II. AVOIR LE COURAGE DE METTRE LES DISPOSITIFS D'AIDE À L'INSTALLATION AU SERVICE D'ORIENTATIONS AGRICOLES DÉFINIES

A. MIEUX MESURER LA PERFORMANCE DES DISPOSITIFS D'AIDE À L'INSTALLATION

À l'occasion de l'examen par le Sénat du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022, le rapporteur général a souligné16(*) les défaillances dans la mesure de performance des dispositifs d'aide agricole, y compris donc d'aide à l'installation.

Pour rappel, la maquette de performance du programme 149 « Compétitivité et à la durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l'aquaculture » de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » a été modifiée en loi de finances pour 2022 avec la suppression, en raison des difficultés d'accès aux données permettant de le calculer, de l'indicateur 3.1 qui mesurait les coûts de gestion de la politique agricole commune.

Ainsi que le souligne le rapporteur général, « la nouvelle maquette 2023 n'a pas rétabli d'indicateur mesurant la performance de la gestion des aides agricoles alors même qu'il s'agissait d'une recommandation formulée par les rapporteurs spéciaux de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », MM. Segouin et Joly, mais également par la Cour des comptes. »

La « performance » de la gestion des aides agricoles n'est donc plus mesurée que par le pourcentage de dossiers payés dans les délais prévus, ratio qui est estimé proche de 100 % en 2022. Nous serions donc « 100 % efficaces » à en croire cet auto-satisfecit.

Néanmoins, comme l'indique la Cour des comptes dans sa note d'exécution budgétaire pour 2022 sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » pour 2022, « il appartient au ministère, grâce à la mise en place d'une comptabilité analytique, de redéfinir un nouvel indicateur ».

Ce nouvel indicateur ne peut qu'être lié à une définition objective des besoins en installation. Cela suppose, au préalable, un volontarisme politique suffisamment affirmé pour, d'une part, mettre un terme à la relative méconnaissance des cessions d'installation à venir (cf. supra) et, d'autre part, pour rendre plus efficients les dispositifs existants.

Plusieurs éléments de performance doivent, selon les rapporteurs, désormais être pris en compte, ou mieux pris en compte. Sans chercher l'exhaustivité, il s'agit de la capacité à réduire le flux de ceux qui quittent en cours de route le processus d'aide à l'installation, d'améliorer le taux d'accès aux dispositifs de ceux qui remplissent les critères mais ne bénéficient pourtant pas des aides existantes et enfin d'être davantage proactif dans le suivi des déclarations d'intention de cessation d'activité agricole (DICAA). Sur le terrain, ces pistes commencent à faire l'objet d'un suivi plus approfondi mais les rapporteurs ont pu constater qu'il fallait professionnaliser davantage encore le suivi de ces critères.

La réduction du flux de ceux qui quittent en cours de route le processus d'aide à l'installation constitue un défi puisque, comme le souligne la Cour des comptes, « le parcours menant à l'installation de la plupart des nouveaux agriculteurs n'est pas connu ». Seul les installés bénéficiaires de la DJA, donc le tiers des nouveaux agriculteurs environ, font l'objet d'un suivi qui permet de connaître en détail le parcours suivi jusqu'à l'installation.

En revanche, la France ne dispose d'aucune donnée fiable sur le nombre d'exploitants qui se sont installés sans bénéficier d'un accompagnement quelconque, ni sur le nombre d'installés passés par des structures hors du programme AITA, ni sur les exploitants qui ont quitté le programme AITA en cours de route pour finalement s'installer sans le bénéfice de la DJA, avec ou sans le soutien d'autres structures. Les rapporteurs spéciaux considèrent donc qu'on ignore le caractère décisif des mécanismes d'aides à l'installation des agriculteurs. Or cette question est centrale : quelle proportion des aides est perçue à l'aune d'un simple effet d'aubaine ? Quelle proportion des nouveaux installés aurait renoncé sans les dispositifs d'aide ? Quel impact la réorientation des dispositifs d'aide a sur le nombre de nouvelles installations ? Aucun des interlocuteurs entendus n'a été en mesure de répondre à l'une de ces trois questions pourtant essentielles.

S'agissant du taux d'accès aux aides, les rapporteurs spéciaux ont été surpris de constater qu'environ un tiers17(*) des nouveaux installés en 2020 n'a pas bénéficié de la dotation jeunes agriculteurs (DJA) alors même que les intéressés avaient moins de 40 ans. Interrogés à ce sujet, les organismes auditionnés ont mis en avant plusieurs facteurs : ils ont indiqué que les campagnes d'information visant les nouveaux agriculteurs était parfois très « discrètes » et trop tardives. En outre, ils opèrent parfois « un arbitrage de renoncement », compte tenu de sommes en jeu parfois modestes au regard des montants à investir dans leur ensemble et en raison de craintes, qu'elles soient justifiées ou exagérées, quant aux démarches administratives à opérer. Les rapporteurs spéciaux considèrent que la simplification des démarches pour lutter contre cette « phobie administrative » doit relever, pour partie au moins, des administrations elles-mêmes. Ils préconisent une réflexion, sans avoir arrêté définitivement leur position à ce sujet, sur la systématisation du versement des aides à l'installation, à l'image de la réflexion en cours pour le versement automatique des minimas sociaux.

Enfin, les rapporteurs spéciaux ont pu mesurer les marges de progrès restant à effectuer autour des différents dispositifs de transmissions d'activité : une rencontre réussie entre le nouvel agriculteur et celui qui cesse son activité se prépare des deux côtés.

En théorie, au moins trois ans avant la date à laquelle il projette de cesser son activité, tout exploitant doit adresser une déclaration d'intention de cessation d'activité agricole18(*), ce qui conditionne l'accès à un ensemble de prestations ou de droits dont la possibilité de cumuler perception de la pension de retraite et activité. Il existe bien un circuit d'information à l'heure actuelle : quatre ans avant son âge théorique de départ à la retraite, l'exploitant reçoit un courrier de la MSA l'informant de la marche à suivre. Toutefois, les rapporteurs spéciaux, qui ont pu consulter un courrier type ainsi que le formulaire joint, tiennent à souligner le décalage entre la tonalité « administrativo-juridique » de cette approche et le besoin d'accompagnement personnalisé inhérent à toute démarche de cession d'une exploitation agricole qui, bien plus que la fin à venir d'une activité professionnelle, symbolise une vie entière dédiée à la terre.

La Cour des comptes va dans le même sens en soulignant que les organisations professionnelles rencontrées ont fait état du « caractère abrupt » du courrier joint au formulaire, qui conduit nombre d'agriculteurs à « ignorer la démarche ».

Il en résulte des disparités profondes qui tiennent au volontarisme très variable des chambres d'agriculture, chargées de suivre les déclarations et d'orienter l'exploitant en fonction de son projet, puis, sauf avis contraire du déclarant, de diffuser la déclaration concernant les exploitations libres. La chambre d'agriculture des Hauts-de-France, que les rapporteurs spéciaux ont tenu à entendre spécifiquement, pour cette raison en particulier, fait par exemple état d'un taux de retour du formulaire précité d'environ 70 %, soit trois fois plus que dans d'autres régions, grâce à un suivi personnalisé des agriculteurs dont la cessation d'activité approche.

Les rapporteurs ont pu constater que ce résultat suppose une forte implication des acteurs, un suivi minutieux et un engagement de la chambre d'agriculture concernée qu'objectivement on ne trouve pas partout. Nul doute néanmoins que lorsque ce taux, région par région, fera l'objet d'une « publicité comparative et transparente » et sera pris en compte comme critère de performance, des améliorations se feront jour. Toujours est-il qu'à l'heure actuelle, ni Chambres d'agriculture France ni la mutualité sociale agricole (MSA) ne connaissent le taux de retour des formulaires puisque ce sont deux organismes distincts qui opèrent chacun une partie du processus. Les rapporteurs spéciaux plaident pour que ce courrier initial suive un entretien physique, au sein de l'exploitation agricole concernée, afin d'adapter l'échange aux attentes de l'interlocuteur concerné. Ils soulignent, tout en étant conscients des moyens que cela requière, le caractère extraordinaire, des métiers agricoles, au sens premier, qui justifie de « prendre les devants » en allant vers les exploitants, d'une part au sujet des conditions de cession de leur exploitation, mais aussi pour les sensibiliser à la nécessité d'effectuer des investissements lors de leurs dernières années d'activité. Or, cette absence d'investissements en fin d'activité se répercute sur les repreneurs et pèse d'autant plus lourd au stade de la reprise pour les nouveaux exploitants qu'ils doivent déjà faire face à d'autres frais en tant que primo-accédants.

C'est pourquoi les rapporteurs se retrouvent dans la quatrième19(*) et dernière proposition formulée par la Cour des comptes, la mise en place d'un « bouquet transmission » et la reprennent à leur compte. Ils préconisent même d'aller plus loin : l'aide à l'installation n'est pas une fin en soi mais un outil qui doit être piloté pour se donner les moyens d'atteindre une partie au moins des objectifs listés dans le plan stratégique national (PSN).


* 16 Rapport n° 771 (2022-2023) de M. Jean-François HUSSON, tome I, déposé le 28 juin 2023, consultable à l'adresse : https://www.senat.fr/rap/l22-771-1/l22-771-1.html

* 17 L'enquête de la Cour indique qu'en 2020, 12 508 exploitants se sont installés, répartis en trois blocs de taille similaire : 4 829 moins de 40 ans bénéficiant de la DJA ; 4 009 moins de 40 ans n'en bénéficiant pas et 3 670 ayant plus de 40 ans et donc non éligibles à la DJA.

* 18 Article L. 300-5 du code rural et de la pêche maritime.

* 19 Renforcer l'accompagnement des cédants souhaitant transmettre leur exploitation par un « bouquet transmission » (diagnostic d'exploitation et conseil, inscription au répertoire départ installation, coopération test sur un an, transmission globale du foncier) et prévoir un guichet unique d'instruction (ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, 2023).