B. « LA SIMPLIFICATION DES NORMES NE DÉPEND QUE DE NOUS », ALAIN LAMBERT, PRÉSIDENT DU CONSEIL NATIONAL D'ÉVALUATION DES NORMES (CNEN) - DIFFUSION D'UNE ALLOCUTION VIDÉO

Bonjour à tous. Je suis sincèrement désolé de ne pouvoir être parmi vous, mais bravo au Sénat, bravo au président Gérard Larcher d'avoir organisé ces États généraux. La simplification est un objectif partagé par tous, et pourtant elle nous apparaît inaccessible. Et pourtant, elle ne dépend que de nous. Nous avons tendance à en faire porter la responsabilité sur les autres, alors que chacun d'entre nous y contribue plus ou moins. C'est la faute des gouvernements, certes, mais le droit s'appliquant aux collectivités territoriales est presque intégralement du domaine de la loi et personne ne force le Parlement à l'adopter dans ses excès. C'est la faute des technocrates, certes, mais sauf erreur ils agissent bien sous l'autorité de ministres, lesquels pourraient les soumettre aux réalités du terrain. C'est la faute des amendements parlementaires, certes, mais pourquoi personne n'invoque l'irrecevabilité qui serait opposable dans la majorité des cas ? Est-ce la faute des collectivités territoriales qui parfois réclament elles-mêmes des textes pour se couvrir ?

Nous voyons bien que notre addiction à la norme et à la complexité est partiellement aussi notre responsabilité. Voilà pourquoi cette rencontre aujourd'hui est utile. Elle doit être l'occasion d'un échange direct, concret, franc et sincère entre nous, pour examiner le plus concrètement possible, chacun à notre place, ce que nous pouvons faire pour briser ce fléau de la complexité en cessant de le croire fatal. Il ne dépend que de nous de le conjurer, et je ne doute pas que vous saurez adopter des mesures fortes pour faire percer le rayon de soleil dont l'action publique a besoin. Ce rayon de soleil s'appelle la simplification.

C. « LA PERTE DE QUALITÉ DU DROIT EST ASSOCIÉE À UN FOISONNEMENT DES NORMES », ARNAUD BAZIN, SÉNATEUR DU VAL-D'OISE, MEMBRE DU CONSEIL NATIONAL D'ÉVALUATION DES NORMES (CNEN)

M. Xavier Brivet. - Le Sénat a fait des propositions pour que nous allions vers la simplification. Je vais demander à Arnaud Bazin, sénateur du Val d'Oise, membre du CNEN, de réagir aux premières propositions rappelées par Madame Gatel, qui prône un renforcement des moyens du CNEN. Peut-être y ajouterez-vous d'autres propositions au nom du CNEN, qui vient de rendre son rapport d'activité 2019-2022 ?

M. Arnaud Bazin, sénateur du Val-d'Oise, membre du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN). - Nous allons présenter rapidement quelques éléments de diagnostic. Le président Lambert vient de s'exprimer, mais il n'a pas eu le temps de déplorer la perte de qualité du droit. Cette perte de qualité est associée à un foisonnement des normes, dont nous avons eu plusieurs exemples tout à l'heure.

Le nombre de lois promulguées a subi une augmentation de 161 % en 20 ans. L'augmentation est de 758 % pour les ordonnances. Foisonnement, perte de qualité, d'où complexité. Les charges représentent 2,5 milliards d'euros en 2022, contre moins de 800 millions en 2019.

Dernier symptôme : les procédures exceptionnelles représentent 23 % d'urgence et d'extrême urgence sur les textes examinés en 2022, contre 8 % en 2019. Que signifient ces procédures d'urgence et d'extrême urgence ? Cela veut dire que moi, membre du CNEN, reçois un message l'après-midi stipulant que si je n'ai pas réagi avant le lendemain midi, la proposition sera considérée comme entérinée. Cela n'est pas toujours facile à mettre en oeuvre. Ces procédures d'urgence et d'extrême d'urgence qui foisonnent sont insupportables et sont incompatibles avec notre mission.

Concernant les propositions du Sénat évoquées par Françoise Gatel, nous estimons qu'il est aujourd'hui important de se concentrer sur le flux. Nous avons comme mission au CNEN de traiter le stock, mais nous ne le pouvons pas. Il faut donc travailler en priorité sur la question du flux de texte, pour les rendre plus compatibles avec l'efficacité.

Notre équivalent allemand, mieux doté que nous, bénéficie de la possibilité d'entendre les gouvernements sur le contenu de la loi, avant même la transmission de textes normatifs. L'idée de réaliser un débat avec le Parlement est donc tout à fait pertinente. Nous devons être au contact de la réalité avant même la conception de la loi.

La question des études d'impact est tout à fait cruciale. Dans la moitié des cas des études d'impact transmise au CNEN, la fiche financière était insuffisamment renseignée, et ne permettait pas de bénéficier d'une appréhension des conséquences financières. Ces études d'impact doivent absolument progresser en qualité.

Il nous faut par ailleurs pouvoir bénéficier de vérifications, d'évaluations postérieures. Il serait utile que le CNEN puisse travailler avec l'INSEE, qui possède tous les moyens nécessaires.

Nous suivons également la question des études d'options. Il nous est indispensable de bénéficier de l'évaluation de la production, si la norme est adoptée, et des conséquences, si elle n'est pas adoptée. Nous devons également avoir connaissance des autres possibilités avant de décider.

Nous devons restaurer un lien de confiance entre l'État, le Gouvernement et le Parlement qui produisent la norme d'un côté, et les collectivités de l'autre. Dans le cas contraire, nous serons en permanence dans les situations décrites précédemment. Le CNEN peut-être l'un des lieux où restaurer cette confiance.

Xavier Brivet. - Nous constatons à ce stade une convergence entre les propositions du Sénat et du CNEN : la feuille de route que le gouvernement pourrait présenter au Parlement sur ces textes impactant les collectivités locales, le renforcement des études d'impact en amont et en aval, la création de cette option qui consisterait à vérifier si une norme est vraiment justifiée, et si elle l'est, à renforcer son instruction et sa certification par le CNEN. Nous pourrions aussi ajouter deux propositions. La première verrait le Gouvernement établir un collectif budgétaire dans la foulée d'un texte impactant les collectivités locales. La deuxième serait le renforcement du rôle pédagogique, avec la création d'une instance autour du préfet, associant les élus, et qui se pencherait sur l'interprétation divergente d'une norme, le rôle du préfet étant de présenter la position de l'État. Il faudrait pour cela que les préfets s'engagent et ne craignent pas trop les contentieux.

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