B. FAIRE DE L'AIDE À L'INSTALLATION UN OUTIL AU SERVICE DE LA SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE EN RÉFORMANT LES CRITÈRES D'ACCÈS AUX DISPOSITIFS

Pour schématiser, les dispositifs d'aide à l'installation des agriculteurs ne jouent pas leur rôle parce qu'on ignore qui on veut aider, dans quelle proportion, pour faire quoi et où. Les critères pour bénéficier des aides ne sont donc pas ciblés sur les objectifs assignés à l'agriculture, mais sur des caractéristiques devenues obsolètes compte tenu des transformations du monde agricole.

En premier lieu, les rapporteurs spéciaux considèrent qu'il est devenu injustifiable de faire de l'âge le critère pivot des aides à l'installation. Comme si le fait d'avoir, ou de ne pas avoir, 40 ans constituait un élément déterminant de la qualité du projet agricole. À mesure que l'espérance de vie augmente, que l'âge de départ à la retraite est repoussé et que les reconversions professionnelles se généralisent, le critère de l'âge, autrefois pleinement justifié, n'a plus aucun sens. Ce critère doit disparaitre du processus d'attribution de la DJA mais aussi de tous les dispositifs incitatifs qui sont conditionnés par l'éligibilité à la DJA : le « jeune agriculteur » doit se transformer en un « nouvel agriculteur ».

Les jeunes agriculteurs peuvent actuellement bénéficier d'un abattement sur les bénéfices imposables20(*) s'ils sont soumis à un régime réel d'imposition et perçoivent les aides à l'installation. L'abattement est appliqué aux bénéfices réalisés au cours des soixante premiers mois d'activité, à compter de la date d'octroi de la première aide. Il permet de limiter l'imposition des jeunes agriculteurs durant les premières années d'activité. Depuis le 1er janvier 2019, ce dispositif a été ciblé vers les niveaux les plus faibles des bénéfices et a été plafonné. À moyen terme, ce ciblage, plus adapté, doit aussi être décorrélé de la question de l'âge. L'ancienneté dans l'activité constitue donc un critère plus en adéquation avec un secteur agricole en mutation.

Outre l'âge, et le fait de s'installer pour la première fois, d'autres critères conditionnent l'éligibilité à la DJA : des critères de compétence et de viabilité du projet.

S'agissant de la compétence, la France a choisi d'exiger un diplôme agricole de niveau IV et la validation du plan de professionnalisation personnalisé (PPP). Sans avoir exploré toutes les pistes, les rapporteurs spéciaux ont été sensibles aux hypothèses émises par certains auditionnés d'élargir les voies d'appréciation de cette compétence qui peut sans doute, dans certaines hypothèse, s'apprécier autrement que par des formations diplômantes.

En revanche, il semble nécessaire de conserver des critères exigeants de viabilité économique du projet. Actuellement, le candidat à l'installation doit opérer une présentation du plan d'entreprise normalisé, qui a vocation à être validé pour une période de quatre ans. L'exploitation doit ensuite dégager une production brute standard (PBS) supérieure ou égale à 10 000 euros par exploitation et inférieure ou égale à 1,2 million d'euros par associé exploitant pour ouvrir droit à versement de la DJA, ce qui semble cohérent avec l'objectif de pérennité. Toutefois, comme pour toute activité, des risques existent et peut-être faut-il aller jusqu'à reconnaitre un droit à l'erreur, donc une possibilité de deuxième tentative d'installation aidée. C'est en tout cas la position émise par la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) lors de son audition par les rapporteurs, qui ont été sensibles à cette hypothèse.

En revanche, le contenu de ce plan d'entreprises normalisé doit être amélioré en rendant obligatoire la présentation par le candidat des conséquences écologiques de son projet. Il s'agit d'un prérequis indispensable à toute évaluation de la viabilité environnementale du projet, tout aussi importante désormais que la viabilité économique.

Comme l'indique la Cour des comptes, « différentes parties prenantes ont mentionné l'intérêt de prendre en compte à l'avenir dans la valeur des exploitations leur qualité agronomique au moyen d'un diagnostic de la qualité des sols. Certaines plaident aussi pour un objectif ou une obligation d'autonomie organique des exploitations excluant une trop forte spécialisation des pratiques. »

Les rapporteurs spéciaux reconnaissent qu'il s'agit d'un objectif ambitieux mais atteignable dès lors qu'il s'accompagnerait d'une réflexion pour adapter le montant des aides, et aussi à terme de la fiscalité, au respect de critères environnementaux. À défaut d'un tel volontarisme, il ne sera pas possible d'atteindre les objectifs du Pacte vert et la neutralité carbone, ce que préconise pourtant le PSN français.

Une telle évolution supposerait de faire de la qualité des sols (propriétés, pollutions diffuses) un élément connu au stade de la transmission. Elle aurait également pour intérêt d'inciter les cédants à mieux entretenir, jusqu'à la cession, leur exploitation.

Au terme de leur mission, les rapporteurs spéciaux mesurent donc le défi qui s'offre à la France : une meilleure efficience des aides à l'installation agricole suppose de réformer en profondeur notre modèle, au coeur d'enjeux inconciliables.

Le réchauffement climatique, les crises sanitaires qui accompagnent toujours plus fréquemment l'intensification de la mondialisation, la distorsion de concurrence qui résulte de produits importés qui, dans les faits, ne sont pas soumis aux mêmes contraintes que ceux que nous produisons, la course aux prix bas à un moment où l'inflation repart dans le monde, les transformations du marché du travail, les conséquences de l'intelligence artificielle sur l'agriculture ou encore la remise en cause du modèle agricole familial rendent progressivement nos dispositifs d'aide à l'installation inadaptés et obsolètes.

C'est au prix d'un volontarisme politique fort, qui impliquera d'assumer des choix inconfortables que nous parviendrons peut-être à faire de ces dispositifs un outil au service d'une politique agricole qui doit garder à l'esprit son objectif premier : redonner à la France un peu de sa souveraineté alimentaire.


* 20 Article 73 B du Code général des impôts.