C. UN ENJEU PRIORITAIRE : RESTAURER LA CAPACITÉ D'INVESTISSEMENT DE L'IRSN DANS LE CONTEXTE DE RELANCE DU NUCLÉAIRE

1. Les récentes évolutions du système nucléaire français vont entraîner un surcroît d'activité pour l'IRSN

La loi relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes a pour objectif de relancer la production d'électricité nucléaire en France au cours des prochaines décennies. En conséquence, le système nucléaire français sera amené à très fortement évoluer. Il importe donc que les capacités de l'IRSN puissent être au niveau des enjeux à venir.

Parmi les principales évolutions qui impliqueront une adaptation et un renforcement de la capacité d'expertise de l'IRSN, citons :

- la prolongation au-delà de 40 ans de la durée d'exploitation du parc ; en lien avec les problématiques croissantes de vieillissement et de corrosion sous contrainte ;

- la construction des six nouveaux réacteurs pressurisés européens de deuxième génération (EPR2) ;

l'émergence parallèle des petits réacteurs modulaires - Small Modular Reactors (SMR), notamment le projet NUWARD dont le dépôt du dossier d'options de sûreté est attendu en 2023 ;

- la croissance du nombre de chantiers de démantèlement ;

- le déploiement de nouvelles stratégies de gestion des combustibles et les problématiques de stockage ;

- la prise en compte croissante des enjeux liés au dérèglement climatique et les adaptations des installations qui en découlent31(*).

Plusieurs de ces enjeux se traduisent d'ores et déjà dans le programme annuel d'activités de l'IRSN pour 2023. C'est notamment le cas de l'expertise du projet de stockage des déchets radioactifs en couche géologique profonde (projet Cigéo) dans le cadre du dossier de demande d'autorisation de création dont le dépôt par l'Andra a eu lieu fin 2022. De même, l'examen du dossier de démantèlement de la centrale nucléaire de Fessenheim a déjà été déposé. Figure également comme enjeu à court terme le réexamen de sûreté d'un certain nombre d'usines du cycle du combustible, notamment le deuxième réexamen de l'usine de La Hague et de l'usine d'enrichissement du combustible sur le site du Tricastin.

Au-delà des grandes thématiques émergentes, l'IRSN est impliqué sur le long terme dans la généralisation des réexamens périodiques de sûreté de l'ensemble des installations nucléaires de base et dans l'évaluation de la sûreté des colis de transport de substances radioactives. Sont ainsi en cours les quatrièmes réexamens périodiques des réacteurs de 900 MWe et de 1300 MWe (soit 52 réacteurs en exploitation au total).

En conséquence, le nombre et l'intensité des dossiers d'expertise auxquels l'IRSN devra répondre sont donc en forte augmentation. L'IRSN souligne en parallèle la complexification des expertises liée au recours par les exploitants à des méthodes de plus en plus complexes pour mieux apprécier les marges de sûreté et en tirer bénéfice en matière d'exploitation, ce qui nécessite de la part de l'IRSN des moyens plus importants.

Dans le domaine de l'environnement et de la santé, les avancées technologiques très rapides impliquent également une mise à niveau constante des compétences de recherche de l'IRSN

2. La soutenabilité de la situation financière de l'IRSN passe par un nécessaire renforcement des moyens budgétaires
a) Des efforts d'économies de l'Institut

Les différentes inspections menées au cours des dernières années sur l'IRSN soulignent la nécessité pour l'IRSN d'agir sur ses dépenses : besoin d'un « fonctionnement plus sobre » et d'une « réduction de son train de vie » pour la Cour des comptes, ou nécessité de prévoir une « revue stratégique de ses missions et activités, permettant une hiérarchisation des priorités, et des choix, en déterminant les secteurs où son intervention est incontournable, utile et ceux où elle doit être abandonnée » pour la mission flash de juillet 2022.

Les marges d'amélioration ne sont en tout état de cause pas suffisantes. Ainsi, le groupe de travail mis en place par l'IRSN a fixé un objectif d'économies d'1,5 million d'euros sur trois ans. Si cette démarche est positive, elle est loin de pouvoir constituer une solution. Une économie de 0,5 million par an ne permettra à titre d'exemple que de compenser un sixième des dépenses d'énergie supplémentaires constatées en 2022 du fait de l'inflation. La refonte de la section « achats » de l'IRSN devrait à elle seule pouvoir dégager des marges plus conséquentes, estimées par la mission flash de 2022 à 4 millions par an. Celles-ci n'en demeurent pas moins décorrélées des enjeux.

Il ressort toutefois des éléments dont dispose le rapporteur spécial que l'Institut est conscient de la nécessité d'apporter sa contribution à la maîtrise de ses dépenses. Il serait souhaitable que cette dynamique positive se poursuive.

b) La fusion proposée avec l'ASN ne pouvait constituer une réponse aux difficultés budgétaires

Face aux enjeux de la situation financière de l'IRSN, la tentation a pu être grande d'interpréter la volonté du Gouvernement de fusionner l'ASN et l'IRSN comme une réponse permettant de dégager des économies. Le Gouvernement s'en est toutefois toujours défendu, indiquant notamment au rapporteur spécial « qu'aucun gain notable n'est attendu de la réforme à ce niveau »32(*), celle-ci devant avoir été menée à moyens constants.

Les acteurs entendus par le rapporteur spécial sont tous allés dans le sens de l'absence de gains d'efficience attendus de la fusion. La direction du budget a mis en avant ses « espoirs tout à fait mesurés sur des pistes de rationalisation »33(*) émergeant de la nouvelle organisation.

Si la réforme aurait sans doute pu entraîner à long terme des synergies en termes de fonctions supports (gestion des ressources humaines, informatique,...), il aurait été davantage à craindre qu'elle n'ait entraîné à court terme des frais liés à la convergence des deux entités (création de nouveaux systèmes d'information, alignement de la grille salariale de l'IRSN sur celle plus élevée de l'ASN notamment). En outre, les économies d'échelles, notamment en matière immobilière, auraient été limitées du fait du maintien des implantations actuelles de l'IRSN.

c) Un enjeu récurrent d'amélioration de la lisibilité du financement de la sûreté nucléaire

Le sujet de la faible lisibilité du financement lié à la sûreté nucléaire n'est pas nouveau. Notre ancien collègue Michel Berson en faisait déjà le constat il y a près d'une dizaine d'années34(*). L'ensemble des acteurs s'accorde à considérer qu'il existe une lacune en matière de transparence et d'information dans l'utilisation des crédits.

La Cour des comptes, reprenant une recommandation du rapport de la commission des finances du Sénat, recommandait ainsi en 2021 de présenter dans une annexe à la loi de finances (« jaune budgétaire ») l'ensemble des moyens consacrés au contrôle de la sûreté nucléaire, à la radioprotection et à la transparence nucléaire. Dix ans après et alors que cette recommandation, bien que consensuelle, est restée lettre morte, le rapporteur spécial ne peut que la reprendre à son compte.

Recommandation n° 3 (ministère du budget) : créer une annexe au projet de loi de finances (« jaune budgétaire ») retraçant l'ensemble des financements publics consacrés à la sûreté nucléaire.

La Cour des comptes a ainsi qualifié dans son référé de 2021 de « brève, sibylline et dépourvue de chiffres » la synthèse qui figure actuellement dans le fascicule annexe au projet de loi de finances « Financement de la transition écologique : les instruments économiques, fiscaux et budgétaires au service de l'environnement et du climat ». Celle-ci ne comportant pas d'éléments chiffrés, et alors que les sources de financement de la sûreté nucléaire, budgétaires et fiscales, sont aussi diverses que les acteurs de la sûreté nucléaire, il est indispensable que le Parlement et les citoyens disposent d'une information claire et transparente.

d) Une indispensable hausse pluriannuelle des moyens accordés à l'IRSN

L'IRSN a mené en 2022 une estimation des ressources nouvelles nécessaires au traitement dès 2023 et jusqu'en 2027 de l'ensemble des dossiers d'expertise. L'Institut est parvenu à une estimation d'un besoin de 18,6 millions d'euros supplémentaires en 2023 et de 21,4 millions d'euros par an sur la période 2024-2027. Ces 104 millions d'euros supplémentaires seraient ventilés comme suit :

Estimation par l'IRSN des besoins supplémentaires par rapport à 2022

(en millions d'euros)

Source : mission flash de juillet 2022

L'essentiel de ces dépenses correspond à des dépenses d'investissement (à hauteur de 39 millions d'euros sur la période 2023-2027). Les principaux besoins en termes d'investissements soulevés par l'IRSN concernent le dispositif de crise (8 millions d'euros) ; le renforcement des capacités en matière de dosimétrie (4 millions d'euros) et surtout la transformation du parc immobilier de l'IRSN (20 millions d'euros), sujet qui sera développé plus bas. En revanche, la hausse des dépenses de fonctionnement n'est évaluée qu'à 2,5 millions d'euros par an.

Concernant le renforcement des moyens en termes de personnels, l'IRSN a évalué à 65 ETPT sur la période 2023-2027 le besoin de ressources supplémentaires, dont 38 ETPT pour le seul appui technique à l'ASN.

Dans le cadre du projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027, qui n'a pas à ce stade de valeur légale, l'IRSN avait obtenu une hausse prévisionnelle de 35 ETPT (soit 30 de moins que le besoin exprimé) et de 47 millions d'euros cumulés sur la période 2023-2027, soit la moitié de la demande présentée par l'IRSN.

Programmation envisagée dans le cadre du projet de loi de programmation
des finances publiques d'évolution des recettes de l'IRSN jusqu'en 2027

(en millions d'euros et en ETPT)

Source : commission des finances d'après l'IRSN

Si cette hausse est certes conséquente, elle a été en partie amputée en 2023 par l'inflation, comme indiqué plus haut, et constitue un rattrapage par rapport aux années de stabilité. En outre, ces projections n'intègrent pas une éventuelle hausse des rémunérations qui pourrait être nécessaire dans la perspective des difficultés de recrutement de l'IRSN (cf. infra), non plus que de nouveaux investissements qui pourraient être nécessaires pour limiter le vieillissement des plateformes existantes ou le lancement de nouveaux travaux ou essais sur le réacteur Cabri. Cet aspect doit donc inciter à la prudence, en l'absence actuelle de ressources disponibles pour faire face à toute difficulté imprévue d'ampleur.

Le rapporteur spécial estime indispensable de s'assurer que le budget de l'IRSN soit dimensionné pour les enjeux futurs. Le cabinet de la ministre de la transition énergétique l'a directement reconnu lors de son audition35(*) : « sur le coeur de métier de l'IRSN, il faut mettre les moyens ».

En conséquence, le rapporteur spécial estime qu'il sera nécessaire, au moins au cours des deux prochaines années, d'accroître les ressources budgétaires de l'IRSN de 20 millions d'euros par an. Toute éventuelle économie qui aurait été réalisée en parallèle par l'IRSN devrait contribuer à restaurer les capacités d'investissement de l'Institut, dès lors que les moyens supplémentaires accordés ne pourront être regardés comme permettant de rétablir intégralement les réserves d'investissement antérieures.

Recommandation n° 4 (direction générale de la prévention des risques et direction du budget) : augmenter de 20 millions d'euros par an le montant de la subvention pour charge de service public accordée à l'IRSN d'ici 2025.


* 31 Cf. sur ce sujet le rapport de notre collègue Christine Larvarde, Pour une approche systémique de l'adaptation des centrales nucléaires au changement climatique Rapport d'information n° 442 (2022-2023), fait au nom de la commission des finances, mars 2023.

* 32 Audition du cabinet de la ministre de la transition énergétique, 21 mars 2023.

* 33 Audition de la direction du budget, 22 mars 2023.

* 34 La sûreté nucléaire de demain : un enjeu financier et démocratique, rapport d'information n° 634 (2013-2014) de M. Michel BERSON, fait au nom de la commission des finances, juin 2014.

* 35 Audition du cabinet de la ministre de la transition énergétique, 21 mars 2023.

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