II. LA PROCHAINE PROGRAMMATION MILITAIRE DEVRA À LA FOIS RÉPONDRE AU DOUBLE DÉFI DE LA FIDÉLISATION ET DE L'ATTRACTIVITÉ POUR LES PERSONNELS D'ACTIVE ET PERMETTRE LA TRANSFORMATION DE LA RÉSERVE OPÉRATIONNELLE

A. LA FIDÉLISATION DES PERSONNELS EST UN ENJEU DÉTERMINANT POUR PERMETTRE AUX ARMÉES DE DISPOSER DES EFFECTIFS ET DES COMPÉTENCES EN ADÉQUATION AVEC LEUR CONTRAT OPÉRATIONNEL

1. Le maintien dans les armées des compétences et des effectifs indispensables repose sur une politique active de fidélisation des militaires

Au-delà du défi chronique que représente le recrutement annuel d'environ 40 000 personnes chaque année par le ministère des armées, l'un des enjeux principaux rencontrés par le ministère consiste à rester attractif aux yeux de ses agents pour assurer la fidélisation des personnels civils et militaires des armées.

Durée moyenne de service pour les militaires sous contrat ayant quitté les forces armées en 2020 et 2021

Source : Haut Comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM), décembre 2022, Revue annuelle de la condition militaire , 16 e rapport, tableau 56 (p.95)

En effet, outre la rentabilisation du processus de sélection et de recrutement des personnels, la fidélisation des militaires conditionne la constitution des viviers nécessaires pour permettre aux armées de disposer d'un encadrement intermédiaire et supérieur de qualité ou encore de techniciens expérimentés pour former et encadrer les jeunes recrues. Dans cette perspective, les armées portent une attention particulière à leur politique de fidélisation qui se traduit par plusieurs mécanismes ayant notamment pour objet d'assurer le renouvellement des contrats des militaires du rang ou encore de « carriériser » les sous-officiers, c'est-à-dire de faire accéder sur examen ou concours un militaire au statut de carrière. Dans la population des officiers, au sein de laquelle les militaires de carrières sont majoritaires 18 ( * ) , l'enjeu de la fidélisation est également prégnant dans la mesure où un nombre croissant d'officiers de carrière issus des grandes écoles militaires quittent les forces armées, représentant un taux de départ de plus de 15% dix ans après la sortie de l'école 19 ( * ) .

L'efficacité de la politique de fidélisation est suivie par plusieurs indicateurs, dont notamment le taux de renouvellement des emplois primo-contractuel qui est inscrit dans les documents budgétaire comme indicateur de performance 20 ( * ) . Ce taux, qui correspond à la proportion de renouvellements des contrats souhaités par les armées et acceptés par les intéressés, a atteint en 2021 90% dans l'armée de l'air et de l'espace et la Marine nationale et jusqu'à 98% dans l'armée de terre 21 ( * ) . Il témoigne de l'efficacité des instruments mis en place par les armées pour fidéliser leurs personnels militaires contractuels.

La durée moyenne de service des militaires sous contrat constitue un second indicateur de suivi de l'efficacité de la politique de fidélisation qui témoigne des marges de progression dont disposent encore les armées en matière de fidélisation. Dans l'armée de terre, qui concentre le plus grand nombre des militaires du rang avec un effectif 61 394 en 2021 soit 77% de l'ensemble des militaires du rang des armées, la cible d'une durée moyenne effective de 5 ans avait été fixée en 1979, avant la suspension de la conscription. Portée à 6,5 ans au moment de la professionnalisation à la fin des années 1990, l'objectif de durée moyenne de service pour les militaires du rang a été porté depuis à 8 ans. Malgré les taux importants de renouvellement des contrats pour les militaires que l'armée souhaite conserver dans ses rangs, l'objectif de 8 années de durée moyenne de service n'est pas atteint, la durée moyenne de service des militaires du rang de l'armée de terre ayant été en 2021 d'un peu plus de 5 ans.

En tout état de cause, il est à relever que si l'état actuel de la fidélisation dans les forces permet globalement de répondre aux besoins en ressources humaines, le ministère des armées fait face à des évolutions dans le rapport au travail et à l'institution militaire qui sont de nature à porter atteinte à l'objectif de fidélisation dans les années à venir.

En premier lieu, certains militaires font état de ce que le Haut Comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) a qualifié de « sentiment diffus de déclassement » 22 ( * ) , lié à l'évolution de la perception de la fonction militaire dans la société.

Un nombre croissant de militaires perçoivent leur passage dans les forces armées comme une étape parmi d'autres dans leur parcours professionnel

En second lieu, parmi les militaires, indépendamment de leur grade, l'arrivée de nouvelle génération au sein des forces armées s'est traduite par un nouveau rapport à l'institution et une perception différente de la carrière professionnelle. Sans remettre en cause leur engagement au sein de l'armée, une proportion croissante des militaires envisagent désormais leur passage au sein de l'institution militaire comme une étape de leur parcours professionnel, voire comme un tremplin vers une activité civile plus rémunératrice.

La délégation à l'information et à la communication de la défense (DICoD) du ministère des armées a ainsi établi qu'en 2017, 62% des militaires de carrière interrogés pourraient envisager de quitter l'institution militaire, cette proportion atteignant même 70% pour les militaires ayant 11 à 20 ans d'ancienneté 23 ( * ) . La même étude met en exergue que les risques de départ de l'institution sont concentrés au sein des militaires ayant six à quinze ans d'ancienneté qui sont les plus critiques sur le déroulement de leur carrière.

Cette évolution de la perception des parcours professionnels au sein des armées est illustrée par un phénomène que plusieurs des gestionnaires auditionnés ont relevé de manière concordante et spontanée : le fait que la carriérisation ne constitue plus un objectif pour de nombreux sous-officier sous contrat alors qu'elle était perçue le plus souvent comme un but à atteindre il y a encore quelques années.

2. L'actualisation des grilles indiciaires et la poursuite du plan « famille » constituent deux leviers de fidélisation des personnels des armées

La prochaine programmation militaire devra anticiper les risques qui pèsent actuellement sur la fidélisation des personnels du ministère des armées et prévoir des instruments adéquats pour permettre aux forces de fidéliser les ressources humaines indispensables à la réalisation de leur contrat opérationnel.

En premier lieu, les rapporteurs relèvent à la suite de plusieurs des personnes auditionnées que l'évolution des grilles indiciaires des militaires depuis plusieurs années s'est traduite par un phénomène de tassement qui limite les incitations à la progression et, partant, fragilise la fidélisation des militaires.

Les rapporteurs seront dès lors attentifs à ce que la prochaine programmation fixe un cadre et une trajectoire budgétaire cohérente avec la nécessité d'actualiser les grilles indiciaires pour permettre de préserver le caractère d'escalier social et professionnel des armées.

En second lieu, de nombreux départs des forces armées s'expliquent moins par la volonté de quitter l'institution militaire que par le poids que les sujétions militaires font peser sur la vie personnelle et familiale des militaires. L'exigence de disponibilité et la fréquence des mobilités associées au statut militaire sont un facteur important dont il est impératif de tenir compte dans la politique de fidélisation du ministère des armées. Le taux de mutation avec changement de résidence dans la Marine nationale atteint en 2020 19%, ce qui est largement supérieur à la proportion globale dans la fonction publique civile qui est de 4%. Ces mobilités fréquentes ont des conséquences directes sur la vie familiale des militaires et la Marine nationale estimait en 2017 que le taux de chômage était de 32% pour les conjoints de marins dans l'année qui suit sa mobilité.

taux annuel de mutation avec changement de résidence dans la Marine nationale

taux de chômage pour les conjoints de marin dans l'année qui suit la mobilité

À ce titre, les rapporteurs seront particulièrement attentifs à ce que les efforts entrepris en faveur des familles de militaires dans le cadre du plan « famille », déployé parallèlement à la programmation militaire actuelle, soit poursuivis voire amplifiés pour permettre aux armées de compenser dans la mesure du possible les sujétions liées au statut militaire pour renforcer à la fois l'attractivité des armées et leur capacité à fidéliser leurs personnels.


* 18 Les officiers de carrière représentent 74% des officiers dans l'armée de terre, 61% des officiers dans l'armée de l'air et de l'espace et 66% des officiers de marine dans la Marine nationale en 2021.

* 19 Cf. HCECM, septembre 2017, La fonction militaire dans la société française, 11 e rapport (rapport thématique), p. 65

* 20 Budget général, mission « Défense », programme 212 « Soutien de la politique de la défense », indicateur 1.2

* 21 Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes pour 2021, annexe, rapport annuel de performance de la mission « Défense », p. 246

* 22 Cf. HCECM, septembre 2017, La fonction militaire dans la société française, 11 e rapport (rapport thématique), p. 64

* 23 Cf. DICoD, mars 2017, Enquête sur l'attractivité de la fonction militaire, note annexée au 11 e rapport thématique du HCECM

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