N° 313

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 février 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) relatif à l'ANCT,

Par Mme Céline BRULIN et M. Charles GUENÉ,

Sénatrice et Sénateur

(1) Cette délégation est composée de : Mme Françoise Gatel, présidente ; MM. Rémy Pointereau, Guy Benarroche, Mme Agnès Canayer, MM. Jean-Pierre Corbisez, Bernard Delcros, Mmes Corinne Féret, Michelle Gréaume, MM. Charles Guené, Éric Kerrouche, Antoine Lefèvre, Mme Patricia Schillinger, M. Pierre-Jean Verzelen, vice-présidents ; MM. François Bonhomme, Franck Montaugé, Cédric Vial, Jean Pierre Vogel, secrétaires ; Mmes Nadine Bellurot, Céline Brulin, MM. Bernard Buis, Laurent Burgoa, Thierry Cozic, Mmes Chantal Deseyne, Catherine Di Folco, MM. Thomas Dossus, Jérôme Durain, Mme Dominique Estrosi Sassone, MM. Fabien Genet, Hervé Gillé, Jean-Michel Houllegatte, Mmes Muriel Jourda, Sonia de La Provôté, Christine Lavarde, Anne-Catherine Loisier, MM. Pascal Martin, Hervé Maurey, Franck Menonville, Jean-Marie Mizzon, Philippe Mouiller, Olivier Paccaud, Philippe Pemezec, Didier Rambaud, Mme Sylvie Robert, MM. Jean-Yves Roux, Laurent Somon, Lucien Stanzione.

SYNTHÈSE

ANCT : SE METTRE AU DIAPASON DES ÉLUS LOCAUX !

De M Charles GUENÉ, Sénateur de la Haute-Marne (Les Républicains) et Mme Céline BRULIN, Sénatrice de Seine Maritime (communiste républicain citoyen et écologiste).

« Je veux un État facilitateur de vos projets, c'est précisément le rôle que je veux assigner à l'agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) » déclarait le Président de la République devant le congrès des maires de France le 24 novembre 2017. Trois ans après la création de cette agence au 1er janvier 2020, un nombre encore trop important d'élus locaux est toujours à la recherche de ce facilitateur. Le besoin d'ANCT sur les territoires reste prégnant.

1. L'ANCT EST PEU ET MAL CONNUE DES ELUS LOCAUX

A- Les élus locaux connaissent peu l'ANCT et son offre de services

À la question « connaissez-vous l'ANCT ? » plus de la moitié des élus (52 %) répondaient par la négative, lors d'une consultation des élus locaux sur la plateforme du Sénat, tandis que les trois quarts des répondants (74 %) reconnaissaient ne pas avoir fait appel à ses services. Ce déficit de notoriété a été confirmé par les auditions et déplacements, ainsi que par les associations d'élus. La tonalité est unanime : l'agence reste largement méconnue par les élus locaux, son image est floue et elle apparait éloignée du terrain. Enfin, les services déconcentrés de l'État, sollicités par la mission, estiment, malgré leurs propres efforts pour faire connaitre ses offres, qu'il existe des marges de progrès en la matière. Ainsi, l'évaluation, par les préfectures, de la connaissance qu'ont les élus de l'ANCT et de ses offres, n'est que de 5 sur 10.

B- les élus locaux peinent à comprendre son fonctionnement et ses dispositifs

Même lorsque l'existence de l'ANCT est connue, les élus locaux peinent à comprendre son organisation et à s'approprier ses dispositifs et son offre de services. Se cumulent les difficultés d'identifier :

- l'assise de l'agence : agence nationale ou délégation territoriale?

- les services de l'État et le préfet comme délégation territoriale de l'agence ;

- la cohérence de l'agence : un acteur intégré ou une collection de labels ?

- la nature de l'agence : administration centrale ou boite à outils à disposition des collectivités ?

- la spécificité de l'intervention de l'agence en matière d'ingénierie, parmi celle d'autres acteurs publics et parapublics comme l'Ademe, le Cerema, la Banque des Territoires...

L'absence de visibilité de l'agence n'est pas en soi un problème si les élus trouvent des solutions à leurs difficultés. Le problème est bien, à l'image du défaut de notoriété dont souffre l'agence, que ses «produits », ses offres et ses dispositifs sont peu ou mal connus et donc difficilement accessibles aux élus.

Les difficultés de perception analysées précédemment ne s'expliquent pas seulement du fait de la nouveauté de l'ANCT. Elles tiennent aussi au fonctionnement de l'agence aux niveaux local et central et aux interactions entre ces échelons. Pour les acteurs locaux, l'agence souffre d'un réel déficit d'incarnation par certains préfets et/ou certains services déconcentrés.

C- L'agence est connue de ses bénéficiaires

Les collectivités ayant bénéficié d'un dispositif ANCT appréhendent mieux l'agence et sont globalement satisfaites. Il s'agit surtout des collectivités dans un programme national : Petites Villes de Demain, Action Coeur de Ville, Territoires d'Industrie... Il s'agit aussi des collectivités ayant bénéficié d'un accompagnement sur mesure : 1 162 projets qui ont pu être soutenus au bénéfice de 494 communes, 594 EPCI et 74 collectivités d'autres strates. Lorsque l'ANCT est sollicitée, 95 % des réponses trouvent une solution d'accompagnement selon des modalités variables.

2. LES ELUS ONT UN JUGEMENT CRITIQUE DE L'ACTION DE L'AGENCE SUR 3 POINTS

Les élus auditionnés ont été majoritairement critiques sur l'action de l'ANCT, au-delà de certains témoignages positifs sur son intervention. Cette appréciation s'illustre dans les résultats du questionnaire adressé aux associations d'élus, qui reflètent un éventail assez large de perceptions de l'agence et de sa plus-value. Les qualifications négatives dominent (13 en rouge) suivies de qualifications positives (11 en vert) et neutres (7 en noir).

A- Une implication des préfets inégale et partielle en matière d'ingénierie et des modalités d'intervention de l'agence qui suscitent des critiques

Si, dans plusieurs départements, les services déconcentrés animent le dialogue entre les élus et l'ingénierie locale, c'est loin d'être une généralité. L'intervention de l'agence est parfois accusée de générer des effets contreproductifs lorsqu'elle se déroule en décalage avec les équilibres locaux ou en substitution de leurs acteurs. L'annonce de prestations d'ingénierie gratuites a, par exemple, entrainé une forte confusion chez les élus locaux et une forme de pénalisation des écosystèmes organisés. Le recours à une majorité de bureaux de consultants privés est parfois adapté, mais il ne contribue pas à renforcer l'écosystème local. Ces consultants ont tendance à livrer des prestations « copier-coller », sans ancrage dans le territoire et sans lendemain. Ces prestations n'équivalent pas à un accompagnement de proximité : « les cabinets extérieurs, on est à leur merci, ils disent ce qu'ils veulent » résume un maire.

B- Une approche encore trop descendante et peu attentive aux dynamiques locales

Le sentiment général des élus est que l'ANCT repose sur des logiques trop descendantes, quand bien même le discours est bien rôdé sur le « cousu main », l'attention aux projets des territoires et la promotion d'une logique de confiance plutôt que de contrôle. Les élus attendent que l'État respecte les dynamiques et les coopérations existantes, pour venir les appuyer, plutôt que d'en lancer de nouvelles. Ils voudraient aussi que ses interventions ne se déroulent pas à marche forcée comme l'ont été les Contrats de Relance et de Transition Écologique (CRTE) et une partie des programmes nationaux. Enfin, l'agence doit trouver une articulation avec le niveau régional qui est celui des grandes contractualisations en matière d'aménagement du territoire et de cohésion territoriale.

C- Une promesse de simplification et de meilleur soutien aux projets locaux non tenue

L'espoir de simplification s'est transformé en sentiment de complexification, de lourdeur et de bureaucratie sur les trois missions de l'agence : programmes, CRTE et accès à l'ingénierie. Comme le résume un maire : « On avait promis aux élus la simplification des démarches et, à ce stade, c'est une nouvelle strate un peu opaque qui s'est ajoutée. ». L'ANCT n'a pas contenu le recours aux appels à projets (AAP), son guichet unique est inégalement et insuffisamment opérationnel. De plus, les élus estiment qu'elle n'a pas apporté plus de soutien financier à leurs projets mais qu'elle recycle des financements existants.

3. LES PROPOSITIONS

A- Une première série de recommandations vise à rapprocher l'agence des élus locaux

L'ANCT ne pourra réussir qu'au niveau local, dans la proximité avec les élus. L'agence parisienne, tête de réseau, ne sera en capacité de donner sa pleine mesure qu'en étant en appui d'un réseau local efficace et reconnu, ce qui n'est pas encore le cas. Il convient donc de :

- Créer du dialogue direct avec des temps d'échange hors préfecture avec les élus locaux, sur des réalisations de l'agence par exemple.

- Utiliser ces échanges dans le débat État/Territoires à mener au sein du Conseil d'Administration de l'agence pour élaborer une feuille de route stratégique 2023-2026 qui fixera les grandes priorités de l'ANCT.

- Positionner par défaut le sous-préfet d'arrondissement comme interlocuteur de premier niveau sur les questions d'ingénierie : orientation, relai des offres, suivi des projets.

- Délivrer une instruction ministérielle aux préfets pour les remobiliser et les accompagner sur leurs missions de délégué territorial de l'agence.

- Doubler le nombre de « référents territoriaux » qui sont en lien avec préfets et sous-préfets.

- Engager un dialogue avec les conseils régionaux et les préfectures de régions pour intégrer le niveau régional dans le fonctionnement de l'agence d'ici à mi-2023.

- Privilégier une communication plus simple, plus sobre et déconcentrée, qui repose aussi sur le retour d'expérience des élus locaux et de leurs associations. Elle pourrait notamment prendre la forme d'un guide pratique pour les élus locaux.

B- Une deuxième série de recommandations porte sur l'accès des collectivités à cette ingénierie

Il est temps que l'agence opère un rééquilibrage entre ses missions. Les programmes nationaux sont bien installés et les efforts de l'agence doivent maintenant porter sur la principale attente des collectivités relative à l'ingénierie. Face aux enjeux de complexification de l'action publique, de densification de l'environnement réglementaire et technique, de transition environnementale et de resserrement des marges de manoeuvre financières, l'accès à l'ingénierie doit devenir une grande cause nationale.

- Étudier la mise en place d'un fonds national qui apporterait un soutien en ingénierie à toutes les collectivités demandeuses et qui serait financé par les dépenses d'investissement (financement à hauteur de 0,1% environ). C'est une recommandation qui découle d'une proposition réalisée par l'Association Nationale des Pôles territoriaux et des Pays - (ANPP) qui a reçue plus de 11 000 signatures d'élus et d'acteurs locaux.

- Terminer les recensements départementaux de l'ingénierie par les préfets.

- Sur les territoires où la dynamique d'animation et de structuration de l'ingénierie locale a fait défaut, encourager le préfet à l'impulser, notamment via les Comités Locaux de Cohésion des Territoires (CLCT) et leur déclinaison dans une instance technique (revue de projets) régulière.

- Prioriser les interventions qui permettent de structurer durablement l'ingénierie locale existante.

- Doter les préfets de moyens humains ou financiers de soutien à l'ingénierie. 

- Développer une ingénierie propre à l'agence, facilement mobilisable sur le terrain.

- Accroitre la couverture du territoire en agences techniques départementales et en conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement.

- Instituer un comité de direction régulier commun entre ANCT, ADEME et CEREMA pour réaliser et mettre en oeuvre une feuille de route stratégique partagée.

- Mettre en place une interface numérique pédagogique s'adressant aux élus pour les guider dans le « qui fait quoi » des acteurs publics et parapublics.

C- Enfin une troisième série de recommandations vise à consolider et simplifier l'existant

L'agence est aujourd'hui un empilement de programmes, de politiques publiques, de dispositifs, d'expérimentations, de labels... qui contribuent à nourrir la confusion des élus. Les élus réclament une pause pour bien intégrer l'existant et gagner en cohérence et en transversalité :

- Conforter l'outil des CRTE, notamment élargis à la dimension sociale, comme le cadre de référence de la mise en oeuvre des politiques publiques de l'État.

- Sortir de la vision en silo induite par des programmes spécialisés (petites villes, villes moyennes, villes de montagne...) pour mieux identifier les dynamiques locales de coopération entre ces catégories de collectivités, les valoriser, les soutenir et y inscrire les interventions de l'agence.

- Renforcer l'évaluation à travers un système simple de mesure de satisfaction (réponse aux attentes), pour les programmes nationaux et les dispositifs, et instituer un calendrier pluriannuel d'évaluations externes.

La philosophie sous-jacente à ces trois séries de recommandations est que l'État fasse plus confiance aux acteurs locaux : aux élus, aux collectivités et même à ses propres services déconcentrés.

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