N° 542

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 avril 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1)
relatif aux
États généraux de la simplification, organisés au Sénat
le 16 mars 2023,

Par Mme Françoise GATEL et M. Rémy POINTEREAU,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : Mme Françoise Gatel, présidente ; MM. Rémy Pointereau, Guy Benarroche, Mme Agnès Canayer, MM. Jean-Pierre Corbisez, Bernard Delcros, Mmes Corinne Féret, Michelle Gréaume, MM. Charles Guené, Éric Kerrouche, Antoine Lefèvre, Mme Patricia Schillinger, M. Pierre-Jean Verzelen, vice-présidents ; MM. François Bonhomme, Franck Montaugé, Cédric Vial, Jean Pierre Vogel, secrétaires ; Mmes Nadine Bellurot, Céline Brulin, MM. Bernard Buis, Laurent Burgoa, Thierry Cozic, Mmes Chantal Deseyne, Catherine Di Folco, MM. Thomas Dossus, Jérôme Durain, Mme Dominique Estrosi Sassone, MM. Fabien Genet, Hervé Gillé, Jean-Michel Houllegatte, Mmes Muriel Jourda, Sonia de La Provôté, Christine Lavarde, Anne-Catherine Loisier, MM. Pascal Martin, Hervé Maurey, Franck Menonville, Jean-Marie Mizzon, Philippe Mouiller, Olivier Paccaud, Philippe Pemezec, Didier Rambaud, Mme Sylvie Robert, MM. Jean-Yves Roux, Laurent Somon, Lucien Stanzione.

AVANT-PROPOS

Chacun est conscient que les normes applicables aux collectivités sont trop nombreuses et trop complexes : le code général des collectivités territoriales a ainsi triplé de volume entre 2002 et 2022 et approche le million de mots.

C'est pourquoi le Sénat a organisé le 16 mars 2023, à l'initiative de la délégation aux collectivités territoriales, les États généraux de la simplification. Cette manifestation, placée sous le haut patronage de Gérard Larcher, président du Sénat, a réuni de nombreux acteurs concernés par les enjeux de la simplification, au premier rang desquels le Conseil national d'évaluation des normes et les associations d'élus locaux.

Ces États généraux se sont déroulés en trois temps.

La première table-ronde a permis de faire remonter des témoignages de terrain, en s'appuyant notamment sur les résultats de la consultation en ligne des élus locaux, consultation que le Sénat a menée en janvier 2023. En effet, il appartient à l'ensemble des acteurs de la production de normes de prendre collectivement la mesure de toutes les conséquences négatives de leur poids pour les collectivités. Non seulement l'inflation normative complexifie les projets locaux, en retarde la réalisation, mais elle en augmente significativement le coût, parfois de façon disproportionnée, notamment pour les petites communes, aux ressources techniques et financières limitées.

La seconde table-ronde a, quant à elle, permis d'explorer des solutions simples et efficaces pour l'avenir pour remédier collectivement à cette prolifération normative. Cette table-ronde a notamment mis en lumière les recommandations du rapport publié par la délégation le 26 janvier 2023 et intitulé « Normes applicables aux collectivités territoriales : face à l'addiction, osons une thérapie de choc ! » signé par Françoise Gatel et Rémy Pointereau. Ce rapport propose des solutions à droit constant pour « casser la machine infernale » de la norme, en s'appuyant avant tout sur une forte volonté politique et non sur la création de nouveaux outils juridiques.

Enfin, cette manifestation a abouti à une signature inédite et ambitieuse d'une Charte d'objectifs communs, engageant le Sénat et le Gouvernement, en présence du CNEN. Il s'agit là d'un pacte de confiance et de responsabilité, pacte qui pourrait être étendu, à l'avenir, à d'autres acteurs majeurs de la norme. En effet, seules des actions collectives et coordonnées permettront d'agir efficacement pour enrayer ce phénomène d'obésité normative, préjudiciable au développement des territoires.

L'objectif est donc de donner une forte impulsion pour engager un réel changement de culture et de pratiques tant au niveau des acteurs politiques que de l'administration, dans le souci de l'efficacité de l'action publique locale jusqu'au dernier habitant et au dernier kilomètre. Car c'est bien à une nouvelle culture de la norme qu'il nous faut nous atteler, autour de trois principes : la subsidiarité, la sobriété et la confiance.

Signature de la charte engageant le Sénat et le Gouvernement

I. « SIMPLICATION DES NORMES, PASSER DU CONSTAT AUX SOLUTIONS », FRANÇOISE GATEL, PRÉSIDENTE DE LA DÉLÉGATION AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Je vous remercie d'être venus aussi nombreux pour ce sujet qui constitue une véritable oeuvre collective d'affirmation d'intention. Je voudrais excuser le président du Sénat, Gérard Larcher, qui assure ce matin la présidence d'une séquence importante consacrée à la réforme sur les retraites. Il nous rejoindra en fin de matinée avec le ministre Christophe Béchu, qui représentera Madame Borne.

Mesdames et Messieurs les représentants d'associations d'élus, Monsieur le président de l'ANCT, Madame la secrétaire générale du Gouvernement, Monsieur le premier vice-président de la délégation aux collectivités Rémy Pointereau, Monsieur Mathieu Darnaud, président de la délégation à la prospective, et très souvent mon binôme sur les sujets de collectivités, Mesdames et Messieurs les intervenants,

Il me revient d'ouvrir ces États généraux, qui constituent une grande ambition. Notre détermination collective se doit en effet d'être ambitieuse, car nous poursuivons un triple objectif. Le premier, qui sera débattu au cours de la première table ronde, est le recueil des témoignages de terrain. Le Sénat a à coeur de nourrir sa réflexion à partir de la réalité des choses, et l'écoute du terrain est particulièrement importante. Nous procédons ainsi régulièrement, au-delà de nos expériences personnelles, à des consultations d'élus. Personne ici ne sera surpris d'apprendre que la norme se situe en haut de toutes les préoccupations de tous les élus quels qu'ils soient. C'est un sujet récurrent qu'il est important de prendre en compte. La surenchère de la norme présente des conséquences financières considérables, à un moment où l'argent public est rare. Il est plus que jamais nécessaire et salutaire d'optimiser cet argent public et de se désengager du corset de la norme pour agir.

La norme, qui est nécessaire et utile, peut aussi, lorsqu'elle devient obèse, ralentir des projets, voire les empêcher. Deux chiffres sur le coût de l'inflation normative. Le premier provient de la Direction générale des collectivités locales et évalue à près de 2 milliards d'euros le coût total de cette inflation normative entre 2017 et 2021 pour les collectivités. Le dernier rapport d'activité du CNEN évalue à 2,5 milliards d'euros pour la seule année 2022 le coût des normes, ce qui veut dire 30 % de plus que le total cumulé pour 2017-2021. Ces derniers chiffres pourraient d'ailleurs être sous-évalués.

Le deuxième objectif dont nous souhaitons parler aujourd'hui est l'exploration de solutions simples, efficaces et pleines de bon sens. Avec Rémy Pointereau, nous ne nous sommes pas intéressés aux stocks mais à l'évitement de la surenchère de normes. Nous nous sommes donc tournés vers l'avenir en tentant de définir un mode de fabrication de la norme qui soit plus vertueux, ou plus rigoureux, et qui aboutisse à un résultat plus pertinent. Ce sera le thème de la deuxième table ronde. Je pense souvent à la manière dont les élus locaux, et notamment les maires, procèdent à la mise en oeuvre d'un projet. Ils font de l'étude d'impact sans le savoir quand ils essayent de mesurer les différentes conséquences et les effets collatéraux d'une décision avant sa mise en oeuvre.

Nous proposons donc une méthode collective pour remédier à cette prolifération normative. L'idée est de se discipliner, de faire preuve de plus de rigueur.

Le troisième objectif est particulièrement intéressant et remarquable : il souligne la prise de conscience collective d'une urgence et d'une impérieuse nécessité. À la fin de ce colloque, nous allons procéder à la signature d'une charte d'engagements, cosignée par le président du Sénat au nom du Sénat, et par le ministre Christophe Béchu, représentant du Gouvernement. Nous serons naturellement largement soutenus et confortés par le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN).

Comme nous pensons que dire c'est bien, mais que faire c'est mieux, nous avons souhaité que ce colloque ne soit pas que de la parole, mais qu'il nous engage collectivement. Retrouver la conscience de nos concitoyens nous oblige tous. En effet, la situation est grave et nous avons même parfois dépassé le stade de la gravité. Il importe donc que la fabrique de la loi et de la norme, portée et réalisée par tous les acteurs, conduise à une véritable efficacité avec une pertinence bien dosée.

Les causes sont connues, elles sont multiples. Il est difficile de faire sans norme puisqu'il y a une complexité des sujets. Nous devons prendre en compte de très belles intentions : objectifs environnementaux, objectifs sanitaires, objectifs d'égalité des droits. Ces excellentes intentions, quand elles se croisent, fabriquent de la complexité. Il faut à cela ajouter un principe de précaution inscrit dans la Constitution, et qui doit se conjuguer avec la judiciarisation qui augmente. Aujourd'hui, quelques maires ont ainsi interpelé la ministre Madame Faure pour demander s'il ne pouvait pas y avoir une norme nationale sur l'amplitude de l'éclairage public. En effet, certains élus font face à des plaintes de leurs concitoyens en raison des risques d'insécurité induits par la diminution de cet éclairage public.

Cette charte d'engagements constitue un pacte de confiance et de responsabilité que nous signerons avec beaucoup de volonté et de détermination, et aussi beaucoup d'humilité, car nous savons que le miracle attendu ne se produira pas demain. Néanmoins, cette charte résonne comme un appel à l'ordre au fur et à mesure de l'avancée de nos travaux. Nous vous promettons que nous évaluerons la réalisation de cette charte d'engagements.

Nous devons parvenir au Sénat à un changement de culture et de pratique et penser que l'efficacité ne vient pas de la norme, mais de la confiance dans les élus locaux, dans l'intelligence des territoires, dans la nécessité de s'adapter. Nous devons nous atteler à une nouvelle culture de la norme. Je pense que nous pouvons guérir en entreprenant un traitement de choc. Nous construirons une meilleure loi autour de trois principes : la subsidiarité, la sobriété et la confiance

Je vous remercie. Nous allons maintenant démarrer la première table ronde.

II. LES CONSTATS DU TERRAIN (1ÈRE TABLE-RONDE)

M. Xavier Brivet, rédacteur en chef de Maires de France. - Merci Madame Gatel, Mesdames et Messieurs, bonjour. J'ai en charge l'organisation de cette matinée qui se déroulera en deux tables rondes, la première consacrée à des témoignages d'élus locaux et de juristes sur l'impact des normes sur la gestion publique locale, la seconde sur les propositions du Sénat que Madame Gatel nous synthétisera et que nous mettrons en débat avec des juristes, des membres du CNEN, du Conseil d'État, et un professeur de droit public.

À l'issue de cette seconde table ronde aura lieu un discours de Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, puis un discours de clôture du président du Sénat, avant la signature de la charte d'engagements du Gouvernement et du Sénat en faveur de la simplification des normes applicables aux collectivités locales.

Première table-ronde : quelles sont les conséquences de l'inflation normative sur l'efficacité des politiques publiques locale ? Quels champs de l'action publique locale faut-il prioritairement simplifier ?

A. LES RÉSULTATS DE LA CONSULTATION EN LIGNE AUPRÈS DES ÉLUS LOCAUX SUR LA SITUATION DES NORMES AUJOURD'HUI, RÉMY POINTEREAU, PREMIER VICE-PRÉSIDENT DE LA DÉLÉGATION AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, CHARGÉ DE LA SIMPLIFICATION DES NORMES

M. Xavier Brivet. - Je donne maintenant la parole à Rémy Pointereau, sénateur du Cher et 1er vice-président de la délégation aux collectivités locales du Sénat, chargé de la simplification des normes. Vous allez nous livrer les chiffres-clés de la consultation organisée par le Sénat auprès des élus locaux sur leur ressenti par rapport aux normes. Nous donnerons ensuite la parole au président David Lisnard, avant le témoignage de trois élus locaux.

M. Rémy Pointereau, premier vice-président. - Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs en vos grades et qualités, chers collègues, Mesdames et Messieurs, nous avons effectivement signé avec Françoise Gatel un rapport sur la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Il porte essentiellement sur le processus de la production de la norme. Nous aurons tout à l'heure un débat sur nos solutions pour diminuer ce nombre de normes.

Parallèlement, nous avons réalisé une consultation auprès des élus locaux pour évaluer les conséquences négatives de l'inflation normative sur l'efficacité des politiques publiques locales et déterminer les champs de l'action publique à simplifier prioritairement.

Environ 2 000 élus ont répondu à la consultation, dont 92 % d'élus locaux. Parmi eux, plus de la moitié appartiennent à des communes de moins de 1 000 habitants, et les élus sont environ 80 % à ressentir une aggravation de la situation depuis les élections municipales de 2020. Nous avons d'ailleurs un nombre de démissions de plus en plus important dans nos communes, ce qui est assez préoccupant. Nous soulignons également dans notre rapport que le Code général des collectivités a triplé de volume en 20 ans : il approche aujourd'hui le million de mots. Certains élus parlent même d'addiction à la norme ou de harcèlement textuel.

Cette complexité, en plus d'être source d'incertitude et d'incompréhension, entraîne des conséquences négatives pour les projets locaux pour 82 % des répondants. Nous constatons effectivement que la complexité et la multiplication des normes entraînent parfois la modification, le report, ou l'abandon des projets portés par les collectivités. Cela engendre un coup supplémentaire important pour nos collectivités.

Je signale par ailleurs le lancement d'une mission d'information portant notamment sur l'impact des normes sur l'équilibre des finances locales, présidée par Jérôme Bascher et dont la rapporteure est Guylène Pantel.

En plus de peser sur les projets locaux, les normes imposées aux collectivités sont souvent jugées contradictoires par les élus, ce qui complexifie sensiblement leur mise en oeuvre. C'est le cas du ZAN, « zéro artificialisation nette », dont nous allons encore débattre ce soir au Sénat pour améliorer non pas le texte précédent, mais le décret qui ne correspond pas à ce que nous avons voté dans les deux assemblées. Ces ZAN représentent le cas typique où nos élus doivent prendre en compte à la fois les injonctions à bâtir et les objectifs de non-artificialisation des sols.

Je crois que nous avons sur ce problème de normes une responsabilité collective, parlementaires compris. Nous avons tendance parfois à trop amender les textes, à être trop précis, et ces normes sont de plus en plus techniques, ce qui bloque le système et nécessite de disposer d'une expertise juridique que n'ont pas les plus petites collectivités.

L'accompagnement de l'État représente ainsi une forte attente des collectivités, mais nos élus le jugent à 75 % insuffisant. Ce phénomène est accentué par des interprétations variables selon le service ou l'agent qui souhaite respecter la norme. Cette constatation est déplorée par 75 % des répondants, situation qui est source d'insécurité juridique.

Je rappelle qu'à l'initiative de la délégation, le Sénat a institué lors de l'examen du projet de loi 3DS une conférence de dialogue État-collectivités auprès du préfet. Malheureusement, cette disposition a disparu du texte définitif. Une telle instance permettrait pourtant à tous les acteurs locaux d'oeuvrer pour améliorer les normes applicables aux collectivités locales.

Il existe un pouvoir de dérogation accordé au préfet, mais peu appliqué par crainte de cette judiciarisation que nous subissons, crainte également de la notation qui touche les préfets en fonction de leur décision. Il faut ajouter à cela le principe de précaution ajouté à la Constitution, qui est un facteur inflationniste de normes.

L'autre intérêt de ce dispositif serait d'améliorer sur le terrain l'application des normes et politiques publiques en formalisant une parole unique de l'État. En effet, très nombreux sont les élus qui déplorent les normes ou injonctions contradictoires de la part des différentes administrations de l'État. Nous constatons que l'emballement normatif tient également à une croyance quasi mystique de la norme, mal très français.

Le secteur souffrant particulièrement de cette complexité est l'urbanisme : 50 % des répondants en font un secteur prioritaire. Nous avons conduit au Sénat de nombreux travaux sur la simplification du droit de l'urbanisme, mais le chantier demeure immense.

D'autres domaines ont également été identifiés, comme la répartition des compétences, la commande publique, l'assainissement ou l'environnement et les finances publiques. Mais l'urbanisme reste le sujet prioritaire.

Cette consultation a également permis aux élus de faire part de leur ressenti et de leurs inquiétudes. Ces normes si complexes découragent les élus locaux qui déplorent de se retrouver régulièrement en situation d'illégalité, faute de connaissances suffisantes.

Enfin, face à ce constat, les répondants ont été force de proposition afin de dégager des pistes de réflexion. Certains points ont été cités en termes d'amélioration : la formation en priorité, tant pour les élus que pour leurs agents, le renforcement de l'accompagnement de l'État et la communication à destination des collectivités. Une grande partie des répondants a également mis en avant la nécessité d'une meilleure prise en compte des spécificités. Nous parlons beaucoup de différenciation qui constitue un sujet majeur : nous ne pouvons pas appliquer une règle partout dans notre territoire. Beaucoup demandent également une meilleure adaptation des études d'impact au contexte local.

Je souhaiterais pour conclure citer le président Georges Pompidou qui, il y a 50 ans, a demandé « d'arrêter d'emmerder les Français ». Je dirais la même chose pour nos élus locaux. Nous nous apercevons que nous n'avons pas arrêté depuis 50 ans de tout complexifier. Il faut aujourd'hui une thérapie de choc, des solutions concrètes pour casser cette machine infernale de production des normes.

Merci de votre attention.

B. « L'EXCÈS DE NORMES NUIT NON SEULEMENT AUX FINANCES PUBLIQUES, MAIS AUSSI À NOS LIBERTÉS », DAVID LISNARD, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION DES MAIRES DE FRANCE (AMF)

Merci beaucoup. Je vais rebondir sur la présentation qui vient d'être faite, en tentant de faire passer quelques-unes des convictions que nous essayons, avec d'autres, de faire partager, mais je prêche ici des convaincus.

La problématique de la simplification s'opposant à la complication est aussi ancienne que mon engagement. Malgré tous les discours depuis des années, nous constatons cette croissance des normes et des règles. Ce qui nous paraît évident et redondant dans nos discours constitue en fait un objet hors du champ politique et médiatique qu'il est très difficile de transmettre.

J'ai publié ce matin une chronique dans le quotidien « L'Opinion », où je raconte toutes mes tentatives pour réutiliser les eaux usées de ma commune. Tout ce que je dis est vrai, mais en-dessous de la réalité à propos d'un projet pionnier il y a 10 ans.

Je souhaite remercier le Sénat pour son approche toujours proactive sur ces questions et au service des collectivités et des communes de France. Je remercie particulièrement Gérard Larcher pour son action permanente, son écoute et son respect à l'égard de l'Association des maires de France, vieille maison qui défend la liberté locale comme matrice d'une certaine idée de l'organisation des pouvoirs publics, qui génère de la prospérité, de l'efficacité, de la démocratie. Les libertés locales sont au coeur d'un modèle républicain, non antinomique avec celui de l'unité de la Nation.

Je veux saluer le travail inlassable de Françoise Gatel, présidente de cette délégation, et celui de son vice-président Rémy Pointereau. Je les remercie d'avoir pris cette initiative d'États généraux auxquels vous avez tout de suite associé l'AMF. Je salue également les représentants de toutes les communes et de toutes les associations présents ici.

Cette boulimie normative évoquée tout à l'heure dans le cadre de cette enquête très intéressante est quantifiable, pas toujours facilement, mais tout le monde peut constater que le Code de l'environnement est passé en 10 ans de 100 000 à un million de mots, alors que nul n'est censé ignorer la loi. Le Code général des collectivités territoriales a vu, lui, son volume multiplié par trois en une vingtaine d'années. Nous sommes face à ces injonctions contradictoires, avec un droit contradictoire mais aussi superfétatoire, qui modifie les étapes obligatoires qui nous appauvrissent, qui multiplient les surcoûts, et font obstruction à l'action publique.

Le Conseil national d'évaluation des normes a évalué les charges supplémentaires de textes à 2,5 milliards d'euros pour 2022. Je rappelle que l'indexation de la DGF que nous réclamons correspond à 800 millions d'euros. Nous devons avoir ces chiffres à l'esprit.

Les enjeux du combat qui est le nôtre ne sont pas que financiers. Ils sont évidemment financiers dans un pays qui présente le record du monde de prélèvement obligatoire (45 % du PIB), le record du monde absolu de la dépense publique (57% du PIB), et qui, parallèlement, rencontre une désertification de services publics en milieu rural, mais aussi en milieu urbain.

Nous sommes ainsi renvoyés au paradoxe souligné par le président Pompidou dans son ouvrage « Le Noeud gordien ». Le noeud gordien que nous devons trancher aujourd'hui est celui d'une abondance de dépenses publiques et d'une pénurie de services publics, avec des fonctionnaires bien formés et honnêtes, mais qui bénéficient de rémunérations en-dessous des normes européennes. Le noeud gordien que nous devons trancher est celui de la complication, terme plus pertinent que la complexification, car la complexité peut être un progrès : bénéficier de normes d'inclusion pour les personnes en situation de handicap, de normes de protection, de normes d'hygiène alimentaire constituent un progrès social. Dans les solutions, je proposerai un rapprochement avec le secteur privé, qui est soumis à cette complication, notamment les grandes entreprises qui luttent, car elles n'ont pas d'autres choix que d'avoir des résultats. Face à cela, des spécialistes anglo-saxons estiment que lorsqu'il existe une complexification de 10 %, la complication conséquente est au moins de 50 %. En effet, la réponse sera la création d'une direction des qualités, du process, qui vont elles-mêmes générer leurs propres contraintes.

L'excès de normes nuit non seulement aux finances publiques, mais aussi à nos libertés. J'insisterai sur ce thème qui n'est pas souvent évoqué, alors qu'il est majeur. La liberté est précisément de maîtriser le droit, protecteur. Seuls des spécialistes ou des collectivités qui possèdent l'ingénierie juridico-administrative peuvent se sortir du maquis normatif. Nous le voyons dans les communes rurales, qui sont souvent privées d'accès à la politique publique, en raison des appels à projets, qui eux-mêmes génèrent des process très lourds, et qui éloignent ceux dépourvus du recours à un cabinet de conseil.

Qui, parmi les citoyens, peut aujourd'hui prétendre connaître le droit ? Quel maire peut prétendre connaître le droit ? Quelle est la commune qui connaît les 1 800 pages de la réglementation thermique qui s'applique à la construction des bâtiments scolaires ?

Enjeu de liberté, enjeu d'efficacité, enjeu tout simplement de civisme face aux défis qui sont les nôtres aujourd'hui : climatique, économique, sécuritaire... Nous subissons une crise civique qui se traduit par la violence faite aux élus, par l'abstention, par l'indifférence même à la chose publique, par l'invective sur les réseaux sociaux ou sur les médias en flot continu. La complication, le caractère inaudible, inabordable des grandes règles qui régissent la vie en société ne peuvent que catalyser cette crise civique. L'impuissance publique, conjuguée à cette difficulté d'appréhender les règles qui protègent et qui émancipent, constitue un facteur de crise civique et donc de crise démocratique majeure.

L'enjeu est colossal. Il fait partie des grands enjeux qui devraient être en haut de l'agenda politique, mais je prêche ici des convaincus. Certes, des initiatives ont été mises en place. Les pouvoirs publics annoncent régulièrement des procédures de simplification, mais nous constatons que plus il est annoncé de simplifications, plus le résultat est compliqué finalement.

J'ai pris l'avion ce matin et ai subi ma deuxième grève des aiguilleurs du ciel. Il est très compliqué d'être Président des maires de France quand vous n'êtes pas Parisien, ce qui est un comble : il y a 34 954 chances de ne pas être Parisien puisqu'il y a 34 955 communes, grâce au phénomène des communes nouvelles, vrai phénomène de simplification résultant d'une approche spontanée du terrain, et non pas d'une directive verticale descendante.

La démarche engagée aujourd'hui est pertinente, car elle s'attaque aux causes que nous chérissons parfois malgré nous, tout en déplorant leurs effets. Ces causes sont celles qui résultent du conformisme de la production de la règle. Raymond Aron disait toujours : « je déteste autant le conformisme et le révolutionnarisme ». Les deux s'alimentent, se nourrissent. Le conformisme renvoie au confort. Il consiste à répondre toujours de la même façon aux problèmes qui se répètent. Il faut faire attention à ce que l'appel à la simplification et au terrain ne se traduisent pas par des règles qui accentuent les problèmes. Je voudrais attirer votre attention sur le danger de la différenciation. Je suis pour ma part un grand adepte de la décentralisation, mais pas de la décentralisation asymétrique, sauf pour des ruptures territoriales très fortes (caractère ultramarin, insulaire, etc.). Nous devons faire en sorte que le droit revienne à ses fondamentaux et qu'il définisse de grands principes généraux. Nous devons recréer une société de la confiance et donc de la responsabilité. Le pouvoir d'adaptation réglementaire ne doit pas être un pouvoir de différenciation de la loi. Je ne souhaite pas pouvoir déroger, je veux décider, ce qui n'est pas la même chose, et être sanctionné sur ces décisions. Plutôt que de multiplier ce qui entrave, dans des schémas directeurs, nous devons retrouver une puissance publique qui intervient a posteriori pour sanctionner et remettre sur le droit chemin. C'est une révolution copernicienne qui nous amène à la base même de notre organisation sociale et de notre droit, et de ce qui a fait la grandeur des démocraties libérales. La dérogation est un poids arbitraire, raison pour laquelle les préfets ne l'utilisent pas, puisqu'on leur demande de déroger à la loi. Nous créons des lois monolithiques, dont on se rend compte qu'elles ne sont pas applicables, comme SRU ou Climat et Résilience. Nous créons ensuite des textes qui permettent de sortir de la loi précédemment créée.

Il faut sortir de cette absurdité, avoir le courage d'accepter de distinguer ce qui relève de l'ordre spontané de ce qui relève de l'organisation. Cette idée est majeure mais contre-intuitive en France. Il faut donc redécouvrir la subsidiarité. Je citerai enfin Guizot : « Que l'État renonce à la prétention d'être tout, et bientôt il cessera d'être seul ». Cette prétention d'être tout est celle qui consiste à vouloir tout prévoir dans les schémas directeurs et les textes. Laissons un pouvoir réglementaire aux collectivités territoriales, respectueux de grandes dispositions dans le public et de droits, et vous verrez que nous aurons beaucoup moins de production normative, beaucoup plus d'actions publiques et de démocratie.

C. LE POIDS DES NORMES DANS LE DOMAINE DE LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES DE LA FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE, YVAN LUBRANESKI, MAIRE DES MOLIÈRES (ESSONNE), VICE-PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION DES MAIRES RURAUX DE FRANCE (AMRF)

Merci pour cette initiative de la délégation du Sénat aux Collectivités, en souhaitant qu'elle débouche sur des résultats concrets. Comme le disait David Lisnard, nous avons envie que cela aboutisse mais cela fait longtemps que nous le souhaitons. Je reprends quelques principes généraux. Cette affaire de loi constitue un vrai sujet de cohésion nationale. Plus la loi est riche en textes, moins elle est respectée, et plus on s'écarte de son principe général qui doit être reconnu au sein de la société et par les élus locaux. Ces derniers sont prêts à être contrôlés, mais ils ont dans leurs mains un mandat, et nous nous écartons de l'esprit de la liberté municipale lorsque, pour aller au bout d'un projet, il faut rencontrer beaucoup de personnes qui vont intervenir sur le processus et qui semblent avoir beaucoup plus de droits sur ce projet que le maire lui-même. David Lisnard parlait tout à l'heure de l'assainissement, nous pouvons parler aussi du ruissellement.

Il faut donc saluer cette démarche qui consiste à réinterroger la nécessité de la loi. C'est ce que vous voulez inscrire dans l'engagement qui sera signé plus tard. Nous constatons en effet que la simplification peut aboutir à de la complexité, comme nous pouvons le voir sur le terrain. Nous utilisons par ailleurs peu le mot abrogation, alors que des textes pourraient disparaître. Je prends comme exemple les ressources humaines. Le fait que les agents des collectivités aient des carrières pouvant être accompagnées est indéniable. Le fait qu'une collectivité ait besoin d'agent pour le projet du territoire, pour mettre en place les services municipaux, est une réalité également. Nous avons vu comment les codes ont augmenté de volume : droit du travail, Code général des collectivités territoriales, fonction publique territoriale, textes quelquefois contradictoires, surtout pour des communes rurales. Par exemple, ne pourrions-nous pas arrêter avec le tableau des emplois ? Quand, lors d'un conseil municipal où 99 % des délibérations ne sont là que pour satisfaire la norme, vous devez décider de la création de trois postes à trois grades différents pour les mêmes besoins de la collectivité, pour être sûr de satisfaire dans les temps ce besoin, cela devient incroyable.

Bien sûr, il faudra mettre fin à deux postes quand la personne correspondant au grade de l'une des trois aura été recrutée. Cette délibération sera photocopiée au temps de la numérisation, sans compter tous les arrêtés qui suivront. Nous ne sommes ni plus ni moins que des employeurs au regard du droit du travail. Il faudrait revenir à cet aspect essentiel. Nous passons ainsi plus de temps à répondre à toutes ces questions de normes et moins de temps pour nos projets qui pourtant construisent l'avenir, qui font de la commande publique, qui permettent de faire fonctionner les entreprises.

Pour un élu de la République choisi sur un projet, qui peut aussi proposer d'autres projets en cours de mandat et les partager avec les habitants et le Conseil municipal, il y aura toute une série d'instances qui vont démunir ou freiner le projet.

Concernant l'urbanisme, nous travaillons sur un dossier pour une déclaration préalable de travaux, qui est passé d'une à huit pages en quelques années.

Sur le Fonds vert, mon collègue Bertrand Hauchecorne publiait il y a quelques jours un témoignage sur les économies d'énergie pouvant être réalisées à l'occasion d'un changement d'éclairage publique. Il lui était demandé des données en termes de lumens, quand les opérateurs qui avaient fait les devis étaient eux-mêmes incapables de répondre. Tous ces éléments nous sont demandés par ailleurs sur le site que vous connaissez tous : démarches-simplifiées.fr !

Je conclurai en demandant de nous donner de la confiance. Au-delà du CNEN, créons des lieux d'échanges pour que la réalité et le process législatif se rencontrent pour plus d'efficacité.

D. « LA BOULIMIE DES NORMES EST LOURDE, CHÈRE, ET PARFOIS DÉCOURAGEANTE », CHRISTOPHE BOUILLON, MAIRE DE BARENTIN (SEINE-MARITIME) ET PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION DES PETITES VILLES DE FRANCE (APVF)

Bonjour, merci à Françoise Gatel et Rémy Pointereau de nous permettre de porter nos témoignages dans le cadre de ces États généraux, en espérant qu'ils n'aboutissent pas à une création de normes, mais plutôt de mode d'emploi.

L'Association des petites villes de France fédère des communes qui comprennent entre 2 500 et 25 000 habitants. Lorsque nous réalisons une enquête flash pour solliciter l'avis de nos élus, nous faisons ainsi parler l'ensemble des départements, des territoires ruraux ou urbains. Ce que nous disent nos élus à travers cette enquête rejoint les constats déjà établis et rappelés tout à l'heure par Rémy Pointereau, auquel nous pourrions associer le récent rapport du Conseil national d'évaluation des normes. Le constat est que pour l'ensemble des élus, cette boulimie des normes est à la fois lourde, chère, et parfois décourageante. Nous voyons en effet beaucoup de collectivités qui finissent par abandonner certains projets, ce qui doit nous inquiéter.

Je citerai des exemples sur ma commune. Le premier concerne les injonctions contradictoires. Il nous est ainsi demandé à travers le décret tertiaire de veiller à limiter la consommation énergétique grâce à une meilleure isolation des bâtiments. Dans le même temps, nous sommes confrontés à la question importante de l'accessibilité. Lorsque vous devez procéder à une isolation touchant l'extérieur, vous êtes confrontés à cet enjeu de l'accessibilité. Autre exemple : quand des collectivités souhaitent réduire la consommation dans des écoles ou des bâtiments sportifs, en utilisant l'eau de pluie où l'eau usée du lave-mains après traitement, elles en sont empêchées par les normes.

Troisième exemple pris dans la commune de Villepreux (Yvelines) : celui du poulailler mobile. Nous devons aujourd'hui favoriser les filières courtes, respecter les programmes alimentaires territoriaux, mais le Plan Local d'Urbanisme (PLU) percute le plan de prévention des risques naturels d'inondation (PPRI). Les textes autorisent ainsi la construction d'équipements en dur, mais pas un poulailler qui est considéré comme un équipement éphémère. Le maire de Villepreux finit par trouver une solution, mais on lui demande alors que ce poulailler ne soit pas visible de Versailles. Après trois ans d'efforts, ce poulailler mobile n'est toujours pas installé.

Nous devons aussi lier la question de la simplification avec la question de la judiciarisation. Les élus se protègent et la protection entraîne un phénomène de parapluie. Dans le même temps, il y a la question de la différenciation. Dans l'invitation faite récemment en termes de réforme institutionnelle, le point de vue des collectivités doit être central.

E. « LA SUPERPOSITION DES NORMES CRÉE DES COMPLEXITÉS INCOMPRÉHENSIBLES », MARIE-CLAUDE JARROT, MAIRE DE MONTCEAU-LES-MINES, REPRÉSENTANTE DE L'ASSOCIATION DES MAIRES DE FRANCE

M. Xavier Brivet. - Merci pour vos exemples très concrets. Je donne maintenant la parole à Marie-Claude Jarrot, Maire de Montceau-les-Mines et présidente de l'Association des maires de Saône-et-Loire. Lors de la préparation de votre intervention, vous nous avez dit qu'il fallait trouver un juste milieu entre la jungle, dépourvue de toute règle, et un jardin à la française qui empêcherait toute action des élus locaux.

Mme Marie-Claude Jarrot, maire de Montceau-les-Mines et présidente de l'association des maires de Saône-et-Loire (AMSL). - Bonjour, merci pour cette belle initiative. Je suis très honorée de pouvoir témoigner devant vous.

Il est certain que les normes nuisent à l'attractivité de nos territoires, empêchent que nous puissions travailler sérieusement. Parfois les normes nous démoralisent, nous désespèrent. Vous avez évoqué les élus qui perdent espoir. Il s'agit en effet d'une réalité de territoire, que je constate en tant que présidente des maires de Saône-et-Loire. La superposition des normes crée des tunnels, des complexités incompréhensibles. Les normes créent des interactions avec les autorités déconcentrées, interactions perdant-perdant.

Premier exemple avec la rénovation d'un complexe sportif où il faut appliquer des normes dans les domaines électrique, sanitaire, de la transition écologique et de l'accessibilité handicapé. Ce complexe doit ainsi être accessible partout, alors qu'il ne l'était pas du tout avant. Il a fallu casser toutes les tribunes, mettre obligatoirement deux ascenseurs quand un seul suffisait, ce qui a occasionné un surcoût important. Concernant l'électricité, les normes changent pratiquement tous les trois ans, soit moins que la durée de rénovation d'un grand complexe sportif. Autre contrainte : le confort thermique. Tous ces éléments créent des facteurs multiplicateurs et nuisent à la qualité du projet jusqu'à faire peser une menace sur lui.

L'État, la région, le département additionnent des critères pour être éligibles à la subvention, et nous ne remplissons jamais tous ces critères. Nous avons alors besoin d'une bonne relation avec le sous-préfet ou le préfet pour remplir tous ces critères.

Autre exemple avec une ferme photovoltaïque que j'espère installer sur une friche et un lac minier. Or, le fonds friche n'est pas ouvert à ce projet, car il est seulement destiné à la restauration d'un patrimoine. La norme a oublié ce cas qui n'est pourtant pas un cas rare sur les territoires industriels. Le paradoxe est que si nous avions détruit ce patrimoine, nous serions éligibles au fonds friche. Sur cette même friche, nous allons produire de l'électricité le jour, mais aujourd'hui la loi favorise la position prépondérante d'EDF. Elle ralentit ainsi l'évolution des textes qui doit permettre aux collectivités de revendre de l'électricité pour financer les investissements. Nous avons besoin de simplification pour produire et revendre.

F. « LES CODES SONT AUJOURD'HUI OBÈSES », CLAIRE DEMUNCK, RÉDACTRICE EN CHEF DE L'ACTUALITÉ JURIDIQUE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES (AJCT) (LEFEBVRE-DALLOZ)

M. Xavier Brivet. - Merci pour ces deux exemples très concrets. Claire Demunck, vous êtes juriste, avocate, et rédactrice en chef de l'Actualité juridique des collectivités territoriales (AJCT). Nous aurons grâce à vous l'oeil d'une praticienne du droit. Votre rôle est d'expliquer et de décrypter la réglementation, notamment auprès des élus locaux. Quel regard portez-vous sur ce maquis normatif ?

Mme Claire Demunck, rédactrice en chef de l'Actualité juridique des collectivités territoriales (AJCT). - Merci, Madame la Présidente, pour votre invitation. J'interviens ici à côté des élus pour témoigner à mon tour de l'inflation normative. Ma pratique diffère de celle de mes voisins, puisque mon travail consiste à dépouiller le Journal officiel chaque matin. Les éditions Lefebvre Dalloz proposent un mensuel à destination des juristes de collectivités, l'Actualité juridique des collectivités territoriales, et de nombreux codes que vous connaissez : le Code général des collectivités territoriales, le Code de l'urbanisme, le Code général de la fonction publique. Il est facilement possible de constater visuellement la différence entre le Code de l'urbanisme de 1982 et ses 600 pages, et celui de 2022 avec ses 3 600 pages en papier bible. Même constat entre le Code général des collectivités territoriales de 1996 et celui de 2023. Les codes sont aujourd'hui obèses. Je citerai Victor Hugo : « la forme, c'est le fond qui remonte à la surface ».

Mon exposé sera court et je renvoie au colloque du 14 octobre 2022 sur la simplification normative, organisé par le Conseil d'État et le CNEN, et librement accessible sur le site du Conseil d'État sous la forme de podcasts.

Les normes répondent à des besoins légitimes, à une société qui se complexifie. Nous pouvons parler de l'intelligence artificielle, d'une société qui s'internationalise avec des normes techniquement toujours plus compliquées, mais qui sont simplement le reflet de la société. La complexité n'est pas forcément un mal, contrairement à la complication.

Vous avez parlé de l'urgence, de la loi magique qui répond à une émotion. Nous en parlons en droit pénal, mais nous retrouvons ce réflexe dans d'autres situations. Nous votons une loi en réponse à l'émotion générale sans se poser la question de l'arsenal législatif préexistant. Nous empilons au lieu de réfléchir et, lorsque nous rédigeons dans l'urgence, nous rédigeons mal.

Le Conseil d'État a relevé dans son étude annuelle, en 2016, qu'il y avait eu 130 textes de simplification adoptés en dix ans. S'ils avaient été efficaces, nous ne serions pas réunis aujourd'hui. Je donnerai comme exemple de simplification contre-productive la règle du « silence vaut acceptation » qui a abouti à quelque chose de kafkaïen en raison de la liste d'exclusions et de sa mise en oeuvre.

M. David Lisnard. - Je souscris à cette remarque. Il s'agissait pourtant d'un très beau travail de Thierry Mandon, mais le nombre de dérogations est de 3 000. Pour savoir s'il fallait répondre ou pas, il fallait recruter quelqu'un dans ma commune. Nous avons donc décidé de répondre à tout le monde, ce que nous faisions déjà avant. Il s'agit en effet d'un excellent exemple de l'absurdité ubuesque de ces normes.

Mme Claire Demunck. - Le gouvernement avait envisagé à l'époque de créer un logiciel, une application sur laquelle les citoyens pouvaient poser leurs questions : cela a été abandonné au bout de six mois car il était impossible de dresser une liste.

Je n'ai pas le temps de parler du droit européen, pourtant il mériterait que l'on s'y attarde.

M. Xavier Brivet. - Vous considérez en effet que l'on surtranspose.

Mme Claire Demunck. - Nous sur-transposons en effet pour adapter la norme à des exigences, des nécessités nationales, mais cela participe à la surrèglementation, le comble étant quand on adopte des lois pour lutter contre la sur-transposition.

Autre exemple : le Code général de la fonction publique, avec un travail de codification mené de manière excellente. L'objectif poursuivi était très honorable, mais avec son entrée en vigueur il y a un an, nous percevons des petites subtilités pratiques comme pour la journée du 1er mai. En effet, le CGFP renvoie dorénavant au Code du travail pour rémunérer les agents publics travaillant ce jour.

Je citerai également l'exemple des 177 articles de la loi ALUR, des 234 de la loi Élan, et des 271 de la loi 3DS, sans parler des décrets d'application.

Nous devons également parler de l'instabilité de la norme : avant même son entrée en vigueur, le Code de la commande publique s'est vu modifié par de nouveaux textes. Nous passons ainsi beaucoup de temps à courir après une norme qui devrait être relativement stable.

Le risque est aujourd'hui celui d'une norme peu intelligible, difficilement accessible, avec des textes qui procèdent par renvoi et à l'accès très compliqué pour ceux qui ne sont pas experts. En tant que juriste, je redoute fortement d'ouvrir le Code des impôts. Aujourd'hui, le droit est très complexe.

Je conclus avec un exemple qui peut paraître caricatural mais qui est très parlant. Il s'agit d'un arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Douai, ou une secrétaire de mairie avait falsifié la signature du maire sur des documents afin d'obtenir le versement d'heures supplémentaires qu'elle n'avait pas réalisées. Pour contester la sanction qui lui était infligée, elle arguait de son faible niveau de qualification. Nous sommes bien sûr en face d'une fraude, mais cette personne a quand même estimé qu'elle n'était pas assez formée, qu'elle ne connaissait pas la loi. Il faut l'entendre dans la pratique quotidienne. Nul n'est censé ignorer la loi, mais elle est parfois très difficile à connaître, et encore plus à maîtriser.

G. ÉCHANGES ET DÉBATS AVEC LE PUBLIC

M. Xavier Brivet. - Merci pour votre intervention. Nous avons maintenant 5 à 10 minutes de débat avec des personnes qui souhaiteraient intervenir dans la salle.

M. Laurent Vastel, maire de Fontenay aux Roses (92). - Nous avons beaucoup parlé de l'impact financier, mais moins de l'impact sur la temporalité des projets. Aujourd'hui, le temps entre la décision politique et le début de la réalisation des travaux devient très important, avec le phénomène d'oubli, le phénomène d'exploitation par des gens qui ne seraient pas favorables au projet, avec d'éventuels recours. Il devient difficile de réaliser certains projets dans la limite d'un mandat, ce qui constitue une vraie problématique. Nous assistons à une forme de stérilisation de certains projets que nous savons ne pas pouvoir réaliser dans les délais impartis.

M. Xavier Brivet. - Merci pour ce témoignage. L'une des manières d'accélérer et de concilier ce temps législatif réglementaire et ce temps politique est peut-être la capacité d'adapter l'application de la norme, ce qui n'a pas été évoqué dans les témoignages entendus ce matin. Êtes-vous parvenu avec le préfet, l'architecte des bâtiments de France, la DREAL, à adapter la norme, la règle, aux spécificités de votre territoire ?

Marie-Claude Jarrot. - Cela dépend de la personnalité du préfet avec lequel nous travaillons, et de sa volonté de nous accompagner. Néanmoins, malgré une bonne volonté, il peut être difficile de démarrer les projets ou de faire en sorte que les projets soient suivis. Par exemple, il est impossible de bénéficier d'un entretien régulier des perrés, en raison des superpositions de conventions, où chacun se rejette la responsabilité. Le préfet peut intervenir pour donner son autorisation, tout en ayant conscience que toutes les procédures n'ont pas été respectées. Il faut donc avoir un préfet conciliant.

M. David Lisnard. - Notre réflexion doit aussi concerner la déconcentration des services de l'État. C'est fondamental car, aujourd'hui, le préfet ne peut pas être le juge de paix qu'il devrait être. Une norme n'a pas à être adaptée au terrain, si elle doit être modifiée, c'est qu'elle pose un problème. Nous pourrions envisager une instance d'arbitrage qui serait le préfet. Mais le préfet n'a pas autorité sur la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), et encore moins sur la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Nous le voyons avec des bassins d'ouvrages de protection des populations, soutenus par les préfets, les sous-préfets, mais refusés par la DREAL.

M. Xavier Brivet. - C'est sans doute pour cela que vous demandez au nom de l'AMF le transfert d'un pouvoir réglementaire à l'échelon local.

M. David Lisnard. - Il faudrait en effet revenir à de grandes dispositions et de grandes lois qui fixent des objectifs, avec des évaluations, des clauses de rendez-vous. La loi serait la même pour tout le monde, et sa mise en oeuvre dépendrait d'un pouvoir réglementaire qui serait transféré aux collectivités selon le type de loi et l'objectif. Cela changerait tout. Lorsque nous ne sommes pas dans l'exigence du praticien, nous ne pouvons produire que des textes déconnectés de la réalité des objectifs, comme un médecin qui ne voit jamais un malade.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci pour cette intervention qui montre la complexité des choses. Si nous identifions clairement les symptômes, nous connaissons un peu les remèdes, multiples. Ce que nous proposons aujourd'hui doit aller de pair avec une évaluation systémique de ce qu'il faut mettre en oeuvre. Nous devons élaborer des lois qui permettent des adaptations dans l'unité de la République, et non des lois qui interdisent ou obligent. Des collègues de cette délégation ont produit un remarquable travail, « A la recherche de l'État dans les territoires ». Nous avons en effet une vraie difficulté, un déficit de l'accompagnement de l'État pour aider les collectivités à mettre en oeuvre les projets. Nous pouvons ainsi évoquer le ZAN, pour lequel une grande pression s'exerce sur les maires, alors que les préfets et les sous-préfets devraient être proactifs pour venir expliquer la loi aux élus et les accompagner dans sa réalisation.

Nous avons besoin de préfets avec de l'autorité, qui incarnent avec force l'État.

M. Sacha Hewak, maire de Sézanne (51). - Je partage les propos entendus jusqu'à présent. Je regrette de constater le manque de bon sens dans la loi. J'ai ainsi souhaité mettre en place dans mon territoire une navette intramuros pour désenclaver certains quartiers et une autre extramuros pour que les villages environnants puissent accéder au centre-bourg. Dans le cadre de la loi NOTRe, l'intercommunalité a récupéré la compétence, mais ne souhaite pas financer les projets des communes. J'ai sollicité l'intercommunalité en demandant de quelle manière la ville de Sézanne pouvait financer intégralement son projet sans demander un euro à l'intercommunalité. Nous avons alors rencontré un vide juridique qui nous a empêchés d'agir.

Autre exemple avec des bâtiments en péril que la mairie s'engageait à racheter, à réhabiliter. J'ai interpellé à ce sujet le ministère pour savoir comment une commune pouvait récupérer un immeuble en péril sans projet derrière. J'attends toujours la réponse.

Nous multiplions la norme, les règles, mais lorsque nous cherchons des solutions pour des cas concrets, nous ne bénéficions pas de réponses.

Mme Annelaure Filippi, directrice générale des services, Grossetto-Prugna (2A). - Je suis DGS d'une commune périurbaine et néanmoins rurale au sud d'Ajaccio, et je représente aujourd'hui son maire. Je vois dans la superposition des normes la même superposition d'enrobage que nous trouvons sur nos voiries : nous superposons jusqu'à ce que l'ouvrage casse. Notre Parlement se trouve un peu dans cette situation. Je regrette que l'instance de dialogue créée par le Sénat ait été retoquée par l'Assemblée nationale. J'ai noté dans le rapport beaucoup de choses sur la formation des hauts fonctionnaires, ce qui est positif, mais je pense que nous nous éloignons des réalités du terrain. Je rejoins sur ce point Monsieur Lisnard. Nous devons intégrer les élus locaux dans les instances comme le CNEN, mais aussi les fonctionnaires territoriaux.

Mme Esther Bailleul, consultante pour les collectivités. - Je souhaiterais vous faire part d'un exemple qui illustre l'importance des services déconcentrés. La DDTM des Landes s'est ainsi dotée de deux juristes chargés d'accompagner les communes et les collectivités sur les projets de développement photovoltaïque. Plusieurs projets ont été soumis au guichet unique, qui ont permis d'obtenir des dérogations à la continuation de l'urbanisme prévue dans la loi littorale, ce qui a permis le développement de projets sur des sites dégradés. Le guichet unique a permis d'améliorer les projets en faisant en sorte qu'ils soient réversibles. Il s'agit donc d'un exemple de services déconcentrés proposant une démarche volontariste, pour amener de nouveaux projets locaux au succès.

M. Pierre Grosjean, Maire de Baugy (18). - Il est formidable de participer à une telle réunion pour quelqu'un comme moi, convaincu de la nécessité de simplifier. Néanmoins, je souhaite apporter mon témoignage concernant les relations avec les préfets. Ces derniers se rendent sur le terrain, tout comme l'architecte des bâtiments de France, mais dans leur bureau, ils ne tiennent compte que des textes, entravés par l'inertie administrative. J'ai comme exemple une architecte des bâtiments de France qui a constaté la dangerosité d'une cheminée à Bourges, sur laquelle des travaux ont été mal effectués, et qui a fini par conclure dans son bureau qu'il fallait la rétablir à l'identique.

Souhaiter que les préfets fassent preuve de bonne volonté ne suffit pas : il faut aussi parvenir à convaincre une administration rigide, qui a la charge de l'application de ces normes.

III. QUELLES SOLUTIONS METTRE EN oeUVRE POUR REMÉDIER AUX DÉFAUTS ACTUELS DE LA FABRIQUE DE LA NORME ? (2NDE TABLE-RONDE)

A. LES PROSITIONS DE LA DÉLÉGATION AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES POUR LUTTER CONTRE L'ADDICTION AUX NORMES IMPOSÉES AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, FRANÇOISE GATEL, PRÉSIDENTE DE LA DÉLÉGATION AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

M. Xavier Brivet. - Merci, Monsieur le maire, vous plaidez donc pour une thérapie de choc. Madame Gatel, nous entamons la deuxième table ronde sur cette thérapie de choc que le Sénat préconise à travers les propositions formulées dans le rapport que vous avez présenté avec Monsieur Pointereau fin janvier. Quelles sont les lignes de force et les principales propositions de ce rapport ?

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je souhaiterais dire à Madame Filippi qu'elle a tout à fait raison. Nous devons les uns et les autres nous cultiver à la sobriété de la norme, et nous devons l'apprendre dans nos écoles à nos fonctionnaires.

Si le texte de la loi 3DS vous semble plein d'ampleur, c'est parce que nous nous sommes trouvés face à un texte du gouvernement qui frôlait l'inconsistance, et que nous avions beaucoup de propositions pour libérer les choses. Je ne plaide pas coupable, mais j'assume ce travail que nous aurions souhaité pousser jusqu'à la lettre E, qui était celle de l'efficacité.

Pour revenir à notre sujet, je vous ferai part d'un article du Canard enchaîné évoquant la démission de centaines de maires depuis 2020, démission liée notamment au poids des normes.

Nous avons diagnostiqué les problèmes et identifié des solutions. Avec Rémy Pointereau, nous avons proposé, non pas de renoncer aux stocks, mais d'essayer d'empêcher l'accident industriel qui freine les maires dans leur action. Avant, nous regardions ce qui était interdit. Aujourd'hui, nous regardons ce qui est empêché. La fragilité de l'engagement et le nombre de démissions inédit traduisent l'épuisement des élus face à cette complexité, qui est aussi complication.

Nous avons donc réfléchi à la manière de fabriquer une loi plus pertinente, moins débordante d'aberrations, qui évite les croisements de normes contradictoires, plutôt que de nous épuiser à simplifier a posteriori des normes déjà produites et à produire des lois de guérison.

Nous préconisons donc des solutions simples, sans surenchère de normes, et sans invention de dispositions législatives nouvelles. Il faut donner au Parlement plus de visibilité sur les textes envisagés par le Gouvernement dans le domaine des collectivités locales. Les textes qui nous arrivent par surprise, qui n'ont pas été concertés en amont avec les associations d'élus ou le Parlement, connaissent des issues malheureuses. Nous suggérons qu'à chaque début de session, le Gouvernement présente au Sénat un rapport d'orientation, dévoilant les principaux projets de normes qui vont impacter les collectivités. Nous proposons la tenue d'un débat au Sénat, en séance publique, pour que le Gouvernement puisse mesurer l'accueil de ses projets.

La deuxième piste porte sur les études d'impact. Elles existent dans la loi et le CNEN a été créé pour mesurer ces impacts pour les collectivités. Or, nous possédons des outils que nous n'utilisons pas. Les études d'impact présentées au CNEN sont souvent succinctes, sans élément financier. Elles sont produites par les services du ministère qui prône la loi, donc la neutralité et l'objectivité ne sont pas toujours garanties. Nous demandons donc la production d'une étude d'option: l'État doit démontrer la nécessité de produire une nouvelle norme et une nouvelle loi. Cette exigence existe, mais elle est rarement satisfaite en pratique.

Nous proposons que les études d'impact fassent l'objet d'une certification quant à leur sincérité, leur objectif et leur complétude. Nous ne préconisons pas le recours à des cabinets extérieurs : le CNEN bénéficie des compétences et des capacités nécessaires, s'il dispose des moyens suffisants.

Par ailleurs, comment imposer de Paris la solution parfaite pour résoudre la problématique de l'efficacité de l'action publique ? Je prendrai l'exemple de la loi NOTRe. Il nous a été expliqué que l'efficacité de l'intercommunalité était possible à partir de 5 000 habitants, puis cinq ans après à partir de 20 000 habitants, puis ensuite 15 000, avant d'établir une série d'exceptions. Nous proposons donc l'expérimentation et l'instauration d'une clause Sunset Law, ou clause « guillotine » : une loi ou une norme est adoptée pour une durée de quatre ou cinq ans. Après ce délai, la disposition tombe si elle n'a pas été confirmée ou réévaluée. Cela permet de garantir que la fabrique de la loi sera rigoureuse et de qualité.

Nous pensons également que le CNEN doit être entendu plus régulièrement à la délégation et dans les commissions concernées. Nous souhaitons qu'en cas d'avis négatif du CNEN, une révision de la proposition du Gouvernement soit obligatoire, et que se tienne une deuxième délibération. Le CNEN a ainsi émis un avis négatif sur les décrets d'application du ZAN, mais sans effet.

Nous proposons enfin de créer au Sénat une fonction de veille et d'alerte au service des commissions permanentes afin de mieux les éclairer sur l'incidence des projets de textes sur les collectivités territoriales.

Je laisse maintenant la place à nos éminents intervenants.

B. « LA SIMPLIFICATION DES NORMES NE DÉPEND QUE DE NOUS », ALAIN LAMBERT, PRÉSIDENT DU CONSEIL NATIONAL D'ÉVALUATION DES NORMES (CNEN) - DIFFUSION D'UNE ALLOCUTION VIDÉO

Bonjour à tous. Je suis sincèrement désolé de ne pouvoir être parmi vous, mais bravo au Sénat, bravo au président Gérard Larcher d'avoir organisé ces États généraux. La simplification est un objectif partagé par tous, et pourtant elle nous apparaît inaccessible. Et pourtant, elle ne dépend que de nous. Nous avons tendance à en faire porter la responsabilité sur les autres, alors que chacun d'entre nous y contribue plus ou moins. C'est la faute des gouvernements, certes, mais le droit s'appliquant aux collectivités territoriales est presque intégralement du domaine de la loi et personne ne force le Parlement à l'adopter dans ses excès. C'est la faute des technocrates, certes, mais sauf erreur ils agissent bien sous l'autorité de ministres, lesquels pourraient les soumettre aux réalités du terrain. C'est la faute des amendements parlementaires, certes, mais pourquoi personne n'invoque l'irrecevabilité qui serait opposable dans la majorité des cas ? Est-ce la faute des collectivités territoriales qui parfois réclament elles-mêmes des textes pour se couvrir ?

Nous voyons bien que notre addiction à la norme et à la complexité est partiellement aussi notre responsabilité. Voilà pourquoi cette rencontre aujourd'hui est utile. Elle doit être l'occasion d'un échange direct, concret, franc et sincère entre nous, pour examiner le plus concrètement possible, chacun à notre place, ce que nous pouvons faire pour briser ce fléau de la complexité en cessant de le croire fatal. Il ne dépend que de nous de le conjurer, et je ne doute pas que vous saurez adopter des mesures fortes pour faire percer le rayon de soleil dont l'action publique a besoin. Ce rayon de soleil s'appelle la simplification.

C. « LA PERTE DE QUALITÉ DU DROIT EST ASSOCIÉE À UN FOISONNEMENT DES NORMES », ARNAUD BAZIN, SÉNATEUR DU VAL-D'OISE, MEMBRE DU CONSEIL NATIONAL D'ÉVALUATION DES NORMES (CNEN)

M. Xavier Brivet. - Le Sénat a fait des propositions pour que nous allions vers la simplification. Je vais demander à Arnaud Bazin, sénateur du Val d'Oise, membre du CNEN, de réagir aux premières propositions rappelées par Madame Gatel, qui prône un renforcement des moyens du CNEN. Peut-être y ajouterez-vous d'autres propositions au nom du CNEN, qui vient de rendre son rapport d'activité 2019-2022 ?

M. Arnaud Bazin, sénateur du Val-d'Oise, membre du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN). - Nous allons présenter rapidement quelques éléments de diagnostic. Le président Lambert vient de s'exprimer, mais il n'a pas eu le temps de déplorer la perte de qualité du droit. Cette perte de qualité est associée à un foisonnement des normes, dont nous avons eu plusieurs exemples tout à l'heure.

Le nombre de lois promulguées a subi une augmentation de 161 % en 20 ans. L'augmentation est de 758 % pour les ordonnances. Foisonnement, perte de qualité, d'où complexité. Les charges représentent 2,5 milliards d'euros en 2022, contre moins de 800 millions en 2019.

Dernier symptôme : les procédures exceptionnelles représentent 23 % d'urgence et d'extrême urgence sur les textes examinés en 2022, contre 8 % en 2019. Que signifient ces procédures d'urgence et d'extrême urgence ? Cela veut dire que moi, membre du CNEN, reçois un message l'après-midi stipulant que si je n'ai pas réagi avant le lendemain midi, la proposition sera considérée comme entérinée. Cela n'est pas toujours facile à mettre en oeuvre. Ces procédures d'urgence et d'extrême d'urgence qui foisonnent sont insupportables et sont incompatibles avec notre mission.

Concernant les propositions du Sénat évoquées par Françoise Gatel, nous estimons qu'il est aujourd'hui important de se concentrer sur le flux. Nous avons comme mission au CNEN de traiter le stock, mais nous ne le pouvons pas. Il faut donc travailler en priorité sur la question du flux de texte, pour les rendre plus compatibles avec l'efficacité.

Notre équivalent allemand, mieux doté que nous, bénéficie de la possibilité d'entendre les gouvernements sur le contenu de la loi, avant même la transmission de textes normatifs. L'idée de réaliser un débat avec le Parlement est donc tout à fait pertinente. Nous devons être au contact de la réalité avant même la conception de la loi.

La question des études d'impact est tout à fait cruciale. Dans la moitié des cas des études d'impact transmise au CNEN, la fiche financière était insuffisamment renseignée, et ne permettait pas de bénéficier d'une appréhension des conséquences financières. Ces études d'impact doivent absolument progresser en qualité.

Il nous faut par ailleurs pouvoir bénéficier de vérifications, d'évaluations postérieures. Il serait utile que le CNEN puisse travailler avec l'INSEE, qui possède tous les moyens nécessaires.

Nous suivons également la question des études d'options. Il nous est indispensable de bénéficier de l'évaluation de la production, si la norme est adoptée, et des conséquences, si elle n'est pas adoptée. Nous devons également avoir connaissance des autres possibilités avant de décider.

Nous devons restaurer un lien de confiance entre l'État, le Gouvernement et le Parlement qui produisent la norme d'un côté, et les collectivités de l'autre. Dans le cas contraire, nous serons en permanence dans les situations décrites précédemment. Le CNEN peut-être l'un des lieux où restaurer cette confiance.

Xavier Brivet. - Nous constatons à ce stade une convergence entre les propositions du Sénat et du CNEN : la feuille de route que le gouvernement pourrait présenter au Parlement sur ces textes impactant les collectivités locales, le renforcement des études d'impact en amont et en aval, la création de cette option qui consisterait à vérifier si une norme est vraiment justifiée, et si elle l'est, à renforcer son instruction et sa certification par le CNEN. Nous pourrions aussi ajouter deux propositions. La première verrait le Gouvernement établir un collectif budgétaire dans la foulée d'un texte impactant les collectivités locales. La deuxième serait le renforcement du rôle pédagogique, avec la création d'une instance autour du préfet, associant les élus, et qui se pencherait sur l'interprétation divergente d'une norme, le rôle du préfet étant de présenter la position de l'État. Il faudrait pour cela que les préfets s'engagent et ne craignent pas trop les contentieux.

D. « DES NORMES TROP NOMBREUSES ET QUI CHANGENT TROP FRÉQUEMMENT », OLIVIER RENAUDIE, PROFESSEUR DE DROIT PUBLIC À LA SORBONNE

Xavier Brivet. - Je laisse maintenant la parole à Olivier Renaudie, professeur de droit public à la Sorbonne. Vous allez nous livrer votre appréciation des propositions du Sénat et du CNEN.

M. Olivier Renaudie, professeur à l'École de droit de la Sorbonne. - Merci, Madame la Présidente, pour votre invitation.

Première observation : cette question de la simplification des normes est ancienne. En 1977, le doyen René Savatier pouvait écrire un article intitulé « L'Inflation législative et l'indigestion du corps social ». Il a été largement question de cette indigestion dans les propos et exemples des élus locaux.

Je partage la perception des élus locaux à propos des normes les concernant. Nous avons deux types de problèmes : d'un côté des normes trop nombreuses et qui changent trop fréquemment, ce qui provoque l'insécurité juridique. De l'autre des normes trop volumineuses, trop touffues, ce qui suscite la complexité. Le législateur semble avoir de la peine à écrire simplement et à ne pas sortir de multiples exceptions, ce qui provoque l'exaspération de la population, et le bonheur des consultants en droit.

La délégation aux collectivités a raison de se pencher sur ce sujet aujourd'hui, car elle devra faire face à un défi majeur : comment développer la différenciation territoriale qu'elle appelle de ses voeux sans que cela conduise à la complexification du droit applicable aux collectivités ? Comment simplifier les normes appliquées aux collectivités ? C'est à cette question d'ampleur que s'attache le rapport qui nous intéresse aujourd'hui.

J'ai avec ce rapport beaucoup de points d'accord et une interrogation. Je suis en accord avec les principales propositions.

La première consiste à donner plus de visibilité sur les textes envisagés par le Gouvernement dans le domaine des collectivités. Cette proposition est de bon sens et ne nécessite pas de normes juridiques pour la mettre en oeuvre. Mais nous nous exposons peut-être à une difficulté : qu'est-ce qu'une norme en rapport avec les collectivités ? Il existe des textes qui concernent très directement les collectivités mais, aujourd'hui, chaque norme comporte des dispositions qui concernent des collectivités. Le champ de cette proposition pouvant varier, son intérêt peut aussi être questionné.

La seconde proposition concerne l'évaluation des normes. Le rapport a parfaitement raison de faire de l'évaluation un outil pour lutter contre la complexité des normes applicables aux collectivités. Aujourd'hui, l'évaluation présente deux défauts majeurs : d'un côté, les études d'impact sont de qualité inégale et, de l'autre, les évaluations ex post sont délaissées. Nous devons aujourd'hui faire le constat que les études d'impact sont des exposés des motifs consolidés et déguisés. Nous ne pouvons que souscrire à la proposition qui consiste à recommander au gouvernement d'élaborer une étude d'options. Mais la question n'est-elle pas de savoir qui tient la plume ? Comment demander à celui qui est convaincu de la nécessité d'un texte, au point de formaliser un projet de loi sur le sujet, d'étudier sérieusement les autres options possibles, y compris l'absence d'action et de textes ?

Concernant l'évaluation ex post, il y a sur ce sujet un problème culturel en France : en raison de notre légicentrisme, nous sommes persuadés qu'une fois votée, la loi est parée de toutes les vertus. Il convient donc de développer les expérimentations, les clauses expérimentales, les clauses de revoyure qui permettent de faire le point quelques années après. Je vous suggère donc de ne pas hésiter à solliciter les universitaires, les laboratoires de recherche, beaucoup moins onéreux que les cabinets de conseil. Nous avons de l'expertise en économie, en finance, en droit : n'hésitez pas nous solliciter pour procéder à ces expérimentations.

Au-delà des nombreux points d'accord, il existe une petite incompréhension sur ce rapport. Il y est brossé le portrait chinois de l'organisme ou de l'institution qui pourrait oeuvrer à la simplification des normes applicables aux collectivités. Cet organisme doit être indépendant, connaisseur des collectivités territoriales. Il doit être familier de l'écriture des normes, être compétent en matière d'évaluation des politiques publiques, disposer de moyens financiers, matériels et humains. Cet organisme, de mon point de vue, n'est pas le CNEN, aussi remarquable que soit son travail. Cet organisme est le Sénat, qui doit être l'acteur majeur de la simplification, qui doit prendre la main à moyen constant et organisation constante, ou sous la forme de la création d'un office parlementaire.

M. Xavier Brivet. - Il se trouve que le Sénat signera tout à l'heure la charte d'engagement avec le gouvernement. Il est donc bien chef de file sur ce sujet.

E. « NOUS SOMMES CONSCIENTS DE CETTE INFLATION NORMATIVE, QUI PRÉSENTE DES RISQUES POUR LA COHÉSION DE LA SOCIÉTÉ», PATRICK GÉRARD, PRÉSIDENT ADJOINT DE LA SECTION DE L'ADMINISTRATION DU CONSEIL D'ÉTAT

M. Xavier Brivet. - Dernière intervention de la matinée avec Patrick Gérard, président adjoint de la section de l'administration du Conseil d'État. Vous allez revenir sur cette fonction consultative du Conseil d'État que nous connaissons peu. Vous aviez par ailleurs réalisé, en 2016, une étude annuelle qui portait sur la simplification, dans laquelle vous formuliez des propositions que nous croiserons avec celle énoncées par Madame Gatel.

M. Patrick Gérard, président adjoint de la section de l'administration du Conseil d'État. - Je remercie la Présidente Françoise Gatel et le Vice-Président Rémy Pointereau d'avoir invité le Conseil d'État pour cette session.

Nous sommes évidemment conscients de cette inflation normative, qui est terrible et qui présente des risques pour la cohésion de la société. Si la loi n'est plus compréhensible, comment demander à des citoyens d'adhérer à quelque chose ? Nous sommes conscients de ses inconvénients pour la compétitivité de du pays : il est difficile de venir investir quand les normes sont très complexes. Nous sommes également conscients de cette complexité pour les élus locaux, dont certains sont las d'être confrontés à des injonctions contradictoires. Plusieurs membres du Conseil d'État sont des élus locaux et donc sensibles à tous ces sujets.

Je rappelle que la norme est la traduction d'une politique publique. Lors d'une élection présidentielle, chacun des candidats dispose d'une liste de promesses qui vont toutes se traduire par des normes. Il n'est pas concevable de voir un candidat élu sur un programme qui n'annoncerait aucune action. Il y aura donc toujours des normes, mais il faut éviter l'addiction.

Le rôle du Conseil d'État, qui examine environ mille textes par an, est d'abord de veiller à la rédaction : choix des mots, clarté, plan des textes, respect des règles supérieures de la Constitution. Il doit aussi se prononcer sur l'opportunité administrative. Nous sommes donc extrêmement sensibles aux études d'impact et il est fréquent que le Conseil d'État demande au Gouvernement d'améliorer ces études. Nous sommes aussi très sensibles aux avis du CNEN et nous essayons de tenir compte de ses avis réservés ou négatifs.

Nos propositions de 2016 rejoignent-elles celles du CNEN et du Sénat ? Oui, en grande partie. Les textes doivent en effet mieux être évalués, mais pas seulement les projets de loi. Ni les amendements du Gouvernement, ni les amendements parlementaires ne connaissent d'études d'impact et il faudrait y réfléchir.

Nous devons également mieux répartir les compétences entre les collectivités territoriales et l'État.

Nous devons également aborder la question de l'option zéro : que se passerait-il si nous ne faisions rien ? Faut-il toujours une loi ? Faut-il, par exemple, une loi supplémentaire pour les excès de vitesse sur la route ou simplement plus de radars ? Nous avons toujours cette culture de la norme, mais heureusement nous ne sommes pas un pays fédéral où se mêlent norme locale, norme de l'État et norme fédérale.

L'option du moratoire ou de la clause « guillotine » nous paraissent des idées intéressantes que nous avions nous-mêmes énoncées.

Concernant l'évaluation a posteriori, nous pourrions envisager une revue générale de la révision des normes, comme cela a été fait pour les dépenses budgétaires des politiques publiques.

Le Conseil d'État reste très attaché à ce sujet. Nous publierons notre rapport annuel en septembre 2023, qui s'appellera « Les Politiques publiques jusqu'au dernier kilomètre ». Nous réfléchissons donc de manière approfondie, notamment avec les élus locaux et le CNEN, aux solutions pour améliorer la situation.

F. ÉCHANGES ET DÉBATS AVEC LE PUBLIC

M. Xavier Brivet. - Merci beaucoup. Je souhaiterais interroger David Lisnard et recueillir ses sentiments sur les propositions formulées par Madame Gatel, et les propositions complémentaires et réactions des différents interlocuteurs.

M. David Lisnard. - Je pense que ces propositions vont dans le bon sens, et tout ce qui vient d'être évoqué est très juste. L'action publique ne consiste pas seulement en la définition d'un cadre, mais aussi en l'exécution des politiques publiques. Aujourd'hui, l'exécutif s'occupe moins d'exécuter que de légiférer. Comme exposé dans le « Conseil des Rats », fameuse fable de La Fontaine : « est-il besoin de délibérer, la Cour en conseillers foisonne ; faut-il exécuter, on ne rencontre plus personne ».

Que le Sénat, qui est la grande Chambre des communes de France, nettoie tout, cela me va très bien.

M. Xavier Brivet. - Je propose de laisser la parole aux personnes dans la salle.

Mme Françoise Rouaix, conseillère municipale de Bougival (78). - Bonjour, je suis élue au conseil municipal de Bougival, mais aussi médiateur devant les juridictions administratives. C'est au nom de cette dernière fonction que je souhaite dire quelques mots.

Depuis une loi de 2016, le Code de justice administrative incite à développer la médiation, notamment devant les juridictions administratives. Il est difficile de mettre en place ces médiations quand nous sommes désignés par un tribunal ou une cour d'appel. Comme la réglementation est très complexe, nous ne savons pas toujours qui faire venir en médiation du côté de l'administration : représentant du ministère, d'une région, d'un département, maire ? Nous sommes heureux quand nous parvenons à faire venir les différents interlocuteurs devant le médiateur.

Je tiens à souligner le rôle important joué par les maires quand ils viennent dans les médiations. Le maire à ce moment-là fait souvent face à un ou plusieurs administrés, et peut mener une démarche pédagogique face à ceux qui n'ont pas toujours compris les réglementations qui s'appliquent. Je pense que ces situations sont très positives, car elles permettent de résoudre beaucoup de problèmes. Nous ne simplifions pas la loi, nous n'éludons pas les normes, mais cette démarche de communication et d'écoute est très importante.

M. Xavier Brivet. - Et vous participez, à votre niveau, à la compréhension et à l'appréhension par les élus locaux du droit ?

Mme Françoise Rouaix. - Oui, en effet. Je fais partie, dans ma commune, de la commission Urbanisme.

Mme Marie-Claude Jarrot. - Il s'agit d'une bonne proposition, mais cela prend aux maires beaucoup de temps. Il faut préparer le dossier, se l'approprier, puis conduire la médiation avec le médiateur, alors que nous sommes par ailleurs extrêmement sollicités sur de nombreux sujets. J'ai donc une réserve quant au temps que nous devons passer sur ce problème.

Mme Françoise Rouaix. - Effectivement, cela prend du temps, mais j'ai toujours rencontré beaucoup de bonnes volontés de la part des élus.

Mme Marie-Claude Jarrot. - Je n'en doute pas, mais cela est extrêmement chronophage pour nous.

M. Xavier Brivet. - Nous touchons là à la compréhension et à l'appréhension du droit. Dans vos propositions, vous suggérez, Madame Gatel, de renforcer à la fois la formation à la simplification des fonctionnaires de l'administration centrale, mais aussi le rôle du préfet et du sous-préfet. N'y a-t-il donc plus aucune action pédagogique de la part du préfet et des services déconcentrés pour expliquer la norme aux élus ?

Mme Françoise Gatel, présidente. - Avant de répondre, je salue la confiance du professeur Renaudie dans le Sénat. Je partage votre attente d'une l'exigence de la part des sénateurs. C'est pourquoi nous avons évoqué une fonction de veille et d'alerte, en amont de tous les textes, qui soit poreuse. Il existe en effet des textes consacrés aux collectivités territoriales, mais dans un texte non spécifique comme Climat et Résilience, vous êtes confrontés à un accident industriel terrible avec le ZAN, à des normes sur l'alimentation, etc., qui vont se retrouver dans l'action des collectivités locales.

Concernant le ZAN, le Sénat a été accusé d'être anti-climatique. La vérité est que nous pensons que l'objectif de sobriété foncière pour préserver notre agriculture est absolument nécessaire. Mais pour arriver à cet objectif, il faut démonter la mécanique et réaliser la norme après.

Nous défendons le pouvoir de dérogation aux normes reconnu au préfet. Une norme est décidée, puis des événements arrivent, qui obligent à une appréciation particulière. Nous souhaitons donc laisser au préfet la capacité d'apprécier un moment pour adapter. Ainsi, dans la loi 3DS, nous avons voulu porter le contrat de mixité sociale. Par exemple, la maire du Croisic dispose de 8 000 m² de terrain qui ne lui appartiennent pas pour construire, et elle a l'obligation de faire des logements sociaux. La loi ZAN aujourd'hui ne lui permet pas de bénéficier d'une solution, mais la loi SRU s'applique. Elle continue donc à payer des amendes alors qu'une autre loi l'empêche d'agir.

La loi ne peut pas tout porter, mais nous vivons dans un pays et une démocratie où il faut des règles, et la vie nous dépasse et va plus vite que nous. Je pense que la clause « guillotine » pourrait nous faire suffisamment peur pour nous obliger à plus de vertus.

M. Xavier Brivet. - Rappelons que la clause « guillotine » consisterait, après une évaluation d'une norme à moyen terme, à supprimer cette norme si elle se révélait inefficace.

Mme Françoise Gatel, présidente. - C'est pire que cela. La loi préciserait qu'elle est adoptée pour une durée de vie de cinq ou six ans. Les Anglais parlent de Sunset Law et le coucher de soleil se déroule tous les jours. Nous sommes beaucoup plus raisonnables, mais il ne faut pas se priver d'éléments qui relèvent de la chirurgie quand l'homéopathie ne suffit pas.

M. Xavier Brivet. - Merci, Madame Gatel.

Une étudiante en master de droit et de gestion publique à Dauphine et l'INSP. - Je tenais à vous remercier pour vos interventions très instructives. Mesdames et Messieurs les maires ont commencé leurs interventions en mettant l'accent sur la lenteur produite par la complexification de la norme. Ma question porte sur la recommandation numéro deux, sur les études d'impact et les études d'options. N'avez-vous pas peur que toute la procédure proposée dans cette recommandation ralentisse le temps législatif, alors que ce dernier est déjà jugé trop lent par les citoyens ?

Mme Françoise Gatel, présidente. - Être lent et inefficace constitue un double péché. Prendre du temps et réfléchir pour être sûrs d'être efficaces peut nous être pardonné par nos concitoyens.

M. David Lisnard. - Il s'agit d'une très bonne question. C'est dans le temps de gestation de la norme qu'il faut faire les études d'impact et il faut gagner du temps dans l'application de la norme. Voilà comment réunir les deux problématiques.

Une doctorante en droit public comparé à la Sorbonne. - Je fais une thèse en légistique, soit tout ce qui touche à la qualité du droit en France et en Allemagne. J'ai beaucoup écrit sur le NKR, vrai-faux homologue du CNEN français, car ils n'ont en réalité pas les mêmes champs de compétences, ne serait-ce qu'en raison de la forme de l'État qui est différente. Par ailleurs, le CNEN travaille exclusivement, en France, sur les normes qui ont un impact sur les collectivités territoriales.

J'ai l'impression que nous fantasmons la pratique allemande, même si l'évocation des éléments de droit comparé est à saluer. Il est indispensable que des organismes comme le CNEN existent. Je pense que la première chose dont nous pourrions nous inspirer dans les pratiques allemandes est la coopération interinstitutionnelle. Au début de ma thèse, j'ai découvert l'existence du CNEN un peu par hasard. C'est une institution à part, qui travaille beaucoup avec le Sénat. En Allemagne, ils ont cette force d'être inscrits dans un projet gouvernemental qui s'appelle « déconstruire la bureaucratie et mieux légiférer », ce qui reprend le vocabulaire européen en la matière. Ils travaillent étroitement avec l'office fédéral de la statistique. Le président Lambert a beaucoup milité pour instaurer un lien entre le CNEN et l'Insee, et cela faciliterait notamment le contrôle des évaluations ex post, qui sont actuellement impossibles. En effet, pour le contrôle du flux ex ante, nous manquons de moyens et de temps. Tant que nous ne pourrons pas pratiquer le contrôle ex post pour se rendre compte de ce qui a fonctionné ou pas ex ante, nous entretiendrons un statu quo.

En France, l'amalgame est fréquemment réalisé avec l'évaluation des politiques publiques, ce qui ne facilite pas une lecture claire des outils dont nous disposons.

Pour rebondir sur les propos du professeur Renaudie, je n'avais pas envisagé d'accorder cette compétence au Sénat plutôt qu'au CNEN. Je pense en effet qu'il est pertinent qu'il existe une institution dédiée à tout ce qui touche à la qualité du droit.

M. Xavier Brivet. - Madame Gatel, vous proposez aussi l'élaboration de ce fameux droit collaboratif entre l'État, le Parlement et le CNEN. Nous avons l'impression que cela n'existe pas aujourd'hui : il n'y a pas de coproduction du droit ou de la réglementation en bonne intelligence.

G. « LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE EST TRÈS ATTACHÉ À LA CULTURE DU RÉSULTAT, QUI DOIT SE SUBSTITUER À LA CULTURE DE LA NORME », CLAIRE LANDAIS, SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DU GOUVERNEMENT

Mme Françoise Gatel, présidente. - C'est en effet ce que nous encourageons. Je voudrais saluer la présence parmi nous de monsieur François-Noël Buffet, président de la commission des lois du Sénat, qui souhaitera peut-être intervenir tout à l'heure. Nous avons pour le moment une demande de parole de Madame la secrétaire générale du gouvernement.

Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement. - Je suis essentiellement là pour écouter et je trouve passionnantes toutes ces interventions. Nous avons l'occasion d'échanger régulièrement sur ces sujets qui font l'objet d'un constat partagé. J'ai trouvé les propos d'Alain Lambert sur la responsabilité collective très importants.

Dans un contexte où le temps s'accélère, nous notons pourtant des progrès grâce à des outils modernes. Le numérique permet l'accessibilité de la norme, même s'il est aussi accélérateur de la production normative. Il existe également des outils modernes comme Légifrance ou la codification dont nous n'avons pas parlé. Dans les constats positifs, je crois que cette culture du dernier kilomètre permet de changer les choses. Le Président de la République est très attaché à la culture du résultat, qui doit se substituer à la culture de la norme. Il s'agit de l'un des objectifs de l'identification des politiques prioritaires du Gouvernement, assorti d'indicateurs. Nous regardons d'abord sur le terrain pour faire éventuellement remonter un besoin de simplification, plutôt que de nous lancer dans un grand exercice de simplification qui, nous l'avons vu, peut être contre-productif.

Concernant les Sunset Laws, nous avons eu l'occasion d'en expérimenter dans certaines législations, comme dans le droit du renseignement. Nous nous rendons compte, avec l'expérience, que nous légiférons plusieurs fois pour, soit pérenniser un mode d'expérimentation, soit solidifier un texte. Nous avions comme objectif, au secrétariat général du Gouvernement, de se poser deux ou trois ans après l'application de la loi pour réfléchir à la situation, à la nécessité de légiférer à nouveau, plutôt que s'obliger à légiférer avec une clause « guillotine ».

M. Xavier Brivet. - Le gouvernement est donc favorable au renforcement de ces études ex post.

Mme Claire Landais. - Le Gouvernement considère en effet qu'il s'agit d'une des dimensions qu'il faut étudier, avec l'idée qu'il faut plusieurs acteurs susceptibles de participer à cette évaluation. Nous avons ainsi instauré, dans les études d'impact, le choix de plusieurs indicateurs associés à tout projet de loi pour être capables, a posteriori, d'y revenir.

CONCLUSION DES ÉTATS GÉNÉRAUX

M. Xavier Brivet. - Merci beaucoup. Nous accueillons Gérard Larcher, président du Sénat, et Christophe Béchu, ministre chargé de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, pour la séance de clôture de cette matinée qui va être marquée par le discours du ministre, le discours de clôture du président Larcher et la signature de la charte d'engagements entre le Gouvernement et le Sénat.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci, Monsieur le ministre, Monsieur le président du Sénat. J'exprime le plaisir que nous avons à vous accueillir ici et vous fais part de l'intérêt de cette matinée que nous avons partagée d'une manière très concertée. Tous les acteurs du terrain étaient là, de la production, de l'examen, de l'appréciation de la norme. Nous constatons un diagnostic partagé et l'envie d'avancer, qui se concrétisera tout à l'heure grâce à la charte d'engagements.

J'ai entendu deux fois ce mot, de la part du secrétariat général du Gouvernement et de Monsieur le président adjoint de la section de l'administration du Conseil d'État : « Ayons la culture du résultat ».

L'enjeu est celui de l'efficacité de l'action publique jusqu'au dernier kilomètre et, au Sénat, nous rajoutons toujours jusqu'au dernier habitant. Nous savons d'une manière grave qu'aujourd'hui, au-delà du délitement de la confiance entre les citoyens et ceux et celles dont nous faisons partie, qui sont comptables de l'action publique, se rajoute une fragilité de l'engagement citoyen. Je rappelai tout à l'heure que, depuis 2020, 930 maires ont démissionné, chiffre inédit. L'une des raisons de ces démissions est que les élus constatent souvent que la norme produit de l'impossible à faire et du surcoût. Le temps est à la rigueur et à la vertu, et nous sommes très heureux que votre présence parmi nous nous oblige à plus de rigueur et de conduite.

Nous devions avoir une intervention de la Première Ministre, mais ce ne sera pas le cas. Je laisse donc la parole au ministre Christophe Béchu.

I. « LA SIMPLIFICATION EST UN COMBAT ESSENTIEL POUR QUE LA PUISSANCE PUBLIQUE PRÉSERVE UNE CAPACITÉ D'AGIR » CHRISTOPHE BÉCHU, MINISTRE CHARGÉ DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES

Je serai tenté de voir dans le fait qu'après avoir annoncé une intervention de la Première Ministre, ce ne soit que le ministre de la Transition écologique qui s'exprime, une sorte d'allégorie, que je ne filerai pas, par rapport à la hiérarchie des normes,. Je vous dirai donc très simplement le plaisir d'être là, l'honneur de me trouver tout près du président Larcher, dont chacun connaît la cohérence et la constance sur ces sujets, de saluer la secrétaire générale du Gouvernement, les sénatrices et sénateurs, en commençant par la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, Françoise Gatel, le président de l'association des maires de France, et chacune et chacun en son titre, son grade et sa qualité.

Chacun connaît le constat, et les formules les plus diverses permettent d'en rendre compte. Il y a la vision historique, qui consiste à rappeler que du temps des Grecs, on expliquait que nul n'était censé ignorer la loi, puisqu'elle figurait sur les murs de l'agora, et le fait de s'amuser à mesurer la taille du bâtiment qu'il faudrait aujourd'hui pour que la somme des normes françaises et européennes puisse tenir dans un endroit où on pourrait les voir et ensuite les lire, ce qui relèverait de l'impossibilité.

Il y a la manière comparative de le faire, d'en évaluer le coût. Nous avons aujourd'hui un Code général des collectivités territoriales qui a triplé de volume en vingt ans, avec près d'un million de mots. L'estimation de l'inflation normative sur la période 2017-2021, calculée par la Direction générale des collectivités locales (DGCL), est de deux milliards d'euros, avec une règle : plus vous êtes petit, plus vous avez de mal à suivre cette inflation normative. Nous créons ainsi une sorte de dégradation d'agir, notamment pour les plus petites collectivités.

La simplification est donc un combat essentiel pour que la puissance publique préserve une capacité d'agir et que son action ait du sens. Elle constitue aussi un impératif au vu des bouleversements profonds, économiques, géopolitiques, écologiques bien sûr, que nous traversons. Il est d'usage, pour chaque problème, de se demander qui est le responsable. L'inflation des normes possède plusieurs pères. Dans ce domaine, nous rencontrons une difficulté devenue systémique dans laquelle il serait trop simple de chercher un seul responsable.

Je veux saluer la qualité du rapport de Françoise Gatel et de Rémy Pointereau, qui montre que tous les acteurs alimentent cette fabrique de la norme, que le législateur n'est pas en reste, et que parfois cette multiplication des normes peut répondre à un objectif légitime de différenciation pour tenir compte des réalités. Mais parfois, sous couvert de différenciation, nous produisons de la norme qui ajoute de la complexité de manière très forte.

Depuis 2017, le Président de la République a souhaité une lutte contre le poids excessif de la norme, avec l'engagement valorisé de deux pour un du Premier Ministre Édouard Philippe en juillet 2017 : à chaque nouveau texte, il faut en supprimer deux.

Il y a eu des réussites, avec un nombre de décrets autonomes divisé par dix. Nous avons également constaté une diminution objective du nombre de circulaires. Il ne faut pas oublier les promesses de la loi 3DS, qui ouvre dans un certain nombre de champs des perspectives réelles pour avancer. Mais beaucoup reste à faire, aussi bien en matière de flux qu'en matière de simplification et de stocks.

J'ai commencé ma journée par un billet d'humeur du maire de Cannes, David Lisnard qui, à quelques jours de la présentation du plan Eau du Gouvernement -dans un contexte de sécheresse hivernale avec peu de précédents-, expliquait qu'il avait eu l'idée de réutiliser les eaux usées de sa station d'assainissement. Il lui a été répondu qu'il s'agissait d'une très bonne idée, mais qu'à force de normes et d'injonctions contradictoires de la part de différents ministères, il attendait encore, en misant beaucoup sur le décret que j'aurai l'occasion de signer dans quelques jours. Il appelait donc quand même de ses voeux une inflation normative limitée, mais pour permettre de régler un certain nombre de problèmes.

En l'espèce, c'est bien la succession des principes de précaution et des normes qui voit une bonne idée être confrontée, lors de sa mise en oeuvre, à cinquante obstacles juridiques et à des quantités de bonnes raisons, au titre du principe de précautions de chaque ministère ou institution.

Nous avons donc une nécessité démocratique, juridique, mais également politique en termes de responsabilité, à faire en sorte que la loi s'applique plus rapidement, plus efficacement, tout en étant plus lisible vis-à-vis de nos concitoyens.

C'est dans cet esprit que je suis venu signer cette charte qui vient marquer une nouvelle étape pragmatique dans notre lutte commune pour la simplification. Pragmatique, car elle n'est pas une simple déclaration d'intention. Elle réfléchit à droit existant. Nous ne demandons pas une nouvelle réforme ou la modification de la Constitution. Nous nous penchons sur les pesanteurs actuelles quotidiennes. Pragmatique, car nous nous appuyons sur le CNEN, dont la création en 2013 a eu beaucoup de sens. Mais lorsque l'on crée une instance, il faut s'inspirer de ses avis et ne pas se contenter de son travail réalisé aux côtés de ceux qui produisent la norme. Nous avons en ce domaine des marges d'amélioration. Cette charte est également pragmatique, parce qu'elle reconnaît et qu'elle conforte le Sénat en tant que vigie de nos territoires.

En assumant de signer cette charte entre le Gouvernement et la Chambre haute, nous nous penchons tout de suite sur la volonté d'obtenir des résultats, des effets concrets avec la promotion des expérimentations locales, des clauses de réexamen et même, à titre expérimental, des clauses « guillotine ».

Je veux très simplement vous dire que je suis convaincu que d'autres acteurs de fabrique de la norme viendront s'adjoindre à cette charte. Je pense en particulier au Conseil d'État dont je salue les membres présents.

Je terminerai mon propos en saluant plus largement le travail de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales sur beaucoup de sujets, et sur celui-ci en particulier. Je voudrais plus simplement vous remercier pour le travail que vous conduisez au service du pays, des collectivités territoriales, pour faire en sorte que les textes soient à la fois plus intelligibles, plus concis, moins nombreux, et qu'ils bénéficient d'une capacité de nous réunir là où, parfois, leur confusion nous conduit au contraire à nous opposer. C'est l'oeuvre utile que nous tentons de réaliser, et l'oeuvre utile que nous essayons également de réaliser actuellement sur le sujet « zéro artificialisation nette ». Je me réjouis par anticipation de pouvoir utiliser lors des débats cet argument sur le fait de ne pas ajouter de la norme à la norme quand nous examinerons les 170 amendements que nous devrons parcourir la nuit prochaine. Merci à tous.

II. « NOUS SOMMES PRÊTS À CE QUE LE SÉNAT SOIT LE CHEF DE FILE DE LA SIMPLIFICATION », GÉRARD LARCHER, PRÉSIDENT DU SÉNAT

Monsieur le ministre, cher Christophe Béchu, Madame la présidente de la délégation aux collectivités territoriales, chère Françoise Gatel, Monsieur le président de la Commission des lois du Sénat, cher François-Noël Buffet, Monsieur le premier vice-président chargé de la simplification de la délégation aux collectivités territoriales, cher Rémy Pointereau. Je voudrais également saluer le travail et la présence du représentant du Conseil national d'évaluation des normes, Arnaud Bazin. Mes chers collègues sénateurs, Monsieur le président de l'association des maires de France, Mesdames et Messieurs les représentants des associations d'élus, Madame la secrétaire générale du Gouvernement, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d'État, Mesdames et Messieurs les professeurs et étudiants que je vois nombreux et que nous accueillons avec beaucoup de plaisir.

Je suis heureux de me retrouver parmi vous aujourd'hui pour une thématique aussi importante pour les élus locaux. Je vois que l'empreinte du Sénat est forte, car nous sommes bien, constitutionnellement, cette chambre représentante des collectivités territoriales, mais aussi un lieu où nous nous posons des questions avec pragmatisme.

C'est ce pragmatisme et l'intérêt national qui m'ont empêché d'être avec vous ce matin, l'actualité parlementaire m'ayant en effet obligé à présider une séance à l'issue d'une commission mixte paritaire conclusive.

Je sais que le Sénat était très bien représenté par Françoise Gatel, à l'origine de ces États généraux avec son premier vice-président, Rémy Pointereau. Une rencontre qui s'inscrit dans un long travail mené par le Sénat, et tout particulièrement par notre délégation aux collectivités territoriales, en lien avec l'association des maires de France, mais aussi avec le CNEN, ce qui me permet de saluer Alain Lambert que vous avez vu en vidéo.

Le rapport sur les normes applicables aux collectivités territoriales propose, selon son intitulé, « d'oser une thérapie de choc face à l'addiction ». C'était le 26 janvier dernier et vous en avez largement débattu ce matin. C'est aussi le fruit d'un important travail de concertation, une manière de travailler de la délégation.

L'objectif est simple : proposer des mesures concrètes, et j'insiste sur cet adjectif, en vue de limiter cette inflation normative effrénée. Nous en parlons depuis longtemps, et j'ai moi-même appartenu à deux gouvernements qui s'étaient engagés à un moratoire, mais la définition de ce mot était sans doute différente de celle donnée par l'Académie.

Il n'y a pas un déplacement où les élus locaux ne nous parlent pas de ce carcan normatif. Je pense ainsi au droit de l'urbanisme. Christophe Béchu l'a cité : le seul Code de l'urbanisme a vu son nombre de mots augmenter de 40 % en vingt ans. Aujourd'hui, la complexité du droit est telle que la plupart des maires sont obligés de faire appel à des cabinets extérieurs pour rédiger leurs documents d'urbanisme, et ce sur les injonctions des services de l'État. Ils ont perdu le pouvoir d'agir, ce qui est pour moi une vraie préoccupation. Je le dis devant un membre éminent du Conseil d'État : cette complexité rend quasiment impossible un pouvoir pourtant fondamental qui nous a été donné par les textes portant décentralisation, c'est-à-dire le pouvoir d'agir, de rédiger, bien sûr dans un dialogue avec les services de l'État et les autres collectivités territoriales.

Nous avons mis en place un groupe de travail sur la décentralisation, la déconcentration et la différenciation. Au-delà du premier sujet, il y a bien sûr le sujet de l'autonomie fiscale et financière, mais il faut retrouver une capacité à prendre un certain nombre de décisions, une capacité à agir.

Je ne doute pas, avec les interventions des représentants d'associations des maires de France et des différents participants à cette réunion, que nous puissions aboutir à quelque chose de concret, et passer du colloque, de la réunion, du rapport, à la mise en oeuvre concrète.

Le coût pour les collectivités est de plus de 2,5 milliards d'euros en 2022, chiffre recoupé entre le CNEN et la DGCL. Je sens parfois les maires las, comme nous le constatons avec le nombre important de démissions.

La délégation aux collectivités territoriales a proposé de revoir la manière d'aborder le sujet. Au lieu de ne s'intéresser qu'aux conséquences de l'inflation normative, vous avez décidé de vous positionner en amont sur la fabrique de la norme.

Je ne vais pas revenir sur les propositions détaillées à l'occasion de la deuxième table ronde. Je sais que le professeur Olivier Renaudie a suggéré que le Sénat soit le chef de file de cette simplification, et nous sommes prêts à assumer cette tâche, avec un état d'esprit totalement trans-groupe, et pas pour un objectif qui pourrait être vu comme politique. Il s'agit d'un objectif d'intérêt général du pays.

Je vous ai entendu dire, Monsieur le ministre, qu'il fallait faire attention à ne pas compliquer les choses. Voilà pourquoi je suis dans la joie après vous avoir écouté, après la Convention citoyenne sur le climat, où nous avions marqué quelques interrogations sur l'introduction rapide dans la Constitution. Cela ne veut pas dire qu'il ne s'agit pas de sujets majeurs, mais il faut nous méfier de faire de la Constitution le catalogue des droits sociaux et sociétaux. Je ne suis pas un constitutionnaliste aussi brillant que certains d'entre vous, mais le pragmatisme d'expérience du vétérinaire que je suis, converti au Sénat depuis un certain temps, m'amène à penser que, sur ce sujet, le principe de précaution médicale n'est pas inutile.

Je rejoindrai les propos d'Alain Lambert, qui a rappelé que chacun contribue à son niveau à cette inflation normative. Dans une vision théologique catholique qui n'est pas la mienne, je vous dirai : attention, le péché vient de partout. D'où la nécessité de s'auto-discipliner, comme le rappelait Françoise Gatel. Pour cela, la présence de différentes associations d'élus est importante. Elle traduit une volonté collective de trouver une issue à cette addiction collective, comme le soulignait Alain Lambert. Votre présence à nos côtés, Monsieur le ministre, est également symbolique. Elle témoigne que le Gouvernement tente de travailler différemment. La charte d'engagements qui va être signée dans quelques instants va montrer cette volonté commune d'avancer. Cette charte ne constitue pas une fin en soi, et d'autres ont déjà été signées qui sont restées parfois à l'état de charte. Celle-ci se veut comme le commencement d'une nouvelle ère où la réalité du terrain doit primer sur la tentation permanente de légiférer, trop légiférer, sur-légiférer.

En tant que parlementaires, nous devons aussi nous freiner. Désormais, le Gouvernement et les parlementaires que nous sommes se demanderont, en fonction des études d'options proposées, s'il est vraiment utile d'adopter tel ou tel texte de loi, qui ne doit pas être la réponse impulsive à un événement récent arrivé dans le pays, même dramatique. Je me méfie des lois de pulsion. Le Conseil des anciens, qui préfigurait le Sénat moderne, voulait bien donner cette mission d'éviter les pulsions pour être un balancier stabilisateur des institutions. Nous n'avons toujours pas de véritables études d'impact préalables à la loi, ce qui pourtant nous aurait évité quelques difficultés sur un débat que vous reprendrez ce soir à propos de la loi Climat et Résilience.

Cette nécessité de mettre la simplification au coeur de nos réflexions me paraît être l'un des fils rouges que nous nous sommes donnés dans le travail que nous menons sur la décentralisation. Nous devrions publier un rapport à la fin du printemps, à l'occasion du feu de Saint-Jean, qui doit être un feu de bonheur, d'espérance et de renouvellement.

Notre objectif est simple : redonner aux maires le pouvoir d'agir. Je vous propose maintenant de passer à la signature, et je vous annonce publiquement que nous allons faire vivre cette charte ensemble, avec les élus locaux et avec vous, Monsieur le ministre. Nous avons la volonté que cette signature commune ne soit pas la conclusion, mais au contraire le préambule, d'un futur où nous sortons de cette hyper-normalisation de notre vie.

Merci beaucoup de votre attention.

I. III. SIGNATURE, PAR LE SÉNAT ET LE GOUVERNEMENT, D'ENGAGEMENTS COMMUNS POUR LA SIMPLIFICATION DES NORMES APPLICABLES AUX COLLECTIVITÉS LOCALES.

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