A. LE FLÉCHAGE SUR LES PROGRAMMES PARTENARIAUX ET CONTRACTUELS : UNE INTENTION MARQUÉE DE L'ÉTAT

1. Une priorité rappelée dans les instructions annuelles...

En sus du respect des priorités thématiques définies par le Gouvernement et listées dans les différentes instructions régissant l'emploi des dotations d'investissement de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » (DTER, DSIL et DSID), les instructions adressées aux préfets prévoient explicitement que les projets financés par les dotations d'investissement doivent être prioritairement affectés à la mise en oeuvre des projets inscrits dans des démarches contractuelles entre l'État et les collectivités territoriales, qu'il s'agisse des CPER ou des CRTE.

L''instruction annuelle précise, en outre, que la sélection des projets financés par les dotations d'investissement doit tenir compte et poursuivre les actions entreprises en soutien aux politiques et programmes suivants : « action coeur de ville », « petites villes de demain », « territoires d'industrie », « avenir montagnes », « agenda rural », France services...

Cette intention de l'État de flécher ses dotations est particulièrement marquée ces dernières années.

En témoigne le fléchage affiché et inédit de l'enveloppe supplémentaire de DSIL prévue en LFI 2022 (303 millions d'euros) sur les actions en faveur des centralités prévues dans le cadre des CRTE et du programme « action coeur de ville ». La possibilité nouvelle, évoquée supra , de mobiliser la DSIL dans le cadre des CPER est également révélatrice de cette tendance.

2. ... qui traduit la volonté de l'État central d'exercer une influence croissante sur les politiques locales

La volonté de l'État de flécher ses dotations en faveur d'actions contractualisées s'explique aisément.

En effet, dès lors que les programmes partenariaux ont vocation à être partiellement financés par les dotations d'investissement de l'État à destination des collectivités et qu'une cohérence est recherchée dans le financement des opérations d'investissement s'inscrivant dans des labels nationaux, un rôle central a été accordé aux préfets dans la gouvernance de ces contrats et programmes partenariaux.

À titre d'exemple, le programme « action coeur de ville » est mis en oeuvre par les collectivités territoriales mais dans le cadre d'une gouvernance partagée au sein de laquelle les représentants de l'État ont une place importante . Ainsi,

- le maire, en lien avec le président de l'intercommunalité, pilote la réalisation des actions et préside le comité de projet installé dans sa commune ;

- le préfet de département coordonne les services et mobilise les moyens de l'État pour le projet. Il assiste au comité de projet au sein de chaque commune et signe la convention pluriannuelle ;

- le préfet de région, les représentants régionaux des partenaires et le représentant du conseil régional forment le comité régional d'engagement ;

- l'ANCT coordonne l'ensemble du dispositif. Elle anime le comité technique national (ministères et partenaires) et le centre de ressources.

Concernant le programme « petites villes de demain » (PVD), dans les territoires où une gouvernance aurait déjà été mise en place dans le cadre de dispositifs d'accompagnement locaux (« action coeur de ville » ou contrats de transition écologique par exemple), il sera alors privilégié une articulation voire une unification avec les instances existantes afin de ne pas multiplier la comitologie. Dans tous les cas, le préfet de département, délégué territorial de l'ANCT, est l'interlocuteur privilégié des communes concernées par le programme, tout au long de la durée de la convention-cadre et centralise les demandes de financement. Il assure le suivi des dossiers présentés au comité régional des financeurs. Après une validation par ce dernier, le préfet de département est signataire de la convention-cadre pour le compte de l'État et de ses agences dont il est le délégué local (ANAH, ANCT). Le préfet désigne auprès de la direction du programme un référent PVD, qui sera également le point de contact privilégié pour les villes dans la phase de sélection et de mise en oeuvre. Dans la mesure du possible, ce référent sera le même que celui désigné pour le programme « action coeur de ville ».

Enfin, concernant le programme « territoires d'industrie » un élu intercommunal et un acteur industriel reconnu par ses pairs président un comité de projet , qui se transforme en comité de suivi une fois la démarche contractualisée. Si la composition de cette instance de pilotage est laissée à la discrétion des acteurs locaux, en fonction des enjeux territoriaux, dans tous les cas, des représentants du conseil régional et de l'État y siègent , ainsi que le président de l'intercommunalité concernée.

De manière générale, et malgré leurs promesses de meilleure efficacité des politiques publiques locales, il est ainsi à craindre que ces initiatives contractuelles participent d'une forme de « recentralisation invisible » , selon la formule des députées Stella Dupont et Bénédicte Taurine 48 ( * ) . La doctrine de l'État en la matière est d'ailleurs clairement exprimée au point n° 12 de la Charte interministérielle de la contractualisation entre l'État et les collectivités territoriales publiée en 2019, selon lequel « les volets thématiques des contrats correspondent à la fois aux enjeux identifiés par les acteurs et à la déclinaison locale des politiques territorialisées du Gouvernement » .

3. Des élus locaux élus sur un programme et jugés sur celui de l'État ?

Si l'orientation des dotations vers des opérations entrant dans le cadre d'une démarche partenariale ou contractuelle peut être saluée en ce qu'elle représente une tentative de rationalisation et de mise en cohérence des nombreux dispositifs existants, elle est également révélatrice d'une volonté du Gouvernement d'orienter les investissements des collectivités territoriales sur des priorités et politiques définies au niveau national.

Cette situation génère plusieurs inquiétudes.

En premier lieu, les rapporteurs spéciaux alertent sur le risque d'une centralisation de la doctrine d'octroi des dotations d'investissement . En effet, ces dotations initialement décentralisées ont peu à peu été déconcentrées. Il ne faudrait pas que ce mouvement aboutisse à une centralisation masquée via les différents programmes et contrats impulsés au niveau des administrations centrales.

De surcroît, il conviendra de veiller à ce que la nécessité de financer les actions prévues dans le cadre de ces démarches ne pénalise pas les collectivités ne s'y inscrivant pas, dont les projets seraient alors en pratique exclus d'un financement par ces dotations d'investissement de l'État. À l'inverse, la contractualisation par les collectivités ne doit pas être considérée comme un « droit de tirage » automatique et aboutir à une sélection plus systématique des dossiers portés par les collectivités contractantes.

L'ensemble des représentants de l'administration auditionnés (ministres chargés des collectivités territoriales, direction générale des collectivités locales, préfets de région et de département) ont assuré les rapporteurs spéciaux qu'un tel fléchage automatique des dotations d'investissement était formellement exclu.

Les différentes conventions CRTE, « action coeur de ville » et « petites villes de demain » qu'ont pu se procurer les rapporteurs spéciaux dans le cadre de leurs travaux contiennent certes à cet égard des formulations prudentes, selon lesquelles l'engagement de l'État se limite à « étudier le possible cofinancement des actions inscrites dans le contrat qui seraient éligibles aux dotations et crédits de l'État disponibles » .

Il n'en reste pas moins que, dans le même temps, la charte interministérielle de la contractualisation entre l'État et les collectivités prévoit explicitement que :

- le contrat donne une vision pluriannuelle des engagements de l'État et des collectivités territoriales à travers l'élaboration d'une maquette financière annexée au contrat (point n° 25) ;

- les signataires s'engagent à mobiliser, le moment venu, les financements nécessaires à la mise en oeuvre des projets dans les avenants d'application annuels (point n° 26).

En pratique, le risque d'une forme de « captation » croissante des dotations d'investissement par ce type de démarches contractuelles et partenariales doit être surveillé dans la mesure où, d'une part, le contexte budgétaire actuel est marqué - comme cela a été exposé en première partie - par une diminution relative des dotations d'investissement et où, d'autre part, ces initiatives contractuelles et partenariales formalisent tout de même un certain engagement financier pluriannuel de l'État.

Cette situation est d'autant plus préoccupante que, pour légitimes que soient ces initiatives, celles-ci ne sauraient couvrir l'ensemble des défis qui se posent aux territoires , que les élus de terrain restent les mieux à même de diagnostiquer.

Un tel fléchage fait ainsi l'objet de réelles appréhensions de la part des élus auditionnés, qui pourraient craindre d'être jugés en fin de mandat sur un programme d'investissement largement défini par l'État en lieu et place du programme pour lequel ils ont été démocratiquement élus.

Recommandation n° 10 : affirmer clairement le principe selon lequel une collectivité territoriale ne peut se voir exclue du bénéfice d'une dotation d'investissement au seul motif qu'elle ne s'inscrirait pas dans une démarche contractuelle ou partenariale impulsée par l'État ( direction générale des collectivités locales, préfectures) .

Sur un plan plus pratique, afin d'éviter un phénomène de mobilisation systématique des dotations sur les démarches partenariales et contractuelles, les rapporteurs spéciaux recommandent en outre de permettre aux commissions DETR de déterminer dans leurs règlements annuels une part indicative de dotations d'investissement qui serait expressément consacrée à des projets lancés en dehors de toute contractualisation avec l'État.

Recommandation n° 11 : permettre aux commissions DETR de fixer un quota indicatif de subventions qui seraient réservées au financement d'opérations ne s'inscrivant pas dans un cadre contractuel ou partenarial (direction générale des collectivités locales, préfectures) .


* 48 Mission « flash » sur la contractualisation, communication des députées Stella Dupont et Bénédicte Taurine devant la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée nationale, 2020.

Page mise à jour le

Partager cette page