VI. LA NÉCESSITÉ POUR LE SÉNAT D'ÊTRE ALERTÉ LE PLUS TÔT POSSIBLE DE POTENTIELLES DIFFICULTÉS, POUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, RÉSULTANT DES NORMES EN COURS D'ÉLABORATION

A. UNE FONCTION DE VEILLE ET D'ALERTE

Vos rapporteurs estiment nécessaire de créer, au sein du Sénat, une fonction de veille et d'alerte au service des commissions permanentes compétentes, le plus en amont possible de la production des normes applicables aux collectivités territoriales.

Cette fonction, comparable pour les textes nationaux à celle qu'exercent les commissions des affaires européennes à l'égard des normes communautaires, aurait un double objectif :

- concernant les avant-projets de loi , permettre aux commissions permanentes compétentes d'être alertées le plus tôt possible lorsqu'apparaissent certaines difficultés au regard des principes directeurs de la décentralisation (libre administration, subsidiarité, autonomie financière...) ou lorsque l'étude d'impact est manifestement défaillante ou lacunaire ;

- concernant les projets de décrets d'application , permettre à ces mêmes commissions d'être alertées avant toute publication, notamment lorsque les textes envisagées semblent méconnaître la volonté du législateur. En effet, une telle situation se présente trop souvent , notamment dans le domaine des collectivités territoriales. Les décrets ZAN 35 ( * ) en constituent malheureusement une « bonne » illustration . Comme l'ont relevé de nombreux sénateurs, dont Françoise Gatel, le 13 juillet 2022, lors de la séance de questions au Gouvernement, « les décrets d'application quasi kafkaïens, qui déforment l'esprit de la loi, nous conduisent collectivement dans une impasse (...). Nous pourrions également tomber d'accord, monsieur le ministre, sur le fait qu'il est nécessaire de contrôler l'imagination parfois débordante de ceux qui écrivent les décrets d'application, et qui se prennent parfois pour le législateur » 36 ( * ) .

Le Sénat conforterait ainsi son rôle de gardien vigilant du processus de fabrique des réformes touchant les collectivités territoriales. Cette nouvelle fonction parlementaire, qui s'inscrit dans une logique de « chaînage » et de dialogue Parlement/Gouvernement, suppose un renforcement des liens du Sénat avec le CNEN . Ce dernier pourrait en effet jouer un rôle de filtre , de sorte que le Sénat exercerait cette fonction de veille et d'alerte uniquement en cas d'avis négatif du CNEN , soit environ 20 à 30 avis par an, dispositions législatives et réglementaires confondues. Le CNEN transmettrait directement au Sénat ces avis négatifs, avec une motivation aussi développée que possible , afin de l'alerter sur les réserves qu'il émet sur le projet de norme. En effet, le fait que tous les avis du CNEN soient actuellement en ligne sur le site ne paraît pas suffisant à vos rapporteurs. Seule une transmission directe et ciblée permettra au Sénat de porter son attention sur la norme critiquée.

Cette proposition pourrait être mise en oeuvre à droit constant. Elle nécessiterait toutefois, pour être pleinement efficace , que le Sénat dispose non seulement des avis défavorables du CNEN mais aussi des textes sur lesquels ils se sont fondés et avant même, pour les projets de lois, leur dépôt sur le bureau d'une des deux assemblées. Actuellement seuls les quatre parlementaires (deux députés et deux sénateurs) membres du Conseil ont accès à ces textes. Cette situation n'est pas satisfaisante. Le Sénat escompte donc du Gouvernement qu'il donne désormais accès au Sénat aux projets de normes applicables aux collectivités dès transmission au CNEN . Il n'est pas nécessaire pour ce faire d'adopter un texte. Le Gouvernement pourrait procéder par une décision unilatérale, à l'instar de celle du Président de la République, en 2015, de rendre publics les avis du Conseil d'État 37 ( * ) . Cet engagement du Gouvernement, ne serait-ce que sur une durée limitée, à titre expérimental , démontrerait sa volonté de protéger les collectivités et de respecter pleinement le rôle du Parlement, et singulièrement du Sénat, dans ce domaine. Pour l'exécutif ce serait aussi une chance de plus d'éviter l'adoption, à la va-vite, d'irritants qui peuvent durablement altérer la relation avec les élus et les parlementaires, comme ce fut le cas pour la loi NOTRe.

En toute hypothèse, cette fonction inédite requiert des moyens humains dédiés au sein du Sénat.


* 35 Décrets mettant en oeuvre les objectifs fixés dans le cadre de la loi dite « climat et résilience » du 25 août 2021 concernant le « zéro artificialisation nette » (ZAN).

* 36 Question posée à M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, publiée dans le JO Sénat du 14/07/2022 : http://www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ22070002G.html .

* 37 En application d'une décision orale du président de la République François Hollande, annoncée lors de la cérémonie de voeux aux corps constitués le 20 janvier 2015, les avis sur les projets de loi sont, depuis le 19 mars 2015, intégralement rendus publics par le Gouvernement sur le site de Légifrance, dès que ces projets ont été délibérés en Conseil des ministres. Le Gouvernement les transmet d'ailleurs à la première assemblée saisie au moment du dépôt du projet de loi.

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