celle des salaires

Le système de retraites constitue un exemple intéressant de la dépendance de notre modèle de sécurité sociale à la croissance économique.

Depuis 1987, en effet, les pensions de retraite, auparavant indexées sur la croissance des salaires, sont revalorisées en fonction de celle des prix à la consommation , hors tabac.

La revalorisation des pensions de retraite : de l'indexation sur les salaires à l'indexation sur les prix

Les pensions de retraite sont revalorisées chaque année de façon à préserver le pouvoir d'achat des retraités. Ce mécanisme concerne les pensions déjà liquidées, ainsi que les salaires portés au compte individuel des assurés, qui servent de base au calcul des pensions.

De 1945 108 ( * ) à 1987, les pensions de retraite étaient indexées sur l'évolution du salaire moyen des assurés , de façon à apporter aux retraités « des garanties positives tout en ne compromettant en rien l'équilibre financier de l'assurance vieillesse, puisque la revalorisation est directement fonction des cotisations encaissées et donc des recettes mêmes de l'assurance vieillesse » 109 ( * ) .

Entre 1987 et 1992, la revalorisation des pensions a été effectuée sur la base de coefficients fixés par la loi, par référence à l'évolution des prix à la consommation, mais sans que les modalités de calcul de ces coefficients soient explicitées 110 ( * ) .

Leur croissance s'étant avérée inférieure à celle des salaires comme à celle des prix et le pouvoir d'achat des retraités en pâtissant, les pensions ont été indexées sur l'évolution de l'indice prévisionnel des prix à la consommation (hors tabac) pour une durée de cinq ans à compter de 1993 111 ( * ) . Dès lors, des arrêtés interministériels fixaient au 1 er janvier de chaque année les coefficients de majoration applicables aux salaires et aux cotisations servant de base au calcul des pensions et les coefficients de revalorisation applicables aux pensions déjà liquidées 112 ( * ) . Si l'évolution constatée des prix à la consommation était différente de celle initialement prévue, il était procédé à un ajustement.

Ce dispositif a été confirmé en 1999 113 ( * ) , les coefficients de revalorisation étant fixés chaque année, de 2000 à 2003, par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) 114 ( * ) .

Le principe de la revalorisation des pensions sur la base de l'inflation a de nouveau été codifié en 2003, tandis que les coefficients de revalorisation étaient fixés par arrêté au 1 er janvier de chaque année conformément à l'évolution prévisionnelle des prix à la consommation (hors tabac) prévue dans le rapport économique, social et financier (RESF) annexé à la loi de finances de l'année 115 ( * ) .

En 2009, cet indice a été remplacé par l'évolution prévisionnelle des prix à la consommation (hors tabac) établie par la Commission économique de la Nation et la date de revalorisation reportée du 1 er janvier au 1 er avril de l'année 116 ( * ) .

À partir de 2015, les pensions ont été revalorisées sur la base d'un coefficient égal à l'évolution de la moyenne annuelle des prix à la consommation (hors tabac) calculée sur les douze derniers indices mensuels de ces prix publiés par l'Insee l'avant-dernier mois qui précède la date de revalorisation 117 ( * ) . Fixée au 1 er octobre en 2014 118 ( * ) , cette date a été ramenée au 1 er janvier en 2018 119 ( * ) .

(2) Cette réforme a permis de renforcer la soutenabilité du système de retraites, au prix d'un décrochage des pensions par rapport au revenu d'activité moyen

L'indexation des pensions sur l'inflation a généré des économies substantielles, dans la mesure où les prix augmentent généralement moins rapidement que les salaires. Le produit des cotisations sociales dépendant de la masse salariale, une hausse des salaires entraîne une augmentation du montant des cotisations collectées, qui n'est pas répercutée intégralement sur le niveau des pensions.

D'après le Conseil d'orientation des retraites (COR), dans une hypothèse de croissance de la productivité de 1,3 %, sans les réformes relatives à l'âge d'ouverture des droits mises en oeuvre depuis le début des années 1990 120 ( * ) et l'indexation des pensions sur les prix, les dépenses publiques de retraites représenteraient 21,1 % du PIB en 2060 au lieu de 13,9 % 121 ( * ) . La seule indexation sur les prix représenterait 4,4 points de la différence.

Effet de l'indexation des pensions sur les prix sur les dépenses du système de retraites (scénario de croissance de la productivité de 1,3 %)
(en %)

Source : Conseil d'orientation des retraites, rapport annuel 2021,
Évolutions et perspectives des retraites en France, d'après l'Insee, 2014.

Ainsi, bien que les pensions de retraite augmentent en valeur absolue, le taux de remplacement, c'est-à-dire le rapport entre la pension moyenne par retraité et le revenu moyen par cotisant, diminue à mesure que la productivité augmente, puisque les revenus des actifs croissent alors plus fortement que les pensions des retraités .

Évolution de la pension moyenne de l'ensemble des retraités, relative au revenu d'activité moyen
(en % du revenu d'activité moyen brut)

Source : Conseil d'orientation des retraites, rapport annuel 2021,
Évolutions et perspectives des retraites en France.

(3) La dépendance du système de retraites à la productivité peut entrer en contradiction avec l'effort de transition écologique

Olivier Blanchard et Jean Tirole ont récemment rappelé qu'il résulte de ce mécanisme d'indexation que la soutenabilité financière du système français de retraites dépend en grande partie de la croissance de la productivité , déterminant essentiel de la croissance économique 122 ( * ) .

Le rapport Blanchard/Tirole sur les grands défis économiques

Dans un rapport remis au président de la République, Emmanuel Macron, le 23 juin 2021, une commission internationale présidée par les économistes Olivier Blanchard et Jean Tirole met en lumière l'une des principales limites du système français de retraites, qui réside dans sa sensibilité à la croissance de la productivité .

Soulignant que, selon le COR, dans l'hypothèse d'une croissance de la productivité de 1,3 %, la part des dépenses de retraite dans le PIB devrait diminuer à compter de 2030 pour atteindre 12,3 % en 2070 contre 14,7 % en 2021, la commission rappelle que cette prévision est « très optimiste », la croissance de la productivité depuis 2004 s'établissant à 0,66 % en moyenne .

Or, dans un tel système, « les économies sont générées par l'écart entre l'inflation et la hausse des salaires, c'est-à-dire la croissance de la productivité. Une inflation faible et une forte croissance de la productivité sont donc nécessaires pour réduire suffisamment les coûts et assurer ainsi la viabilité financière du système. Toutefois, l'écart entre l'évolution des prix et celle des salaires induit un écart de revenu entre les salariés et les retraités, qui augmente avec le temps passé à la retraite. Par conséquent, le recours à l'indexation sur les prix comme important levier d'économies rend le système de retraite français tributaire de l'évolution aléatoire des gains de productivité. En outre, ce choix oppose les retraités aux travailleurs : si ces derniers accueillent avec satisfaction les gains de productivité élevés qui s'accompagnent de hausses des salaires, les retraités voient en revanche leur niveau de vie relatif décroître lorsque la croissance de la productivité est élevée ».

La commission en conclut qu'« en fin de compte, l'abandon de l'indexation sur les salaires au profit de l'indexation sur les prix s'avère un piège dans la mesure où ce choix fait reposer les résultats financiers et sociaux du système de retraite sur les interactions entre inflation et productivité et non sur les fondamentaux démographiques ».

Elle préconise, pour y remédier, une réforme d'ampleur reposant sur l'instauration d'un système de retraites par points, un relèvement de l'âge d'ouverture des droits en fonction du vieillissement démographique, une indexation des pensions et des salaires portés au compte sur les salaires et un « facteur de soutenabilité » permettant d'atténuer la revalorisation opérée en cas de dégradation du rapport entre le nombre de retraités et le nombre de cotisants.

Évolution de la part des dépenses observées et projetées du système de retraites dans le PIB (en %)

Il va sans dire que la recherche inconditionnelle de la productivité et donc de la croissance économique dans le but d'améliorer la situation financière de l'assurance vieillesse fait fi des exigences de préservation de l'environnement et des ressources naturelles. De par ses principes mêmes, notre système de retraites ne tient donc pas compte de l'urgence écologique et ne peut s'inscrire dans un l'indispensable transition écologique.

2. Le ralentissement de la croissance économique qui devrait résulter du changement climatique menace la soutenabilité de la sécurité sociale
a) Le spectre d'un ralentissement économique et d'un accroissement des dépenses sociales plane sur le financement de la protection sociale
(1) Les finances sociales devraient d'abord pâtir de la transition démographique amorcée depuis les années 2000

Plusieurs facteurs semblent devoir remettre en cause la soutenabilité financière de notre système de protection sociale. Le premier de ces phénomènes est la transition démographique en cours , c'est-à-dire le vieillissement progressif de la population ou « papy-boom ».

Le « papy-boom »

Conséquence nécessaire du « baby-boom » (période de forte croissance de la natalité s'étalant de 1945 à 1960), de la chute du taux de natalité (passé de 2,85 enfants par femme en 1960 à 1,83 en 2021) et de l'allongement de l'espérance de vie, le « papy-boom » est un phénomène démographique traversé par les pays industrialisés se traduisant par une forte augmentation des effectifs de retraités .

Ainsi, d'après l'Insee 123 ( * ) , la part des personnes âgées d'au moins 65 ans dans la population française a augmenté de 4,7 points entre 2000 et 2020 (20,5 % de la population en 2020) et celle des personnes âgées d'au moins 75 ans de 2,4 points. Sur la même période, la part des personnes âgées de 20 à 59 ans a reculé de 4,4 points et celle des moins de 20 ans de 1,9 point.

Source : Rapport d'information fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale
de la commission des affaires sociales du Sénat sur les réserves des régimes de retraite
par Mme Monique Lubin et M. René-Paul Savary, sénateurs (n° 747, 2020-2021).

La mission d'information rappelle que la tendance démographique constitue, en particulier, un déterminant essentiel de l'équilibre financier du système de retraites.

De fait, sa dégradation structurelle, freinée par le relèvement de l'âge d'ouverture des droits de 60 à 62 ans en 2010, mais qui devrait reprendre son cours à court terme à législation constante, reflète largement celle du rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités, qui intervient dans le cadre du « papy-boom ». Celui-ci devrait ainsi diminuer de 1,7 à 1,6 entre 2020 et 2030 et tomber à moins de 1,3 d'ici 2070 .

Évolution du rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités

Source : Conseil d'orientation des retraites, rapport annuel 2021,
Évolutions et perspectives des retraites en France.

Par définition, un redressement de la courbe démographique entraînerait une amélioration progressive du solde du système de retraites. Or, ainsi que l'a noté Rémi Pellet, professeur de droit financier public à l'Université de Paris et à Sciences Po, la fixation d'un objectif de croissance démographique aux fins d'équilibrage du système de retraites constituerait un « non-sens écologique », dans la mesure où une telle évolution se traduirait nécessairement par une surconsommation des ressources naturelles, un surcroît de pollution et une augmentation des dépenses de santé 124 ( * ) .

En tout état de cause, il devrait résulter des évolutions démographiques en cours une diminution des ressources de la protection sociale , qui reposent pour plus de la moitié sur les cotisations issues du travail des actifs.

(2) L'exigence de sobriété qui caractérise la transition écologique influera nécessairement sur la croissance et les ressources de la protection sociale

Le lien entre croissance du PIB et émissions de CO2 n'est plus à démontrer. Éloi Laurent, économiste, chercheur à l'OFCE et professeur à Sciences Po et à l'université Stanford, rappelle qu'en l'état actuel des données disponibles, l'hypothèse selon laquelle croissance économique et protection de l'environnement seraient foncièrement compatibles est « clairement fausse » 125 ( * ) , car chaque unité supplémentaire de PIB fait augmenter les émissions de CO2 .

En effet, d'après les données 2018 du Global Carbon Project , bien que l'intensité carbone du PIB ait diminué de 650 grammes de CO2 par dollar à un peu plus de 300 entre 1970 et 2018, les émissions continuent de progresser en volume avec le PIB mondial . Si certains pays sont parvenus à préserver leur croissance tout en réduisant leurs émissions de gaz à effet de serre, « ces performances isolées s'effacent lorsque la comptabilité des émissions est réalisée à la seule échelle qui importe, c'est-à-dire au plan mondial, où les émissions de CO2 ont augmenté de l'ordre de 60 % depuis 1990 », dès lors que les délocalisations transfèrent les émissions des pays développés vers les pays en développement.

L'enjeu essentiel de la transition écologique réside donc dans l'identification d'une alternative à un modèle de croissance fondamentalement productiviste et polluant. Pour autant, au-delà de ses conséquences sociales indéniables, le renoncement à la croissance ne manquerait pas de susciter des problématiques majeures en termes de financement de la protection sociale , comme l'indique France Stratégie : « Concernant les prévisions de croissance, très peu prennent en compte l'exigence de sobriété alors que la pertinence du modèle de croissance actuel est aujourd'hui de plus en plus remise en cause. Même si les ressources financières de la protection sociale ne sont pas en voie de se tarir, à modèle productif donné, ne sont-elles pas tirées d'un mode de production qui épuise la planète ? Peut-on s'offrir près de 24 ans d'espérance de vie à la retraite, ou bien affecter 15 % de la population active aux soins, au secteur médico-social et à l'action sociale, sans recourir, dans les autres secteurs, à un mode de production ultra-productif qui repose sur l'exploitation de ressources non renouvelables ou qui dégrade l'environnement ? Demain, la protection sociale ne risque-t-elle pas de devoir faire face aux coûts croissants des mécanismes de compensation mis en place pour faciliter la transition écologique ou traiter les conséquences de la dégradation de l'environnement ? Cette concurrence des risques devra-t-elle se traduire par une concurrence des financements ou par une convergence des objectifs ? » 126 ( * ) .

Pour autant, toujours d'après France Stratégie, « aujourd'hui, les exercices de projection des dépenses sociales prennent très peu en compte cette éventualité et l'impact sur notre système de protection sociale est très peu anticipé ».

Pour autant, en matière de retraites, par exemple, une évolution récente est venue contredire ce constat. Le COR établit des prévisions de solde du système de retraites à horizon 2070. Celles-ci sont déclinées selon trois conventions comptables (EEC 127 ( * ) , TCC 128 ( * ) et EPR 129 ( * ) ), qui intègrent elles-mêmes quatre hypothèses de productivité de long terme, 1 %, 1,3 %, 1,5 % et 1,8 %. Les projections de solde varient sensiblement à la fois selon la convention retenue et selon la croissance envisagée de la productivité .

Solde observé et projeté du système de retraites selon la convention comptable et le taux de croissance de la productivité retenus (en % du PIB)

Source : Conseil d'orientation des retraites, rapport annuel 2021,
Évolutions et perspectives des retraites en France

Toutefois, lors de sa réunion du 17 décembre 2021, sur les conseils de plusieurs économistes, le COR a décidé de réviser à la baisse ses prévisions de productivité de long terme afin de tenir compte, notamment, du ralentissement du progrès technique, mais également des conséquences du changement climatique sur les trajectoires de croissance de la productivité.

Ainsi, pour le rapport annuel 2022, quatre cibles de productivité seront en retenues : 0,7 %, 1 %, 1,3 % et 1,6 %. Le scénario de 1 %, qui correspond environ à la croissance annuelle moyenne de la productivité depuis la fin de la crise de 2008, deviendra alors un scénario intermédiaire et non plus un scénario extrême. Or, en retenant cette hypothèse, le solde du système de retraites serait négatif dans deux scénarios sur trois .

(3) En parallèle, le réchauffement climatique devrait contribuer à la progression des dépenses de sécurité sociale

Dans le même temps, les phénomènes résultant du changement climatique, comme ceux qui le provoquent, notamment les pollutions, auront nécessairement des conséquences néfastes sur la santé des populations .

Au-delà même des crises globales, telles que la crise sanitaire que le monde traverse depuis 2020, l'enjeu essentiel réside dans ce que Géraud Guibert, président de la Fabrique Écologique, appelle « le danger des faibles doses » 130 ( * ) . En effet, il est établi qu'une exposition régulière aux polluants, même à des niveaux inférieurs aux seuils standards, présente des risques majeurs pour la santé.

Concernant la pollution de l'air, en particulier, diverses évaluations du coût socio-économique dû à la mortalité et à la morbidité engendrées ont été réalisées au cours des dernières années.

En rappelant que ces valeurs doivent être régulièrement actualisées, la commission d'enquête du Sénat sur le coût économique et financier de la pollution de l'air a dressé un panorama des différentes estimations réalisées par les organismes de référence en fonction des polluants étudiés, des types de coûts et des valeurs tutélaires retenus : « le coût social annuel de la pollution atmosphérique en France est estimé entre 20 et 30 milliards d'euros par le Commissariat général au développement durable (CGDD) 131 ( * ) , à 50 milliards d'euros par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) 132 ( * ) et entre 70 et 100 milliards d'euros par le programme « Clean air for Europe » mis en oeuvre par la Commission européenne 133 ( * ) . Quant au coût de la pollution de l'air intérieur, il a été évalué par l'Anses et l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (OQAI) 134 ( * ) , qui parviennent à un montant de près de 20 milliards d'euros par an » 135 ( * ) .

Au coût social du réchauffement climatique s'ajoutera celui du progrès technique , dont Rémi Pellet 136 ( * ) a rappelé qu'il entraînait des dépenses supplémentaires, car, en matière de santé, chaque innovation s'ajoute à la précédente sans s'y substituer, comme l'illustre le cas de l'imagerie médicale.

La soutenabilité financière de la sécurité sociale étant particulièrement précaire, il est à craindre que celle-ci subisse un « effet de ciseau » financier, soumise à la fois à la croissance progressive de ses charges et à l'amoindrissement prévisible de ses ressources .

Évolution du solde des régimes de base de sécurité sociale et du FSV entre 2002 et 2022 avant mesures nouvelles du PLFSS pour 2022

Source : Rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale, septembre 2021.

Ce scénario entraînerait sans doute de graves difficultés de financement , au sujet desquelles Rémi Pellet a alerté la mission d'information : « Il me semble que le mieux serait d'envisager le pire, c'est-à-dire une réduction de l'activité productive et une augmentation des dépenses sociales et de santé. Dans ces conditions, même si d'autres revenus que ceux du travail étaient mis plus à contribution qu'ils ne le sont aujourd'hui, ces recettes nouvelles ne suffiraient certainement pas à couvrir des dépenses de nature « catastrophique », de sorte qu'il faudrait sans doute recourir alors à l'emprunt, en attendant que les mesures de stabilisation soient conçues et fassent effet ».

Or, comme l'a montré la crise sanitaire, les marges de manoeuvre des pays les moins endettés, à l'instar de l'Allemagne, sont plus importantes lorsqu'il s'agit de faire face à des situations extraordinaires exigeant une augmentation exceptionnelle des dépenses publiques.

Il convient donc de renforcer la capacité d'intervention financière de l'État de manière raisonnable et raisonnée, tout en tenant compte de la nécessité de mieux doter l'hôpital public, qu'a démontré la crise sanitaire.

Proposition n° 16 : accroître les marges de manoeuvre financière de l'État face aux conséquences du changement climatique sur le solde de la sécurité sociale tout en tenant compte des besoins révélés par la crise sanitaire.

b) Pour autant, l'évaluation des conséquences du changement climatique sur la croissance économique demeure encore trop lacunaire
(1) Des estimations extrêmement variables, mais un consensus sur le caractère négatif de l'incidence du changement climatique sur le PIB

Il est apparu au cours de l'ensemble des auditions de la mission d'information que trop peu d'estimations des effets macroéconomiques de la transition écologique étaient disponibles et, en tout cas, extrêmement variables.

En effet, ainsi que le rappelle la direction générale du Trésor (DG Trésor), « les données historiques reliant l'activité économique et les conditions climatiques sont rares et de qualité variable, tandis que la multiplicité des impacts économiques et sociaux possibles et les rétroactions entre les différents pays et secteurs rendent incertain tout exercice de chiffrage précis » 137 ( * ) . Pour autant, « les différentes méthodes disponibles s'accordent toutefois pour conclure que l'impact du changement climatique sur le PIB mondial serait significativement négatif. L'incertitude sur ces estimations peut être considérée comme un autre facteur de risque : ce que nous savons du changement climatique nous laisse penser qu'une grande partie de ses effets nous échappe encore ».

Ainsi, sur la base du scénario central du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui prévoit une élévation des températures de 2,5 °C en 2050 et jusqu'à 5 °C en 2100 par rapport à la période préindustrielle, les différentes méthodes d'estimation aboutissent à un effet allant de 0 % à - 15 % du PIB en 2050 et de - 4 % à - 30 % du PIB en 2100 .

Synthèse des dommages causés par le changement climatique estimés par la littérature académique

Source : DG Trésor, Effets économiques du changement climatique,
Trésor-éco n° 262, juillet 2020.

Il y a près de dix ans, l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) de Sciences Po et le Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (Cired) soulignaient toutefois que « les différentes trajectoires de croissance démontrent un profil temporel similaire dans toutes les variantes considérées, faisant ainsi émerger quatre phases distinctes » 138 ( * ) :

- entre 2010 et 2030, une période de diminution de la croissance annuelle de l'ordre de 0,2 point dans le scénario moyen et même de 0,5 point dans le scénario le plus pessimiste , en raison de l'augmentation rapide du prix du carbone et donc des coûts de production, qui ralentirait la hausse du pouvoir d'achat ;

- entre 2030 et 2050, une période de rattrapage, caractérisée par une augmentation de la croissance annuelle de 0,1 point en moyenne qui résulterait de l'adaptation de trajectoires moins intensives en pétrole, dont le coût augmenterait sous l'effet de politiques de tarification du carbone ;

- entre 2050 et 2070, une nouvelle période de ralentissement de la croissance (- 0,1 point en moyenne annuelle) en liée au renchérissement du carbone après que l'ensemble des potentiels de réduction d'émissions de carbone à bas coût aient été exploités ;

- après 2070, une période marquée par l'annulation de l'effet du changement climatique sur la croissance en raison de l'adaptation de l'économie.

Écarts moyens de croissance entre le scénario « climat » et le scénario tendanciel
(en points de croissance annuelle)

2010-2030

2030-2050

2050-2070

2070-2100

2010-2100

- 0,2

0,1

- 0,1

0

- 0,1

Source : Iddri/Cired, Une société post-croissance pour le XXI e siècle.
Peut-on prospérer sans attendre le retour de la croissance ?, Study n° 08/13, novembre 2013.

Comme le notaient les auteurs de cette étude au sujet des perspectives de ralentissement, estimées entre - 0,2 et - 0,5 point de croissance annuelle sur la période 2010-2030, « c'est substantiel en période de croissance déjà faible ».

(2) Des conséquences probablement sous-estimées du fait d'une incertitude quant à l'ampleur du changement climatique

En tout état de cause, la DG Trésor considère que les risques sont vraisemblablement sous-estimés , à défaut, d'une part, de disposer d'exemples historiques permettant d'évaluer le coût d'une telle transition et, d'autre part, de quantifier les conséquences économiques du changement climatique : « Le changement climatique devrait entraîner une augmentation de la fréquence et de l'intensité des événements extrêmes, mais l'incertitude sur l'ampleur de ceux-ci, tout comme l'ampleur très différente de leurs effets en fonction de l'aménagement du territoire, rend l'estimation de leur coût difficile dans le contexte général ».

Pis encore, des réactions en chaîne difficilement prévisibles pourraient aggraver considérablement le phénomène : « L'existence de nombreux mécanismes non linéaires, à retard ou à seuil, dans les dynamiques physiques du climat, rend théoriquement possible l'existence de « points de basculement », c'est-à-dire de niveau de réchauffement dont le franchissement pourrait massivement accélérer, intensifier, ou rendre irréversible le changement climatique. Parmi ces points, on peut citer la fonte des glaces du Groenland, de l'Arctique et l'Antarctique, la fonte du permafrost, la baisse de la circulation de certains courants marins dans l'Atlantique, le dépérissement des puits de carbone des forêts boréales canadiennes et de l'Amazonie, etc. Dans la mesure où les points de bascule ont une probabilité d'occurrence qui augmente avec le niveau de réchauffement et qu'ils rétroagissent en partie les uns sur les autres, certaines études estiment que des scénarios de réactions en chaîne, entraînant un réchauffement accéléré, sont possibles » .

Du fait de la sensibilité du secteur agricole au changement climatique, les pays d'Afrique, d'Amérique centrale et d'Asie du Sud et du Sud-Est, où les températures sont les plus élevées, devraient être les principales victimes des conséquences économiques du réchauffement planétaire. À l'inverse, ce phénomène pourrait être plus favorable aux zones septentrionales. Pour autant, ces dernières pâtiraient inévitablement des difficultés des pays du Sud, notamment du fait de leur effet sur le commerce international.

L'économie française, quant à elle, figure parmi celles sur lesquelles l'incidence du réchauffement climatique est incertaine , compte tenu de son climat tempéré.

Effet à court terme du réchauffement climatique local sur le taux de croissance du PIB

Source : DG Trésor, Effets économiques du changement climatique, Trésor-éco n° 262, juillet 2020.

Dès lors, pour reprendre les mots de Rémi Pellet, « le mieux serait d'envisager le pire » 139 ( * ) pour adapter aux mutations à venir les politiques climatiques, dont dépendra largement la santé économique des nations au cours des décennies à venir.

Proposition n° 17 : affiner l'évaluation des conséquences du changement climatique sur la croissance économique et le financement de la protection sociale afin de mieux orienter les politiques publiques.

3. Les assureurs sont tout particulièrement exposés aux risques environnementaux
a) La maîtrise par les assureurs de l'exposition de leur portefeuille de titres aux risques environnementaux est devenue un enjeu majeur
(1) Les trois dimensions du risque de changement climatique affectent l'actif du bilan des assureurs

L'assurance privée diffère de la sécurité sociale en ce que cette dernière prélève des cotisations en fonction des ressources dont dispose l'assuré, dans une logique de solidarité nationale, tandis que la première pratique une tarification liée au niveau de risque .

Il n'en demeure pas moins que les assureurs sont directement impliqués dans la protection des individus et de leurs biens contre les conséquences du changement climatique. En effet, en souscrivant un contrat d'assurance, l'assuré transfère un risque à l'assureur en contrepartie d'une cotisation, la prime. L'assureur mutualise ainsi le risque entre les assurés et investit le revenu tiré de leurs cotisations dans des placements financiers, qui lui permettent de dégager les profits nécessaires à la couverture des dommages lorsque le risque se réalise.

C'est donc d'abord au titre de leur actif, qui correspond à la partie de leur bilan qui regroupe les éléments de leur patrimoine, que les organismes d'assurance sont exposés au risque de changement climatique . Celui-ci est décliné par l'Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR) 140 ( * ) , organe de supervision des secteurs de la banque et de l'assurance intégré à la Banque de France, en trois dimensions 141 ( * ) :

- les « risques physiques » , qui résultent des dommages directement causés par les phénomènes météorologiques et climatiques ;

- les « risques de transition » , qui résultent des ajustements effectués en vue d'une transition vers une économie bas-carbone, en particulier lorsque ceux-ci sont mal anticipés ou interviennent brutalement ;

- les « risques de responsabilité » , qui correspondent à des risques juridiques et de réputation liés aux conséquences financières des demandes de compensation de la part de ceux qui subissent des dommages dus au changement climatique.

Types de risques identifiés par les assureurs interrogés par l'ACPR

Source : ACPR, Les assureurs français face au risque de changement climatique,
Analyses et synthèses n° 102, 2019.

En matière d'actif, le secteur de l'assurance est affecté par ces trois catégories de risques, au travers, par exemple :

- de la dépréciation des titres détenus par les assureurs et émis par des entités frappées par des événements climatiques (risque physique) ;

- de leur dépréciation du fait d'évolutions réglementaires pénalisant ou interdisant certaines activités ayant une incidence sur l'environnement (risque de transition) ;

- des conséquences en termes de réputation d'un portefeuille d'investissement trop orienté vers le financement d'activités polluantes (risque de responsabilité).

D'après l'ACPR, les assureurs français détenaient, à fin 2017, 2 628 milliards d'euros de placements, dont 10 %, soit 250 milliards, étaient investis dans des secteurs sensibles au risque de transition en ce qu'ils produisent ou consomment des énergies fossiles, de l'électricité ou du gaz.

55 % des actifs détenus par les assureurs français sont situés en France, tandis que les autres sont localisés dans l'Espace économique européen (EEE) et dans les pays membres de l'OCDE. Moins de 1 % d'entre eux sont, à l'inverse, issus de pays « présentant un risque physique qualifiable de moyen ou de fort » .

Degré d'exposition des assureurs français aux actifs étrangers

Source : ACPR, Les assureurs français face au risque de changement climatique,
Analyses et synthèses n° 102, 2019.

La mesure par le secteur de l'assurance du risque climatique à l'actif semble satisfaisante. 94 % des assureurs ayant répondu à l'enquête menée par l'ACPR en 2019 142 ( * ) « affirment connaître l'empreinte carbone sur tout ou partie de leur portefeuille d'actifs », tandis que 80 % d'entre eux « déclarent être capables d'identifier et de mesurer leurs expositions aux risques liés au changement climatique à l'actif ».

La mesure de ces risques repose essentiellement sur la notation ESG 143 ( * ) , l'identification analytique des secteurs ou des zones géographiques les plus exposés et l'évaluation de l'intensité carbone du portefeuille de titres 144 ( * ) .

Outils de mesure de la matérialité des risques climatiques à l'actif

Source : ACPR, Les assureurs français face au risque de changement climatique,
Analyses et synthèses n° 102, 2019.

La limitation des effets du changement climatique sur l'actif des assureurs passe, quant à elle, par la mise en place d'un suivi spécifique, d'une politique sectorielle visant à limiter l'investissement dans les secteurs polluants ou encore d'une politique de sensibilisation aux enjeux climatiques dans les équipes opérationnelles chargées des investissements.

Mesures prises pour contenir les risques identifiés à l'actif

Source : ACPR, Les assureurs français face au risque de changement climatique,
Analyses et synthèses n° 102, 2019.

(2) La nécessaire transparence de la politique d'investissement et le renforcement des effectifs dédiés à la gestion du risque climatique

À la suite de l'adoption de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte 145 ( * ) en 2015, les gestionnaires d'actifs, dont les organismes d'assurance, ont été tenus de fournir, sur leur site internet, un certain nombre d' informations relatives à leur politique d'investissement et à la gestion des risques au regard des critères ESG 146 ( * ) .

Depuis l'adoption de la loi énergie-climat 147 ( * ) en 2019, ces informations doivent notamment porter sur « les risques associés au changement climatique ainsi que sur les risques liés à la biodiversité » 148 ( * ) . Par ailleurs, les assureurs doivent publier un document retraçant leur politique sur la prise en compte dans leur stratégie d'investissement des critères ESG et des moyens mis en oeuvre pour contribuer à la transition énergétique et écologique, ainsi qu'une stratégie de mise en oeuvre de cette politique. Ce document doit inclure des informations concernant « le niveau d'investissements en faveur du climat et la contribution au respect de l'objectif international de limitation du réchauffement climatique 149 ( * ) et à l'atteinte des objectifs de la transition écologique et énergétique ».

L'ACPR relève toutefois un certain nombre de pistes de progrès, incluant notamment l'adaptation du système de gouvernance des organismes d'assurance dans le but de formaliser le rôle et la responsabilité des instances dirigeantes dans la surveillance des risques liés au changement climatique , le renforcement de la lisibilité et de la compréhensibilité des rapports publiés en application des dispositions législatives et réglementaires imposant une obligation de publication d'informations relatives aux investissements, ainsi que l'utilisation de métriques permettant d'appréhender réellement le risque de changement climatique , au travers de scénarios d'évolution et d'une définition précise des actifs « verts ».

À ce dernier égard, à l'initiative de la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne ont adopté, en juin 2020, un règlement établissant une « taxonomie verte » 150 ( * ) , permettra d'évaluer la conformité des politiques d'investissement des gestionnaires de portefeuilles à l'effort de transition écologique.

La taxonomie verte européenne

Aux termes de la taxonomie adoptée par le Parlement européen et le Conseil, une activité économique est considérée comme durable sur le plan environnemental :

- si elle contribue substantiellement à un ou plusieurs des objectifs environnementaux parmi l'atténuation du changement climatique, l'adaptation au changement climatique, l'utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines, la transition vers une économie circulaire, la prévention et la réduction de la pollution et la protection et la restauration de la biodiversité ;

- si elle ne cause de préjudice important à aucun de ces objectifs ;

- si elle est exercée dans le respect de garanties minimales 151 ( * ) ;

- et si elle est conforme aux critères d'examen technique établis par la Commission européenne 152 ( * ) .

Sont considérées comme apportant une contribution substantielle à l'atténuation du changement climatique :

- les « activités transitoires » , pour lesquelles il n'existe pas de solution de remplacement sobre en carbone réalisable sur le plan technologique et économique, pour autant qu'elles favorisent la transition vers une économie neutre pour le climat compatible avec un profil d'évolution visant à limiter l'augmentation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, qu'elles présentent des niveaux d'émission de gaz à effet de serre qui correspondent aux meilleures performances du secteur ou de l'industrie, qu'elles n'entravent pas le développement ni le déploiement de solutions de remplacement sobres en carbone et qu'elles n'entraînent pas un verrouillage des actifs à forte intensité de carbone, compte tenu de la durée de vie économique de ces actifs ;

- et les « activités habilitantes » , qui permettent directement à d'autres activités d'apporter une contribution substantielle à l'un ou plusieurs des objectifs environnementaux, pour autant qu'elles n'entraînent pas un verrouillage dans des actifs qui compromettent des objectifs environnementaux à long terme, compte tenu de la durée de vie économique de ces actifs, et qu'elles aient un impact environnemental positif significatif sur la base de considérations relatives au cycle de vie.

Le 2 février 2022, la Commission européenne a adopté en principe un acte délégué permettant l'inclusion des investissements dans le gaz et le nucléaire dans la taxonomie , à condition :

- dans le cas du gaz, que la centrale concernée émette moins de 100 grammes de CO 2 par kilowattheure ou 270 grammes pour les centrales ayant obtenu leur permis de construire avant 2030 sous certaines conditions ;

- dans le cas du nucléaire, que la centrale concernée ait obtenu son permis de construire avant 2045 et que des garanties soient apportées concernant le traitement des déchets et le démantèlement des installations.

En 2021, un acte délégué de la Commission européenne a précisé les informations que doivent publier les sociétés financières sur la part de leur chiffre d'affaires, de leurs dépenses d'investissement et de leurs dépenses d'exploitation qui est liée à des actifs ou à des processus associés à des activités économiques durables 153 ( * ) . Ces dispositions s'appliqueront pleinement d'ici au 1 er janvier 2024.

Dans ce contexte, la mission d'information ne saurait trop inviter les organismes d'assurance à accroître la part de leurs portefeuilles d'actifs investie dans des actifs verts, dans leur propre intérêt .

Sur un autre plan, l'enquête menée par l'ACPR a permis de constater que « 36 % des assureurs déclarent ne pas disposer d'effectifs spécifiquement dédiés à la gestion des risques liés au changement climatique ».

Effectifs dédiés à la gestion des risques liés au changement climatique

Source : ACPR, Les assureurs français face au risque de changement climatique,
Analyses et synthèses n° 102, 2019.

Compte tenu de la progression passée et à venir du nombre et du coût des catastrophes naturelles, il semble nécessaire à la mission d'information d'inciter les organismes d'assurance à étoffer leurs équipes chargées du suivi de ce type particulier de risques .

Proposition n° 18 : inciter les organismes d'assurance à augmenter les moyens qu'ils consacrent à l'effort de transition écologique et à la maîtrise des risques environnementaux.

b) Face au changement climatique, la question de l'assurabilité de certains risques liés à l'environnement se pose légitimement
(1) Le passif des assureurs est directement exposé aux risques climatiques

La montée des périls environnementaux a également une incidence sur le passif des organismes d'assurance , c'est-à-dire sur la partie de leur bilan qui regroupe leurs dettes à l'égard des tiers. En effet, les assureurs pâtiraient directement d'une aggravation du changement climatique, dont ils prennent en charge la réparation des conséquences matérielles pour leurs assurés.

En dehors des assurances-vie, l'ACPR identifie quatre catégories de risques comme étant tout particulièrement exposées aux bouleversements environnementaux :

- les dommages aux biens particuliers, professionnels et agricoles ;

- les catastrophes naturelles ;

- les transports et la construction ;

- la responsabilité civile d'entreprises considérées comme dangereuses pour l'environnement ou polluantes.

Comme leur actif, le passif des assureurs est donc affecté par les trois dimensions du risque de changement climatique définies par l'ACPR, à savoir :

- les risques physiques, en cas d'augmentation de la fréquence et du coût des sinistres à réparer ;

- les risques de transition, par exemple dans le cas de pertes de contrats d'assurance dues à la fin de certaines activités jugées trop polluantes ;

- les risques de responsabilité résultant des demandes de prise en charge des dommages dus au changement climatique dans le cadre d'assurances professionnelles.

Près de 83 % des assureurs ont déclaré à l'ACPR « être en mesure d'identifier et de mesurer leurs expositions aux risques liés au changement climatique au passif, principalement par la localisation géographique des entreprises et personnes assurées ». Pour mesurer la matérialité de ces risques sur leur passif, la quasi-totalité des assureurs recourt à des scénarios climatiques sur cinq à dix ans.

Outils de mesure de la matérialité des risques climatiques au passif

Source : ACPR, Les assureurs français face au risque de changement climatique,
Analyses et synthèses n° 102, 2019.

Face à ces risques, les assureurs recourent à un large ensemble de mesures, parmi lesquelles figurent notamment la mise en place de politiques géographiques, l'ajustement de la tarification, le non-renouvellement des polices pour les clients ou les secteurs à risque et la mise en place d'un suivi spécifique.

Mesures prises par les assureurs pour contenir les risques identifiés au passif

Source : ACPR, Les assureurs français face au risque de changement climatique,
Analyses et synthèses n° 102, 201.

(2) Les pouvoirs publics sont mobilisés pour garantir l'assurabilité des risques liés au changement climatique

Dans ce contexte, c'est l'assurabilité des risques de changement climatique elle-même qui est remise en cause par l'accroissement de leur fréquence et de leur coût, comme en témoignent certaines des mesures mises en oeuvre par les assureurs eux-mêmes, à l'instar du non-renouvellement des polices pour les clients ou les secteurs à risque.

En effet, par définition, un risque est incertain et ne concerne qu'une partie de la population. Comme l'a relevé Magali Reghezza-Zitt, membre du Haut Conseil pour le climat, une menace qui ne serait plus incertaine et planerait sur l'ensemble de la population ne constituerait donc plus un risque, mais une charge, qui ne serait plus rentable financièrement 154 ( * ) . Dès lors, il serait logique que les assureurs abandonnent progressivement les secteurs concernés.

Afin d'éviter un tel écueil, le Parlement a récemment examiné et adopté plusieurs textes législatifs modernisant des régimes d'indemnisation ou des systèmes d'assurance, de façon à en assurer la soutenabilité et à améliorer la couverture des risques pour les assurés.

Ce fut notamment le cas fin 2021 du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, qui n'était plus adapté aux exigences de couverture des risques liés à l'accélération du changement climatique.

La réforme du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles

Institué par la loi en 1982 155 ( * ) , le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles (« CatNat ») fournit aux assurés ayant souscrit un contrat d'assurance de dommages une garantie contre les risques liés aux catastrophes naturelles, inassurables par définition .

Dans ce cadre, sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles « les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises » 156 ( * ) .

L'indemnisation est versée à condition que le maire formule une demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle , qu'un arrêté interministériel de catastrophe naturel soit publié au Journal officiel et que les biens de l'assuré soient garantis en assurance de dommages.

La loi habilite la caisse centrale de réassurance (CCR), entreprise détenue à 100 % par l'État, à pratiquer les opérations de réassurance des risques résultant de catastrophes naturelles, avec la garantie de l'État 157 ( * ) . Elle n'a toutefois pas le monopole de la réassurance en la matière.

À travers la CCR, c'est donc l'État qui assure la solvabilité du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles.

En 2019, compte tenu des importants dommages subis par l'île de Saint-Martin en 2017 lors du passage de l'ouragan Irma et par plusieurs communes du sud de la France en 2019 du fait d'inondations à répétition, une mission d'information relative à la gestion des risques climatiques et à l'évolution de nos régimes d'indemnisation a été constituée au Sénat. Celle-ci a appelé à une modernisation du régime des catastrophes naturelles, de façon à intégrer leur fréquence de plus en plus élevée et à garantir aux assurés une juste indemnisation 158 ( * ) .

Une proposition de loi visant à réformer le régime des catastrophes naturelles a par la suite été déposée sur le bureau du Sénat par Mme Nicole Bonnefoy et plusieurs de ses collègues, avant d'être adoptée par le Sénat le 15 janvier 2020. Toutefois, ce texte n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Le 14 décembre 2020, M. Stéphane Baudu, Mme Marguerite Deprez-Audebert et plusieurs de leurs collègues députés ont déposé une proposition de loi visant à définir les dispositions préalables à une réforme de l'indemnisation des catastrophes naturelles. Après avoir été amélioré par le Sénat, ce texte a été définitivement adopté le 16 décembre 2021.

La loi qui en a résulté 159 ( * ) apporte au régime d'indemnisation plusieurs modifications substantielles. La transparence de la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle est d'abord renforcée par :

- l'inscription dans la loi de la commission interministérielle de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, chargée d'émettre un avis sur les demandes dont elle est saisie par les ministres concernés et qui devra publier un rapport annuel présentant un bilan synthétique des avis rendus et un état des référentiels retenus pour apprécier l'intensité anormale des agents naturels 160 ( * ) ;

- la création d'une commission nationale consultative des catastrophes naturelles, à laquelle participeront des élus locaux et des associations de sinistrés et qui sera chargée de rendre un avis annuel sur la pertinence des critères retenus pour prononcer l'état de catastrophe naturelle et sur les conditions d'indemnisation des sinistrés 161 ( * ) ;

- l'obligation de motivation de l'arrêté interministériel de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, qui devra mentionner les voies et délais de recours et les règles de communication des documents administratifs 162 ( * ) .

D'autre part, le texte améliore l'information des élus locaux et des sinistrés en prévoyant la nomination d'un référent à la gestion des catastrophes naturelles et à leur indemnisation auprès du préfet du département chargé d'accompagner les communes dans leurs démarches et de faciliter les échanges entre les collectivités, les services de l'État et les représentants des assureurs 163 ( * ) .

En outre, le délai de dépôt d'un dossier de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle par les communes a été allongé de 18 à 24 mois après la survenance de l'événement , tandis que le délai de publication au Journal officiel de l'arrêté de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle était porté de trois à deux mois à compter du dépôt de la demande 164 ( * ) .

L'assureur dispose désormais d'un délai d'un mois à compter de la réception de la déclaration du sinistre ou de la date de publication de l'arrêté, si celle-ci est postérieure, pour informer l'assuré des modalités de mise en jeu des garanties prévues au contrat et pour ordonner une expertise s'il le juge nécessaire 165 ( * ) . Il doit ensuite formuler une proposition d'indemnisation ou de réparation en nature dans un délai d'un mois à compter soit de la réception de l'état estimatif transmis par l'assuré en l'absence d'expertise, soit de la réception du rapport d'expertise. À compter de la réception de l'accord de l'assuré, il dispose d'un délai d'un mois pour missionner l'entreprise de réparation ou d'un délai de 21 jours pour verser l'indemnisation.

Enfin, la loi modifie les conditions d'indemnisation des sinistrés et la prévention des risques :

- les « frais de relogement d'urgence des personnes sinistrées dont la résidence principale est rendue impropre à l'habitation pour des raisons de sécurité, de salubrité ou d'hygiène qui résultent de ces dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel » sont désormais couverts par la garantie 166 ( * ) , au même titre que les « frais d'architecte et de maîtrise d'ouvrage associés à [la] remise en état » des constructions affectées 167 ( * ) ;

- un assuré s'étant vu refuser par une entreprise d'assurance la souscription d'un contrat en raison de l'importance du risque de catastrophes naturelles auquel il est soumis pourra saisir le bureau central de tarification, qui imposera à l'assureur la souscription de ce contrat 168 ( * ) ;

- aucune modulation de franchise à la charge des assurés ne peut plus être appliquée en raison de l'absence d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles dans la commune concernée 169 ( * ) ;

- les indemnisations dues à l'assuré au titre des sinistres liés aux mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse-réhydratation des sols doivent désormais couvrir les travaux permettant un arrêt des désordres consécutifs à l'événement 170 ( * ) ;

- les actions dérivant d'un contrat d'assurance relatives à des dommages résultant de mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse-réhydratation des sols reconnus comme une catastrophe naturelle sont prescrites par cinq ans au lieu de deux 171 ( * ) .

D'autre part, la loi du 2 mars 2022 a rénové le système d'assurance récolte afin d'améliorer l'indemnisation des agriculteurs affectés par les risques climatiques.

La réforme de l'assurance récolte

Les agriculteurs subissant des pertes de récoltes disposent de deux régimes d'assurance : le régime des calamités agricoles et l'assurance multirisque climatique des récoltes .

Le régime des calamités agricoles permet à tout exploitant agricole de bénéficier d'une indemnisation des « dommages résultant de risques, autres que ceux considérés comme assurables (...) , d'importance exceptionnelle dus à des variations anormales d'intensité d'un agent naturel climatique, lorsque les moyens techniques de lutte préventive ou curative employés habituellement dans l'agriculture, compte tenu des modes de production considérés, n'ont pu être utilisés ou se sont révélés insuffisants ou inopérants » 172 ( * ) .

Le Fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGRA) est chargé d'indemniser les dommages couverts 173 ( * ) . Ses ressources sont constituées de contributions additionnelles des exploitants agricoles sur certaines conventions d'assurance et d'une subvention inscrite au budget de l'État 174 ( * ) .

L'assurance multirisque climatique des récoltes permet, quant à elle, de bénéficier d'une couverture de l'ensemble des risques climatiques individualisée en fonction des besoins de l'exploitation. Via le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), l'État finance jusqu'à 65 % du montant de la cotisation correspondant au premier niveau de garantie et jusqu'à 45 % du montant de la cotisation correspondant au second niveau .

Ces deux régimes présentent toutefois des limites majeures. Ainsi, les pertes de récoltes sur céréales, oléagineux, protéagineux et plantes industrielles, ainsi que leurs semences, les pertes de récoltes sur vignes, les pertes de récoltes dues à la grêle et au vent ou encore l'ensemble des risques climatiques sur les bâtiments ne sont pas éligibles à une indemnisation dans le cadre du régime des calamités agricoles , ce qui a notamment contraint le Gouvernement à prendre un décret afin de permettre l'application de ce régime aux dommages causés sur les récoltes par une vague de gel en avril 2021 175 ( * ) . En outre, l'indemnisation est versée trop tardivement après la survenue des pertes, parfois jusqu'à deux ans plus tard. L'assurance récolte, pour sa part, ne couvrait en 2020 que 18 % de la surface agricole totale de la France et moins de 20 % des agriculteurs .

La soutenabilité d'un tel système était donc remise en question dans un contexte d'accélération du changement climatique caractérisé par le doublement du coût des dommages subis par les exploitations agricoles entre la période 2010-2015 et la période 2015-2020 .

Le 24 février 2022, le Sénat a définitivement adopté un projet de loi d'orientation relatif à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture.

La loi 176 ( * ) prévoit l'instauration d'un régime universel d'indemnisation des pertes de récoltes résultant d'aléas climatiques à compter du 1 er janvier 2023. Celui-ci reposera sur trois étages de couverture des risques :

- un premier étage concernant les risques de faible intensité, dont la prise en charge revient à l'exploitant ;

- un deuxième étage ciblant les risques d'intensité moyenne, absorbé par l'assurance multirisque climatique agricole, subventionnée par l'État, dans le cadre d'une mutualisation des risques entre les territoires et les filières ;

- un troisième étage portant sur les risques catastrophiques, bénéficiant d'une garantie directe de l'État par l'intermédiaire du FNGRA . Les exploitants n'ayant pas souscrit d'assurance récolte ne pourront toutefois bénéficier que de 50 % au maximum de l'indemnisation qui serait perçue en moyenne pour les mêmes pertes et cultures si celles-ci avaient été assurées. Pour les exploitants assurés, l'indemnisation sera versée en complément de celle perçue au titre de leur contrat d'assurance pour les mêmes pertes, l'assureur pouvant verser l'indemnisation de l'État pour le compte de ce dernier en même temps que l'indemnisation versée au titre de l'assurance afin de garantir la rapidité de l'indemnisation.

Structure du futur régime universel d'indemnisation des pertes de récoltes résultant d'aléas climatiques

Source : Étude d'impact du projet de loi portant réforme
des outils de gestion des risques climatiques en agriculture

D'autre part, le Sénat a obtenu, en l'inscrivant dans un rapport annexé à la loi, que le niveau de la subvention publique des contrats d'assurance récolte soit porté de 65 % à 70 % , que le seuil de pertes à partir duquel les contrats sont éligibles à la subvention soit abaissé de 30 % à 20 % et que l'État intervienne dès 30 % de pertes pour les cultures pour lesquelles les offres assurantielles sont peu développées .

Le texte reprend enfin l'engagement du Gouvernement de passer, en matière d'indemnisation publique des pertes, d'un budget de 300 millions d'euros à un budget de 600 millions d'euros au cours de la période 2023-2030 et fixe des objectifs relatifs au pourcentage des surfaces agricoles assurées par le biais d'un contrat d'assurance récolte subventionné au regard des surfaces totales à horizon 2030.

Pourcentage des surfaces assurées par un contrat d'assurance multirisque climatique par production en 2020 et objectifs fixés pour 2030

Source : Rapport annexé à la loi n° 2022-298 du 2 mars 2022 d'orientation relative
à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture
et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture.

Au-delà de la seule indemnisation des dommages subis, il convient de soutenir des mesures de prévention des risques de façon à assurer autant que faire se peut la sécurité des récoltes et la soutenabilité financière du régime d'indemnisation des pertes. Il serait donc pertinent d'inciter davantage les exploitants à diversifier leurs cultures et à développer des pratiques respectueuses de l'environnement, dans la droite ligne de l'objectif de « développer des dispositifs de prévention et de protection adaptés à toutes les cultures » fixé à l'initiative du Sénat dans la loi du 2 mars 2022 relative à l'assurance récolte 177 ( * ) .

Plus largement, des mesures de prévention des risques et de protection des personnes et des biens qui y sont exposés sont d'ores et déjà mises en oeuvre par les pouvoirs publics au travers du fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), également appelé « fonds Barnier » .

Le « fonds Barnier »

Créé en 1995 178 ( * ) , le FPRNM est chargé de soutenir des mesures de prévention des risques naturels . À ce titre, il lui revient notamment de financer les indemnités allouées en contrepartie des expropriations de biens exposés à « un risque prévisible de mouvements de terrain, ou d'affaissements de terrain dus à une cavité souterraine, d'avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marine (qui) menace gravement des vies humaines » 179 ( * ) , ainsi que les dépenses liées à la limitation de l'accès et à la remise en état des terrains accueillant les biens exposés 180 ( * ) .

Le fonds est également chargé de missions facultatives tendant, entre autres, à :

- contribuer à l'acquisition amiable d'un bien assuré et exposé à des risques naturels ou à l'acquisition d'un bien sinistré à plus de la moitié de sa valeur et indemnisé dans le cadre du régime des catastrophes naturelles ;

- financer les dépenses de relogement des personnes exposées à des risques naturels ;

- contribuer au financement des études et actions de prévention des risques naturels majeurs dont les collectivités territoriales ou leurs groupements assurent la maîtrise d'ouvrage dans les communes couvertes par un plan de prévention des risques naturels prévisibles ;

- contribuer aux opérations de reconnaissance et travaux de comblement des cavités souterraines menaçant gravement les vies humaines ;

- contribuer à la prise en charge des études et travaux de prévention rendus obligatoires par un plan de prévention des risques naturels prévisibles ;

- prendre en charge les études menées pour le compte de l'État pour l'évaluation des risques naturels et les mesures de prévention à mener pour prévenir ces risques ainsi que l'élaboration des plans de prévention des risques naturels prévisibles.

Répartition de l'intervention du FPRNM par type de risque de 2018 à 2020

Source : Rapport général fait au nom de la commission des finances du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2022 par M. Jean-François Husson, rapporteur général, sénateur (n° 163, 2012-2022)

Le FPRNM était financé, jusqu'en 2021, par un prélèvement obligatoire de 12 % sur la prime payée par les assurés au titre de la garantie contre les catastrophes naturelles. Dans ce cadre, seuls 65 % de ses recettes lui étaient effectivement reversés, le reste étant reversé au budget de l'État.

La loi de finances pour 2021 a donc intégré le budget du fonds au programme 181 « Prévention des risques » au budget général de l'État , tandis que le prélèvement qui lui était affecté a été remplacé par un prélèvement annuel d'un taux identique au profit du budget général 181 ( * ) . Les ressources du FPRNM ont donc progressé de 131,5 à 205 millions d'euros entre 2020 et 2021 et s'établiraient, aux termes de la loi de finances pour 2022 182 ( * ) , à 235 millions d'euros en 2022 .

B. MIEUX INTÉGRER LA PRISE EN COMPTE DES RISQUES CLIMATIQUES DANS NOTRE MODÈLE DE PROTECTION SOCIALE

1. Élever le risque environnemental au rang de risque social
a) Deux objectifs : remédier à l'inassurabilité des événements climatiques par la solidarité nationale et garantir l'acceptabilité sociale de la transition écologique
(1) L'extension de la protection sociale aux risques environnementaux permettrait de répartir leur coût entre les assurés sociaux

Eu égard à l'importance capitale des effets du changement climatique sur notre système de sécurité sociale, il est nécessaire de nous interroger sur les moyens de faire évoluer ce dernier de façon à prendre pleinement en compte l'influence de l'environnement sur le bien-être des populations .

La question de l'assurabilité de risques environnementaux croissant en intensité, en fréquence et en coût ne saurait être contournée. Les récentes évolutions législatives concernant l'assurance récolte et le régime des catastrophes naturelles témoignent de l'inadaptation de nos mécanismes d'assurance à la montée des périls climatiques .

Éloi Laurent rappelle ainsi que, d'après la Mission des sociétés d'assurances pour la connaissance et la prévention des risques naturels, les catastrophes naturelles sont inassurables , dans la mesure où :

- leur gravité est extrêmement variable, rendant impossible l'évaluation ex ante de leur coût ;

- leur caractère aléatoire n'est pas absolu, dès lors qu'elles sont de plus en plus provoquées par l'activité humaine ;

- leur fréquence est plus importante dans certaines régions que d'autres, ce qui ne permet pas de répartir la charge du coût d'assurance correspondant de manière homogène sur l'ensemble de la population 183 ( * ) .

À ces constats doit être ajoutée la croissance exponentielle du coût des catastrophes naturelles. En effet, d'après France Assureurs, leur coût cumulé devrait atteindre, en France, en 2040, 92 milliards d'euros, en augmentation de 44 milliards par rapport à 2015 (+ 90 %) .

Près de la moitié de cette progression (19 milliards d'euros) serait liée à l'enrichissement du pays, qui se traduit par une plus grande concentration d'entreprises et de logements et donc par une aggravation des dommages causés par les catastrophes naturelles. 8 milliards d'euros de dégâts seraient, pour leur part, liés aux conséquences de la répartition géographique de l'enrichissement sur la vulnérabilité aux aléas naturels 184 ( * ) , tandis que la variation naturelle du climat causerait au total 4 milliards d'euros de dommages. Enfin, le changement climatique serait responsable de près de 30 % de l'augmentation des dégâts, soit 13 milliards d'euros.

Dégâts cumulés causés par les catastrophes naturelles entre 2015 et 2040

(en milliards d'euros)

Source : France Assureurs (ex-Fédération française de l'assurance),
Impact du changement climatique sur l'assurance à l'horizon 2040, 2015

Il reviendra donc probablement à la collectivité de prendre en charge le risque lié à la vulnérabilité face aux événements climatiques .

Du reste, une telle évolution se justifie par la nature-même de la protection sociale à mesure que les risques climatiques deviennent mesurables. Éloi Laurent rappelle à cet effet que « la protection sociale vise à transformer l'incertitude en risque pour mutualiser et réduire celui-ci et ainsi atténuer l'inégalité sociale » 185 ( * ) . Or, « les avancées scientifiques dans la connaissance des crises écologiques nous rapprochent du moment où, comme pour les phénomènes sociaux de la fin du XIX e siècle, et de l'après-guerre, la responsabilité collective va se substituer à la fatalité, l'incertitude environnementale laissant la place au risque social-écologique ».

Il est donc légitime que les risques environnementaux soient désormais regardés comme des risques sociaux , au même titre que la maladie, la vieillesse, la famille, les accidents du travail et les maladies professionnelles ou la perte d'autonomie.

La mutualisation des risques environnementaux au sein de la sécurité sociale permettra, en reconnaissant la responsabilité collective de la communauté nationale dans l'accélération du changement climatique, de répartir son coût entre l'ensemble des assurés sociaux, sans faire peser sur une catégorie d'assurés plus exposée que les autres une charge excessive en lien direct avec son degré d'exposition. En somme, pour reprendre les termes d'Éloi Laurent, « il ne s'agit pas tant d'assurer des accidents individuels que de produire de la sécurité collective ».

Dans une telle logique, la sécurité sociale, historiquement dédiée à la prise en charge des risques auxquels sont exposés les individus, serait amenée à changer de dimension en assumant certains risques pesant sur les biens , notamment, comme l'évoque Géraud Guibert, les catastrophes naturelles et les pertes de récoltes 186 ( * ) .

(2) La sécurité sociale écologique doit garantir une protection aux plus vulnérables

Parmi les principaux risques liés aux politiques visant à favoriser la transition écologique, France Stratégie mentionne la réduction du pouvoir d'achat associée au ralentissement de la croissance économique et, partant, la contraction de la consommation 187 ( * ) .

L'Organisation internationale du Travail (OIT) évoque, pour sa part, des effets similaires découlant de l'accroissement du besoin de financement du système de protection sociale : « Le besoin de systèmes de protection sociale complets et intégrés est aussi appelé à augmenter en raison des effets néfastes du changement climatique, tels que la hausse des températures, les modifications du régime des précipitations et la fréquence et l'ampleur accrues des catastrophes naturelles. Il en résultera une stagnation des revenus pour la plupart des ménages et une série d'effets déflationnistes sur la consommation, l'investissement et les recettes fiscales » 188 ( * ) .

L'effort de transition écologique risque de s'avérer plus difficile à assumer pour les foyers les moins favorisés, souvent plus dépendants des énergies carbonées .

Évoquant le cas des ménages risquant de ne plus pouvoir utiliser un véhicule jugé trop polluant ou vendre un logement frappé d'un mauvais diagnostic thermique, voire de perdre un emploi faiblement qualifié dans le secteur industriel, Bruno Palier affirme que « le risque environnemental est un risque social , celui de la conversion » 189 ( * ) . Or, ce risque est nécessairement aggravé par l'insuffisance de l'action des pouvoirs publics, qui contribuent ainsi à dégrader encore davantage l'acceptabilité sociale de la transition.

Au-delà des dépenses d'assurance maladie supplémentaires qui seront générées par le réchauffement climatique, les difficultés sociales ainsi suscitées par les politiques climatiques tendraient elles-mêmes à accroître les dépenses de protection sociale, non seulement au titre du chômage, mais également à celui de la santé, compte tenu des conséquences de la diminution des revenus sur la capacité des ménages à se soigner.

Risques sociaux liés au changement climatique et à la transition écologique

Source : Mission d'information du Sénat, d'après OIT/AFD, Social protection for a just transition.
A global strategy for increasing ambition in climate action

Il importe donc d' intégrer aux politiques climatiques une dimension redistributrice à même d'assurer leur acceptabilité sociale .

L'OIT recommande ainsi aux gouvernements de « promouvoir des dispositifs innovants de protection sociale qui contribuent à compenser les conséquences du changement climatique et les défis posés par la transition concernant les moyens de subsistance, les revenus et les emplois, et les garanties de sécurité sociale » et d'« envisager d'indemniser les ménages modestes qui consacrent une proportion nettement plus élevée de leur revenu à l'énergie et aux biens et services à forte intensité énergétique » lors de la conception et de l'examen de la protection sociale dans le cadre de l'adoption de mesures en faveur d'une énergie propre 190 ( * ) .

Dans le cadre d'une étude commune, l'OIT et l'Agence française de développement (AFD) ont établi un panorama des mesures mises en oeuvre par plusieurs pays particulièrement exposés au changement climatique afin d' associer préservation de l'environnement et soutien aux ménages les plus défavorisés :

- la Chine, qui déploie des efforts importants pour lutter contre la déforestation, verse des subventions aux participants à un grand programme de reboisement et de conservation. 124 millions de personnes, soit 32 millions de ménages, en ont bénéficié entre 1999 et 2008 191 ( * ) ;

- au Brésil, le Gouvernement opère des transferts en espèces aux ménages en situation d'extrême pauvreté vivant dans certaines zones rurales prioritaires et recourant à des pratiques d'utilisation durable des ressources (ramassage de fruits, extraction du latex, production d'artisanat à partir de ressources naturelles, activités de pêche artisanale) dans le cadre du programme Bolsa Verde . En 2014, plus de 51 000 familles en avaient bénéficié 192 ( * ) ;

- en Éthiopie, le Programme de filet de sécurité sociale productif prévoit une augmentation rapide des paiements en prévision des sécheresses ou d'inondations graves à l'aide d'un outil contrôlant les données agro-météorologiques afin d'estimer les récoltes à venir et la production future des pâturages 193 ( * ) ;

- l'Égypte a utilisé une partie des économies générées par la suppression des subventions aux hydrocarbures pour mettre en place des programmes de transferts en espèces visant à compenser l'augmentation des prix du carburant pour les ménages les plus pauvres 194 ( * ) .

Au-delà des versements directs, d'autres types d'interventions sont envisageables. Bruno Palier évoque ainsi le financement de la formation des travailleurs ayant perdu un emploi industriel afin de favoriser leur reconversion dans d'autres secteurs 195 ( * ) . De même, France Stratégie souligne le besoin de soutenir les collectivités territoriales dans le déploiement de projets de renouvellement urbain visant à garantir un environnement favorable à la santé ou la création de guichets de lutte contre la précarité énergétique 196 ( * ) .

La Commission européenne, pour sa part, a récemment proposé la création d'un Fonds social pour le climat destiné à atténuer les conséquences sociales de la transition écologique.

Un Fonds social pour le climat : la proposition de la Commission européenne

Dans le cadre du « pacte vert pour l'Europe », l'Union européenne ambitionne de « faire de l'Europe le premier continent neutre sur le plan climatique d'ici à 2050 » 197 ( * ) . Aussi la Commission européenne a-t-elle a présenté, le 12 juillet 2021, le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », qui comporte douze mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre de l'Union d'au moins 55 % d'ici 2030 par rapport à 1990 , parmi lesquelles figurent :

- la création d'un nouveau système d'échange de quotas d'émission (SEQE) pour les secteurs du bâtiment et du transport routier ;

- l'augmentation de 29 % à 40 % par rapport à 2005 de l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre au niveau de l'Union et l'actualisation en conséquence des objectifs annuels contraignants des États membres ;

- le relèvement à au moins 40 % de l'objectif d'au moins 32 % d'énergie produite à partir de sources renouvelables dans le bouquet énergétique global ;

- l'alignement de la taxation des produits énergétiques et de l'électricité sur les politiques de l'Union en matière d'énergie, d'environnement et de climat ;

- la fixation d'objectifs plus élevés de réduction des émissions de CO2 des voitures et des camionnettes à l'échelle de l'Union pour 2030 et, pour 2035, d'un objectif de réduction de 100 %, c'est-à-dire l'interdiction de la mise sur le marché de voitures ou de camionnettes équipées d'un moteur à combustion interne.

La dernière de ces mesures vise à créer un Fonds social pour le climat ayant « pour but de réduire les répercussions sur les prix de la nouvelle tarification du carbone » .

Doté, pour la période 2025-2032, de 72,2 milliards d'euros issus d'un pourcentage de la part revenant au budget de l'Union des recettes générées par l'échange de quotas d'émission dans les secteurs du bâtiment et du transport routier , cet instrument « devrait fournir un financement aux États membres pour soutenir leurs politiques visant à atténuer les conséquences sociales de ces échanges de droits d'émission sur les ménages vulnérables, les microentreprises vulnérables et les usagers vulnérables des transports ».

Le Fonds interviendrait de deux façons :

- d'une part, en octroyant une aide directe temporaire au revenu ;

- d'autre part, par des mesures et des investissements destinés à réduire à moyen et long terme la dépendance à l'égard des combustibles fossiles grâce à l'amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments, à la décarbonation de leur chauffage et de leur refroidissement et à l'amélioration de l'accès à la mobilité et aux transports à émission nulle et à faibles émissions.

Quel que soit le mode d'intervention de la protection sociale en matière de risques environnementaux que le législateur pourra retenir, il importe que celle-ci soit orientée en priorité vers ceux dont le revenu pâtira le plus de la transition écologique . C'est à cette condition que cette dernière sera rendue socialement acceptable en dépit de ses conséquences sur le niveau de vie des populations.

b) Refonder la sécurité sociale autour de l'enjeu environnemental et climatique
(1) Le cadre actuel de la sécurité sociale doit mieux prendre en compte les enjeux environnementaux

La sécurité sociale dispose d'ores et déjà de marges de manoeuvre pour assurer la prise en compte des risques environnementaux dans ses principes directeurs. Le passage d'une logique de soins à une logique de prévention en constitue le meilleur exemple ( voir I du présent rapport d'information ).

Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) et ancien directeur de la sécurité sociale, a également rappelé que les différents modes de solvabilisation, par la sécurité sociale, des acteurs de la santé (conventions médicales, financement des transports sanitaires, tarification à l'activité, etc.) n'intègrent pas de critères liés à la transition écologique et qu'aucune réflexion ne semble avoir été menée à ce sujet pour l'heure 198 ( * ) .

La tarification à l'activité

Jusqu'en 2003, les établissements publics de santé et les établissements privés participant au service public hospitalier percevaient une dotation globale annuelle calculée en fonction du nombre de journées, sans lien avec le niveau d'activité, tandis que les établissements privés à but lucratif facturaient leurs prestations à l'assurance maladie sur la base de tarifs négociés avec les agences régionales de l'hospitalisation (ARH).

Depuis lors, dans le cadre de la tarification à l'activité (T2A), les ressources de ces établissements pour les activités de médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie (MCOO) sont calculées à partir d'une mesure de l'activité produite , le prix de chaque activité MCOO étant fixé chaque année par le ministre chargé de la santé dans le cadre du système des groupes homogènes de malades (GHM) et des groupes homogènes de séjour (GHS). Une logique de résultat s'est donc substituée à une logique de moyens .

Toutefois, certaines activités telles que les urgences ou les greffes demeurent financées par un forfait annuel, tandis que d'autres sont prises en charge par les missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation interne (MIGAC), comme les actions de prévention et de dépistage ou le SAMU.

Source : Ministère des Solidarités et de la Santé

De même, aucun objectif n'a été fixé en termes de consommation énergétique ou de gestion des déchets dans le cadre du plan d'investissement dans le secteur des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), prévu par le Ségur de la Santé.

Il conviendrait de remédier à ces lacunes en veillant à ce que le financement des acteurs de la santé par l'assurance maladie inclue une dimension environnementale .

Proposition n° 19 : lier une partie du financement des acteurs de la santé par l'assurance maladie à la poursuite d'objectifs environnementaux.

D'autre part, l'expertise en la matière au sein du ministère chargé de la santé est jugée « très faible » par Dominique Libault, qui rappelle la nécessité de doter l'administration des compétences nécessaires pour faire face à cet enjeu majeur de notre siècle.

Proposition n° 20 : développer les compétences en matière de développement durable au sein du ministère de la santé.

(2) Pour protéger les individus face au changement climatique tout en améliorant l'acceptabilité sociale de la fiscalité environnementale, certains économistes préconisent une couverture sociale des risques environnementaux
(a) La fiscalité environnementale a pâti de ses effets anti-redistributifs et de la hausse du coût de l'énergie

La cause principale de la crise des « Gilets jaunes », qui a éclaté en France fin 2018, réside dans la hausse de la fiscalité énergétique, jugée pénalisante pour les ménages les plus modestes et les plus dépendants aux énergies fossiles sans pour autant être entièrement affectée aux dépenses liées à la transition écologique .

En effet, avant sa suppression au 1 er janvier 2021 199 ( * ) , le compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » ne se voyait affecter que 24 % du produit total de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) . Depuis, comme le relève le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), « il n'existe pas aujourd'hui dans notre pays de dispositif explicite de recyclage des recettes fiscales énergétiques » 200 ( * ) .

Répartition du produit de la TICPE en 2020, 2021 et 2022

Source : Annexe au projet de loi de finances pour 2022, Évaluations des voies et moyens,
tome I, Les évaluations de recettes

Or, le CPO identifie un « blocage » lié à « l'ambiguïté des objectifs poursuivis par la fiscalité environnementale, entre rendement budgétaire et modification des comportements des ménages . Du point de vue de l'acceptation de la fiscalité énergétique par les contribuables, la double fonction d'une taxe incitative comme la taxe carbone représente toutefois plutôt une menace qu'une opportunité : l'accusation d'une visée de rendement pouvant émerger très facilement, l'absence de communication convaincante sur l'utilisation des recettes dégagées est susceptible de compromettre fortement l'acceptation de l'instrument en donnant matière à cette accusation et en laissant entendre que la fonction de rendement est première » .

La fiscalité énergétique à l'origine du mouvement des « Gilets jaunes »

Entre 2013 et 2017, les différentes taxes intérieures de consommation sur les produits énergétiques ont largement progressé, notamment en raison du rapprochement de la fiscalité sur l'essence et sur le diesel et de la création, en 2014, d'une  « composante carbone » au sein de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) et de la taxe intérieure de consommation sur le charbon (TICC) 201 ( * ) . Entre 2014 et 2017, la composante carbone a ainsi été portée de 7 € à 30,5 € par tonne de CO2 .

En 2015, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a prévu une augmentation progressive de la composante carbone pour atteindre 56 € par tonne de CO2 en 2020 et 100 € par tonne en 2030 202 ( * ) .

Évolution des taxes intérieures de consommation entre 2013 et 2017

Source : Ministère de la transition écologique.

En loi de finances pour 2018, le Gouvernement Philippe a révisé cette trajectoire de façon à atteindre 86,2 € par tonne en 2022 203 ( * ) . Par ailleurs, la loi de finances a procédé à un nouveau rapprochement de la fiscalité applicable à l'essence et au diesel en prévoyant une augmentation de la fiscalité sur le gazole de 2,60 centimes d'euros par an.

Trajectoires d'évolution de la taxe carbone prévues en 2015 et en 2018
(en euros par tonne de carbone)

Source : Commission des finances du Sénat.

Jusqu'en 2017, la hausse de la composante carbone était masquée par la diminution du cours du pétrole. Toutefois, la progression de ce dernier à partir de 2017 a entraîné une augmentation des prix à la pompe, suscitant un important mouvement de contestation dans tout le pays à partir d'octobre 2018 .

Source : Conseil des prélèvements obligatoires, « Redistribution, innovation,
lutte contre le changement climatique :
trois enjeux fiscaux majeurs en sortie de crise sanitaire », février 2022.

En réaction, le Gouvernement a gelé, en loi de finances pour 2019, la hausse de la composante carbone prévue pour 2019 et supprimé du code des douanes la trajectoire d'augmentation prévue jusqu'en 2022 204 ( * ) . À ce jour, le niveau de la composante carbone demeure identique à celui de 2018.

(b) Dans ce contexte, l'idée d'une couverture sociale des risques environnementaux a été avancée

Toutefois, en dehors de certains cas, notamment lorsqu'il s'agit d'un budget annexe ou d'un compte d'affectation spéciale 205 ( * ) , la loi organique interdit au législateur ordinaire d'affecter une recette particulière à une dépense déterminée . En effet, aux termes de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), « l'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses, toutes les recettes et toutes les dépenses sont retracées sur un compte unique, appelé budget général » 206 ( * ) .

Dans la période récente, un certain nombre d'institutions et de personnalités se sont exprimés en faveur de l'affectation des recettes de la fiscalité environnementale à des investissements verts . Outre le CPO, qui recommande d'« affecter les recettes de la fiscalité environnementale à des mécanismes redistributifs et à des investissements verts », Olivier Blanchard et Jean Tirole considèrent que « dans certains cas, les nouvelles recettes découlant de l'adoption d'une mesure pourraient être redistribuées aux personnes pénalisées par cette mesure ou affectées à d'autres actions directement liées à la mesure en question », ajoutant que « le lien direct entre recettes et politiques publiques rendu par l'affectation de recettes donne davantage de visibilité à la mesure de compensation et rend les perdants plus confiants dans sa pérennité. De même, les citoyens peuvent être plus disposés à accepter un impôt s'ils savent qu'il est destiné à financer une cause qu'ils soutiennent » 207 ( * ) .

L'affectation de recettes vertes à une branche de sécurité sociale permettrait d'atteindre cet objectif sans bouleverser les grands principes budgétaires . Il est en effet loisible au législateur financier d'affecter une ressource à la sécurité sociale. La LOLF précise ainsi que « l'affectation, totale ou partielle, à une autre personne morale d'une ressource établie au profit de l'État ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances » 208 ( * ) .

Qu'est-ce qu'une branche de sécurité sociale ?

La sécurité sociale est composée de deux régimes principaux, le régime général (salariés et travailleurs indépendants) et le régime agricole (salariés et non-salariés agricoles), et de plusieurs régimes spéciaux (SNCF, RATP, Comédie française, Opéra de Paris, industries électriques et gazières, marins, mines, etc.).

Elle est organisée autour de cinq branches, entités assurant la gestion d'un ou de plusieurs risques et se voyant affecter pour ce faire des recettes : maladie, vieillesse, famille, accidents du travail et maladies professionnelles et autonomie. On y ajoute parfois la branche recouvrement, chargée de la collecte des cotisations sociales dues au régime général.

Structure du système français de sécurité sociale

Source : L'Assurance Maladie.

Rappelant que les branches, qui peuvent être décrites comme des assurances couvrant un risque identifié en contrepartie de cotisations sociales, constituent un héritage du système assurantiel bismarckien, Rémi Pellet observe que la part des cotisations dans les ressources de la sécurité sociale diminue progressivement, tandis que celle des impôts et taxes affectés ne cesse de croître 209 ( * ) .

La fiscalisation du financement de la sécurité sociale

Jusqu'en 1991, la sécurité sociale était fondée sur une logique purement assurantielle , ses ressources étant composées à plus de 75 % de cotisations sociales.

Or, les prestations familiales sont devenues universelles avec la suppression de la condition d'activité professionnelle en 1978, de même que les prestations d'assurance maladie avec la création de la couverture maladie universelle (CMU) en 1999.

Par conséquent, dans une logique d'élargissement du financement de la sécurité sociale, mais également d'allègement du coût du travail, des impôts ont progressivement été affectés à cette dernière, à commencer par la CSG , créée en 1991.

En effet, entre 1990 et 2020, la part des impôts et taxes affectés est passée de 3,4 % à 29,4 % des ressources de la sécurité sociale 210 ( * ) . Cette tendance s'est fortement accentuée en 2018 et en 2019 du fait, d'une part, d'allègements de cotisations sociales 211 ( * ) et, d'autre part, d'une augmentation de la CSG 212 ( * ) et de la part de la TVA affectée à la sécurité sociale 213 ( * ) .

Évolution de la répartition des ressources de la protection sociale par type de prélèvement de 1959 à 2020
(en %)

Source : Drees, La protection sociale en France et en Europe en 2020.
Résultats des comptes de la protection sociale, 2021.

Selon Rémi Pellet, l'aboutissement de la logique d'universalisation des dépenses de sécurité sociale et d'étatisation du financement de la protection sociale consisterait en l'absorption de la sécurité sociale par le budget de l'État . Le choix de la conservation de la structuration en branches de la sécurité sociale s'expliquerait donc par la volonté de garantir aux partenaires sociaux que l'État ne détournera pas les ressources affectées aux branches afin de financer d'autres dépenses .

Aussi la création d'une sixième branche dédiée aux risques environnementaux et financée par des ressources en rapport avec la transition écologique tendrait-elle à affirmer la volonté de la Nation de consacrer des efforts particuliers à la protection des individus face au changement climatique tout en renforçant la confiance des contribuables dans la conformité de l'utilisation de leurs impôts aux objectifs qui leur sont attachés .

Comme le souligne Magali Reghezza-Zitt 214 ( * ) , une telle réforme ne saurait toutefois être menée à bien que si un consensus émergeait en sa faveur au terme d'un débat national , qui permettrait notamment de déterminer le niveau de protection souhaité 215 ( * ) .

D'autre part, bien que les risques environnementaux et climatiques soient pris en charge par la sécurité sociale, et notamment par l'assurance maladie, lorsqu'ils concernent les individus, les risques encourus par les biens du fait des aléas climatiques relèvent pour l'heure du champ de l'assurance, non de celui de la sécurité sociale. Dans un scénario d'accélération du changement climatique, des pans entiers de ces risques pourraient devenir inassurables. Les pouvoirs publics devront alors choisir entre l'abandon des assurés concernés à leur sort et l'invention d'un nouveau modèle de couverture collective .

Quant aux risques traditionnels déjà portés par notre système de protection sociale mais aggravés par le réchauffement climatique, notamment les maladies, les accidents du travail et les maladies professionnelles et le chômage, leur croissance pourrait mettre en péril le financement de la protection sociale, ce qui justifierait de confier les risques spécifiquement liés à l'environnement à une structure institutionnelle dédiée, dotée d'un mode de financement distinct .

Dans ce contexte, une branche de sécurité sociale dédiée à la couverture du risque « vulnérabilité » ou « interdépendance » , pour reprendre l'expression d'Éloi Laurent, pourrait se voir confier huit missions principales :

- le remboursement aux cinq autres branches des dépenses effectuées au titre du risque social qu'elles couvrent et identifiées comme étant liées au dérèglement climatique ;

- le financement des dépenses de prévention des risques naturels , en absorbant le FPRNM ;

- l' intervention publique en matière d'assurance récolte , en absorbant le FNGRA ;

- la couverture des risques environnementaux devenus inassurables par les organismes privés ;

- la compensation des conséquences du changement climatique sur les revenus des ménages les moins aisés ;

- la prise en charge des dépenses actuellement financées, d'une part, par le programme 345 « Service public de l'énergie » et supportées, jusqu'en 2021, par le compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » (soutien aux énergies renouvelables électriques, à l'effacement de consommation électrique et à l'injection de biométhane) et, d'autre part, par le programme 174 « Énergie, climat et après-mines » ;

- le financement de l'accompagnement des mutations professionnelles et du droit à une alimentation saine et durable ( voir III et IV du présent rapport d'information ).

Champ d'intervention envisageable de la sécurité sociale écologique

Le programme 174 « Énergie, climat et après-mines »

Doté de près de 3,2 milliards d'euros en 2022 contre moins de 2,5 milliards en 2021, le programme 174 « Énergie, climat et après-mines » du budget général de l'État retrace essentiellement les aides versées aux ménages pour les accompagner dans la transition énergétique . Il s'agit :

- du chèque énergie , titre spécial de paiement destiné à aider les ménages les plus modestes à régler leurs factures d'énergie ou à financer des travaux de rénovation énergétique et généralisé à l'ensemble du territoire depuis le 1 er janvier 2018 ;

- de la prime de transition énergétique « MaPrimeRénov' » , qui s'est substituée en 2020 au crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) et permet aux ménages les plus modestes de bénéficier d'une aide contemporaine à la rénovation énergétique de leur habitation ;

- et des aides à l'acquisition de véhicules propres (bonus automobile et prime à la reconversion).

Le programme finance également la reconversion économique des bassins miniers et les activités permettant la promotion de la lutte contre l'effet de serre et le changement climatique, ainsi que l'amélioration de la qualité de l'air.

La mission d'information note toutefois que l'hypothèse d'une sixième branche ne fait pas l'unanimité parmi les acteurs de la sécurité sociale.

Rémi Pellet, en particulier, considère que le système actuel, qui repose sur l'affectation à la sécurité sociale du produit de certains impôts ou taxes, présente un inconvénient majeur en ce qu'il « pérennise les circuits financiers très compliqués de la sécurité sociale, puisque chaque recette fiscale doit être affectée à une entité juridique particulière (branche, fonds, régimes, caisses, etc.), les évolutions économiques et « sociologiques » (augmentation des dépenses et/ou réduction des recettes) conduisant, inévitablement, les années suivantes à une réaffectation des taux ou fractions de taux des différents prélèvements afin d'essayer de rééquilibrer les comptes de chacune des différentes entités. Or, le principe de l'affectation d'une recette à une dépense ne se justifie plus lorsqu'il n'y a plus de rapport entre la nature de l'une et de l'autre » 216 ( * ) .

Partant de constat, Rémi Pellet propose de « budgétiser » le produit des cotisations et des impôts et taxes affectés à l'assurance maladie en les intégrant au budget général de l'État , duquel seraient ensuite tirées des dotations allouées au financement de l'assurance maladie.

Dans la même logique, les dépenses de prévention des risques naturels ou de réparation des dommages liés à ces derniers devraient, d'après lui, être prises en charge par la solidarité nationale, c'est-à-dire soit par le budget général de l'État, soit par un fonds ad hoc auquel des recettes fiscales particulières seraient affectées.

La situation actuelle correspond à une association relativement peu lisible de ces deux solutions , dont la première présente une limite majeure, aucun fléchage ne pouvant être assuré entre les recettes et les dépenses, de sorte que l'affectation du produit de la fiscalité environnementale à des dépenses de transition écologique n'est pas garantie au contribuable.

À défaut d'une branche de sécurité sociale, la constitution d'un « fonds pour l'environnement » permettrait donc de remédier à l'éclatement des instruments dédiés à la prévention des risques naturels et à la réparation des dommages environnementaux , qui ne permet ni de disposer de la capacité d'intervention à la hauteur de l'enjeu climatique ni de donner aux moyens affectés aux politiques environnementales la visibilité nécessaire.

A minima , une telle structure pourrait regrouper le FNGRA et le FPRNM et assumer les dépenses de l'ancien compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » et celles du programme 174 « Énergie, climat et après-mines » .

Proposition n° 21 : travailler à la mise en place d'une couverture sociale des risques environnementaux.

2. Une sécurité sociale écologique soutenable financièrement et démocratiquement
a) Quelles ressources pour financer la couverture sociale des risques environnementaux ? Allier justices sociale, fiscale et environnementale
(1) La fiscalité affectée, une ressource adaptée à la nature du risque environnemental
(a) Pour une affectation de la fiscalité environnementale aux dépenses liées à la transition écologique

La première question à trancher dans le cadre des réflexions sur une couverture sociale des risques environnementaux est celle de son financement. Traditionnellement, la sécurité sociale repose sur une logique bismarckienne d'assurance. Son financement est donc originellement fondé sur des cotisations sociales calculées en fonction des revenus d'activité des assurés.

Or, la couverture des risques environnementaux, qui frappent les individus sans distinction de leur statut social, ne saurait être garantie qu'aux seuls travailleurs. Par définition, les dépenses social-environnementales devraient être universelles. En toute logique, il conviendrait donc que leur financement soit assuré par des recettes fiscales affectées par l'État .

Dès lors que l'intérêt principal d'une branche de sécurité sociale dédiée au risque environnemental réside dans la possibilité de renforcer le consentement à l'impôt en finançant les dépenses afférentes par des recettes en lien direct avec elles , il serait logique de lui affecter progressivement le produit de la fiscalité environnementale .

Cette proposition s'inscrit dans la droite ligne de celle qu'a formulée le 26 octobre 2021 le ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, à l'occasion du Climate Finance Day : « Je pense qu'affecter les recettes fiscales sur les énergies fossiles au seul financement de la transition écologique serait un gage de transparence et d'efficacité. Si nous garantissons à nos compatriotes que chaque euro de recette fiscale sur l'essence, sur le diesel, sur le gaz, sur le fioul sera affecté, en toute transparence et à l'euro près, à la lutte contre le réchauffement climatique, je suis convaincu que cela facilitera le financement de la transition écologique et rendra la fiscalité actuelle plus acceptable ».

Comme l'a récemment rappelé le CPO, un grand nombre de pays étrangers recyclent d'ores et déjà le produit de leur fiscalité environnementale .

Mécanismes de réallocation du produit de la fiscalité environnementale à l'étranger

Option privilégiée

Mécanisme

Avantages

Inconvénients

Californie

Fonds vert permettant de financer des services collectifs nouveaux

Affectation de l'ensemble des recettes à un fonds vert et ciblage spécifique sur les communautés défavorisées

Financement d'aides concrètes pour les ménages ciblées sur le logement et les ménages modestes

Cibler les opérations à fort impact climatique et celles concernant potentiellement les ménages modestes ne vont pas toujours de pair

Suède

Baisse d'autres prélèvements obligatoires

Baisse générale du coût du travail, de l'impôt sur le revenu des ménages et des taxes indirectes sur les énergies non fossiles

Compromis national en faveur du maintien de la compétitivité et des emplois

Redistribution peu ciblée sur les ménages. Pas de lien avec l'environnement et effets distributifs de la taxe non traités

Suisse

Baisse d'autres prélèvements obligatoires

Les entreprises bénéficient de réduction du coût du travail, les ménages de réduction des primes d'assurance maladie forfaitaire

La gestion administrative de cette baisse des prélèvements obligatoires est simplifiée

La baisse de la prime d'assurance maladie apparaît éloignée de la thématique de l'environnement

Australie

Réaliser des versements aux ménages et aides à la transition énergétique des entreprises

Augmentation d'allocations pour les chômeurs et les étudiants et relèvement du seuil d'exonérations fiscales et subventions des entreprises

Soutien direct aux ménages et entreprises

Allemagne

Fonds vert permettant de financer des services collectifs nouveaux et versements aux ménages

Soutien aux ménages envisagé à travers une augmentation des déductions d'impôts pour les indemnités kilométriques et fonds vert

Soutien direct aux ménages et inscription dans une stratégie de verdissement

Risque de compenser les effets de la mobilité et d'être peu incitatif aux changements de comportement

Source : Conseil des prélèvements obligatoires, « Redistribution, innovation,
lutte contre le changement climatique :
trois enjeux fiscaux majeurs en sortie de crise sanitaire », février 2022.

En France, le rendement de la fiscalité environnementale s'est élevé à 65 milliards d'euros en 2019 217 ( * ) . D'après l'OCDE, son poids dans le PIB national (2,32 %) est bien supérieur à ce qu'il représente en Allemagne (1,77 %), aux États-Unis (0,72 %) ou dans l'ensemble des pays de l'OCDE (1,52 %).

Évolution de la part de la fiscalité environnementale dans le PIB depuis 1995

Source : Conseil des prélèvements obligatoires, « Redistribution, innovation,
lutte contre le changement climatique :
trois enjeux fiscaux majeurs en sortie de crise sanitaire », février 2022.

La fiscalité énergétique représente à elle seule près de 85 % de la fiscalité environnementale en France.

Décomposition de la fiscalité environnementale par assiette taxable en 2017

Source : Conseil des prélèvements obligatoires, « Redistribution, innovation,
lutte contre le changement climatique :
trois enjeux fiscaux majeurs en sortie de crise sanitaire », février 2022

Comme dans le cas des taxes sur les alcools et boissons non alcoolisées et sur les tabacs, dont le produit, qui s'est élevé respectivement à 4,5 et 14,9 milliards d'euros en 2020, est affecté aux organismes de sécurité sociale, l'affectation des recettes de la fiscalité environnementale à la couverture sociale des risques environnementaux contribuerait doublement à lutter contre les pratiques dommageables pour l'environnement, en les pénalisant financièrement et en finançant des mesures de réparation de leurs conséquences .

Toutefois, comme le relève la CFTC, « la fiscalité comportementale peut être une partie de la réponse, mais il est nécessaire de prévoir l'érosion progressive de son assiette , dans la mesure où l'un des objectifs de cette fiscalité est précisément de faire changer les comportements. Or, un modèle de protection sociale durable a besoin d'une source de financement pérenne » 218 ( * ) .

(b) Mieux répartir le financement de la sécurité sociale écologique

Pour pallier cette difficulté, une ressource à la fois plus stable et durable et en lien avec les dépenses de couverture des risques environnementaux peut être identifiée à partir des travaux des économistes Éloi Laurent et Patricia Crifo, docteure en économie et professeure à l'École Polytechnique 219 ( * ) .

Constatant, entre autres, que les habitants des zones urbaines sensibles (ZUS) représentent les deux tiers de la population exposée au risque industriel et que la dégradation de leur santé qui résulte de leur plus grande exposition à ce risque aggrave leur condition sociale, ceux-ci démontrent qu'il existe un « impact cumulatif des inégalités environnementales et sociales » 220 ( * ) . De plus, les catastrophes naturelles, comme la canicule de 2003, frappent plus durement les plus fragiles : « Au-delà de l'impact immédiat d'une catastrophe de ce type, les catégories socioprofessionnelles les plus démunies ont le plus de mal à rebondir après un événement qui affecte directement et indirectement leur patrimoine, leur cadre de vie et leurs réseaux sociaux. L'absence d'épargne les rend moins capables de réinvestir pour se relancer, et certaines petites entreprises ou entreprises individuelles peuvent souffrir du temps que mettent les assureurs à les indemniser. Les travailleurs les moins qualifiés sont alors ceux qui ont le plus de mal à retrouver un emploi si leur entreprise est mise en difficulté par l'événement ».

En parallèle, les plus riches disposeraient de la capacité de faire supporter par les plus pauvres la responsabilité de leurs propres atteintes à l'environnement : « On peut penser que l'augmentation des inégalités de revenu et de pouvoir a pour effet d'accroître la capacité des riches à transférer le coût des dommages environnementaux aux pauvres, ce qui les incite moins à protéger l'environnement. C'est le cas à l'intérieur des pays mais aussi entre les pays : les inégalités internationales expliquent largement les phénomènes de transfert de pollutions. On peut raisonnablement penser que si les individus et les pays riches devaient assumer toutes les conséquences environnementales néfastes de leurs actions, les dégradations environnementales dont ils sont responsables reculeraient rapidement (si tous les déchets toxiques devaient par exemple être conservés et traités dans leur pays ou leur quartier d'origine, la pression politique pour en diminuer le niveau serait beaucoup plus forte) ».

Au niveau individuel, Éloi Laurent note également qu' environ 50 % des émissions de gaz à effet de serre « peuvent être attribuées aux 10 % les plus riches du monde , dont l'empreinte carbone moyenne est 11 fois plus élevée que la moitié la plus pauvre de la population et 60 fois plus élevée que celle des 10 % les plus pauvres. L'empreinte moyenne du 1 % des personnes les plus riches du monde pourrait être 175 fois celle des 10 % les plus pauvres » 221 ( * ) . En France, « le niveau d'émissions associées à l'usage du véhicule personnel et au logement serait trois fois plus important pour le dixième décile de niveau de vie que pour le premier (Malliet, 2018). En effet, les ménages aisés résident généralement dans les logements les plus grands, possèdent plus d'équipements, conduisent les voitures les plus puissantes et, même si certains d'entre eux utilisent peu ou pas la voiture (parce qu'ils habitent au coeur des villes), nombreux sont ceux qui prennent l'avion, faisant ainsi bondir leur empreinte carbone » .

Ces constats justifient que des interrogations se fassent jour concernant la légitimité d' une contribution des ménages, proportionnelle à leur empreinte environnementale, au financement de la couverture sociale des risques environnementaux , qui permettrait à la fois d'atténuer les inégalités sociales et de dégager des recettes non négligeables. Ainsi, d'après Lucas Chancel, économiste, co-directeur du World Inequality Lab et professeur à Sciences Po, à l'échelle mondiale, un impôt progressif sur la fortune des multimillionnaires accompagné d'un « supplément pollution » pour ceux qui détiennent des actions dans les secteurs carbonés pourrait générer un produit équivalent de 1,5 % à 2 % du PIB mondial 222 ( * ) .

Dans cette perspective, un meilleur partage de la charge fiscale pourrait revêtir plusieurs formes. Géraud Guibert, par exemple, est favorable à ce que les personnes adoptant « un comportement contraire à l'effort de transition écologique », à l'instar des foyers acquérant un bien immobilier sur un littoral menacé par le recul du trait de côte, contribuent davantage sur le plan de la fiscalité environnementale 223 ( * ) . La CFTC, quant à elle, évoque une plus forte contribution des revenus du capital et l'instauration d' un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) climatique 224 ( * ) .

L'ISF climatique en débat au Sénat

Portée, notamment, par Greenpeace , la proposition tendant à créer un ISF climatique a récemment été reprise par le sénateur Patrick Kanner, président du groupe Socialiste, écologiste et républicain, dans le cadre d'une proposition de loi visant à créer une garantie à l'emploi pour les chômeurs de longue durée, dans des activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social.

Cette dernière, qui visait notamment à transformer l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD) en un dispositif pérenne, prévoyait plusieurs mesures pour assurer son financement, dont le rétablissement de l'ISF, supprimé par le Gouvernement Philippe au 1 er janvier 2018 au profit de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI).

L'« impôt de solidarité sociale et climatique sur le capital » (I2S2C) qui se serait substitué à l'IFI en cas d'adoption du texte correspondait de fait à l'ancien ISF, à deux différences près :

- le seuil d'entrée dans l'imposition était relevé de 1,3 à 1,8 million d'euros ;

- la réduction d'impôt de 50 % pour investissement dans les PME était rétablie, mais son bénéfice soumis à une condition supplémentaire devant être remplie par les PME bénéficiaires des investissements des redevables. Celles-ci devaient être agréées par l'État au titre des entreprises socialement et écologiquement responsables , les modalités d'octroi de cet agrément, accordé pour une période de deux années renouvelable, devant être fixées par décret en Conseil d'État.

La proposition de loi a toutefois été rejetée par le Sénat le 23 février 2022, essentiellement en raison d'une divergence de vues au sujet de la pertinence de son dispositif de lutte contre le chômage .

Quelle que soit l'option retenue par le législateur, il importe d'envisager que les ménages puissent contribuer au financement de la sécurité sociale écologique à proportion de leur empreinte environnementale.

De même, il serait légitime qu'y participent les organismes d'assurance, qui se verraient délester, dans cette perspective, de la couverture des risques devenus inassurables.

Proposition n° 22 : adapter la fiscalité environnementale afin d'assurer le financement de la sécurité sociale écologique.

(c) La question du devenir des ressources de la Cades à l'horizon 2033

Le financement de la couverture sociale des risques environnementaux pourrait également reposer sur les ressources actuellement affectées, via la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), au remboursement de la dette sociale . En effet, à la date de son extinction, pour l'heure fixée à 2033, des recettes considérables se trouveraient dépourvues de destination.

Les ressources de la Cades

Créée en 1996 225 ( * ) pour assurer le remboursement des déficits cumulés de la sécurité sociale en émettant des emprunts sur les marchés internationaux, la Cades dispose de trois ressources principales :

- la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) , qui s'applique à une assiette de revenus plus large que la CSG au taux de 0,5 % ;

- 0,6 point de CSG jusqu'en 2024 et 0,45 point à compter de 2025 ;

- un versement annuel de 2,1 milliards d'euros du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) jusqu'en 2024 et de 1,45 milliard d'euros à compter de 2025 .

Évolution des principales recettes de la Cades entre 2017 et 2020

(en milliards d'euros)

Source : Avis présenté au nom de la commission des finances du Sénat
sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, adopté par l'Assemblée nationale, pour 2022
par M. Christian Klinger, sénateur (n° 122, 2021-2022)

Aucune ressource supplémentaire n'étant affectée à la Cades tandis que de nouvelles reprises de dette étaient votées, la date d'extinction de la dette sociale et de disparition de la Cades, initialement fixée à 2009, a été plusieurs fois reportée. Prévue jusqu'alors pour 2025, elle a finalement été repoussée en 2022 à 2033 226 ( * ) , 136 milliards d'euros de dette sociale supplémentaires étant transférés à la Caisse dans le cadre de la crise sanitaire .

Dès lors, la possibilité de dédier les recettes de la Cades au financement de la sécurité sociale écologique après l'extinction de la dette sociale devrait être avancée dans le débat public afin de permettre à la Nation de se prononcer sur le niveau de contribution qu'elle souhaite consacrer à la couverture sociale des risques environnementaux.

Dans une logique similaire, Dominique Libault préconise de transformer la Cades en une « Caisse de soutenabilité de la sécurité sociale », qui, au même titre qu'un fonds de réserve, serait alimentée en haut de cycle et utilisée en cas de crise 227 ( * ) .

(2) Les politiques de prévention des risques sanitaires liés à la pollution devraient permettre de dégager des économies considérables
(a) La pollution : un coût économique et social important

Une dernière source de financement réside dans les économies pouvant être réalisées du fait des politiques de prévention des risques .

C'est d'ailleurs au travers de ces dernières que les préoccupations environnementales se sont exprimées pour la première fois en Europe. En effet, comme le rappelle Éloi Laurent : « À vrai dire, l'État social-écologique a précédé l'État-providence en Europe. Si la première loi de protection sociale remonte à 1883 (dans l'Allemagne de Bismarck), le premier décret social-écologique peut être daté de 1306, lorsque le roi d'Angleterre Édouard I er tenta d'interdire l'usage du charbon à Londres pour des motifs sanitaires (sa propre mère étant tombée malade du fait de l'épaisse pollution au soufre enveloppant la ville) » 228 ( * ) .

L'enjeu n'est pas minime. En effet, si les estimations du coût de la pollution varient d'un organisme à un autre, toutes font état de données extrêmement alarmantes .

Ainsi, en soulignant que la qualité de l'air en Île-de-France s'est globalement améliorée ces dernières années, Airparif et l'Observatoire régional de santé (ORS) Île-de-France ont récemment évalué à plus de 10 % la part des décès causés par le non-respect des recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en matière de particules fines (5 ug/m 3 ) en 2019.

Impacts de l'exposition prolongée aux particules fines sur la mortalité annuelle en Île-de-France en 2019 d'après plusieurs scénarios

Source : Airparif/ORF Île-de-France, Mortalité attribuable
à la pollution atmosphérique en Île-de-France.
Quelle évolution depuis 10 ans et quels bénéfices
d'une amélioration de la qualité de l'air dans les territoires ?, février 2022.

Nos émissions de gaz à effet de serre produisent également des effets à long terme. D'après Kévin Jean, maître de conférences au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), 4 000 tonnes de CO2 émises aujourd'hui causeraient un décès d'ici la fin du siècle en moyenne .

En 2015, la commission d'enquête du Sénat sur le coût économique et financier de la pollution de l'air a procédé à une décomposition de ce coût entre :

- un coût sanitaire , composé d'un coût tangible d'au moins trois milliards d'euros par an, qui correspond aux dépenses d'assurance maladie visant à prendre en charge les pathologies imputables à la pollution de l'air (soins de ville, hospitalisations, indemnités journalières, pensions d'invalidité), et d'un coût intangible pouvant s'élever de 68 à 97 milliards d'euros par an, qui renvoie au coût social associé à la mortalité et à la morbidité imputables à la pollution de l'air ;

- un coût non sanitaire lié à la diminution des rendements agricoles, à la perte de biodiversité et à la dégradation et à l'érosion des bâtiments, qui s'élèverait au moins à 4,3 milliards d'euros par an 229 ( * ) .

(b) Préserver la santé de la population tout en dégageant des marges de manoeuvre financières : les « doubles dividendes »

Compte tenu de ces montants importants, les politiques visant à limiter les émissions de polluants et à prévenir leurs conséquences sanitaires et environnementales doivent constituer un instrument essentiel du financement de la couverture des risques liés au changement climatique, en permettant, à long terme, de dégager des économies budgétaires considérables.

Rappelant qu'« une grande partie des dépenses de la protection sociale est associée à une dimension réparatrice et porte sur des situations qui auraient pu être évitées en mobilisant d'autres volets des politiques publiques », France Stratégie estime que « davantage de dispositifs de prévention permettraient à terme de réduire le volet réparation et rendraient sans doute le modèle de protection sociale plus résilient (...) Dans cette perspective, il pourrait être plus efficace de rediriger une partie des dépenses sur des services publics dédiés à la protection de la santé et de l'environnement , même si cette transition vers un modèle plus tourné vers l'avenir entraîne des dépenses supplémentaires à court terme (dépenses d'avenir ajoutées aux dépenses qu'on n'a pas su éviter, ce qui correspond en santé à la dette organisationnelle et épidémiologique) » 230 ( * ) .

À ce jour, un grand nombre de politiques publiques sont déjà dédiées à l'amélioration de la santé-environnement et pourraient ainsi se voir dédier des financements supplémentaires, pris en charge au titre de la couverture sociale des risques environnementaux.

Le financement des politiques publiques en matière de santé-environnement

Les politiques visant à protéger à la fois l'environnement et la santé publique bénéficient de financements considérables, notamment :

- les financements investis chaque année par l'État au travers des différents plans sectoriels et politiques publiques en matière de santé environnement (aides à l'acquisition de véhicules propres, subventions pour la fermeture des centrales à charbon, pour les énergies renouvelables, pour la protection et la restauration de la biodiversité, pour la réduction des produits phytosanitaires, etc.), à hauteur de plusieurs milliards d'euros ;

- le volet écologie du plan de relance , doté de trente milliards d'euros, qui vise à favoriser la poursuite des objectifs de transformation écologique des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre et de transition agroécologique des exploitations agricoles ;

- le volet développement des innovations et technologies vertes du quatrième programme d'investissements d'avenir (PIA4) , doté de 3,4 milliards d'euros et dont l'objectif est de promouvoir des innovations tendant à transformer les systèmes et équipements agricoles, à décarboner l'industrie ou à accompagner la transformation des villes afin de les rendre plus résilientes face au changement climatique ;

- des appels à projets de recherche de l'ANR et de l'Anses ;

- les budgets de fonctionnement des principales agences nationales d'expertise (Anses, OFB, INERIS, Cerema, CSTB, BRGM, Inserm, Santé publique France, etc.) et une part importante du budget de fonctionnement des services ministériels travaillant sur la thématique santé environnement ;

- le financement d'actions locales par les collectivités territoriales (travaux d'aménagement et d'urbanisme, accompagnement à la mise en place de mobilités douces, approvisionnement des cantines scolaires en produits biologiques, réduction des émissions industrielles, etc.) ;

- des investissements privés consacrés chaque année à la santé environnement au travers d'actions de substitution des produits chimiques dangereux, de réduction des émissions industrielles et d'innovation vers des produits plus sûrs.

Source : Ministère de la transition écologique, contribution écrite du 2 mars 2022.

Au total, comme l'a indiqué Éloi Laurent à la mission d'information : « La non-transition est horriblement plus coûteuse que la transition » 231 ( * ) .

Il s'agit donc de rechercher ce que Dominique Libault appelle des « doubles dividendes », c'est-à-dire des mesures permettant à la fois d'améliorer la santé environnement et de réaliser des économies budgétaires 232 ( * ) .

La Cour des comptes y a d'ailleurs récemment invité les pouvoirs publics, à l'occasion d'une audition devant la commission d'enquête du Sénat sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France : « Le message de la Cour est, en substance, de dire que des économies de santé peuvent résulter de la chasse à la non-qualité. Or, cette dernière à un coût. Il est possible d'être plus efficients dans la dépense, tout en améliorant la qualité de la prise en charge du patient . Dans les économies, je place la bascule, dont on parle beaucoup sans en voir la concrétisation, du curatif vers le préventif. À cette fin, notre système de santé doit être capable de réaliser des économies sur le curatif » 233 ( * ) .

Il va de soi, néanmoins, que l'affectation à la couverture sociale des risques environnementaux de sommes correspondant aux économies réalisées par la branche maladie ne saurait être envisagée qu'une fois que le déficit de cette dernière, prévu à 19,1 milliards d'euros en 2022, sera résorbé .

Proposition n° 23 : asseoir une partie du financement de la sécurité sociale écologique sur les économies budgétaires dégagées par la transition d'un système curatif vers un système préventif.

La mission d'information a consacré une partie importante de ses travaux aux enjeux liés à un renforcement du caractère préventif de notre système de soins et formulé plusieurs propositions en la matière ( voir I du présent rapport d'information ).

b) Face à la montée des défiances, une gestion participative pour un risque universel
(1) Dans un contexte d'universalisation et de maîtrise des dépenses sociales, la tutelle de l'État sur la sécurité sociale s'est renforcée depuis la fin des années 1990

Depuis 1945, la sécurité sociale française a fortement évolué, passant d'un modèle assurantiel à un système tendant vers l'universalisme, notamment en matière d'assurance maladie et de prestations familiales. En toute logique, son mode de financement a été revu, l'État lui affectant, à partir des années 1990, le produit de certains impôts et taxes, notamment celui de la CSG ( voir supra ).

Le Parlement n'exerçant toutefois aucun contrôle sur les finances sociales, la loi constitutionnelle du 22 février 1996 234 ( * ) et la loi organique du 22 juillet 1996 235 ( * ) ont institué les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) qui « déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique » 236 ( * ) .

Ne disposant pas des mêmes prérogatives qu'en ce qui concerne le budget de l'État, le Parlement n'autorise ni la perception des cotisations sociales ni les dépenses de la sécurité sociale . En effet, ces dernières ne s'inscrivent pas dans une logique d'enveloppe limitative, mais dans une logique de guichet.

Le solde des administrations de sécurité sociale affectant celui des administrations publiques pour l'appréciation du respect des critères de convergence, dits « critères de Maastricht », fixés par le pacte de stabilité et de croissance (PSC), parmi lesquels figurent notamment un déficit public inférieur à 3 % du PIB et une dette publique n'excédant pas 60 % du PIB, une logique de maîtrise des dépenses sociales s'est progressivement imposée , conduisant à l'adoption de la loi organique relative aux LFSS (LOLFSS) en 2005 237 ( * ) .

Dans le but d'améliorer l'information des parlementaires, le Parlement a récemment élargi le contenu des LFSS et ajusté leur procédure d'adoption 238 ( * ) .

Malgré cet encadrement toujours plus poussé du financement de la sécurité sociale, Rémi Pellet considère que « la fiscalisation ne peut être interprétée comme une « étatisation de la sécurité sociale », car l'État a toujours été le seul responsable de la gestion financière de la sécurité sociale : sous la IV e République, comme cela avait été le cas sous la III e République, ce pouvoir revenait au pouvoir législatif, le pouvoir réglementaire n'ayant d'autre fonction que de compléter les dispositions de la loi ; avec la Constitution du 4 octobre 1958, en matière de cotisations sociales, les prérogatives du législateur furent limitées, mais au seul profit de l'exécutif, et la substitution d'« impositions » aux cotisations sociales aboutit à accroître les prérogatives du Parlement, ce qui devrait satisfaire ceux qui font grief au régime de la V ème République d'être excessivement « présidentiel » » 239 ( * ) .

Quoi qu'il en soit, il est établi que la détermination des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale échappe aux partenaires sociaux , dont la marge de manoeuvre en matière de gestion demeure relativement contrainte.

La direction de la sécurité sociale (DSS) assure en effet le pilotage stratégique des organismes de sécurité sociale au travers de conventions d'objectifs et de gestion (COG) conclues avec les caisses nationales des principaux régimes de sécurité sociale, ainsi que leur tutelle .

C'est à ce titre que la DSS a refusé, par exemple, de donner satisfaction à la demande formulée dans le cadre de la crise sanitaire par la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) visant à utiliser ses réserves pour abonder son fonds d'action sociale à hauteur de 400 millions d'euros, puis à une demande subsidiaire tendant à permettre la réduction de 10 % des taux de cotisation de retraite de base pour la seule année 2021.

(2) Un mode de gouvernance participatif doit être inventé pour unir les énergies face à la menace climatique

Les risques environnementaux constituent un type de risques sociaux particulier, dans la mesure où ils ne pèsent pas uniquement sur les individus, mais également sur la planète. Les efforts requis pour y faire face sont donc nécessairement collectifs. Ils impliquent une mobilisation citoyenne rassemblant non seulement les acteurs traditionnels de la sécurité sociale, mais l'ensemble de la société civile .

D'autre part, contrairement aux autres risques, dans certaines mesures, comme l'a démontré la crise sanitaire, les aléas naturels sont caractérisés par leur imprévisibilité. De plus, à moins d'une prise de conscience massive et rapide, ceux-ci sont appelés à se multiplier au cours des prochaines décennies. Il sera donc complexe de les intégrer à la fois dans la perspective pluriannuelle et dans la logique de performance qui caractérisent la sécurité sociale depuis 2005.

Enfin, à la différence des risques maladie, vieillesse, accidents du travail et maladies professionnelles et famille, la gestion du risque environnemental ne saurait s'inscrire dans le cadre du paritarisme classique , dans la mesure où un tel risque, par sa nature comme par le mode de financement proposé pour sa couverture, dépasse largement le cadre de la relation de travail entre employeurs et employés.

Dès lors, un nouveau modèle de gouvernance doit être ébauché afin d'assurer une gestion efficace et collective de la sécurité sociale écologique. Comme le rappelle la CFTC, « la soutenabilité démocratique des réformes est aussi une condition nécessaire à l'existence d'une sécurité sociale « résiliente » » 240 ( * ) .

France Stratégie a également relevé cette question parmi les grands enjeux auxquels devra faire face la sécurité sociale à l'avenir : « En raison d'une segmentation intellectuelle forte et de travaux effectués en silos, la plupart des décisions relatives au fonctionnement du système de protection sociale sont prises dans un agenda politique restreint où les arbitrages (grandes options, mesures votées) ne sont pas toujours visibles, et leurs enjeux pas clairement perçus. Ce dernier point constitue une limite forte du fonctionnement de la démocratie politique en général, qui se traduit par une perte de confiance dans l'État et dans la démocratie parlementaire. Par ailleurs, on assiste pour certains à une lente dérive de la démocratie sociale vers une démocratie politique engagée vers la seule recherche des équilibres financiers , ce qui se traduit par un renforcement du pouvoir technocratique. Ainsi, certains participants considèrent que le débat annuel des LFSS représente certes un progrès démocratique puisqu'il permet à l'opposition de s'exprimer et oblige le Gouvernement à être plus transparent sur la politique qu'il mène, mais qu'il est davantage le symbole d'une légitimation de la technocratie : le vote des LFSS et de l'ONDAM au Parlement, par des députés parfois peu formés aux questions financières, apparaît pourtant comme légitimé » 241 ( * ) .

Dès lors, l' association des citoyens à la gestion de la protection sociale pourrait constituer une réponse appropriée à la montée de la défiance envers les pouvoirs publics en général.

Dans ce cadre, la Fabrique Écologique, présidée par Géraud Guibert, préconise de « gérer l'ensemble du système (de sécurité sociale) selon des fonctionnements démocratiques innovants, organisés du local au national, impliquant les habitant.es sur tous les territoires » 242 ( * ) . De même, France Stratégie estime que « de nouvelles formes de délibérations démocratiques pourraient être expérimentées , le Grand Débat ou la Convention citoyenne pour le climat pouvant être pris pour exemples : ils sont le reflet d'expressions locales et permettent de débattre, peser et accepter des propositions parfois difficiles émanent des Hauts Conseils. L'effort de consultation citoyenne effectué autour du rapport Delevoye sur la réforme des retraites est un autre exemple de tentative pour essayer de convaincre et de dessiner un consensus avec les citoyens » 243 ( * ) .

À défaut de proposer une refonte de la gouvernance globale de la sécurité sociale, la mission d'information estime nécessaire, dans l'hypothèse de la création d'une branche « vulnérabilité » ou d'un fonds pour l'environnement, d'associer dans un premier temps des acteurs nouveaux à la gestion d'une telle structure.

Le conseil d'administration qui piloterait ces entités devrait donc inclure des représentants du monde économique , des délégués des organisations syndicales et des personnalités qualifiées dans le domaine environnemental , ainsi que des représentants d'associations engagées en faveur de la protection de l'environnement et des citoyens tirés au sort , de façon à satisfaire à une exigence importante rappelée par France Stratégie : « Pour que le système de protection sociale soit réellement démocratique, il est nécessaire que chacun se perçoive comme acteur du système et non comme simple sujet ». Le degré d'autonomie de ce conseil serait nécessairement plus important dans le cas d'une branche de sécurité sociale que dans celui d'un fonds public.

Proposition n° 24 : associer des acteurs de l'économie, du dialogue social, de la protection de l'environnement et des citoyens tirés au sort à la gouvernance de la sécurité sociale écologique.

III. DES TRANSFORMATIONS DE L'EMPLOI À ANTICIPER ET À INTÉGRER DANS NOTRE MODÈLE DE PROTECTION SOCIALE

A. LA DÉCARBONATION DE L'ÉCONOMIE REDÉPLOIE LES EMPLOIS ENTRE SECTEURS

1. Transition écologique : objectifs liés au secteur de l'énergie

L'ensemble des éléments présentés ci-dessous part du postulat selon lequel des mesures de transition écologique seront effectivement mises en oeuvre, a minima celles actuellement prévues par la législation et les engagements internationaux de la France.

La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte fixe plusieurs orientations, en particulier la réduction de 28 % de l'énergie consommée par les bâtiments en 2030 par rapport au niveau de 2010 et la rénovation de 500 000 logements par an.

Pour atteindre ces objectifs, la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) 2019-2028 prévoit, pour 2028 :

- une baisse de 16,5 % de la consommation finale d'énergie par rapport à 2012, particulièrement de la consommation primaire des énergies fossiles, à - 35 % ;

- 277 millions de tonnes de CO2 émises par la combustion d'énergie, contre 322 millions de tonnes en 2016 ;

- une multiplication par 4 à 6 de la production de biogaz par rapport à 2017, soit de 24 à 32 térawattheures ;

- et un doublement de la capacité installée de production d'électricité renouvelable par rapport à 2017, au-delà de 100 gigawatts.

En complément, la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat prévoit la fin de la production d'électricité à partir de charbon en 2022, avec la fermeture des quatre dernières centrales de Cordemais, du Havre, de Saint-Avold et de Gardanne et l'installation obligatoire de panneaux photovoltaïques sur les nouveaux entrepôts et bâtiments commerciaux.

Au niveau européen, le Green Deal, dont l'un des objectifs est la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d'ici à 2030 par rapport au niveau atteint en 1990, comprend plusieurs dispositifs, dont le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.

2. Un gain net espéré en raison de la transition écologique

Du point de vue de l'emploi, et au vu de la corrélation nette observée entre consommation d'énergie, émission de gaz à effet de serre et produit intérieur brut, le principal risque lié à la transition écologique est celui d'une baisse de la croissance économique et d'une stagnation du pouvoir d'achat liées aux exigences croissantes de sobriété.

Dans ce contexte, tous les secteurs de l'économie ne sont pas égaux face aux gains ou aux pertes d'emploi. Il convient d'anticiper ces dernières et de donner les moyens à notre économie de pourvoir les métiers qui auront besoin de main d'oeuvre dans les années à venir.

a) L'intensité en matière d'emplois varie d'un secteur à l'autre

ETP par million d'euros de dépense en France en 2015
selon le secteur d'emploi

Source : Travaux de M. Philippe Quirion.

Tous les secteurs de l'économie ne sont pas égaux en matière de créations d'emplois : l'extraction d'hydrocarbures produit largement moins d'un emploi par million d'euros dépensé, contre plus de 10 pour les transports ferroviaires et 12 pour la construction spécialisée.

Trois raisons expliquent ce phénomène. La première, la plus importante, est liée au taux d'importation des différents secteurs considérés. Par exemple, isoler un bâtiment mobiliser des emplois non délocalisables et aboutit à une moindre consommation d'énergie, et donc à moins d'importations. A contrario , les stations-service et les raffineries de pétrole emploient quelques personnes, mais l'essentiel de la valeur ajoutée provient des importations.

Les deux autres raisons sont liées à la part de capital et les niveaux de rémunération des secteurs concernés : plus ils sont bas, plus le taux d'emploi est élevé.

b) Des secteurs menacés par la transition écologique
(1) Des secteurs inégaux face à la fiscalité énergétique

Selon le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), en 2018, la fiscalité sur les énergies fossiles acquittée par les entreprises représentait en France 12 milliards d'euros. Le poids de la fiscalité des carburants fait du secteur des transports, de loin, le premier contributeur, à hauteur de 10 milliards d'euros.

À l'inverse, d'autres secteurs, quoiqu'émetteurs de gaz à effet de serre (GES), apparaissent relativement préservés par cette fiscalité : c'est le cas des secteurs de l'énergie (28 % des émissions mais 3 % de la fiscalité acquittée), de l'agriculture (6 % des émissions, 1 % des taxes réglées) et de l'industrie (17 % des émissions, 3 % du montant payé). Ce dernier, en raison du risque de délocalisation, est largement couvert par des mécanismes d'exonération et de taux réduit.

(2) La perte d'environ 20 % des emplois de l'industrie automobile

D'ici 2035, entre 50 000 244 ( * ) et 65 000 245 ( * ) emplois pourraient être supprimés sur les 280 000 emplois directs de la filière automobile. Cela est dû en particulier au fait qu'un moteur électrique soit sept fois plus rapide à fabriquer qu'un moteur thermique, et que l'électrification baisse les besoins e maintenance de 60 % 246 ( * ) .

En incluant des emplois connexes liés à la vente et à la maintenance des véhicules (les véhicules électriques demandent moins de maintenance), les pertes du secteur pourraient aller jusqu'à 300 000 emplois sur un total de 800 000, dont seule une petite partie pourrait être compensée par une relocalisation partielle de la production sur le territoire national 3 .

(3) Une diminution des constructions de logements neufs

De plus, la construction de logements neufs pourrait être amenée à diminuer compte tenu de la concurrence de l'usage des sols. 400 000 logements neufs sont actuellement construits chaque année, pour 250 000 foyers nouveaux sur la même période 3 . Ainsi, construire 150 000 logements neufs de moins par an, pour correspondre à ce besoin, aboutirait à environ 100 000 emplois de moins dans le secteur de la construction de logements.

(4) Un déclin des énergies fossiles au profit de l'électrification du mix

Le secteur des énergies fossiles est lui appelé à largement décliner dans les années à venir, avec la fermeture complète des dernières centrales à charbon situées sur le territoire français. La forte baisse de consommation globale d'énergie, particulièrement marquée s'agissant des énergies fossiles, ne serait probablement pas compensée par la hausse de la consommation d'électricité imposée par l'électrification de l'économie et des transports 247 ( * ) .

(5) Une mutation des mobilités

Selon le plan de transformation de l'économie française présenté par le Shift Project , respecter nos objectifs de développement durable impliquerait une diminution de 35 % du nombre de voyageurs-kilomètres pour le transport aérien de voyageurs, la baisse la plus forte étant enregistrée pour les vols court et moyen-courriers.

Cette concentration sur les vols les plus courts entraîne une baisse encore plus importante du nombre de passagers, d'où une diminution de plus de la moitié des emplois du secteur, qui passeraient de 70 000 personnes à 30 000.

Des 300 000 emplois du secteur du fret routier, plus de 100 000248 ( * ) pourraient être perdus en raison du report de modalités vers le fret fluvial, ferroviaire et cyclologistique.

c) Des gains d'emplois dans des secteurs non délocalisables et à forte intensité de main d'oeuvre

Dans le cadre de la transition écologique, les secteurs des transports sobres en énergie, des énergies renouvelables et de récupération et du bâtiment résidentiel sont particulièrement concernés par les gains d'emplois.

Selon l'Ademe, ces trois secteurs sont passés de 206 490 à 357 730 ETP entre 2006 et 2019, dont plus de la moitié pour le troisième. En 2019, les marchés associés à ces secteurs s'élevaient à 83,3 milliards d'euros, 2,5 fois plus qu'en 2006. Au totale, l'Ademe estime qu'un million d'emplois pourraient être créés à l'horizon 2050 si l'ensemble des actions de la stratégie bas-carbone sont mises en oeuvre, dont 540 000 dès 2030.

Les secteurs de l'énergie, du bâtiment et des transports sont également ceux qui ont été retenus par le rapport, remis en février 2019, relatif au plan de programmation de l'emploi et des compétences (PPEC) tenant compte des orientations fixées par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) prévue par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

(1) Rénovation thermique et réseaux de chaleur : un gain d'emplois lié au passage des travaux de construction à ceux de maintenance

Le modèle Transition écologique territoire emploi (TETE), élaboré par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et du Réseau action climat, se base sur les actions de transition nécessaires pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius à l'horizon 2050.

Selon ce scénario, de fortes créations nettes d'emplois sont attendues sur le secteur de la rénovation thermique des bâtiments et des réseaux de chaleur. On passerait ainsi de 170 000 emplois en 2021 à plus de 400 000 en 2032, avant un léger recul lié à l'hypothèse d'une hausse de productivité de 0,5 % par an, moyenne constatée ces vingt dernières années. À cela s'ajoutent des emplois qui seraient créés par l'utilisation de matériaux biosourcés : ainsi, la paille, moins coûteuse, nécessite deux fois plus de temps d'installation que le béton.

Ces quelque 230 000 emplois supplémentaires font donc plus que compenser la perte liée à la diminution des constructions neuves évoquées plus haut.

Source : travaux de M. Philippe Quirion, chercheur au CNAM, scénario TETE.

Une autre visualisation des évolutions d'emplois sur le secteur de la construction, rénovation comprise est la suivante :

Source : the Shift Project, PTEF 2022.

Les emplois en construction neuve, en prenant en compte une baisse des nouvelles constructions mais une hausse des besoins de rénovation, seraient ainsi transférés au profit de ces derniers. L'essentiel des nouveaux entrants sur ce secteur s'orienteraient ainsi vers les métiers de a rénovation.

Pour autant, le besoin de formation pour la construction neuve, s'il est appelé à se réduire, demeurera.

(2) Énergies renouvelables : installation de nouvelles capacités puis maintenance créeront des emplois supplémentaires

De façon similaire et selon le même modèle, le nombre d'emplois dans le secteur des énergies renouvelables serait amené à presque tripler, de 73 000 en 2021 à plus de 200 000 dès 2030, tout d'abord liés à l'installation de nouvelles capacités puis à leur maintenance.

Source : travaux de M. Philippe Quirion, chercheur au CNAM, scénario TETE.

(3) Transports : des compensations d'emplois grâce aux reports de modalités

Comme évoqué plus haut, les diminutions du fret routier dues à la transition écologique seraient compensées par la montée en puissance du fluvial, du ferroviaire et de la cyclologistique.

Scénario de décarbonation du fret - transformation des emplois

Source : the Shift Project, PTEF 2022.

Les emplois du fret ferroviaire seraient ainsi plus que doublés d'ici à 2050, passant de 10 900 à 24 000 emplois, et il en serait de même pour le transport fluvial, qui gagnerait 2 000 emplois à 3 500 ETP.

Dans un tel scénario, le plus fort gain potentiel, mais aussi le plus incertain, est celui de la cyclologistique, presque inexistante aujourd'hui, mais qui pourrait à terme représenter plus de 100 000 ETP 249 ( * ) . Celle-ci repose avant tout sur les vélos à assistance électrique (VAE) et les deux ou trois-roues légers électrifiés avec cargo qui, à charge équivalente, émet 85 % de CO2 en moins 250 ( * ) . Cet essor des déjà visible aujourd'hui : selon le plan national cyclologistique du Gouvernement, la vente de vélos cargos a augmenté de 354 % en 2020.

(4) Agriculture : près d'un demi-million d'emplois pourraient être gagnés par le développement de l'agroécologie et la relocalisation

Le secteur agricole, hors pêche, emploie aujourd'hui près de 1,5 million de personnes 1 , dont la moitié dans la production agricole proprement dite.

La France importe aujourd'hui une grande partie de sa consommation de fruits et légumes. Relocaliser cette production pour répondre aux besoins de notre pays, pour les cultures compatibles avec les conditions en France, pourrait nécessiter 366 000 ETP supplémentaires.

De même, la généralisation de pratiques agroécologiques, dont la diversification des cultures, la plantation d'arbres et l'autoproduction d'engrais et d'autres intrants pourraient nécessiter en moyenne entre 0,2 et 0,5 ETP 251 ( * ) par exploitation, soit 133 000 ETP de plus en 2050 par rapport à aujourd'hui.

(5) Des gains attendus dans d'autres branches

D'autres branches, comme l'industrie manufacturière, sollicitée tant pour la rénovation thermique que pour les énergies renouvelables, le génie civil ou encore les services, sont également amenées à gagner des emplois.

Au total et tous secteurs confondus, un gain de presque un million d'emplois pourrait être constaté d'ici à 2050, pour autant que les mesures de transition écologique soient prises.

Proposition n° 25 : des scénarios de transformation de l'économie nécessaires pour respecter les orientations de transition écologique de la France et anticiper les besoins de main d'oeuvre correspondants d'ici à 2050

Le réseau des institutions d'évaluation des emplois verts
(Green Jobs Assessment Institutions Network, GAIN) :
un réseau d'experts sans participation française

Créé à l'initiative de l'Organisation internationale du travail (OIT) en 2013, le réseau GAIN rassemble des organismes d'évaluation de nombreux pays dans le but de faire des recherches sur l'impact de la transition écologique sur l'emploi.

Il a pour objectifs

le développement d'une méthodologie unifiée et d'un corpus de formation sur l'analyse et la modélisation des conséquences sociales et en termes d'emploi des politiques de développement durable ;

le renforcement de la capacité des gouvernements nationaux dans ce domaine.

Le GAIN se base sur des modèles économies entrées-sorties, à partir d'éléments de comptabilités nationales, et a pour objectif la définition de politiques publiques pour une transition juste.

Le réseau regroupe des organismes de recherche publics et privés, des chercheurs individuels et des organisations internationales. Cependant, l'OIT a indiqué à la rapportrice qu'aucune institution ni aucun chercheur français ne participait à ces travaux. De façon plus générale, l'OIT n'a que peu de contacts avec le monde de la recherche français dans le domaine des emplois verts, et a précisé que le réseau restait ouvert aux chercheurs et institutions de notre pays.

L'OIT a également fait part de sa volonté de mettre en place une facilité d'appui technique dans le cadre du déploiement de l'accélérateur mondial pour l'emploi et la transition juste. Dans ce cadre, l'organisation souhaite renforcer ses contacts avec des pôles français de compétences, en particulier Expertise France.

3. Accompagner les nécessaires transitions de l'emploi et de la formation professionnelle
a) Repérer les compétences nécessaires au développement des industries en tension

Deux catégories de compétences sont particulièrement précieuses pour répondre aux besoins de la transition écologique : les compétences transversales , génériques et mobilisables dans différentes situations professionnelles, et les compétences transférables , spécifiques à un secteur particulier mais qui peuvent être réutilisées dans un autre contexte d'emploi.

Selon l'Union française de l'électricité, 30 % des métiers de la filière de l'électricité sont en tension, dont les deux tiers du fait des besoins de la transition énergétique. Il s'agit pour ces métiers et les autres emplois en tension de trouver des passerelles, en amont et en aval, et d'identifier les formations et compétences nécessaires.

Un autre exemple est celui des fabricants de vélo. Aujourd'hui, la France n'assemble que 300 000 vélos sur deux millions vendus par an. Or, le vélo reste encore très peu utilisé dans notre pays, puisqu'il ne représente que 2 % des distances parcourues contre 20 % en Allemagne252 ( * ). Atteindre le même niveau, et donc multiplier par dix la consommation de vélos en France, imposerait une double relocalisation : passer d'un simple assemblage à une vraie fabrication en France, cinq fois plus intensive en emplois (10 ETP par million d'euros dépensé contre 2), et augmenter considérablement les capacités de production.

L'industrie du vélo ne représente cependant que 2 000 emplois en France, et nécessitera donc un apport massif de main d'oeuvre qualifiée : elle pourrait compter plus de 100 000 emplois d'ici à 2050253 ( * ). À cet égard, selon le service recherche et développement du fabricant Mavic, les compétences en fonderie de salariés de l'industrie automobile pourraient utilement être valorisées.

Des emplois pourraient également être redéployés de la filière des moteurs thermiques vers les services la maintenance et l'exploitation des systèmes de climatisation et de ventilation, et les énergies renouvelables thermiques.

De même, les sites amenés à fermer disposent de compétences collectives qui peuvent être utiles à la transition. Par exemple, les fabricants de moteurs de voitures peuvent redéployer leurs compétences vers la construction de moteurs d'éoliennes. Des démarches ont été lancées, comme celle du « CV de site », développé par le cabinet Syndex, qui permet de rendre publiques et compréhensibles pour des acteurs extérieurs les compétences techniques et humaines de sites industriels.

Proposition n° 26 : établir une cartographie professionnelle des compétences en fonction de leur transférabilité entre filières en tension et en contraction.

b) Des outils de formation et de reconversion existants mais insuffisants

Les évolutions du marché du travail qui ont lieu dans le cadre de la transition écologique doivent être accompagnées de politiques adaptées de formation. L'objectif en est double : ne laisser aucun travailleur sur le côté du chemin et donner aux filières les moyens de réaliser la transition en répondant à leurs besoins de main d'oeuvre.

(1) Un soutien du plan de relance au compte personnel de formation de transition professionnelle dont l'impact reste à mesurer

S'agissant du compte personnel de formation de transition professionnelle (CPF-TP), dans le cadre du plan de relance, une dotation de 100 millions d'euros a permis de financer des projets de transition professionnelle spécifiquement ciblés vers les métiers à forte perspective d'emploi ou vers des salariés issus de secteurs d'activité dont le taux d'emploi diminue. Dans ce cadre, des projets de reconversion professionnelle portant vers des métiers relatifs à la transition écologique ont été financés. Pour l'heure, la DGEFP n'a pas été en mesure de communiquer le nombre de projets financés à la mission d'information.

(2) Un dispositif TRANSCO trop générique et individualisé

Le dispositif Transitions collectives (Transco), présenté le 11 janvier 2021, s'adresse à des salariés dont l'emploi est fragilisé qui se positionnent vers un métier porteur localement. Ce dispositif s'adosse à la réglementation relative au projet de transition professionnelle individuel.

Transco a pour objectif de protéger les salariés dont l'emploi est fragilisé, en leur proposant de développer leurs compétences dans le cadre d'un cycle maximum de 24 mois de formation certifiante et les préparent à des métiers « porteurs ». Cela a lieu tout en sécurisant la rémunération pendant le parcours de formation, et le contrat de travail, le dispositif de transition collective vise à favoriser la mobilité professionnelle, en particulier intersectorielle et la reconversion à l'échelle du territoire.

Le dispositif se constitue autour de plateformes territoriales d'appui aux transitions professionnelles, qui mettent en relation des entreprises ayant des salariés qui souhaitent se reconvertir et des entreprises ayant des besoins de recrutement sur un même bassin d'emploi.

Le dispositif est géré par les associations de Transition Pro (ATPro) qui instruit la demande de prise en charge du projet de transition professionnelle et autorise la réalisation, assure le financement et le suivi du projet, selon les mêmes modalités que les projets de transitons professionnelles de droit commun.

Des listes 254 ( * ) sont établies et permettent d'identifier les métiers porteurs sur les territoires afin d'orienter prioritairement le financement des parcours de formation vers ces métiers. Ces listes permettent aux salariés qui s'engagent dans le parcours de formation d'être sécurisé sur les perspectives d'embauche à l'issue de la formation et pour l'État de s'assurer que la formation financée permet une embauche rapide.

Pour autant, ce dispositif apparaît trop générique par rapport aux besoins réels de formation des salariés, et s'adresse uniquement à des individus effectuant une démarche volontaire , au lieu d'être un dispositif collectif à la destination de l'ensemble des personnes concernées.

L'évaluation de Transco, prévue au second semestre 2022255 ( * ), devra être suivie avec attention pour juger de la pertinence du dispositif en matière d'adéquation aux besoins et de nombre de personnes accompagnées.

(3) Renforcer le rôle des opérateurs de compétences dans les filières industrielles

L'article 43 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets prévoit une mission d'information des entreprises sur les enjeux liés à l'environnement et au développement durable aux opérateurs de compétences (OPCO), associations gérées par les partenaires sociaux et agréées par l'État qui gèrent les fonds de la formation professionnelle. Cette mission est inscrite à l'article L. 6332-1 du code du travail et concerne toutes les entreprises, même si leur service de proximité est avant tout destiné au bénéfice des très petites, petites et moyennes entreprises.

Dans ce cadre, les OPCO poursuivent plusieurs objectifs : adaptation des compétences des salariés aux enjeux de la transition, mobilisation et adaptation de l'offre de formation, création de référentiels de compétences intégrant la transition écologique et valorisation des nouvelles compétences, aussi bien auprès des salariés actuellement en poste que des personnes en orientation ou en recherche d'emplois.

Différents OPCO ont ainsi internalisé le changement climatique dans les démarches suivantes :

• l'OPCO coopération agricole, agriculture, pêche, industrie agroalimentaire et territoires (OCAPIAT) a ainsi créé une équipe dédiée d'étude et de prospective pour conduire des travaux sur les enjeux de la transition écologique dans la filière en matière d'emploi et de besoins en compétences et un réseau de conseiller pour sensibiliser les entreprises ;

• Constructys, spécialisé dans la construction et le bâtiment, développe un programme de formation aux économies d'énergie à destination des salariés, en partenariat et avec des financements d'EDF ;

• l'OPCO 2i (interindustrie), avec la convention relance industrie, soutient les entreprises industrielles en difficulté ou en activité partielle en finançant des actions de formation de leurs salariés et en certifiant certaines compétences, avec par exemple en 2016 la création d'un certificat de compétences professionnelles de la métallurgie de référent énergie, pour l'optimisation de la consommation d'énergie des équipements industriels du secteur.

Les OPCO gèrent aussi le Fonds national de l'emploi (FNE), doté de 808 millions d'euros de 2021 à 2022, qui finance la formation de salariés d'entreprises en difficulté ou faisant face à des mutations économiques ou technologiques importantes.

Proposition n° 27 : renforcer l'accompagnement des salariés des filières en contraction.

Fermeture des centrales à charbon :
un dispositif exceptionnel qui a connu des difficultés

L'ordonnance n° 2020-921 du 29 juillet 2020 portant diverses mesures d'accompagnement des salariés dans le cadre de la fermeture des centrales à charbon, et le décret n° 2021-297 du 18 mars 2021 pris en son application est le volet gouvernemental d'une série de mesures visant à accompagner les salariés des quatre dernières centrales à charbon avant leur fermeture définitive. Près de 800 salariés étaient concernés. Ces derniers devaient être accompagnés pour une durée de 24 mois, voire 30 mois pour les plus proches de l'âge de la retraite, via un congé d'accompagnement spécifique.

Pour autant, d'importantes difficultés ont été rencontrées. Ainsi, le projet de fabrication et de combustion de granulés de bois Ecocombust, qui devait remplacer la centrale de Cordemais, a dû être abandonné en juillet 2021 après plus de 20 millions d'euros d'investissements. L'appel à manifestation d'intérêt pour une nouvelle unité de production de granulés, émis le 16 février par le Gouvernement, doit donc être suivi avec prudence.

(4) Un fonds pour la transition juste, bienvenu mais limité à certains territoires

Le fonds de transition juste, fonds européen doté de 17,5 milliards d'euros, dont 1 milliard pour la France, vise à atténuer le coût économique, environnemental et social de la transition vers la neutralité climatique, dans les territoires les plus émetteurs de gaz à effet de serre d'origine industrielle. Il est à noter que la France reçoit un montant équivalent à celui dont bénéficie l'Italie, mais nettement moins que la Pologne (premier bénéficiaire à 3,5 milliards d'euros), l'Allemagne et la Roumanie.

70 % des montants de ce fonds, gérés au niveau de la région, sont consacrés à la reconversion ou à l'adaptation d'entreprises, issues de secteurs en déclin ou en transformation, vers une économie décarbonée, mais aussi à la diversification de l'économie locale. Les 30 % restants sont fléchés vers la formation et à la recherche d'emploi des travailleurs et des demandeurs, via un programme national géré au niveau local par les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS).

Toutefois, seuls certains territoires sont concernés . Il s'agit des départements du Nord, du Pas-de-Calais et des Bouches-du-Rhône, un territoire s'étendant sur 27 établissements publics à coopération intercommunale de la région Grand Est, l'axe Seine et Bresle en Normandie, le territoire Rhône et Isère en Auvergne-Rhône-Alpes et le territoire du pacte de Cordemais dans la région Pays de la Loire.

c) Recentrer la formation en direction des secteurs porteurs en s'appuyant sur les EDEC
(1) Mettre à profit les nouvelles compétences des Crefop pour renforcer la dimension environnementale de la gestion des emplois et des parcours professionnels à l'échelon régional

Les engagements de développement de l'emploi et des compétences (EDEC), accords conclus entre l'État et des branches professionnelles pour anticiper les mutations de l'emploi, pourraient davantage prendre en compte la dimension environnementale.

En particulier, l'article 42 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets prévoit la présence de personnalités « qualifiées dans le domaine de la transition écologique » au sein des comités régionaux de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Crefop). Forts de ce surcroît de compétences, les Crefop pourraient augmenter la dimension prospective de leurs travaux en soutien aux EDEC.

Ces derniers, à l'instar de ce qui a été fait pour la filière électrique256 ( * ), pourraient ainsi être déclinés région par région pour être au plus près des spécificités territoriales.

L'appel à projets « Soutien aux démarches prospectives compétence » du Plan d'Investissement dans les Compétences 2018-2022 montre la priorité affichée donnée à la transition écologique dans les politiques de formation de ces dernières années .

Pour autant, une étude de capitalisation 257 ( * ) des EDEC achevés entre 2019 et 2021 relève que les impacts de la transition écologique sur les métiers et compétences sont un sujet encore peu exploré par les branches professionnelles .

Proposition n° 28 : développer le rôle prospectif des Crefop dans l'évaluation des impacts de la transition écologique

(2) Loi climat : un encouragement à une GPEC durable à confirmer

La loi climat apporte de nouvelles dispositions à la GPEC de branche et d'entreprise. Plusieurs filières se sont emparées du sujet à travers leur Observatoire des métiers et des qualifications (OPMQ) de branches ou d'OPCO en s'appuyant sur des Engagements et développements et compétences (EDEC) dans les filières du BTP, de l'électrique ou encore de l'eau.

Cependant, comme cela est mentionné plus haut, si la prise en compte de la transition écologique figure dans le cahier des charges des EDEC, force est de constater qu'elle n'est pas toujours effective dans les faits .

Afin de mieux accompagner les entreprises dans la définition de leurs besoins en matière de formation professionnelle, les OPCO doivent contribuer à définir leurs besoins en matière de formation professionnelle intégrant la transition écologique.

Les EDEC déjà créés ont permis d'engager plusieurs actions, dont :

- la création d'une certification « éco-manager » au sein de la branche audiovisuelle afin de garantir les conditions de l'écoresponsabilité lors d'événements éphémères ;

- l'élaboration de cours en ligne sur l'économie circulaire à destination des salariés dans la plasturgie ;

- une enquête « Éco prospective », dans le secteur du commerce, pour dresser un état des lieux des pratiques écologiques d'une entreprise, obtenir une analyse du niveau de maturité et envisager des actions et des recommandations à mettre en place.

d) Anticiper et accompagner le verdissement des emplois
(1) Au-delà des métiers verts : les métiers « verdissants » concernent déjà un salarié sur sept

Les métiers verts, soit ceux dont la finalité est directement environnementale, sont exercés par 140 000 personnes en 2018, soit 0,5 % de l'emploi total. Pour autant, de plus en plus de métiers sont « verdissants », c'est-à-dire dont les compétences évoluent pour intégrer les enjeux environnementaux : 3,8 millions 258 ( * ) seraient concernés.

C'est par exemple le cas de nombreux métiers du bâtiment, ou encore de l'agriculture, concernés par les économies d'énergie. En 2013, ces métiers représentaient 12,8 % de l'emploi total, contre 14 % en 2018. Ils sont en grande partie des emplois de techniciens, d'ingénieurs et de scientifiques, situés en milieu urbain.

Pour autant, les entreprises peinent à traduire cette transition par l'identification des compétences techniques et spécifiques qui découleront de l'adaptation aux nouveaux modes de production « verts » ou « verdis. Les besoins de formation professionnelle des salariés, pour leur permettre de monter en compétences et ainsi pérenniser leur emploi, ne sont donc pas encore pleinement identifiés, alors que les branches peinent par ailleurs à évaluer la maturité écologique de leurs entreprises.

De plus, l'article 304 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets prévoit que le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1 er janvier 2022, un rapport sur les métiers et compétences en tension en rapport avec la transition écologique, sur l'offre de formation professionnelle initiale et continue à ces métiers et compétences et sur l'opportunité que présente le déploiement des écoles de la transition écologique pour répondre au besoin de formation professionnelle identifié. Or, ce rapport n'a toujours pas été, à la date de publication du présent rapport, remis au Parlement.

La négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels pourrait être intégrée dans le plan de développement des compétences (PDC).

Proposition n° 29 : confier aux observatoires d'analyse et d'appui au dialogue social une mission d'évaluation des nouvelles méthodes de travail liées au changement climatique.

(2) Lever les freins à l'attractivité de certains emplois et secteurs verts

La reconversion de certains emplois nécessitera un travail sur l'attractivité des nouveaux postes. Par exemple, le report modal du fret routier sur le transport à vélo pose la question du niveau de salaire, de la sécurité physique et de la pénibilité du travail. Travailler sur ces problématiques de l'attractivité sera nécessaire pour assurer la pérennité des nouvelles filières de formation.

Manque de compétences : un constat déjà formulé par le Sénat

Selon le rapport d'information n° 536 (2019-2020) de MM. Michel Canévet et Guy-Dominique Kennel, fait au nom de la délégation aux entreprises, déposé le 18 juin 2020 « Des compétences de toute urgence pour l'emploi et les entreprises » , la France souffre de façon générale d'un manque de compétences expliquant à la fois un taux de chômage relativement élevé et un grand nombre de postes non pourvus.

Le rapport soulignait la fragilité de l'apprentissage, malgré une hausse appréciable en 2018-2019 (321 000 contrats supplémentaires sur la période, soit 5 % de plus), face à la crise liée à la pandémie de covid.

Il recommandait en particulier la possibilité pour les entreprises d'amortir l'ensemble de l'investissement immatériel contribuant à améliorer les compétences : en effet, pour l'heure, seules sont concernées les formations consécutives à la mise en service d'un investissement.

Il dressait également le constat selon lequel les entreprises, et particulièrement les PME, étaient insuffisamment sensibilisées aux possibilités d'accompagnement de la GPEC proposées par les OPCO et, en l'absence de candidat idéal, à l'intérêt d'une formation en interne.

Un changement dans les habitudes et les méthodes de travail sera également nécessaire.

C'est particulièrement vrai dans le domaine de la rénovation de logements : aujourd'hui, entre deux et trois millions de gestes individuels de rénovation ont lieu chaque année, mais ils ne concernent qu'une partie du logement et sont nettement moins efficaces qu'une rénovation unique globale, tout en bénéficiant d'aides publiques comme MaPrimeRénov' (deux milliards d'euros pour 2022).

Cependant, certaines interventions sur un logement peuvent nuire à son efficacité énergétique. Par exemple, des travaux effectués par un plombier, un chauffagiste, un ventiliste ou un électricien risquent de dégrader l'étanchéité à l'air de l'enveloppe par les perforations liées à leurs interventions.

Ainsi, un double changement de pratiques est nécessaire : travailler en équipe pour effectuer une rénovation globale et, pour les gestes individuels, prêter davantage attention à l'ensemble des facteurs d'efficacité énergétique .

B. RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE ET TRANSITION : PRÉSERVER LES ENTREPRISES ET LES SALARIÉS DE LA FIÈVRE

1. Un impact négatif direct du changement climatique et du manque de responsabilité sur la productivité et sur la santé des travailleurs
a) Évaluer les risques
(1) Les « Évaluations quantitatives d'impact sur la santé » (EQIS)

La méthode EQIS s'appuie sur des éléments de preuve fournis par diverses disciplines, dont l'épidémiologie et la toxicologie. Une fois établie la causalité de l'exposition à certains facteurs, comme la chaleur et la pollution de l'air, comme ayant un impact négatif sur la santé, on applique les données quantitatives disponibles aux informations sur l'exposition et les risques de santé. Cela permet d'aboutir à une évolution quantitative des impacts sur la santé.

Source : guide EQIS, Santé publique France, 2019.

Kévin Jean, chercheur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), donne l'exemple selon lequel une augmentation de la concentration de particules fines PM2,5 de 10 microgrammes par mètre cube augmente le risque de décès de 15 %. En revanche, 100 minutes hebdomadaires de vélo diminuent cette mortalité de 10 %. Ces chiffres permettent de quantifier les effets de divers scénarios, par exemple celui du respect des accords de Paris en matière de réchauffement climatique.

(2) Une carence de données officielles

Selon M. William Dab, ancien directeur général de la santé, les seuls chiffres officiels d'ensemble existant pour la mesure de la santé au travail sont ceux des maladies professionnelles et des accidents du travail déclarés, sous-évalués et insuffisants.

Au surplus, ceux-ci stagnent depuis dix ans, ne suivant que les variations de l'activité économique, ce qui marque un manque de progrès dans le domaine. Ainsi, en 2020, 540 000 accidents du travail ont été recensés, dont 550 mortels hors accidents de la route 259 ( * ) . 50 700 cas de maladies professionnelles ont été rapportés en 2018 au sein du régime général et du régime agricole.

(3) Un net retard des employeurs du secteur public dans l'établissement des DUERP

La loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail a permis la numérisation et rendu obligatoire le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP), créé par le décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001, soit vingt ans après sa création.

Or, selon la dernière étude de la DARES, seuls 45 % des employeurs l'avaient réalisé.

Prenant acte de ce relatif échec, le quatrième plan santé au travail 2021-2025 compte dans ses objectifs la généralisation du DUERP, avec notamment un portail numérique de conservation des DUERP successifs, avec pour but une meilleure traçabilité.

En outre, on observe que de nombreux DUERP n'intègrent pas les risques psychosociaux (RPS).

Source : Dares, chiffres clés sur les conditions de travail
et la santé au travail, août 2021 (données 2016).

Enfin, il est à souligner que, dans une grande majorité des cas, ce sont les ouvriers et les employés qui sont le plus concernés par les maladies professionnelles et par les accidents du travail.

Proposition n° 30 : améliorer le suivi de la santé au travail en France en assurant la bonne réalisation des DUERP et les adresser chaque année à Santé publique France afin d'évaluer l'exposition aux risques sanitaires.

b) La chaleur excessive met en danger la santé des salariés et conduit à des pertes d'heures de travail
(1) Une température trop haute conduit à des pertes d'heures de travail

Les principales pertes de productivité liées au changement climatique sont celles qui découlent de la température, en particulier trop élevée, et pour les entreprises dont les procédés de production sont à chaud. Ainsi, selon l'OIT, 2,2 % des heures de travail annuelles pourraient être perdues à l'échelle du monde avec une hausse des températures de 1,5 degré Celsius, soit l'équivalent de 80 millions d'ETP à l'échelle du monde.

Ce sont plus d'un milliard de personnes qui pourraient être exposées, au moins un mois par an, à des conditions de chaleur non appropriées au travail, définies comme étant une température corporelle dépassant les 40 degrés Celsius du fait de facteurs environnementaux durant trois jours consécutifs, dans des conditions de faible intensité des efforts physiques. Les travailleurs urbains seraient de loin les plus nombreux à être concernés.

Nombre de personnes exposées à des conditions de chaleur non appropriées au travail selon plusieurs modèles climatiques

Source : Andrews et al, Lancet Planetary Health, 2018.

L'adaptation des horaires de prise de poste est une réponse, de même qu'une adaptation des locaux et que la climatisation. Cependant, des horaires décalés sont un facteur de pénibilité du travail et la climatisation est consommatrice d'énergie, et le sera d'autant plus que les températures continueront d'augmenter.

(2) La hausse des températures pourrait causer des millions de décès de salariés chaque année

Selon les modèles climatiques, plus de 20 millions de travailleurs seraient exposés chaque année à un risque de décès en raison d'une chaleur excessive (ligne médiane dans le graphique présenté ci-dessous)

Nombre de personnes exposées à un risque de décès au travail
en raison de la chaleur selon plusieurs modèles climatiques

Source : Andrews et al, Lancet Planetary Health, 2018.

Proposition n° 31 : évaluer au niveau de la France la prévalence des pics de chaleur dans les années à venir et encourager l'adaptation des employeurs à ces pics en vue de préserver la santé des travailleurs.

c) Une augmentation des pollutions sonores

Chaque année, près de 600 salariés sont reconnus en maladie professionnelle à la suite d'une exposition aux nuisances sonores, et près de 9 % des salariés sont exposés à des bruits supérieurs à 80 décibels plus de 10 heures par semaine 260 ( * ) .

Pour ces derniers, les médecins du travail déclarent qu'un tiers ne dispose pas de protection sonore. Si l'exposition est la plus fréquente dans les métiers de l'industrie et de la construction (de 15 à 25 % des salariés), dans d'autres secteurs -- commerce et réparation automobiles, transports, entreposage, enseignement, santé --, les personnes exposées sont plus rarement protégées.

Selon les mêmes sources, 6,2 % des salariés sont exposés plus de 2 heures par semaine à des bruits comportant des chocs ou des impulsions, dont 39 % sans protection. Ces bruits sont nettement plus concentrés dans les secteurs de l'industrie et de la construction, dont les travailleurs souffrent donc d'une double exposition.

Entre 1994 et 2017, les nuisances sonores ont de plus augmenté, avec 32 % des salariés du secteur privé concernés contre 28 % auparavant, dont 68 % des ouvriers qualifiés (48 % en 1994). Seules les personnes travaillant dans le secteur de l'agriculture ont connu une baisse, de 10 points, mais leur proportion demeure plus élevée que pour les autres secteurs.

Un peu plus de 600 000 salariés déclarent ne pas entendre une personne située à deux ou trois mètres lorsqu'elle leur parle, même en élevant la voix.

Source : Dares, chiffres clés sur les conditions de travail
et la santé au travail, août 2021 (données 2016)

Les difficultés se concentrent sur certains secteurs : agriculture (prévalence de plus de 10 %) et industrie en particulier. Au total, 2,6 % des salariés sont concernés.

Proportion de salariés exposés selon la durée à un bruit supérieur à 80 décibels ou à un bruit comportant des chocs ou des impulsions (en %)

Source : Dares, chiffres clés sur les conditions de travail
et la santé au travail, août 2021 (données 2016).

Si les hommes sont plus souvent exposés à des nuisances sonores que les femmes dans le cadre de leur travail (trois fois plus pour une exposition de plus de 10 heures par semaine ; six fois plus pour des chocs ou impulsions plus de 2 heures par semaine), ces dernières déclarent deux fois moins souvent bénéficier d'une protection auditive.

De manière générale, les ouvriers sont de très loin les plus exposés aux nuisances sonores, de cinq à dix fois plus en proportion que les autres catégories sociales.

d) La persistance des troubles musculo-squelettiques parmi les salariés

Toujours selon la DARES, 88 % des maladies professionnelles reconnues en 2018 relèvent des troubles musculo-squelettiques , avec 10,8 millions de journées de travail perdues en 2018. En particulier, 985 000 salariés, soit 4 %, seraient soumis à la répétition d'un même geste ou d'une série de gestes à une cadence élevée durant plus de 20 heures par semaine, particulièrement les jeunes et les ouvriers non qualifiés.

Près du double (7,7 %) sont soumis à la manutention manuelle de charges plus de 10 heures par semaine, surtout dans les secteurs de la construction, du commerce et de l'agriculture.

Enfin, 34,3 % 261 ( * ) des salariés déclarent devoir rester longtemps dans une posture pénible ou fatigante de façon prolongée pendant leur travail, contre 16,2 % en 1984, soit un doublement en trente ans et une stabilisation depuis dix ans.

Source : Dares, chiffres clés sur les conditions de travail
et la santé au travail, août 2021 (données 2016)

Tous les secteurs sont touchés, à des degrés divers, mais ceux de l'agriculture et de la construction se distinguent, avec une majorité du personnel concerné.

Proportion de salariés soumis à des contraintes articulaires et de la manutention manuelle de charges en 2017 (en %)

Comme pour les nuisances sonores, on observe que les ouvriers, et parmi eux particulièrement les ouvriers non-qualifiés, sont de loin les plus concernés par les contraintes articulaires et la manutention. Sur la répétition de gestes à cadence élevée plus de 20 heures par semaine, hommes et femmes sont concernés dans des proportions similaires, mais les hommes sont plus de deux fois plus soumis à la manutention manuelle de charges plus de 10 heures par semaine.

2. Développer le volet santé de la responsabilité sociétale des employeurs (RSE) pour mieux protéger les salariés
a) Une attention particulière à l'effectivité des démarches de RSE

La RSE se définit comme la contribution de l'entreprise au développement durable , définie selon la norme ISO 26 000 comme ayant pour périmètre la gouvernance de l'organisation, les droits de l'homme, les relations et conditions de travail, l'environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs et les communautés et le développement local.

Son respect peut être mesuré par différents critères de performance extrafinancière, au premier rang desquels les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Il convient cependant de porter une attention particulière à l'effectivité de ces critères, tant le risque d'écoblanchiment, ou de greenwashing, est grand : ainsi, alors que la transparence fait partie de la RSE, de grands groupes ont pu bénéficier de classements ESG avantageux malgré des pratiques contestées. Ce fut par exemple le cas de Wolkswagen, en 2015, à l'époque des révélations du diesel gate , ou, plus récemment, du groupe gestionnaire de maisons de retraite ORPEA.

b) Les entreprises ont une obligation de prévention au travail

Le code du travail précise les mesures nécessaires que l'employeur doit prendre en matière de prévention des risques professionnels pour assurer la sécurité des salariés et protéger leur santé physique et mentale. L'article L. 4121-1 du code du travail lui fait obligation de manière très générale de prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur a également un devoir d'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Les risques professionnels mentionnés par le code du travail

1° Des contraintes physiques marquées :

a) Manutentions manuelles de charges ;

b) Postures pénibles définies comme positions forcées des articulations ;

c) Vibrations mécaniques ;

2° Un environnement physique agressif :

a) Agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées ;

b) Activités exercées en milieu hyperbare ;

c) Températures extrêmes ;

d) Bruit ;

3° Certains rythmes de travail :

a) Travail de nuit dans les conditions fixées aux articles L. 3122-2 à L. 3122-5 ;

b) Travail en équipes successives alternantes ;

c) Travail répétitif caractérisé par la réalisation de travaux impliquant l'exécution de mouvements répétés, sollicitant tout ou partie du membre supérieur, à une fréquence élevée et sous cadence contrainte.

Les 9 principes de la prévention au travail

(article L. 4121 2 du code du travail)

L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Éviter les risques ;

2° Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail, ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 , ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs

Les entreprises ont ainsi une responsabilité en matière de lutte contre les addictions de leurs salariés.

Lutter contre les addictions : une responsabilité particulière des employeurs

En France, 20 millions d'actifs sur 29 millions sont concernés par les consommations addictives, du simple usage à la dépendance 262 ( * ) . Or, les addictions ont un impact reconnu sur la santé : le troisième objectif de développement durable (ODD) prévoit ainsi de « permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge . »

En particulier, deux des cibles de cet ODD sont : « Renforcer la prévention et le traitement de l'abus de substances psychoactives, notamment de stupéfiants et d'alcool » et « renforcer [...] l'application de la Convention-cadre de l'Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac ».

Au travail, les addictions causent à la fois des difficultés de santé et l'aggravation des risques professionnels. Une démarche de prévention de la part de l'employeur est parfois nécessaire, mais court le risque d'atteindre à la vie privée du salarié. Si l'emploi est, globalement, un facteur de protection contre les addictions (les demandeurs d'emploi sont, par exemple, 2,5 fois plus touchés par l'addiction à l'alcool), 36 % des fumeurs, 9 % des consommateurs d'alcool et 13 % des usagers de cannabis reconnaissent un lien entre difficultés de la vie professionnelle (stress, rythmes de travail, etc.) et hausse de la consommation de substances psychoactives.

Usages de substances psychoactives des actifs occupés âgés de 16 à 64 ans en France

Sources : Baromètres santé 2005, 2010, 2014, INPES.

Si on constate une baisse de la consommation quotidienne d'alcool entre 2005 et 2014, la consommation des autres substances tend ainsi à stagner, voire à augmenter, y compris les autres modes de consommation d'alcool, dont une ivresse répétée. Certains secteurs sont en outre particulièrement touchés : construction, hébergement, restauration, arts, spectacle et service récréatif.

L'article L. 4121-1 du code du travail impose à l'employeur de protéger la santé physique et mentale des travailleurs, et donc de lutter contre les addictions. À cet égard, la bonne formation des médecins et infirmiers du travail est nécessaire : ils sont le relais naturel des politiques de prévention vis-à-vis des employés, tout comme les psychologues du travail lorsque les addictions comportent une dimension de santé mentale.

La sensibilisation des managers et des employés est également cruciale. Diffusion de guides, serious game , aménagement de lieux adaptés et de groupes d'échanges sont autant d'actions engagées par plusieurs entreprises.

Enfin, le dépistage et le contrôle, qui peut être aléatoire ou systématique pour certaines catégories de personnel (sécurité, management, etc.) sont un autre volet de la responsabilité des entreprises en matière de santé des salariés.

c) Les entreprises responsables sont aussi plus résilientes
(1) La prévention fait partie de la performance globale des entreprises

La RSE s'articule autour de quatre grandes dimensions :

- environnement et éthique : ex. certification environnementale, labels ;

- relation client : respect de normes de qualité, amélioration des processus avec les clients ;

- relation fournisseurs : relation contractuelle de long terme, conformité norme qualité, gestion intégrée des ressources d'information ;

- ressources humaines : gestion des compétences, management participatif, prévention des risques santé et sécurité au travail.

Dans ce contexte, la santé des travailleurs s'avère un pilier de la RSE . Le droit à un environnement sain et le concept de santé environnementale montent l'imbrication des deux concepts.

Cet aspect est particulièrement fort dans la dimension « ressources humaines » de la RSE, qui comprend la prévention des risques de santé et de sécurité au travail. Cependant, le respect des normes environnementales participe aussi de la santé des travailleurs, en réduisant par exemple leur exposition à des substances nocives.

Assurer la santé au travail est une des conditions de la réussite des politiques de RSE , ce d'autant plus dans le contexte de stagnation des accidents du travail et des maladies professionnelles évoquées plus haut.

Parmi les dimensions de la RSE, ce sont les ressources humaines qui ont le plus d'impact : une bonne gestion de la responsabilité sociale de l'organisation en matière de ressources humaines permettrait ainsi à une entreprise, en moyenne, d'être 20 % plus performante.

Globalement, une entreprise menant des actions de RSE est, en moyenne, 13 % plus performante qu'une entreprise dont ce n'est pas le cas 263 ( * ) :

Source : Mme Patricia Crifo, CNRS.

§ La notion de ROP

M. Martin Richer, consultant RSE 264 ( * ) précise le concept de retour sur prévention ( Return on Prevention , ROP) : chaque euro investi dans la prévention se traduit par des retombées financières pour l'organisation. Selon certaines études, ce ROP peut ainsi aller de 1,01 à 4,81 265 ( * ) . La Commission européenne estime elle un rapport bénéfice-coût compris entre 1,29 et 2,18.

L'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) a mené une enquête aboutissant à un ROP de 2,2, c'est-à-dire que chaque euro investi dans la prévention offre un retour sur investissement de 2,20 €, essentiellement (71 %) grâce à un travail de production plus efficace car effectué en sécurité 266 ( * ) .

Répartition des gains liés aux actions de prévention

Source : OPPBTP, 2014.

S'y ajoutent des gains sur les achats (meilleur emploi des ressources) et du chiffre d'affaires additionnel lié aux activités supplémentaires développées grâce aux actions de prévention. Les actions recensées par l'OPPBTP avaient un délai moyen de retour sur investissement, sur un plan strictement financier, d'un an et demi.

Bien plus, selon cette étude, ce sont les plus petites entreprises qui ont le plus intérêt à mener de telles opérations, avec un bénéfice moyen de 8 170 € pour les entreprises de moins de 20 salariés.

Les entreprises investissant dans la politique de prévention sont ainsi doublement gagnantes, pour la santé de leurs salariés et pour les gains de productivité qu'ils dégagent .

(2) Le quatrième plan travail et santé reconnaît la priorité à donner à la prévention

Le quatrième plan santé au travail (PST4) 2021-2025 a été publié le 14 décembre 2021, et a pour objectif la lutte contre les accidents du travail. En cohérence avec la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, cette nouvelle édition met un accent particulier sur la prévention.

Source : PST4.

Il s'articule sur dix objectifs répartis en quatre axes, dont le premier (prévention primaire et culture de prévention) a une importance particulière en matière de responsabilité sociale des entreprises.

Il est à noter que, pour la première fois, le PST comporte des indicateurs stratégiques, qui permettront de mieux s'assurer de sa bonne exécution.

Source : PST4.

d) La RSE accroît les obligations des entreprises en matière de santé au travail

Sous la pression de la société, mais également des investisseurs , la RSE modifie considérablement les pratiques des entreprises et favorise leur prise de conscience de la nécessité de l'augmentation de la qualité de vie au travail 267 ( * ) .

Pour autant, il faut amplifier ce mouvement par une démarche d'accompagnement, surtout vis-à-vis des plus petites entreprises, moins armées pour anticiper les changements. En effet, si la multiplication des mesures de transition a un objectif louable, elle alourdit la charge réglementaire pour les entreprises, surtout de petite taille.

Par ailleurs, il reste d'importants efforts à fournir pour développer la responsabilité des employeurs en matière de prévention contre les risques, tant physiques que psychosociaux, au travail. Elles demeurent encore trop peu nombreuses. Ainsi, en 2016, seuls 48 % des employeurs avaient mis en oeuvre, sur 12 mois, de telles actions.

Actions de prévention contre les risques physiques et contre les risques psychosociaux

Proportion des employeurs ayant mis en oeuvre une action de prévention des risques

Source : Dares, chiffres clés sur les conditions de travail
et la santé au travail, août 2021 (données 2016)

Comme pour l'établissement des DUERP, ce sont là encore les employeurs des fonctions publiques d'État et territoriale, ainsi que les TPE et les PME, qui sont le plus en retard dans ce domaine.

De multiples dispositifs d'aide sont pourtant accessibles

Le volontariat territorial en entreprise (VTE) vert est une aide de 12 000 euros financée par le ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion et l'Ademe et versée par Bpifrance aux entreprises qui recrutent pour au moins un an un jeune en alternance ou un jeune diplômé pour une mission ou un projet de développement structurant pour la transition écologique de l'entreprise. Un tel projet peut prendre la forme de la création d'une chaîne logistique verte ou de la limitation de l'impact environnemental d'un produit. Lancé en septembre 2020, ce dispositif n'est devenu opérationnel que tout récemment, avec seulement une centaine d'aides attribuées au total.

La branche accidents du travail-maladies professionnelles (ATMP) de la sécurité sociale a également lancé plusieurs outils de prévention, comme la démarche TMS Pros (troubles musculo-squelettiques), à destination des entreprises. Elle finance aussi largement la formation initiale dans ce domaine : un million d'apprentis ont été formés en prévention en 2020.

Enfin, plus de 425 aides publiques (estimation fournie par l'UNSA), au niveau européen, national et régional, sont destinées à aider les entreprises en matière de responsabilité sociale. Elles concernent des sujets divers, de la performance énergétique à la gestion des déchets en passant par le transport des salariés.

Proposition n° 32 : créer un guichet unique pour l'accès des entreprises aux aides à la transition écologique et une base de suivi de ces aides, établir une liste exhaustive des critères environnementaux à remplir pour en bénéficier, et prévoir des sanctions en cas de non-conformité aux critères.

e) L'effet de levier de la commande publique pour encourager la responsabilité
(1) Une labellisation à consolider

L'évaluation de la prise en compte de sa responsabilité sociale par une entreprise repose en grande partie sur l'attribution de labels. Cependant, ces derniers sont de qualité variable. Partant de ce constat, la plateforme RSE, créée en 2013 et rattachée à France Stratégie, a publié un rapport en février 2021 portant sur la reconnaissance des labels RSE sectoriels et commerce équitable.

Ainsi, de multiples labels attestant d'une démarche de responsabilité sociale des entreprises existent, par exemple les normes ISO (5000/14 000/26 000) ou bien des certifications : pour le seul secteur du bâtiment, on compte ainsi, entre autres, NF Haute qualité environnementale (HQE), Bâtiments durables méditerranéens (BDM), Bâtiment basse consommation (BBC), Haute performance énergétique (HPE). Cette multiplicité nuit à la lisibilité de cette labellisation.

Ce processus de création continue : ainsi, le label Investissement socialement responsable (ISR ), créé par l'État français en 2016, prend en compte les performances de gouvernance environnementale et sociale (ESG) des organisations.

L'État et les administrations publiques peuvent, par le biais de la commande publique, envoyer un signal en direction des labels les plus robustes et les plus significatifs. Toutefois, une telle démarche reste empêchée par des obstacles juridiques.

(2) Veiller au soutien public des entreprises responsables

En effet, la prise en compte par les acheteurs publics de la démarche RSE demeure insuffisante et limitée par le code des marchés publics. Elle serait un levier supplémentaire pour encourager les organisations à engager cette démarche.

C'est d'autant plus problématique que le code des marchés publics, s'il autorise la prise en compte du développement durable à tous les niveaux de la passation du marché, de la définition du besoin à l'analyse des candidatures en passant par les conditions d'exécution, il la limite à l'existence d'un lien avec l'objet du marché 268 ( * ). En outre, la jurisprudence actuelle ne reconnaît pas l'introduction dans l'appel d'offres de clauses sur la politique globale de l'entreprise, y compris un critère de responsabilité sociale 269 ( * ) .

Proposition n° 33 : modifier l'article L. 2112-3 du code de la commande publique pour permettre aux acheteurs publics de prendre en compte la dimension RSE dans leurs appels d'offres.

3. Améliorer la résilience et la responsabilité de l'État employeur
a) Un premier plan santé au travail dans la fonction publique à la portée encore trop limitée

Le 14 mars 2021, Mme Amélie de Montchalin, ministre de la fonction et de la transformation publiques, a présenté aux partenaires sociaux le premier plan santé au travail pour la fonction publique, qui s'étale sur la période 2022-2025 270 ( * ) .

Il entend « faire reculer les risques, sources de drames humains et de freins à la qualité du service public, et encourager la diffusion et la consolidation d'une véritable culture de prévention dans les trois versants de la fonction publique » et s'inspire des principes généraux des responsabilités de l'employeur du secteur privé en matière de prévention.

Cependant, à l'issue du dernier comité de concertation avant la publication du plan, plusieurs organisations syndicales ont regretté le manque de concertation et l'aspect non contraignant du plan 271 ( * ) .

L'État devrait pourtant se montrer exemplaire et donner l'exemple afin d'entraîner les acteurs économiques à se préparer à la transition climatique.

Proposition n° 34 : s'assurer du respect et de l'efficacité du plan santé au travail pour la fonction publique.

b) Déterminer une cartographie des risques des agents publics

Les différentes auditions menées par la mission ont permis de dresser le constat selon lequel l'État et, de façon plus générale, les administrations publiques, en tant qu'employeurs et acteur économiques, ne sont pas aussi armées que les entreprises en matière de préparation et d'adaptation de leurs parties prenantes à la transition climatique.

Pour leur part, les entreprises publiques s'y préparent. Ainsi, EDF met à jour, tous les six mois, une cartographie des risques , discutée par son comité exécutif.

Plus généralement, la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre prévoit que les entreprises de plus de 5 000 salariés dont le siège social est en France, ou de plus de 10 000 salariés, établissent un plan de vigilance .

Ce dernier comporte les éléments suivants 272 ( * ) :

« 1° Une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation ;

« 2° Des procédures d'évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard de la cartographie des risques ;

« 3° Des actions adaptées d'atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ;

« 4° Un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements relatifs à l'existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société ;

« 5° Un dispositif de suivi des mesures mises en oeuvre et d'évaluation de leur efficacité. »

L'État est dépourvu d'un tel outil, alors qu'il l'impose aux entreprises. Or, les fonctionnaires, qu'ils relèvent de l'État, des collectivités territoriales ou de la fonction publique hospitalière, sont placés, à l'égard des risques climatiques et environnementaux, dans la même situation que les salariés du secteur privé. Aucun argument ne s'oppose donc à ce que les employeurs publics se dotent d'une cartographie des risques de santé publique concernant les agents des trois fonctions publiques.

Ces éléments semblent souhaitables et bienvenus pour implémenter une culture de la transition climatique au sein des administrations publiques.

Proposition n° 35 : créer une cartographie des risques de santé publique des trois fonctions publiques, mise à jour régulièrement.

IV. L'APPLICATION IMMÉDIATE D'UNE SÉCURITÉ SOCIALE ÉCOLOGIQUE : CONCRÉTISER LE DROIT À UNE ALIMENTATION SAINE

A. LE REGRETTABLE OUBLI D'HIPPOCRATE

1. Les effets bénéfiques sur la santé d'une alimentation diversifiée et les méfaits d'une alimentation trop pauvre ou trop riche
a) Une nourriture saine fait progresser l'espérance de vie de dix ans

La conscience que l'alimentation est un déterminant essentiel de la santé a des racines historiques profondes 273 ( * ) . On prête ainsi à Hippocrate la formule « Que ton alimentation soit ta meilleure médecine », même si cette attribution reste controversée et ne figure pas dans le corpus hippocratique avec cette clarté proverbiale 274 ( * ) . À défaut d'un auteur identifié, cette idée selon laquelle des choix alimentaires pertinents font office de « première médecine » est largement répandue.

De nombreuses études établissent les effets bénéfiques sur la santé d'une alimentation diversifiée et des apports alimentaires répondant aux besoins de l'organisme. Le Professeur Franck Chauvin, président du Haut Conseil de la santé publique, a indiqué à la mission d'information 275 ( * ) que le HCSP s'est prononcé à de nombreuses reprises, à travers plus de 15 avis ou rapports, pour souligner le rôle majeur d'une alimentation équilibrée comme déterminant d'une bonne santé (repères nutritionnels, politique nutritionnelle, etc. ). Sans entrer dans une littérature scientifique foisonnante, citons la récente contribution de l'université de Bergen (Norvège) qui a démontré qu'en optant à l'âge de 20 ans pour un régime riche en légumineuses, céréales complètes, fruits à coque, poissons, fruits et légumes, le gain potentiel d'espérance de vie est de plus de dix ans pour un individu âgé d'une vingtaine d'années au régime alimentaire occidental moyen : en moyenne 10,7 ans pour une femme, 13 ans pour un homme 276 ( * ) .

A contrario , les méfaits de la malnutrition sont étayés par un vaste corpus scientifique. Citons à titre d'exemple l'étude menée en 2019 par 130 chercheurs réunis au sein du Global Burden of Disease , qui a mis en évidence que 11 millions de personnes meurent chaque année dans le monde du fait d'une mauvaise alimentation, soit 22 % des décès constatés parmi la population adulte ! Avec plus de 9 millions de morts, les maladies cardiovasculaires apparaissent comme la principale cause de décès attribuables à une alimentation déséquilibrée, suivies par les cancers (913 000 décès) et le diabète de type 2 (338 000 morts) 277 ( * ) . Cette même étude a par ailleurs montré que la quasi-totalité des aliments et nutriments sains sont sous-consommés à travers le monde. Dans le même temps, les auteurs relèvent une surconsommation de produits aux effets néfastes sur la santé par rapport aux niveaux recommandés, à l'instar des boissons sucrées, du sel ou de la charcuterie.

Il est désormais incontestable qu'un des canaux de l'amélioration de l'état de santé globale de la population passe par la réduction des inégalités alimentaires et la généralisation de l'accès à une alimentation saine . Le consensus relatif à cette question dépasse d'ailleurs le seul cadre national ou européen : une société d'assurance santé américaine, Geisinger Health System , propose même à une partie de ses assurés diabétiques le programme « Fresh Food Pharmacy », dans le but de favoriser l'accès à des produits sains et variés, principalement des fruits et des légumes, ayant un effet notable sur l'amélioration de la santé des bénéficiaires 278 ( * ) .

b) La qualité de l'alimentation, un Objectif de développement durable

Dans le cadre de l'Agenda 2030, les politiques publiques en faveur de l'alimentation ont par ailleurs été érigées en Objectif de développement durable (ODD), dans le but d'« éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l'agriculture durable » (ODD 2).

Détail des deux premières cibles de l'ODD 2

Titre de la cible

Description de la cible

Faim

2.1 : d'ici à 2030, éliminer la faim et faire en sorte que chacun, en particulier les pauvres et les personnes en situation vulnérable, y compris les nourrissons, ait accès tout au long de l'année à une alimentation saine, nutritive et suffisante

Malnutrition

2.2 : d'ici à 2030, mettre fin à toutes les formes de malnutrition , y compris en réalisant d'ici à 2025 les objectifs arrêtés à l'échelle internationale relatifs aux retards de croissance et à l'émaciation parmi les enfants de moins de 5 ans, et répondre aux besoins nutritionnels des adolescentes, des femmes enceintes ou allaitantes et des personnes âgées.

Source : ONU, Agenda 2030.

Des résultats aussi univoques concernant les effets de l'alimentation sur la santé plaident pour des politiques publiques volontaristes et ambitieuses en matière d'éducation alimentaire , avec des efforts renouvelés en matière de santé publique et d'éducation nutritionnelle. Les risques liés à une mauvaise hygiène alimentaire et aux déséquilibres nutritionnels sont largement évitables, en agissant notamment sur la connaissance et les comportements, dès le plus jeune âge. Au-delà de l'influence déterminante des parents, l'école a en effet un rôle important à jouer pour apprendre aux élèves ce qu'est un régime alimentaire sain et varié, tout en les sensibilisant aux effets de l'alimentation sur la santé. Une éducation alimentaire précoce démultiplie les effets et accroît les bénéfices pour la santé publique.

Cependant, pour permettre aux politiques publiques et aux acteurs de converger vers des mesures et des recommandations opérationnelles, un effort sémantique préalable est nécessaire. Les travaux du Conseil national de l'alimentation ont ainsi permis de dégager en 2017 une définition de l' alimentation favorable à la santé comme une « alimentation qui contribue de manière durable au bien-être physique, mental et social de chacun. Elle doit assurer la sécurité alimentaire et ainsi préserver la santé de la population dans son environnement et son contexte culturel. Accessible à tous, elle exige un engagement responsable de tous les acteurs de la chaîne alimentaire et un dialogue permanent au sein de la société » .

Au cours de ses travaux, la mission d'information a fait sienne cette définition qui prend en compte l'ensemble des enjeux, notamment nutritionnels, sociaux et environnementaux, pour dégager ses constats et ses recommandations.

2. La France, le pays de la gastronomie et d'une agriculture de qualité, voit progresser les pratiques alimentaires malsaines
a) 80 % des dépenses alimentaires consacrées aux produits transformés

Selon la troisième étude individuelle nationale des consommations alimentaires (Inca 3) coordonnée par l'Anses en 2017 279 ( * ) , on observe une évolution globale des modes de consommation en France, avec une tendance nette à l'augmentation de la part des produits transformés qui concernent près de 80 % des dépenses alimentaires des ménages , une prise plus fréquente de repas hors foyer et une évolution de la structuration des repas vers la simplification, la déstructuration et l'individualisation. On trouve dans l'assiette des Français toujours plus de produits transformés, une nette augmentation des compléments alimentaires depuis 2007, encore trop de sel et surtout pas assez de fibres. En outre, on note une augmentation préoccupation de pratiques à risque : une consommation croissante de denrées animales crues, des températures relevées dans les réfrigérateurs qui ne sont pas toujours adaptées et des dépassements plus fréquents des dates limites de consommation.

Devant la mission d'information 280 ( * ) , Daniel Nizri, président de la Ligue nationale contre le cancer et du comité de suivi du programme national nutrition santé 2019-2023, a souligné la prégnance de ces évolutions alimentaires, qui affectent toutes les classes sociales : « La malbouffe concerne toutes les populations, qu'elles aient les moyens ou non. [...] Simplement, pour une partie de la population, c'est un choix, alors que, pour une autre, c'est une contrainte ».

L'Insee relève également une baisse tendancielle de la part de l'alimentation dans le budget des ménages 281 ( * ) . En 40 ans, en France métropolitaine, la part de l'alimentation dans la consommation des ménages converge selon les différentes catégories de ménages : en 1979, les 20 % des ménages les plus modestes consacraient 35 % de leur budget à l'alimentation et les 20 % les plus aisés 18 %, soit une différence de 17 points. En 2017, l'écart n'est plus que de 4 points, confirmant l'intuition portée par la loi d'Engel 282 ( * ) . La part des dépenses consacrées à l'alimentation ne peut plus être, comme auparavant, considérée comme un bon indicateur du niveau de vie d'un ménage. Malgré ces évolutions profondes, la prévalence de la sous-alimentation reste inférieure à 2,5 % de la population française pour la période 2017-2020 et la prévalence de l'insécurité alimentaire modérée ou grave serait de l'ordre de 6 % selon France Stratégie.

Les Français et l'alimentation : la fin d'une exception ?

Le goût des Français pour la bonne chère a été internationalement reconnu au travers de l'inscription en 2010 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité du repas gastronomique des Français qui met l'accent, selon l'UNESCO, sur le « fait d'être bien ensemble, le plaisir du goût, l'harmonie entre l'être humain et les productions de la nature » . Malgré un certain nombre de marqueurs qui indiquent des convergences dues à la mondialisation, la France parvient à maintenir son régime alimentaire propre, même si un repas sur sept est désormais pris en restauration collective.

En France, 39,8 décès pour 100 000 habitants sont imputables à l'alimentation en 2019, ce qui est un meilleur résultat que la moyenne mondiale (101) ou des pays de l'OCDE (58), mais une performance inférieure à celle du Japon (31,7) ou de l'Espagne (37,4). En termes de santé publique, la France est relativement moins confrontée au surpoids et à l'obésité que la plupart de ses voisins européens.

La France n'échappe cependant pas aux grandes évolutions observées au niveau mondial, avec une alimentation de plus en plus grasse, sucrée et salée, une part croissante d'aliments transformés et une consommation d'alcool toujours trop élevée (33,8 décès imputables à l'alcool pour 100 000 habitants). La hausse des apports caloriques et la place croissante des aliments transformés, combinées aux effets de la sédentarité, rendent fragiles les bonnes performances relatives de notre alimentation sur la santé, phénomène qui doit inciter à ne pas baisser la garde, voire à accentuer les efforts en matière de santé publique.

En la matière, les pouvoirs publics ne doivent pas se résoudre au fatalisme et les comportements alimentaires évoluent : les résultats de l'enquête « Comportements et consommations alimentaires en France » (CCAF) mettent en lumière en 2019 un regain d'appétence pour les fruits et légumes, chez les enfants comme chez les adultes, après plusieurs années de baisse.

b) Au moins 20 milliards : le coût social de l'obésité

Ces problèmes doivent appeler l'attention des pouvoirs publics, au-delà de la nécessaire amélioration continue de l'état de santé des Français, en raison des charges qu'ils font peser sur les finances publiques. La Direction générale du Trésor a par exemple évalué le coût social de l'obésité et du surpoids (dépenses de santé, absentéisme, etc. ) à 20,4 milliards d'euros en 2012, soit 56 millions par jour, un montant comparable à celui du tabac et de l'alcool 283 ( * ) . Ces montants sont encore supérieurs aujourd'hui, avec une prévalence accrue de l'obésité parmi la population française (plus de 14 % de la population adulte, soit plus de 9 millions de personnes).

Malgré l'importance de ces chiffres concernant la prévalence de l'obésité et du surpoids, la France s'en sort relativement mieux que les autres pays européens, ainsi que l'illustre le tableau ci-dessous. Les problèmes sont globaux, largement répandus dans les pays industrialisés et des solutions volontaristes doivent être imaginées, en tenant compte des contextes économiques, sociaux et culturels, afin d'agir sur les bons déterminants.

3. Des pratiques alimentaires fortement teintées d'inégalité sociale
a) La distinction alimentaire, première des distinctions sociales

On sait, depuis les travaux de Bourdieu 284 ( * ) , que les consommations alimentaires des individus ne sont pas uniquement une affaire de goût et de préférences personnelles, mais déterminées socialement, au travers du concept d'habitus alimentaire. Au-delà des différences de revenus et de la corrélation entre précarité alimentaire et taux de pauvreté, les inégalités nutritionnelles s'expliquent également par des facteurs sociaux . Toutes les personnes en situation d'insécurité alimentaire ne souffrent pas de la faim, mais subissent des restrictions quantitatives ou qualitatives qui affectent à la fois leur alimentation, leur qualité de vie, leur bien-être et leur santé.

Pour l'ensemble des Français, l'alimentation est le troisième poste budgétaire après le logement et les transports, mais c'est le deuxième poste budgétaire pour les 17,2 % de la population la plus défavorisée. Les inégalités sont à la fois quantitatives et qualitatives : un enfant d'ouvrier a 4 fois plus de chance d'être obèse ou en surpoids qu'un enfant de cadre .

En matière de comportements alimentaires, l'Anses relève notamment que les individus ayant un niveau d'étude supérieur ou égal à bac + 4 consomment davantage de fruits et deux fois moins de boissons rafraîchissantes sans alcool. Elle établit un profil-type de rapport à l'alimentation 285 ( * ) : « lorsque la personne de référence du ménage est âgée de 65 à 79 ans, est cadre ou a un niveau d'étude bac + 4 ou plus, les critères de qualité des produits (origine, mode de production, signes de qualité ou composition nutritionnelle) sont deux fois plus fréquemment cités, au détriment du prix (- 15 à - 20 points), que lorsque la personne de référence du ménage est âgée de 18 à 44 ans, est ouvrier, employé ou a un niveau d'étude primaire ou collège. De plus, les premiers privilégient davantage l'approvisionnement via les marchés, circuits courts ou commerces de proximité (+ 20 points) que les seconds, au détriment des grandes surfaces (- 20 points) ».

Le Conseil national de l'alimentation 286 ( * ) (CNA) a publié en septembre 2018 son avis n° 81 intitulé « Alimentation favorable à la santé », qui souligne que « les dépenses alimentaires pèsent particulièrement lourd sur les ménages les plus pauvres ». Prises ensemble, les dépenses pour le logement et l'alimentation occupent en 2016 presque la moitié du budget mensuel d'un senior isolé pauvre (25 % logement et 21 % alimentation) ou modeste (26 % et 20 % respectivement), alors qu'elles représentent une part bien moindre du budget des ménages aisés (16 % et 11 % respectivement). Parmi les mesures nécessaires pour assurer une alimentation favorable à la santé pour tous, le CNA préconise la définition d'une feuille de route interministérielle de lutte contre la précarité alimentaire et la conduite d'une étude sur les processus menant à la précarité alimentaire , ainsi que sur l'alimentation des personnes en situation de précarité et l'impact de celle-ci sur leur état de santé.

L'étude Abena 287 ( * ) sur l'état nutritionnel des bénéficiaires de l'aide alimentaire de 2013 a pour sa part montré que « l'état de santé des usagers de l'aide alimentaire demeurait préoccupant avec des prévalences des pathologies liées à la nutrition (obésité, hypertension artérielle, diabète, certains déficits vitaminiques) particulièrement élevées. » L'étude souligne en outre écart important entre les consommations de certains groupes alimentaires et les recommandations nutritionnelles, en particulier pour les fruits et légumes et les produits laitiers. Laurence Champier, directrice fédérale de la Fédération française des banques alimentaires, a indiqué à la mission d'information 288 ( * ) que les résultats de cette étude étaient précieux pour les organismes de distribution d'aide alimentaire et avaient conduit à des changements d'approche et de pratique, pour répondre aux problématiques de santé publique propres aux bénéficiaires. Le fait de savoir par exemple que 16 % des publics en précarité alimentaire souffraient du diabète a conduit les banques alimentaires à être plus vigilantes quant aux apports glycémiques des produits qu'elles distribuent.

b) L'accompagnement des individus à une alimentation équilibrée, angle mort des politiques publiques

Les pouvoirs publics ont pris conscience de l' importance d'une alimentation disponible et accessible à tous et partout . L'action 15 du programme national nutrition santé (PNNS 4) vise à améliorer l'accès à la santé des personnes en situation de précarité alimentaire. Elle se décline en plusieurs sous-actions : mise en place d'une offre ciblée de petits-déjeuners à l'école ; incitations pour que les communes proposent des tarifs sociaux dans les cantines scolaires ; généralisation de programmes d'accès à l'alimentation infantile ; mise à disposition des personnes travaillant auprès des populations fragiles d'outils adaptés à la lutte contre la précarité alimentaire ; mise à disposition des travailleurs sociaux et des bénévoles d'outils numériques interactifs, pour mieux accompagner les personnes en situation de précarité vers une alimentation favorable à la santé.

Ces efforts sont louables, mais doivent être approfondis. Au vu des inégalités que la crise sanitaire a accentuées, les performances des politiques publiques en matière d'alimentation sont médiocres et ne permettent pas de réduire les égalités sociales. On souffre peu de la faim en France, mais on souffre beaucoup à cause d'une mauvaise alimentation : sur ce point, l'État-providence n'est pas parvenu à tenir ses promesses, comme l'indique la lutte contre l'obésité.

L'obésité,

un exemple de lien entre maladie chronique et inégalités sociales

L'obésité représente un enjeu de santé publique considérable. D'après la direction générale du Trésor, l'accroissement du surpoids et de l'obésité pour l'assurance maladie (scénario central) serait de 0,7 % du PIB d'ici à 2030.

Les inégalités sociales sont majeures et s'inscrivent dès le plus jeune âge. On sait que la prévention ne profite pas de la même façon aux différents groupes sociaux et cette assertion est particulièrement vraie pour l'obésité. L'obésité est presque 4 fois plus fréquente dans les populations socialement et économiquement défavorisées que pour les plus favorisés. Ces inégalités sociales se doublent d'inégalités territoriales avec une situation particulièrement préoccupante dans les territoires ultramarins, notamment en Martinique et en Guadeloupe.

La prise en charge actuelle de l'obésité est insatisfaisante, avec une multiplication d'actions ponctuelles, un éparpillement des initiatives, une absence de suivi des parcours, une forte proportion d'indications nutritionnelles non pertinentes. Nonobstant les coûts de mise en oeuvre, les analyses économiques justifient que l'on s'intéresse à la prévention de l'obésité par le système de soins.

L'analyse de la prévention et de la prise en charge de l'obésité permet de dessiner un système généralisable au-delà des problématiques nutritionnelles, car elle mobilise :

(i) l'ensemble des acteurs du système de santé et au-delà à travers la promotion de la santé,

(ii) les pratiques cliniques préventives : dépistage de l'obésité, prescription de l'activité physique, etc. ,

(iii) le soin curatif : prise en charge des conséquences métaboliques de l'obésité, etc.

Source : Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie.

Proposition n° 36 : mieux prendre en compte les difficultés socio-économiques des individus dans l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques de l'alimentation.

4. Les mesures déjà prises pour favoriser une alimentation saine n'ont atteint que partiellement leurs objectifs
a) De multiples plans nationaux

Les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs et ont multiplié depuis une vingtaine d'années les initiatives pour inciter à l'adoption de comportements alimentaires favorables à la santé. Pour ce faire, l'outil privilégié a été un programme national, souvent pluriannuel, reconduit au terme de sa durée de vie et complété par diverses actualisations pour enrichir le spectre des actions, améliorer le pilotage et l'évaluation, pallier les carences, tenir compte de l'évolution des usages, etc.

Lancé en 2001, le Programme national nutrition santé (PNNS) est un plan de santé publique visant à améliorer l'état de santé de la population en agissant sur l'un de ses déterminants majeurs, la nutrition. Faisant figure de pionnier, ce programme en est désormais à sa quatrième déclinaison, depuis septembre 2019. Codifié à l'article L. 3231-1 du code de la santé publique, il est actualisé tous les 5 ans. Il définit les objectifs de la politique nutritionnelle du Gouvernement et prévoit les actions à mettre en oeuvre afin de favoriser « l'éducation, l'information et l'orientation de la population, notamment par le biais de recommandations en matière nutritionnelle, y compris portant sur l'activité physique ; la création d'un environnement favorable au respect des recommandations nutritionnelles ; la prévention, le dépistage et la prise en charge des troubles nutritionnels dans le système de santé ; la mise en place d'un système de surveillance de l'état nutritionnel de la population et de ses déterminants ; le développement de la formation et de la recherche en nutrition humaine ; la lutte contre la précarité alimentaire. »

Le Haut Conseil de santé publique a souligné les limites des trois précédents programmes, fondés exclusivement sur les déterminants individuels des comportements alimentaires et d'activité physique. Ces stratégies s'appuyaient principalement sur la communication nutritionnelle et des approches purement incitatives qui n'ont atteint que partiellement les objectifs fixés, les inégalités sociales de santé s'étant aggravées dans le domaine de la nutrition. Le HCSP a notamment recommandé une politique nutritionnelle de santé publique s'appuyant sur des mesures visant la population générale avec une intensité graduée selon le degré de désavantage .

Fruit de ces recommandations et du bilan des trois volets précédents, le PNNS 4 se donne pour objectif (1) d'améliorer pour tous l'environnement alimentaire et physique pour le rendre plus favorable à la santé, (2) d'encourager les comportements favorables à la santé, (3) de mieux prendre en charge les personnes en surpoids, dénutries ou atteintes de maladies chroniques, (4) d'impulser une dynamique territoriale et (5) de développer la recherche, l'expertise et la surveillance en appui de la politique nutritionnelle. Il se structure en 22 objectifs et 56 actions et souhaite impulser une place prioritaire à la prévention à tous les stades de la vie.

Un bilan d'évaluation à mi-étape a été réalisé en mai 2021 289 ( * ) , qui a notamment pointé les difficultés d'application de certaines mesures dans un contexte de crise sanitaire et le fait que « 40 % des personnes décédées [de la Covid-19] étaient en surpoids ou obèses et deux tiers des co-morbidités retrouvées chez les personnes admises en réanimation sont en lien avec les conséquences d'une alimentation non favorable à la santé et d'une insuffisance d'activité physique » .

Lancé en 2010, le programme national pour l'alimentation (PNA) organise quant à lui la sécurité alimentaire dans le cadre d'une agriculture durable, étant structuré autour des objectifs de justice sociale, d'éducation alimentaire de la jeunesse et de lutte contre le gaspillage alimentaire. Ce plan en est aujourd'hui à sa troisième déclinaison, pour la période 2019-2023.

Codifié à l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, le PNA définit la politique publique de l'alimentation : celle-ci a pour finalité « l'accès à une alimentation sûre, saine, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante, produite dans des conditions économiquement et socialement acceptables par tous, favorisant l'emploi, la protection de l'environnement et des paysages et contribuant à l'atténuation et à l'adaptation aux effets du changement climatique. » Le PNA encourage le développement des circuits courts et de la proximité géographique entre producteurs agricoles, transformateurs et consommateurs. Il prévoit notamment des actions à mettre en oeuvre pour l'approvisionnement de la restauration collective, publique comme privée, en produits agricoles de saison ou en produits sous signes d'identification de la qualité et de l'origine, notamment issus de l'agriculture biologique. Il est enfin chargé par la loi de « proposer des catégories d'actions dans les domaines de l'éducation et de l'information pour promouvoir l'équilibre et la diversité alimentaires, les produits locaux et de saison ainsi que la qualité nutritionnelle et organoleptique de l'offre alimentaire ».

Le Programme national de l'alimentation et de la nutrition (PNAN) est issu d'une concertation entre le ministère des solidarités et le ministère de l'agriculture et de l'alimentation. Le PNAN est un programme établi pour cinq ans (2019-2023) qui organise la complémentarité entre le PNNS et le PNA autour d'objectifs communs. Parmi les objectifs, on peut citer la réduction de 30 % de la consommation de sel, la promotion du Nutri-Score en visant à le rendre obligatoire au niveau européen ou encore l'extension de l'éducation à l'alimentation de la maternelle au lycée. Ce programme, doté d'un budget de 40 millions d'euros essentiellement abondé par des fonds européens, finance principalement des actions éducatives.

Parmi les actions mises en oeuvre pour modifier les habitudes nutritionnelles des Français, les campagnes nationales « manger bouger » ou « manger cinq fruits et légumes par jour » ont permis de toucher un grand nombre de Français, grâce à des actions de communication ciblées, déployées à la fois sur les médias traditionnels et les réseaux sociaux, avec des recommandations pratiques, un site internet et des recettes pour manger plus sain. Organisés de juillet à décembre 2017, les États-généraux de l'alimentation ont eu le mérite de mettre à l'ordre du jour l'importance des choix de consommation privilégiant une alimentation saine, sûre et durable. Plusieurs ateliers ont été organisés à cette fin, pour faciliter l'adoption par tous d'une alimentation favorable à la santé (atelier 9), réussir la transition écologique et solidaire de notre agriculture en promouvant une alimentation durable (atelier 11), lutter contre l'insécurité alimentaire, s'assurer que chacun puisse avoir accès à une alimentation suffisante et de qualité en France et dans le monde (atelier 12).

b) Un outil simple et accessible : le Nutri-score

Dans le cadre du Programme national nutrition santé (PNNS), des outils ont été déployés pour encourager l'accès à une alimentation saine pour tous, en agissant à la fois sur les comportements alimentaires et l'environnement alimentaire. Parmi eux, le plus emblématique est sans nul doute le Nutri-score , adopté par les pouvoirs publics en 2017, en se fondant sur les travaux de l'équipe du professeur Serge Hercberg.

Outil simple et accessible à tous, il a vocation à aider les consommateurs à choisir des denrées de meilleure qualité nutritionnelle et à inciter les industriels agroalimentaires à améliorer la composition nutritionnelle de leurs produits. Il permet de comparer deux produits transformés entre eux de manière efficace, sans avoir à se pencher sur la composition des ingrédients et la qualité nutritionnelle du produit final. Ainsi que l'a résumé Daniel Nizri, président de la Ligue nationale contre le cancer et du comité de suivi du programme national nutrition santé 2019-2023, « le Nutri-score est un soutien pour aider les personnes, en fonction de leurs revenus, à remplir leurs caddies de la façon la plus intéressante possible, du point de vue de l'accessibilité financière, bien sûr, mais aussi du point de vue du plaisir ».

Les déterminants des actes d'achat du consommateur sont cependant complexes et les recommandations nutritionnelles si diverses que le consommateur est bien souvent désemparé face à la multiplicité des choix qu'impliquent les achats alimentaires. Le Nutri-score a fait l'objet de critiques et des incohérences de notation ont été relevées à de nombreuses reprises : il ne présente pas le réel profil nutritionnel de l'aliment. S'il peut contribuer à l'évolution les pratiques d'achat, il n'est pas suffisant pour modifier les pratiques alimentaires dans leur ensemble , et notamment la capacité à concevoir des menus équilibrés et adaptés aux besoins. Ce n'est pas parce qu'un ménage ne compose ses menus avec uniquement de produits notés « A » que le régime sera équilibré pour la santé.

En définitive, cet indicateur peut constituer le support d'une politique d'éducation à l'alimentation et permet de contrebalancer certaines pratiques de marketing alimentaire. Dominique Nizri a reconnu lors de son audition du 2 mars 2022 que le Nutri-score devait être amélioré : « il lui manque un certain nombre d'éléments qui n'étaient pas accessibles quand il a été mis en place, notamment tout ce qui se rapporte à la filière de production : les intrants , pour ce qui concerne l'agriculture ; les additifs , pour ce qui concerne les produits transformés et ultra-transformés ; les origines , car la question des circuits courts est importante ; enfin, les portions , car il faut indiquer la quantité, d'ailleurs variable selon l'âge, qui peut être mangée. »

Une enquête du CRÉDOC 290 ( * ) a montré que si l'étiquetage énergétique était largement connu et utilisé, le Nutri-Score, plus récent et non obligatoire, a une notoriété beaucoup plus faible : seuls 4 Français sur 10 le connaissent et il n'est présent que sur environ 30 % des produits alimentaires. Pour l'instant, ce sont les catégories les plus éduquées et les classes sociales les plus élevées qui le connaissent et l'apprécient. La mission d'information plaide donc pour l' approfondissement du travail de pédagogie et de communication autour du Nutri-score en direction du grand public.

Proposition n° 37 : approfondir le Nutri-score en intégrant l'impact sur l'environnement des produits, tenant compte de la santé environnementale et opérant une distinction entre produits bruts ou peu transformés et aliments ultra-transformés.

L'évaluation à 3 ans du logo nutritionnel Nutri-score, réalisée par Santé publique France en février 2021 291 ( * ) , a établi que 94 % des Français étaient favorables à son apposition sur les emballages et que plus d'un Français sur deux déclare avoir changé au moins une habitude d'achat grâce à cet affichage.

Source : Santé publique France.

Cette évaluation relève notamment que « plusieurs études ont permis de mettre en évidence l'efficacité du Nutri-Score pour guider les consommateurs vers des choix alimentaires plus favorables à la santé. Des études épidémiologiques ont observé que des personnes consommant des aliments mieux notés par le Nutri-Score avaient un risque plus faible de maladies chroniques liées à la nutrition ». D'autres pays ont par ailleurs adopté ce système d'information nutritionnelle, à l'instar de la Belgique, l'Espagne, l'Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Suisse.

B. PROMOUVOIR L'ACCÈS DE TOUS À UNE ALIMENTATION SAINE ET DURABLE, GÉNÉRATRICE DE PUISSANTES EXTERNALITÉS POSITIVES

1. Favoriser une meilleure éducation à la santé alimentaire
a) Le premier maillon des politiques de prévention

Il a été montré plus haut qu'une alimentation sous-optimale est un important facteur de risque pour la santé . La puissance publique dispose de leviers pour amoindrir ce risque d'origine comportementale, fortement lié aux inégalités sociales, à condition que les mesures proposées appréhendent l'alimentation comme un fait social total, dans l'ensemble de ses dimensions (biologique, culturelle, sociale et économique).

La loi du 11 février 2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire a fait de l' éducation à l'alimentation un axe prioritaire de la politique publique de l'alimentation, reprise dans le code de l'éducation (article L. 312-173) : « Une information et une éducation à l'alimentation et à la lutte contre le gaspillage alimentaire, cohérentes avec les orientations du programme national relatif à la nutrition et à la santé [...] et du programme national pour l'alimentation [...], sont dispensées dans les établissements d'enseignement scolaire, dans le cadre des enseignements ou du projet éducatif territorial [...]. »

La loi de 2018 dite « EGAlim » a complété l'article L. 1 du code rural de la pêche maritime en ajoutant que la politique de l'agriculture et de l'alimentation doit avoir pour finalités de favoriser l'acquisition pendant l'enfance et l'adolescence d'une culture générale de l'alimentation soulignant les enjeux culturels, environnementaux, économiques et de santé publique liés aux choix alimentaires. Le cadre juridique est judicieux, mais insuffisamment mis en oeuvre : les moyens consacrés à la diffusion de cette culture générale sont mal calibrés et trop diffus.

L'accentuation des efforts est nécessaire : selon l'Association nationale de développement des épiceries solidaires (ANDES), un enfant sur trois ne sait pas reconnaître ce qu'il mange . La restauration scolaire a un rôle important à jouer dans les démarches d'éducation alimentaire, grâce à la découverte des aliments bruts ou des ateliers au sein des cuisines scolaires. De même, 45 % des enfants entre 6 et 10 ans ont des apports calciques inférieurs aux besoins nutritionnels moyens, alors même que le calcium est essentiel à la construction du squelette et à son entretien, à la contraction musculaire, à la transmission nerveuse et à la coagulation du sang 292 ( * ) .

L'évolution de l'alimentation quotidienne des enfants depuis une décennie interroge, ainsi que l'illustre le tableau ci-dessous, avec une baisse des produits laitiers, des légumes, des poissons et une hausse des produits transformés et des sodas, même si des facteurs encourageants sont à relever, tels que la baisse des produits sucrés et des matières grasses. Ces modifications préoccupantes du régime alimentaire plaident pour un effort accru en termes d'éducation alimentaire.

Source : Crédoc.

Plusieurs études ont montré que les politiques d'accompagnement et d'éducation à l'alimentation sont essentielles pour agir sur les comportements alimentaires et le rapport au bien-manger 293 ( * ) . Julien FOSSE, directeur adjoint du département développement durable et numérique à France Stratégie, indiquait devant la mission d'information que cette sensibilisation nutritionnelle précoce était un préalable indispensable aux politiques d'aide alimentaire : « Si l'on vous donne la possibilité d'acheter des produits bio en vrac et que vous n'avez pas été sensibilisé à la cuisine, que vous n'avez pas l'habitude de manger des fruits et légumes, parce qu'on ne vous a jamais appris que c'était bon pour la santé, c'est un coup d'épée dans l'eau. » Ces efforts présentent également un avantage, celui d' intégrer différemment le signal-prix des denrées alimentaires , en mettant en évidence le fait que les produits de qualité coûtent parfois plus chers que des produits ultra-transformés sans intérêt nutritionnel.

Pour le professeur Jean-Pierre Corbeau, professeur émérite de sociologie de l'alimentation à l'Université de Tours, « l'éducation alimentaire qui ne relève pas d'un simple enseignement ou d'un pur transfert tournant parfois à l'injonction, est une nécessité pour renforcer la singularité du repas des Français, leur mieux-être, le plaisir du partage et de la dégustation de produits dont on acquiert la connaissance, l'histoire et l'origine » . Des initiatives intéressantes émergent auprès des jeunes publics, souvent portées par des acteurs associatifs locaux, pour les accompagner vers une compréhension plus globale de l'alimentation, comme l'illustre l'encadré ci-dessous.

L'initiative de l'association « Les enfants cuisinent »

Membre du groupe SOS, cette association propose des cycles d'ateliers pendant les temps scolaires afin de favoriser la transversalité de l'alimentation en faisant le lien avec toutes les matières.

Histoire et géographie : origine et localisation des ingrédients.

Mathématiques : calcul des ingrédients pour la recette, budget alimentaire et comptage des familles d'aliments.

Françai s : rédaction de la recette, étude de textes relatifs à la cuisine et l'alimentation.

Arts plastiques : illustration de la recette.

Chimie : réalisation de la recette, transformation et réaction des aliments.

Sciences : procédés de transformation par les animaux, les végétaux et enfin, l'homme ainsi que physiologie avec le fonctionnement du corps (digestion, activité physique, croissance...)

Éducation civique et morale : notions de tolérance des différences physiques (obésité, pathologies...) et culturelles et sensibilisation environnementale.

L'avis n° 84 du Conseil national de l'alimentation « Éducation à l'alimentation » insiste sur la nécessité d'intégrer l'information et l'éducation nutritionnelle tout au long de la vie , au même titre que l'éducation sensorielle, la connaissance et la prise en compte des préférences alimentaires individuelles et collectives. L'éducation à l'alimentation contribue à la construction d'un lien social et à l'apprentissage de règles de civilité qui permet de renforcer l'estime de soi, mais participe également à la construction d'une citoyenneté consciente des externalités, positives comme négatives, des choix alimentaires sur l'état de l'environnement.

Proposition n° 38 : développer la littératie alimentaire tout au long de la vie, en favorisant une éducation propice à une alimentation saine, et accentuer la lutte contre le gaspillage.

Cet effort ne doit pas cibler uniquement les publics scolaires, mais l'ensemble de la population . Les nouvelles recommandations nutritionnelles publiées en 2019 par Santé publique France permettent d'aider la population générale à adopter des comportements alimentaires et physiques plus favorables à la santé, à travers des repères et des messages simples et efficaces. Fin 2021, de nouvelles recommandations nutritionnelles pour les enfants de 0 à 3 ans ont également été publiées. Des travaux pour d'autres populations spécifiques sont en cours d'élaboration (enfants de 4 à 17 ans, personnes âgées, femmes enceintes et allaitantes). La mission d'information se réjouit de telles initiatives et appelle de ses voeux une appropriation la plus large possible de ces recommandations.

b) Mieux informer pour mieux manger

Notre système de santé s'est historiquement fondé sur le paradigme selon lequel la pathologie est l'axe de rotation , avec pour corollaire une part très importante des dépenses de santé consacrée au curatif (97 %) et une portion très congrue au préventif (à peine 3 %). L'enjeu doit désormais être, plus que jamais, de prévenir l'apparition des pathologies en misant de manière volontariste sur les politiques préventives de santé publique, dont l'éducation à l'alimentation doit être une composante importante. Mieux informé, chaque citoyen pourra ainsi instaurer, dans sa vie quotidienne, des habitudes alimentaires fondées sur le plaisir gustatif et favorables à son maintien en bonne santé, ce qui limitera ainsi l'apparition de pathologies dites « évitables » ou chroniques.

Sur cet aspect, les messages publicitaires et le marketing alimentaire orientent trop souvent les comportements d'achat et de consommation alimentaire, en particulier ceux des populations les plus fragiles, vers des produits présentant peu d'intérêt nutritionnel. En 2015, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a prôné une limitation du marketing sur certains produits à forte teneur en sucre, en sel et en gras , par la mise à disposition d'un outil d'élaboration et de mise en oeuvre de politiques visant à restreindre le marketing auprès des enfants de deux façons : en déterminant quels aliments ne peuvent faire l'objet d'un marketing auprès des enfants et en surveillant la portée et la nature du marketing de produits alimentaires.

L'association UFC-Que Choisir a conduit en octobre 2020 une étude sur le type d'aliments promus dans les publicités télévisées en fonction de leur intérêt nutritionnel, exprimé au travers du Nutri-Score. Dans le cas des aliments destinés à l'ensemble des consommateurs, une répartition assez équilibrée est relevée. En revanche, pour les aliments destinés spécifiquement aux enfants, 88 % des spots concernent des aliments de Nutri-Score D et E .

Source : UFC-Que choisir.

Ces résultats plaident pour la prise de mesures fortes visant à contrer ces incitations, d'autant plus pernicieuses qu'elles s'intercalent dans des grilles de programmes destinés au jeune public.

Proposition n° 39 : mieux encadrer la publicité et le marketing alimentaire dans les médias, notamment aux heures de grande audience et dans les programmes destinés à la jeunesse.

2. Passer d'une logique d'assistance alimentaire à une logique d'accompagnement par l'alimentation, plus holistique
a) La lutte contre la précarité alimentaire, un combat permanent

Au cours de la crise sanitaire, l'allongement des files d'attente dans les points de distribution alimentaire 294 ( * ) et l'augmentation du nombre d'étudiants y ayant recours rappellent si besoin était que la lutte contre la précarité alimentaire est un combat qui n'est jamais gagné . La Fédération française des banques alimentaires a indiqué devant la mission d'information une hausse des repas distribués de plus de 6 % en 2020 et de 4 % en 2021, soit plus de 225 millions de repas servis par an 295 ( * ) . Cet acteur central de l'aide alimentaire observe que la crise sanitaire a fait basculer de nouvelles personnes dans la précarité alimentaire , avec 51 % des néo-bénéficiaires depuis moins d'un an et 35 % depuis moins de 6 mois. Les chiffres sont vertigineux par leur ampleur : comme l'a indiqué Dominique Nizri devant la mission d'information, « la précarité concerne environ 1,5 million de personnes, la pauvreté, 8 millions de personnes, et la fragilité alimentaire 30 % de la population ; il y a donc dans le pays 20 millions de personnes qui font leurs comptes et réfléchissent avant d'acheter leurs aliments ». Depuis 2009, le nombre de personnes aidées par les banques alimentaires a augmenté de 171 % !

La précarité alimentaire et son évolution depuis la crise sanitaire

Certains de nos concitoyens accèdent difficilement à un panier alimentaire satisfaisant, en quantité comme en qualité. De nombreux ménages aux budgets limités font leurs courses chaque semaine à l'euro près et sont contraints dans leurs choix alimentaires : ils dépendent d'une nourriture de mauvaise qualité majoritairement transformée par l'agro-industrie. En outre, face aux dépenses contraintes que sont le logement et le transport, certains ménages opèrent des arbitrages défavorables à leur santé en supprimant ou appauvrissant la qualité de leurs repas.

La situation nationale ne s'améliore pas en dépit de la progression du revenu moyen par habitant : au cours de la dernière décennie, le recours à l'aide alimentaire a doublé. Entre 2009 et 2018, le nombre de bénéficiaires a été multiplié par deux, de 2,8 à 5,5 millions de personnes.

La mission d'information sénatoriale sur l'évolution et la lutte contre la précarisation et la paupérisation d'une partie des Français a relevé deux caractéristiques marquantes des publics concernés par la précarité alimentaire : leur jeunesse (40 % des bénéficiaires des Restos du Coeur sont mineurs) et leur isolement (40 % de ce même public sont des personnes seules, souvent des femmes avec enfants).

La crise sanitaire a contribué à l'apparition de nouveaux publics dans les centres de distributions et épiceries solidaires, notamment des jeunes, travailleurs précaires ou autoentrepreneurs. Une enquête menée en 2021 par la Fédération française des banques alimentaires indique que près de la moitié des personnes interrogées déclaraient avoir recours à l'aide alimentaire depuis moins d'un an, et un tiers depuis moins de 6 mois. Les premiers résultats provisoires du dispositif de suivi de l'aide alimentaire en France publiés par la DREES et l'Insee en juillet 2021 font également état d'une nette hausse des volumes distribués par les associations (+ 10,6 %) et des inscriptions (+ 7,3 %) en 2020 par rapport à 2019.

D'après l'avis n° 89 du CNA de juillet 2021, la crise sanitaire du Covid-19 a rendu visible et aggravé l'insécurité alimentaire en France. Elle a mis en évidence de fortes inégalités, territoriales et socio-économiques, dans l'accès à une alimentation compatible avec un système alimentaire durable. Tous les niveaux du système alimentaire ont été affectés, et la fracture alimentaire s'est creusée entre des consommateurs qui ont adopté des modes de consommation considérés comme plus durables (fait maison, plus de fruits et légumes, plus de local et de bio, moins de produits transformés, etc. ) et d'autres contraints à réduire la qualité, et la diversité de leur alimentation (moins de fruits et légumes notamment), ou même sa quantité. Le CNA mentionne « une explosion de la précarité alimentaire » durant le premier confinement, en raison des baisses ou pertes de revenu (chômage partiel, perte d'emploi, disparition des jobs étudiants, etc.), de la fermeture des lieux de restauration collective, de difficultés d'accès aux commerces, de situations d'isolement inédites.

Enfin, le renchérissement du prix des matières premières laisse présager des tensions inflationnistes sur le coût des produits alimentaires et potentiellement des difficultés accrues d'accès aux produits alimentaires pour une partie de la population : selon l'Insee, les prix alimentaires augmentent en janvier 2022 de 1,5 % sur un an, avec une augmentation plus marquée des produits frais de l'ordre de 3,6 %. À la pompe, les prix des carburants ont atteint en mars 2022 des records historiques, ce qui risque de contraindre la part du budget que les ménages consacrent à l'alimentation.

Les outils conceptuels achoppent bien souvent à saisir un phénomène aussi massif et il n'existe pas d'évaluation ou d'analyse pertinente permettant de saisir et de comprendre l'ensemble des facettes de la problématique d'accès à l'alimentation. Au niveau international, plusieurs concepts sont utilisés par les pouvoirs publics, la sphère associative et le monde de la recherche pour tenter de l'appréhender : « démocratie alimentaire », « souveraineté alimentaire », « justice alimentaire », auxquels s'articulent les concepts d'« alimentation durable », « aide alimentaire », « alimentation de qualité pour tous », « sécurité alimentaire », « insécurité alimentaire » et « précarité alimentaire ». Ainsi que l'a souligné Dominique Paturel, chercheuse à l'INRAE, devant la mission d'information, « tous ces termes, entrés dans le paysage intellectuel français à partir du début des années 2000, sont voisins, mais ils ne disent pas tous la même chose » .

Comment appréhender les difficultés d'accès à l'alimentation ?

La notion d'« insécurité alimentaire », opposée à celle de « sécurité alimentaire », elle-même exprimée par le ratio entre le nombre total des habitants et la surface des productions agricoles possibles sur la planète, est conçue selon une approche très quantitative et parfois éloignée du terrain. Selon l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), une personne est en situation d'insécurité alimentaire lorsqu'elle n'a « pas un accès régulier à suffisamment d'aliments sains et nutritifs pour une croissance et un développement normaux et une vie active et saine ». Plusieurs chercheurs préfèrent retenir une définition avec une dimension sociale plus poussée et parlent d'insécurité alimentaire « lorsque la disponibilité d'aliments sûrs et adéquats sur le plan nutritionnel ou la possibilité d'acquérir des aliments appropriés par des moyens socialement acceptables est limitée ou incertaine. »

Le concept de « souveraineté alimentaire » , quant à lui, a été porté à l'échelle internationale par le mouvement Via Campesina , par opposition à la sécurité alimentaire : il s'agissait de montrer l'importance du travail accompli par les paysans, alors même que ceux-ci, à l'échelle planétaire, ont souvent du mal à s'alimenter. Ce concept insiste sur la possibilité pour les populations et les États de mettre en place les politiques agricoles les mieux adaptées à leurs populations sans effet négatif sur les populations d'autres pays.

Enfin, le concept de « justice alimentaire », utilisé en France au début des années 2010, essentiellement porté par les environnementalistes, met l'accent sur le fait que les populations les plus défavorisées habitent les territoires les plus pollués. Il a lui aussi des implications sur l'alimentation.

En 2017, au sein de l'atelier 12 des États généraux de l'alimentation, un débat a eu lieu autour du terme à utiliser pour renouveler la politique sociale en matière d'aide alimentaire. C'est le concept de « précarité alimentaire » qui s'est imposé. Contrairement à celui de l'insécurité alimentaire, ce concept met en avant les liens sociaux pour qualifier l'exclusion et l'inclusion.

Source : propos de Dominique Paturel devant la mission d'information

b) Une lutte contre la précarité alimentaire déléguée au secteur caritatif

En France, la précarité alimentaire a donc été traitée à cette aune, comme un segment de la pauvreté, comparable à la précarité énergétique, à la précarité en termes de soins, etc. Le problème de l'accès à l'alimentation a donc trouvé sa « solution », depuis le milieu des années 1980, dans la construction de la filière de l'aide alimentaire , avec quatre opérateurs historiques : les Restos du Coeur, les banques alimentaires, la Croix-Rouge et le Secours populaire. C'est d'ailleurs la seule politique sociale qui soit ainsi sous-traitée par l'État au secteur caritatif. Les fondements caritatifs des politiques publiques font que la lutte contre l'insécurité alimentaire se limite presque essentiellement à la distribution d'aide alimentaire, voie étroite - mais ô combien nécessaire aujourd'hui - qui ne tient pas toujours compte de la multidimensionnalité de la précarité alimentaire.

Aujourd'hui, malgré les efforts louables et l'engagement sans faille de ces associations, ce secteur souffre d'un manque de vision et de planification par les pouvoirs publics. Les associations disposent d'une grande autonomie et développent leur projet en fonction de leur approche, de leurs moyens et de la compréhension qu'elles ont développée du problème. L' État ne respecte pas sa part du contrat social en ne se souciant pas de la mise en cohérence de ces dispositifs .

Il y a des limites structurelles au système actuel d'aide alimentaire pour lutter contre l'insécurité alimentaire : la filière repose essentiellement sur des dons alimentaires. Elle est déléguée au monde associatif, à qui est confiée la difficile prise en charge des aspects opérationnels, administratifs, législatifs et sociaux. En même temps, elle dépend des subventions institutionnelles, que celles-ci émanent de l'État, de l'Union européenne ou des collectivités territoriales, ainsi que du gaspillage et du travail gratuit apporté par des centaines de bénévoles. La Fédération française des banques alimentaires a toutefois indiqué à la commission avoir récemment modifié sa charte de fonctionnement pour prévoir plus d'achats de denrées alimentaires, pour réduire sa dépendance aux dons.

Ainsi que l'a rappelé Dominique Paturel aux membres de la mission d'information, il est très difficile d'évaluer la situation d'insécurité alimentaire ou de précarité alimentaire des gens : « une grande partie des chiffres sont créés par les opérateurs de l'aide alimentaire, et si on les croise, on note d'importantes différences : 8 millions de personnes environ sont en insécurité alimentaire, mais seuls 2,2 millions de personnes se rendent à l'aide alimentaire. »

Les limites de l'aide alimentaire sont connues : elle ne couvre qu'une partie des besoins des utilisateurs et ne touche pas tous ceux qui y ont droit. Il existe de multiples raisons à ce non-recours : certains ne savent pas qu'ils y ont droit, ne satisfont pas les critères établis, mais d'autres refusent catégoriquement d'accéder à l'alimentation de cette façon pour des questions de dignité ou d'estime de soi.

Proposition n° 40 : analyser les causes de non-recours et de renoncement à l'aide alimentaire, pour élaborer des modèles plus inclusifs et moins stigmatisants en améliorant le couplage entre aide alimentaire et accompagnement social.

Parmi les autres facteurs d'insuffisance, mentionnons également les couvertures territoriales inégales, l'hétérogénéité des critères d'accès (liés aux différentes associations du secteur) et également le choix limité des denrées. Le schéma ci-dessous montre les écarts entre les denrées distribuées par les banques alimentaires et les recommandations nutritionnelles.

Enfin, l'aide alimentaire s'inscrit dans un cadre de relations asymétriques assez complexe, avec un impact sur l'estime de soi qui est important. De plus, une part importante des usagers sont dépendants de l'aide alimentaire, celle-ci étant même, pour certains aliments, la source exclusive d'approvisionnement.

C'est pourtant cette forme qui a progressivement été consacrée par le législateur, qui a accompagné ce mouvement sans véritablement l'approfondir ni l'élargir : la distribution d'aide alimentaire sous forme de denrées a été inscrite dans la loi de modernisation agricole de 2010 et la loi dite Egalim oblige les opérateurs de la grande et moyenne distribution alimentaire et les opérateurs de commerce de gros à donner leur surplus et invendus alimentaires aux associations habilitées à la distribution.

L'aide alimentaire souffre de cette approche en silo et d'une dépendance forte au cycle de vie des produits alimentaires dans le cadre de la grande distribution. Si les acteurs de la distribution alimentaire communiquent et échangent naturellement entre eux, leur coopération n'est cependant pas organisée par les pouvoirs publics. C'est une forme de délégation de service public que l'État a implicitement encouragée : à peu de frais, plus de 5,5 millions de personnes en situation de précarité alimentaire sont ainsi accompagnées, avec un fort effet levier. La Fédération française des banques alimentaires indique que leur budget de 35 M€ permet de distribuer l'équivalent de plus de 445 M€ de denrées alimentaires, grâce à un réseau principalement animé par des bénévoles et approvisionné en grande partie par des produits issus du don. Plusieurs études ont été menées sur les bénéficiaires et les organismes de l'aide alimentaire, mais peu de données sont disponibles sur les mécanismes conduisant à la précarisation alimentaire, sur l'évolution des populations concernées et leurs comportements alimentaires. Mieux connaître et comprendre ces phénomènes permettrait d'identifier les meilleurs leviers d'action.

La mission d'information plaide pour une sortie progressive de la logique d'assistance alimentaire , centrée sur l'individu, et pour développer des approches fondées sur une logique d'accompagnement par l'alimentation , plus holistique, en concertation avec les acteurs, dans des démarches locales et concertées. Il est essentiel que les politiques de l'aide alimentaire recouvrent véritablement une dimension globale, en envisageant de nouveaux dispositifs, un engagement plus fort de l'État. Il n'y a en France aucune protection constitutionnelle du droit à l'alimentation ni du droit à être à l'abri de la faim, explicite ou implicite, pas même sous la forme d'un principe directeur.

Proposition n° 41 : inscrire le droit à l'alimentation durable dans le droit français et européen, afin d'enclencher une dynamique transformatrice de nos systèmes de production alimentaire.

Trois principes semblent fondamentaux pour la mise en oeuvre des politiques publiques de l'alimentation transformatrices et plus inclusives , en tenant compte des relations vertueuses entre une agriculture durable respectueuse des sols et une alimentation saine : l'amélioration de l'accessibilité physique et économique des produits, la viabilité des conditions de production de qualité et la facilité de l'accès aux informations relatives à l'alimentation durable.

Il est impératif d'associer les agriculteurs à la réflexion globale, en les encourageant à diminuer le poids des intrants chimiques et les émissions de gaz à effet de serre. Rappelons que le coût en Europe des conséquences de santé de l'ensemble des pesticides via leurs mécanismes de perturbation endocrinienne est estimé à 120 milliards d'euros par an 296 ( * ) . On en retrouve des traces dans la quasi-totalité des cours : le coût d'élimination des pesticides dans l'eau en vue de sa potabilisation est estimé entre 440 000 euros et 1,48 M€ par an 297 ( * ) .

De nouveaux dispositifs de valorisation des productions locales devront être imaginés, afin de renforcer les incitations à limiter l'empreinte environnementale de l'amont agricole, sans laisser les agriculteurs dans des impasses techniques. Au niveau européen, la politique agricole commune (PAC) pourrait devenir le socle de valorisation des pratiques bénéfiques à l'environnement et à la santé, couplé à une dimension alimentaire plus marquée. Aujourd'hui, la PAC est résolument agricole et n'intègre que marginalement la dimension alimentaire, sans faire le lien avec l'ensemble des maillons de la chaîne alimentaire. Il convient d'être particulièrement vigilant, car l'autonomie alimentaire de la France se dégrade.

Cette nouvelle approche permettra une meilleure association des citoyens aux évolutions de nos systèmes alimentaires, afin de dépasser le pouvoir trop restreint du consommateur, le « vote avec le caddie », qui consiste à ne pas acheter certains produits, modalité d'action dont la capacité transformatrice est quasi-nulle.

Proposition n° 42 : accroître les incitations à une alimentation saine et durable pour tous les maillons de la chaîne alimentaire, en garantissant une juste rémunération pour les agriculteurs et un système prix favorable à la qualité.

3. Établir une sécurité alimentaire saine et durable, de la ferme à la table
a) L'État doit renforcer ses contrôles

Avec la multiplication des scandales alimentaires, dont certains ont fait l'objet de travaux du Sénat 298 ( * ) , de plus en plus de consommateurs sont attentifs à la qualité des informations concernant l'origine, la traçabilité et la composition des produits. Pour asseoir la confiance des consommateurs dans une alimentation saine et durable, il importe au préalable de renforcer les efforts en matière de prévention des risques sanitaires et de contrôles sanitaires , surtout dans un contexte où 74 % des Français pensent, en 2019, qu'il existe des risques alimentaires, contre seulement 55 % en 1995, d'après l'enquête Comportements et consommations alimentaires en France (CCAF) du Crédoc.

L' alimentation est la principale source d'exposition de la population aux produits phytopharmaceutiques , selon l'Organisation mondiale de la santé. Cette contamination alimentaire est souvent le résultat d'usages agricoles, à l'instar des épandages de produits phytopharmaceutiques. Des limites de résidus à ne pas dépasser pour les aliments ont par conséquent été réglementairement définies afin de garantir le niveau d'exposition le plus faible possible pour les consommateurs . Des contrôles sont menés par l'État -- notamment par la Direction générale de l'alimentation et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes -- afin d'expertiser les niveaux de contamination des aliments. De son côté, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) réalise des études d'alimentation totale , qui consistent à prélever sur différents points de vente les aliments régulièrement consommés par la population, à les préparer tels qu'ils sont consommés puis à analyser leur composition chimique. L'action du ministère des solidarités et de la santé s'inscrit plus globalement dans le cadre du plan Écophyto II+ , un plan d'action interministériel visant à réduire l'utilisation agricole des produits phytopharmaceutiques, en tenant compte à la fois des problématiques de contaminations alimentaires et de contaminations environnementales (air, eau, sols).

L'implication de l'État s'est renforcée au fil du temps, avec dans un premier temps l'atteinte de la sécurité sanitaire des aliments et la détection des substances toxiques, qui profitent à tous, puis des cibles d'équilibre nutritionnel du régime alimentaire, qui profitent à l'individu, et aujourd'hui la volonté d'atteindre une alimentation saine et durable, qui profite à la planète. Si l'opérationnalité de cette architecture administrative est satisfaisante, les moyens alloués le sont beaucoup moins, au regard des résultats insatisfaisants et des carences constatées .

Lors de son audition devant la mission d'information, le neurologue Jacques Reis a ainsi souligné que « de nombreux pots pour bébés [contenaient] des résidus non négligeables de pesticides. Or, durant la période périnatale, il faut exposer le moins possible les enfants à des substances étrangères modifiant leur biologie, dont les perturbateurs endocriniens. À l'âge adulte, des maladies seront provoquées par cette consommation périnatale. »

Le professeur William Dab, titulaire de la chaire d'hygiène et sécurité du Conservatoire national des Arts et Métiers , pointe quant à lui l' écart entre la norme et son application : « Les normes alimentaires sont sévères, mais lorsqu'on regroupe les forces de la DGAL, de la DGCCRF, des agences régionales de santé et même de l'Inspection du travail, cela fait peu de monde. La stratégie du « pas vu, pas pris » est donc tentante puisque la probabilité d'être contrôlé est très faible. »

Force est de reconnaître que l'État ne s'est toujours pas doté des moyens humains et financiers adéquats . Dans de telles conditions, il est illusoire d'espérer atteindre une alimentation saine et durable pour tous sans renforcement significatif des moyens dédiés au contrôle alimentaire.

Proposition n° 43 : améliorer le contrôle de la qualité des aliments et la crédibilité des sanctions, dans une logique de prévention, en augmentant significativement les moyens des organismes publics chargés du contrôle.

b) Une alimentation durable, composante du développement durable

La loi « Climat et résilience » 299 ( * ) a pris acte de la nécessité de rapprocher l'alimentation saine et durable à la durabilité environnementale. Son article 265 consacre la politique de l'alimentation durable « moins émettrice de gaz à effet de serre, respectueuse de la santé humaine, davantage protectrice de la biodiversité, favorisant la résilience des systèmes agricoles et des systèmes alimentaires territoriaux et garante de la souveraineté alimentaire » et s'appuie pour ce faire sur le programme national pour l'alimentation, qui prend en compte notamment la souveraineté alimentaire, la justice sociale, l'éducation alimentaire de la jeunesse, notamment la promotion des savoir-faire liés à l'alimentation et la lutte contre le gaspillage alimentaire. Elle prévoit également une nouvelle Stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat (SNANC) à compter du 1 er juillet 2023, portée par les ministres chargés de la santé, de l'agriculture et de l'écologie. Ce nouveau cadre sera l'occasion de déployer de nouveaux outils pour garantir le droit à une alimentation saine et durable.

Si les interactions alimentation-santé sont connues, ou à tout le moins pressenties, de longue date, la prise de conscience des externalités environnementales du système de production agricole et alimentaire est en revanche bien plus récente. Les agroécosystèmes, autrement dit les écosystèmes cultivés par l'homme dont les fonctions sont valorisées sous forme de biens agricoles et de services, rendent à la fois des services écosystémiques ( e.g. : absorption de gaz à effet de serre par les sols et les cultures, atténuation des risques d'inondation par certaines pratiques culturales, etc. ) mais sont également sources d'externalités négatives (pollutions, dégradation des sols, de l'eau et de l'air).

Selon les données tirées de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), notre système alimentaire émet des gaz à effet de serre (GES) au niveau de la production primaire à hauteur de 86 Mt d'équivalent CO 2 en 2018, soit 19 % des émissions de GES en France . À ces émissions directes s'ajoutent les émissions indirectes , avec des pertes (au sol et dans les usines de transformation) et gaspillages (par les distributeurs et le consommateur) tout au long de la chaîne de valeur estimés à 15 Mt CO 2 eq, soit 3,3 % des émissions de GES françaises.

Un des défis majeurs qui se pose au secteur agricole consiste à nourrir une population en expansion démographique tout en réduisant son empreinte écologique et en préservant les écosystèmes . Une prise de conscience a cependant eu lieu : les performances environnementales sont devenues une finalité expresse de la politique agricole. L'article 262 de la loi « Climat et résilience », issu d'un amendement sénatorial, a fait de la « reconnaissance et de la valorisation des externalités positives de l'agriculture, notamment en matière de services environnementaux et d'aménagement du territoire » un des objectifs-cadres de la politique en faveur de l'agriculture et de l'alimentation définis à l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime.

Pour optimiser ses performances environnementales et sanitaires en s'inscrivant dans une démarche de soutenabilité, l'alimentation doit concomitamment chercher à être saine et durable , en visant à la fois la santé des hommes ainsi que la santé des sols et des écosystèmes, intimement liées. Il convient de garder présent à l'esprit que les efforts de la puissance publique pour améliorer l'accès du plus grand nombre à une alimentation saine et produite durablement permettront l' atteinte de doubles dividendes , à la fois en termes de santé publique et de préservation des écosystèmes. Dans un monde aux interactions complexes et du fait de milieux naturels dont la superficie décroît, il n'est plus possible de protéger la santé humaine sans protéger l'environnement et la santé animale.

De même, l'industrie agroalimentaire a un rôle important à jouer dans la trajectoire vers des modèles d'alimentation saine et durable. Les efforts des agriculteurs en faveur d'une production vertueuse seront vains si le secteur de la transformation alimentaire n'est pas associé et n'opère pas une transformation profonde de ses usages. Au premier plan des réflexions à mener figurent les additifs alimentaires , substances ajoutées intentionnellement aux aliments pour exercer certaines fonctions spécifiques, par exemple colorer, sucrer ou contribuer à la conservation des aliments. En termes de santé environnementale, certaines substances présentent de fortes incertitudes scientifiques sur des dangers et les risques associés, avec potentiellement des effets « cocktail », qui doivent faire l'objet d'une meilleure évaluation.

Un autre problème préoccupant concerne la teneur en sel des produits transformés, résultat de l'addition de sel par les transformateurs industriels. Le neurologue Jacques Reis a indiqué devant la mission d'information qu'il y avait « 15 millions de personnes hypertendues en France, plus sans doute 3 millions qui ne sont pas traitées, soit au total 18 millions d'habitants sur 67 millions. Cette hypertension artérielle prédispose entre autres à des accidents vasculaires cérébraux : il y en a 150 000 cas par an, pour 40 000 décès chaque année. La cause est pourtant facile à traiter : il faut se limiter à un apport journalier de 2 grammes de sel, contre 8 à 12 grammes par jour en moyenne pour les Français. [...] Le législateur devrait intervenir pour restreindre le sel ajouté dans les plats industriels. » Plus de 99,2 % de la population mondiale se situe au-dessus des recommandations de l'OMS en matière de consommation de sel et on estime le nombre de décès dus à un excès de sel consommé à 1,65 million par an 300 ( * ) .

De même, les méfaits du sucre ajouté sont également abondamment commentés dans la littérature spécialisée 301 ( * ) : « Les sucres, composants ubiquitaires de l'alimentation occidentale, jouent un rôle prépondérant dans le développement de plusieurs pathologies et désordres métaboliques lorsqu'ils sont consommés en excès. La quantité ainsi que la nature des sucres consommés sont donc des paramètres importants dans la prédiction du développement de ces maladies. » Ainsi que le rappelait Daniel Nizri devant la commission, le nombre de diabétiques a évolué dans des proportions alarmantes ces dernières décennies : « Quand j'ai commencé mes études de médecine, on disait que 1 % de la population française était « diabétique connu » et 1 % « vraisemblablement méconnu ». Maintenant, ces deux catégories sont respectivement à 4 % et 3 %. On considérait naguère que le diabète gras touchait plutôt des adultes âgés ; aujourd'hui, on constate, non seulement aux États-Unis, mais aussi en France, et plus particulièrement dans les territoires que nous avons évoqués, une importance significative du diabète chez les enfants et les jeunes adultes. Or, lors de la Covid, les patients diabétiques ont été parfaitement repérés parmi ceux qui entraient en réanimation. » Il convient toutefois d'associer les industriels à cette démarche, car les modifications de la teneur en sucre peuvent avoir un effet non négligeable sur les préférences des consommateurs et engendrer des reports de consommation vers d'autres produits à la recette inchangée 302 ( * ) .

Proposition n° 44 : dans le cadre d'une démarche concertée avec les industriels de l'agroalimentaire afin d'éviter des phénomènes de distorsion de concurrence, réduire la teneur en sel et en sucre ajouté des produits transformés.

Le système alimentaire actuel, dominant à l'échelle mondiale, produit certes de la nourriture à un faible coût financier mais à un coût élevé pour l'environnement et la santé humaine. Il n'assure en aucune façon l'accès de tous à une alimentation de proximité, économiquement accessible, nutritionnellement équilibrée, respectueuse des agriculteurs et de l'environnement : il contribue à l'augmentation des maladies chroniques à travers le monde et menace l'équilibre des systèmes de santé.

La raison en est assez simple : les incitations à l'adoption de pratiques plus vertueuses sont inexistantes . Du fait de leur éparpillement, les consommateurs n'ont pas de pouvoir de marché et ne sont pas en mesure d'influencer de profonds changements dans la manière d'accéder aux produits ni d'améliorer leur qualité. Pour cela, des outils spécifiques doivent être imaginés.

4. Organiser une consultation démocratique préalable à la mise en place d'une allocation alimentaire universelle ou de mécanismes plus ciblés favorisant la consommation de produits sains
a) Des initiatives étrangères foisonnantes

La mission d'information a cherché à évaluer la mise en oeuvre d'une nouvelle politique d'accessibilité à une alimentation saine et durable. Pour ce faire, elle s'est intéressée aux initiatives déjà mises en oeuvre dans d'autres pays afin de favoriser la lutte contre la précarité alimentaire, qu'il s'agisse de solutions pérennes ou provisoires, pour faire face par exemple à une situation de crise économique.

Le modèle le plus connu est celui de « Food stamp » américain , aujourd'hui nommé Supplemental Nutrition Assistance Program (SNAP). Administré par le Ministère fédéral de l'agriculture, ce programme distribue une carte électronique aux ménages éligibles, créditée chaque mois du montant de l'aide allouée. L'intérêt d'une telle carte est que le montant est directement payé au commerçant, ce qui réduit les charges administratives. Elle permet uniquement de payer des produits alimentaires (hors plats préparés chauds, plats à consommer sur place, boissons alcoolisées, tabac) dans les magasins autorisés et sur les marchés. En revanche, aucune obligation n'existe quant à l'origine du produit ou à ses caractéristiques nutritionnelles.

En Europe, plusieurs pays ont mis en oeuvre une telle initiative. Durant la crise, l' Italie a ainsi instauré un dispositif de « bons alimentaires » dans le cadre de son plan de relance, toujours en vigueur. Les versements sont effectués par le ministère de l'intérieur vers les communes selon un critère de population et un critère de richesse communale. Les communes financent ensuite des dispositifs d'aide alimentaire et de produits de première nécessité au bénéfice des ménages, soit sous la forme de bons alimentaires acquis par la mairie - en dérogation aux règles sur les marchés publics - auprès de commerces dont la liste est publiée par chaque commune, soit de distribution directe de denrées alimentaires, qui peuvent être confiées à des associations caritatives. Les montants annuels de l'aide sont, en moyenne, entre 150 et 300 euros pour un ménage de deux personnes.

L' exemple belge est également intéressant : depuis 2009, un système d' écochèques est entré en vigueur, qui octroie un montant maximal de 250 € par personne et par an, à dépenser dans une gamme large et variée de produits et de services compatibles avec la transition écologique. Actuellement, 4 catégories de produits et services sont concernées : les produits et services écologiques ; la mobilité et les loisirs durables ; la réutilisation, le recyclage et la prévention des déchets ; le circuit court (produits agricoles et horticoles, vendus en circuit court par des titulaires de la licence « En direct de la ferme », abonnements et affiliations à un potager collectif). Jouissant d'une large popularité, ce dispositif couvre 10 600 points de vente partenaires et bénéficie à plus de 40 % de la population salariée. C'est un complément de rémunération exonéré de cotisations sociales, négocié entre les employeurs et les partenaires sociaux.

b) Un retard français qu'il convient de combler

La France est l'un des rares pays en Europe à n'avoir pas expérimenté la formule de chèque alimentaire, même si les réflexions sur ce sujet ont évolué depuis la proposition faite par la Convention Citoyenne sur le Climat, que le Président de la République s'est engagé à reprendre.

Genèse du chèque alimentaire et de l'aide alimentaire nouvelle génération

Plusieurs propositions ont émergé dans le débat public pour proposer de nouveaux dispositifs d'accès direct à des produits de qualité, dont les plus emblématiques sont ici brièvement présentés :

- le budget alimentaire adossé à la carte vitale , à hauteur de 150 € par mois, proposé par Ingénieurs sans frontières, pour l'achat de produits conventionnés auprès de professionnels conventionnés, financement par un taux progressif (février 2019) ;

- les chèques alimentaires pour les plus démunis, proposés par la convention citoyenne sur le climat (SN6.1.5), à utiliser dans les associations pour le maintien de l'agriculture paysanne (AMAP) ou pour des produits durables, issus de l'agroécologie et des circuits courts. Le financement reposerait sur la taxation des produits « ultra-transformés » à forte empreinte carbone et faible apport nutritionnel (juin 2020) ;

- la carte de fidélité et de solidarité écologiques avancée par La Fabrique écologique, qui permettrait l'accumulation de points lors d'achats de produits durables pour servir à des achats similaires, dont la liste et les caractéristiques sont fixées en concertation avec les professionnels. L'État pourrait abonder cette carte pour les faibles revenus afin d'orienter la consommation vers les produits sains (juin 2020) ;

- le « chèque vert » proposé par Terra Nova de 300 € par an et par bénéficiaire pour les revenus inférieurs à 1,3 SMIC, soit environ 15 millions de personnes, coût supporté par l'État afin de financer l'achat de biens et de services bénéfiques à l'environnement (décembre 2020) ;

- le chèque alimentation durable , prévu à l'article 259 de la loi Climat et résilience, dont les modalités et délais de mise en oeuvre doivent être définis par un rapport d'étape, qui n'a toujours pas été remis à ce jour, malgré la relance par courrier au Premier ministre par le président et la rapportrice de la mission d'information (août 2021).

Le Gouvernement s'est donc tourné vers un chèque alimentation durable , mais il ne semble pas particulièrement pressé de le mettre en oeuvre, malgré son inscription dans la loi et les jalons prévus par le législateur. Un rapport d'étape devait notamment être remis avant novembre pur prévoir « [s]es modalités et [s]es délais d'instauration [...] ainsi que sur les actions mises en place en la matière ». Malgré une relance par la mission d'information auprès du Premier ministre, celui-ci n'a toujours pas été remis, donnant à penser que ce sont des motifs électoraux qui expliquent ce retard, afin d'offrir à bon compte une mesure au président-candidat.

La commission des affaires économiques, à qui cet article avait été délégué au fond par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, avait indiqué dans son rapport pour avis 303 ( * ) les quatre conditions qu'elle entrevoyait pour la réussite d'un chèque alimentaire et nutritionnel :

- réduire la précarité alimentaire en matière de produits de qualité en ciblant les personnes les plus concernées, notamment les étudiants, en toute complémentarité avec le dispositif d'aide alimentaire géré par les associations caritatives, et non en concurrence, ces associations pouvant d'ailleurs être associées au dispositif de chèque alimentaire en cours de préparation ;

- offrir à ce public éligible un accompagnement vers une nourriture de qualité, diversifiée et plus locale, axée sur des produits frais , l'agriculture française permettant d'offrir une grande diversité de produits avec une qualité nutritionnelle, sanitaire et organoleptique remarquable ;

- éviter à tout prix une usine à gaz pour les citoyens éligibles comme pour les collectivités territoriales en recourant à des modalités de distribution des denrées simples et équilibrées, ne survalorisant pas un débouché plutôt qu'un autre, tout en favorisant une reconnexion entre les producteurs et le citoyen ;

- favoriser la consommation de produits frais et locaux , afin de limiter l'exposition des citoyens les plus démunis aux seuls produits importés, l'agriculture française devant demeurer accessible à tous.

La mise en oeuvre de dispositifs plus globaux, sous la forme par exemple d'une allocation universelle, nécessite une ingénierie délicate à concevoir et à manipuler mais a en contrepartie des effets de transformation systémique plus marqués. La mission d'information a pris conscience que le renouvellement et la modernisation de l'aide alimentaire impliquent au préalable de définir les critères qui permettront le meilleur calibrage du dispositif :

- la désignation des bénéficiaires : universalité ou conditionnement par rapport au revenu, qui détermine la masse financière à mobiliser pour sa mise en oeuvre ;

Les approches universelles permettent d'éviter la stigmatisation attachée aux dispositifs adaptés pour certaines catégories de population. Elles présentent également le mérite de réduire les liens de dépendance entre aide alimentaire et invendus : à l'heure actuelle, près des deux tiers de l'approvisionnement des épiceries solidaires proviennent aujourd'hui des invendus, une source d'approvisionnement fragile et aléatoire qui ne permet pas de maîtriser l'offre alimentaire proposée aux bénéficiaires. Il conviendra de veiller aux effets pervers induits par la digitalisation ou la monétisation du dispositif, qui ne crée pas de lien social, qui s'appuie sur de grands opérateurs privés avec des problématiques de confidentialité des données et dont la complexité peut exclure certains bénéficiaires.

- le ciblage des produits : produits bio, issus de l'agriculture raisonnée ou agroécologiques au sens large du terme, les labellisations éligibles, l'origine géographique des produits et quels circuits de distribution ;

Le choix d'un trop faible nombre de produits est susceptible d'entraîner des effets inflationnistes par insuffisance de l'offre. Un bon ciblage des produits profitera à la santé de tous : n'oublions pas que si la question alimentaire est quantitative pour la partie la plus défavorisée de la population, elle est surtout qualitative pour une grande majorité de la population.

Un développement de l'approvisionnement local et durable est fortement recommandé, en ce qu'il permet d'offrir aux bénéficiaires d'une alimentation de qualité, de contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dues aux transports et à nouer des liens de confiance et de solidarité avec les producteurs locaux.

- le modèle de financement , qui doit être équitable et pérenne : choix entre la budgétisation, un système reposant sur des cotisations ou des mécanismes paritaires.

Le dispositif à mettre en oeuvre sera nécessairement très coûteux pour les finances publiques .

Terra Nova évalue la mise en oeuvre de son dispositif ouvert aux revenus inférieurs à 1,3 SMIC, à 4,5 milliards d'euros par an. Pour sa part, Ingénieurs sans frontières 304 ( * ) son modèle universel 305 ( * ) à 118 milliards, sans compter les frais de fonctionnement. Enfin, Dominique Paturel chiffre le coût de mise en oeuvre de la sécurité alimentaire durable, reposant sur une allocation mensuelle d'alimentation sur le modèle des allocations familiales, ouverte à toute la population, à 120 milliards d'euros par an : « Le minimum vital pour manger de façon correcte sur le plan nutritionnel est de 5 euros par jour ; il ne serait pas raisonnable de descendre sous ce seuil. Si l'on multiplie ce chiffre par 30, on obtient un coût de 150 euros par mois. » Cette allocation versée à l'ensemble de la population serait aussi un levier pour agir sur l'offre alimentaire.

Cependant, la mission d'information estime nécessaire de changer de paradigme pour aborder cette question : ce coût doit être mis en regard avec la rentabilité du déploiement d'un tel dispositif en termes de santé publique et de soutien à la transformation de notre modèle agricole. Loin d'être une charge publique, il s'agit d'un investissement dans le cadre de la transition écologique : le coût de l'inaction en la matière est immense . Ces dépenses curatives sont prises en charge par la solidarité nationale, sans qu'il soit possible d'établir une quelconque causalité entre mauvaise alimentation et une pathologie ou un décès en particulier. L'accroissement des dépenses de prévention est un pari nécessairement coûteux à court terme mais rentable à long terme.

La mission d'information est enfin bien consciente que le ciblage d'une aide alimentaire durable suppose de mettre en place un dispositif de suivi complexe à administrer. C'est pourquoi son instauration doit reposer sur une concertation qui réunit les services de l'État, les collectivités territoriales, les acteurs associatifs, les producteurs agricoles et la grande distribution.

Proposition n° 45 : organiser une concertation nationale pour élaborer de manière démocratique les fondements d'une allocation alimentaire durable ou de mécanismes plus ciblés favorisant la consommation de produits sains, locaux et de qualité.

5. Approfondir la territorialisation de la politique alimentaire et oeuvrer à la mise en oeuvre d'une démocratie alimentaire
a) La nécessaire implication des territoires

Afin d'ancrer l'alimentation saine et durable dans le quotidien de chaque Français, il est nécessaire de faire émerger des politiques alimentaires territoriales, complément essentiel et subsidiaire à la politique alimentaire nationale. Cela implique de mieux connaître les besoins alimentaires locaux et leurs spécificités, en confiant aux collectivités territoriales le pilotage d'une vraie politique alimentaire locale qui mobilise les leviers disponibles (projets alimentaires territoriaux, restauration collective, commande publique, etc. ) pour mieux lutter contre la précarité alimentaire.

Proposition n° 46 : intégrer un volet de lutte contre la précarité alimentaire dans tous les projets alimentaires territoriaux.

À l'heure actuelle, la définition et la mise en oeuvre de la politique alimentaire reposent principalement sur le Gouvernement, même si des initiatives visant à renforcer l'association des collectivités territoriales ont été prises. En 2014, la « Déclaration de Rennes : pour des systèmes alimentaires territorialisés » de l'association des Régions de France avait souligné avec force cette préoccupation.

La création des projets alimentaires territoriaux (PAT) en 2014 306 ( * ) , qui permettent d'associer les agriculteurs, les collectivités, l'État, les organismes d'appui et de recherche, la société civile, les acteurs de l'économie sociale et solidaire et les entreprises, coopératives de transformation, de distribution, de commercialisation autour de la définition d'une politique alimentaire locale. Ils ont pour objectif de relocaliser l'agriculture et l'alimentation dans les territoires en soutenant notamment l'installation d'agriculteurs, les circuits courts ou les produits locaux dans les cantines. Ils ont enclenché une dynamique de « territorialisation » de notre politique alimentaire, qu'il convient de soutenir et de poursuivre.

Source : ministère de l'agriculture et de l'alimentation.

À ce jour, on recense plus de 200 PAT et 80 % des départements ont au moins un PAT accompagné par l'État. En 2021, un budget renforcé a été prévu pour le déploiement des PAT à hauteur de 7,5 millions d'euros, soit quatre fois le montant prévu lors de la précédente édition. Le plan de relance prévoit également 77 millions d'euros de crédits dédiés à l'accompagnement des porteurs de PAT. Les PAT représentent une opportunité à la fois économique, environnementale et sociale pour soutenir la compétitivité de notre agriculture locale et le renforcement des industries de transformation locales et accompagner la transition agroécologique dans nos territoires, par la relocalisation. Il s'agit pour la mission d'information d'une dynamique à soutenir, en augmentant notamment les financements nationaux et européens dédiés à l'impulsion et au soutien de PAT intégrant les enjeux de l'alimentation favorable à la santé et de lutte contre la précarité.

b) Renforcer les démarches de circuit court et amorcer des mécanismes de démocratie alimentaire

La mission d'information encourage en outre la création de valeur ajoutée et la vente dans les exploitations agricoles elles-mêmes, plutôt qu'au seul bénéfice des industries de transformation et du commerce. Pour ce faire, il convient de lever les obstacles au développement de l'approvisionnement local . Une mission du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) en a recensé trois principaux 307 ( * ) :

- le souhait d'une maîtrise sanitaire optimale pour le donneur d'ordre ;

- l'intervention d'un assistant à maîtrise d'ouvrage dont la logique première tend généralement à limiter les coûts d'approvisionnement ;

- la difficulté à suivre les prescriptions nutritionnelles pour la restauration collective compte tenu d'une fluctuation potentielle des approvisionnements locaux.

La mission d'information plaide pour un renforcement de l'accompagnement et des formations des acheteurs publics pour leur permettre de mieux utiliser les circuits courts et de valoriser les caractéristiques des produits recherchés dans la rédaction des marchés. En outre, afin d'instaurer des réflexes plus locaux, il importe de donner aux consommateurs au sein des points de vente des informations claires et factuelles au moment de l'acte d'achat, non seulement nutritionnelles, mais aussi environnementales et sociales, qui peuvent faire office de déterminants d'achat extra-financiers.

Proposition n° 47 : systématiser l'affichage précis du lieu de production ou de culture pour les produits bruts à une échelle territoriale fine, en tenant compte de la spécificité des produits et soutenir les démarches de circuit court.

Lors du Sommet mondial de l'alimentation de 1996 à Rome émerge le concept de démocratie alimentaire 308 ( * ) , définie comme les processus de gouvernance alimentaire, à l'échelle des territoires de vie, au sein desquels des collectifs de citoyens décident de leurs choix d'alimentation et mettent en place des filières adaptées à leur choix. Ce concept vise la création un système alimentaire durable qui redonne leur place aux produits alimentaires dans la chaîne de production.

Devant la mission d'information, Dominique Paturel voit dans ce concept la possibilité de « reprendre la main sur les conditions d'accès à l'alimentation, en particulier par la connaissance des conditions de production, de transformation et de distribution. » Il implique la revendication des citoyens à reprendre le pouvoir sur la façon d'accéder à l'alimentation, dans la reconnexion entre celle-ci et l'agriculture.

Au préalable, il est nécessaire d'élaborer une vision systémique du système alimentaire et de développer une réflexion sur les conditions de travail de l'ensemble des acteurs de ces secteurs. La démocratie alimentaire peut constituer un terreau fertile pour l'approfondissement de la citoyenneté, à travers laquelle les citoyens participent à la modification de leur système alimentaire à travers leurs décisions et non leurs seuls actes d'achat. Les mécanismes instaurés dans ce cadre sont susceptibles de mieux apparier les attentes des citoyens et l'offre alimentaire des producteurs et de rendre visible le lien social fort porté par l'alimentation.

Proposition n° 48 : instaurer des mécanismes de démocratie alimentaire, pour ancrer les systèmes de production alimentaire dans une logique de durabilité et de qualité nutritionnelle et renouveler en profondeur le pacte social alimentaire.

TRAVAUX EN COMMISSION

Examen du rapport de la mission d'information (30 mars 2022)

Réunie le 30 mars 2022, la mission d'information sur la sécurité sociale écologique a examiné le rapport d'information.

M. Guillaume Chevrollier , président . - Nous voilà réunis pour clore cette mission d'information créée à la demande du groupe Écologiste
- Solidarité et Territoires (GEST), qui a commencé ses travaux le 15 décembre et réalisé 48 auditions tout à fait intéressantes à un rythme soutenu. Le sujet n'est pas clos. Ce travail s'inscrit dans une démarche prospective. Au cours des auditions, nous avons constaté, à de nombreuses reprises, combien cette réflexion sur la résilience de notre système de protection sociale était attendue, mais combien elle était encore trop absente. L'administration de la sécurité sociale est trop accaparée par la gestion du quotidien, du court terme et des enjeux financiers immédiats pour y procéder.

Les différents conseils réfléchissent pourtant au concept. Je veux citer en particulier le rapport du professeur Franck Chauvin, président du Haut Conseil de la santé publique, du 4 mars dernier, qui entend tracer les contours et les aspects institutionnels de l'organisation de la santé publique de demain.

On peut aussi relever que la stratégie de décarbonation du secteur de la santé a été proposée par une ONG bien connue, mais que l'État ne s'est pas donné les moyens de la réaliser.

Un autre regret est relatif au rôle que le Parlement aurait dû jouer en matière de fixation des objectifs de santé publique. Une occasion a été manquée avec la loi de 2005, qui aurait pu mettre en place un pilotage de vraies politiques de santé publique. Nous discutons chaque année de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) et d'enveloppes financières d'un montant considérable. Pour autant, nous passons à côté, lors de la discussion des lois de financement de la sécurité sociale, d'un vrai débat sur les priorités à donner à notre système de santé - je pense en particulier à la prévention. On a souvent évoqué le concept de santé unique, de santé globale. Il convient d'y apporter un contenu.

Je laisse la rapportrice vous exposer le rapport, qui fera l'objet d'ajustements. L'idée est de présenter une synthèse des auditions et de parvenir à un relatif consensus sur le diagnostic. Il sera possible aux différents groupes d'apporter une contribution annexée au rapport, puisqu'à l'issue des auditions, beaucoup de questions demeurent. Chacun exprimera ses convictions.

Ce rapport constitue un travail de synthèse utile à tous. Pour parvenir au consensus, il faudra supprimer un certain nombre d'irritants. C'est l'objet de notre réunion.

Mme Mélanie Vogel , rapportrice . - Nous espérons un consensus sur ce rapport.

La crise climatique et environnementale accroît les risques, notamment de santé publique, qui pèsent sur la population. Demander cette mission d'information sur la sécurité sociale écologique avait pour but de vérifier comment notre système de sécurité sociale se prépare. Cela suppose de donner crédit à l'État stratège. En effet, faute d'intervention de l'État, certains risques pourraient ne plus être assurables.

À l'issue de ces trois mois d'auditions, le constat est préoccupant : notre protection sociale n'est pas suffisamment préparée aux risques environnementaux.

L'État apparaît démuni pour faire face à la survenance plus fréquente et plus aiguë d'événements climatiques et de crises imprévues, dont les effets sur les finances publiques seront lourds de conséquences. La pandémie de covid-19 l'a démontré avec force. Les chocs futurs risquent d'être encore plus violents. Il est donc urgent de changer de paradigme, avec des politiques publiques dont l'impact environnemental est pris en compte dès la conception et en développant une culture de prévention, d'adaptation et de résilience de notre système de protection sociale.

Selon un rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2016, 23 % des décès dans le monde sont directement liés au fait d'avoir vécu ou travaillé dans un environnement insalubre. Les facteurs de risque environnementaux, tels que la pollution de l'air, de l'eau et des sols, l'exposition aux substances chimiques, le changement climatique ou le rayonnement ultraviolet, contribuent à la survenue de plus de 100 maladies ou traumatismes. Ce sont les plus défavorisés qui supportent la plus forte charge de morbidité liée à l'environnement alors que ce sont ceux qui contribuent le moins au changement climatique. Ce dernier et l'appauvrissement de la biodiversité provoqueront des chocs écologiques de forte amplitude sur notre économie et la société. La pandémie actuelle, d'origine zoonotique, n'en est qu'une des premières manifestations. Comment, dès lors, construire de nouvelles protections collectives pour répondre à ces vulnérabilités émergentes, à ces expositions et à ces sensibilités croissantes aux risques environnementaux ?

Le premier objectif est de guérir la sécurité sociale de sa myopie pour répondre à l'émergence de nouveaux risques.

Les crises écologiques frappent de plus en plus durement nos sociétés et la France est l'un des dix États les plus exposés au risque climatique. Notre pays a implicitement fait le choix d'allonger l'espérance de vie, mais moins d'un Français sur deux, soit 46 %, est en bonne santé à 65 ans contre 77 % en Suède.

Le lien entre santé et environnement, santé humaine, animale et état écologique global est avéré et l'OMS promeut depuis 2010 - soit depuis douze ans - le concept de santé intégré, appelé One Health. L'épidémie de covid-19 a malheureusement mis en évidence la pertinence de ce concept. Il appelle en conséquence un changement de paradigme et la prise en considération de la santé environnementale dans l'ensemble des politiques publiques, recommandée par le rapport Chauvin. Les politiques publiques devraient systématiquement avoir comme objectif de réduire les impacts du changement climatique afin de rendre notre environnement plus sain.

La mise en oeuvre des Accords de Paris de 2015 serait bénéfique à la santé publique et contribuerait à la réduction des inégalités, les populations les plus vulnérables étant affectées par les nouveaux risques. La santé occupant une place croissante dans les négociations internationales, la France devrait signer l'appel de Glasgow de novembre 2021 en faveur de l'instauration de systèmes de santé résilients aux changements climatiques et à faible émission de carbone.

Notre système de protection sociale doit se repenser pour être résilient et affronter les défis du réchauffement climatique. Si, à l'origine, la sécurité sociale a été pensée dans une optique curative, qui accapare 97 % des dépenses de santé, la montée préoccupante des maladies chroniques rend nécessaire de prioriser les politiques de prévention, qui sont économiquement rentables.

La prise en compte de l'environnement dans l'ensemble des politiques publiques dès leur conception doit entraîner la forte réduction du coût d'absorption des chocs écologiques et climatiques. En effet, la réduction de la probabilité d'occurrence des dommages sur notre environnement, au-delà de prévenir le « coût de l'inaction », générera des effets bénéfiques à la fois en termes de santé publique et de gains économiques.

Pourtant, les politiques de l'environnement et de la santé sont encore trop pilotées en silo. La santé environnementale doit devenir une politique transversale, le Parlement être davantage associé dans la détermination, le suivi et l'évaluation des objectifs de santé publique, avec une forte implication des territoires, en généralisant les évaluations d'impacts sur la santé (EIS) et de la population et en dynamisant les conseils territoriaux de santé (CTS). Les acteurs de la santé doivent être mieux formés à l'impact des facteurs environnementaux sur la santé comme au concept One Health, et un programme national ambitieux de recherche en santé environnementale doit être construit, afin de développer une culture sur ce sujet. Nous l'avons constaté en interrogeant des médecins : cela manque à leur cursus.

L'État apparaît particulièrement démuni, depuis l'abandon du suivi des 100 indicateurs de la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004. Les plans de santé sont des catalogues non contraignants et pas forcément financés. Aucune stratégie d'adaptation de notre administration de la sécurité sociale à la transition climatique, aucun plan de résilience et aucune planification publique de décarbonation de la santé n'ont été réalisés. Trop peu d'établissements de santé calculent leur empreinte carbone. Mais l'État dispose-t-il encore des capacités d'expertise et de la volonté politique de long terme d'effectuer un exercice comparable au plan de transformation de l'économie française (PTEF), réalisé par l'organisation The Shift Project ? Il est inquiétant de constater que c'est une organisation non gouvernementale qui mène cette étude et pas l'État lui-même !

La stratégie nationale d'adaptation au changement climatique doit faire l'objet d'un débat annuel au Parlement. L'étude d'impact des projets de loi doit inclure un volet climatique et de santé environnementale. Enfin, France Stratégie doit coordonner l'élaboration d'un plan quinquennal d'adaptation de notre système de protection sociale intégrant une cartographie des risques.

Le deuxième impératif est de porter assistance à une sécurité sociale en danger financier.

Dans une logique productiviste faisant fi de la préservation des ressources naturelles, nos économies modernes sont focalisées sur la mesure de la croissance économique au travers du produit intérieur brut (PIB). L'équilibre financier de notre système de protection sociale lui-même repose sur la croissance, dont dépendent ses ressources. C'est le cas notamment du système de retraites, financé par des cotisations sociales dont le montant dépend de la croissance de la productivité et des salaires, tandis que ses dépenses sont liées à celle des prix, le niveau des pensions étant indexé sur l'inflation depuis 1987.

Malgré les réformes législatives récentes, notamment en ce qui concerne le régime des catastrophes naturelles et le système d'assurance récolte, les risques couverts par les organismes d'assurance s'avèrent, quant à eux, de moins en moins assurables : le coût des catastrophes naturelles devrait en effet doubler d'ici à 2040.

Dès lors, c'est notre pacte social qui risque d'être ébranlé, les ménages les plus défavorisés étant généralement les plus dépendants aux énergies fossiles et les moins à même d'assumer le coût de la transition écologique. Il importe donc d'intégrer aux politiques climatiques une dimension redistributrice de façon à assurer leur acceptabilité sociale, comme le propose la Commission européenne avec le Fonds social pour le climat.

Nous arrivons à un point qui fâche : la création d'une nouvelle branche de sécurité sociale dédiée à la couverture des risques environnementaux. Cette proposition est défendue dans le débat public par un certain nombre d'économistes. Un tel mécanisme unifierait une grande partie des dépenses liées au changement climatique et à la transition écologique de façon à disposer de la visibilité et des marges de manoeuvre nécessaires à une action efficace tout en maintenant une gouvernance démocratique dans le cadre de la sécurité sociale. L'autre option serait de créer un fonds pour l'environnement, chargé de l'intervention publique en matière d'assurance récolte, de prévention des risques naturels majeurs et de transition énergétique.

Quelle que soit la solution retenue par le législateur, la plupart des charges pouvant être supportées par cette entité sont déjà financées à ce jour par le budget de l'État, les cinq branches de la sécurité sociale, les organismes d'assurance ou des fonds tels que le Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) ou le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit « fonds Barnier ». Il s'agit donc essentiellement d'assurer le financement de leur accroissement probable au cours des prochaines décennies.

Dans cette perspective, plusieurs ressources sont envisagées : les économies considérables pouvant être produites par l'assurance maladie par la transition d'un système curatif vers un système préventif - je rappelle que 10 % seulement des maladies sont d'origine génétique, ce qui signifie que toutes les autres sont d'origine environnementale -, l'affectation du produit de la fiscalité environnementale ou des ressources dédiées au remboursement de la dette sociale une fois celle-ci éteinte, ou encore une contribution des ménages proportionnelle à leur impact environnemental, et des organismes d'assurance.

Enfin, compte tenu à la fois du strict encadrement des finances sociales par les traités européens et la logique de performance traduite par la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS) et de la tutelle de l'État sur la gestion des organismes de sécurité sociale, certains proposent d'exclure les dépenses de transition écologique pour l'appréciation du respect des critères de Maastricht.

Le troisième objectif de la sécurité sociale écologique est d'accompagner les transformations de l'emploi. La transition écologique provoque une profonde mutation, avec la création nette d'un million d'emplois. Certaines filières telles que les énergies fossiles et le transport aérien de voyageurs verront leurs effectifs diminuer. D'autres devront procéder à une formation professionnelle massive pour requalifier les métiers, par exemple la réorientation de l'industrie automobile thermique vers l'électrique. Enfin, des gains d'emplois dans des secteurs non délocalisables et à forte intensité de main-d'oeuvre sont attendus, comme pour la rénovation thermique des bâtiments, les énergies renouvelables, les nouvelles modalités de transports.

Ce vaste mouvement de transition professionnelle, qui concernerait 3,8 millions d'emplois, impose de repérer les compétences nécessaires au développement des filières en tension, de renforcer l'analyse de l'impact de la transition écologique sur les métiers et compétences, de financer davantage de projets de reconversion professionnelle, de rendre le dispositif Transitions collectives (Transco), actuellement individualisé, plus collectif, et de renforcer le rôle des opérateurs de compétence (OPCO), les engagements et développement de compétence devant mieux intégrer la transition et recentrer la formation en direction des secteurs porteurs.

Pour tous les travailleurs, l'impact du changement climatique se ressent, notamment pour ce qui concerne la chaleur et la pollution. Les évaluations quantitatives d'impact sur la santé (EQIS) sont cependant insuffisantes, faute du déploiement satisfaisant du document unique d'évaluation des risques professionnels (Duerp) qui fait encore défaut pour 55 % des employeurs. Pourtant, il est avéré qu'une chaleur excessive met en danger la santé des salariés, conduit à des pertes d'heures de travail et cause des millions de décès dans le monde. L'augmentation des pollutions sonores et des troubles musculo-squelettiques, qui représentent 88 % des 50 000 cas de maladies professionnelles, appelle à des mesures renforcées.

Les efforts des employeurs en faveur de la santé des travailleurs s'inscrivent aujourd'hui dans le cadre de la responsabilité sociétale des entreprises, aussi entendue comme leur responsabilité sociale et environnementale (RSE). Investir dans la RSE apporte à une entreprise un gain de performance moyen de 13 %. La RSE, démarche volontaire, complète les obligations légales de l'employeur en matière de prévention, qui ne suffisent pas toujours au regard de la prévalence des accidents du travail et des maladies professionnelles. L'ensemble entre dans le cadre des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), dont l'appréciation doit garantir que les employeurs vont au-delà du simple écoblanchiment, ou greenwashing . La réforme récente de la santé au travail repose sur la contribution des employeurs à une meilleure évaluation de l'exposition des salariés aux risques sanitaires. L'outil de la commande publique pourrait constituer un levier pour encourager les entreprises dans cette démarche. Mais l'État doit aussi se montrer exemplaire en élaborant une cartographie des risques pour tous les agents des trois fonctions publiques.

Enfin, le quatrième objectif d'une sécurité sociale écologique est de mettre en oeuvre le droit à une alimentation saine.

La contribution de l'alimentation à une bonne santé est établie depuis Hippocrate. A contrario , la malnutrition serait responsable de 22 % des décès mondiaux. Pourtant, si le patrimoine culinaire de la France est inscrit au patrimoine mondial depuis 2010 grâce à une agriculture de qualité et si le pays se passionne pour les émissions télévisées culinaires, les mauvaises pratiques alimentaires sont toujours là et 80 % des dépenses alimentaires des ménages s'orientent vers des produits transformés. Les inégalités nutritionnelles sont également fortement corrélées à des facteurs socio-économiques : les contraintes budgétaires contribuent à expliquer des consommations différenciées entre les ménages suivant leur niveau de vie, qui renforcent ensuite les inégalités de santé.

Les pouvoirs publics tentent de favoriser une alimentation plus saine, grâce notamment au Nutri-score depuis 2017, lequel, s'il peut contribuer à l'évolution des pratiques d'achat, n'est pas suffisant pour modifier les pratiques alimentaires dans leur ensemble, et devrait être amélioré. Plusieurs mesures législatives favorisent une meilleure éducation à la santé alimentaire. Pourtant, un enfant sur trois ne sait pas reconnaître ce qu'il mange, et le marketing alimentaire, notamment dans les programmes destinés à la jeunesse, n'est pas suffisamment encadré.

Il est nécessaire de passer d'une logique d'assistance alimentaire à une logique d'accompagnement par l'alimentation et d'établir une sécurité alimentaire saine et durable ; d'accentuer les efforts pour promouvoir des habitudes de consommation propices à une alimentation saine tout au long de la vie ; d'accroître les incitations à une alimentation saine et durable pour tous les maillons de la chaîne alimentaire, en garantissant une juste rémunération pour les agriculteurs et un système de prix favorable à la qualité ; d'améliorer le contrôle de la qualité des aliments et la crédibilité des sanctions, dans une logique de prévention ; d'organiser une consultation démocratique préalable à la mise en place d'une allocation alimentaire universelle ou de mécanismes plus ciblés favorisant la consommation de produits sains. Cela aurait pour effet de réduire les maladies mais aussi d'accélérer la transition de l'agriculture vers un modèle plus vertueux.

À cet égard, il faut éviter la stigmatisation attachée aux dispositifs adaptés pour certaines catégories de population, réduire les liens de dépendance entre aide alimentaire et invendus, territorialiser la lutte contre la précarité alimentaire et oeuvrer à la mise en place d'une démocratie alimentaire.

Ces quatre grands axes sont détaillés dans nos 53 propositions, sur lesquelles nous allons proposer des modifications avec Guillaume Chevrollier. En effet, hier soir, le groupe Les Républicains m'a fait part de son souhait de voir certaines recommandations retravaillées, afin que le rapport soit adopté.

Je n'ai pas de problème à retirer la proposition n° 16, dont la formulation est : « Prendre en compte un ralentissement de la croissance de la productivité à long terme pour évaluer les conséquences du changement climatique sur les ressources de la sécurité sociale », si elle constitue un point de blocage.

J'avais bien conscience que la proposition n° 22 de création d'une branche dédiée pouvait poser problème, et la formulation choisie, « Travailler à la mise en place d'une couverture sociale des risques environnementaux, par exemple au travers d'une branche de sécurité sociale dédiée », ne me semblait pas problématique, d'autant que la proposition n° 23 l'explicitait, en précisant qu'« à défaut de créer une branche dédiée », un fonds pour l'environnement pouvait être créé. J'entends que la proposition n° 22 pose problème. On pourrait la conserver en supprimant le texte à partir de « par exemple ». Logiquement, la proposition n° 23 serait retirée.

La proposition n° 24 deviendrait : « Adapter la fiscalité environnementale afin d'assurer le financement de la sécurité sociale écologique ».

Nous supprimerions les propositions n os 25 et 26, dont j'ai bien compris qu'elles posaient problème au groupe LR.

M. Guillaume Chevrollier , président . - Pas seulement au groupe Les Républicains !

Mme Mélanie Vogel , rapportrice . - J'entends bien que la proposition n° 29 sur la révision des critères de Maastricht n'entre pas dans le champ principal de cette mission d'information sur la sécurité sociale écologique. J'y suis favorable, tout comme le GEST, mais je vous propose de la retirer.

La proposition n° 35 pose problème car elle risque de stigmatiser les très petites entreprises. Nous pourrions supprimer les mots : « particulièrement par les employeurs publics et les très petites entreprises ».

La proposition n° 51 de créer une compétence « alimentation » ou un « chef de filât » pour une catégorie de collectivités territoriales à définir pourrait être remaniée.

M. Guillaume Chevrollier , président . - Les propositions n os 50 et 51 pourraient être fusionnées, ou complètement supprimées.

Mme Martine Berthet . - Les projets alimentaires territoriaux sont en train d'être mis en place par les collectivités.

M. Didier Mandelli . - Je suggère de supprimer le terme de « compétence » et de bien spécifier que la lutte contre la précarité alimentaire doit être incluse dans tous les projets.

Mme Mélanie Vogel , rapportrice . - La proposition n° 51 deviendrait : « Intégrer un volet de lutte contre la précarité alimentaire dans tous les projets alimentaires territoriaux ».

M. Guillaume Chevrollier , président . - Le terme de « compétence » est supprimé.

M. Didier Mandelli . - Oui, car la compétence entraîne la responsabilité et le financement.

Mme Émilienne Poumirol . - Je remercie le GEST d'avoir suscité cette large réflexion. Notre système de protection sociale est soumis à de très fortes tensions liées au changement climatique. Le système assurantiel des agriculteurs doit être repensé, tout comme, plus largement, la soutenabilité financière de notre protection sociale.

Si 10 % des maladies sont liées au génome, alors 90 % d'entre elles sont liées à des facteurs extérieurs. Les pathologies chroniques coûtent extrêmement cher à la sécurité sociale. On ne peut plus rester uniquement dans la logique du soin, même si l'idée de la sécurité sociale, à sa création, était géniale, en offrant à chacun la même qualité de soins. Il faut penser en priorité à la prévention et à une action réfléchie sur la santé globale, en tenant compte de l'impact de la santé environnementale et des pathologies d'origine animale.

Une transversalité est nécessaire, imposant une action coordonnée de plusieurs ministères. L'État doit redevenir stratège ; actuellement, on réfléchit en silos. Il y a bien un plan national mais il n'y a pas vraiment de pilotage stratégique. Je suis tout à fait d'accord pour que le Parlement joue également un rôle accru, en particulier lors du vote de la loi de financement de la sécurité sociale.

Je me pose une question sur la formation des jeunes médecins. Comment les sensibiliser davantage à l'environnement ?

La précarité pose problème. Les risques sont accrus pour les plus pauvres et les plus fragiles. Les personnes qui appartiennent aux catégories socioprofessionnelles (CSP) les plus défavorisées meurent plus tôt et sont davantage malades. On a longtemps pensé que notre système de sécurité sociale accessible à tous réduisait cette fracture entre CSP, mais elle ne fait que s'aggraver. Ne faudrait-il pas conduire des actions spécifiques en faveur des populations les plus à risque ?

Les modifications de propositions suggérées sont intéressantes. Créer une sixième branche n'est peut-être pas la solution. Je suis favorable à ce que l'on retire cette référence. Toutefois, nous devons continuer à réfléchir car le problème de la soutenabilité financière et des ressources à trouver pour pallier ces risques est fondamental. Il faut davantage intégrer le facteur environnemental dans toutes les politiques publiques.

Le groupe socialiste votera ce rapport, d'autant plus qu'il a été modifié afin d'être davantage consensuel. Il doit nous servir de base de réflexion à tous. Nous devons travailler beaucoup plus régulièrement sur ce sujet.

Mme Cathy Apourceau-Poly . - Je remercie le GEST et la rapportrice en particulier pour cette réflexion indispensable sur la sécurité sociale et alimentaire.

L'exercice de ce matin est frustrant. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste (CRCE) étant un petit groupe, nous ne pouvons pas assister à toutes les réunions. Ainsi, je ne peux pas me rendre à l'audition des représentants d'Orpea à la mission d'information sur le contrôle des Ehpad, qui est organisée en ce moment même.

Je salue les points positifs de ce rapport très fouillé. Je déplore les points négatifs, comme la proposition de créer une sixième branche de la sécurité sociale qui avait poussé le CRCE à prévoir de s'abstenir sur le rapport.

Nous partageons le constat de la nécessité d'une meilleure prise en compte de la santé des travailleurs. Dans le Pas-de-Calais, de très nombreux travailleurs ont été lourdement touchés par l'amiante ou le plomb. Il est important de mieux travailler avec les entreprises, que, pour ma part, je ne veux pas voir disparaître. Les industries ne suivent pas toujours la réglementation comme il le faudrait, mais elles créent des emplois indispensables.

Nous sommes favorables à l'intégration de la sensibilisation à l'impact de l'environnement sur la santé dans les études de santé et la formation continue.

Nous partageons le souhait d'une alimentation saine pour tous, en réduisant la part des produits transformés. C'est pourquoi il nous faut une véritable agriculture française. Des boeufs ou des porcs dans des herbages et des produits importés, ce n'est pas la même chose.

Nous estimons aussi qu'il est nécessaire d'améliorer l'éducation de nos enfants à la santé alimentaire. Les familles précaires sont celles qui mangent le plus mal. Elles n'ont pas toujours les moyens de se nourrir correctement. Malheureusement, dans notre pays, aujourd'hui bien manger coûte cher.

La rapportrice a réalisé un effort considérable en retirant la mention de la sixième branche. Nous voterons donc en faveur du rapport.

Merci au président et à la rapportrice pour leur important travail.

Mme Martine Berthet . - Merci beaucoup pour ce travail. J'étais sceptique sur le thème de cette mission au départ, mais toutes les auditions auxquelles j'ai assisté étaient intéressantes.

J'approuve la partie du rapport sur la santé au travail et sur la prévention. En France, nous n'en faisons pas suffisamment ; le Parlement a son mot à dire sur ce sujet. Accroître la prévention nous éviterait beaucoup de dépenses. Bien manger en fait partie. Oui, nous devons favoriser notre agriculture française, et pour cela, ne plus être dans la contradiction.

Je ne cautionne pas non plus la création d'une sixième branche.

Je m'abstiendrai sur ce rapport, car, s'il présente beaucoup d'éléments positifs, je trouve qu'il sort partiellement du thème en abordant excessivement les sujets économiques.

Mme Annie Le Houerou . - Je félicite le GEST d'avoir mis ce sujet à l'ordre du jour, ainsi que la rapportrice et le président pour les auditions et le travail réalisé. J'avais une idée assez floue de la proposition au départ, mais la mission s'est révélée très intéressante, en pointant nombre de sujets qui nécessitent un approfondissement certain.

La création d'une sixième branche me pose aussi question. Pour autant, la prévention doit être accrue. Nous devons diffuser le concept de One Health pour prendre en compte la santé environnementale dans tous les champs de notre vie. Nous devons aussi travailler sur des indicateurs nationaux objectivant les différents éléments. Nous pourrions mettre en place des objectifs chiffrés afin de passer d'un système curatif à un système préventif tout en mesurant les progrès réalisés.

La prise en compte des questions économiques ne m'a pas du tout gênée car le financement de la sécurité sociale y est lié.

La question de l'alimentation est corrélée à celle de l'orientation de notre agriculture. En Bretagne, on a incité les agriculteurs à passer au bio - la loi Egalim (loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable) les a encouragés via les cantines. Mais actuellement, on ne les soutient pas assez. Certains maraîchers d'Armor se posent la question d'une conversion dans l'autre sens car, économiquement, leurs exploitations bio ne tiennent pas la route.

Les Français les plus défavorisés sont ceux qui ont le plus de difficultés à passer le cap de la transition écologique. Celle-ci ne doit pas se faire à leur détriment. Nous devons les accompagner et garantir la sécurité sociale du XXI e siècle. Nous mesurons tout le travail qu'il nous reste à faire !

Je confirme que le groupe socialiste votera ce rapport.

Mme Mélanie Vogel , rapportrice . - Merci beaucoup. Le GEST, petit groupe également, a des problèmes d'emploi du temps similaires à ceux du CRCE.

M. Guillaume Chevrollier , président . - Les grands groupes ont d'autres problèmes !

Mme Mélanie Vogel , rapportrice . - Émilienne Poumirol a posé une question sur la formation. La proposition n° 6 répond à sa préoccupation et souhaite : « Intégrer dans les études de santé, et dans la formation continue des professionnels de santé, des enseignements sur l'impact des facteurs environnementaux et du changement climatique sur la santé ».

Comment aider les plus défavorisés, qui sont les plus affectés par les risques environnementaux ? Le rapport se penche effectivement sur l'écologisation des politiques en général, ce que je n'avais pas considéré comme relevant du champ du rapport, mais les auditions m'y ont menée. La sécurité sociale couvre des risques qui augmentent ; la meilleure solution est de les réduire en amont. Le rapport montre que tout est intimement lié. Une décision sur les transports, l'agriculture ou autre, a un effet sur la santé publique et donc sur les risques couverts. Il est vrai que, dans notre système de gouvernance, il est difficile de travailler ensemble.

Oui, nous voulons relocaliser la production industrielle, et donc accélérer la transition pour nous préparer à un avenir industriel en France, ce qui, notamment, réduirait l'empreinte carbone liée au transport.

Mme Martine Berthet . - J'ai tout à fait conscience que la pollution de l'air entraîne de l'asthme, par exemple, mais j'évoquais le volet économique. Les propositions n os 30 et 31, ainsi, me paraissent hors sujet.

Mme Mélanie Vogel , rapportrice . - Ces propositions portent sur les reconversions professionnelles et l'adaptation du marché du travail. Il y a un gros potentiel d'emploi dans les secteurs d'avenir. Or, sans stratégie planifiée pour identifier les personnes qui peuvent facilement se reconvertir ou ont besoin de formation, on aura un problème.

Des travailleurs et travailleuses auront besoin de notre protection sociale du fait de la crise climatique et environnementale, car ils auront des difficultés. Mieux préparer la transition réduira les coûts pour notre système de protection sociale. Voilà la logique.

M. Guillaume Chevrollier , président . - Merci à la rapportrice et à tous les collègues pour ces adaptations. Il était important de supprimer les principaux irritants. Je rappelle que chaque groupe a la possibilité d'apporter une contribution annexée au rapport, dont le but est d'alimenter les réflexions futures.

Les propositions de modification sont adoptées.

La mission d'information adopte le rapport d'information dans la rédaction issue de ses travaux, et en autorise la publication.

Comptes rendus des auditions de la mission d'information

Les comptes rendus sont disponibles à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/mi-securite-sociale-ecologique.html

CONTRIBUTIONS DES GROUPES POLITIQUES

Contribution du groupe Les Républicains à la mission d'information
sur le thème « Protéger et accompagner les individus en construisant
la sécurité sociale écologique du XXIe siècle »

• Le groupe Les Républicains exprime des réserves sur le nouveau modèle de couverture sociale des risques environnementaux.

Le rapport d'information évoque la nécessité de créer un « nouveau modèle de couverture collective » au travers d'une nouvelle branche de « sécurité sociale dédiée » afin de mieux couvrir les risques environnementaux consécutifs au réchauffement climatique. Notre groupe politique s'interroge sur la pertinence de mobiliser la sécurité sociale comme outil de lutte contre le dérèglement climatique et les risques environnementaux.

Notre groupe politique considère que la prise en charge des risques environnementaux, sur les personnes ainsi que sur les biens, devra s'adapter pour répondre au défi du réchauffement climatique et, plus particulièrement, de l'augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes.

La lecture du deuxième volet du sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) est à ce titre éloquente. Dans cette contribution, les experts du GIEC détaillent les conséquences du réchauffement climatique sur les écosystèmes et les sociétés humaines, avec notamment une « multiplication des vagues de chaleur, des sécheresses et des inondations ». Les auteurs estiment, par ailleurs, que ces aléas climatiques, parce qu'ils surviennent simultanément « ont des répercussions en cascade de plus en plus difficiles à gérer ».

Dans le même esprit, le rapport estime que « l'intensification et la multiplication des aléas climatiques vont accroître considérablement notre exposition aux risques dans un avenir proche, augmentant dès lors indéniablement le recours aux systèmes d'indemnisation des dommages résultant de ces aléas ».

Surtout, le rapport du GIEC rappelle à juste titre, comme l'avait démontré la Commission d'enquête sénatoriale sur le coût économique et financier de la pollution de l'air en juillet 2015, que les pollutions, quelle que soit leur nature, peuvent avoir un impact considérable sur la santé humaine : « Si la dégradation de notre environnement est un fait certain, l'influence d'un tel phénomène sur notre santé ne fait plus débat ».

Ces éléments ne doivent pourtant pas nous conduire à une remise en cause, dans ses fondements, du fonctionnement de la sécurité sociale.

Le rapport de la mission d'information (page 149) reprend les propos de Rémi Pellet, pour qui « l'aboutissement de la logique d'universalisation des dépenses de sécurité sociale et d'étatisation du financement de la protection sociale consisterait en l'absorption de la sécurité sociale par le budget de l'État ».

Avant même d'envisager l'absorption de la sécurité sociale par le budget de l'État, la commission des affaires sociales s'est toujours opposée à l'examen conjoint des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et de finances (PLF).

Le groupe Les Républicains considère qu'il est nécessaire de préserver la spécificité des finances sociales qui est l'un des grands acquis de la réforme constitutionnelle de 1996. Ses auteurs ont voulu que le Parlement se prononce sur un projet de loi de financement de la sécurité sociale, de manière à discuter dans un ensemble cohérent du niveau de couverture sociale de nos concitoyens et des ressources que la collectivité y consacre.

S'agissant plus particulièrement de la proposition 21 qui évoque la nécessité de « travailler à la mise en place d'une couverture sociale des risques environnementaux », le groupe Les Républicains émet, là encore, des réserves substantielles. Surtout, notre groupe politique ne souhaite pas s'associer à une démarche prospectiviste conduisant à la création d'une « sixième branche de sécurité sociale », évoquée dans le rapport, sans être formellement proposée. Plusieurs raisons président à ce choix :

- la majorité des pathologies liées aux risques environnementaux sont d'ores et déjà prises en charge par la Sécurité sociale :

• l'assurance maladie prend en charge toutes les affections dont l'origine ne peut pas être clairement établie et résultant directement ou non des conséquences de certains risques environnementaux ou climatiques ;

• de manière plus spécifique, un fonds « pesticides » prend en charge les conséquences de l'utilisation de pesticides, notamment dans le secteur agricole ;

• de même, le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a été mis en place dès 2001 ;

- d'autre part, les solutions envisagées pour le financement d'une nouvelle branche ne sont pas satisfaisantes.

La proposition 22 estime ainsi qu'il faut « adapter la fiscalité environnementale afin d'assurer le financement de la sécurité sociale écologique », c'est-à-dire affecter des recettes vertes à cette nouvelle branche de sécurité sociale. Pour la rapportrice : « l'intérêt principal d'une branche de sécurité sociale dédiée au risque environnemental réside dans la possibilité de renforcer le consentement à l'impôt en finançant les dépenses afférentes par des recettes en lien direct avec elles ».

Le groupe Les Républicains est, par principe, défavorable à la fiscalisation du financement de la sécurité sociale qui lui fait perdre sa logique assurantielle. La tendance de fond observée entre 1990 et 2020, où la part des impôts et taxes affectés est passée de 3,4 % à 29,4 % des ressources de la sécurité sociale, ne saurait être une justification suffisante pour remettre en cause l'esprit de ce modèle.

Par ailleurs, il nous semble dangereux de recourir à une fiscalité environnementale, même si celle-ci peut être dynamique, du fait de la pression croissante qu'elle exerce sur le pouvoir d'achat des ménages, notamment dans les zones peu denses.

Dans le même esprit, notre groupe politique se montre très réservé s'agissant de « la légitimité d'une contribution des ménages, proportionnelle à leur empreinte environnementale, au financement de la couverture sociale des risques environnementaux ». Cette proposition nous semble d'abord d'une grande complexité dans sa mise en oeuvre et nous semble surtout, génératrice d'injustice, notamment pour les ménages des zones périurbaines et rurales.

Le rapport estime aussi que le financement de la couverture sociale des risques environnementaux pourrait également reposer sur les ressources actuellement affectées, via la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), au remboursement de la dette sociale.

Or, comme le rappelle le rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat 309 ( * ) , l'objectif d'extinction de la dette de la sécurité sociale, poursuivi depuis 1996, repose sur une idée simple : il revient à chaque génération de financer ses dépenses de protection sociale sans en transmettre le coût aux générations suivantes.

Deux lois récentes ont transféré à la Cades de nouvelles dettes d'un montant maximal de 136 milliards d'euros (soit plus de la moitié des dettes jusqu'alors confiées à la caisse depuis sa création) : 31 milliards pour la reprise de déficits passés ; 92 milliards à titre provisionnel pour couvrir les déficits des années 2020 à 2023, du fait de la crise actuelle ; 13 milliards ne correspondant à aucun déficit mais à la prise en charge du coût d'un tiers de la dette des hôpitaux.

Ces transferts nécessitent de prolonger la date limite de l'amortissement de la dette sociale, dont l'extinction était jusqu'alors prévue en 2024 au 31 décembre 2033.

La Cades a été conçue pour n'avoir qu'une existence provisoire. Une fois sa mission d'apurement de la dette sociale achevée, elle doit disparaître, tout comme d'ailleurs la recette spécifique qui lui a été affectée à cette fin : la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS).

• Le groupe Les Républicains ne souhaite pas lier le financement des acteurs de la santé par l'assurance maladie à la poursuite d'objectifs environnementaux.

Pour les sénateurs du groupe Les Républicains, il n'est pas opportun de lier le financement d'établissements de santé à leurs efforts en matière environnementale mais il faut encourager les démarches qui existent.

La mise en place d'une politique de développement durable dans le secteur de la santé fait partie du Ségur de la santé. Le ministère des Solidarités et de la Santé a annoncé, en octobre 2021, la création de nouveaux postes de conseillers en transition énergétique et écologique en santé (CTEES). Ces professionnels exerceront dans les hôpitaux, les cliniques et les Ehpad. L'objectif est d'accompagner des actions pour réduire l'empreinte carbone.

Il existe un guide des pratiques vertueuses en développement durable pour les établissements sanitaires et médico-sociaux, édité en octobre 2021 par le Comité pour le développement durable en santé (CD2S). Cette association fédère près de 730 établissements engagés dans une démarche de développement durable : des CHU, des centres hospitaliers, des cliniques, des EHPAD ou des centres de lutte contre le cancer... Le CD2S y dresse un état des lieux d'actions concrètes déjà entreprises dans certains établissements, et de leurs effets sur les bilans d'émissions de gaz à effet de serre.

• Le groupe Les Républicains demeure vigilant sur d'éventuelles contraintes nouvelles qui seraient imposées aux entreprises.

Plusieurs propositions du rapport nous semblent source de complexité pour les entreprises, notamment les plus petites, alors même qu'un consensus politique se dégage aujourd'hui pour considérer qu'il faut baisser les contraintes qui pèsent sur elles.

Pour cette raison, le groupe Les Républicains est réservé sur la proposition 30 qui vise à « améliorer le suivi de la santé au travail en France en assurant la bonne réalisation des DUERP et les adresser chaque année à Santé publique France afin d'évaluer l'exposition aux risques sanitaires ». Dans le même esprit, la proposition 33 qui vise à « modifier l'article L. 2112 3 du code de la commande publique pour permettre aux acheteurs publics de prendre en compte la dimension RSE dans leurs appels d'offres » nous semble également de nature à porter préjudice aux petites entreprises. Nous appelons à une certaine vigilance pour que les contraintes ne soient pas manifestement disproportionnées par rapport au bénéfice environnemental attendu.

• Le groupe Les Républicains défend un nouveau modèle de croissance.

Le changement climatique doit nous amener à réfléchir à un nouveau modèle de croissance. Il s'agit même d'une opportunité pour construire une croissance décorrélée des émissions de gaz à effet de serre.

Le groupe Les Républicains se montre donc très réservé sur la proposition 17, et ses implications potentielles, qui vise à « affiner l'évaluation des conséquences du changement climatique sur la croissance économique et le financement de la protection sociale afin de mieux orienter les politiques publiques ». Les conséquences du changement climatique sur la croissance économique ne doivent pas être une opportunité pour un renoncement à une croissance respectueuse de l'environnement.

• Le groupe Les Républicains est réservé sur la création d'une allocation alimentaire durable.

Cette proposition qui vise à organiser une « concertation nationale pour élaborer de manière démocratique les fondements d'une allocation alimentaire durable ou de mécanismes plus ciblés favorisant la consommation de produits sains, locaux et de qualité » ne nous semble pas prendre en considération l'ensemble des dispositifs redistributifs nationaux ni les initiatives menées par les collectivités territoriales en vertu des compétences qui leur ont été attribuées par le code général des collectivités territoriales.

Contribution du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires
au rapport de la mission d'information sur la sécurité sociale écologique

La sécurité sociale vise à garantir une existence décente à toutes et tous, chacun participant à son financement selon ses moyens. L'entraide mutuelle ainsi institutionnalisée vise à préserver les individus contre les risques de l'existence. Ce modèle historique doit être défendu et renforcé dans son caractère démocratique et universel : il est au coeur de notre modèle social depuis l'ordonnance du 4 octobre 1945.

Afin de la préserver, il convient d'adapter la sécurité sociale aux défis de notre temps. La sécurité sociale pourra-t-elle protéger les individus des bouleversements environnementaux présents et futurs ? Quelle place peut prendre la sécurité sociale dans la prévention et l'atténuation de ces risques ?

C'est cette interrogation qui a présidé à la création de cette mission d'information, à l'initiative du groupe GEST et de sa rapportrice Mélanie Vogel. Nous remercions le président Guillaume Chevrollier et l'ensemble des membres de la mission d'information pour leur travail. Les constats figurant dans ce rapport sont une base de réflexion solide afin de changer de paradigme : la défense de l'environnement et de la santé humaine ne peuvent plus être considérées séparément .

Toutefois, nous proposons un ensemble de recommandations plus ambitieuses et structurantes que celles présentées dans le rapport. Ces mesures s'appuient sur les constats présentés en auditions, dont il faut souligner le caractère largement consensuel . La majorité sénatoriale partage en effet toujours les constats posés en audition, mais ne semble plus vouloir prendre acte des transformations qu'ils supposent. En dépit de positions divergentes, un accord a été trouvé sur l'essentiel, cependant notre groupe estime qu'il aurait pu être plus ambitieux .

La sécurité sociale écologique est un moyen de s'interroger sur notre modèle de société afin de la rendre durable et résiliente.

C'est dans cette optique que nous présentons les orientations suivantes :

Pour relever les défis climatiques du XXI e siècle, la création d'une nouvelle branche de sécurité sociale dédiée à la couverture des risques environnementaux est une solution majeure. Cette sixième branche pourrait couvrir le remboursement aux cinq autres branches des dépenses effectuées au titre du risque social qu'elles couvrent et identifiées comme étant liées au dérèglement climatique, à savoir :

1) Le financement des dépenses de prévention des risques naturels ;

2) L'intervention publique en matière d'assurance récolte ;

3) La couverture des risques environnementaux devenus non assurables par les organismes privés ;

4) La compensation des conséquences du changement climatique sur les revenus des ménages les moins aisés ;

5) Le financement de l'accompagnement des mutations professionnelles.

Nous sommes attachés à ce que le modèle de gouvernance de cette branche soit pluraliste, démocratique et décentralisé. Nous proposons que soient parties prenantes à sa gouvernance les acteurs du social, de l'économie et de l'environnement ainsi que des citoyens tirés au sort. Les financements peuvent être multiples : les économies considérables pouvant être générées par l'assurance maladie du fait de la transition d'un système curatif vers un système préventif, l'affectation du produit de la fiscalité environnementale ou des ressources dédiées au remboursement de la dette sociale une fois celle-ci éteinte, ou encore une c ontribution des ménages, proportionnelle à leur empreinte environnementale et à leurs revenus et patrimoines, et des organismes d'assurance.

Rendre effectif le droit à l'alimentation saine doit être un objectif prioritaire : nous défendons le financement par cette nouvelle branche d'une allocation alimentaire universelle de 150 euros par mois et par individu . La crise de la Covid-19 a aggravé une situation d'urgence, plus de 8 millions de personnes en France sont en situation d'insécurité alimentaire, et plus de 5,5 millions sont des bénéficiaires réguliers de l'aide alimentaire. Cette allocation permettrait notamment à celles et ceux d'entre nous qui sont les plus précaires d'avoir un accès facilité à une alimentation de qualité, de mieux rémunérer les paysannes et les paysans, d'accélérer et de faciliter la transition du monde agricole en limitant les pesticides et les perturbateurs endocriniens. Les politiques alimentaires doivent être territorialisées et décentralisées. Enfin, nous proposons la création d'une compétence « alimentation » ou d'un « chef de filât » en matière de lutte contre la précarité alimentaire pour une catégorie de collectivité territoriale à définir.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Auditions plénières

Jeudi 9 décembre 2021

- Ministère de l'économie, des finances et de la relance et du ministère des solidarités et de la santé : M. Laurent GALLET , chef de service, adjoint au directeur de la sécurité sociale.

- France Stratégie : Mme Hélène GARNER , directrice du département travail emploi compétences, M. Julien FOSSE , directeur adjoint du département développement durable et numérique, et Mme Mathilde VIENNOT , cheffe de projet en charge des questions d'inégalités.

Jeudi 13 janvier 2022

- Haut conseil de la santé publique (HCSP) : M. Franck CHAUVIN , président.

- La fabrique écologique : M. Géraud GUIBERT , président.

Mercredi 26 janvier 2022

- Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) : M. William DAB , professeur et titulaire de la chaire d'hygiène et sécurité et Mme Sylvie ZNATY , professeur et titulaire de la chaire prévention des risques professionnels et environnementaux.

- Personnalité qualifiée : M. Jacques REIS , neurologue.

Mercredi 9 février 2022

- Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) : M. Dominique LIBAULT, président.

- Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) : Mme Nathalie FOURCADE , secrétaire générale.

- Sciences Po et université de Paris : M. Rémi PELLET , professeur de droit

Jeudi 17 février 2022

- Organisation internationale du Travail (OIT) : Mmes Valérie SCHMITT , directrice adjointe du département de la protection sociale, Marie-Christina DANKMEYER , spécialiste changement climatique au sein du département de la protection sociale, Frédérique DUPUY , chargée de mission, Sarah GONDY , conseillère technique du programme pour les emplois verts, e t MM. Emmanuel JULIEN , directeur adjoint du département Entreprises et Jean-Louis LAMBEAU , conseiller technique au sein du département de la protection sociale

Jeudi 24 février 2022

- Haut conseil pour le climat (HCC) : Mmes Corinne LE QUÉRÉ , présidente et Magalie REGHEZZA, membre du Haut conseil pour le climat .

Mercredi 2 mars 2022

- Ligue nationale contre le cancer : M. Daniel NIZRI , président

- Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) : Mme Dominique PATUREL , chercheuse

Mardi 15 mars 2022

- The Shift Project : Mme Laurie MARRAULD , enseignante-chercheuse à l'École des hautes études en santé publique (EHESP) et cheffe de projet Santé de The Shift Project

Auditions rapporteur

Mercredi 15 décembre 2021

- Haut conseil de la santé publique : Mme Francelyne MARANO , présidente de la commission spécialisée « Risques liés à l'environnement », M. Fabien SQUINAZI , vice-président de la commission spécialisée « Risques liés à l'environnement ».

Jeudi 16 décembre 2021

- Santé publique France : M. Sébastien DENYS , directeur santé environnement travail.

Jeudi 6 janvier 2022

- Institut national de recherche et de sécurité (INRS) : M. Bernard SALENGRO , président du conseil d'administration.

Mercredi 12 janvier 2022

- Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) : M. Matthieu SCHULER , directeur général délégué du pôle sciences pour l'expertise, Mme Sophie LE QUELLEC , directrice de cabinet - directrice de la communication et des relations institutionnelles.

Jeudi 20 janvier 2022

- Personnalité qualifiée : M. Vincent BONY , animateur de la campagne « Changeons de Système 2022 » et de la promotion du projet de Sécurité Sociale et Écologique Universelle initiées par le groupe Alternatiba Saint-Étienne.

- Sciences Po : M. Éloi LAURENT , économiste et professeur à Sciences Po et à l'université de Stanford.

Jeudi 27 janvier 2022

- Personnalité qualifiée : M. Fabrice FLIPO , professeur de philosophie, épistémologie et histoire des sciences et techniques.

- Sciences Po Liepp : M. Bruno PALIER , directeur de recherche CNRS en sciences politiques au CEE, Sciences Po.

Jeudi 10 février 2022

- Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) : Mme Nathalie VAYSSE , cheffe de service.

- École polytechnique : Mme Patricia CRIFO , docteure en économie.

Mercredi 16 février 2022

- Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) : M. Kévin JEAN , maître de conférences spécialisé sur la santé et la prévention.

- Centre national de la recherche scientifique (CNRS) : M. Philippe QUIRION , directeur de recherche sur l'emploi et la transition écologique.

Jeudi 17 février 2022

- Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et de la statistique (Drees) : M. Fabrice LENGLART , directeur.

Mercredi 23 février 2022

- Mutualité française : Mme Laure-Marie ISSANCHOU , directrice Santé, M. Yannick LUCAS , directeur des affaires publiques.

Jeudi 24 février 2022

- Direction générale de la santé : M. Jean-Christophe COMBOROURE , chef du bureau alimentation et nutrition, Mme Mathilde MERLO , chargée de mission santé-environnement.

Lundi 7 mars 2022

- Ministère de la transition écologique et solidaire - Direction générale de la prévention des risques : M. Philippe BODENEZ , chef du service des risques sanitaires liés à l'environnement, des déchets et des pollutions diffuses.

Jeudi 17 mars 2022

- France Assureurs (Fédération française de l'assurance) : MM. Stéphane PÉNET , délégué général adjoint, Christian PIEROTTI , directeur du pôle affaires publiques, Mme Clémence HEEMS , chargée de mission affaires publiques.

- Fédération française des banques alimentaires (FFBA) : Mmes Laurence CHAMPIER , directrice fédérale, Barbara MAUVILAIN , responsable du service des relations institutionnelles.

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

- Association nationale de développement des épiceries solidaires (ANDES) ;

- Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) ;

- France industrie ;

- Medef ;

- U2P ;

- UNSA.


* 1 Dessiner la santé publique de demain, rapport remis le 4 mars 2022 au ministre des solidarités et de la santé.

* 2 Audition rapporteur du 20 janvier 2022.

* 3 https://climate.copernicus.eu/sites/default/files/custom-uploads/Annual_summary_2021/C3S-CAMS %20annual %20temp %20data %20and %20CO2 %202 021_press %20release_final.pdf

* 4 Audition rapporteur du 10 février 2022.

* 5 Rapport de l'Agence européenne de l'environnement, « Economic losses and fatalities from weather- and climate-related events in Europe », 3 février 2022.

* 6 Audition rapporteur du 20 janvier 2022.

* 7 Éloi Laurent, Construire une protection sociale écologique : le cas de la France face aux canicules - Sciences Po OFCE Working Paper, n° 17/2021.

* 8 Audition rapporteur du 10 février 2022.

* 9 Rapport de l'Agence européenne de l'environnement, « Economic losses and fatalities from weather- and climate-related events in Europe », 3 février 2022.

* 10 Audition plénière du 9 décembre 2021.

* 11 Audition rapporteur du 26 janvier 2022.

* 12 Audition plénière du 9 décembre 2021.

* 13 Audition plénière du 13 janvier 2022.

* 14 Rapport du CESE « Quelle conception des politiques publiques pour accompagner les transitions en cours et à venir ? », novembre 2020.

* 15 Audition rapporteur du 16 février 2022.

* 16 https://www.actu-environnement.com/ae/news/etude-lien-pollution-air-baisse-performances-cognitives-39232.php4.

* 17 Livingston G, Huntley J, Sommerlad A, et al. Dementia prevention, intervention, and care : 2020 report of the Lancet Commission. The Lancet 2020 ; 396 : 413-46.

* 18 Note scientifique de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques n° 24 janvier 2019 n° 10 de M. Jérôme Bignon, sénateur : Biodiversité : extinction ou effondrement ?

* 19 « Changement climatique 2022 : impacts, adaptation et vulnérabilité » - 2e volet du sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.

* 20 Organisation mondiale de la santé, « Preventing disease through healthy environments » , 2016.

* 21 Audition plénière du 13 janvier 2022.

* 22 Audition plénière du 13 janvier 2022.

* 23 Audition plénière du 9 décembre 2021.

* 24 The FAO-OIE-WHO Collaboration. Sharing responsibilities and coordinating global activities to address health risks at the animal-human-ecosystems interfaces. A Tripartite Concept Note. Avril 2010.

* 25 Audition plénière du 26 janvier 2022.

* 26 « One Health », Une seule santé, santé humaine, animale, environnement : les leçons de la crise - Contribution du Conseil scientifique COVID-19, février 2022.

* 27 https://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0007/342 277/170574F_OstravaDeclaration-FRENCH.pdf.

* 28 Détaillés par : https://www.who.int/initiatives/cop26-health-programme .

* 29 Organisation internationale regroupant hôpitaux, médecins, syndicats organisations environnementales qui promeut une pratique de la médecine non destructrice en faveur de la santé de chacun et de la protection de l'environnement.

* 30 https://www.who.int/news/item/08-11-2021-many-countries-are-prioritizing-health-and-climate-change-but-lack-funds-to-take-action .

* 31 Françoise Jabot, La santé en action n° 450 - décembre 2019, Évaluation d'impact sur la santé des habitants : définition et modalités de mise en oeuvre.

* 32 Françoise Jabot, La santé en action n° 450 - décembre 2019, Évaluation d'impact sur la santé des habitants : définition et modalités de mise en oeuvre.

* 33 https://unfccc.int/files/essential_background/convention/application/pdf/paris_agreement.pdf.

* 34 Organisation mondiale de la santé, Rapport sur l'impact du changement climatique sur la santé, 5 décembre 2018.

* 35 Audition plénière du 24 février 2022.

* 36 Crifo, P. et Laurent, E. (2013), « Enjeux environnementaux et question sociale. Pourquoi et comment lier justice sociale et écologie ? », Références économiques du CEDD, n° 23-2013.

* 37 https://www.precarite-energie.org/comprendre-la-precarite-energetique/qu-est-que-la-precarite-energetique/.

* 38 https://onpe.org/sites/default/files/onpe_tableau-de-bord-de-la-precarite-energetique_2020_s2_0.pdf.

* 39 Leroutier et al. 2021, Tackling Transport-Induced Pollution in Cities : A Case Study in Paris.

* 40 Audition rapporteur du 16 février 2022.

* 41 « Changement climatique 2022 : impacts, adaptation et vulnérabilité » - 2e volet du sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.

* 42 Audition plénière du 24 février 2022.

* 43 https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2020/04/hcc_rapport_spcial.pdf.

* 44 Audition plénière du 24 février 2022

* 45 Essam El-Hinnawi, « Environmental refugees », 1985, Nairobi, Kenya, PNUE.

* 46 Audition plénière du 24 février 2022.

* 47 Audition plénière du 13 janvier 2022.

* 48 https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_chauvin.pdf.

* 49 Audition plénière du 26 janvier 2022.

* 50 Caisse nationale d'assurance maladie, « Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'Assurance maladie pour 2021 », rapport au ministre chargé de la sécurité sociale et au Parlement sur l'évolution des charges et produits de l'Assurance maladie, juillet 2020.

* 51 Audition rapporteur du16 février 2022.

* 52 Audition plénière du 13 janvier 2022.

* 53 Stratégie nationale de santé : Contribution du Haut Conseil de la santé publique, 8 septembre 2017.

* 54 Audition plénière du 13 janvier 2022.

* 55 Décret n° 2017-1866 du 29 décembre 2017 portant définition de la stratégie nationale de santé pour la période 2018-2022.

* 56 Audition plénière du 13 janvier 2022.

* 57 La politique de prévention en santé, Cour des comptes, 1 er décembre 2021.

* 58 Audition plénière du 26 janvier 2022.

* 59 Audition plénière du 13 janvier 2022.

* 60 Audition rapporteur du 20 janvier 2022.

* 61 CNB/ADEME - Le coût social du bruit - Juillet 2021.

* 62 Résultats publiés par Environment International le 15 janvier 2022.

* 63 Audition rapporteur du 7 mars 2022.

* 64 Rapport des sénateurs Bernard Jomier et Florence Lassarade n° 479 (2020-2021), juin 2021.

* 65 Le GSE est chargé de suivre et d'orienter les actions du PNSE tant au niveau national que régional. Il élabore un bilan annuel de l'avancée du plan et émet des recommandations destinées à améliorer la mise en oeuvre du plan.

* 66 Audition rapporteur du 7 mars 2022.

* 67 Audition rapporteur du 7 mars 2022.

* 68 Audition plénière du 26 janvier 2022.

* 69 Étudiants en première année commune aux études de santé (PACES), Parcours d'accès santé spécifique (PASS), Licence avec option accès santé (LAS), étudiants en médecine, en pharmacie, en kinésithérapie, en maïeutique (sages-femmes et maïeuticiens), en soins infirmiers, en diététique, en ergothérapie, de l'École des hautes études en santé publique (EHESP) et de l'Institut de santé publique d'épidémiologie et de développement (ISPED).

* 70 Audition plénière du 26 janvier 2022.

* 71 La dernière édition est disponible ici : L'état de santé de la population en France - Rapport 2017 | Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (solidarites-sante.gouv.fr) .

* 72 Audition rapporteur du 7 mars 2022.

* 73 Audition plénière du 9 février 2022.

* 74 https://www.vie-publique.fr/rapport/30 699-impacts-du-changement-climatique-sur-la-sante-en-france-elements-de-co.

* 75 Social Security Administration, Climate Action Plan, 25 août 2021.

* 76 https://ianphi.org/_includes/documents/sections/tools-resources/climate-change/2021-survey.pdf

* 77 LOI n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat.

* 78 Audition rapporteur du 24 février 2022.

* 79 Loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, article 8.

* 80 Secrétariat général du Gouvernement, « Mode d'emploi : comment renseigner l'étude d'impact d'un projet de loi ? », novembre 2017.

* 81 Conseil économique, social et environnemental, « Études d'impact : mieux évaluer pour mieux légiférer », septembre 2019.

* 82 Audition plénière du 15 mars 2022.

* 83 Audition plénière du 15 mars 2022.

* 84 Audition plénière du 15 mars 2022

* 85 Audition plénière du 9 février 2022.

* 86 Audition plénière du 26 janvier 2022.

* 87 Audition plénière du 17 février 2022.

* 88 Audition plénière du 26 janvier 2022.

* 89 Audition rapporteur du 7 mars 2022.

* 90 https://www.data.gouv.fr/fr/organizations/recosante/.

* 91 Joseph E. Stiglitz, Amartya Sen, Jean-Paul Fitoussi, Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, septembre 2009.

* 92 Audition plénière du 9 décembre 2021.

* 93 Audition plénière du 13 janvier 2022.

* 94 Audition rapporteur du 27 janvier 2022.

* 95 Drees, La protection sociale en France et en Europe en 2020, Résultats des comptes de la protection sociale, édition 2021.

* 96 Notamment la contribution sociale généralisée (CSG), le forfait social, la taxe sur les salaires, la contribution sociale de solidarité des sociétés (CSSS), la taxe de solidarité additionnelle (TSA), la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et les taxes sur les tabacs et sur les alcools et boissons non alcoolisées.

* 97 La taxe sur les salaires est due par les employeurs domiciliés en France qui ne sont pas soumis à la TVA sur la totalité de leur chiffre d'affaires (secteurs sanitaires et médico-sociaux, banques et assurances, secteur associatif, entre autres).

* 98 Le forfait social est une contribution à la charge de l'employeur assise sur les rémunérations ou gains exonérés de cotisations mais assujettis à la CSG, c'est-à-dire essentiellement les sommes versées au titre de la participation et de l'intéressement.

* 99 Loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990 de finances pour 1991, articles 127 à 135.

* 100 Conseil constitutionnel, décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990, loi de finances pour 1991.

* 101 La « CSG activité » est prélevée à 66 % sur la masse salariale du secteur privé, à 20 % sur celle du secteur public, à 10 % sur les revenus des travailleurs indépendants et à 4 % sur les rémunérations du secteur agricole et d'autres secteurs.

* 102 La « CSG remplacement » est prélevée à 86 % sur les pensions de retraite, à 7 % sur les indemnités d'assurance chômage et d'activité partielle et à 6 % sur les pensions d'invalidité.

* 103 La « CSG capital » est prélevée à 51 % sur les revenus de placement et à 49 % sur les revenus du patrimoine.

* 104 Loi n° 54-404 du 10 avril 1954 portant réforme fiscale.

* 105 Articles 278-0 à 281 nonies du code général des impôts.

* 106 Pierre Charbonnier, Abondance et liberté. Une histoire environnementale des idées politiques, La Découverte, 2019.

* 107 Audition rapporteur du 27 janvier 2022.

* 108 Ordonnance n° 45-2454 du 19 octobre 1945 fixant le régime des assurances sociales applicable aux assurés des professions non agricoles, article 71.

* 109 Exposé des motifs de la loi n° 48-1306 du 23 août 1948 portant modification du régime de l'assurance vieillesse.

* 110 Loi n° 87-39 du 27 janvier 1987 portant diverses mesures d'ordre social, article 14 ; loi n° 88-16 du 5 janvier 1988 relative à la sécurité sociale, article 3 ; loi n° 89-18 du 13 janvier 1989 portant diverses mesures d'ordre social, article 10 ; loi n° 90-86 du 23 janvier 1990 portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé, article 14 ; loi n° 91-73 du 18 janvier 1991 portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales, article 30 ; loi n° 91-738 du 31 juillet 1991 portant diverses mesures d'ordre social, article 18 ; loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 portant diverses dispositions d'ordre social, article 32.

* 111 Loi n° 93-936 du 22 juillet 1993 relative aux pensions de retraite et à la sauvegarde de la protection sociale, article 4 ; décret n° 93-1023 du 27 août 1993 fixant les modalités de revalorisation des avantages d'invalidité et de vieillesse et modifiant et modifiant le code de la sécurité sociale, article 2.

* 112 Ancien article L. 351-11 du code de la sécurité sociale.

* 113 Loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999, article 37.

* 114 Loi n° 99-1140 du 29 décembre 1999 de financement de la sécurité sociale pour 2000, article 17 ; loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001, article 25 ; loi n° 2001-1246 du 21 décembre 2001 de financement de la sécurité sociale pour 2002, article 62 ; loi n° 2002-1487 du 20 décembre 2002 de financement de la sécurité sociale pour 2003, article 61.

* 115 Loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites, article ; article L. 161-23-1 du code de la sécurité sociale.

* 116 Loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009, article 79.

* 117 Loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016, article 89 ; article L. 161-25 du code de la sécurité sociale.

* 118 Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, article 5.

* 119 Loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018, article 41.

* 120 Le relèvement de l'âge d'ouverture des droits et de l'âge d'annulation de la décote prévu par la réforme de 2010 et l'augmentation de la durée d'assurance nécessaire à l'obtention du taux plein prévue par les réformes de 1993, 2003 et 2014.

* 121 Conseil d'orientation des retraites, rapport annuel 2021, Évolutions et perspectives des retraites en France, d'après l'Insee, 2014.

* 122 Commission internationale présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole, Les grands défis économiques, juin 2021.

* 123 Insee, Tableaux de l'économie française, 2020.

* 124 Audition plénière du 9 février 2022.

* 125 Audition rapporteur du 20 janvier 2022.

* 126 Audition plénière du 9 décembre 2021.

* 127 Effort de l'État constant : stabilisation des contributions et subventions d'équilibre en proportion du PIB à leur niveau de l'année N.

* 128 Taux de cotisation constant : taux de cotisation et de subvention d'équilibre figés à leur niveau de l'année N.

* 129 Équilibre permanent des régimes : cotisations et subventions d'équilibre évoluant de manière à équilibrer chaque année le solde de ces régimes.

* 130 Audition plénière du 13 janvier 2022.

* 131 Évaluation réalisée à partir des études OMS-PREDIT-ADEME et CAFE CBA.

* 132 Bureau régional de l'OMS pour l'Europe, OCDE, « Economic cost of the health impact of air pollution in Europe : Clean air, health and wealth », avril 2015.

* 133 AEA Technology, CAFE Cost-Benefice-Analysis, « Baseline analysis 2000 to 2020 », avril 2015.

* 134 Pierre Kopp et al., « Étude exploratoire du coût socio-économique des polluants de l'air intérieur », avril 2014.

* 135 Rapport fait au nom de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air par Mme Leila Aïchi, sénatrice (n° 610, 2014-2015).

* 136 Audition plénière du 9 février 2022.

* 137 DG Trésor, Effets économiques du changement climatique, Trésor-éco n° 262, juillet 2020.

* 138 Damien Demailly Lucas Chancel (Iddri), Henri Waisman, Céline Guivarch (Cired), Une société post-croissance pour le XXI e siècle. Peut-on prospérer sans attendre le retour de la croissance ?, Study n° 08/13, novembre 2013.

* 139 Audition plénière du 9 février 2022.

* 140 ACPR, Les assureurs français face au risque de changement climatique, Analyses et synthèses n° 102, 2019.

* 141 Ces trois dimensions ont été énoncées par le Gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, dans un discours de septembre 2015 intitulé « Breaking the Tragedy of the Horizon - climate change and financial stability ».

* 142 139 organismes, représentant 80 % des placements des assureurs français, y ont répondu.

* 143 Évaluation des entreprises sur des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance.

* 144 L'ACPR définit l'intensité carbone comme le produit de l'encours détenu par l'assureur, d'une part, et du rapport entre les émissions de carbone totales de l'émetteur et son chiffre d'affaires, d'autre part.

* 145 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, article 173 ; décret n° 2015-1850 du 29 décembre 2015 pris en application de l'article L. 533-22-1 du code monétaire et financier, article 1 er .

* 146 Article D. 533-16-1 du code monétaire et financier.

* 147 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, article 29 ; décret n° 2021-663 du 27 mai 2021 pris en application de l'article L. 533-22-1 du code monétaire et financier, article 1 er .

* 148 Article L. 533-22-1 du code monétaire et financier.

* 149 L'accord de Paris (2015) fixe un objectif de limitation du réchauffement de la planète à moins de 1,5 °C en 2100 par rapport aux niveaux préindustriels.

* 150 Règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l'établissement d'un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088.

* 151 Il s'agit de procédures qu'une entreprise exerçant une activité économique met en oeuvre pour s'aligner sur les principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales et les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme.

* 152 Règlement délégué (UE) 2021/2139 de la Commission du 4 juin 2021 complétant le règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil par les critères d'examen technique permettant de déterminer à quelles conditions une activité économique peut être considérée comme contribuant substantiellement à l'atténuation du changement climatique ou à l'adaptation à celui-ci et si cette activité économique ne cause de préjudice important à aucun des autres objectifs environnementaux.

* 153 Règlement délégué (UE) 2021/2178 de la Commission du 6 juillet 2021 complétant le règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil par des précisions concernant le contenu et la présentation des informations que doivent publier les entreprises soumises à l'article 19 bis ou à l'article 29 bis de la directive 2013/34/UE sur leurs activités économiques durables sur le plan environnemental, ainsi que la méthode à suivre pour se conformer à cette obligation d'information.

* 154 Audition rapporteur du 24 février 2022.

* 155 Loi n° 82-600 du 13 juillet 1982 relative à l'indemnisation des victimes des catastrophes naturelles.

* 156 Article L. 125-1 du code des assurances.

* 157 Articles L. 431-9, R. 431-30 et R. 431-31 du code des assurances.

* 158 Rapport d'information fait au nom de la mission d'information sur la gestion des risques climatiques et l'évolution de nos régimes d'indemnisation par Mme Nicole Bonnefoy, sénatrice (n° 628, 2018-2019).

* 159 Loi n° 2021-1837 du 28 décembre 2021 relative à l'indemnisation des catastrophes naturelles.

* 160 Article L. 125-1-1 du code des assurances.

* 161 Article L. 125-1-1 du code des assurances.

* 162 Article L. 125-1 du code des assurances.

* 163 Article L. 125-1-2 du code des assurances.

* 164 Article L. 125-1 du code des assurances.

* 165 Article L. 125-2 du code des assurances.

* 166 Article L. 125-1 du code des assurances.

* 167 Article L. 125-4 du code des assurances.

* 168 Article L. 125-6 du code des assurances.

* 169 Article L. 125-2 du code des assurances.

* 170 Article L. 125-2 du code des assurances.

* 171 Article L. 114-1 du code des assurances.

* 172 Article L. 361-5 du code rural et de la pêche maritime.

* 173 Article L. 361-1 du code rural et de la pêche maritime et article L. 442-1 du code des assurances.

* 174 Article L. 361-2 du code rural et de la pêche maritime.

* 175 Décret n° 2021-828 du 28 juin 2021 relatif à l'application du régime des calamités agricoles aux dommages causés sur les récoltes lors de l'épisode de gel survenu du 4 au 14 avril 2021.

* 176 Loi n° 2022-298 du 2 mars 2022 d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture.

* 177 Loi n° 2022-298 du 2 mars 2022 d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, article 1 er .

* 178 Loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, article 13.

* 179 Article L. 561-1 du code de l'environnement.

* 180 Article L. 561-3 du code de l'environnement.

* 181 Loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, article 85.

* 182 Loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.

* 183 Éloi Laurent, « La protection sociale : de l'incertitude au risque, de l'État-providence à l'État social-écologique », Revue française de socio-économie, premier semestre 2018.

* 184 Un territoire dont l'enrichissement est plus rapide que la moyenne et qui est davantage exposé aux aléas naturels risque d'être plus durement atteint en cas de catastrophe.

* 185 Éloi Laurent, « L'État social-écologique : généalogie, philosophie, applications », L'Économie politique n° 83, juillet-août-septembre 2019.

* 186 Audition plénière du 13 janvier 2022.

* 187 Audition plénière du 9 décembre 2021.

* 188 Organisation internationale du Travail, Une économie verte et créatrice d'emplois, Emploi et questions sociales dans le monde 2018.

* 189 Audition rapporteur du 27 janvier 2022.

* 190 Organisation internationale du Travail, Principes directeurs pour une transition juste vers des économies et des sociétés écologiquement durables pour tous, 2015.

* 191 OIT/AFD, Protection sociale et changement climatique. Comment progressent les efforts de conservation des travailleurs et des résidents ruraux chinois ?, 2019.

* 192 OIT/AFD, Protection sociale et changement climatique. Le Brésil peut-il poursuivre à la fois des objectifs environnementaux et sociaux ?, 2019.

* 193 OIT/AFD, Protection sociale et changement climatique. Comment la protection sociale peut-elle couvrir les risques climatiques courants au Sahel ?, 2019.

* 194 OIT/AFD, Protection sociale et changement climatique. En Égypte, comment la suppression des subventions aux hydrocarbures a-t-elle affecté les personnes et le climat ?, 2019.

* 195 Audition rapporteur du 27 janvier 2022.

* 196 Audition plénière du 9 décembre 2021.

* 197 Règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) n° 401/2009 et (UE) 2018/1999.

* 198 Audition plénière du 9 février 2022.

* 199 Dans un souci de simplification et de lisibilité, les charges de service public de l'énergie sont désormais intégralement retracées dans le programme 345 « Service public de l'énergie ».

* 200 Conseil des prélèvements obligatoires, « Redistribution, innovation, lutte contre le changement climatique : trois enjeux fiscaux majeurs en sortie de crise sanitaire », février 2022.

* 201 Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, article 32.

* 202 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, article 1 er .

* 203 Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, article 16.

* 204 Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, article 64.

* 205 Loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, article 16.

* 206 Loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, article 6.

* 207 Commission internationale présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole, Les grands défis économiques, juin 2021.

* 208 Loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, article 36.

* 209 Audition plénière du 9 février 2022.

* 210 Drees, La protection sociale en France et en Europe en 2020. Résultats des comptes de la protection sociale, 2021.

* 211 La cotisation salariale maladie au taux de 0,75 % a été supprimée au 1 er janvier 2018, tandis que la cotisation salariale chômage a été réduite à la même date avant d'être supprimée au 1 er octobre 2018. En outre, le CICE a été remplacé par des allègements généraux de cotisations sociales au 1 er janvier 2019.

* 212 Le taux de la CSG sur les revenus d'activité a augmenté de 1,7 point au 1 er janvier 2018 pour atteindre 9,2 %.

* 213 La part de la TVA affectée à la sécurité sociale a fortement augmenté de façon à compenser la transformation du CICE en allègements de cotisations pérennes. Elle représentait 18,5 % des ressources de la sécurité sociale en 2020 contre 4,3 % en 2018.

* 214 Audition rapporteur du 24 février 2022.

* 215 À défaut d'un nombre suffisant de réponses favorables, aucune table-ronde n'a pu être organisée par la mission d'information avec les organisations syndicales.

* 216 Rémi Pellet, « Pour une budgétisation du financement de l'assurance maladie », Revue d'économie financière n° 143, troisième trimestre 2021.

* 217 Rapport sur l'impact environnemental du budget de l'État en 2021.

* 218 Contribution écrite du 21 février 2022.

* 219 Audition rapporteur du 10 février 2022.

* 220 Conseil économique pour le développement durable, Patricia Crifo, Éloi Laurent, « Enjeux environnementaux et question sociale : pourquoi et comment lier justice sociale et écologie ? », Références économiques pour le développement durable n° 23, 2013.

* 221 Éloi Laurent, « Les inégalités environnementales en Europe », in OFCE, « L'économie européenne 2020 », La Découverte, mars 2020.

* 222 Lucas Chancel, « Un impôt progressif sur la fortune des multimillionnaires pourrait rapporter jusqu'à 2 % du PIB mondial », Le Monde, 7 décembre 2021.

* 223 Audition plénière du 13 janvier 2022.

* 224 Contribution écrite du 21 février 2022.

* 225 Ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale, article 1 er .

* 226 Loi organique n° 2020-991 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie, article 1 er .

* 227 Audition plénière du 9 février 2022.

* 228 Éloi Laurent, « L'État social-écologique : généalogie, philosophie, applications », L'Économie politique n° 83, juillet-août-septembre 2019.

* 229 Rapport fait au nom de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air par Mme Leila Aïchi, sénatrice (n° 610, 2014-2015).

* 230 Audition plénière du 9 décembre 2021.

* 231 Audition rapporteur du 20 janvier 2022.

* 232 Audition plénière du 9 février 2022.

* 233 Audition du 3 février 2022 de Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes.

* 234 Loi constitutionnelle n° 96-138 du 22 février 1996 instituant les lois de financement de la sécurité sociale.

* 235 Loi organique n° 96-646 du 22 juillet 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale.

* 236 Article 34 de la Constitution.

* 237 Loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale.

* 238 Loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale.

* 239 Rémi Pellet, « Assurance et redistribution au sein de la protection sociale », colloque au Conseil d'État sur le thème « Gouvernance et financement de la protection sociale », 12 février 2021.

* 240 Contribution écrite du 21 février 2022.

* 241 France Stratégie, « Quels enjeux pour une protection sociale soutenable ? », Les Cahiers des soutenabilités n° 1, novembre 2021.

* 242 La Fabrique Écologique, « Pour une Sécurité Sociale et Écologique Universelle avec monnaie complémentaire nationale dédiée ».

* 243 France Stratégie, « Quels enjeux pour une protection sociale soutenable ? », Les Cahiers des soutenabilités n° 1, novembre 2021.

* 244 France Stratégie, Localisation de la production automobile , 2021.

* 245 Observatoire de la métallurgie, 2021.

* 246 The Shift Project, PTEF 2022.

* 247 Le Shift Project, dans son plan de transformation de l'économie française, estime que 15 000 emplois seraient créés par une hausse de la consommation d'électricité de 20 %, sans fournir d'estimations pour les pertes d'emploi dans le secteur des énergies fossiles en raison des difficultés d'évaluation.

* 248 Shift Project, PTEF 2022.

* 249 Shift Project, PTEF 2022.

* 250 Ministère de la transition écologique, plan national cyclologistique, 3 mai 2021.

* 251 Bertin et al. 2016.

* 252 Source : the Shift Project.

* 253 Rapport du député Guillaume Gouffier-Cha sur sa mission sur la filière économique du vélo en France auprès de M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre des transports.

* 254 https://travail-emploi.gouv.fr/formation-professionnelle/formation-des-salaries/transitions_collectives/article/les-metiers-porteurs-en-region

* 255 Instruction N° DGEFP/2022/35 du 7 février 2022 relative au déploiement du dispositif « Transitions collectives » prévu par France relance.

* 256 Source : UNSA.

* 257 Source : DGEFP.

* 258 Ministère de la transition écologique, décembre 2021.

* 259 Ministère du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, Plan pour la prévention des accidents du travail graves et mortels 2022-2025, 14 mars 2022.

* 260 Dares, chiffres clés sur les conditions de travail et la santé au travail, août 2021, selon l'enquête Sumer de 2017.

* 261 Enquête Conditions de travail et Risques psychosociaux, 2016

* 262 France Stratégie, Engagement des entreprises pour la prévention des conduites addictives, 2019

* 263 Benhamou, S., Diaye MA., Crifo P., 2016. RSE et compétitivité. Évaluation et approche stratégique.

* 264 Management & RSE, 17 novembre 2014, mis à jour le 19 octobre 2020

* 265 Elsler D et. al., « A review of case studies evaluating economic incentives to promote occupational safety and health », Scandinavian Journal of Work, Environment & Health

* 266 OPPBTP, Une approche économique de la prévention, 2014

* 267 « Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) : une exemplarité à mieux encourager », rapport d'information de Mme Élisabeth LAMURE et M. Jacques LE NAY, fait au nom de la délégation aux entreprises n° 572 (2019-2020) - 25 juin 2020.

* 268 Article L. 2112-3 du code de la commande publique.

* 269 Arrêt « Chiffoleau » du Conseil d'État du 25 mai 2018.

* 270 https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/publications/hors_collections/Plan_Sante_Travail_FP_2022_2025.pdf

* 271 La Gazette des communes, 15 février 2022.

* 272 Art. L. 225-102-4 du code de commerce

* 273 On consultera avec profit l'ouvrage dirigé par Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari, Histoire de l'alimentation (1996) qui réunit les contributions d'une cinquantaine d'historiens.

* 274 Boudon-Millot Véronique, “ Que ton alimentation soit ta meilleure médecine ! ” ou la fortune exceptionnelle d'un adage pseudo-hippocratique ( De alimento 19). In : Revue des Études Grecques, tome 129, fascicule 2, 2016. pp. 329-34.

* 275 Lors de son audition du 13 janvier 2022.

* 276 Fadnes LT, Økland J-M, Haaland ØA, Johansson KA (2022) Estimating impact of food choices on life expectancy : A modeling study. PLoS Med 19(2).

* 277 Health effects of dietary risks in 195 countries, 1990-2017 : a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2017 . The Lancet, Volume 393, ISSUE 10 184, P1958-1972, May 11, 2019.

* 278 The food pharmacy : Theory, implementation, and opportunities, J. A. Donohuea, T. Severson, L. Park Martin American Journal of Preventive Cardiology Volume 5, March 2021.

* 279 Accessible au bout de ce lien https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2014SA0234Ra.pdf .

* 280 Lors de son audition du 2 mars 2022.

* 281 Les ménages les plus modestes dépensent davantage pour leur logement et les plus aisés pour les transports, Insee Focus n° 203, Elvire Demoly et Camille Schweitzer (division Conditions de vie des ménages), 15 septembre 2020.

* 282 Selon laquelle la part du revenu allouée aux dépenses alimentaires est d'autant plus faible que le revenu est élevé.

* 283 Obésité : quelles conséquences pour l'économie et comment les limiter ? , Lettre Trésor-Eco n° 179, septembre 2016.

* 284 Pierre Bourdieu, La Distinction, critique sociale du jugement, 1979.

* 285 Dans sa troisième étude sur les consommations et les habitudes alimentaires de la population française, INCA 3.

* 286 Instance consultative indépendante placée auprès des ministres chargés de l'agriculture, de la consommation, de la santé et de la transition écologique - souvent présentée comme le « Parlement de l'alimentation ».

* 287 Alimentation et état nutritionnel des bénéficiaires de l'aide alimentaire - Étude Abena 2011-2012 et évolutions depuis 2004-2005, D. Grange, K. Castetbon, G. Guibert, M. Vernay, H. Escalon, A. Delannoy, V. Féron, C. Vincelet.

* 288 Lors de son audition le 17 mars 2022.

* 289 https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/pnns_4_bilan_mai2021.pdf

* 290 Surtout connu des classes aisées, Nutri-Score souffre de n'être apposé que sur 30 % des produits alimentaires, CRÉDOC, P. HEBEL, T. MATHE, n° CMV311

* 291 https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/nutriscorebilan3ans.pdf

* 292 Calcium : entre 6 et 10 ans, près d'un enfant sur deux est en dessous des recommandations, G. Tavoularis CRÉDOC, N° CMV304.

* 293 Par exemple : Éducation nutritionnelle à l'école : évaluation d'une méthode pédagogique « La Main à la Pâte », S. Tessier, M. Chauliac, B. Descamps Latscha, Didier Pol, Santé Publique 2010/2 (Vol. 22), qui met en évidence « un effet clair sur les comportements, mesuré par l'observation des plateaux effectivement consommés ».

* 294 Aide alimentaire : une fréquentation accrue des centres de distribution dans les grandes villes les plus exposées à la pauvreté début 2021, DREES, études et résultats n° 1218, février 2022.

* 295 Pour les bénéficiaires, c'est l'équivalent de 92 € par mois de denrées distribuées en nature. L'âge moyen des bénéficiaires est de 48 ans et plus d'un quart sont chômeurs. 70 % sont des femmes, 30 % sont des familles monoparentales et les 15-25 représentent 22 % des personnes accueillies.

* 296 Haut Conseil de la santé publique, Rapport préparatoire à la Stratégie nationale de santé 2018-2020, juillet 2017.

* 297 Avis n° 81 du Conseil national de l'alimentation, Alimentation favorable à la santé.

* 298 Défaillance des contrôles aux importations : l'exemple du sésame, rapport d'information n° 368 (2020-2021) de Laurent DUPLOMB, fait au nom de la commission des affaires économiques - 17 février 2021.

Affaire des « faux steaks hachés » : les défaillances de l'État doivent être corrigées, rapport d'information n° 695 (2018-2019) de Fabien GAY, fait au nom de la commission des affaires économiques - 24 juillet 2019.

Impacts de l'utilisation du chlordécone et des pesticides aux Antilles : bilan et perspectives d'évolution , Rapport n° 487 (2008-2009) de Catherine PROCACCIA, sénateur et Jean-Yves LE DEAUT, député, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, 24 juin 2009.

* 299 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

* 300 Global Sodium Consumption and Death from Cardiovascular Causes, The New England journal of Medicine, 2014.

* 301 Les méfaits du sucre dans l'alimentation, Médecine interne générale, R. Rodriguez-Vigouroux, L. Bergé François Pralong, R. Maghdessian - janvier 2019.

* 302 Daniel Nizri évoquait devant la mission d'information que l'on peut changer les recettes pour moins recourir au sucre, même si le goût du produit peut en être altéré, ce qui risque de déstabiliser les consommateurs : « il y a quelques années, une marque de desserts suisses a ainsi perdu plus d'un tiers de sa clientèle en quelques jours après avoir, dans une démarche vertueuse, diminué le taux de sucre de ses produits » .

* 303 Avis n° 650, tome I (2020-2021) de Jean-Baptiste Blanc, Daniel Gremillet, Dominique Estrosi Sassone et Anne-Catherine Loisier, 1 er juin 2021.

* 304 Ensemble d' associations de solidarité internationale dont l'action est basée sur l' ingénierie et la technologie .

* 305 https://www.isf-france.org/sites/default/files/2020.05.10_pour_une_securite_sociale_de_lalimentation.pdf

* 306 Par l'article 39 de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Les dispositions relatives aux PAT figurent désormais aux articles L. 1 et L. 111-2-2 du code rural et de la pêche maritime.

* 307 Rapport du CGAAER n° 20 074 : Les produits locaux.

* 308 Tim Lang, « Food policy for the 21st century : can it be both radical and reasonable ? », in M. Koc, R. MacRae, L.J.A. Mougeot, J. Welsh (Eds.), For Hunger-proof Cities : Sustainable Urban Food Systems, International Development Research Centre, Ottawa, pp. 216-224, 1999.

* 309 Rapport n° 659 (2019-2020) de M. Jean-Marie VANLERENBERGHE, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 21 juillet 2020.

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