1. La valorisation perçue comme une source de financement pour la recherche publique...

a) Une erreur d'appréciation sur les finalités des politiques de la valorisation

S'il existe plusieurs structures de valorisation de la recherche en France, créées à des périodes différentes, ces dispositifs « reposent sur la croyance selon laquelle les organismes de transfert peuvent financer le transfert de technologie grâce aux revenus perçus sur les brevets d'origine publique », comme l'explique Didier Roux, membre de l'Académie des sciences et de l'Académie des technologies 1 .

Cette croyance, qui demeure dominante aujourd'hui, a largement orienté l'élaboration du modèle économique des sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT), créées dans le cadre du premier programme d'investissements d'avenir (PIA) en 2010 afin de répondre à certaines lacunes du système français de valorisation, en particulier le manque de financement de la maturation et de la « preuve de concept ». Un objectif d'autofinancement à dix ans leur avait été fixé lors de leur création, qui a été réévalué et repoussé à quinze ans, soit en 2024, au regard de leurs difficultés à atteindre cet objectif.

En effet, comme le précise un rapport de la commission des finances du Sénat 2 , « toutes les SATT enregistrent, depuis leur création, une perte dans leur résultat d'exploitation et à l'heure actuelle, il est l argement admis que les SATT ne parviendront pas à atteindre l'équilibre financier à 10 ans ».

Si la logique de l'autofinancement est spécifique au réseau des treize SATT, il est tout de même attendu que les revenus issus de la valorisation financent en partie le modèle économique d'autres structures de soutien au transfert de technologies.

Par exemple, le modèle économique des huit instituts de recherche technologique (IRT) et des sept instituts pour la transition énergétique (ITE) continue d'évoluer et la contribution de l'État, qui représentait environ 50 % de leur budget à leur création, décroît progressivement. Comme l'a expliqué Vincent Marcatté, président de l'association French Institutes of Technology (FIT), à « l'horizon 2025 - nous avons-nous-mêmes proposé cet objectif -, nous souhaitons aboutir, en matière de financement, au modèle dit « des trois tiers » : un tiers venant de l'État, un tiers venant des membres privés et un tiers issu soit des

1 Audition de Didier Roux du 19 janvier 2022.

2 Philippe Adnot au nom de la commission des finances Sénat, Les SATT : des structures de valorisation de la recherche publique qui doivent encore faire la preuve de leur concept , 2017.

revenus de la propriété intellectuelle, soit des projets européens, soit d'appels à projets compétitifs » 1 .

b) Une approche qui entrave l'efficacité et le retour sur investissement de la valorisation

De nombreux intervenants ont critiqué la logique de rentabilité qui sous-tend le dispositif de valorisation et le modèle économique des sociétés d'accélération de transfert de technologies (SATT) a été unanimement contesté . Selon Didier Roux, les « structures de transfert de technologies créées par les PIA s'appuient sur un business model qui exige l'autonomie financière grâce aux revenus générés par les brevets. Ce système ne fonctionne pas, c'était évident dès le début. L'État essaie d'en combler les défaillances, mais il restera inadapté tant que la mission de ces structures sera d'abord d'assurer leur rentabilité financière, plutôt que d'aider la recherche publique et les start-up et PMI-PME » 2 .

L'illusion selon laquelle la valorisation pourrait constituer une source de financement a plusieurs effets pervers .

En matière de propriété intellectuelle, la répartition demeure complexe entre les différents organismes de tutelle dans les laboratoires communs , malgré les avancées permises par la mise en place du mandataire unique. Pour Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, « nous avons parfois des discussions surréalistes avec des partenaires publics, au cours desquelles on s'écharpe pendant six mois pour savoir ce qui se passera le jour où on gagnera au loto... » 3 . Par conséquent, il en résulte des délais inacceptables pour l'élaboration des contrats d'exploitation des brevets, alors que les enjeux financiers sont limités . Selon les chiffres communiqués par le CNRS, entre 2010 et 2020, il s'est passé en moyenne 4,9 ans entre le dépôt d'un brevet et la signature de son contrat d'exploitation. Sur la même période, les contrats d'exploitation ont rapporté 183 millions d'euros alors que 130 millions d'euros ont été dépensés en frais de propriété intellectuelle, ce qui limite fortement le retour sur investissement des stratégies de valorisation des brevets.

En matière d'innovation, les projets financés par les SATT ne sont pas forcément les plus innovants, compte tenu des critères de sélection qu'elles appliquent et de leurs exigences de rentabilité à court terme , comme l'explique Philippe Lénée, directeur du partenariat et du transfert pour l'innovation de l'Inrae : « nous nous posons des questions sur les critères de sélection appliqués par les SATT, qui cherchent un retour sur investissement court, de trois à cinq ans. Or nous avons étudié, avec la méthode Asirpa (analyse socio-économique des impacts de la recherche publique agricole) une cinquantaine de résultats et d'inventions valorisables produits par l'Inrae et l'on se rend compte que la plupart des innovations qui sont sur le marché, qui ont été adoptées, proviennent

1 Audition de la FIT du 15 mars 2022.

2 Audition de Didier Roux du 19 janvier 2022.

3 Audition du CNRS du 18 janvier 2022.

de collaborations de recherche de long terme. Entre le début de la collaboration de recherche partenariale et l'impact pour la société, il s'écoule dix à quinze ans. Nous travaillons sur un temps très long, beaucoup plus long que dans le numérique. Cela ne correspond pas aux critères des SATT. » 1

L'obligation de rentabilité économique imposée aux SATT les conduit à proposer aux start-up innovantes deux modèles de rémunération du transfert de technologie :

- soit le versement d'une commission initiale ( upfront ) puis de redevances ( royalties ) directement proportionnelles au chiffre d'affaires réalisé grâce au transfert de technologie ;

- soit un modèle hybride composé d'une commission initiale ( upfront ) convertie en parts au capital dans la société et de redevances ( royalties ).

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