B. LE RÔLE PARTICULIER DE CETTE FONCTION DE VEILLE SUR LES DÉCRETS D'APPLICATION DES LOIS TERRITORIALES

Il est ici utile de rappeler que le Conseil constitutionnel a rejeté l'exigence, prévue par le législateur organique, que l'étude d'impact contienne les orientations principales et le délai prévisionnel de publication des textes d'application des lois (décision n° 2009-579 DC du 9 avril 2009). Pourtant, lier les décrets d'application étroitement à la loi aurait permis de créer un meilleur climat de confiance entre le Parlement et les administrations centrales et limiter ainsi la tentation des parlementaires d'encombrer les lois de précisions par crainte de « trahison » ultérieure par le pouvoir réglementaire.

C'est pourquoi vos rapporteurs se félicitent de la proposition du CNEN, formulé dans son rapport du 17 février 2021, consistant à convier les rapporteurs des projets de loi au sein des assemblées aux séances du CNEN au cours desquelles sont examinés les textes réglementaires d'application en découlant (proposition n°4). L'objectif affiché par le CNEN est double : à la fois éclairer le Conseil sur la volonté du législateur et permettre au Parlement d'assurer un suivi plus étroit de l'application des lois votées. Selon le CNEN, la participation éventuelle des rapporteurs pourrait s'inscrire dans le cadre défini à l'article L. 1212-1 du code général des collectivités territoriales aux termes duquel le CNEN peut « solliciter pour ses travaux le concours de toute personne pouvant éclairer ses débats ».

L'audition des rapporteurs par le CNEN va évidemment dans le bon sens, de même que les démarches de certains ministères tendant à associer les rapporteurs à la rédaction des décrets d'application. Il convient toutefois de prévoir un mécanisme plus structurel et systématique permettant au Sénat, à l'instar de ce qui est pratiqué au Royaume Uni, avant la publication d'un décret d'application et après un avis défavorable du CNEN, de prendre une position sur la teneur du projet de texte .

Cette position, qui pourrait prendre la forme d'une résolution territoriale, éviterait au Gouvernement de devoir revoir sa copie après la publication du décret, comme dans le cas des décrets ZAN. La contestation du Sénat pourrait se fonder sur le non-respect de la volonté du législateur, mais aussi sur la méconnaissance des principes fondamentaux de la décentralisation, en particulier la préservation du pouvoir réglementaire local. Même si vos rapporteurs sont conscients que nombre d'élus locaux revendiquent plus de sécurité juridique , se tournant vers le législateur et le pouvoir réglementaire pour réclamer davantage de normalisation, ils estiment que l'esprit de la décentralisation commande une approche fondée sur la responsabilisation des élus locaux.

Le contrôle du parlement britannique sur les décrets d'application

Au Royaume-Uni, le parlement exerce un contrôle a priori sur les décrets d'application (« statutory instruments »), c'est-à-dire avant leur entrée en vigueur. Le Parlement peut soit approuver soit rejeter les projets de texte qui lui sont soumis ; il ne peut donc pas les amender. Le contrôle du Parlement se fonde sur le respect de la volonté du législateur. Dans environ 20 % des cas, la publication des décrets requiert un accord explicite du Parlement (« affirmative procedure »). Dans les autres cas, le projet de décret est approuvé implicitement par le Parlement. Cette procédure d'approbation affirmative est rarement bloquante pour le Gouvernement (le dernier refus remonte à 2014) mais peut le pousser, en amont, à davantage de sobriété et de prudence normatives.

Trois scenarii peuvent être présentés :

Scénario 1 , le plus simple : le Gouvernement s'engage , pour les textes relatifs aux collectivités territoriales à solliciter les rapporteurs et/ou la délégation aux collectivités territoriales pour participer, de manière consultative, à l'élaboration des décrets d'application. L'exécutif a ainsi procédé pour le décret, en cours de rédaction, sur la régulation de l'ouverture des commerces 38 ( * ) . Évidemment, si un tel engagement était généralisé, à l'image de celui du président de la République relatif à la publicité des avis du Conseil d'Etat, son poids symbolique en matière de confiance État-collectivités serait considérable.

Scénario 2 , au cas par cas, les lois, pour les textes à enjeux, pourraient prescrire cette consultation du Parlement avant l'élaboration des décrets. On peut espérer qu'une simple consultation ne serait pas jugée contraire à l'article 21 de la Constitution qui dispose que le Premier ministre « assure l'exécution des lois ». Néanmoins, la vision extrêmement extensive de la notion de séparation des pouvoirs par le Conseil constitutionnel, dès lors qu'il s'agit de préserver l'autonomie du Gouvernement, ne permet pas d'exclure totalement une censure.

Scénario 3 , la Constitution, révisée, dispose que cette consultation est obligatoire . Mais cette hypothèse, satisfaisante juridiquement, se heurte à la faible chance de révision constitutionnelle à brève échéance.

Recommandation n° 5 : créer au Sénat une fonction de veille et d'alerte sur les textes, législatifs ou réglementaires, ayant un impact sur les collectivités territoriales.


* 38 La loi dite « 3DS » a introduit, à l'initiative du Sénat, un dispositif visant à corriger un déséquilibre du tissu commercial de proximité à l'intérieur du périmètre d'un SCoT (article 11).

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