C. LA NUIT AMÉRICAINE : FRANCE 2030, NOUVELLE ÉTAPE EN MATIÈRE DE SOUTIEN À L'INDUSTRIE CINÉMATOGRAPHIQUE ?

Le volet cinématographique et audiovisuel du plan France 2030, supervisé par le Centre national du cinéma et de l'image animée, constitue un réel changement de focale, avec un appui massif au développement des conditions de tournage, via la création de « fabriques de l'image ». Le cinéma est envisagé au travers du plan comme une industrie, induisant un financement spécifique.

1. La volonté de multiplier les fabriques de l'image

Le huitième objectif du plan France 2030, présenté en octobre 2021, consiste à placer la France en tête de la production des contenus culturels et créatifs. 350 millions d'euros de subventions vers la filière cinéma et audiovisuel sont dévolus à cet objectif. Ces crédits sont appelés à être complétés par une intervention des collectivités territoriales et du secteur privé.

Cette ambition passe par une modernisation conséquente de l'appareil de production, confronté tout à la fois à un manque d'infrastructures de tournage et à une insuffisance de main d'oeuvre. Il s'agit d'aboutir, selon le président du CNC, à la constitution de plusieurs « grandes fabriques de l'image », à l'instar de ce qui est mis en place au Royaume-Uni où les « one-stop-shop » regroupent sur un même site studios de tournage, production numérique (animation, effets spéciaux, jeu vidéo) et écoles de formation d'auteurs et de musiciens. Un appel à projets « La grande fabrique de l'image » a été publié en avril 2022, à partir d'un étude menée par le CNC. Les résultats de cet appel à projets étaient attendus au premier trimestre 2023. Les modalités d'attribution des crédits seront pilotées par la Caisse des dépôts et consignations, en partenariat avec le CNC. Ils viseront l'aide à l'ingénierie et le soutien direct aux projets d'investissement.

L'ambition poursuivie est triple :

- intégrer à la filière de production un public très large en doublant le nombre annuel de diplômés, qui passerait de 5 700 à 10 300 par an ;

- doubler le nombre d'emplois dans la filière de production pour atteindre 92 000 personnes ;

- faire passer le poids de la filière de 4,2 milliards d'euros à 7,6 milliards d'euros, ce qui permettrait de tripler sa contribution au commerce extérieur.

Les projets soutenus par l'État seront orientés vers :

- l'aménagement ou la modernisation d'une dizaine de grands studios de tournage, compétitifs avec les plus grands studios internationaux, comportant en un même lieu un nombre important de services (location de matériel, décors, services numériques, post-production, services financiers, immobilier d'entreprise, etc.). Le président de la République avait au préalable annoncé en septembre 2021 à Marseille, la création de « grands studios de la Méditerranée », destinés à attirer les tournages internationaux de films et de série. L'arc méditerranéen - de Montpellier à Nice - accueillerait ainsi différents studios. Les Hauts-de-France, l'Île-de-France et l'Occitanie pourraient également accueillir de tels sites de production ;

le passage de 10 à 20 studios de production numérique (animation, effets visuels numériques, jeu vidéo) et l'accompagnement de la mise en oeuvre de projets présentant une forte dimension d'innovation à forte valeur ajoutée et d'ambition internationale ;

- le développement de 20 à 30 organismes de formation, dont le projet pédagogique répond aux besoins des filières en volume et en typologie de métiers.

2. Une demande de subvention publique établie à 1 milliard d'euros

Les résultats du premier appel à projet devraient être annoncés dans les prochaines semaines.

175 dossiers de candidature ont été déposés :

- 72 projets de formations ;

- 65 projets de studios numériques (jeu vidéo, animation, VFX, post-production ;

- 38 projets de studios de tournage.

Les candidatures émanent de quelques grands groupes, de PME déjà présentes dans ce secteur d'activité mais aussi de nouveaux entrants. Les projets sont répartis sur 13 régions et trois territoires d'outre-mer, les 3 territoires prioritaires (Île-de-France Méditerranée et Nord) représentant la majorité des investissements prévus :

- 59 dossiers visent la région Île-de-France, 43 dossiers l'arc méditerranéen et 17 dossiers le Nord ;

- une quinzaine de dossiers sont « multisites » et se déploient sur l'ensemble du territoire ;

- 7 dossiers sont situés dans les DROM (Guadeloupe, Martinique et Réunion).

Les investissements privés annoncés devraient atteindre 3 milliards d'euros et seraient complétés par des subventions publiques à hauteur de 1 milliard d'euros.

Les réponses à l'appel à projets ont été envoyées au CNC, chargé de vérifier leur éligibilité. L'instruction des dossiers a été menée par le CNC, le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) et la Caisse des dépôts et consignations. Les préfectures de région concernées ont par ailleurs été consultées. Un jury d'experts indépendants nommés par le Gouvernement et représentant l'ensemble des domaines d'expertise à même d'éclairer la lecture des dossiers a également été mis en place. La présidence du collège « Tournage » a été confiée à Cédric Jimenez, réalisateur, scénariste et producteur.

Les lauréats bénéficieront :

- d'une aide à l'ingénierie de projet, plafonnée à 0,4 million d'euros ;

- et/ou d'une aide à l'investissement, non plafonnée en dehors des contraintes relatives aux aides d'État et de l'exigence de cofinancement ;

- de manière dérogatoire, une partie du soutien octroyé pourra prendre la forme d'une subvention en fonctionnement pendant une durée maximale de 3 ans pour les seuls organismes de formation, afin de leur permettre d'amorcer leur modèle économique.

3. Un assouplissement des conditions d'accès aux prêts de l'Ifcic

Dans le cadre de la stratégie d'accélération des Industries Culturelles et Créatives et du programme France 2030, l'Ifcic a mis en oeuvre des mesures visant à permettre aux entreprises culturelles de financer leur reprise progressive d'activité à l'issue de la crise sanitaire.

L'offre de prêts a ainsi été adaptée avec :

- l'élargissement des prêts Ifcic aux entreprises de taille intermédiaire (ETI1), peu nombreuses ;

- l'allongement de la durée de remboursement des prêts Ifcic portée de 7 à 10 ans ;

- l'allongement des durées de franchise de remboursement en capital jusqu'à 3 ans ;

- l'augmentation du plafond d'encours de prêts par emprunteur.

4. Une nouvelle variation sur le même thème ?

France 2030 prend, s'agissant du secteur du cinéma, la suite des États généraux des industries culturelles et créatives, initiés par le président de la République, menés de novembre 2019 à décembre 2020, et censés être le point de départ d'une dynamique de structuration des différentes du secteur, dont le cinéma, en une véritable filière. C'est dans ce cadre que s'inscrit le plan Touch mené par bpifrance.

Le 4e plan Investissement d'avenir (PIA 4) - France 2030 intègre les conclusions de ces États généraux via une stratégie d'accélération (Accélérateur cinéma et audiovisuel) déclinée autour de 4 axes :

- le renforcement de la solidité et de la compétitivité des entreprises de la filière, une enveloppe de 146 millions d'euros étant dédiées à cet objectif ;

- l'accélération de la transformation numérique des entreprises et des offres culturelles, 150 millions d'euros étant fléchés vers ce projet ;

- le soutien au développement des industries culturelles et créatives françaises à l'international et l'accentuation du rôle desdites industries dans les dynamiques de transformation territoriale, 86 millions d'euros étant prévus à ce titre ;

- l'accompagnement, à hauteur de 18 millions d'euros, de la filière en vue de devenir une référence en matière de responsabilité sociale et l'environnementale.

Le rapporteur spécial ne remet pas en question l'opportunité de développer une stratégie ambitieuse pour les ICC et en particulier pour l'industrie cinématographique. Il regrette cependant cette multiplication des guichets sans véritable lisibilité et l'annonce d'investissements importants sans réelle précision sur le calendrier mis en oeuvre et sans véritables indicateurs de performance.

Il note par ailleurs que s'agissant des fabriques de l'image, le projet vise à la fois production audiovisuelle et production cinématographique, afin de faire de la France un pôle de création de contenus, au risque de remettre en question la spécificité de la création française - mise en avant par la plupart des acteurs du secteur rencontrés par le rapporteur spécial -, au profit d'une production de masse, plus standardisée et principalement dédiée aux plateformes. La multiplication de ces dispositifs industriels est par ailleurs censée renforcer la viabilité des entreprises mais aussi attirer les tournages de productions étrangères. Il existe de fait un paradoxe à voir le CNC gérer un tel projet, alors qu'il est censé en premier lieu incarner la fameuse « exception culturelle française ».

Le rapporteur spécial considère, en tout état de cause, que l'importance de l'investissement public que France 2030 induit pour le cinéma, tant au travers de la stratégie d'accélération que du projet de création des fabriques de l'image - 1 milliard d'euros réparti entre l'État et les collectivités territoriales - invite à réviser les dispositifs existants par ailleurs qu'il s'agisse de soutiens spécifiques du CNC ou des crédits d'impôt.

Le rapporteur spécial note ainsi qu'un certain nombre de dispositifs mis en avant dans le cadre de France 2030 peuvent apparaître redondants avec des mécanismes de soutien gérés directement par le Centre qu'il s'agisse :

- du financement des établissements de formation (9,8 millions d'euros en 2023) ;

- des aides aux effets visuels (10,1 millions d'euros en 2023) ;

- des aides aux projets innovants en matière numérique (7 millions d'euros en 2023).

Une révision de ces dispositifs à l'aune des crédits dégagés dans le cadre de France 2030 apparaît opportune. Le rapporteur spécial rappelle que France 2030 est censé contribuer à un effet de levier, que ne génèrent pas forcément les dispositifs de soutien classique du CNC. Le programme suppose donc, in fine, une moindre dépendance aux fonds publics.

Recommandation n° 5 (Centre national du cinéma et de l'image animée) : Réviser les mécanismes de soutien (formation, industries techniques notamment) allant dans le même sens que le huitième objectif du plan France 2030, afin d'optimiser les financements publics dédiés en s'appuyant pleinement sur l'effet de levier induit par le plan et éviter l'effet de doublon et de multiplication des guichets.

La création des fabriques de l'image modernes réparties sur une large partie du territoire devrait en outre renforcer l'attractivité de la France, en vue d'attirer des tournages étrangers et même français. Dans ces conditions, cette plus-value technique, financée à 25 % par des fonds publics incite à une révision des crédits d'impôts qui visent le même objectif de localisation ou de relocalisation des tournages sur le territoire.