Rapport d'information n° 637 (2021-2022) de MM. Georges PATIENT et Teva ROHFRITSCH , fait au nom de la commission des finances, déposé le 24 mai 2022

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N° 637

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 mai 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) pour suite à donner à l' enquête de la Cour des comptes , transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les financements de l' État en outre-mer ,

Par MM. Georges PATIENT et Teva ROHFRITSCH,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Par courrier daté du 17 décembre 2020, la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes la réalisation, au titre de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances, d'une enquête relative à la présentation et l'exécution des dépenses de l'État pour l'outre-mer.

Plusieurs axes de réflexion ont structuré cette enquête :

- les difficultés structurelles d'exécution et de consommation des crédits des deux programmes budgétaires de la mission ;

- les conditions de création, de valorisation et de pérennisation des dépenses fiscales au profit des territoires d'outre-mer ;

- les évolutions envisagées pour simplifier et clarifier le document de politique transversale (DPT) relatif à l'outre-mer.

Pour donner suite à la remise de l'enquête par la Cour des comptes en mars 2022, la commission des finances a organisé le 24 mai 2022, une audition réunissant des magistrats de la Cour des comptes ainsi que des représentants de la direction générale des outre-mer (DGOM), de la direction de la législation fiscale (DLF) et de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM).

Ont ainsi été entendus Mme Catherine Démier, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes, Mme Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques et M. Marc Demulsant, sous-directeur de l'évaluation, de la prospective et de la dépense de l'État à la DGOM, M. Bruno Mauchauffée, directeur adjoint de la législation fiscale (DLF) et M. Laurent Renouf, délégué général de la Fédération des entreprises d'Outre-mer (FEDOM).

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

PRINCIPALES OBSERVATIONS

1. L'effort de l'État à destination des territoires d'outre-mer a augmenté entre 2018 et 2022, la hausse des crédits ouverts portant à la fois sur la mission outre-mer et sur les contributions des autres programmes du budget de l'Etat.

2. Les niveaux de consommation des crédits restent cependant relativement bas pour certaines actions spécifiques. Ainsi, les crédits ouverts au titre de la ligne budgétaire unique (LBU), des contrats de convergence et de transformation (CCT) ou du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) présentent des taux d'exécution inférieurs aux autres programmes du budget de l'Etat.

3. Cette sous consommation s'explique, sur la forme, par des opérations d'apurement d'anciens engagements et, sur le fond, par un manque structurel d'ingénierie dans les territoires d'outre-mer et un suivi des contrats lacunaire car complexe à mettre en place.

4. Il apparait donc nécessaire de renforcer les besoins alloués à l'ingénierie. Cette dernière se développe depuis quelques années et présente une offre dense mais qui nécessite un meilleur dimensionnement en termes de ressources humaines, une meilleure coordination des dispositifs existants à la disposition des collectivités et une plus grande communication et sensibilisation des élus sur les services offerts.

5. Comme les crédits budgétaires, les dépenses fiscales relatives à l'outre-mer enregistrent une hausse notable entre 2018 et 2022 malgré des tentatives de rationalisation. De ce fait et en raison de leur difficile évaluation elles demeurent très contestées, notamment par la Cour des comptes. Elles sont cependant un outil complémentaire indispensable qui ne peut être si aisément remplacé en raison des risques intrinsèques à la rebudgétisation.

6. Le document de politique transversale est un document très dense, publié tardivement et dont la rédaction est souvent décorrelée de l'objectif premier de l'État en outre-mer : le rattrapage du niveau socio-économique des territoires d'outre-mer par rapport à la métropole. Il gagnerait donc à évoluer afin d'offrir une information améliorée aux parlementaires et aux citoyens.

7. Enfin, le DPT outre-mer vise une présentation exhaustive des crédits alloués par l'État à l'outre-mer en dehors de toute considération de la notion de politique transversale. Ce parti pris génère une présentation de tous les crédits destinés à l'outre-mer y compris des crédits qui sont alloués de manière similaire et sur les mêmes bases légales et règlementaires aux autres départements de métropole. Il en résulte une approche et une présentation des outre-mer comme un centre de coûts pour l'État sans mise en parallèle avec les richesses créées par les territoires d'outre-mer.

PRINCIPALES RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS SPECIAUX

Les rapporteurs spéciaux partagent certaines des recommandations formulées par la Cour des comptes mais souhaitent les compléter et en formuler de nouvelles. Un tableau en annexe établit un récapitulatif de la position des rapporteurs spéciaux sur les 10 recommandations de la Cour des comptes.

1. Renforcer les moyens humains alloués aux structures d'ingénierie, développer la
communication sur l'existence de ces structures, leurs moyens et leurs missions afin
de sensibiliser le plus largement possible les collectivités susceptibles d'y recourir
et mettre en place une coordination entre les structures existantes. À cet égard, la
création d'un guichet unique auprès duquel les collectivités pourraient se
renseigner pour connaitre les aides en ingénierie dont elles peuvent bénéficier
pourrait faciliter, en amont, le travail de coordination entre les différents acteurs
(DGOM).

2. Établir un programme exhaustif d'évaluation des 29 dépenses fiscales en
priorisant l'évaluation des plus importantes d'entre elles en termes de masse
financière d'une part et celles qui présentent un fait générateur qui s'éteindra
prochainement d'autre part avec un objectif d'évaluation complète de toutes les
dépenses fiscales d'ici la fin du quinquennat 2022-2027 (DGOM, DLF).

3. Limiter les axes du document de politique transversale (DPT) pour les recentrer
sur les objectifs stratégiques de la loi de programmation relative à l'égalité réelle
outre-mer (EROM) et du livre bleu avec comme fil conducteur les crédits destinés
au rattrapage des écarts de niveaux socio -économiques entre les territoires
d'outre-mer et la métropole (DGOM, DB).

4. Recentrer les développements littéraires du document de politique transversale
(DPT) sur les seuls crédits spécifiquement alloués à des actions mises en oeuvre en
outre-mer et ne maintenir les développements sur les crédits budgétaires « de droit
commun » dont bénéficient également les autres départements de métropole qu'en
cas d'évènements remarquables ou exceptionnels expliquant des hausses ou des
baisses inhabituelles (DGOM, DB).

5. Réaliser un jaune sur l'efficacité des dépenses fiscales en faveur de l'outre-mer ce
qui permettrait un meilleur suivi de ces dépenses (DGOM, DLF).

6. Réaliser un document annuel exhaustif de suivi des contrats de convergence et de
transformations (CCT) sous la forme d'un rapport annuel distinct ou d'une annexe
complète au DPT (DGOM).

I. UNE CONSOMMATION DES CRÉDITS BUDGÉTAIRES EN NETTE AMÉLIORATION MAIS DES RÉSULTATS CONTRASTÉS

A. DES CRÉDITS BUDGÉTAIRES ET DES TAUX D'EXÉCUTION EN HAUSSE...

1. Un effort financier accru de l'État sur les crédits de la mission outre-mer

Entre 2018 et 2022, les crédits alloués à la mission outre-mer ont enregistré une hausse notable de 25 % en autorisations d'engagement (AE) et de 19,4 % en crédits de paiement (CP) soit respectivement 525,3 millions d'euros et 400,3 millions d'euros.

Évolution LFI 2018 / PLF 2022 des crédits (AE et CP) de la mission Outre-mer

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat à partir du PLF 2022

Les rapporteurs spéciaux soulignent cependant qu'une partie de cette hausse, essentiellement portée par l'action 1 du programme 138, s'explique par la modification du dispositif, spécifique à l'outre-mer, d'allègements et d'exonérations de charges patronales de sécurité sociale par la loi de financement pour la sécurité sociale de 2019 afin de compenser la suppression du CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) au 1 er janvier 2019, ce qui a engendré un renforcement des exonérations de charges patronales. Cette réforme a ainsi entrainé, en 2019, une augmentation de plus de 42 % des crédits affectés à la compensation de ces exonérations de charges.

De surcroit, en contrepartie de la suppression du mécanisme de la TVA NPR par la loi de finances pour 2019, le gouvernement a mobilisé l'équivalent de cette dépense fiscale en dépense budgétaire, soit 100 millions d'euros , afin de favoriser le développement économique des territoires, rassemblés principalement dans la nouvelle action 04 « Financement de l'économie » du programme 138 « Emploi outre-mer ». Parallèlement, le gain budgétaire dégagé par l'abaissement de la réduction d'impôt sur le revenu, de l'ordre de 70 millions d'euros, a été dédié à l'abondement supplémentaire du fonds exceptionnel d'investissement (FEI), dont les crédits ont été maintenus à 65 millions d'euros 1 ( * ) en CP et 110 millions d'euros en AE sur la durée du quinquennat.

2. Une augmentation des crédits en provenance des autres missions du budget de l'État

En complément des crédits portés par la mission « outre-mer », les territoires ultramarins bénéficient également de crédits en provenance d'autres programmes du budget général. Ces crédits enregistrent une hausse sur la période 2018-2022.

Évolution de l'effort financier de l'État en faveur de l'outre-mer
entre 2018 et 2022 par mission

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents de politique transversale outre-mer

Ils représentaient en 2021 un peu plus de 4 % des dépenses du budget général de l'État.

La Cour des comptes souligne que les dépenses budgétaires, en 2020, se sont élevées à « 10 065 € par personne de moins de 60 ans, ce qui représente une augmentation d'un peu de plus de 1 800 € par rapport à l'année précédente. À titre de comparaison, les dépenses budgétaires de l'État en faveur de la métropole représentaient cette même année 8 100 € par habitant de moins de 60 ans ».

Cependant, les rapporteurs spéciaux soulignent que la population ultramarine représentant 4 % de la population totale française, cet engagement budgétaire n'est pas disproportionné alors même que les besoins en infrastructures et en investissements publics demeurent structurellement plus importants au regard des inégalités géographiques, économiques et démographiques de ces territoires.

Cet engagement de l'État est majoritairement porté par neuf missions qui contribuent pour plus de 93 % du total de son effort financier en faveur des territoires ultramarins. La principale mission contributrice, « Enseignement scolaire », regroupe à elle seule 32 % des crédits consacrés aux outre-mer. La mission « Outre-mer » ne représente que 11,3 % de cet effort global (en CP exécutés).

Principales missions contributrices à la politique de l'État outre-mer

Source : Cour des comptes, rapport sur les financements de l'Etat en outre-mer

3. Des aides ponctuelles à certains territoires

La situation financière de certaines collectivités d'outre-mer s'est particulièrement dégradée depuis 2017.

En effet, au niveau communal, la dette par habitant 2 ( * ) est passée de 837 euros à 982 euros entre 2017 et 2020 soit une augmentation de 17,3 %, quand, durant la même période, celle des communes de métropole a enregistré une baisse de 1,64 % passant de 969 à 953 euros par habitant.

Les marges d'autofinancement 3 ( * ) des communes outre-mer se sont également détériorées comparativement à celles des communes de métropole.

Enfin, le taux d'endettement 4 ( * ) des communes outre-mer, bien qu'inférieur à celui des communes de métropole a augmenté de près de 14 % en 4 ans.

Dette par habitant

2017

2018

2019

2020

évolution en %

France métropolitaine

969,00

961,12

954,69

953,06

- 1,64

Outre-mer

837,00

829,06

857,49

981,86

17,31

France

965,00

956,88

951,58

953,98

- 1,14

Source : commission des finances du Sénat à partir des données DGCL (direction générale des collectivités locales)

Marge d'autofinancement en %

2017

2018

2019

2020

évolution en %

France métropolitaine

92,80

91,82

91,51

92,42

- 0,41

Outre-mer

100,00

97,56

97,55

101,15

1,15

France

93,10

92,02

91,72

92,73

- 0,39

Source : commission des finances du Sénat à partir des données DGCL (direction générale des collectivités locales)

Taux d'endettement en %

2017

2018

2019

2020

évolution en %

France métropolitaine

82,90

81,92

78,38

79,75

- 3,80

Outre-mer

64,60

64,06

64,14

73,63

13,97

France

82,30

81,29

77,88

79,53

- 3,36

Source : commission des finances du Sénat à partir des données DGCL (direction générale des collectivités locales)

La situation financière des régions et CTU outre-mer est similaire, avec des ratios qui se détériorent. En 2020, le taux d'endettement atteint en moyenne 122 % en outre-mer en raison de la situation très dégradée de la Guadeloupe et de la Réunion qui présentent des taux d'endettement respectivement de 142 et 232 %.

Enfin, l'encours de dette des DROM a augmenté de 21 % entre 2016 et 2020 alors que parallèlement leur capacité d'autofinancement (CAF) enregistrait une diminution de 29 %.

Évolution de la capacité d'autofinancement (CAF) et de l'encours de dette dans les DROM entre 2017 et 2020

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat à partir des données DGCL (direction générale des collectivités locales)

Dans ce contexte, la participation de l'État au développement des territoires ultramarins a été marquée, au cours des cinq dernières années, par la multiplication de mesures ponctuelles, telles les plans d'urgence et des mesures de soutien à l'économie ultramarine.

Ainsi, les contrats de redressement outre-mer (Corom), introduits par amendement à la loi de finances pour 2021, visent à apporter un soutien spécifique de l'État aux communes ultramarines souhaitant assainir leur situation financière et réduire les délais de paiement de leurs fournisseurs locaux. Doté d'une enveloppe de 30 millions d'euros sur trois ans (ouverture de 10 millions d'euros de CP par an), le dispositif Corom conditionne le versement des subventions au respect, par les collectivités, de leur engagement à redresser leur situation financière, à fiabiliser leurs comptes et à maîtriser leurs dépenses de fonctionnement.

Parallèlement, la loi de finances initiale (LFI) pour 2022 a mis en place un soutien exceptionnel de l'État à la collectivité territoriale de Guyane (CTG) en vue de rétablir sa capacité d'autofinancement en contrepartie d'engagements relatifs à la maitrise des dépenses de fonctionnement, de fiabilité des comptes et de respect des délais de paiement. Le montant inscrit en LFI 2022, de 20 millions d'euros, pourra être, au besoin, réajusté en fonction de la trajectoire financière qui doit être transmise par la collectivité territoriale de Guyane. Dans ce contexte, il convient de rappeler, qu'en 2017, un plan d'urgence avait déjà été déployé en Guyane. Ce dispositif d'urgence avait été adopté en réponse aux mouvements sociaux ainsi qu'à la situation financière fragile de la collectivité territoriale de Guyane (CTG).

Enfin, l'État, dans la LFI 2022, a augmenté de près de 13 millions d'euros les crédits alloués à la construction d'établissements scolaires, de collèges et lycées en Guyane et de 4,5 millions d'euros les crédits alloués à la construction et l'équipement d'établissements scolaires à Mayotte . Ces crédits, à Mayotte, sont également complétés par des crédits en provenance du FEI, ce complément passant de 3,4 millions d'euros en 2016 à 20 millions d'euros en 2019.

Si la Cour, dans son rapport, encourage cet accompagnement de l'État envers les collectivités les plus fragiles, elle insiste, d'une part, sur le nécessaire pilotage resserré de ces contrats et, d'autre part, sur la subordination du versement des subventions au respect de la trajectoire définie. Ainsi, « elle regrette que certaines collectivités soient systématiquement cocontractantes de ces différents dispositifs sans démontrer la cohérence de la pluralité de ces contrats de soutien. Cayenne a ainsi bénéficié de l'accompagnement spécifique à la Guyane en 2008, a signé un contrat Cahors en juin 2018 et un Corom en mai 2021, témoignages de l'inefficience et a minima de l'insuffisance des mesures entreprises jusqu'à présent par la commune et d'une absence de « sanctions » corrélatives dans le cadre de ces contrats » .

Elle recommande donc de conditionner, pour chaque contrat ou plan d'urgence passé entre l'État et les collectivités territoriales ultramarines, le versement de nouvelles subventions et de dotations ciblées au respect des engagements contractualisés par les collectivités.

Les rapporteurs spéciaux soulignent cependant que la signature d'un contrat d'accompagnement Corom est subordonnée à l'établissement d'un diagnostic partagé sur l'état des dépenses et des recettes sur l'exercice en cours et s'inscrit dans une perspective à trois ans. Les engagements de la commune doivent ensuite être définis dans un contrat qui renvoie à un tableau de bord comportant des indicateurs financiers chiffrés précis (évolution des dépenses réelles de fonctionnement (DRF) et des chapitres 011, 012 et 65 etc.) et des objectifs d'optimisation de la gestion (par exemple, délibération sur la révision du temps de travail ou du régime indemnitaire, optimisation de la chaîne de la dépense, respect des calendriers budgétaires et comptables, travaux de fiabilisation de l'actif pour améliorer la qualité comptable etc.). De surcroit, dans le cas où le contrat prévoit l'attribution d'une subvention exceptionnelle, la réalisation de ces objectifs va conditionner son versement au plus tard au mois de septembre de chaque exercice budgétaire, à la suite d'une décision d'un comité national associant la direction générale des outre-mer, la direction générale des collectivités locales et la direction générale des finances publiques. Le comité national évaluera la démarche de redressement qui justifie l'octroi d'une dotation en fonction de différents indicateurs, notamment du respect de la trajectoire budgétaire pluriannuelle ainsi que des réformes structurelles déjà engagées la première année du contrat 5 ( * ) .

Par ailleurs, concernant le soutien exceptionnel de l'État à la collectivité territoriale de Guyane en vue de rétablir sa capacité d'autofinancement acté en LFI 2022 pour un montant de 20 millions d'euros, les rapporteurs spéciaux précisent qu'un contrat de financement de 40 millions d'euros a été signé le 18 janvier 2022. Ce contrat fait suite à un premier accord intermédiaire signé en 2021 pour 30 millions d'euros. La collectivité s'engage dans un processus de maîtrise de ses dépenses et de fiabilisation de ses comptes.

À cet égard, il convient de souligner que depuis la signature de l'accord de méthode du 28 novembre 2019 , les services de l'État et la CTG se sont réunis une quinzaine de fois. La « task force interministérielle » (DGOM, DGCL, DGFIP) prévue à l'article 3 de l'accord de méthode s'est déplacée en Guyane à la fin du mois de janvier 2020. Les travaux effectués ont permis d'aboutir à une fiabilisation et à une plus grande exhaustivité des données de la CTG dans les domaines budgétaire, des ressources humaines (RH) et comptable :

- fiabilisation des comptes 2019 pour établir, sur cette base, une trajectoire budgétaire partagée sur 4 ans à compter de 2020 qui servira de fondement à l'accord structurel ;

- définition d'une PPI ainsi que les besoins de financements y afférents ;

- fiabilisation du tableau des effectifs de la collectivité et des organisations internes aux services (en cours) ;

- identification des leviers d'économies possibles en termes RH notamment grâce à une meilleure appréhension du nombre de départs à la retraite ;

- conventionnement avec la DRFIP pour travailler sur les nettoyages de flux et l'apurement comptable.

Ainsi, si les rapporteurs spéciaux partagent, sur le fond, la recommandation de la Cour des comptes, ils estiment cependant qu'elle est déjà mise en oeuvre, concernant les Corom et le soutien exceptionnel à la collectivité territoriale de Guyane, sous condition de vérification de l'effectivité du respect des contreparties.

4. Une consommation des crédits globalement en nette amélioration en 2020 malgré un contexte de crise sanitaire

Dans sa note d'exécution budgétaire, la Cour des comptes indiquait que les crédits consommés en 2020 pour les deux programmes de la mission outre-mer s'élevaient à « 2 382,30 millions d'euros en AE et 2 331,86 millions d'euros en CP, soit - 136,58 millions d'euros en AE et - 40,61 millions d'euros en CP par rapport aux crédits votés en LFI, et - 141,2 millions d'euros en AE et - 49,8 millions d'euros en CP par rapport aux crédits disponibles en fin de gestion. Si l'on rapproche les crédits consommés des crédits ouverts (hors les annulations en LFR), les écarts sont de - 206,69 millions d'euros en AE et - 177,16 millions en CP ». Cette sous exécution était cependant inférieure à celle constatée en 2019 (- 175,8 millions d'euros en AE et - 169 millions d'euros en CP) alors même que l'année 2020 a été marquée par la crise sanitaire et le ralentissement de l'activité économique dans les outre-mer.

Cette amélioration de la consommation des crédits s'explique par les évolutions mises en oeuvre par la DGOM dans ses modalités de pilotage, répondant ainsi à la recommandation formulée dans les rapports du CBCM et de l'IGA/CGefi.

En effet, une des difficultés constatées au cours des exercices antérieurs était la concentration, en fin d'exercice, d'une part importante de l'exécution des dépenses, limitant d'autant la capacité des acteurs de la chaîne de dépense à produire des prévisions fiables concernant la consommation de l'ensemble de l'exercice. Ainsi, le montant des crédits mandatés entre le 1 er novembre 2019 et le 13 décembre 2019 (échéance de clôture de l'exercice) était équivalent au cumul des crédits mandatés à fin août 2019. Cette concentration sur les deux derniers mois de l'année s'est renouvelée en 2020, bien que la dépense ait été plus anticipée au cours du premier semestre.

En 2021, le début de gestion a été largement anticipé par la DGOM par rapport aux deux exercices précédents, permettant de dégager le meilleur taux de consommation des crédits du programme depuis 4 ans, sur les premiers mois de l'année.

Cependant, les incertitudes découlant du contexte sanitaire exceptionnel, notamment dans les Antilles (confinement au second semestre 2021), rendaient, en cours d'exercice, très difficiles les prévisions d'exécution. Il conviendra donc d'attendre la loi de règlement afin d'analyser plus finement les consommations 2021.

B. ...MAIS UNE SOUS CONSOMMATION INQUIÉTANTE DANS CERTAINS DOMAINES...

Les notes d'exécution budgétaire de la Cour des comptes tout comme l'examen des lois de règlement par le Sénat relevaient une sous consommation récurrente des crédits de la mission outre-mer. Ce constat est d'ailleurs à l'origine de la demande d'enquête formulée par la commission des finances du Sénat à la Cour sur les financements de l'État en outre-mer. Ainsi, en 2020, la Cour des comptes constatait que la programmation budgétaire des dépenses avait fait l'objet de nombreuses révisions et que l'exécution s'était achevée par une sous-consommation inédite des crédits totaux du budget de l'État (8,3 % des dépenses nettes du budget général). Elle relevait cependant le caractère exceptionnel de ces sous-consommations, portant principalement sur la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », la moyenne des sous-exécutions par rapport à la dernière LFR s'établissant plutôt à 0,9 % depuis 2009, soit bien loin des chiffres constatés pour la mission « Outre-mer » (4,6 % en AE et 2 % en CP en 2019, et 5,6 % en AE et 2 % en CP en 2020) . En 2019, celle-ci était d'ailleurs, en montant, la cinquième mission à avoir le plus sous-exécuté (- 191 millions d'euros par rapport aux CP votés en LFI), derrière les missions « Engagements financiers de l'État », « Recherche et enseignement supérieur », « Action et transformation publiques » et « Défense ».

Cette sous-consommation n'est cependant pas généralisée à l'ensemble des crédits de la mission outre-mer mais concerne essentiellement les actions 1 (LBU), 2 (CCT), 3 (continuité territoriale) et 8 (FEI) du programme 123.

1. Une sous consommation ciblée sur la ligne budgétaire unique (LBU), les contrats de convergence et de transformation (CCT) et le FEI
a) La LBU

Entre 2014 et 2019, la LBU enregistre une sous consommation récurrente comprise entre 12 % et 29 % des crédits ouverts en LFI en AE et entre 6 % et 28 % en CP. Cette sous-consommation constatée se tasse en 2020 avec une exécution de 88,3 % des AE et de 98,6 % des CP.

En effet, les taux de consommation en 2019 étaient respectivement de 90 % pour les AE (consommation de 199,3 millions d'euros pour une LFI de 222 millions d'euros) et de 78 % pour les CP (consommation de 171,6 millions d'euros pour une LFI de 219,6 millions d'euros).

En 2020, le taux de consommation des AE enregistre une nouvelle baisse pour s'établir à 88,3 % (consommation de 182,5 millions d'euros pour une LFI de 206,6 millions d'euros). En revanche, le taux de consommation des CP s'améliore nettement (98,6 % avec une consommation de 179,3 millions d'euros pour une LFI de 181,9 millions d'euros) en dépit du contexte de crise sanitaire ce qui traduit la dynamique du plan logement. Cette amélioration du taux de consommation résulte cependant très largement d'une baisse des crédits ouverts en LFI.

b) Les CCT

Au titre des CCT 2019-2022, 378,32 millions d'euros ont été contractualisés sur le programme 123 « conditions de vie outre-mer », pour les cinq départements et régions d'outre-mer, ainsi que pour les collectivités d'outre-mer de Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin et Wallis-et-Futuna.

D'après les réponses aux questions parlementaires du PLF 2022, le montant global financé par l'État au titre de la contractualisation pour ces mêmes territoires s'élève à 2,8 milliards d'euros auxquels s'ajoutent 496,8 millions d'euros répartis entre la Polynésie (124,6 millions d'euros) et la Nouvelle-Calédonie (372,2 millions d'euros).

Pour la seule exécution des crédits portés par le programme 123 (conditions de vie outre-mer), la consommation cumulée 2019-2020 serait la suivante :

Exécution des contrats en cumulé 2019-2020

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires (rapport annuel de performance 2020)

La Cour des comptes dans son rapport présente une exécution légèrement différente (99,2 millions d'euros en AE et 32,5 millions d'euros en CP).

Ainsi, le taux moyen d'engagement est de 40 % après 2 ans et le taux moyen de couverture des engagements est de 31 %. Le taux de consommation des CP est encore bien inférieur puisqu'il se situe entre 2 et 35 % avec une moyenne, sur l'ensemble des territoires, de 8 %.

Ce faible taux de consommation en 2020 s'explique en partie par l'impact de la crise sanitaire sur la vie économique des territoires d'outre-mer, et par voie de conséquence le ralentissement des chantiers et de la programmation des opérations.

L'année 2021 ayant également été touchée par la crise sanitaire, notamment dans les territoires d'outre-mer qui ont connu des périodes de confinement et/ou de couvre-feu plus longues qu'en métropole, les rapporteurs craignent une nouvelle sous-exécution en 2021 et s'inquiètent de la consommation totale de ces montants contractualisés à l'issue de la période, fin 2022.

Selon la DGOM elle-même, de nouvelles sous-exécutions dues aux retards de mise en oeuvre opérationnelle des projets sont en effet à prévoir. Pour autant, en réponse à la Cour, « les préfets de Guyane et de La Réunion font part d'une accélération de l'exécution des CCT au cours du second semestre 2021, qui devrait se poursuivre en 2022, au vu des prévisions de programmation des opérations identifiées ».

Concernant spécifiquement le contrat de développement pour la Polynésie couvrant la période 2015-2020, et donc achevé à ce jour, le taux de consommation des AE s'élève à 80 % et le taux de couverture des engagements à 48 %. Le taux de consommation des CP est de 39 %. Les 20 % d'AE non consommées ont vocation, d'après les précisions apportées par la DGOM, à être annulées, la Polynésie ayant signé avec l'État un contrat de développement et de transformation en avril 2021.

Enfin, le contrat de développement de la Nouvelle-Calédonie, d'un montant initial de 372,2 millions d'euros à partir du programme 123 a été porté à 792,8 millions d'euros à compter de 2020. Son exécution fin 2020 s'établit à 242,3 millions d'euros en AE et 138,5 millions d'euros en CP soit un taux d'engagement de 31 % et un taux de couverture des engagements de 57 %. Ce contrat a été prolongé jusqu'à fin 2022.

Cette sous consommation pose nécessairement la question de celle du devenir des crédits non consommés à la fin de l'année 2022, terme des CCT malgré l'accélération de l'exécution au cours du second semestre 2021, qui devrait se poursuivre en 2022.

En effet, les CCT arriveront à leur terme fin 2022. Une reconduction pour la période 2023-2026 nécessiterait donc d'engager des négociations entre l'État et les collectivités dès le premier semestre 2022. Cependant, compte tenu des échéances électorales, la DGOM estime plus prudent d'envisager une prolongation des CCT actuels pour une durée d'au moins un an. Dans cette hypothèse, compte tenu de l'hétérogénéité des niveaux de consommation et des perspectives d'engagement et de paiement d'ici la fin d'année 2022, une analyse individualisée des besoins devra être réalisée afin d'apprécier l'opportunité d'allouer une tranche budgétaire annuelle supplémentaire à chaque territoire pour financer les projets en cours de réalisation. Par ailleurs, se posera la question des crédits alloués aux prochains contrats. Que les crédits non engagés soient annulés pour baser les montants des nouveaux CCT sur les seuls nouveaux projets et les perspectives d'investissements pour la période 2023-2026 ou que les crédits non engagés soient reportés sur les nouveaux contrats il conviendra de veiller à ce que les montants actés soient cohérents avec les besoins de chaque territoire et qu'ils ne soient pas revus à la baisse en raison des sous exécutions des contrats achevés.

c) Le FEI

La création du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) par la loi pour le développement économique des outre-mer du 27 mai 2009 (LODEOM) vise à répondre aux besoins importants en équipements publics dans les territoires d'outre-mer.

L'objet du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) est donc d'apporter une aide financière de l'État aux personnes publiques qui réalisent dans les départements, régions et collectivités d'outre-mer, relevant de l'article 74 de la Constitution ou en Nouvelle-Calédonie, des investissements portant sur des équipements publics collectifs, lorsque ces investissements participent de manière déterminante au développement économique, social, environnemental et énergétique local. L'objectif initial était de doter ce fonds de 500 millions d'euros d'ici 2017.

Toutefois, en 2017, le FEI n'avait cumulé que 230 millions d'euros en AE et 214 millions d'euros en CP, soit moins de la moitié des financements promis. Le dispositif a été reconduit pour le quinquennat 2017/2022 avec le renouvellement d'un objectif de 500 millions d'euros.

Ouverture et consommation des crédits du fonds exceptionnel
d'investissement (FEI) entre 2017 et 2022

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires (projets et rapports annuels de performance)

Entre 2017 et 2022, 520 millions d'euros en AE et 326 millions d'euros en CP ont été ouverts pour le FEI. L'engagement quinquennal du Gouvernement de reconduire 500 millions d'euros a donc été tenu. Cependant, les quatre premières années d'exécution révèlent une consommation inférieure aux objectifs avec 208,5 millions d'AE et 157,3 millions de CP consommés soit respectivement 40 % et 48 % des crédits ouverts.

Une fois encore, seule la loi de règlement permettra une analyse actualisée et plus fine des crédits à fin 2021.

Ainsi, si l'utilité du fonds est indiscutable, sa consommation reste inférieure aux objectifs fixés. Il est peu probable à ce stade que l'exécution 2021 et 2022 permette d'engager la totalité des crédits restant. Deux questions se poseront alors lors du PLF 2023 :

- celle du devenir des AE non consommées avec la possibilité d'un report qui viendrait augmenter les crédits ouverts en 2023 ;

- celle de son renouvellement lors du prochain quinquennat, renouvellement qui apparait indispensable aux rapporteurs spéciaux. Ce renouvellement devra alors fixer une trajectoire pluriannuelle comme lors du précédent quinquennat ce qui permettra de donner plus de visibilité aux collectivités.

d) La continuité territoriale

Concernant l'action 3, la sous-consommation constatée en 2020 s'explique largement par la crise sanitaire qui a engendré une baisse substantielle de la fréquentation des vols entre les territoires d'outre-mer et, de fait, une sous exécution notable des crédits puisque la consommation s'est établie à 33,5 millions d'AE pour 43,5 millions de crédits ouverts en LFI et à 31,5 millions en CP pour 43,8 millions de crédits ouverts. Un retour à la normale en 2022 devrait mettre fin à cette sous consommation exceptionnelle.

2. Les causes de cette sous consommation
a) Des opérations d'apurement des engagements d'années antérieures

La sous-consommation constatée sur certaines actions du programme 123 s'explique en partie par une démarche d'apurement des engagements d'années antérieures , qui vient artificiellement minorer les consommations d'AE dans Chorus. Ainsi, en 2021, 146 millions d'euros d'AE ont été libérées dans un mouvement d'accélération par rapport aux années précédentes (50 millions d'euros en 2018, 85 millions d'euros en 2019 et 89,2 millions d'euros en 2020).

Si la Cour estime que ce niveau élevé de restes à payer est la conséquence d'un engagement initial mal calibré par rapport à la réalité des projets et d'une insuffisante suppression périodique des engagements juridiques qui n'aboutiront jamais à un paiement, les rapporteurs spéciaux rappellent qu'il s'explique surtout par l'incapacité ou les difficultés à finaliser les projets en raison :

- d'un manque de foncier disponible ;

- de carences structurelles en ingénierie qui ralentissent la réalisation des projets et de faits la consommation des crédits.

b) Un manque structurel d'ingénierie

Les collectivités outre-mer se caractérisent, assez généralement, par un manque d'ingénierie qui s'explique essentiellement par une prédominance des emplois de catégorie C et la rareté des emplois de catégorie A en capacité de porter et d'accompagner les projets.

Or, la nécessité d'établir des programmations de travaux, de passer et suivre des marchés publics, d'établir un suivi technique et financier des projets est la condition préalable pour mener à terme, dans les délais impartis, les projets portés et financés dans le cadre des CCT ou du FEI.

Par ailleurs, la rareté du foncier, son insécurité juridique, de même que des contraintes en termes de normes de sécurité spécifiques aux territoires d'outre-mer (en raison notamment des contraintes géographiques intrinsèques : risques sismiques ou climatiques, topographie, insularité...) rend le besoin en ingénierie encore plus prégnant.

Il en résulte des projets qui peinent à démarrer ou à s'achever.

Pour remédier à cette situation, l'État a développé plusieurs dispositifs d'ingénierie nationaux et locaux (cf. infra ).

c) Un suivi des contrats parfois lacunaire car complexe à mettre en oeuvre

Concernant spécifiquement les CCT, le suivi des contrats est rendu particulièrement complexe par l'architecture budgétaire de ces contrats . En effet, les crédits contractualisés concernent de nombreux acteurs (État sur différents programmes, collectivités et EPCI).

À cet égard, la Cour note d'ailleurs la nécessité d'une collaboration resserrée entre la DGOM et les services des ministères partenaires. « Or, aucune réunion de coordination et de pilotage des CCT n'a été organisée sur la période, permettant d'identifier les retards ou les éventuels surcoûts, qui aurait permis d'ajuster les financements en les adaptant aux capacités des territoires à amorcer les projets. La rigidité du cadre des CCT, et la multiplicité des programmes y concourant, limitent les redéploiements de crédits non employés vers des programmes présentant de nouveaux besoins ». Dans ce contexte, et bien que le portage des crédits par différents ministères se justifie par l'aspect technique des projets financés par chacun d'eux, le suivi au sein d'un même programme permettrait une souplesse qui pourrait être à même d'améliorer la consommation de ces crédits et faciliterait le suivi financier. Par ailleurs, les rapporteurs spéciaux notent la difficulté de disposer d'un document agrégé permettant de suivre la consommation de tous les crédits contractualisés, c'est-à-dire ceux portés par l'État mais également ceux des collectivités.

Le suivi technique et financier, comme le recommande la Cour des comptes, devra donc être amélioré pour permettre une exécution des crédits à la hauteur des enjeux et des besoins des territoires d'outre-mer.

Concernant spécifiquement le pilotage global , actuellement réalisé par la DGOM, ce dernier impliquant plusieurs ministères et acteurs publics, il pourrait être envisagé qu'il soit mis en oeuvre et suivi par une instance interministérielle.

B. ...QUI NÉCESSITENT UN RENFORCEMENT ET UNE MEILLEURE COORDINATION DES DISPOSITIFS D'INGÉNIERIE

1. Les dispositifs existants : une offre diversifiée et dense mais sous-dimensionnée au regard des besoins et pas toujours facilement accessible
a) Une offre diversifiée qui tend à se développer

Les dispositifs d'ingénierie à disposition des collectivités sont nombreux et relèvent d'un double niveau : national et local.

Au niveau national, les collectivités d'outre-mer peuvent bénéficier de l'appui :

- de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) 6 ( * ) qui a pour mission de conseiller et de soutenir les collectivités territoriales et leurs groupements dans la conception, la définition et la mise en oeuvre de leurs projets 7 ( * ) ;

- des agences départementales, établissements publics créés par les départements, communes et établissements publics intercommunaux (conformément aux dispositions de l'article L 5511-1 du code général des collectivités territoriales), et chargées d'apporter, aux collectivités territoriales et aux établissements publics intercommunaux du département qui le demandent, une assistance d'ordre technique, juridique ou financier. À ce jour, la DGOM n'a cependant pas eu connaissance de la création de telles agences dans les territoires d'outre-mer.

À ces dispositifs nationaux, s'ajoutent des dispositifs spécifiques au niveau local :

- des pôles d'ingénierie ont été créés au sein des services déconcentrés de l'État (directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement et secrétaire général pour les affaires régionales au sein des préfectures (Sgar)...). Ainsi,

• en Guadeloupe, une agence d'ingénierie est en phase de préfiguration au sein du Sgar ;

• en Martinique, le Sgar comprend un pôle ingénierie territoriale ;

• en Guyane, une plateforme d'appui aux collectivités territoriales (Pact) chargée du financement des collectivités territoriales, du contrôle de leurs actes et de leur accompagnement dans la mise en oeuvre de leurs projets a été créée en 2020. Sa mise en place a permis de relancer un certain nombre de projets que les collectivités ne parvenaient pas à faire aboutir seules (stade de football de Grand Santi, école à Saül) ;

• à Mayotte, une plateforme d'ingénierie territoriale a aussi été créée en 2019 pour accompagner les collectivités dans l'élaboration, le financement et le suivi de leurs projets ;

• en Polynésie française, une direction de l'ingénierie publique est rattachée au haut-commissariat et assure des missions d'ingénierie et d'expertise pour le compte de l'État, du gouvernement de Polynésie française, des communes et des établissements publics.

- l'AFD apporte un appui aux collectivités ultramarines pour la réalisation de leurs investissements . Cet appui à l'ingénierie territoriale fait l'objet d'un financement spécifique via le « fonds outre-mer » qui finance des actions d'assistance à maîtrise d'ouvrage et d'ingénierie pour les projets planifiés par les collectivités. Doté en 2019 de 17,5 millions d'euros en AE et en CP transférés à l'AFD depuis le programme 123, le fonds a été réabondé à hauteur de 30 millions d'euros en AE pour 2021 et 2022 par des crédits du plan de relance ;

- en juillet 2021, le Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement) s'est doté d'une direction déléguée à l'outre-mer et s'est implanté de façon pérenne à La Réunion, à Mayotte et en Guyane. L'expertise du Centre est particulièrement utile en outre-mer, compte tenu de l'ensemble de ses domaines d'activité : ingénierie des territoires, performance et gestion patrimoniale des bâtiments, mobilités, infrastructures de transport, environnement et risques, mer et littoral.

b) Mais une offre sous dimensionnée, peu coordonnée et mal connue

Les dispositifs d'appui à l'ingénierie sont donc nombreux et diversifiés mais ils restent peu dotés en termes de ressources humaines. À titre d'exemple, l'ANCT ne dispose que d'un seul agent en charge de l'ensemble des collectivités d'outre-mer et intervient principalement auprès des collectivités en tant que financeur, en prenant en charge tout ou partie du financement des prestations externalisées d'ingénierie, et non en assistant directement les territoires.

Les plateformes de Mayotte et de Guyane sont, pour leur part, davantage destinées à un accompagnement de proximité mais leur dimensionnement ne permet toutefois pas de généraliser cet accompagnement à l'ensemble des besoins existants. En effet, la Pact de Guyane bénéficie de trois agents et la plateforme de Mayotte de six agents mais cette dernière doit faire face à une rotation importante de ses équipes qui se traduit par des vacances de postes récurrentes.

Enfin, le Cerema dont l'implantation à la Réunion, en Guyane et à Mayotte est encore récente devrait compléter ses effectifs à l'horizon mi-2022 (avec quatre agents et un directeur d'agence Océan Indien affectés à La Réunion).

Au-delà de la faiblesse des moyens humains alloués à ces structures d'ingénierie ces dernières pâtissent :

- d'un manque de visibilité : en effet, les élus locaux n'ont pas toujours connaissance de l'existence de ces structures et de leurs missions ce qui s'explique pour certaines structures par l'absence ou la faiblesse de communication institutionnelle sur le sujet. Ce manque de visibilité s'accompagne d'un manque de connaissance de la part des élus sur le modèle d'intervention de ces différentes structures ;

- d'un manque de coordination : les structures d'ingénierie sont disparates et rattachés à de multiples acteurs (préfectures, ANCT, AFD, Cerema, Cici 8 ( * ) ...) et leurs actions et missions respectives ne sont pas coordonnées.

Si le préfet de la Guyane se félicite des actions conduites au cours des deux dernières années par la Pact, il estime néanmoins que certains points mériteraient d'être améliorés. Il regrette ainsi que le modèle méthodologique d'intervention de la Pact ne soit pas pleinement connu des collectivités et que les partenariats entre les services de l'État en charge de l'accompagnement manquent de coordination. Pour répondre à cette difficulté inhérente au fonctionnement de ses propres services ou organismes qui lui sont rattachés, le Préfet a indiqué à la Cour des comptes envisager la mise en oeuvre de mesures concrètes dès 2022, à savoir :

- des interventions majoritairement concentrées sur des opérations déjà financées par l'État (notamment dans le cadre du plan de relance) ;

- la création d'une commission départementale, placée sous l'autorité du sous-préfet territorialement compétent, regroupant les services de la préfecture (direction générale des territoires et de la mer et direction générale de la coordination et de l'animation territoriale), la DRFiP, la banque des territoires, l'AFD et la Cici, et chargée d'optimiser ainsi que de prioriser les financements et actions d'accompagnement et de suivi des collectivités territoriales ;

- un renforcement de la communication, notamment institutionnelle, autour de la Pact ;

- la signature avec les collectivités partenaires de conventions de services déterminant le niveau d'intervention de la plateforme, les projets accompagnés et le calendrier de mise en oeuvre ;

- le renforcement des effectifs sous plafond d'emploi.

2. Un renforcement nécessaire de l'ingénierie locale

En premier lieu, il conviendrait donc de renforcer les moyens humains alloués aux structures d'ingénierie. Parallèlement, la Cour dans son rapport note qu' « il est regrettable que certains chargés de projets au sein de la plateforme de Mayotte aient pu penser que leurs missions ne s'étendaient pas au-delà de la simple signature de convention ». À cet égard, il conviendrait de formaliser dans un document les missions de ces structures afin d'y lister l'accompagnement exact qui peut être apporté aux collectivités dans la réalisation de leurs projets.

En deuxième lieu, il parait nécessaire de développer la communication sur l'existence de ces structures, leurs moyens et leurs missions afin de sensibiliser le plus largement possible les collectivités susceptibles d'y recourir.

Enfin, une coordination entre ces structures devra être mise en place. À cet égard, la création d'une commission pour chacun des territoires d'outre-mer et réunissant tous les acteurs de l'ingénierie pourrait utilement être créée afin d'analyser les dossiers, les orienter aux mieux vers la structure adéquate au regard de la nature du projet et calibrer le soutien à mettre en oeuvre au regard des besoins. Dans cette même logique de coordination, la création d'un guichet unique auprès duquel les collectivités pourraient se renseigner pour connaitre les aides en ingénierie dont elles peuvent bénéficier pourrait faciliter, en amont, le travail de coordination entre les différents acteurs.

II. DES DÉPENSES FISCALES CONTESTÉES MAIS QUI REPRÉSENTENT UN OUTIL INDISPENSABLE POUR LES TERRITOIRES D'OUTRE-MER

A. UN OUTIL TOUJOURS CONTESTÉ MALGRÉ LES TENTATIVES DE RATIONALISATION...

1. Une hausse continue des dépenses fiscales rattachées à la mission outre-mer en raison du dynamisme important de certaines d'entre elles

En 2022, l'évaluation des dépenses fiscales enregistre une hausse de 4,5 % par rapport à 2021 en passant de 6 143 millions d'euros à 6 417 millions d'euros en raison notamment du dynamisme de certaines dépenses (taux de TVA réduit ou application à Mayotte, en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique et à la Réunion d'une taxe spéciale de consommation, à la place de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques et qui présente un taux plus bas ainsi qu'un champ d'application plus étroit).

Ainsi , leur montant 2022 est trois fois plus important que le montant des crédits budgétaires de la mission Outre-mer et alors que la mission Outre-mer ne représente que 0,4 % des CP de la loi de finances exécutés en 2021, les dépenses fiscales rattachées à la mission sont estimées à 7,1 % du coût total des dépenses fiscales de l'État 9 ( * ) .

Dépenses budgétaires et fiscales de la mission Outre-mer en 2021

(en Md€)

Source : Cour des comptes, rapport sur les financements de l'Etat en outre-mer

Depuis 2018, elles ont augmenté de 904 millions d'euros soit une hausse de 16,4 %.

Évolution des dépenses fiscales entre 2018 et 2022

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat à partir du PLF 2022

2. Des tentatives de rationalisation qui n'ont pas permis de limiter la hausse des dépenses fiscales

Pour tenter de limiter cette hausse, le Gouvernement et le Législateur ont entrepris plusieurs actions afin de rationaliser ces dépenses soit par suppression, modification, transformation en crédits d'impôt ou rebudgétisation.

Les réformes de 2019 ont permis :

- la suppression du dispositif de la TVA non perçue récupérable 10 ( * ) (ce qui représente une économie d'environ 100 millions d'euros) rattachée au programme 138 ;

- la réfaction de la réduction d'impôt sur le revenu spécifique pour les contribuables résidant dans les DOM 11 ( * ) (ce qui représente une économie d'environ 7012 ( * ) millions d'euros) rattachée au programme 123 ;

- la diminution du régime classique de défiscalisation prévu aux articles 199 undecies B et C du CGI au profit d'un crédit d'impôt en faveur de l'investissement dans les DROM (article 244 quater W du CGI) ce qui a diminué la dépense fiscale de 700 millions d'euros à 377 millions d'euros et a augmenté parallèlement le crédit d'impôt qui atteint un niveau de 150 millions d'euros en 2021.

De surcroit, la loi de finances pour 2020 13 ( * ) a supprimé deux dispositifs non chiffrables :

- dépense fiscale n°170308 : exclusion temporaire du revenu imposable des bénéfices provenant de l'exploitation de terrains auparavant non cultivés affectés à des cultures agréées pour la détermination du revenu imposable afférent aux exploitations agricoles situées dans les DOM ;

- dépense fiscale n°710106 : exonérations de TVA relatives à la mise en valeur agricole de terres dans les DOM.

Enfin, la LFI 2022 a acté la suppression de l'exonération des bénéfices réinvestis dans l'entreprise pour les sociétés de recherche et d'exploitation minière dans les départements d'outre-mer, cette dépense fiscale apparaissant comme obsolète et sans objet depuis l'extinction de son fait générateur en 2001.

3. Une contestation constante des dépenses fiscales

Malgré ces efforts, les mouvements de rationalisation n'ont pas généré de baisse des dépenses fiscales qui restent des outils très contestés notamment par la Cour des comptes dans ses rapports sur l'exécution budgétaire, dans son rapport sur le logement outre-mer 14 ( * ) et dans son rapport sur les financements de l'État en outre-mer.

Elle estime que l'efficacité de ces dépenses n'est pas avérée et que leur surcoût est important par rapport à d'autres dispositifs en raison notamment :

- des difficultés de chiffrage et, de fait, du coût réel qu'elles représentent pour l'État ;

- des difficultés de pilotage ;

- de l'absence d'évaluation de l'efficacité et de l'efficience des dépenses fiscales et, à tout le moins, des plus significatives ;

- de l'absence de règles précises et formalisées relatives à la définition et à la modification du périmètre des dépenses fiscales.

Dans ce contexte, spécifiquement sur les dépenses fiscales relatives à la construction de logements, la Cour des comptes , dans son rapport sur le logement social outre-mer estimait que « l'efficience des financements publics nécessite un pilotage géographique précis pour apporter une réponse appropriée aux besoins de logements dans chaque territoire [...] Or, la localisation des logements bénéficiant d'incitations fiscales est le fait de chaque promoteur et non des pouvoirs publics. Ces dépenses n'orientent donc pas toujours les investissements là où ils sont nécessaires. De plus, les investisseurs mobilisent le plus souvent les aides fiscales pour des logements intermédiaires et non pour des logements locatifs très sociaux». Aussi, la Cour préconise-t-elle, « de supprimer le dispositif de défiscalisation relatif aux logements dans les outre-mer, compte tenu de son coût significatif pour le budget de l'État et de son absence d'efficacité démontrée » et recommande dans son rapport sur les financements de l'État en outre-mer de supprimer les dépenses fiscales inefficientes en faveur du logement et d'abonder du montant correspondant les crédits de la LBU.

B. ...MAIS QUI RESTE INDISPENSABLE ET PAS SI AISÉMENT REMPLACABLE...

1. Le caractère indispensable des dépenses fiscales

Les rapporteurs spéciaux s'ils ne contestent pas la nécessité d'évaluer précisément l'ensemble des dépenses fiscales rattachées à la mission outre-mer (cf. infra ) rappellent que ces dépenses représentent un outil essentiel pour contribuer à la dynamisation de l'économie, à l'attractivité des territoires et à l'effort général de rattrapage de l'écart de niveau socio-économique entre l'outre-mer et la métropole. À ce titre, elles sont considérées par le droit de l'Union européenne comme des aides à finalité régionale, placées sous le régime du règlement général d'exemption par catégorie 15 ( * ) , car considérées comme de faible ampleur sur la concurrence et de nature à compenser les surcoûts liés à cette situation géographique particulière.

Elles ont un effet incitatif notamment sur la construction de logements qui même si elle n'est pas totalement ciblée géographiquement comme le souhaiterait la Cour des comptes répond tout de même à un besoin prégnant, dans la mesure où le déficit de logements concerne la quasi intégralité des territoires d'outre-mer.

Par ailleurs, les rapporteurs spéciaux rappellent que certaines dépenses fiscales permettent tout de même un certain ciblage géographique des constructions et rénovations. Ainsi, le bénéfice du crédit d'impôt en faveur du logement social dans les départements d'outre-mer est conditionné au financement de l'investissement à hauteur de 5 % minimum par la LBU. Les services préfectoraux de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) instruisent d'ores et déjà la pertinence du projet de construction de logements pour le territoire dans le cadre de l'attribution de la LBU.

En outre, s'agissant de la localisation des investissements consistant en la rénovation de logements sociaux, le législateur a d'ores et déjà désigné dans la loi les quartiers ou territoires dans lesquels les rénovations sont prioritaires. Ainsi, le bénéfice du crédit d'impôt prévu au 4 du I de l'article 244 quater X du CGI en faveur de la rénovation ou de la réhabilitation des logements sociaux de plus de vingt ans est circonscrit aux logements situés dans les quartiers du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) 16 ( * ) ou dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV) 17 ( * ) des départements d'outre-mer. De la même manière, le bénéfice de la réduction d'impôt prévue au VI bis de l'article 199 undecies C du CGI est restreint aux immeubles situés dans certaines communes ou territoires expressément visés par la loi 18 ( * ) . Ces dispositions visent à dynamiser la réhabilitation du parc social vieillissant dans certaines zones ciblées, afin de répondre aux besoins locaux et à l'enjeu prioritaire de réhabilitation du parc ancien dans certains territoires.

De surcroit, les rapporteurs spéciaux soulignent que la rareté du foncier, élément transversal à tous les territoires d'outre-mer, explique également l'absence de constructions dans certaines régions et il leur semble illusoire de penser qu'un pilotage au niveau central, par une rebudgétisation, serait plus performant sur le plan du déploiement géographique.

Par ailleurs, le champ d'application du crédit d'impôt prévu à l'article 244 quater X du CGI n'est pas strictement identique à celui de la LBU. En particulier, le dispositif prévu à l'article 244 quater X du CGI permet le bénéfice du crédit d'impôt pour l'acquisition ou la construction de logements financés à l'aide de prêts locatifs sociaux (PLS) dans la limite d'un quota. Les logements PLS ne peuvent pas bénéficier d'un financement par la LBU. Il serait donc nécessaire de modifier le champ d'intervention de la LBU s'il était envisagé la suppression du dispositif de crédit d'impôt en faveur d'un abondement de la LBU .

Les dépenses fiscales ont enfin une portée politique dont il ne faudrait pas négliger l'impact en termes de climat social dans les territoires d'outre-mer.

2. Les risques intrinsèques à la rebudgétisation en remplacement des dépenses fiscales

Si le besoin de financements complémentaires pour les territoires d'outre-mer n'est pas remis en cause dans son principe il induit qu'une suppression de tout ou partie des dépenses fiscales nécessiterait leur remplacement par d'autres dispositifs parmi lesquels la rebudgétisation (notamment concernant la construction de logements).

Cet outil présente cependant des risques que les rapporteurs spéciaux veulent ici rappeler.

Si le rebudgétisation des dépenses fiscales et notamment celles ciblées sur la construction de logements peut présenter l'avantage d'un plus grand contrôle de l'État sur la politique du logement en outre-mer et d'une vision plus globale et stratégique, elle présente également certains risques non négligeables.

Premièrement, la rebudgétisation n'offre aucune garantie de pérennité. Passée la première année, il est difficile de vérifier ce qui relève de la rebudgétisation d'une dépense fiscale ou du solde entre tendanciel, mesures nouvelles et mesures d'économies. De surcroit, et dans le contexte actuel de sous consommation récurrente bien qu'en amélioration, une rebudgétisation ne garantit pas le niveau des crédits qui pourront être consommés in fine.

Une telle démarche devrait alors être accompagnée de garanties pluriannuelles dont on comprend bien, au regard des modalités d'élaboration et d'examen des PLF, qu'elles ne pourront être données, sauf à envisager une contractualisation entre la direction du budget et de la DGOM.

Deuxièmement, la rebudgétisation ne peut concerner l'ensemble des dépenses fiscales mais uniquement certaines d'entre elles.

Enfin, les dépenses fiscales ne peuvent être considérées sous le seul angle de l'incitation à investir. Au regard des difficultés rencontrées par les entreprises ultramarines en terme de taille de marché, d'accès au financement ou de compétitivité, les dépenses fiscales présentent un intérêt pour les entreprises ultramarines qui en bénéficient :

- en facilitant l'accès aux financements pour les entreprises ultramarines qui rencontrent parfois des difficultés pour bénéficier de prêts bancaires ;

- en améliorant les indicateurs de solvabilité de ces entreprises et leur rentabilité (amélioration du résultat net moyen des entreprises éligibles) ;

- en augmentant leur compétitivité dans la mesure où elles réduisent de manière substantielle la charge fiscale qui pèse sur elles.

Elles permettent également, même si l'estimation est complexe à réaliser, des créations d'emplois au sein de ces entreprises ce qui, au regard des taux de chômage enregistrés en outre-mer, ne doit pas être négligé.

C. ...ET QUI DOIT ÊTRE ÉVALUÉ POUR ÊTRE MIEUX CIBLÉ

1. Une évaluation des dépenses fiscales nécessaire afin de mieux les cibler

Les rapporteurs spéciaux ne remettent donc pas en cause le principe même des dépenses fiscales en ce qu'elles représentent un complément indispensable aux crédits budgétaires et présentent des avantages connexes en termes de compétitivité des entreprises ultramarines et de création d'emplois. Cependant , ils partagent largement le constat de la Cour des comptes sur la nécessité de mieux les évaluer pour, au besoin, mieux les cibler. Or, à ce jour, force est de constater que les évaluations réalisées sont très limitées, ce qu'avaient d'ailleurs souligné les rapporteurs spéciaux dans leur rapport réalisé dans le cadre de l'examen du PLF 2022.

En effet, ils y précisaient que « le chiffrage des dépenses fiscales est incomplet et manque parfois de fiabilité. Dans le PLF 2022, sur les 25 dépenses fiscales, neuf ne sont pas chiffrées dont trois qui présentaient, en 2020, un chiffrage supérieur à 120 millions d'euros . Par ailleurs, parmi les dépenses chiffrées, cinq le sont avec un « ordre de grandeur » et, de fait, une fiabilité relative. Il convient cependant de souligner que la DLF a mené des travaux de fiabilisation pour les quatre principales dépenses fiscales de la mission, (n°710103, 800401, 110224 et 110302) permettant de fournir des chiffrages avec un très bon degré de fiabilité pour trois d'entre elles ».

Il convient cependant de noter qu'une évaluation a été réalisée en 2020 sur le régime d'aide fiscale à l'investissement productif neuf en outre-mer (RAFIP) mais pour le seul dispositif du crédit d'impôt prévu par l'article 244 quater W du CGI. Il ressort de cette évaluation un impact positif sur le résultat net, la trésorerie et le chiffre d'affaires des entreprises bénéficiaires.

En revanche, l'impact sur la création d'emplois est délicat à déterminer dans la mesure où les emplois mentionnés dans les agréments correspondent aux engagements de créations de la société bénéficiaire de l'agrément fiscal et non à une réalité mesurée ex-post.

De surcroît, une évaluation a également été menée sur la réforme des zones franches d'activité nouvelle génération (ZFANG) en avril 2021. Comme le relève la Cour des comptes, cette évaluation ne permet pas d'enseignements concrets en l'absence de données : « bien que le coût de la mesure soit relativement faible en 2019, les données disponibles pour réaliser l'évaluation n'ont pas permis de tirer des enseignements concrets sur le coût du dispositif par territoire et par secteur économique sur sa période d'application (2019 et 2020) ».

Aussi, par manque de données disponibles, difficultés à reconstituer le niveau de recettes potentiel avant mise en place d'une dépense fiscale, impossibilité de réaliser des projections pour mesurer l'impact en termes de création d'emplois... l'évaluation des dépenses fiscales demeure un exercice très complexe et subséquemment incomplet et à la fiabilité relative .

Cependant, l'exercice demeure indispensable et la Cour des comptes indique dans son rapport que la DGOM a établi un programme pluriannuel d'évaluation 2022-2025 portant sur divers dispositifs rattachés à la mission Outre-mer, parmi lesquels figurent :

- le régime de TVA ultramarine et son articulation avec l'octroi de mer ;

- le régime de duty free aux Antilles ;

- l'expérimentation des emplois francs à La Réunion.

Les rapporteurs spéciaux notent toutefois que le contenu de ce programme demeure limité puisqu'il exclut un montant de plus de 6 milliards d'euros de dépenses fiscales outre-mer et ne comporte que deux des 29 dépenses fiscales retenues sur le seul critère de la nécessité de justifier de leur caractère dérogatoire au droit commun devant la Communauté européenne.

Dans ce contexte, il conviendrait d'établir un programme exhaustif des 29 dépenses fiscales en priorisant l'évaluation des plus importantes d'entre elles en termes de masse financière d'une part et celles qui présentent un fait générateur qui s'éteindra prochainement d'autre part et de procéder à l'évaluation de toutes les dépenses fiscales outre-mer d'ici la fin du quinquennat 2022-2027.

En effet, les rapporteurs spéciaux alertaient déjà dans leur rapport réalisé dans le cadre du PLF 2022, que « nombre de dépenses fiscales présentent un fait générateur qui s'éteindra en 2025 (voire en 2023 pour la dépense fiscale 110 210 après une prorogation adoptée en loi de finances pour 2021). Il conviendrait, dans ce contexte, d'avoir des évaluations et des réflexions en amont de cette date afin d'anticiper l'extinction de ces dispositifs ou, au contraire, de demander leur prorogation pour les plus utiles et efficaces d'entre eux ».

À cet égard, les rapporteurs spéciaux saluent cependant les dernières démarches réalisées dans ce sens. En effet, dans le cadre d'une réflexion conjointe sur les potentielles évolutions des dispositifs d'aide fiscale en faveur des investissements productifs et du logement en outre-mer, le directeur général des finances publiques et la directrice générale des outre-mer ont rédigé, fin avril 2022, une lettre de mission dans laquelle ils demandent à la direction de la législation fiscale (DLF) et la direction générale des outre-mer (DGOM) de proposer au nouveau Gouvernement une évaluation des aides fiscales existantes en faveur de l'investissement en outre-mer. Cette évaluation, qui devrait être confiée à un corps d'inspection interministériel, pourrait, le cas échéant, aboutir à des propositions de réforme législative.

En complément, cette lettre de mission prévoit la création d'un groupe de travail en charge notamment de l'amélioration de la connaissance et de la fiabilisation des données relatives à ces aides fiscales.

2. Une réflexion plus large sur l'ensemble des dispositifs

Cette évaluation exhaustive est un préalable nécessaire à une réflexion plus large qui devra porter sur :

- la possibilité d'étendre certains dispositifs existants à l'efficacité démontrée ;

- la prorogation de dispositifs en voie d'extinction ;

- la suppression des dépenses fiscales les moins efficientes et la possibilité d'une réallocation de ces montants pour renforcer d'autres dispositifs (dépenses fiscales ou rebudgétisation sur les actions qui saturent la consommation des crédits ouverts).

III. UNE INFORMATION SUR LES FINANCEMENTS DE L'ÉTAT EN OUTRE-MER DES PARLEMENTAIRES À AMÉLIORER PAR UNE REFONTE DU DOCUMENT DE POLITIQUE TRANSVERSALE (DPT) MAIS ÉGALEMENT PAR D'AUTRES OUTILS

A. LES INSUFFISANCES STRUCTURELLES DU DPT DANS SA CONFIGURATION ACTUELLE

1. Structuration et objectifs du DPT outre-mer

Le document de politique transversale (DPT) outre-mer, comme les autres DPT, est une annexe au projet de loi de finances prévue par l'article 128 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 modifié par la loi n°2019-1479 du 28 décembre 2019 19 ( * ) .

Dans sa configuration actuelle ce document comporte les éléments suivants :

- une présentation stratégique de la politique transversale. Cette partie du document expose les objectifs de la politique transversale et les moyens qui sont mis en oeuvre pour les atteindre dans le cadre interministériel. Outre le rappel des programmes budgétaires qui concourent à la politique transversale, sont détaillés les axes de la politique, ses objectifs, les indicateurs de performance retenus et leurs valeurs associées. S'agissant des politiques transversales territorialisées (par exemple : Outre-mer, Ville), les indicateurs du document de politique transversale sont adaptés de façon à présenter les données relatives au territoire considéré ;

- une présentation détaillée de l'effort financier consacré par l'État à la politique transversale pour l'année à venir 2022, l'année en cours (LFI + LFRs 2021) et l'année précédente (exécution 2020), y compris en matière de dépenses fiscales et de prélèvements sur recettes, le cas échéant ;

- une présentation de la manière dont chaque programme budgétaire participe, au travers de ses différents dispositifs, à la politique transversale.

Ce document répartit les programmes et leurs crédits consacrés à la politique transversale selon les axes de cette politique au nombre de neuf 20 ( * ) .

Ainsi, le DPT outre-mer répond au double objectif :

- de décrire les grands axes de la politique transversale de l'État outre-mer en les déclinant par territoire selon une gamme d'objectifs auxquels peuvent se rattacher des indicateurs de performance ;

- de présenter le panorama le plus exhaustif possible des dépenses budgétaires, sociales et fiscales de l'État.

Il s'agit d'un document évolutif qui est complété chaque année en fonction des éventuels nouveaux programmes contributeurs. Ainsi, en 2021, cinq nouveaux programmes ont été intégrés dans le DPT : les trois programmes de la mission Investissement d'avenir ainsi que les deux programmes relevant du Plan d'urgence face à la crise sanitaire. À l'inverse, le programme 833 Avances aux collectivités territoriales a été retiré du DPT, la DGOM considérant qu'il ne reflétait pas un réel effort financier à destination des territoires ultramarins mais une simple avance de fiscalité locale.

Il ne peut cependant être totalement exhaustif dans la mesure où certaines données budgétaires, notamment les dépenses dites « de guichet » ou certaines dépenses d'intervention, ne peuvent faire l'objet d'une répartition territoriale, puisqu'il est impossible de préjuger des demandes qui seront présentées.

2. Le biais de la territorialisation des dépenses de l'État en outre-mer

Avant d'analyser les insuffisances structurelles du DPT outre-mer , il convient en premier lieu de mettre en exergue son biais de construction et les conséquences que cela engendre.

En effet, alors même qu'un DPT a vocation à présenter les crédits alloués à une politique transversale, le DPT outre-mer vise une présentation exhaustive des crédits alloués par l'Etat à l'outre-mer en dehors de toute considération de la notion de politique transversale sauf à estimer que l'outre-mer est une politique en soi.

Ce parti pris génère une présentation de tous les crédits destinés à l'outre-mer, y compris des crédits qui sont alloués de manière similaire et sur les mêmes bases légales et règlementaires aux autres départements de métropole.

Ainsi, peut-on y trouver les crédits en provenance des missions enseignement scolaire, gestion des finances publiques et des ressources humaines, sécurités, santé.... sans distinction entre les crédits de « droit commun » également alloués à toutes les autres collectivités de métropole et les crédits « exceptionnels » spécifiquement destinés à des politiques propres à l'outre-mer et contribuant particulièrement au rattrapage des écarts entre la métropole et l'outre-mer.

En ce sens, il y a un dévoiement de l'objectif du DPT qui en se voulant un document exhaustif des dépenses réalisées par l'Etat en outre-mer stigmatise ces territoires en pointant les crédits qui y sont alloués alors même que les autres communes, EPCI, départements et régions de métropole bénéficient de ces mêmes crédits .

Il en résulte une approche et une présentation des outre-mer comme un centre de coûts pour l'Etat sans mise en parallèle avec les richesses créées par les territoires d'outre-mer.

Par ailleurs, dans cette configuration, le document ne permet pas de mettre en exergue la politique de l'État et les efforts financiers déployés dans le seul objectif de mettre l'économie des territoires d'outre-mer au niveau de celle de la métropole.

3. La décorrelation entre le DPT et la politique de l'État en outre-mer

La politique de l'État en outre-mer a été largement définie et encadrée par la loi du 28 février 2017 relative à l'égalité réelle Outre-mer (EROM) qui avait pour but de réduire les écarts de développement persistants avec la métropole. La tenue des assises de l'Outre-mer en 2017 et l'adoption du livre bleu outre-mer en 2018 a également permis de cadrer cette politique en ciblant quatre axes prioritaires :

- des territoires à vivre avec pour objectif : la sécurité, l'accès aux services publics essentiels, l'amélioration du cadre et du niveau de vie ;

- des territoires accompagnés : cet accompagnement doit prendre la forme de moyens financiers appropriés et d'un cadre juridique adapté aux spécificités des territoires d'outre-mer ;

- des territoires pionniers en donnant aux territoires d'outre-mer la capacité de jouer un rôle majeur dans les enjeux environnementaux, sanitaires, agricoles et économiques de leur zone géographique ;

- des territoires de rayonnement et d'influence en mettant en valeur le patrimoine matériel et immatériel de ces territoires tant dans les pays voisins qu'auprès des citoyens de métropole.

Le rôle du DPT devrait donc être de suivre les moyens affectés à cette politique et à ces priorités plutôt que de prétendre à une compilation difficile et incomplète des crédits des missions budgétaires de l'État, que l'on retrouve sur l'ensemble des autres départements français.

Or, à ce jour, le DPT outre-mer ne fait que peu, voire pas le lien entre les objectifs de la loi EROM et du livre bleu et les moyens qui y sont consacrés. Si les axes du DPT couvrent en partie certaines de ces problématiques les développements littéraires ne permettent pas toujours de cibler les crédits spécifiques à ces objectifs.

De même, comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport, « bien que l'on distingue quelques développements mentionnant au fil du DPT les actions mises en oeuvre par les différents programmes dans le cadre du Livre bleu, ceux-ci ne font l'objet d'aucune identification chiffrée ni de suivi précis des actions. L'articulation entre les ambitions identifiées dans le Livre bleu, les CCT conclus dans chaque territoire et les actions conduites par les responsables de programme sur les territoires outre-mer ne sont pas identifiées en tant que telles dans le DPT ».

Enfin, les contributions des programmes aux CCT n'apparaissent pas distinctement au sein des axes et sont agrégés avec des mentions qui ne sont pas spécifiques aux outre-mer. Parallèlement, l'annexe relative aux CCT récapitule les crédits de chaque programme à l'ensemble des CCT mais pas à chaque CCT pris individuellement ce qui réduit considérablement son utilité. Il en est de même pour les contributions des programmes aux différents plans d'urgence en faveur des outre-mer.

La Cour fait donc le constat, partagé par les rapporteurs spéciaux, d'une absence d'articulation précise entre la stratégie de l' É tat en outre-mer telle qu'elle ressort de la loi EROM et du Livre bleu et leur traduction budgétaire.

4. Un document lourd, des données peu fiables qui rendent son exploitation limitée par les parlementaires

Les modalités de confection de ce document (contributions de près de 100 programmes) coordonné par la seule DGOM dont les moyens pour cette mission restent relativement limités engendrent des fragilités et des inconvénients.

Premièrement, le DPT étant l'agglomération de toutes les contributions des programmes est un document très dense (plus de 400 pages) qui nécessite un temps long de rédaction, de vérification et de mise en forme et ce malgré les améliorations apportées par Tango 21 ( * ) par rapport au précédent outil Farandole. Dès lors, la publication du document est souvent tardive (à titre d'exemple 14 octobre 2022 pour un passage en commission à l'Assemblée nationale le 22 octobre) et qui laisse peu de temps pour l'exploiter pleinement.

Par ailleurs, ces mêmes contraintes relatives à l'élaboration du DPT génèrent des données peu fiables, des incohérences, des redondances ou le maintien de paragraphes obsolètes.

Enfin, les 41 indicateurs de performance présents dans le DPT ne sont pas tous renseignés et seuls 14 sont territorialisés c'est-à-dire exposent l'impact des politiques publiques par territoire.

B. LES PISTES D'AMÉLIORATION POSSIBLE DE CE DOCUMENT

Si des modifications ont déjà été mises en oeuvre par la DGOM elles portent essentiellement sur la forme et la procédure d'élaboration afin de la fiabiliser et non sur le fond.

De surcroit, le ministre des outre-mer, dans un courrier du 11 mai 2021 adressé aux responsables de programme, « souhaite que des efforts soient poursuivis en matière de territorialisation des crédits, de fiabilisation, de concision de rédaction se concentrant sur les opérations les plus significatives et de justification des variations de crédits entre exercices ».

Ces évolutions permettraient quelques améliorations mais ne paraissent pas de nature à corriger substantiellement les insuffisances du document et surtout à améliorer l'information des parlementaires.

Dès lors, des évolutions sur le fond, notamment pour faire le lien entre les données du DPT et les politiques définies par la loi EROM et le livre bleu outre-mer, semblent nécessaires.

À cet égard, les rapporteurs spéciaux soulignent que l'objectif premier des évolutions attendues n'est pas nécessairement d'alléger ce document mais bien d'en accroitre la pertinence, la fiabilité et l'utilité pour l'information et le débat parlementaires.

1. La mise en cohérence des objectifs de la loi EROM et du livre bleu avec les axes du DPT

Les axes du DPT dans sa configuration actuelle pourraient être limités pour être recentrés sur les objectifs stratégiques de la loi EROM et du livre bleu avec comme fil conducteur les crédits destinés au rattrapage des écarts de niveaux socio-économiques entre les territoires d'outre-mer et la métropole.

Le document doit donc permettre de faire un parallèle entre les objectifs de la loi et les moyens mis en oeuvre pour les atteindre.

Cette évolution permettrait également de ne conserver que les indicateurs de performance à même de répondre à ces objectifs.

2. Un recentrage sur les seuls crédits spécifiques à l'outre-mer

Les rapporteurs spéciaux proposent de recentrer les développements littéraires sur les seuls crédits spécifiquement alloués à des actions mises en oeuvre en outre-mer. Les développements sur les crédits budgétaires « de droit commun » dont bénéficient également les autres départements de métropole ne seraient maintenus qu'en cas d'évènements remarquables ou exceptionnels expliquant des hausses ou des baisses inhabituelles. En revanche, ils estiment nécessaire de conserver une présentation exhaustive de tous crédits alloués à l'outre-mer, par programme, dans les annexes.

Cette évolution permettrait de dégager une réelle logique de moyens mis en oeuvre pour le rattrapage des écarts entre la métropole et l'outre-mer ou pour faire face aux spécificités de ces territoires et elle permettrait de sortir de la logique actuelle dans laquelle les territoires d'outre-mer sont présentés comme un centre de coûts.

Pour ce faire, et à titre d'exemple, les crédits des programmes 139/140/141/142/143 et 150, dans leur composante « rémunération des enseignants » ou titre 2 de manière générale ne devraient pas figurer au DPT sauf à démontrer qu'une partie de ces crédits correspond à une action spécifique à l'outre-mer c'est-à-dire à une action qui n'a pas été mise en oeuvre sur l'ensemble du territoire national.

De même, sur la sécurité publique, les crédits relatifs à la prévention de la délinquance et de la radicalisation ne devraient pas être intégrés au DPT (quand bien même les problématiques y sont plus grandes que dans certains départements de métropole, ce qui est également le cas pour quelques départements métropolitains comme la Seine-Saint-Denis). À l'inverse, les crédits alloués pour la lutte contre l'orpaillage illégal, spécificité de Guyane, sont légitimement ciblés sur l'outre-mer.

Ce travail nécessite une analyse préalable lourde et importante pour faire le distinguo entre crédits de droit commun et crédits spécifiques à l'outre-mer mais permettrait, à terme, d'alléger considérablement le DPT mais surtout d'identifier clairement les crédits dont bénéficient spécifiquement les territoires d'outre-mer en raison de leurs particularités ou à des fins de rattrapage des niveaux de vie.

Cette option permet également de ne pas opérer de sélection entre les programmes les plus significatifs et ceux qui contribuent le moins, qui seraient alors supprimés du DPT. De même, il évite l'écueil d'une autre option présentée par la Cour et consistant à garder les « programmes relevant des principales missions contribuant à la politique transversale » puisque, parmi ces programmes, figurent des crédits qui ne répondent pas aux seules spécificités outre-mer.

3. L'évolution à la marge des annexes dans un objectif d'allègement du document

Les annexes relatives aux données budgétaires pourraient être maintenues en l'état à l'exception de celles spécifiques aux titres 5/6 et 7 qui apportent peu d'éléments réellement exploitables pour les parlementaires.

Mises en regard des seuls crédits des programmes qui concourent à des actions spécifiques à l'outre-mer, ces données permettraient de mettre en évidence la proportion entre les crédits alloués à l'outre-mer pour rattraper les écarts et faire face à ses spécificités et les crédits alloués à l'outre-mer dans le cadre de droit commun au même titre que les crédits alloués aux autres départements de métropole. Aussi, un tableau global pourrait être inséré présentant sur une ligne les crédits totaux alloués à l'outre-mer et sur une seconde ligne les crédits spécifiques hors crédits de droit commun (cf. partie supra sur recentrage sur les seuls crédits spécifiques à l'outre-mer et le nécessaire distinguo entre crédits spécifiques et crédits de droit commun).

De même, celle relative à l'agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) parait redondante avec les informations du PAP et pourrait être supprimée sans trop de préjudice pour l'information des parlementaires.

C. LES AUTRES MOYENS D'INFORMATION DES PARLEMENTAIRES À DÉVELOPPER

1. Un jaune sur les dépenses fiscales outre-mer

Au même titre qu'il existe un jaune relatif à l'efficacité des dépenses fiscales en faveur du développement et de l'amélioration de l'offre de logements, il pourrait être envisagé un jaune sur l'efficacité des dépenses fiscales en faveur de l'outre-mer, ce qui répondrait en partie aux critiques récurrentes, permettrait un meilleur suivi de ces dépenses et donc une évolution plus facile au regard des constats de ce jaune.

En effet, le rapport évaluant l'efficacité des dépenses fiscales en faveur du développement et de l'amélioration de l'offre de logements précise, pour chaque dépense fiscale, l'objectif visé, l'évolution du coût de la dépense et le nombre de bénéficiaires, mais également la pertinence et le degré d'atteinte de l'objectif.

La même structure pour un jaune relatif aux dépenses fiscales outre-mer serait de nature à améliorer leur ciblage en fonction de leur niveau d'efficacité.

2. Un document détaillé annuel sur le suivi des CCT

Un document annuel de suivi des CCT parait également indispensable aux rapporteurs spéciaux, que ce dernier prenne la forme d'un rapport annuel ou d'une annexe au DPT. Dans ce cas, il devra être largement complété par rapport au document existant et contenir a minima les informations suivantes :

- une présentation distincte pour chacun des CCT (et contrat de développement et de transformation pour la Polynésie et contrat de développement pour la Nouvelle-Calédonie) ;

- les montants contractualisés initiaux et à date pour chacun des programmes budgétaires et organismes contributeurs ;

- l'exécution de chaque contrat avec le détail de consommation par programme contributeur ;

- la liste, par contrat, des projets financés et leur état d'avancement.

ANNEXE : tableau récapitulatif des recommandations de la cour des comptes et des rapporteurs spéciaux

TRAVAUX DE LA COMMISSION :
AUDITION POUR SUITE À DONNER

Réunie le mercredi 24 mai 2022 sous la présidence de M. Jean Claude Requier, vice-président, la commission a procédé à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de la commission en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur les financements de l'État en outre-mer.

M. Jean-Claude Requier , président . - Nous allons procéder à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de notre commission en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur les financements de l'État en outre-mer.

La politique de l'État en outre-mer prend plusieurs formes et notamment celle d'une intervention budgétaire et financière via , en premier lieu, les crédits de la mission « Outre-mer », mais également des dépenses fiscales et enfin des contributions budgétaires des autres programmes de l'État. À ce titre, ce sont près de 100 programmes qui contribuent aujourd'hui au financement des politiques menées par le Gouvernement en outre-mer.

Cet effort budgétaire de l'État s'est renforcé ces dernières années. Pour autant, les inégalités entre les territoires ultramarins et la métropole demeurent importantes. La sous-consommation récurrente des crédits alloués à la mission « Outre-mer » explique sans doute, en partie, les difficultés de rattrapage entre les territoires d'outre-mer et la métropole. C'est donc dans ce contexte que la commission des finances du Sénat a commandé une enquête à la Cour des comptes afin de disposer d'une analyse précise des raisons de cette sous-consommation et des moyens envisagés pour y remédier. En effet, les besoins d'investissement en outre-mer sont nombreux et la capacité à consommer l'entièreté des crédits ouverts est un enjeu majeur.

Par ailleurs, il nous paraissait important d'avoir une analyse des dépenses fiscales outre-mer qui représentent plus de 6 milliards d'euros.

Enfin, l'autre objectif de cette commande était de voir de quelle manière l'information des parlementaires sur les moyens alloués par l'État à l'outre-mer pouvait être améliorée, afin de permettre un débat, au moment de l'examen des lois de finances, le plus éclairé possible.

Je salue la présence de Mme Catherine Démier, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera les principales conclusions de cette enquête. Elle est accompagnée des magistrats qui y ont contribué.

Je souhaite également la bienvenue aux deux représentants de la direction générale des outre-mer (DGOM), Mme Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques et M. Marc Demulsant, sous-directeur de l'évaluation, de la prospective et de la dépense de l'État, à M. Bruno Mauchauffée, adjoint au directeur de la législation fiscale (DLF), ainsi qu'à M. Laurent Renouf, délégué général de la Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom).

Après la présentation de l'enquête par la Cour des comptes, nos collègues Georges Patient et Teva Rohfritsch nous livreront leur analyse, en tant que rapporteurs spéciaux de la mission « Outre-mer », et nos invités pourront ensuite réagir aux conclusions de l'enquête et à ces observations.

À l'issue de nos débats, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.

Mme Catherine Démier, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes . - Je suis accompagnée de M. Philippe-Pierre Cabourdin, conseiller maître, et de Mmes Perrine Tournade et Sandrine Venera, conseillères référendaires, qui ont réalisé cette enquête.

Dans le cadre du 2° de l'article 58 de la LOLF, vous nous avez saisis d'une demande d'enquête relative à la présentation et l'exécution des dépenses de l'État en outre-mer. Ce sujet, technique a priori , comporte une forte dimension politique.

Nous avons eu plusieurs échanges avec les rapporteurs spéciaux au cours de cette enquête : un échange de cadrage en avril 2021, puis un point d'étape le 7 décembre 2021. Je vous remercie de nous avoir accordé un délai pour la remise du rapport, dans une période marquée par la crise du covid qui touchait tout particulièrement les territoires ultramarins.

Notre enquête s'appuie sur une dizaine de travaux antérieurs des juridictions financières, dont certains sont récents.

Sur les 94 programmes budgétaires qui contribuent aux dépenses de l'État en outre-mer, nous avons sélectionné un échantillon de 16 programmes en raison de leur variété budgétaire, de leur intégration dans les axes prioritaires pour les outre-mer, de leur poids budgétaire et d'éventuelles spécificités territoriales. Ils représentent près de 55 % du total des dépenses, soit 11 milliards d'euros sur un total de 21 milliards prévus pour 2022.

Nous avons retenu un périmètre d'analyse large des instruments de la politique outre-mer pour identifier la stratégie de l'État dans ces territoires, en prenant en compte les objectifs de la loi relative à l'égalité réelle outre-mer du 28 février 2017, dite loi ÉROM, ceux des Assises des outre-mer de 2017-2018, ceux du Livre bleu outre-mer de 2018, ainsi que ceux inclus dans les contrats de convergence et de transformation (CCT) mis en place en 2019. Nous avons eu des échanges avec les responsables de programmes, avec les acteurs de terrain et avec les délégations outre-mer des deux assemblées parlementaires pour identifier leurs attendus et leurs critiques sur le document de politique transversale (DPT), seul document de synthèse de l'implication de l'État en outre-mer. Nous avons également conduit un travail itératif avec la direction du budget et la DGOM, que je remercie.

L'effort financier de l'État en faveur des outre-mer est important, mais il est sous-exécuté. Cet effort représente 4 % des dépenses du budget général, soit 21 milliards d'euros en 2021. Ces crédits, dont 93 % sont portés par neuf missions, sont en augmentation significative depuis une dizaine d'années.

Le programme 123 permet la contractualisation avec les collectivités territoriales. On constate sur ce programme d'importants restes à payer, de l'ordre de 1,9 milliard d'euros en 2021. Les crédits sont mis à disposition, mais nous notons une difficulté structurelle à les engager. Les facteurs d'explication sont multiples : mauvais calibrage au regard de la réalité des projets ; technique budgétaire classique en dépit des efforts de la DGOM pour limiter cette sous-exécution ; mais surtout difficultés structurelles des territoires à engager les crédits. Sur le logement, on constate ainsi un taux de sous-exécution de l'ordre de 21 %. Sur la contractualisation, ce taux est de 16 %.

L'exemple des CCT est éloquent à cet égard. Sur les quelque 3,1 milliards d'euros contractualisés - dont 62 % sont apportés par l'État et 38 % par les collectivités territoriales -, les taux de consommation sont anormalement bas : 33 % sur les autorisations d'engagement et 16 % sur les crédits de paiement. D'où notre suggestion de proroger ces contrats au-delà de leur terme prévu en 2022. La sous-consommation s'explique par des difficultés structurelles liées au tissu économique, à la rareté et à l'insécurité juridique du foncier, au manque d'ingénierie dans les collectivités, au manque de maturité des projets, à l'éloignement géographique, à un pilotage interministériel perfectible ainsi qu'à un cadre rigide, parfois inadapté aux spécificités des territoires ultramarins, empêchant notamment toute réorientation des crédits vers d'autres projets plus matures.

Les engagements financiers de l'État peinent à se concrétiser localement. Les collectivités souffrent d'un déficit de compétences, d'une situation financière dégradée et de dépenses de fonctionnement importantes. Les dispositifs d'aides sont pourtant multiples - contrats de Cahors, contrats de redressement en outre-mer (Corom), plans Cocarde, etc. -, mais insuffisamment suivis. En outre, l'État est parfois amené à se substituer aux collectivités territoriales.

L'accompagnement par l'État est diversifié : Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), Agence française de développement (AFD), Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema)... Mais ces dispositifs sont mal organisés, mal connus, mal coordonnés. Certains projets portés directement par l'État souffrent de moindres retards que les projets pilotés par collectivités territoriales elles-mêmes : il faut aider les collectivités territoriales à acquérir des compétences propres en ingénierie.

Le montant des dépenses fiscales est trois fois plus élevé que celui des dépenses budgétaires, soit 6 milliards d'euros en 2021, dont 700 millions inscrits au programme 123. Considérées comme nécessaires à l'économie ultramarine, les dépenses fiscales sont cependant des outils contestés. À maintes reprises, la Cour des comptes a souligné qu'elles sont difficiles à chiffrer, à cibler et à piloter et qu'elles ne sont pas évaluées. Dans notre rapport de septembre 2020 sur le logement, nous avons ainsi mis en exergue la grande complexité du dispositif, qui fait intervenir des intermédiaires, qui privilégie la rentabilité financière immédiate, qui comporte des effets d'aubaine, etc. La localisation géographique des investissements dépend moins des besoins des collectivités territoriales que des choix des promoteurs. La Cour des comptes est donc défavorable aux dépenses fiscales, en outre-mer comme en métropole.

Le DPT prétend à l'exhaustivité, mais est in fine peu éclairant et peu utile. Il est censé permettre d'évaluer l'atteinte des objectifs de la politique de l'État outre-mer et de rassembler les éléments relatifs aux 94 programmes, à la mission « Outre-mer », aux prélèvements sur les recettes de l'État. Mais il restitue difficilement ces crédits dispersés et ne permet pas de vous éclairer. Il est en outre très complexe à élaborer. Au final, il ne présente pas de véritable dimension stratégique, sa fiabilité est contestable et son utilité, marginale.

C'est pourquoi nous proposons la création d'un nouveau document public de synthèse relatif aux outre-mer pour assurer l'information du Parlement et lui permettre de suivre le déploiement des instruments financiers. Il pourrait être décorrélé de l'année budgétaire. La DGOM semble réticente à une évolution de l'ossature du DPT. Les parlementaires y sont aussi attachés, mais il est trop touffu. J'ai conscience que la réalisation de deux documents distincts constituerait une lourde charge de travail pour la DGOM.

Enfin, notre rapport se conclut par une série de recommandations.

Ce sujet est technique en apparence, mais révélateur des imperfections et des faiblesses de la politique de l'État en faveur des outre-mer. Nous proposons de faire évoluer l'information pour faire mieux apparaître les objectifs et permettre le suivi précis des CCT.

M. Georges Patient , rapporteur spécial . - Nous partageons l'analyse de la Cour sur l'effort budgétaire accru de l'État depuis 2018, puisque les crédits de la mission « Outre-mer », augmentés des contributions des autres programmes du budget de l'État, sont passés, en crédits de paiement, de 17,8 milliards d'euros en 2018 à près de 20,8 milliards d'euros en 2022, soit une hausse de 3 milliards sur le quinquennat, ce qui est considérable.

Cependant, sur la seule mission « Outre-mer », nous tenons à souligner qu'une partie de cette hausse s'explique par la modification du dispositif d'allègements et d'exonérations de charges patronales de sécurité sociale afin de compenser la suppression du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ce qui a engendré un renforcement des exonérations de charges patronales et, de fait, une augmentation de plus de 42 % des crédits affectés à la compensation de ces exonérations de charges.

De surcroît, cette hausse des crédits budgétaires s'explique également, en partie, par la suppression du mécanisme de la TVA non perçue récupérable par la loi de finances pour 2019 et la mobilisation de l'équivalent de cette dépense fiscale en dépense budgétaire, soit 100 millions d'euros, afin de favoriser le développement économique des territoires, rassemblés dans l'action 04 du programme 138 « Emploi outre-mer ». Enfin, le gain budgétaire dégagé par l'abaissement de la réduction d'impôt sur le revenu introduit par l'article 15 de la loi de finances pour 2019, de l'ordre de 70 millions d'euros, a été dédié à l'abondement supplémentaire du fonds exceptionnel d'investissement (FEI).

Il y a donc eu, au moins pour une partie de cet effort budgétaire, un jeu de compensation qu'il ne faudrait pas négliger.

Par ailleurs, les crédits budgétaires alloués à l'outre-mer représentent environ 4 % des dépenses du budget général de l'État et la Cour souligne dans son rapport que les dépenses par habitant de moins de 60 ans se sont élevées, en 2020, à 10 000 euros en outre-mer contre 8 100 euros en métropole.

Cependant, la population ultramarine représente 4 % de la population totale française : cet engagement budgétaire n'est donc pas disproportionné, alors même que les besoins en infrastructures et en investissements publics demeurent structurellement plus importants au regard des inégalités géographiques, économiques et démographiques de ces territoires.

Par ailleurs, la Cour met en exergue un certain nombre de dispositifs d'aides exceptionnelles aux collectivités les plus fragiles financièrement et, sans remettre en question leur utilité, préconise de conditionner, pour chaque contrat ou plan d'urgence passé entre l'État et les collectivités ultramarines, le versement de nouvelles subventions au respect des engagements contractualisés par les collectivités.

Si nous ne pouvons que partager cette recommandation, nous tenons à préciser que pour les Corom, dans le cas où le contrat prévoit l'attribution d'une subvention exceptionnelle, la réalisation des objectifs contractualisés va conditionner son versement au plus tard au mois de septembre de chaque exercice budgétaire. De même, pour le soutien exceptionnel à la collectivité territoriale de Guyane, la collectivité a déjà engagé des travaux d'ampleur pour aboutir à une fiabilisation de ses comptes et à une plus grande exhaustivité des données dans le domaine budgétaire et dans celui des ressources humaines. Aussi, cette recommandation nous semble déjà en grande partie mise en oeuvre.

Enfin, la Cour souligne une sous-consommation récurrente des crédits de la mission « Outre-mer », notamment concernant les CCT, la ligne budgétaire unique (LBU) et le FEI, constats partagés comme nous l'avions mentionné dans notre rapport dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2022.

Les principales causes de cette sous-consommation sont connues : il s'agit en premier lieu d'un manque d'ingénierie dans les territoires d'outre-mer. L'offre d'ingénierie est pourtant de plus en plus développée. Il conviendrait donc de renforcer les moyens humains alloués aux structures existantes, mais également d'améliorer la communication sur l'existence de ces structures, leurs moyens et leurs missions afin de sensibiliser le plus largement possible les collectivités susceptibles d'y recourir. Enfin, une coordination des structures paraît indispensable. La création d'un guichet unique auprès duquel les collectivités pourraient se renseigner pour connaître les aides en ingénierie dont elles peuvent bénéficier pourrait faciliter, en amont, le travail de coordination entre les différents acteurs. Madame la présidente, pensez-vous que ces pistes d'amélioration relatives à l'ingénierie soient de nature à augmenter significativement l'exécution des crédits budgétaires ?

Cette sous-consommation s'explique aussi, sans doute, par un suivi parfois lacunaire des contrats, ce suivi étant rendu particulièrement complexe par l'architecture budgétaire de ces contrats qui regroupent de nombreux acteurs - État sur différents programmes, collectivités et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Le suivi technique et financier devra donc être amélioré pour permettre une exécution des crédits à la hauteur des enjeux et besoins des outre-mer.

Concernant spécifiquement le pilotage global, actuellement réalisé par la DGOM, ce dernier impliquant plusieurs ministères et acteurs, il pourrait être envisagé qu'il soit mis en oeuvre et suivi par une instance interministérielle.

Mes dernières questions s'adressent tant à la Cour des comptes qu'à la DGOM : comment pourrait-on améliorer le suivi des CCT à échéance régulière pour améliorer leur exécution et éviter, en fin de contrat, des annulations de crédits si nécessaires aux investissements en outre-mer ? À qui pourrait être confié le pilotage interministériel des CCT ?

M. Teva Rohfritsch , rapporteur spécial . - Les dépenses fiscales restent un outil contesté, en dépit des tentatives de rationalisation intervenues depuis 2019. Aussi, aujourd'hui, elles représentent 6,4 milliards d'euros soit 900 millions d'euros de plus qu'en 2018, ce qui s'explique par le dynamisme de certaines d'entre elles.

La Cour, dans son rapport sur les financements de l'État en outre-mer, mais également, de manière régulière, dans ses notes d'exécution budgétaire, souligne que ces dépenses sont peu évaluées alors même que leur poids dans le financement outre-mer est considérable.

Elle va même plus loin et estime que leur efficacité n'est pas avérée et que leur surcoût est important par rapport à d'autres dispositifs. Dans ce contexte, spécifiquement sur les dépenses fiscales relatives à la construction de logements, la Cour des comptes recommande de supprimer les dépenses fiscales inefficientes en faveur du logement et d'abonder du montant correspondant les crédits de la LBU.

Nous ne contestons pas la nécessité d'évaluer précisément l'ensemble des dépenses fiscales rattachées à la mission « Outre-mer », mais nous souhaitons rappeler que ces dépenses représentent un outil essentiel pour contribuer à la dynamisation de l'économie, à l'attractivité des territoires et à l'effort général de rattrapage de l'écart de niveau socio-économique entre l'outre-mer et la métropole.

Elles ont un effet incitatif notamment sur la construction de logements qui, même si elle n'est pas ciblée géographiquement comme le souhaiterait la Cour des comptes, répond tout de même à un besoin prégnant dans la mesure où le déficit de logements et le besoin de rénovations concernent la quasi-intégralité des territoires d'outre-mer - même si quelques communes sont moins concernées que d'autres.

Enfin, les dépenses fiscales ne peuvent être considérées sous le seul angle de l'incitation à investir. Au regard des difficultés rencontrées par les entreprises ultramarines en termes de taille de marché, d'accès au financement ou de compétitivité, les dépenses fiscales facilitent l'accès aux financements, améliorent la solvabilité des entreprises et créent des emplois.

Elles ont également une portée politique dont il ne faudrait pas négliger l'impact en termes de climat social dans les territoires d'outre-mer.

De surcroît, une rebudgétisation d'une partie de ces dépenses fiscales n'est pas sans risque. En effet, celle-ci n'offre aucune garantie de pérennité. Passé la première année, il est difficile de vérifier ce qui relève de la rebudgétisation d'une dépense fiscale ou du solde entre tendanciel, mesures nouvelles et mesures d'économies. De surcroît, et dans le contexte actuel de sous-consommation récurrente bien qu'en amélioration, une rebudgétisation ne garantit pas le niveau des crédits qui pourront être consommés in fine .

Il nous paraît donc indispensable d'établir un programme d'évaluation exhaustif des 29 dépenses fiscales en priorisant des plus importantes d'entre elles en termes de masse financière d'une part et celles qui présentent un fait générateur qui s'éteindra prochainement d'autre part, mais sans envisager, à ce stade, et en l'absence d'évaluation, une rebudgétisation.

Sur ce sujet, j'aurais plusieurs questions pour l'ensemble de nos invités.

D'abord, quelle est votre position sur la suppression des dépenses fiscales outre-mer en faveur du logement et leur remplacement par une rebudgétisation des crédits ?

D'autre part, toujours concernant le secteur du logement, estimez-vous envisageable de conditionner l'octroi de l'agrément à la localisation du projet afin d'inciter les constructions et rénovations dans les localités où les besoins sont les plus prégnants ? Cette conditionnalité vous paraît-elle de nature à orienter géographiquement les projets malgré la rareté du foncier ou pourrait-elle, au contraire, freiner les constructions ? Vous paraît-elle possible pour d'autres dépenses fiscales outre-mer ?

Enfin, comment expliquez-vous l'absence d'évaluation des dépenses fiscales notamment en termes d'impact, alors même que cette évaluation est pourtant réalisée, projet par projet, par le bureau des agréments de la direction générale des finances publiques ? À cet égard, la création d'un jaune budgétaire sur les dépenses fiscales outre-mer vous paraît-elle envisageable, à l'image du jaune existant sur l'efficacité des dépenses fiscales en faveur du développement et de l'amélioration de l'offre de logements ?

Comme l'a très bien analysé la Cour des comptes, le DPT est lourd et complexe à réaliser. Il est également publié tardivement ce qui ne permet pas toujours son exploitation pleine et entière par les parlementaires. De surcroît, il n'est pas réellement corrélé à l'objectif premier de la politique de l'État à savoir les rattrapages des écarts existants entre les territoires outre-mer et la métropole et aux objectifs définis dans la loi ÉROM.

À nos yeux, il présente surtout un biais méthodologique important qui consiste en une approche exhaustive des dépenses de l'État en outre-mer y compris de dépenses que l'État réalise également pour les départements de métropole. Cette logique a pour conséquence de présenter les territoires d'outre-mer comme un centre de coûts pour l'État sans mise en parallèle avec les richesses créées par ces territoires.

Aussi, et je m'adresse en premier lieu à la DGOM, vous paraît-il envisageable de recentrer les développements littéraires du DPT sur les seuls crédits spécifiquement alloués à des actions mises en oeuvre en outre-mer et de ne maintenir les développements sur les crédits budgétaires « de droit commun » dont bénéficient également les autres départements de métropole qu'en cas d'évènements remarquables ou exceptionnels expliquant des hausses ou des baisses inhabituelles ?

Si ce travail nécessite une analyse préalable lourde et importante pour faire le distinguo entre crédits de droit commun et crédits spécifiques à l'outre-mer, il permettrait, à terme, d'alléger le DPT et surtout d'améliorer considérablement l'information des parlementaires.

M. Marc Demulsant, sous-directeur de l'évaluation, de la prospective et de la dépense de l'État à la direction générale des outre-mer (DGOM) du ministère des outre-mer . - Le constat de sous-consommation chronique des crédits doit être pondéré. Certes, les restes à payer (RAP) représentent 1,9 milliard d'euros à la fin de l'année 2021. Nous agissons par différents biais : soutien à l'ingénierie pour les collectivités, qui permet une meilleure réalisation des projets, suppression des RAP qui ne sont plus d'actualité et meilleure sélection des nouveaux projets, pour assurer leur faisabilité. Ces efforts conjugués ont permis de contenir l'augmentation de ces RAP.

Par ailleurs, le traitement des RAP provoque la réapparition d'autorisations d'engagement. Pour 2020 et 2021, les autorisations d'engagement inscrites en loi de finances sont totalement engagées, tandis qu'apparaît dans les documents budgétaires une sous-consommation, due aux autorisations d'engagement désengagées des années antérieures. En matière d'exécution, depuis deux ans, il en va de même : la totalité des crédits est consommée. Il serait délicat de dresser des conclusions hâtives, mais le soutien à l'ingénierie participe probablement de ce résultat.

Le constat d'absence d'évaluation des dépenses fiscales nous semble sévère ; lui aussi doit être pondéré. Par exemple, nous avons évalué le régime d'aide fiscale lié à l'investissement productif, ce qui a permis d'obtenir de la part de la Commission européenne la reconduction de cette dépense. Les dépenses fiscales sont nombreuses et il semble nécessaire de prévoir leur évaluation. En fin d'année, nous avons défini un programme pluriannuel d'évaluation, mais évaluer de telles dépenses est un exercice très lourd - les dépenses fiscales dans les territoires ultramarins s'élèvent à 6 milliards d'euros pour 2021. Ce travail demande du temps et exige d'externaliser certaines évaluations, par exemple en vue des rendez-vous européens. Notre feuille de route est claire, mais le travail prendra du temps.

Le suivi des CCT est effectué en deux temps. Le premier suivi est un suivi budgétaire. Sur 2,4 milliards d'euros contractualisés, 57 % sont engagés, ce qui peut sembler peu un an avant la fin de l'exercice. Nous déplorons certaines rigidités liées à la LOLF, qui empêchent des redéploiements de crédits. Le second suivi est réalisé projet par projet. Les CCT doivent être suivis localement, sous l'égide des préfets et en lien avec les collectivités, pour en améliorer concrètement l'exécution. Je peine à imaginer à l'instant un autre modus operandi .

Le DPT outre-mer compte plus de 90 programmes contributeurs. Le travail d'élaboration est très lourd, d'autant plus que l'exercice est contraint dans le temps : certains programmes contributeurs communiquent leurs chiffres au dernier moment - les arbitrages sont souvent tardifs - et, depuis la loi organique de décembre 2021, la production des DPT doit être réalisée pour le début du mois d'octobre, ce qui réduit encore le temps dont nous disposons. Nous avons déjà allégé notre travail de cinq annexes. Nous sommes prêts à faire encore évaluer la structure du document, mais ses objectifs sont parfois contradictoires : assurer l'exhaustivité des données et leur lisibilité, dans un temps contraint, voilà une gageure. Alléger la partie écrite pour ne retenir que les crédits spécifiques est une piste intéressante. En ne nous intéressant qu'à 60 programmes, la cure d'amaigrissement du document prévue pour l'exercice 2023 sera de 40 % environ ; nous serons attentifs à la réception de ce nouveau document par les parlementaires. Nous conserverons l'exhaustivité des données dans les annexes, tandis que la partie écrite sera plus stratégique et se focalisera sur les dispositifs spécifiques.

Mme Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques à la direction générale des outre-mer (DGOM) du ministère des outre-mer . - La question de l'ingénierie est le miroir des enjeux des outre-mer ; elle est essentielle pour le rattrapage des inégalités, par exemple en matière de développement économique et de réalisation d'infrastructures. L'État, les collectivités et la Commission européenne sont engagés dans ce rattrapage - 4 milliards d'euros sont inscrits au titre des fonds structurels. Ces fonds exigent un pilotage très fin et très technique ainsi que des expertises très pointues, difficiles à trouver dans les territoires. Les collectivités locales soulèvent le problème depuis longtemps.

L'État a enrichi depuis trois ans les actions de soutien à l'ingénierie locale. Le fonds outre-mer (FOM), porté par l'AFD, a été doté, une première fois en 2020, puis de nouveau en 2021, de 30 millions d'euros dans le cadre du plan de relance, principalement pour des missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO). L'ANCT soutient aussi l'ingénierie locale, dans une logique de subsidiarité, grâce à l'ouverture, par exemple, de marchés publics d'ingénierie. S'ajoute l'appui de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et du Cerema. Une petite enveloppe d'aide budgétaire a aussi été fléchée, au sein des fonds pour le logement social, vers l'appui en ingénierie. Enfin, la Banque des territoires s'investit de plus en plus dans cet appui.

Nous partageons le constat de la Cour des comptes : la lisibilité et la coordination des programmes ne sont pas encore optimales, mais nous progressons. En matière de guichet unique, le site aides-territoires.beta.gouv.fr synthétise déjà un certain nombre d'informations. L'ANCT dispose de délégués territoriaux qui rassemblent les services de l'État et les opérateurs locaux pour coordonner cette offre en ingénierie. Une convention entre l'ANCT et la DGOM, signée le 18 février dernier, prévoit un recensement exhaustif des aides et un travail de mise en cohérence entre le niveau national et le terrain ; les travaux vont commencer.

Les CCT arrivent à leur terme ; il faudra en tirer un bilan. Nous ne pourrons pas réaliser l'évaluation, trop longue, avant le prochain programme. Cependant, nous envisageons de réaliser un bilan technique avec les préfets, et donc les collectivités locales. Ont été signalés un manque de souplesse dans l'utilisation des crédits, un manque d'outils numériques communs entre collectivités et préfectures pour le suivi des crédits et un manque d'outils d'analyse et de suivi au niveau ministériel ; nous devons aussi rendre ces CCT plus stratégiques. Tel est le chantier qui nous attend.

Une évaluation des outils fiscaux va commencer : nous allons nous intéresser à la TVA à taux réduit, aux investissements productifs et au logement.

Au début du plan logement outre-mer (PLOM) pour 2019-2022, nous comptions 155 000 logements sociaux et 60 000 personnes étaient en attente de logement. La réalisation et la réhabilitation de logements sociaux sont cruciales. La DGOM porte une très grande attention au suivi de cette politique et de ces crédits. Le PLOM est riche en mesures. L'ensemble des crédits de la LBU est engagé et la défiscalisation intervient en complément. Nous suivons cet outil avec beaucoup d'attention : dans les départements et régions d'outre-mer (DROM), cette défiscalisation est associée à la LBU, ce qui permet aux services de l'État de suivre précisément les projets et d'évaluer leur pertinence, ce qui est un gage d'efficacité et de cohérence entre les deux outils. La défiscalisation donne aussi une certaine souplesse par rapport aux règles budgétaires, ce qui permet la réalisation de projets.

La défiscalisation est particulièrement intéressante pour les collectivités du Pacifique, car leur compétence budgétaire nous empêche de prévoir une dotation budgétaire ; grâce à cette défiscalisation, la solidarité nationale peut s'exprimer en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. La défiscalisation permet aussi la construction de logements intermédiaires.

En conclusion, la DGOM est réservée quant à la budgétisation de cette dépense fiscale ; elle propose son maintien.

M. Stanislas Alfonsi, adjoint à la sous-directrice des politiques publiques à la direction générale des outre-mer (DGOM) du ministère des outre-mer . - En matière d'aide fiscale, deux outils existent : le crédit d'impôt, qui s'applique dans les DROM, et la défiscalisation, qui s'applique dans les collectivités d'outre-mer (COM), lesquelles relèvent d'un autre article constitutionnel que les DROM. Dans les COM, la LBU n'intervient pas : la proposition de la Cour des comptes est donc inapplicable.

La principale critique concerne le pilotage des programmes, c'est-à-dire le fait de pouvoir guider les promoteurs pour mieux localiser les constructeurs. Dans le cas du crédit d'impôt, la localisation est forcément guidée, car ce sont les représentants de l'État dans les territoires qui donnent l'agrément. Il existe donc un pilotage du logement social. En revanche, la question se pose pour le logement intermédiaire, qui lui aussi bénéficie de la défiscalisation dans les DROM. Budgétiser les dépenses fiscales pour le logement intermédiaire serait une décision difficile à prendre, qui reviendrait à subventionner une catégorie de logements qui n'est pas considérée comme du logement social. La proposition de la Cour des comptes présente un libellé séduisant, mais sa traduction concrète est difficile.

M. Bruno Mauchauffée, adjoint au directeur de la législation fiscale (DLF) du ministère de l'économie, des finances et de la relance . - La DLF n'a pas d'objection de principe à la budgétisation des dépenses fiscales pour le logement social. A priori , la dépense fiscale est en effet moins pilotable. Cependant, la réduction d'impôt pour le logement social n'est pas l'outil le moins vertueux par rapport à d'autres dispositifs appliqués dans les outre-mer : la déperdition de l'avantage au profit de tiers est réelle pour les dispositifs intermédiés. Par ailleurs, le mécanisme de cofinancement dépense fiscale-LBU permet de sélectionner les projets. Enfin, le champ de la réduction d'impôt est plus large : une budgétisation impliquerait d'étendre le champ d'application de la LBU.

Évaluer les dépenses fiscales relève d'une exigence démocratique, pour éclairer les débats parlementaires. Cependant, la DLF dispose de données fiscales tout à fait insuffisantes pour réaliser une évaluation et mesurer les effets macroéconomiques et sociaux de ces mesures. Il appartient aux services ministériels et aux corps d'inspection de s'emparer de la question et de participer aux évaluations.

Je termine par la fiabilisation des chiffrages. La Cour des comptes met en relation les prévisions de consommation des dépenses fiscales et leur exécution. Certains écarts constatés sont parfois importants. Cependant, les chiffres de l'exécution doivent être interprétés avec prudence. Il ne s'agit pas de données incontestables, certaines sont reconstituées : les montants des réductions et crédits d'impôt sont des données parfaitement objectives, mais il en va tout à fait autrement pour les taux réduits de TVA, car il faut reconstituer le coût fiscal pour l'État de ces différents taux.

En 2019, les règles de chiffrage du coût des taux réduits ont été modifiées pour corriger un biais méthodologique très important : jusqu'alors, on ne retenait que les entreprises des DOM, et non les produits vendus par des entreprises domiciliées en métropole. Cette correction s'est traduite par un ressaut en exécution de 800 millions d'euros par rapport aux années précédentes. Ainsi, certains écarts sont liés à une amélioration des méthodes de chiffrage.

En matière de localisation, rien ne s'oppose à créer des zonages au sein des DOM. Ils doivent cependant reposer sur des critères objectifs et rationnels, pour être compatibles avec les principes constitutionnels. Le mécanisme de cofinancement dépense fiscale-LBU permet déjà une forme de zonage.

M. Laurent Renouf, délégué général de la Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom) . - Nous constatons une baisse significative des dépenses fiscales en faveur des entreprises sur les dix dernières années, qu'il s'agisse de crédits d'impôt ou de la défiscalisation en faveur de l'investissement productif. En revanche, les taux de TVA réduits sont plus nombreux. La suppression de la TVA non perçue récupérable (TVA NPR) devait être compensée budgétairement, mais la compensation n'a pas été conforme aux engagements pris par le Gouvernement en 2019.

Quant à l'évaluation des dépenses fiscales, le rapport de la Cour semble un peu sévère. Les évaluations réalisées en 2019 et 2020 par la Commission européenne ont montré que le dispositif prévu était efficace, notamment pour que les entreprises compensent leur absence structurelle de fonds propres. Nous déplorons aussi une difficulté structurelle d'accès au crédit dans les outre-mer. Crédit d'impôt et défiscalisation procurent donc aux entreprises ultramarines une source de financement alternatif et permettent de soutenir un certain nombre de filières.

Le travail d'évaluation existe bien, malgré les améliorations à apporter, notamment en matière de fiabilité des données issues des imprimés fiscaux. C'est bien le travail d'évaluation qui a mis en lumière ce problème de fiabilité des données.

Concernant le logement, le crédit d'impôt intervient en cofinancement indispensable à LBU. Tout rebudgétiser serait une contradiction, car les bailleurs sociaux des COM à autonomie fiscale ne pourraient pas bénéficier de cette mesure.

L'une des conditions de l'agrément au bénéfice du crédit d'impôt est la localisation, qui inclut deux critères importants : un critère d'intérêt économique et un critère d'aménagement du territoire. La recommandation de la Cour des comptes ne semble donc pas particulièrement pertinente.

Concernant l'ingénierie, nous souscrivons au constat de la Cour des comptes, tout comme nous saluons les efforts de l'État depuis trois ans. L'Agence française de développement (AFD) joue un rôle important en matière d'ingénierie. Quand elle est mobilisée, notamment dans le cadre des Corom, les projets fonctionnent. Les entreprises souhaitent que l'AFD intervienne davantage.

Mme Sandrine Venera, conseillère référendaire à la Cour des comptes . - Concernant le suivi des CCT, la Cour avait observé, dans un rapport de juillet 2021 portant spécifiquement sur la DGOM, que celle-ci éprouvait des difficultés à assumer son rôle à la fois de prospective, d'impulsion, de coordination et d'évaluation des politiques publiques en outre-mer, notamment parce qu'elle ne recevait pas tout le soutien requis dans cette dimension interministérielle. Il serait tout à fait pertinent de pouvoir confier le suivi des CCT à une instance interministérielle, et non à la seule DGOM.

Le comité interministériel des outre-mer (CIOM) du 22 février 2019, institué pour assurer le suivi des principales actions interministérielles menées depuis la fin des assises des outre-mer, et dont découlent in fine les CCT, prévoyait pourtant de se réunir une fois par semestre. Contrairement à son engagement, le Gouvernement n'a pas réuni le CIOM depuis septembre 2019, alors qu'il pourrait être un outil de suivi efficace.

M. Philippe-Pierre Cabourdin, conseiller maître à la Cour des comptes . - Notre point de vue vis-à-vis des dépenses fiscales est loin d'être favorable, non par principe, mais à la suite de constats. Facile à mettre en oeuvre, cet outil n'est ni pilotable ni localisable - la direction générale des finances publiques (DGFiP) nous a indiqué savoir localiser, désormais, les investissements Pinel, mais nous ne savons pas si cette faculté sera pérenne.

En matière de logement, nous visions avant tout le logement intermédiaire, qui n'est pas soumis à agrément et ne répond pas toujours aux besoins. Lors d'un référé de janvier 2018, nous avions établi qu'un logement Pinel coûtait à l'État trois fois plus cher qu'un logement financé en prêt locatif social (PLS) et deux fois plus cher qu'un logement financé par un prêt locatif aidé d'intégration (PLAI). De plus, certaines dépenses fiscales, eu égard aux engagements que doivent prendre les investisseurs, ne sont pas assez contrôlées. Enfin, certains intermédiaires disposent d'une rentabilité de 10 %, et ce sans aucun risque.

Nous nous félicitons que la DGOM ait engagé un programme pluriannuel d'évaluation, mais nous constatons que ne figurent que des dépenses dont l'évaluation est obligatoire pour que la Commission européenne puisse les prolonger. Nous regrettons que les autres dépenses fiscales ne soient pas concernées, même si nous comprenons parfaitement que la DGOM ait des difficultés humaines pour réaliser de telles évaluations.

Mme Perrine Tournade, conseillère référendaire à la Cour des comptes . - Les dépenses fiscales sont déjà recensées dans le tome II de l'annexe Voies et moyens au projet de loi de finances (PLF). Les dépenses fiscales outre-mer font de plus l'objet d'une annexe spécifique au sein du DPT outre-mer. Ce qui manque, c'est plutôt une évaluation de chaque dépense fiscale pour en apprécier l'efficacité. Plus qu'un jaune budgétaire, une nouvelle revue des dépenses fiscales serait nécessaire.

M. Michel Canévet . - Le rapport de la Cour révèle un effort important de l'État en faveur des outre-mer : il faut s'en féliciter. Hormis en 2019, je n'ai pas observé de sous-exécution par rapport aux lois de finances initiales. La consommation des crédits semble forte, même si la réalité sociale dans les outre-mer indique qu'une politique encore plus ambitieuse serait nécessaire pour répondre aux attentes de la population. La sous-consommation évoquée serait-elle due à des contreparties que les collectivités ne seraient pas capables de fournir ? Par ailleurs, les aides de l'État en matière d'ingénierie sont importantes, mais mal organisées. Comment être plus efficient ? Comment améliorer le pilotage de l'État ?

M. Victorin Lurel . - Je remercie tous les intervenants, et je souscris aux propos de mon collègue Georges Patient, qui a souligné les qualités comme les limites du rapport de la Cour. Une question n'a pas été abordée : les outre-mer sont trop souvent stigmatisés quand on calcule leur coût et les charges qu'elles représentent pour l'État. Il faudrait parler d'effort budgétaire net, et évaluer les contributions des outre-mer et non seulement les dépenses : ne stigmatisons pas les outre-mer, qui souvent ne sont vus que comme un poids budgétaire. Même si l'effort net de l'État est considérable - j'approuve les récentes augmentations de crédits -, il s'agit de mieux apprécier l'appartenance des outre-mer à la République et à la Nation. Je demande cela depuis 21 ans.

Je m'étonne du fait que les dépenses fiscales soient passées, en investissement, de 2 ou 2,5 milliards d'euros, avant 2015, à 5 ou 6 milliards d'euros à la suite du CICE. Comment sommes-nous arrivés à de tels chiffres ? Comment expliquer ces écarts, alors que des dépenses fiscales ont été supprimées ? La compensation du CICE est-elle comprise dans le calcul ? La Fedom a rappelé que l'aide fiscale à l'investissement productif baisse.

Comme ministre, en cédant aux propositions de la Cour des comptes, j'avais, avec Christian Eckert, accepté de transformer une part de dépense fiscale en crédit d'impôt. Nous nous sommes heurtés à une difficulté majeure, qui n'est toujours pas réglée, à savoir celle du crédit de soudure possible. L'accès au crédit bancaire est difficile, si ce n'est pour de l'ingénierie accompagnée par l'AFD. La Caisse des dépôts et consignations (CDC) a presque disparu, et je reste dubitatif devant l'action de Bpifrance. Comment régler le problème ?

Votre sixième recommandation propose de « borner, conformément à la loi, toutes les dépenses fiscales relatives aux outre-mer », et votre huitième recommandation de « supprimer les dépenses fiscales inefficientes en faveur du logement ». Qu'entendez-vous par « inefficientes » ? En vingt ans, j'ai vu toutes sortes de rapports. La Cour des comptes, en vingt ans, n'a pas changé de vision, celle de contrôle, de pilotage et d'arithmétique comptable.

Le candidat Macron avait promis 4 milliards d'euros supplémentaires pour encourager la convergence. Il n'en est pas allé ainsi. Le fait que le Parlement et le Gouvernement aient accepté un recul de la solidarité nationale au profit de la défiscalisation pour financer le logement social est une erreur éthique. Aujourd'hui, l'on nous dit que cette défiscalisation est inefficace et trop complexe. Cependant, à l'image de la suppression de la TVA NPR, l'État recentralise.

Enfin, je souscris à la nécessaire amélioration du DPT et des données chiffrées. Une information fiable est nécessaire. Tout est fait au pifomètre. Je ne comprends pas de tels écarts.

Mme Catherine Démier . - Monsieur Canévet, concernant la page 8 de la présentation PowerPoint, j'ai peut-être été trop peu pédagogique. Le tableau apprécie l'ensemble des efforts de l'État en faveur des outre-mer et montre l'augmentation des montants ; il inclut des dépenses très classiques, à l'image des salaires des enseignants. En parlant de sous-exécution, nous parlons exclusivement de la mission « Outre-mer » et du programme 123, « Conditions de vie outre-mer », où les crédits sont contractualisés.

Monsieur Lurel, nous n'avons fait que répondre à une commande : connaître l'ampleur des dépenses en outre-mer. Nous n'avons aucune volonté de stigmatiser.

M. Victorin Lurel . - Je parlais plutôt de l'opinion publique, et de certains élus.

Mme Catherine Démier . - Notre référence est la loi ÉROM, qui a fixé des objectifs de réduction d'écart et de convergence.

Concernant les dépenses fiscales, le tableau en annexe n o 6, à la page 94 du rapport, énumère très précisément celles qui sont rattachées à la mission « Outre-mer » : voilà notre grille d'analyse. Je ne pense pas que la suppression du CICE soit incluse.

Mme Isabelle Richard . - Monsieur le président, concernant le CICE, nous vous transmettrons les éléments.

M. Victorin Lurel . - Les recommandations de la Cour, notamment sur le bornage des dépenses fiscales en matière de logement, s'appuient-elles sur des études empiriques ? Il n'est pas possible de nous dire que, depuis 1986, nous ne pouvons pas évaluer l'efficacité des dépenses fiscales.

M. Philippe-Pierre Cabourdin . - Le bornage n'est pas spécifique aux outre-mer. La loi prévoit que toute nouvelle dépense fiscale doit être bornée. Se pose donc la question des dépenses antérieures, qui n'étaient pas soumises à ce bornage.

Il est nécessaire d'évaluer les dépenses fiscales ; si nous constatons une inefficience, nous demandons la suppression. En amont, nous souhaitons pouvoir évaluer. Rapport après rapport, comme vous, nous constatons que les évaluations ne sont pas suffisantes, voire inexistantes. Le travail est très important, certes, et la Cour des comptes y prend sa part en réalisant ponctuellement des analyses.

M. Victorin Lurel . - Qu'entendez-vous exactement par bornage ?

M. Philippe-Pierre Cabourdin . - Il s'agit d'un bornage dans le temps, par exemple de 2022 à 2027.

M. Victorin Lurel . - M. Patient le rappelle déjà dans son rapport. Ne parlez-vous pas plutôt d'un plafonnement ? J'espère avant tout qu'une potentielle rebudgétisation n'ira pas freiner le dynamisme du financement privé.

M. Bruno Mauchauffée . - Le bornage est une incitation à évaluer les dépenses fiscales, dispositif par dispositif. La nouvelle LOLF dispose que le PLF doit présenter de manière obligatoire un programme d'évaluation au Parlement. Les corps d'inspection doivent ensuite intégrer cette contrainte dans leur programme de travail, ce qui n'est pas évident.

M. Jean-Claude Requier , président . - Mesdames et messieurs, je vous remercie.

La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux et a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à leur rapport d'information.

ANNEXE :
COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES
À LA COMMISSION DES FINANCES

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* 1 Chiffre ramené à 60 millions d'euros en 2020.

* 2 Dette / population : capital restant dû au 31 décembre de l'exercice. Endettement d'une collectivité à compléter avec un ratio de capacité de désendettement (dette / épargne brute) et le taux d'endettement.

* 3 Marge d'autofinancement courant = (DRF + remboursement de dette) / RRF : capacité de la collectivité à financer l'investissement une fois les charges obligatoires payées. Les remboursements de dette sont calculés hors gestion active de la dette. Plus le ratio est faible, plus la capacité à autofinancer l'investissement est élevée ; a contrario, un ratio supérieur à 100 % indique un recours nécessaire aux recettes d'investissement pour financer la charge de la dette.

* 4 Dette / RRF = taux d'endettement : mesure la charge de la dette d'une collectivité relativement à ses ressources.

* 5 Cf. Circulaire commune du Ministère des outre-mer, du Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités et Ministère de l'économie, des finances et de la relance du 2 février 2021 relative à la mise en oeuvre de l'expérimentation des contrats d'accompagnement des communes d'outre-mer en difficulté financière (COROM).

* 6 Créée par la loi n° 2019-753 du 22 juillet 2019 portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires.

* 7 Les programmes de l'ANCT ne bénéficient pas aux collectivités d'outre-mer, hormis ceux relevant de la politique de la ville.

* 8 Cellule d'ingénierie aux communes de l'intérieur : structure mise en place par le parc amazonien de Guyane afin d'accompagner les collectivités dans la réalisation de leurs projets, notamment en matière d'amélioration du cadre de vie et d'accès aux services de base.

* 9 Selon la direction de la législation fiscale (DLF), le coût prévisionnel des dépenses fiscales de la mission s'élève à 6,4 milliards d'euros, alors que le montant total des dépenses fiscales s'élèverait à près de 90,3 milliards d'euros pour l'année 2021.

* 10 Article 17 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.

* 11 Article 15 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.

* 12 Chiffrage direction du budget. Celui de la DGOM s'établit à 55 millions d'euros.

* 13 Article 29 de la loi n°2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 14 Cour des comptes, Le logement dans les départements et les régions d'outre-mer, rapport public thématique, septembre 2020.

* 15 Règlement d'exemption n° 651/2014 de la commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité (RGEC).

* 16 Quartiers mentionnés au II de l'article 9-1 de la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine.

* 17 Quartiers mentionnés à l'article 5 de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.

* 18 Immeubles situés sur l'île de Tahiti, dans les communes de Nouméa, Dumbéa, Païta, Le Mont-Dore, Voh, Koné et Pouembout et à Saint-Martin.

* 19 Et complété par l'article 169 de la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006, par l'article 104 de la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 de finances pour 2008, par l'article 183 de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre de finances pour 2009, par l'article 137 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010, par l'article 7 de la loi n° 2010-832 du 22 juillet 2010 de règlement des comptes et rapport de gestion pour 2009, par l'article 159 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, par l'article 160 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012.

* 20 1/ développer l'emploi, la production et l'investissement outre-mer 2/ offrir une véritable égalité des chances à la jeunesse outre-mer 3/ garantir la sécurité des citoyens outre-mer 4/ améliorer les conditions de vie des citoyens outre-mer 5/ promouvoir un aménagement durable et la transition écologique des territoires ultramarins 6/ valoriser les atouts outre-mer 7/ plan d'urgence face à la crise sanitaire et plan de relance 8/ fonctionnement des administrations publics 9/ dotations aux collectivités territoriales et aux institutions.

* 21 Tango est l'outil utilisé par la direction du budget dans lequel tous les ministères rédigent les PAP, RAP, jaunes et DPT : cette application est accessible par habilitation aux ministères responsables de programmes (RPROG), aux responsables de la fonction financière ministériel (RFFIM) et enfin à la direction du budget qui effectue la validation définitive via un système de jetons transmis d'un acteur à l'autre pour rédaction et correction.

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