D. « DES NORMES TROP NOMBREUSES ET QUI CHANGENT TROP FRÉQUEMMENT », OLIVIER RENAUDIE, PROFESSEUR DE DROIT PUBLIC À LA SORBONNE

Xavier Brivet. - Je laisse maintenant la parole à Olivier Renaudie, professeur de droit public à la Sorbonne. Vous allez nous livrer votre appréciation des propositions du Sénat et du CNEN.

M. Olivier Renaudie, professeur à l'École de droit de la Sorbonne. - Merci, Madame la Présidente, pour votre invitation.

Première observation : cette question de la simplification des normes est ancienne. En 1977, le doyen René Savatier pouvait écrire un article intitulé « L'Inflation législative et l'indigestion du corps social ». Il a été largement question de cette indigestion dans les propos et exemples des élus locaux.

Je partage la perception des élus locaux à propos des normes les concernant. Nous avons deux types de problèmes : d'un côté des normes trop nombreuses et qui changent trop fréquemment, ce qui provoque l'insécurité juridique. De l'autre des normes trop volumineuses, trop touffues, ce qui suscite la complexité. Le législateur semble avoir de la peine à écrire simplement et à ne pas sortir de multiples exceptions, ce qui provoque l'exaspération de la population, et le bonheur des consultants en droit.

La délégation aux collectivités a raison de se pencher sur ce sujet aujourd'hui, car elle devra faire face à un défi majeur : comment développer la différenciation territoriale qu'elle appelle de ses voeux sans que cela conduise à la complexification du droit applicable aux collectivités ? Comment simplifier les normes appliquées aux collectivités ? C'est à cette question d'ampleur que s'attache le rapport qui nous intéresse aujourd'hui.

J'ai avec ce rapport beaucoup de points d'accord et une interrogation. Je suis en accord avec les principales propositions.

La première consiste à donner plus de visibilité sur les textes envisagés par le Gouvernement dans le domaine des collectivités. Cette proposition est de bon sens et ne nécessite pas de normes juridiques pour la mettre en oeuvre. Mais nous nous exposons peut-être à une difficulté : qu'est-ce qu'une norme en rapport avec les collectivités ? Il existe des textes qui concernent très directement les collectivités mais, aujourd'hui, chaque norme comporte des dispositions qui concernent des collectivités. Le champ de cette proposition pouvant varier, son intérêt peut aussi être questionné.

La seconde proposition concerne l'évaluation des normes. Le rapport a parfaitement raison de faire de l'évaluation un outil pour lutter contre la complexité des normes applicables aux collectivités. Aujourd'hui, l'évaluation présente deux défauts majeurs : d'un côté, les études d'impact sont de qualité inégale et, de l'autre, les évaluations ex post sont délaissées. Nous devons aujourd'hui faire le constat que les études d'impact sont des exposés des motifs consolidés et déguisés. Nous ne pouvons que souscrire à la proposition qui consiste à recommander au gouvernement d'élaborer une étude d'options. Mais la question n'est-elle pas de savoir qui tient la plume ? Comment demander à celui qui est convaincu de la nécessité d'un texte, au point de formaliser un projet de loi sur le sujet, d'étudier sérieusement les autres options possibles, y compris l'absence d'action et de textes ?

Concernant l'évaluation ex post, il y a sur ce sujet un problème culturel en France : en raison de notre légicentrisme, nous sommes persuadés qu'une fois votée, la loi est parée de toutes les vertus. Il convient donc de développer les expérimentations, les clauses expérimentales, les clauses de revoyure qui permettent de faire le point quelques années après. Je vous suggère donc de ne pas hésiter à solliciter les universitaires, les laboratoires de recherche, beaucoup moins onéreux que les cabinets de conseil. Nous avons de l'expertise en économie, en finance, en droit : n'hésitez pas nous solliciter pour procéder à ces expérimentations.

Au-delà des nombreux points d'accord, il existe une petite incompréhension sur ce rapport. Il y est brossé le portrait chinois de l'organisme ou de l'institution qui pourrait oeuvrer à la simplification des normes applicables aux collectivités. Cet organisme doit être indépendant, connaisseur des collectivités territoriales. Il doit être familier de l'écriture des normes, être compétent en matière d'évaluation des politiques publiques, disposer de moyens financiers, matériels et humains. Cet organisme, de mon point de vue, n'est pas le CNEN, aussi remarquable que soit son travail. Cet organisme est le Sénat, qui doit être l'acteur majeur de la simplification, qui doit prendre la main à moyen constant et organisation constante, ou sous la forme de la création d'un office parlementaire.

M. Xavier Brivet. - Il se trouve que le Sénat signera tout à l'heure la charte d'engagement avec le gouvernement. Il est donc bien chef de file sur ce sujet.

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