CONTRIBUTION DU GROUPE ÉCOLOGISTE - SOLIDARITÉ ET TERRITOIRES

« L'océan est une source de solutions. Pour relever les défis d'aujourd'hui et passer de la science à l'action politique, le dialogue est indispensable pour que la connaissance des liens entre océan, climat et biodiversité soit partagée le plus largement possible ». Ce sont les mots de Françoise Gaill, biologiste marine, et actuelle Vice-Présidente de la plateforme Océan & Climat, qui résument de façon très juste le chemin à suivre afin d'acquérir les connaissances scientifiques des fonds marins nécessaires pour préserver son équilibre et limiter les effets du changement climatique. Les grands fonds marins représentent 66 % de la surface de la Terre et 93 % de la biosphère. Pourtant, nous ne connaissons que 2 % du plancher océanique et de ses écosystèmes, qui regorgent de richesses naturelles, minérales, d'espèces fauniques et floristiques ignorées. Dans ce contexte, quelle stratégie adopter sur les fonds marins, au plan national ainsi qu'international ? C'est la question à laquelle la Mission d'Information a tenté de répondre, par un travail considérable que nous saluons, suite à sa constitution le 11 janvier 2022, à la demande du Groupe RDPI. Nous tenons à remercier tout particulièrement son Président, M. Michel Canévet, ainsi que son rapporteur, M. Teva Rohfritsch, à l'initiative de la création de la mission d'information.

L'envergure de la question de l'exploration en vue de l'exploitation des grands fonds marins est un sujet de société, qui induit une acceptabilité sociale et environnementale. Elle doit s'appréhender au niveau mondial, et en impliquant la population et tous les acteurs de la société civile, premiers impactés par le sujet.

Il est risqué de justifier la nécessité de se familiariser et éventuellement d'exploiter ces zones au nom de la connaissance scientifique, lorsqu'il s'agit en réalité d'une prospection minière. L'acquisition de connaissances scientifiques est essentielle, et nous devons donner les moyens humains et financiers à la communauté scientifique pour mieux appréhender les mécanismes naturels de ces milieux, mais sans qu'une motivation économique ne soit dissimulée. Les atteintes portées aux équilibres très fragiles et méconnus des grands fonds marins peuvent entrainer des destructions irréversibles. Plusieurs études ont démontré à quel point la restauration de la biodiversité de ces écosystèmes des abysses est lente et problématique.

Les impacts négatifs sur les écosystèmes des fonds marins seraient potentiellement nombreux et d'une gravité importante : interférences avec le cycle de vie des espèces, changements de comportements, pertes d'espèces et d'habitats, impacts sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes, impacts sur la chimie de la colonne d'eau. La rentabilité économique des ressources minérales ne peut prévaloir sur les impacts écologiques catastrophiques qu'engendreraient les activités d'exploitation des grands fonds.

Au niveau international, notre groupe est convaincu de la nécessité d'un traité sur la haute mer, un accord sur la lutte contre la pollution plastique, l'intégration de la conservation de la nature et le renforcement du réseau d'aires marines protégées grâce à des outils juridiques efficaces, le reste devant être géré de manière durable. Ce traité devrait avoir une portée contraignante et supra-législative pour les Etats. Au niveau national, un débat citoyen d'envergure devrait porter sur les orientations de la stratégie française.

I. Clarification de la stratégie française : la substitution de la prospection minière à l'exploration scientifique

Dans la stratégie nationale dessinée par la France, la volonté d'exploitation est affirmée, comme pour de nombreux Etats. Notre pays cherche maintenant à déterminer par quels moyens il va parvenir à cet objectif d'exploitation. Cette stratégie d'exploration s'apparente donc implicitement et sans aucun doute à une prospection minière à des fins exclusivement économiques.

Pourtant, une certaine ambiguïté subsiste, en laissant planer dans l'imaginaire collectif la volonté de parvenir à des découvertes scientifiques et biologistes d'un univers sous-marin regorgeant d'espèces vivantes non répertoriées et de zones non cartographiées.

Notre groupe considère que la stratégie d'exploration de la France ne devrait porter que sur la dimension scientifique, afin d'évaluer durant le temps nécessaire les risques d'atteintes graves à l'environnement. Il devrait s'agir d'une recherche publique, transparente, permettant de mutualiser les données, de comprendre les écosystèmes marins et ses interactions avec le climat. L'exploration scientifique de l'écosystème marin est indispensable pour approfondir nos connaissances, protéger la biodiversité et mieux connaître les capacités de stockage de carbone de l'océan. Il serait pertinent d'intégrer dans la stratégie des grands fonds marins française la nécessité d'acquérir des connaissances scientifiques, telles que les capacités de stockage de ces puits de carbone.

II. La demande d'un moratoire sur les licences d'exploration et d'exploitation

Aujourd'hui, de nombreuses incertitudes subsistent quant aux effets de l'activité industrielle d'exploitation minière. Néanmoins, les quelques expériences menées ont révélé des résultats inquiétants, les risques induits sont sérieux, et la restauration des écosystèmes est très lente.

Dans la lignée de la motion de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) lors du Congrès mondial de la Nature qui s'est tenu à Marseille en septembre 2021, le groupe recommande de soutenir la mise en oeuvre d' « un moratoire sur l'exploitation minière des grands fonds marins, la délivrance de nouveaux contrats d'exploitation et de nouveaux contrats d'exploration, et l'adoption de réglementations relatives à l'exploitation minière des fonds marins pour l'exploitation, y compris les réglementations sur l'exploitation par l'Autorité internationale des fonds marins (ISA) » .

Le moratoire sur l'exploration proposé par l'UICN ne signifie donc pas la suspension de toute recherche scientifique mais concerne simplement les contrats d'exploration minière. Un tel moratoire devrait perdurer jusqu'à l'obtention de meilleures connaissances scientifiques sur l'impact néfaste des activités humaines sur les écosystèmes marins. Son champ d'application devrait couvrir la Zone internationale gérée par l'AIFM, soit environ 60 % des océans, mais également sur les Zones Economiques Exclusives des Etats.

Au regard de la transition écologique à mener privilégiant l'économie circulaire, il semble que l'exploitation minière des grands fonds marins ne soit pas inévitable pour répondre à la demande et aux besoins en ressources minérales dans le futur. Nombre de scientifiques et d'acteurs associatifs l'affirment : l'extraction durable des minerais en eaux profondes est impossible.

Dans cette démarche de moratoire, il sera important d'associer des experts associatifs, scientifiques, économiques, syndicaux et institutionnels, et des représentants des communautés d'Outre-Mer, afin de mener des travaux permettant d'identifier les besoins réels de ressources minérales issues des fonds marins.

Cette réflexion doit être conduite au regard des alternatives durables de sobriété et de recyclage, et des évolutions sociétales en matière de consommation des ressources minérales. Ces travaux devraient avoir pour objectif une refonte structurelle de notre économie, aujourd'hui trop linéaire et plus capable de répondre aux enjeux climatiques ; ils devraient également permettre la mise en oeuvre de politiques publiques privilégiant l'économie circulaire. Cette initiative qui doit être menée de façon inter-étatique et collective devrait définir à moyen et long terme les lignes directrices de la recherche scientifique, et de la gestion des ressources des fonds marins.

A ce titre, la recommandation n° 13 devrait préconiser une obligation d'associer pleinement l'Office Français de la Biodiversité « à l'acquisition des connaissances sur la vie marine profonde, ainsi qu'à la gouvernance des grands fonds marins français » .

III. La constitution d'un véritable débat national sur la réforme du code minier

La demande de Nauru à l'AIFM de finaliser les règles d'exploitation du code minier dans un délai de deux ans à compter de 2021, a acté le compte à rebours vers l'octroi de nouveaux permis d'exploration et d'exploitation, selon le nouveau droit international minier. De fait, cela lancerait l'industrie minière en eaux profondes à compter de 2023.

Cette situation constitue un risque grave pour l'environnement et les océans, qu'il faut absolument éviter.

Avant d'ouvrir la boîte de Pandore et d'engager des opérations qui seraient irréversibles, de nombreux travaux et négociations internationales restent à accomplir en amont, afin de dessiner le droit international relatif à l'industrie minière en eaux profondes. C'est notamment le cas du traité sur la haute mer.

Ces bouleversements pourraient indéniablement influer sur la politique d'exploitation des ressources minérales des fonds marins au sein de la ZEE française, qui à ce stade est interdite. Notre groupe considère donc qu'il serait pertinent d'élever la question des permis d'exploitation et d'exploration des ressources marines profondes à l'échelle nationale, par un débat citoyen et public, qui pourrait éventuellement prendre la forme d'un débat parlementaire. Les conclusions de ce débat national devraient être hissées par l'État au niveau européen et international.

Par ailleurs, le groupe salue la recommandation n° 9 du rapport, et propose d'ajouter qu'il faudrait « conditionner toute ouverture éventuelle de l'exploitation minière des grands fonds marins à une réécriture par voie législative du chapitre III du titre II du livre Ier du code minier, relatif à l'exploitation en mer, pour en clarifier » non seulement « les modalités techniques, financières et fiscales et les retombées pour les populations locales » , mais aussi clarifier les modalités environnementales, de préservation, et de conservation durable de la biodiversité.

IV. La mise en place d'un réseau d'aires marines protégées sous protection forte

Au niveau national, le Plan France 2030 a fixé l'objectif de protéger 30 % des espaces maritimes nationaux, dont 10 % sous protection forte. Il s'agit d'une grande avancée, mais à ce jour, rien ne garantit le niveau de protection de ces Aires Marines Protégées (AMP). En effet, la définition de « protection forte », pour la doctrine française, signifie réduire le plus possible les pressions, tandis qu'à l'international, cela signifie qu'on y mène aucune activité. L'Etat francais n'exclut donc pas à ce jour l'exploitation dans les AMP, si une absence d'impact fort sur l'environnement est démontrée.

Notre groupe recommande donc que la doctrine française s'aligne sur la définition internationale de protection forte, afin d'empêcher toute activité d'exploitation dans les AMP.

Au niveau international, il est essentiel que le traité sur la haute mer permette la mise en place d'un réseau d'AMP, dans les zones hors juridiction nationale, dont une part substantielle soit hautement et entièrement protégées. Ces aires devraient abriter une diversité de populations fauniques et floristiques, assurer des connexions et une bonne gestion de ces espaces naturels devrait être garantie.

V. Les études d'impact environnemental

La recommandation n° 14 du rapport visant à « conditionner toute ouverture de l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins à une étude d'impact préalable (...) » devrait aller plus loin, en précisant que cette étude d'impact environnementale préalable doit se définir au sens de l'étude d'impact décrite à l'article L. 122-1 du Code de l'environnement. Il parait également opportun d'inclure, en plus de l'Office Français de la Biodiversité, la consultation de l'Autorité environnementale, dont il faudrait recueillir un avis favorable, cet avis étant contraignant et constitutif de toute décision de délivrance d'un nouveau permis.

Selon l'UICN, il apparait essentiel que le traité sur la haute mer prévoit un « système commun, rigoureux, intégré, indépendant et fondé sur la science d'évaluation, de gestion et de suivi des effets individuels et cumulatifs des activités humaines et du changement climatique sur la biodiversité marine de la haute mer » .

Au-delà même de toute ouverture d'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins, toutes activités humaines menées dans les fonds marins, ayant un risque d'affecter la biodiversité, devraient être soumises à une étude d'impact environnementale définie selon des normes communes et exigeantes. Les États devraient élaborer des évaluations environnementales permettant de prendre les décisions nécessaires pour la préservation de la biodiversité marine. Cela permettrait de mettre à disposition de toutes les parties prenantes une base de connaissances consolidée et partagée.

VI. L'instauration d'une véritable transparence et gouvernance ainsi que d'une politique de protection de l'environnement forte au sein de l'Autorité internationale des fonds marins

D'une part, il convient de pallier le manque de transparence et de gouvernance notoire au sein de l'AIFM, en ouvrant accès aux communications à toutes les parties prenantes, y compris les non-contractants, et par la mise en place d'une gouvernance internationale multilatérale.

D'autre part, le groupe préconise que la France, acteur majeur au sein de l'AIFM, pousse à une politique optimisée de protection de l'environnement, notamment en initiant des travaux de recherche scientifique portant sur la préservation des écosystèmes marins, la biodiversité des eaux profondes, et ses interactions avec le climat.

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