B. LES VISITEURS DU SOIR : L'ÉMERGENCE DES PLATEFORMES

1. Un acteur encadré

Au-delà de la crise sanitaire et des changements de comportements en matière de sortie culturelle, l'émergence des plateformes, leur multiplication et les habitudes de consommation de contenus culturels prises durant les périodes de confinement ou de fermeture partielle des salles font de celles-ci un acteur en devenir dans le paysage cinématographique français.

Face aux interrogations voire aux craintes qu'elles suscitent, une première réponse a été trouvée avec le décret n° 2021-793 du 22 juin 2021 relatif aux services de médias audiovisuels à la demande, entré en vigueur le 1er juillet 2021, qi transpose en droit français la directive dite « Services de médias audiovisuels - SMA »3(*). Celui-ci introduit une obligation de financement pour les éditeurs de service de média audiovisuel à la demande (« SMAD ») établis en France ou à l'étranger mais diffusant leurs programmes en France, dès lors qu'ils dépassent certains seuils de diffusion (10 oeuvres cinématographiques de longue durée ou 10 oeuvres audiovisuelles diffusées). Ce faisant, les plateformes sont assimilées aux autres diffuseurs également astreints à de telles obligations de financement.

Aux termes du décret, les éditeurs sont tenus de financer et promouvoir des « oeuvres européennes » à savoir des « oeuvres » réalisées dans un pays européen et particulièrement les oeuvres en français. Les éditeurs de services par abonnement (VADA) (à l'image de Netflix, Amazon Prime Video, Disney +, Paramount) devront ainsi consacrer entre 20 et 25 % au moins de leur chiffre d'affaires au développement de la production d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes. Le taux établi à 20 % du chiffre d'affaires est porté à 25 % pour les services qui proposent des films de moins de douze mois. 85 % de ces sommes doivent être dédiées aux oeuvres en français (soit 17 % à 21,25 % du chiffre d'affaires).

La répartition entre oeuvres cinématographiques et oeuvres audiovisuelles a été fixée par une convention conclue avec l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), chacun des genres devant représenter au minimum 20 % de l'obligation totale. Les éditeurs établis en France dont le chiffre d'affaires annuel net est supérieur à 1 million d'euros sont ainsi tenus de conclure une telle convention, dont l'objet est de préciser leurs obligations en la matière, mais aussi concernant l'offre et la mise en valeur effective de ces oeuvres, ainsi que l'accès des ayants droit aux données d'exploitation relatives à leurs oeuvres. Les éditeurs installés hors de France ont simplement la faculté de conclure une telle convention.

75 % des investissements dans le cinéma doivent être réalisés auprès de producteurs indépendants. Les SMAD ne pourront avoir aucun lien capitalistique direct ou indirect dans une société de production et la durée des droits ne peut excéder trente-six mois. Ils ne peuvent pas non plus disposer du droit à recette, de mandats de distribution et des droits secondaires. Des clauses de diversité sont, en outre, prévues pour éviter que la contribution ne soit fléchée que vers les grosses productions ou certains genres.

Les autres services, notamment les services de « vidéo à la demande à l'acte » (VOD ou VAD), doivent consacrer 15 % au moins de leur chiffre d'affaires à des dépenses contribuant au développement de la production d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes. 12 % de ces sommes devront être spécifiquement dédiées aux oeuvres en français.

Les éditeurs de services de media audiovisuel à la demande établis en France, lorsqu'ils ont un chiffre d'affaires et une part de marché suffisamment importants en France dans leur catégorie, ainsi que les éditeurs de services de télévision de rattrapage, sont également tenus de mettre en valeur les oeuvres européennes et françaises sur leurs plateformes. 60 % de leur catalogue doit être consacré aux oeuvres européennes et 40 % aux oeuvres françaises.

Le décret a été doublé d'une refonte de la chronologie des médias, de façon à assurer à ces plateformes, en contrepartie de leurs nouvelles obligations, des créneaux plus courts pour la diffusion des films après leur sortie en salle.

Le CNC estime à 250 millions d'euros annuels la participation des plateformes à la production cinématographique et audiovisuelle induite par l'entrée en vigueur du décret SMAD. Les obligations de financement des autres acteurs de l'audiovisuel français sont aujourd'hui estimées à 1,3 milliard d'euros. Seuls 20 % des investissements des plateformes sont cependant fléchés vers le cinéma. L'essence même des plateformes, principalement tournées vers le format série, explique en large partie cette répartition.

2. Une contribution au financement du cinéma français de 21 millions d'euros

17 films d'initiative française ont été financés en 2022 par des plateformes numériques (Disney+, Netflix, Prime Video), soit 8,2 % des films d'initiative française agréés dans l'année. Pour dix de ces films, la plateforme est le seul diffuseur.

Les stratégies d'investissement diffèrent selon les plateformes :

- Netflix a investi dans 8 films d'initiative française, dont 6 à plus de 4 millions d'euros de devis ;

- Disney+ a financé 4 films, les montants variant de 2 à 7 millions d'euros ;

- Prime Video a contribué au financement de 5 films, dont le devis n'a jamais dépassé 4 millions d'euros.

Au total, les investissements des plateformes dans les films d'initiative française ont atteint 21 millions d'euros en 2022, leur apport moyen s'élevant à 1,24 million d'euros, couvrant les devis à hauteur de 19,3 %.

Cet apport doit néanmoins être compensé par le recul des entrées en salles imputables aux plateformes. D'après une étude de l'IFOP publiée en mai 2022, 55 % des Français sont abonnés à une offre de vidéo à la demande4(*), la crise sanitaire ayant joué le rôle d'accélérateur de l'abonnement aux offres SVOD (1,2 abonnement en moyenne par Français). Ainsi, 42 % des Français abonnés à une telle offre le sont depuis le déclenchement de la crise sanitaire. Les 2/3 des habitués du cinéma sont abonnés à au moins une plateforme Parmi ces abonnés, 29 % indiquaient à l'IFOP aller moins souvent au cinéma et 12 % ne plus aller dans les salles. Seuls 5 % vont plus au cinéma depuis la prise d'abonnement.


* 3 Directive (UE) 2018/1808 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (SMA).

* 4 La SVOD, un sérieux concurrent à la fréquentation des salles de cinéma, IFOP, mai 2022.