N° 658

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 31 mai 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le vieillissement
de la
population en Martinique,

Par Mmes Catherine DEROCHE, Corinne FÉRET, Jocelyne GUIDEZ, Colette MÉLOT et M. Philippe MOUILLER,

Sénatrices et Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche, présidente ; Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge,
vice-présidents ;
Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Laurent Burgoa,
Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Brigitte Devésa, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, MM. Abdallah Hassani, Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol,
M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Mélanie Vogel.

L'ESSENTIEL

Soucieuse de mesurer les effets du vieillissement rapide de la population martiniquaise, la commission des affaires sociales a mené une mission sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes en Martinique.

Une délégation s'y est déplacée dans ce cadre du 18 au 23 avril 2023.

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I. LA MARTINIQUE : LES ACTEURS PUBLICS AU DÉFI DU VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION

A. DEUX FOIS PLUS DE SENIORS QUE DE JEUNES DE MOINS DE 20 ANS EN 2030

Du fait du vieillissement accéléré de sa population, la situation de la Martinique illustre les efforts qui doivent être accomplis pour faire face aux enjeux du vieillissement. En effet, en 2050, la Martinique sera la collectivité territoriale la plus âgée de France (elle était 74ème en 2013). La part des personnes âgées de 65 ans et plus représentera 42,3 % de la population contre 16,9 % en 2013.

Martinique : évolution et structure de la population en 2019

Source : Insee Dossier complet Département de la Martinique (972), paru le 23 janvier 2023

L'évolution de la pyramide des âges en Martinique fait ainsi apparaître une transformation radicale et un déséquilibre grandissant dans la composition par âge. Ce phénomène du vieillissement de la population constaté en Martinique est imputable à plusieurs facteurs.

Tout d'abord, le territoire perd des habitants sous l'effet de mouvements migratoires défavorables et de la diminution de la fécondité. Les départs de l'île sont principalement le fait des jeunes et se produisent au moment de leurs études supérieures ou de la recherche d'un premier emploi. A contrario, les installations de nouveaux habitants sur l'île sont plutôt le fait d'actifs expérimentés et proches de la retraite.

Entre 2006 et 2016, le territoire a déjà perdu plus de 20 000 habitants. La tendance se poursuit puisqu'entre 2016 et 2020, la Martinique perd encore près de 4 000 personnes par an et les projections montrent que cette tendance va se poursuivre jusqu'en 2050 quel que soit le scénario retenu.

Parallèlement, la population vivant sur l'île vieillit. Les seniors de plus de 60 ans représentaient 25 % de la population en 2016, ils seraient 40 % en 2030. La part des moins de 20 ans passerait de 23 % de la population en 2018 à 15 % en 2040. Pour les personnes âgées de 75 ans et plus, la progression serait encore plus forte à partir de 2030 où les baby-boomers nés dans les années 1950-1960 atteindraient ces âges. En 2030, la part des 75 ans et plus serait de 15 % dans la population totale, alors qu'elle est de 11 % aujourd'hui (9 % en 2016). Le nombre de décès dépasserait celui des naissances dès 2026.

D'ici à 2030, les 60 ans et plus seront plus nombreux que les moins de 20 ans.

De 2005 à 2030, leur part aura plus que doublé, passant de 17 % à 36 % (146 600 personnes).

En 2050, la Martinique sera le département le plus vieux de France (elle était 74ème en 2013).

La part des personnes âgées de 65 ans et plus représentera 42,3 % de la population contre 16,9 % en 2013.

Ce vieillissement de la population se traduit également par une augmentation du nombre de personnes âgées en situation de dépendance dans toutes les catégories d'âge. En 2020, plus de 20 000 personnes de 60 ans et plus étaient en situation de dépendance en Martinique, soit 7 % de plus qu'en 2016. En 2030, ils seraient plus de 25 000 de plus.

Cette évolution démographique fait apparaître une répartition géographique où les actifs sont présents au centre et au sud de l'île (22 % de la population vit à Fort-de-France), des retraités concentrés au nord et à l'extrême sud, et une population de plus de 75 ans concentrée dans le nord de l'île. Si une forte concentration des bénéficiaires de l'APA s'observe autour de Fort-de-France (en lien avec la densité de la population), la proportion des bénéficiaires de l'APA est nettement plus élevée dans la communauté d'agglomération Cap Nord (339 bénéficiaires pour 1 000 personnes âgées de 75 ans ou plus contre 276 pour 1 000 en Martinique et 209 pour 1 000 pour la moyenne nationale).

B. UNE AUGMENTATION DE 30 % DU NOMBRE DE SENIORS EN DÉPENDANCE D'ICI 2030

Le vieillissement de la population martiniquaise présente des caractéristiques qui le distinguent de celui de la France hexagonale avec une entrée en dépendance plus rapide. La question de la santé des personnes âgées, et notamment l'organisation de la prise en charge des personnes en situation d'incapacité, y est devenue un enjeu majeur de santé publique.

Le contexte socio-économique de la Martinique se traduit par un taux de pauvreté 2 fois supérieur à celui de l'Hexagone, et un taux de chômage supérieur de 5 points. Selon l'Insee, en 2018, 23,4 % des personnes âgées de 60 à 74 ans et 31,2 % des 75 ans et plus vivaient sous le seuil de pauvreté (contre 10,5 % et 9,7 % en France hexagonale). Le minimum vieillesse est aussi beaucoup plus répandu en Martinique qu'en France hexagonale. Fin 2018, 13,2 % des Martiniquais âgés de 60 ans et plus le percevaient contre 2,9 % dans l'Hexagone.

Dans ce contexte, les personnes âgées sont confrontées à un risque de perte d'autonomie précoce et plus fréquent que dans l'Hexagone en raison notamment d'un état de santé plus dégradé. D'ici 2030, la Martinique subira une augmentation de 30 % du nombre de personnes âgées de 60 ans et plus en dépendance sévère.

En 2016, le taux d'institutionnalisation des GIR 1-2 était de 30 % contre 65 % en France hexagonale. Ce taux passe à 5 % pour les GIR 3-4 contre 20 % en France hexagonale. Un mécanisme de solidarités familiales permet pour l'heure le maintien à domicile. Toutefois, les phénomènes démographiques et migratoires évoqués précédemment limitent le nombre d'aidants familiaux que les personnes âgées fortement dépendantes pourraient solliciter.

Ainsi, l'enjeu du maintien à domicile de ces personnes âgées fortement dépendantes deviendra majeur, dans les prochaines décennies, au regard des différents scénarios d'évolution des taux d'institutionnalisation et du taux d'équipement en places.

L'allocation personnalisée d'autonomie (APA) est versée par le département à 276 bénéficiaires pour 1 000 personnes âgées de 75 ans ou plus en Martinique. En comparaison la moyenne nationale est à 222 bénéficiaires sur 1 000.

Cet accroissement du niveau de dépendance se traduit notamment par une progression du nombre de bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) à domicile servie par la collectivité territoriale. La part totale des bénéficiaires de l'APA (à domicile et en établissement) est quant à elle plus élevée que dans l'Hexagone (9 % des 60 ans et plus et 26,1 % des 75 ans et plus contre respectivement 7,5 % et 20,9 % au 1er janvier 2019).

Sur le territoire martiniquais, l'APA est plus de huit fois sur dix perçue à domicile alors qu'elle l'est moins de six fois sur dix dans l'Hexagone. 20,5 % de ces bénéficiaires de la région sont fortement dépendants.

Le « reste à charge » pour les patients en Martinique est l'un des plus élevés : environ 7,50 euros de l'heure d'aide à domicile.

On note également une part bien plus importante de bénéficiaires de l'aide sociale. Par exemple, entre 96 % et 97 % des résidents d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de Martinique perçoivent cette aide.

II. UN TERRITOIRE QUI RENCONTRE DES DIFFICULTÉS POUR RELEVER CE DÉFI DU VIEILLISSEMENT

A. À REBOURS DE LA POLITIQUE MAINTIEN À DOMICILE, LA MARTINIQUE DOIT ACCROÎTRE SON OFFRE DE PLACES EN ÉTABLISSEMENTS

À rebours du virage domiciliaire, la Martinique doit ouvrir des places en établissements. Cette situation n'est pas nouvelle, un plan de rattrapage avait déjà été lancé dans les années 2000 mais ces ouvertures de places deviennent indispensables.

C'est un autre point d'alerte à l'issue de ce déplacement. En Martinique, l'offre de places en institution reste limitée. En 2017, la Martinique compte 49 places en hébergements et 45 places en lits médicalisés pour 1 000 personnes âgées de 75 ans et plus. Ces taux d'équipement sont nettement plus faibles que ceux relevés dans l'Hexagone, où ils sont respectivement 124 %o et 104 %o.

Par ailleurs, le parc des Ehpad est très vieillissant, comme la délégation sénatoriale l'a constaté lors de ses visites. Certains établissements sont très vétustes voire délabrés et ne répondent pas aux normes en vigueur. Ainsi, l'un des plus importants Ehpad de l'île, adossé au CHU, propose encore des chambres à quatre lits dotées d'une douche pour huit patients. Si cet exemple est extrême, les sénateurs ont pu voir lors de leurs visites sur le terrain des locaux qui ne sont pas adaptés aux besoins des personnes âgées dépendantes, avec des chambres trop exiguës par exemple pour y loger des personnes à mobilité réduite. De plus, le climat impose une contrainte dans la gestion et l'entretien du bâti, l'entretien courant est plus contraignant, impose des interventions beaucoup plus fréquentes que sous un climat tempéré.

Le nombre de places en établissements étant limité et les besoins en croissance, les tarifs des institutions pour personnes âgées dépendantes ont tendance à être plus élevés, ce qui pénalise une population dont le niveau de vie est inférieur à la moyenne nationale.

Le taux d'équipement en places dans les services de soins infirmiers à domicile - services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad) - pour 1 000 personnes âgées de 75 ans et plus est également très bas : 13 places pour 1 000 personnes âgées de 75 ans et plus en 2017. En Guadeloupe, ce taux est de 22 %o et de 21 %o en France métropolitaine.

La stratégie de développement de l'offre médico-sociale dans le champ des personnes âgées et en situation de handicap retenue par les autorités locales ne se limite pas à une démarche visant uniquement à rattraper un taux d'équipement cible.

L'enjeu, au-delà du maillage territorial est de disposer de l'offre la plus pertinente, en termes de type de prestations comme de capacité de prise en charge. L'action des acteurs locaux s'envisage donc dans une perspective de réponses territorialisées aux besoins exprimés par la population. Les objectifs visés sont les suivants :

- lutter contre le phénomène de multiplication de structures non autorisées ;

- offrir aux familles des lieux de prise en charge à taille humaine avec un reste à charge moins important ;

- offrir des solutions d'hébergement temporaire pour permettre le répit des aidants, notamment en sortie d'hospitalisation et éviter des retours à domicile non préparés ;

- mieux articuler les services entre les Ehpad et les dispositifs d'accompagnement (plateformes, lieux de répit, aide aux aidants...) ;

- ouvrir les Ehpad sur leur environnement (tiers lieux...).

Le paysage médico-social est en cours d'ajustement. Le vieillissement de la population impose une restructuration importante de l'offre de service pour les personnes âgées. Cette restructuration doit anticiper l'augmentation des besoins liés au vieillissement de la population, l'accroissement de l'âge des aidants, une offre de service insuffisante tant sur le plan du maintien à domicile que des places en établissement.

Le projet régional de santé et le schéma de l'autonomie doivent ainsi poursuivre plusieurs objectifs :

- rénover ou remplacer l'existant ;

- anticiper une augmentation des besoins annoncée par les prévisions démographiques même si, pour le moment, elle n'est pas à l'origine d'une pression forte ;

- traiter un problème de répartition géographique des solutions sur le territoire.

Visite du centre hospitalier Ernest WAN-AJOUHU

La visite aux centres hospitaliers de Saint-Esprit et de Saint-François synthétise ces différents points. Placés sous une direction commune ces deux établissements ont lancé un projet médico-soignant qui va aboutir à la reconstruction du CH de Saint Esprit.

Ce projet intercommunal répond à trois besoins :

- le caractère impérieux de la désaffectation des bâtiments dont l'état de délabrement avancé est susceptible d'exposer les patients et les personnels aux risques d'inondation, de sismicité et à l'amiante ;

- la nécessité de combler les lacunes de l'offre de soins et de l'offre médico-sociale de la population de cette partie de l'île qui est à l'écart des axes routiers principaux ;

- la mise en commun de fonctions logistiques (cuisine centrale, pharmacie, transports).

Ce projet prévoit un Ehpad de 33 places et un SSIAD de 40 places destiné à pallier le faible taux d'équipement en places sur l'île et à anticiper le vieillissement de la population du sud de l'île.

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La création d'un gérontopôle permettrait de rassembler les acteurs du bien vieillir et d'améliorer la qualité de vie des personnes âgées. Cette création permettrait de disposer d'un centre-ressources pour répondre aux besoins des acteurs du secteur (institutionnels, chercheurs, entreprises, patients, familles, etc.), et de dynamiser la recherche et promouvoir la santé des personnes âgées.

B. SOUTENIR ÉGALEMENT LES MODALITÉS DE MAINTIEN À DOMICILE

La Martinique se caractérise à la fois par des structures d'accueil de jour classiques mais constitue également une terre d'innovation. Quelques « bonnes pratiques » méritent d'être suivies avec attention. Trois exemples illustrent des pistes pour innover.

Le premier est une « école des aidants », gérée par l'Association martiniquaise des aidants familiaux.

Cette association se propose de fédérer l'offre d'accompagnement proposée aux aidants familiaux par les multiples partenaires concernés en Martinique, dans le but de leur apporter un meilleur soutien.

L'association propose par ailleurs trois types de services : une aide au répit, des ateliers de soutien psychologique et des formations, notamment une formation « gestes et posture » pour relever en cas de chute ou accompagner le déplacement de la personne aidée.

Le second est une expérimentation en cours depuis 2019 dite d'Ehpad « Hors les Murs » sur le territoire centre de la Martinique. Cette expérimentation propose depuis un Ehpad, une série de services à domicile : soins, aide, repas, sécurité à domicile ; des animations collectives ou personnalisées, des services de transports, la définition de plans de soins ou d'accompagnement nutritionnel ou psychologique.

L'expérimentation porte sur un nombre de personnes réduit puisque cet Ehpad Hors Les Murs ne compte que 13 résidents dont l'âge moyen est de 84 ans. Le premier retour d'expérience, de ce qui ressemble à un Ehpad plateforme, fait apparaître les points suivants :

- la majorité des résidents bénéficie en moyenne de 2 à 3 prestations ;

- les résidents veulent continuer à vivre chez eux, même lorsqu'ils qui basculent du GIR 3-4 vers le GIR 2 ;

- l'APA est insuffisante pour satisfaire toutes les prestations. Le reste à charge est de 150 euros par mois ;

- certaines familles, une fois l'admission acquise ont tendance à démissionner de leur rôle d'aidant ;

- le trafic routier est très difficile sur le secteur de Fort-de-France particulièrement le matin et en fin d'après-midi en semaine alors que l'habitat est diffus ;

- le sigle « Ehpad » effraie les personnes qui souhaitent une admission à l'Ehpad Hors Les Murs.

Le troisième concerne le maintien à domicile. L'association « Les ailes des anges » développe deux types distincts d'activité : le répit et le développement de l'habitat inclusif. En matière de répit, l'association promeut une formule nouvelle, celle du relayage ou, pour reprendre l'expression utilisée au Québec, du baluchonnage. Il s'agit d'un accompagnement permettant à l'aidant de s'absenter du domicile en toute tranquillité pendant plusieurs jours, ou plutôt plusieurs nuits. Durant cette absence il est remplacé par une personne unique. La durée maximale de ce remplacement est de 6 jours. Dans le cas martiniquais, l'association rencontre des difficultés de fonctionnement faute de modèle économique robuste. L'exemple de service qui a été fourni aux sénateurs, malgré l'enthousiasme et le charisme de leurs interlocuteurs, ne laissait effectivement pas apparaître un modèle économique stabilisé et de nature à être étendu dans le secteur des personnes âgées.

III. DES RISQUES DE PÉNURIES DE RESSOURCES HUMAINES ET DES MOYENS FINANCIERS À CONSOLIDER

A. LA PRISE EN CHARGE DES PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES SUPPOSE DES MOYENS HUMAINS IMPORTANTS

En Martinique, le secteur médico-social souffre d'un manque d'attractivité et rencontre des difficultés pour recruter. Cette problématique est beaucoup plus aiguë qu'en France hexagonale pour plusieurs raisons, la principale étant l'insuffisance de moyens humains.

En Martinique, une grande majorité des personnes âgées dépendantes est aujourd'hui prise en charge à domicile, par un ensemble de prestataires de services dans le domaine sanitaire, médico-social et social (services de soins infirmiers à domicile, infirmiers libéraux, centres de soins infirmiers, aides-soignants, réseaux de services d'aide à la personne). Tous les interlocuteurs de la délégation sénatoriale ont insisté sur le fait que le maintien à domicile, « garder les anciens à la maison », faisait partie intégrante de la culture locale.

Le maintien à domicile mobiliserait environ 6 000 ETP (5 890 ETP) en 2030. En institution, ce nombre s'élèverait à 1 270 ETP. Entre 2020 et 2030, les besoins en emplois augmenteraient d'environ 25 %. Cela représenterait 1 420 ETP supplémentaires, soit 1 180 ETP à domicile et 240 ETP en institution.

Malheureusement, la situation démographique de l'île ajoute une tension supplémentaire sur ces besoins en personnel. Il n'est pas sûr que la population active disponible puisse répondre à cette demande. Les représentants des employeurs ont lancé des alertes sur le sujet et notre collègue Catherine Conconne a pris des initiatives pour encourager le retour des jeunes Martiniquais sur l'île.

L'insularité de l'île ajoute une difficulté spécifique supplémentaire qui touche à l'attractivité de certains secteurs. Cette situation est partie due à des différences entre secteurs public et privé. Les représentants de la Fehap qui gère 35 établissements sur l'île ont fait part aux sénateurs de difficultés spécifiques à leur secteur : la prime de vie chère est de 20 % dans le privé et de 40% dans le public.

La crise de la démographie médicale est aussi plus aiguë. La formation des infirmières et des aides-soignants reste calée sur une logique hospitalière et n'a pas encore été ajustée aux attentes du secteur médico-social. Des initiatives sont en cours, comme la semaine de l'attractivité des métiers du médico-social qui a eu lieu juste après notre passage, tout comme une réflexion à plus long terme sur la possibilité d'augmenter le nombre de places de formation pour les infirmières par exemple.

Si la première difficulté à laquelle sont confrontés les acteurs en charge des personnes âgées est la difficulté de recruter des personnels, cette difficulté se répercute au niveau des familles et des aidants. Sur un territoire qui considère que le maintien à domicile est une solution privilégiée (8 bénéficiaires de l'APA sur 10 sont à domicile), il y a beaucoup d'aidants mais des aidants âgés.

B. UN PLAN DE FINANCEMENT DIFFICILE À BOUCLER

Ce plan de restructuration de l'offre médico-sociale se heurte à des difficultés de financement. L'enveloppe régionale « Ségur CNSA » pour la rénovation et la reconstruction des Ehpad dévolue au territoire pour la période 2021-2025 s'élève à 15,4 millions d'euros. Cette dotation viendra soutenir un programme de travaux estimé à un peu plus de 135 millions d'euros pour un total de 9 établissements. Les besoins d'aide à l'investissement sur le volet « personnes handicapées » sont quant à eux estimés à plus de 50 millions d'euros et ne font l'objet d'aucun financement à ce jour.

Les plans de financement des opérations médico-sociales « personnes âgées » et « personnes handicapées » font donc apparaître des restes à financer qui s'élèveraient respectivement à 100 millions d'euros et 52 millions d'euros.

La collectivité territoriale de Martinique a fait savoir qu'elle privilégierait le secteur sanitaire et qu'en conséquence sa capacité à soutenir l'investissement dans le secteur médico-social sera réduite. Compte tenu de la situation financière des établissements - 97 % de leurs résidents bénéficie de l'aide sociale -, leur capacité à recourir à l'endettement est limité ce qui fait courir un risque d'ajournement, ou d'étalement, des investissements en raison de difficultés à boucler le plan de financement, ce d'autant que la conjoncture inflationniste engendre actuellement des surcoûts.

L'autre solution est de recourir à de partenariats avec les bailleurs sociaux ou des promoteurs immobiliers pour le volet médico-social.

Malgré le consensus qui se dégage sur la nécessité d'ouvrir des places supplémentaires, il y a donc une interrogation sur les modèles de financement qui vont permettre cet accroissement.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 31 mai 2023, sous sa présidence, la commission a entendu une communication de Mme Catherine Deroche sur la mission en Martinique sur le vieillissement.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, j'ai conduit du 18 au 22 avril une mission de la commission en Martinique. Notre délégation était composée de Philippe Mouiller, rapporteur de la branche autonomie pour l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), Jocelyne Guidez, Corinne Féret, Colette Mélot et moi-même.

L'objet de notre mission était d'étudier les questions relatives au vieillissement de la population et aux modalités de prise en charge des personnes âgées dépendantes.

Le programme de travail élaboré par les équipes de l'agence régionale de santé (ARS) nous a permis de « toucher du doigt » la situation, les problèmes concrets posés par le vieillissement de la population et la nécessité de prendre en charge un nombre croissant de personnes âgées dépendantes. Nous avons pu visiter plusieurs modes d'accueil : établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), publics ou privés, expérimentation d'Ehpad Hors Les Murs, services d'accueil de jour, service de baluchonnage, école des aidants. Nous avons rencontré le préfet, les services de l'ARS, la collectivité territoriale de Martinique, le président de l'association des maires et la présidente de l'Observatoire national de l'activité physique et de la sédentarité. Nous avons participé à deux tables rondes, avec les représentants des employeurs et avec l'ensemble des acteurs. Je remercie les services de l'ARS pour l'organisation de ces rencontres ainsi que l'ensemble des acteurs locaux rencontrés.

Nous travaillons régulièrement sur ces sujets. Nos travaux soulignent la nécessité de déployer une politique publique volontariste pour faire face à un vieillissement de la population annoncée par toutes les projections démographiques.

La situation de la Martinique illustre les efforts à accomplir pour faire face aux enjeux du vieillissement de la population. En 2050, la Martinique sera la collectivité territoriale la plus âgée de France (elle était 74ème en 2013). Les personnes de 65 ans et plus représenteront 42,3 % de la population, contre 16,9 % en 2013. Cette évolution de la pyramide des âges révèle une transformation radicale et un déséquilibre grandissant dans la composition par âge.

Ce vieillissement de la population est imputable à plusieurs facteurs.

Tout d'abord, la Martinique perd des habitants sous l'effet de mouvements migratoires défavorables et de la diminution de la fécondité. Les départs sont principalement le fait des jeunes, au moment de leurs études supérieures ou de la recherche d'un premier emploi. A contrario, les installations de nouveaux habitants sont plutôt le fait d'actifs expérimentés proches de la retraite.

L'île a perdu plus de 20 000 habitants entre 2006 et 2016 et perd encore près de 4 000 personnes par an. Les projections montrent que cette tendance se poursuivra jusqu'en 2050. La population diminue d'environ 1 % par an. Catherine Conconne souligne que les écoles perdent 800 élèves chaque année.

Parallèlement, la population vivant sur l'île vieillit. Les seniors de plus de 60 ans représentaient 25 % de la population en 2016 : ils seraient 40 % en 2030. La part des moins de 20 ans passerait de 23 % en 2018 à 15 % en 2040. En 2030, les 75 ans et plus représenteraient 15 % de la population totale, contre 11 % aujourd'hui et 9 % en 2016. Le nombre de décès dépasserait celui des naissances dès 2026.

Le vieillissement de la population se traduit également par une augmentation du nombre de personnes âgées en situation de dépendance. En 2020, plus de 20 000 personnes de 60 ans et plus étaient concernées en Martinique (+ 7 % par rapport à 2016). En 2030, ils seraient plus de 25 000 supplémentaires.

Les actifs sont présents au centre et au sud de l'île (22 % de la population vit à Fort-de-France), les retraités se concentrent au nord et à l'extrême sud tandis qu'une population de plus de 75 ans se trouve dans le nord. Si une forte concentration des bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) s'observe autour de Fort-de-France, en lien avec la densité de la population, la proportion des bénéficiaires est nettement plus élevée dans la communauté d'agglomération Cap Nord (339 bénéficiaires pour 1 000 personnes âgées de 75 ans ou plus, contre 276 pour 1 000 en Martinique et 209 pour 1 000 en moyenne nationale).

Le défi démographique porté par la Martinique ne s'arrête pas au vieillissement massif et accéléré de sa population. Notre attention a été attirée par le fait que le vieillissement de la population présente des caractéristiques spécifiques, avec une entrée en dépendance plus rapide qu'en France hexagonale.

Le contexte socio-économique de la Martinique se traduit par un taux de pauvreté deux fois supérieur à celui de l'Hexagone et un taux de chômage supérieur de cinq points. Selon l'Insee, 23,4 % des personnes âgées de 60 à 74 ans et 31,2 % des 75 ans et plus vivaient sous le seuil de pauvreté en 2018 (contre 10,5 % et 9,7 % en France hexagonale). Le minimum vieillesse est plus répandu en Martinique (13,2 % des 60 ans et plus en 2018) que dans l'Hexagone (2,9 %).

Les personnes âgées sont aussi confrontées à un risque de perte d'autonomie précoce et plus fréquent en raison notamment d'un état de santé plus dégradé. D'ici 2030, la Martinique connaîtra une augmentation de 30 % du nombre de personnes âgées de 60 ans et plus en dépendance sévère.

En 2016, le taux d'institutionnalisation était de 30 % chez les niveaux d'autonomie dits groupes iso-ressources (GIR) 1-2 et de 5 % pour les GIR 3-4, contre respectivement 65 et 20 % en France hexagonale. Un mécanisme de solidarités familiales permet le maintien à domicile. Toutefois, les phénomènes démographiques et migratoires limitent le nombre d'aidants familiaux. À cela s'ajoute une forte prévalence des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou des troubles apparentés. En 2019, 9 000 personnes étaient touchées par la maladie d'Alzheimer en Martinique et plus de 500 nouveaux cas sont comptabilisés chaque année. Selon l'Insee, cette population devrait tripler d'ici 2040.

En 2016, les personnes handicapées vieillissantes représentaient un tiers des personnes de 60 ans et plus et plus de la moitié des 75 ans et plus.

L'enjeu du maintien à domicile de ces personnes âgées fortement dépendantes deviendra majeur dans les prochaines décennies au regard des différents scénarios d'évolution des taux d'institutionnalisation et du taux d'équipements en places.

L'accroissement du niveau de dépendance se traduit par une progression du nombre de bénéficiaires de l'APA à domicile. La part des bénéficiaires de cette aide (à domicile et en établissement) est plus élevée que dans l'Hexagone (9 % des 60 ans et plus et 26,1 % des 75 ans et plus contre respectivement 7,5 % et 20,9 % en 2019). Sur le territoire martiniquais, l'APA est plus de huit fois sur dix perçue à domicile alors qu'elle l'est moins de six fois sur dix dans l'Hexagone. 20,5 % de ces bénéficiaires de la région sont fortement dépendants.

Le « reste à charge » pour les patients en Martinique est l'un des plus élevés, à 7,50 euros par heure d'aide à domicile environ. Lors de notre visite, Madame Thaly-Bardol, élue en charge de ces questions, a souligné les difficultés rencontrées pour faire passer le montant de l'aide à domicile de 14 euros - tarif pratiqué avant 2022 - à 23 euros.

Nous notons également une part bien plus importante de bénéficiaires de l'aide sociale - entre 96 % et 97 % des résidents d'Ehpad de Martinique perçoivent cette aide.

Les moyens humains nécessaires à une politique de prise en charge des personnes âgées efficace sont insuffisants. La question est beaucoup plus aigüe qu'en France hexagonale.

En Martinique, une grande majorité des personnes âgées dépendantes est prise en charge à domicile, par un ensemble de prestataires de services. Tous nos interlocuteurs ont insisté sur le fait que le maintien à domicile faisait partie intégrante de la culture locale. Il mobiliserait environ 6 000 ETP en 2030. Entre 2020 et 2030, les besoins en emplois augmenteraient d'environ 25 %, soit 1 180 ETP supplémentaires à domicile et 240 en institution.

La situation démographique de l'île ajoute une tension sur ces besoins en personnel. Il n'est pas certain que la population active puisse répondre à cette demande. Catherine Conconne a ainsi pris des initiatives pour encourager le retour des jeunes Martiniquais sur l'île.

Le caractère insulaire de la Martinique constitue une difficulté spécifique. Les acteurs locaux soulignent que le recrutement d'une infirmière suppose « de lui offrir un pont d'or ». Les représentants de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne (Fehap) - qui gèrent 35 établissements sur l'île - ont exprimé une difficulté propre à leur secteur : la prime de vie chère s'élève à 20 % dans le privé et 40 % dans le public.

La crise de la démographie médicale est aigüe. La formation des infirmières et des aides-soignants reste calée sur une logique hospitalière. Des initiatives émergent (Semaine de l'attractivité des métiers du médico-social, réflexion sur la possibilité d'augmenter les places de formation pour les infirmières, etc.).

Les difficultés de recrutement se répercutent sur les familles et les aidants. Si le maintien à domicile reste privilégié, les aidants sont âgés.

La Martinique doit ouvrir des places en établissements. Un plan de rattrapage avait déjà été lancé dans les années 2000 : ces ouvertures deviennent indispensables. En 2017, l'île comptait 49 places en hébergement et 45 places en lits médicalisés pour 1 000 personnes de 75 ans et plus, contre respectivement 124 %o et 104 %o dans l'Hexagone.

Le parc des Ehpad est très vieillissant. Certains établissements sont vétustes, voire délabrés, et ne répondent pas aux normes en vigueur. Le climat impose une contrainte supplémentaire dans la gestion et l'entretien du bâti.

Le nombre de places en établissements étant limité et les besoins en croissance, les tarifs tendent à être élevés, pénalisant une population dont le niveau de vie est inférieur à la moyenne nationale.

Le taux d'équipement en places dans les services de soins infirmiers à domicile est également très bas : 13 %o personnes âgées de 75 ans et plus en 2017, contre 22 %o en Guadeloupe et 21 %o en France métropolitaine.

La stratégie de développement de l'offre médico-sociale ne se limite pas à rattraper un taux d'équipement cible. L'enjeu, au-delà du maillage territorial, est de disposer d'une offre pertinente, en termes de prestations et de capacité. L'action des acteurs locaux s'envisage dans une perspective de réponses territorialisées aux besoins. Les objectifs sont les suivants :

- lutter contre la multiplication de structures non autorisées ;

- offrir des lieux de prise en charge à taille humaine avec un reste à charge moins important ;

- offrir des solutions d'hébergement temporaire pour permettre le répit des aidants et éviter des retours à domicile non préparés ;

- mieux articuler les services entre Ehpad et dispositifs d'accompagnement ;

- ouvrir les Ehpad sur leur environnement (tiers lieux, etc.).

À terme, ce plan doit intégrer la spécificité des personnes âgées en situation de handicap.

Nous avons trouvé un paysage médico-social en cours d'ajustement. Le vieillissement de la population impose une restructuration importante de l'offre de service anticipant l'augmentation des besoins, l'accroissement de l'âge des aidants et l'insuffisance de l'offre de service.

Ce plan se heurte à des difficultés de financement. L'enveloppe régionale « Ségur CNSA » pour rénover et construire des Ehpad s'élève à 15,4 millions d'euros pour la période 2021-2025. Cette dotation soutiendra un programme de travaux d'environ 135 millions d'euros dans neuf établissements. Les besoins d'aide à l'investissement sur le volet « personnes handicapées », estimés à plus de 50 millions d'euros, ne font l'objet d'aucun financement à ce jour. Les plans de financement des opérations médico-sociales « personnes âgées » et « personnes handicapées » font apparaître des restes à financer s'élevant respectivement à 100 millions et 52 millions d'euros.

La collectivité territoriale de Martinique privilégie le secteur sanitaire. En conséquence, sa capacité à soutenir l'investissement dans le secteur médico-social sera réduite. La capacité des établissements à recourir à l'endettement étant limitée, le risque d'ajournement ou d'étalement des investissements est réel, d'autant que la conjoncture inflationniste engendre des surcoûts.

L'alternative est de recourir à des partenariats avec les bailleurs sociaux ou les promoteurs immobiliers pour le volet médico-social. Toutefois, l'opérateur HLM présent à la table ronde centrait plutôt son activité sur l'adaptation des logements que sur le financement de places d'Ehpad.

Nous nous interrogeons sur les modèles de financement qui permettront l'accroissement du nombre de places. La Martinique ne compte qu'une offre privée limitée de quatre établissements pour lesquels il n'existe aucune liste d'attente.

La prépondérance du secteur public ou associatif s'explique par la situation sociale et financière de la population. Le plus souvent, les résidents bénéficient de l'aide sociale à l'hébergement (jusqu'à 98 % dans certains établissements).

Cette situation soulève la question de l'équilibre financier de la section hébergement. Les établissements de nos départements éprouvent des difficultés comparables. Toutefois, lorsque nous avons évoqué une logique de mutualisation des fonctions - un directeur pour plusieurs établissements, par exemple -, nous avons constaté que les acteurs concernés rejetaient une telle perspective. Sortir d'une logique mono-établissement semble difficile, alors que ces mêmes interlocuteurs concèdent que la taille critique des établissements (60 ou 80 places) suppose des regroupements.

La difficulté de financement du plan de restructuration de l'offre interroge le modèle économique des Ehpad et des services d'accueil ou de relayage destinés aux personnes âgées ou handicapées. Un consensus se dégage néanmoins sur la nécessité d'ouvrir des places supplémentaires pour répondre à plusieurs enjeux :

Rénover ou remplacer l'existant : l'un des plus importants Ehpad de l'île propose des chambres à quatre lits dotées d'une douche pour huit patients. Au-delà, nous avons observé des locaux inadaptés aux besoins (chambres trop exiguës pour accueillir des personnes à mobilité réduite, par exemple).

Anticiper une augmentation des besoins : si nous n'avons pas été informés de longs temps d'attente entre la demande et la mise en institution, les prévisions démographiques doivent être prises en compte.

Traiter la problématique de répartition géographique des solutions sur le territoire.

Notre visite aux centres hospitaliers de Saint-Esprit et de Saint-François synthétise ces différents points. Placés sous une direction commune, ils ont lancé un projet médico-soignant qui aboutira à la reconstruction du centre hospitalier de Saint-Esprit. Ce projet intercommunal porte sur un Ehpad de 33 places et un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) de 40 places. Il répond à trois besoins :

- l'état de délabrement avancé des bâtiments, susceptible d'exposer les patients et les personnels aux risques d'inondation, de sismicité et à l'amiante ;

- la nécessité de combler les lacunes de l'offre de soins et médico-sociale sur cette partie de l'île à l'écart des principaux axes routiers ;

- la mise en commun de fonctions logistiques (cuisine centrale, pharmacie, transports).

Cet effort ne signifie pas que rien n'est fait pour soutenir les modalités de maintien à domicile. Nous avons visité des structures d'accueil de jour classiques. Je souhaite centrer mon propos sur trois exemples donnant des pistes d'innovation.

Le premier est une « école des aidants », gérée par l'association martiniquaise des aidants familiaux, qui propose de fédérer l'offre d'accompagnement proposée aux aidants familiaux pour améliorer le soutien apporté. L'association propose par ailleurs trois types de services : une aide au répit, des ateliers de soutien psychologique et des formations (relever une personne en cas de chute, accompagner ses déplacements, etc.).

Le second est une expérimentation en cours depuis 2019 d'Ehpad « Hors Les Murs ». Elle propose, depuis un Ehpad, une série de services à domicile (soins, aide, repas, sécurité à domicile), d'animations collectives ou personnalisées, de services de transports ou d'accompagnement nutritionnel ou psychologique. Cet Ehpad Hors Les Murs compte seulement treize résidents, d'un âge moyen de 84 ans. Le premier retour d'expérience fait apparaître les points suivants :

- la majorité des résidents bénéficie de deux à trois prestations ;

- les résidents souhaitent vivre chez eux même lorsqu'ils basculent en GIR 2 ;

- l'APA ne couvre pas toutes les prestations et le reste à charge est de 150 euros par mois ;

- certaines familles tendent à démissionner de leur rôle d'aidant ;

- le trafic routier est difficile sur le secteur de Fort-de-France ;

- le sigle « Ehpad » effraie.

Le troisième exemple de maintien à domicile relève de l'association « Les ailes des anges », qui développe deux types d'activités : le répit et le développement de l'habitat inclusif. Elle promeut une formule de relayage
- ou « baluchonnage » - permettant à l'aidant de s'absenter du domicile pendant une à six nuits en étant remplacé par une personne unique. Des sujets de droit du travail et de financement freinent le développement de ces solutions de répit. En Martinique, l'association est en cours de liquidation faute de modèle économique robuste. Un colloque sur le baluchonnage s'est tenu au Sénat après notre retour. Je pense que Jocelyne Guidez, Catherine Féret et Laurent Burgoa aborderont ce sujet lorsqu'ils évoqueront le droit au répit des familles de personnes atteintes de troubles du neuro-développement (TND). Nous serons certainement sollicités prochainement si nous avons à examiner une loi « bien vieillir » ou « grand âge ».

Voici les principaux points sur lesquels je souhaitais attirer votre attention. Confrontée à un vieillissement accéléré de sa population, la Martinique doit adapter son offre. Cette problématique générale est rendue plus aigüe par une configuration particulière : insularité, population plus pauvre et dont la santé se dégrade plus rapidement, déficit d'offre. Notre mission cherche à accompagner le territoire dans cette démarche et à nous inspirer de ses bonnes pratiques.

Je conclurai en remerciant Catherine Conconne et Jocelyne Guidez pour leur accueil et leur présence tout au long de nos déplacements sur l'île.

M. Philippe Mouiller. - Lors des visites, j'avais en tête les paroles de Charles Aznavour : « La misère serait moins pénible au soleil ». Dans beaucoup d'établissements, la qualité constitue une réelle difficulté, compensée par un cadre de vie sympathique et par la dimension humaine. Très peu de nos compatriotes en métropole accepteraient d'être accueillis dans une chambre de quatre lits.

Aucun établissement n'atteint l'équilibre financier. Aucun n'a même de perspective d'équilibre. Une dotation de l'État est attendue pour mettre à l'équilibre un système économique défaillant, sans volonté de remise à plat.

Je note aussi le manque de moyens apportés par les collectivités territoriales, qui priorisent le sanitaire - ce dernier présente également des manques considérables. En outre, compte tenu du support familial, il n'entrait pas dans la culture de consacrer des moyens importants à la prise en charge des aînés.

Mme Colette Mélot. - Merci, madame la Présidente, pour ce rapport exhaustif. Ce séjour a été très instructif pour appréhender une situation qui se révèle inquiétante. Il y a urgence à trouver des solutions : vous venez d'en lister plusieurs.

La différence de niveaux socio-économiques entre ceux qui quittent l'île et ceux qui restent est alarmante. Les premiers travaillent pour beaucoup dans la fonction publique, notamment hospitalière, dans l'Hexagone tandis que les seconds restent peu formés et peinent à trouver un travail en Martinique. Nous avons entendu que les écoles ne disposent pas des moyens suffisants, ce qui me paraît très grave. Les établissements devraient recevoir les dotations nécessaires pour éduquer les enfants, comme cela est le cas en métropole.

Un travail important mérite d'être mené, y compris pour améliorer l'attractivité de l'île. Les infrastructures touristiques m'ont semblé peu développées.

Je vous remercie, madame la Présidente, de nous avoir guidés dans cette mission.

Mme Corinne Féret. - Cette mission était extrêmement importante. Vous l'avez rappelé : la Martinique sera bientôt le département français le plus âgé. Cette situation est incroyable. Nous devons la prendre en compte sans attendre.

Culturellement, la solidarité familiale est extrêmement forte. La question de l'accompagnement des personnes âgées vieillissante ne se posait donc pas réellement. Nous observons aujourd'hui deux phénomènes : un vieillissement de la population et le départ des populations plus jeunes, qui ne seront plus là pour s'occuper de leurs parents.

J'ai été marquée par les conditions d'hébergement dans les établissements accueillant les personnes âgées. Certains hébergent deux à quatre résidents dans une même chambre. Dans l'Hexagone, plus aucun établissement n'existe sous ce format inacceptable. Il y a urgence absolue à rénover ces lieux pour assurer un hébergement digne.

La Martinique est un département français. La situation ne peut pas y être aussi différente que dans l'Hexagone.

Mme Jocelyne Guidez. - De métropole, la Martinique est une carte postale. Malgré les difficultés, nous devons conserver cette vision au fond de notre coeur.

Nous n'avons pas le même regard sur les personnes âgées. En Martinique, nous veillons sur nos aînés pour qu'ils ne restent pas seuls.

Les établissements sont en faillite, mais continuent comme si de rien n'était, anticipant qu'ils seront aidés tôt ou tard.

Les jeunes quittent l'île, mais qui ici est resté dans sa région natale ? Ma famille est originaire de Martinique, mais vient dans l'Hexagone pour les études avant de retourner sur l'île pour la retraite. De fait, la population est vieillissante.

Le taux de chômage des jeunes atteint 45 %. Tous n'ont pas les capacités à devenir infirmiers ou aides-soignants. Nous devons leur offrir une scolarité « normale » dès leur plus jeune âge. Trop de jeunes boivent ou se droguent : comment remettre cette population au travail ?

La Martinique est le seul département français dans lequel les jeunes doivent payer leurs livres scolaires. Il s'agit d'une inégalité de territoire.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Notre séjour a été très dense. Nous avons visité plusieurs Ehpad et rencontré des personnes extrêmement impliquées. En revanche, j'ai trouvé la collectivité territoriale frileuse, alors qu'elle a la compétence dans le secteur médico-social.

Mme Michelle Meunier. - Lors de travaux sur la malnutrition et l'obésité, il a souvent été question de la Martinique et des îles environnantes. Avez-vous échangé sur ces aspects avec des professionnels ? Les personnes âgées sont-elles concernées ? Les produits fabriqués sur l'île présentent-ils un taux de sucre élevé ?

Mme Jocelyne Guidez. - Nos anciens ne sont pas gros. La jeunesse est concernée, car elle consomme énormément de sodas. Le taux de sucre a été réduit, mais certains boivent jusqu'à dix ou quinze canettes par jour. La nourriture n'est pas en cause.

Par ailleurs, je tiens à souligner que les billets d'avion vers la Martinique sont inabordables. Pour que les touristes reviennent, nous devons agir sur ce volet.

Mme Viviane Malet. - La situation est globalement similaire à La Réunion. Le taux de personnes âgées a été multiplié par 1,5 entre 1999 et 2014. Cette tendance se poursuit. En 2030, environ 30 % de la population aura plus de 65 ans. Nous sommes aussi confrontés à une perte d'autonomie plus précoce, un parc d'Ehpad vieillissant, une insuffisance de places, des difficultés de déplacement, un tarif et un reste à charge élevés pour une population plus précaire qui peine à accéder à ses droits. Le maintien à domicile est favorisé.

Un rapport global sur les Outre-mer mériterait d'être rédigé. La Guyane et Mayotte rencontrent également des problématiques d'habitat et de structure. Je m'étais battue pour que les résidences autonomie soient autorisées dans ces territoires. L'Assemblée nationale a repris cette proposition l'année dernière. Malgré l'inscription de cette disposition dans la loi, nous n'en savons pas plus quant à son application.

Pour rattraper ce retard, je plaide pour une ligne budgétaire unique en faveur du logement (LBU) dédiée aux personnes âgées.

En revanche, les jeunes souhaitent rester à La Réunion, grâce au service militaire adapté (SMA) et aux investissements du département dans la formation.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je remercie à nouveau l'ensemble des personnes qui nous ont accueillis et accompagnés.

Je vous demande d'approuver formellement la publication de notre rapport.

La commission unanime autorise la publication du rapport.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Déplacement du 18 au 23 avril 2023

En présence de Mme Catherine Conconne, sénatrice de Martinique, membre de la commission des affaires sociales, et de M. Maurice Antiste, sénateur de Martinique

· Préfecture

Jean-Christophe Bouvier, préfet

· Collectivité territoriale de Martinique

Audrey Thaly-Bardol, conseillère exécutive en charge des solidarités, de la jeunesse, de la démographie et de la santé

Line- Rose Nonone, chargée de mission

· Agence régionale de santé Martinique

Anne Bruant-Bisson, directrice générale

Fabien Laleu, directeur général adjoint

Julie Calvet-Coiffard, directrice de l'offre de soins et de l'autonomie

Christelle Litan, directrice déléguée à l'autonomie

Cécile Marechal, directrice déléguée au pilotage et à la coordination

Dr Marie-Laure Audel, conseiller médical à direction de l'offre de soins et de l'autonomie

Marie-Gilberte Florentiny, responsable du département personnes âgées

Alain Maragnes, responsable de la cellule de coordination des investissements en santé

· Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne (Fehap)

Jean-Michel Symphor, délégué régional adjoint

Murielle Mepa, chargée de mission Fehap Antilles-Guyane

· Fédération hospitalière de Martinique (FHM)

Agnès Froux, déléguée régionale adjointe

· Syndicat national des établissements et résidences et services d'aide à domicile privés pour personnes âgées (Synerpa)

Rony Louis-Achille, délégué

· Nexem

Joseph Thome, délégué régional

· Association Ove-Caraïbes

Carl-William Paolin, directeur général

Jean-Marie Clovis, directeur général adjoint

Muriel Conflon, directrice adjointe pôle domicile

Alexandre Doubel, chargé de développement

Claude Delasse, responsable du pôle santé et dépendance

Michaëlle Ovarbury, chargée de la plateforme de répit Nord

· Ehpad Henri Bourgeois de l'Office mission action sociale et santé (OMASS)

Louis-Félix Filet, président

Edouard Maborough, directeur

Patrick Habib, médecin coordonnateur

Sonia Girier, infirmière de coordination (IDEC) Ehpad hors les murs

Marie-Clothilde Charlec, secrétaire médicale

Nadia Nancy, cadre de santé Ehpad Henri Bourgeois

Chantal Bidoyet, IDEC au service de soins infirmiers à domicile (SSIAD)

Eddy Chenière, mairie du Lamentin

· Ehpad adossé au centre hospitalier Saint-Esprit

Thierry Largen, directeur

Fred Michel Tirault, président du conseil de surveillance

Dr Jean-Marie Bolivard, président de la commission médicale d'établissement (PCME)

Dr Michel Dintimille, médecin coordonnateur Ehpad

Malika Ifaidi, référente de site - responsable RH

Rose Rinto, coordinatrice générale des soins du centre hospitalier Saint-Esprit (CHSE) / Centre hospitalier Ernest Wan-Ajouhu (CHEWA)

Émeric Bertrac, directeur de cabinet, ville du Saint-Esprit

Vanessa Felicie, responsable finances

· Ehpad adossé au centre hospitalier François

Thierry Largen, directeur

Mirella Saint-Aime, déléguée de site - responsable des finances

Dr Myriam M'Pay, médecin unité d'hospitalisation

Dr Gilles Carruel, chef de service unité d'hospitalisation

Dr Bernard Pichard, médecin coordonnateur Ehpad

Christiane Bauras, adjointe au maire du François

Rose Rinto, cadre supérieur de santé

Hélène Sauphar, cadre de santé Ehpad

Christine Modestin, responsable qualité

Franck Girier-Dufournier, cadre aux consultations externes avancées

· Pr Martine Duclos, présidente de l'Onaps (Observatoire national de l'activité physique et de la sédentarité)

· Association Les ailes des anges

Michaëlle Ovarbury, directrice

Delphine Cortassa, chargée de projet

Eliane Muday, chef d'équipe habitat partagé

Francette Pyram, relayeuse-baluchonneuse

Candice Choux, intervenante de nuit habitat partagé

Marie-Aline Marie-Luce, relayeuse-baluchonneuse

· Ehpad Oasis

Marc Seraline, directeur

Jean-Marie Clovis, gérant

Steeve Beaudza, directeur adjoint

Dr Pauline Plazy-Chabrand, médecin coordonnateur

Angélique Hillion, infirmière coordinatrice

Chantal Athanase, aide-soignante

Rodrigue Ramassamy, aide médico-psychologique

Manuel Clotail, aide-soignant

Rosaisis Pierre-Jerome, aide-soignante

Mélissa Gallot, aide-soignante

Sandra Louis Dit Sully, aide-soignante

Marcellin Petit, aide-soignant

Delphine Leclerq, aide-soignante

· Association des maires

Justin Pamphile, président

· Association Martiniquaise des aidants familiaux - École des aidants

Jenny Stephanie-Victoire, présidente

Bertrand Rigah, 2ème vice-président

Henrie Gotal, secrétaire

Marie-Paule Balthaza, administrateur

Sylvane Pitoula, trésorière adjointe

Maguy Ludosky, membre du comité de pilotage

Gislène Granville, partenaire bien-être

Maud Lerandy, partenaire association Creadiaz

· Table ronde : Comment anticiper les projections démographiques du vieillissement accéléré de la population martiniquaise ?

Stacey Girier, directrice de l'Ehpad Hors les Murs ASADEC

Nathalie Vigon, coordinatrice pôle domicile Le logis Saint-Jean

Chrystelle Dib-Pitrolles, directrice des services à la clientèle de la société martiniquaise d'HLM (SMHLM)

Pr Mathurin Tabue Teguo, chef du pôle gériatrie, centre hospitalo- universitaire de Martinique (CHUM)

Vladimir Bourgade, coordinateur contrat local de santé (CLS) et atelier santé ville du centre communal d'action sociale (ASV CCAS) de Sainte-Marie

Johan Ghunaïm, directrice du dispositif d'appui à la coordination (DAC)

Valérie Galim, directrice adjointe de la caisse générale de sécurité sociale (CGSS)

Carl-William Paolin, directeur général de l'association OVE Caraïbes

Patrick Mariello, directeur général de l'association Volonterre

Olivia Lucien, directrice adjointe de l'association Volonterre

Denise Desormeaux, directrice de la maison martiniquaise des personnes en situation de handicap (MMPH)

Les membres de la délégation tiennent à remercier l'ensemble des personnes
qu'ils ont pu rencontrer à La Martinique pour leur disponibilité
et la qualité de leurs échanges.