B. SECONDE PRIORITÉ : SIMPLIFIER LES TRANSMISSIONS

1. Pérenniser la déductibilité de l'amortissement du fonds de commerce

L'article 23 de la loi de finances pour 2022, modifiant l'art. 39,1-2° du CGI, inscrit dans la loi un principe général de non-déductibilité fiscale de l'amortissement des fonds commerciaux, tout en apportant à ce principe une exception temporaire . Ainsi sont admis en déduction les amortissements constatés dans la comptabilité des entreprises au titre des fonds commerciaux lorsqu'ils sont acquis à compter du 1er janvier 2022 et jusqu'au 31 décembre 2025 . Enfin, le même article 23 prévoit un rapport gouvernemental visant à évaluer le coût de cette mesure, avant le 1 er juillet 2025.

Les débats parlementaires avaient mis en évidence le lien entre cette dérogation et la phase de reprise économique suivant la crise sanitaire.

Les considérations qui ont prévalu pour adopter cette mesure dérogatoire auraient pu également prendre en compte le risque fort qui pèse sur la non-transmission des entreprises, en particulier des fonds de commerce, pour la vitalité des territoires . Ce risque est mis en évidence par une étude de Bpifrance relative à l'impact de la garantie bancaire sur la transmission des fonds de commerce. Elle rappelle que selon l'Insee, près de 30 % des dirigeants étant parvenus à reprendre un fonds de commerce ont rencontré de fortes difficultés financières dans leur projet de reprise.

Aussi paraît-il nécessaire de pérenniser cette mesure afin de tenir compte des enjeux de transmission des fonds de commerce dans les territoires.

Proposition n°6 : Faciliter la transmission des fonds de commerce en pérennisant la déductibilité de l'amortissement.

2. Harmoniser les droits d'enregistrement

Il s'agit d'une reprise de la proposition n° 16 du rapport de 2017 . L'existence de différents taux variant 23 ( * ) selon la forme de la société (cession de parts sociales : 3 % ; ou cessions d'actions : 0,1 %) peut entraîner des transformations statutaires dans une optique d'optimisation fiscale, entraînant parfois des coûts sous-évalués (comme le coût du recours obligatoire à un commissaire aux comptes). Il s'agit là d'un effet « pervers » et contre-productif. Par ailleurs le taux varie également pour les fonds de commerce ou de clientèle (de 0 à 5 %) en fonction du niveau du prix d'acquisition.

Il est proposé de simplifier la transmission en harmonisant ces taux et en fixant l'ensemble 24 ( * ) des droits d'enregistrement à 0,1 %.

Proposition n°7 : Harmoniser les droits d'enregistrement en fixant un taux unique de 0,1%.

3. Faciliter la reprise par les salariés

Les mesures visant à faciliter et simplifier la reprise par les salariés doivent constituer une incitation concrète et efficace, venant en écho à l'abrogation de l'obligation d'information préalable. Le présent rapport ne revient pas sur les développements consacrés à la reprise interne dans le rapport de 2017 25 ( * ) (variété et succès des SCOP 26 ( * ) , modèles de LMBO 27 ( * ) , etc.) En revanche trois composantes peuvent être évoquées ici: le crédit d'impôt, l'abattement fiscal, et la formation des salariés à la reprise.

L'assouplissement des conditions permettant le crédit d'impôt en faveur des sociétés rachetées par les salariés (article 220 nonies du CGI) a été inspiré par les propositions de la Délégation aux entreprises. En effet, la condition de rachat par 15 salariés ou 30 % des salariés lorsque les effectifs ne dépassent pas 50 salariés, a été supprimée par la loi de finances pour 2019 et remplacée par une condition plus générale de reprise par « une ou plusieurs personnes qui, à la date du rachat, étaient salariées de la société rachetée depuis au moins dix-huit mois ». Si la Délégation peut se féliciter de cette avancée, elle note néanmoins la précision de la Direction générale des entreprises (DGE) : seules 45 entreprises auraient bénéficié de ce crédit d'impôt en 2019 (52 en 2018) et pour une dépense annuelle inférieure à 500 000 euros. La loi de finances pour 2019 a par ailleurs prorogé ce dispositif jusqu'au 31 décembre 2022. Il est proposé de rendre ce dispositif pérenne afin de ne pas décourager les reprises par des salariés.

Compte tenu de l'évaluation extrêmement faible du recours à ce dispositif, on peut en déduire que l'assouplissement de l'article 220 nonies n'était pas suffisant. Aussi est-il proposé de relever les abattements fiscaux (de 300 000 à 500 000 euros) prévus en cas de reprise par un ou plusieurs salariés de fonds artisanaux, de fonds de commerce, de fonds agricoles ou de clientèles d'une entreprise individuelle ou de parts ou actions d'une société :

- sur la base de l'article 790 A du CGI, en cas de donation en pleine propriété ;

- sur la base de l'article 732 ter , en cas de cession en pleine propriété.

Enfin, de nombreuses contributions ont mis en évidence la nécessaire formation des salariés désireux de se lancer dans l'aventure de la reprise d'entreprise , malheureusement plus complexe à appréhender que la création d'un point de vue administratif mais souvent bien plus valorisante d'un point de vue économique pour les territoires. Ces formations pouvant être coûteuses, il est proposé d'inciter le « fléchage » des abondements en droits complémentaires au compte personnel de formation (CPF) par les différents acteurs identifiés dans l'article L. 6323-4 du code du travail (État, opérateurs de compétences, régions, Pôle emploi, collectivités territoriales, employeurs, etc.).

Ces mesures devraient davantage encourager la transmission aux salariés, qui constitue souvent un pari réussi. Aujourd'hui encore la transmission aux salariés peut apparaître comme la solution idéale pour préserver l'emploi, le savoir-faire, et la culture d'une entreprise au-delà du cercle familial.

C'est par exemple le cas de l'entreprise Rairies Montrieux , fabricant de matériaux de construction en terre cuite dans le Maine-et-Loire, labellisée « Entreprise du patrimoine vivant ». Après avoir été une entreprise familiale pendant 5 générations, elle est finalement transmise à 5 cadres au cours d'une période de transition en cours, pilotée par l'actuel président directeur général, dernier dirigeant familial.

À l'occasion de son déplacement du 30 septembre 2022 dans le département du Lot-et-Garonne, des sénateurs membres de la Délégation aux entreprises ont échangé avec des dirigeants de l'entreprise De Sangosse . Spécialiste des bio-solutions dans l'agriculture et connaissant une très forte croissance, elle se développe depuis 1989 sur les fondations d'un RES (Rachat de l'Entreprise par les Salariés), qui lui permet de conduire sa propre stratégie grâce à la maîtrise de son capital. Cette stratégie lui permet de développer une puissante politique de recherche et développement ainsi qu'en matière de RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Cette entreprise montre de façon assez exemplaire que reprise par les salariés et promotion de l'actionnariat salarial peuvent être des formules « gagnant-gagnant » .

Proposition n°8 : Faciliter la reprise par les salariés en :

- pérennisant le crédit d'impôt en faveur des sociétés rachetées par des salariés (article 220 nonies du CGI) ;

- relevant les abattements fiscaux prévus en cas de reprise par des salariés (article 790 A et 732 ter du CGI) ;

- incitant les acteurs visés à l'article L. 6323-4 du code du travail à flécher des abondements en droits complémentaires pour assurer le financement des formations de salariés à la reprise d'entreprise.

4. Inciter les dirigeants à anticiper

Le dispositif de « chèque conseil pour la transmission », inscrit dans le Livre Blanc de l'association CRA (cédants et repreneurs d'affaires), s'inspire directement de celui existant en Belgique (« chèque accompagnement cession ou reprise ») qui peut couvrir les coûts relatifs à :

- la valorisation de l'entreprise ;

- la recherche de contreparties ;

- la réalisation de convention de cession ;

- le conseil juridique ;

- la réalisation d'audits financiers, sociaux ou environnementaux.

Figurent également au titre des coûts admissibles les coûts relatifs à l'accompagnement stratégique et les conseils en gestion à destination du repreneur durant une période post-reprise de trois ans maximum à compter de la date de la signature de la convention de cession. En Wallonie, le montant total de l'intervention publique octroyée par bénéficiaire sur trois années dans le cadre des chèques de la thématique "transmission" est limité à 22 000 euros.

Cette mesure semble beaucoup plus « percutante » que celle du rapport de 2017 qui proposait simplement une déduction des frais de diagnostic, car la réception d'un message indiquant au dirigeant qu'il bénéficie, à compter de ses 55 ans, d'un tel chèque, devrait contribuer à la prise de conscience des enjeux et à une meilleure anticipation. Si l'offre est faite jusqu'aux 65 ans du dirigeant, on peut espérer que ce dernier n'attendra pas le dernier moment pour organiser la transmission de son entreprise.

Proposition n° 9 : Encourager l'anticipation des dirigeants en leur offrant un « chèque conseil pour la transmission » utilisable entre 55 et 65 ans.

5. Faciliter la transmission à un fonds de pérennité

Créé par la loi 28 ( * ) « Pacte », le fonds de pérennité « est constitué par l'apport gratuit et irrévocable des titres de capital ou de parts sociales d'une ou de plusieurs sociétés exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale ou agricole, ou détenant directement ou indirectement des participations dans une ou plusieurs sociétés exerçant une telle activité, réalisé par un ou plusieurs fondateurs afin que ce fonds gère ces titres ou parts, exerce les droits qui y sont attachés et utilise ses ressources dans le but de contribuer à la pérennité économique de cette ou de ces sociétés et puisse réaliser ou financer des oeuvres ou des missions d'intérêt général . »

Ce fonds semble souffrir d'un cadre juridique et d'une fiscalité trop contraignants, comme le souligne Bris Rocher dans son rapport 29 ( * ) d'octobre 2021 établissant un bilan de la loi. En effet, jusqu'à maintenant, seuls trois fonds ont été créés : les Fonds de pérennité Élémentaire 30 ( * ) , le fonds 2050.STEWARDS, et le fonds de pérennité Berim-FPB.

L'apport à titre gratuit de titres à un fonds de pérennité est soumis à un droit de mutation au taux de 60 % et les plus-values d'apport réalisées par les personnes morales sont imposables dans les conditions de droit commun (mais peuvent bénéficier d'un sursis d'imposition sous certaines conditions). La proposition n°13 du rapport Rocher vise à « exonérer de droits de mutation à titre gratuit les apports de titres de sociétés au fonds de pérennité. À défaut, instaurer un régime de report d'imposition des droits de mutation à titre gratuit et clarifier les conditions d'applicabilité du Pacte Dutreil aux personnes morales réalisant des apports . »

D'autres experts, comme le Conseil supérieur du Notariat, ont également regretté que la rédaction de la loi laisse planer un doute sur la nature du fondateur d'un fonds de pérennité (personne physique ou morale), ce qui devrait être également clarifié compte tenu du nombre d'entreprises détenues par une holding (donc une personne morale).

Il paraît utile d'aménager rapidement le régime de sursis d'imposition 31 ( * ) en cas de transfert de titres à un fonds de pérennité par des personnes morales afin qu'il s'applique à tous les apports (et non uniquement ceux réalisés lors de sa constitution) .

Proposition n°10 : Faciliter la transmission à un fonds de pérennité.

6. Organiser la coordination des acteurs de la transmission dans les territoires

De nombreuses initiatives existent sur l'ensemble du territoire mais des témoignages des dirigeants, voire des acteurs de la transmission eux-mêmes, se dégage parfois une impression de superposition d'actions et d'absence de coordination efficace.

Il convient de saluer l'organisation des rencontres, physiques ou virtuelles, telles que le salon Transfair 32 ( * ) en Ile-de-France, le mois de la Transmission en Nouvelle-Aquitaine 33 ( * ) , les soirées de la Transmission dans le Finistère 34 ( * ) , etc. Chaque acteur développe par ailleurs sa base de données de repreneurs ou d'entreprises susceptibles d'être transmises, comme la « Bourse de la Transmission » de Bpifrance. Le Conseil national de l'Ordre des experts-comptables (CNOEC) a de son côté créé sa propre base intitulée « Business Story Reprise », où les repreneurs potentiels peuvent s'inscrire et devenir ainsi visibles auprès des 21 000 experts-comptables et du marché « caché » de la reprise . Par ailleurs, chaque grand acteur (Bpifrance, CNOEC, CCI, etc.) propose de nombreuses informations sur son site Internet, sans que les informations ainsi en ligne soient complètement coordonnées ou à tout le moins reliées les unes aux autres.

Des dirigeants auditionnés, notamment des repreneurs, ont avoué se sentir « perdus » face à l'avalanche d'informations, de sources de données et d'interlocuteurs.

Compte tenu de la multitude d'acteurs incontournables pour tout dirigeant souhaitant céder ou reprendre une entreprise, il est tentant de proposer un « guichet unique ». Cependant une stratégie de coordination serait plus appropriée et s'appuierait sur plusieurs éléments.

En premier lieu, il serait souhaitable que soit définie une charte nationale entre tous les acteurs publics et privés (DGFIP, Bpifrance, CCI, CMA, CRA, experts comptables, Régions de France, banques, etc.) détaillant les principes de relais d'information entre eux (notamment les règles de sécurisation des données confidentielles sur les entreprises à céder) et de coordination des mesures et aides, ainsi que la déclinaison de ces principes au niveau régional .

Puisque les objectifs de la transmission peuvent répondre à des priorités nationales, on peut imaginer que cette charte comporterait notamment un engagement formel en faveur de la transmission d'entreprise et une stratégie de promotion de la reprise d'entreprise notamment orientée vers :

- la conservation des savoir-faire,

- le développement des filières d'avenir ,

- la défense d'intérêts stratégiques pour la France (défense de la souveraineté économique, objectif de redressement du commerce extérieur),

- elle pourrait enfin comporter des objectifs en matière de formation et sensibilisation pour favoriser l'entrepreneuriat féminin (7 % des repreneurs seulement sont des femmes aujourd'hui).

La charte pourrait ensuite définir la déclinaison des principes et actions au niveau des territoires. Les administrations concernées s'engageraient à développer une réelle politique de conseil et d'accompagnement des dirigeants , allant bien au-delà des logiques de contrôle, voire de sanction.

Cette déclinaison territoriale pourrait s'appuyer sur la désignation, dans chaque région, de référents qui constitueraient les interlocuteurs privilégiés des dirigeants cédants et repreneurs :

- un référent assurant la collecte, auprès des acteurs privés, des informations relatives aux entreprises à céder et à reprendre (par exemple, les chambres de commerce et d'industrie 35 ( * ) ),

- un référent des acteurs publics (par exemple le directeur des services économiques de la région). Le référent public en particulier devrait faciliter le dialogue avec toutes les administrations compétentes (aspects fiscaux pour la valorisation, éligibilité aux aides et garanties, délais de mise aux normes, etc.).

Enfin, les informations transmises entre acteurs devraient servir à mieux comptabiliser les transmissions en France pour pallier le défaut de statistique actuel. Une consolidation nationale pourrait être confiée à une structure existante telle que L'observatoire BPCE.

Proposition n°11 : Simplifier les démarches des cédants et repreneurs en structurant la coordination, au niveau national et régional, entre les différents acteurs publics et privés de la transmission d'entreprise.


* 23 https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/3262-PGP.html/identifiant%3DBOI-ENR-DMTOM-40-10-20-20170428

* 24 Cette harmonisation ne concernerait toutefois pas les sociétés immobilières.

* 25 Pages120 à 137.

* 26 Sociétés coopératives de production

* 27 Leverage Management Buy out

* 28 Article 177 de la loi « Pacte » n° 2019-486 du 22 mai 2019

* 29 https://www.economie.gouv.fr/files/files/2021/RAPPORT_ROCHER_EXE_PL.pdf

* 30 https://elementaireparis.com/blogs/journal-enthousiaste/le-fonds-perennite-elementaire-fidal

* 31 Article 38-7 du CGI

* 32 https://www.transfair.pro/

* 33 https://entreprises.nouvelle-aquitaine.fr/agenda/mois-de-la-transmission-reprise-dentreprise-2022

* 34 https://www.crma.bzh/finistere/soirees-transmission-reprise-0

* 35 Les CCI étant elles-mêmes des établissements publics.

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