C. LE BASSIN MÉDITERRANÉEN EST EXPOSÉ À UN RISQUE ENVIRONNEMENTAL AIGU QUI POURRAIT AVOIR À MOYEN TERME D'IMPORTANTES CONSÉQUENCES SUR LE PLAN STRATÉGIQUE

1. La concentration des activités humaines en Méditerranée expose particulièrement cet espace aux effets du changement climatique

Espace maritime d'une relative exiguïté, ne représentant pas plus de 1% des eaux de la planète, la Méditerranée concentre une grande diversité d'activités économiques et commerciales qui font peser une pression croissante sur l'environnement naturel du bassin méditerranéen que le Groupe d'expert intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) des Nations unies a qualifié de « zone critique pour le changement climatique » ( climate change hotspot ) dans le deuxième volet de son sixième rapport d'évaluation publié en février 2022 68 ( * ) . Cette dégradation accélérée de l'environnement méditerranéen, dont les causes sont liées à l'activité humaine, pourrait également avoir d'importantes conséquences sur la stabilité des pays de la zone.

Les facteurs de pression environnementale sont multiples en Méditerranée. En premier lieu, l'intensification du trafic maritime a un caractère perturbateur du fait de la pollution de l'air et de l'eau qu'il provoque, ainsi que de l'introduction dans le bassin méditerranéen d'espèces allogènes susceptibles d'avoir un caractère invasif. Alors que dans les villes côtières, les émissions des navires sont devenues l'une des principales sources de pollution de l'air, on estime qu'une réglementation plus contraignante sur les émissions d'oxyde de soufre et d'oxyde d'azote des navires permettrait d'éviter chaque année entre 1 100 et 1 700 morts prématurées en Méditerranée et plus de 2 000 cas d'asthme chez les enfants 69 ( * ) .

En second lieu, alors qu'il constitue un facteur important de pression anthropique sur l'environnement du fait de la mobilisation importante qu'il suppose en termes de ressources en eau, en énergie et en denrées alimentaires, le tourisme connait une croissance soutenue en Méditerranée depuis les années 1970. Alors que les arrivées de touristes internationaux représentaient un flux annuel de 58 M en 1970, elles représentent un flux de 360 M de personnes en 2017 et devrait atteindre en 2030 un total de 500 M de personnes par an 70 ( * ) . Cet afflux touristique se dirige principalement vers les zones côtières qui concentrent 170 M d'arrivées par an et qui ont été largement affectées par l'attractivité du tourisme saisonnier balnéaire qui explique pour partie l'artificialisation croissante de ces espaces, les espaces artificialisés à moins d'un kilomètre des côtes ayant plus que doublé depuis 1975 dans les trois quart des pays concernés.

En troisième lieu, l'exploitation intensive des ressources naturelles en Méditerranée contribue à augmenter les pressions environnementales auxquelles le bassin est soumis. La pêche par capture, secteur qui représente annuellement 2,4 Md de tonnes de poissons et crustacés et emploie directement et indirectement un million de personnes en Méditerranée, puise dans un stock halieutique qui est considéré comme surexploité pour 78% des espèces. L'aquaculture en eaux saumâtres et marines connait parallèlement une croissance dynamique, notamment en Égypte et en Turquie, et a connu une multiplication par six de sa production en Méditerranée depuis les années 1990. Enfin, alors que la Méditerranée représente actuellement 4,6% des réserves mondiales de gaz et de pétrole situées principalement au large des côtes algériennes, libyennes et égyptiennes, la découverte de ressources énergétiques en Méditerranée orientale pourrait se traduire par une extension du secteur de l'exploitation des ressources naturelles en Méditerranée qui mobilise déjà plus de 200 plateformes en mer (offshore) .

En conséquence de cette pression résultant de l'accumulation d'activités humaines sur le pourtour méditerranéen, la Méditerranée connait un réchauffement climatique accéléré, dont la vitesse est estimée supérieure à hauteur de 20% au changement climatique sur le reste de la planète 71 ( * ) . La température de l'air y a augmenté de plus de 1,5°C depuis le début de l'ère industrielle (1850) contre 1,1°C sur l'ensemble de la planète. En cas de poursuite de la trajectoire actuelle, le réchauffement à horizon 2040 est estimé à 2,2°C. Ce réchauffement concerne également la température de l'eau, qui a connu un réchauffement de 0,4°C et qui pourrait atteindre 3,5°C d'ici à 2100. Parallèlement, l'absorption d'environ un tiers du dioxyde de carbone émis par l'activité humaine se traduit par un phénomène d'acidification des océans qui est particulièrement prononcé en Méditerranée et qui représente un risque pour un nombre important d'espèces marines.

La dégradation de l'environnement en Méditerranée représente également un risque pour la grande source de biodiversité représentée par le bassin qui concentre 17 000 espèces marines, soit 18% des espèces connues, dans un espace limité à 0,3% du volume océanique mondial. Les  perturbations du milieu marin et la très forte pollution de la Méditerranée, qui connait la plus grande concentration de déchets plastiques au monde avec un volume de 8 à 12 M de tonnes de plastique annuelles rejetées en Méditerranée, mettent en péril cette « zone critique de la biodiversité » ( biodiversity hotspot ) où 32% des habitats marins sont considérés comme menacés.

Cette pression croissante sur le bassin méditerranéen et ses conséquences potentielles pour l'environnement ont conduit les États de la région à établir un cadre de coopération régional qui, malgré les avancées qu'il permet, n'est pas en mesure de tenir les objectifs globaux adoptés dans un cadre multilatéral. Première initiative régionale adoptée dans le cadre du programme pour les mers régionales du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), la convention pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution du 16 février 1976, dite Convention de Barcelone, est entrée en vigueur en 1978. Des amendements adoptés par les parties en juin 1995 ont élargi le champ de la Convention de Barcelone qui est devenue la convention sur la protection du milieu marin et du littoral de la Méditerranée. Réunissant 22 parties cocontractantes 72 ( * ) de l'ensemble du bassin méditerranéen, la Convention de Barcelone institue un cadre de coopération multilatérale, le « Plan d'action pour la Méditerranée » (PAM) à travers des réunions ministérielles organisées tous les deux ans (conférences des parties) et un secrétariat général. Ce dispositif a été progressivement complété par l'adoption de sept protocoles 73 ( * ) contraignants rattachés au cadre de la Convention de Barcelone.

La coopération internationale a permis certaines avancées importantes dans le bassin méditerranéen dont notamment la réduction du nombre d'accidents provoquant des pollutions aux hydrocarbures en mer, l'amélioration de la qualité de l'eau de baignade notamment au large des pays de la rive nord où 90% des eaux de baignade sont considérées comme bonnes ou excellentes, ainsi que la constitution coordonnée d'un réseau commun d'aires spécialement protégées d'importance méditerranéenne (ASPIM).

Malgré ces avancées, les pays du bassin méditerranéen ne sont pas actuellement en mesure de tenir les objectifs internationaux adoptés dans le cadre de la Convention de Barcelone comme en témoigne l'état de dégradation avancée de l'environnement en Méditerranée. À titre d'exemple, si les zones de protection de la biodiversité représentent désormais 9% de la superficie marine en Méditerranée, seulement 10% des zones concernées bénéfice effectivement de la mise en oeuvre d'un plan de gestion alors que les objectifs internationaux adoptés à Aichi en octobre 2010 74 ( * ) prévoyaient d'atteindre en 2020 une proportion de 10% des espaces côtiers protégés et gérés efficacement et équitablement.

2. La dégradation accélérée de l'environnement autour du bassin méditerranéen aura des conséquences économiques et sociales susceptibles de déstabiliser à moyen terme les pays concernés

Au-delà des dégâts profonds causés au patrimoine naturel, le changement climatique accéléré par l'accumulation des activités humaines en Méditerranée rétroagit sur les conditions d'exercice de ces activités et fragilise des équilibres parfois fragiles au sein des sociétés riveraines du bassin méditerranéen.

En premier lieu, sur le plan économique, la surexploitation des stocks halieutiques et la montée de la température de la mer déstabilisent les nombreux secteurs économiques qui dépendent de la mer autour du bassin méditerranéen. Dans un rapport en date de 2017, la Banque mondiale estimait à ce titre que le coût associé à la dégradation de l'environnement au Maroc était de 3,5% du PIB, dont 1,3% pour la seule dégradation de la qualité de l'eau et 0,3% pour la dégradation des zones côtières 75 ( * ) . Dans le domaine spécifique de la pêche, les espèces de grande taille sont menacées en Méditerranée par l'essor des espèces d'origine tropicale. À titre illustratif, la diminution de la taille et de l'abondance du plancton en Méditerranée a réduit la taille moyenne des sardines dans le golfe du Lion de 15 à 11 cm, ce qui limite largement leur valeur commerciale. Parallèlement, l'acidification de la mer et la fréquence des vagues de chaleur marine risquent d'entraîner des épisodes de mortalité massive affectant les filières conchylicoles à l'image de ceux intervenus pendant l'été 2018 dans l'Hérault 76 ( * ) . La modification du climat en Méditerranée risque également d'avoir des conséquences à moyen terme sur le tourisme balnéaire et de plongée qui sera affecté par la fréquence des canicules et la dégradation des zones côtières.

En second lieu, sur le plan social, l'augmentation de la fréquence des crises climatiques pourrait nourrir des déplacements de population qui auront un effet déstabilisateur sur les pays du sud de la Méditerranée. L'intensification des épisodes d'inondation ou de cyclones de type tropical, à l'image de l'ouragan méditerranéen ( medicane ), Apollo ayant frappé la Sicile en octobre 2021, pourrait dégrader les milieux côtiers et avoir des conséquences importantes pour les populations nombreuses vivant sur le littoral.

Les estimations de la Banque mondiale 77 ( * ) selon lesquelles le nombre de déplacés climatiques à l'intérieur de leurs frontières nationales devrait atteindre 216 M en 2050 illustrent le fait que les équilibres sociaux dans certains pays de la rive sud du bassin méditerranéen pourraient être lourdement affectés par les effets du changement climatique qui risque de fragiliser des structures politiques et économiques déjà atteintes par les difficultés économiques et sociales préalablement décrites.

Alors que 20 M de personnes vivent à moins de cinq mètres au-dessus du niveau de la mer sur les côtes méditerranéennes, certains pays sont particulièrement exposés à ces conséquences du changement climatique, à l'image de l'Égypte où une élévation d'un mètre du niveau de la mer se traduirait par l'inondation de 25% du delta du Nil et 13% des terres agricoles. À l'échelle de l'Afrique du Nord, une telle élévation du niveau de la mer affecterait 37 M de personnes 78 ( * ) .

Par suite, les conséquences économiques et sociales associées à la dégradation de l'environnement dans cette région du monde particulièrement exposée au changement climatique auront des répercussions en termes géostratégiques et, comme le souligne l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi), « la montée du niveau de la mer posera aussi d'épineux problèmes de souveraineté, de sécurité des populations très côtières, de sécurité alimentaire, de bouleversements d'écosystèmes, de migrations pour de nombreux pays » 79 ( * ) .


* 68 GIEC, février 2022, 6 e rapport d'évaluation (AR6), 2 e volet, Changement climatique : impacts, adaptation et vulnérabilité.

* 69 E. Lemaître-Curri, F. Guerquin, printemps 2022, « La mer Méditerranée entre changements climatiques et dégradations environnementales : quels défis pour la coopération ? » in Confluences Méditerranée, n°120.

* 70 Plan Bleu, 2020, Rapport sur l'état de l'environnement et du développement en Méditerranée.

* 71 M. Brun, E. Lemaître-Curri, printemps 2022, « Mare Nostrum » in Confluences Méditerranée, n°120.

* 72 Albanie, Algérie, Bosnie-Herzégovine, Chypre, Croatie, Égypte, Espagne, France, Grèce, Israël, Italie, Liban, Libye, Malte, Maroc, Monaco, Monténégro, Slovénie, Syrie, Tunisie, Turquie et Union européenne.

* 73 Protocole relatif à la prévention de la pollution de la mer Méditerranée par les opérations d'immersion effectuées par les navires et les aéronefs de 1976 ; Protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d'origine tellurique de 1980 ; Protocole relatif à la protection de la Méditerranée contre la pollution résultant de l'exploration et de l'exploitation du plateau continental, du fond de la mer et son sous-sol de 1994 ; Protocole relatif aux aires spécialement protégées et à la diversité biologique en Méditerranée de 1995 ; Protocole relatif à la prévention de la pollution de la mer Méditerranée par les mouvements transfrontières de déchets dangereux et leur élimination de 1996 ; Protocole relatif à la coopération en matière de prévention de la pollution par les navires et, en cas de situation critique, de lutte contre la pollution de la mer Méditerranée de 2002 ; Protocole relatif à la gestion intégrée des zones côtières de la Méditerranée de 2008.

* 74 PNUE, 2010, Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020, objectif 11.

* 75 Banque mondiale, L. Croitoru, M. Sarraf, janvier 2017, Le coût de la dégradation de l'environnement au Maroc.

* 76 La canicule de 2018 s'est traduite par la perte de toutes les moules et d'un tiers des huîtres de l'étang de Thau.

* 77 Banque mondiale, 2021, Groundswell, deuxième partie, Agir face aux migrations climatiques internes.

* 78 Plan Bleu, 2020, Rapport sur l'état de l'environnement et du développement en Méditerranée.

* 79 AllEnvi, D. Lacroix, O. Mora, N. de Menthière, A. Béthinger, octobre 2019, Rapport d'étude, La montée du niveau de la mer : conséquences et anticipation d'ici 2100, l'éclairage de la prospective.

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