B. RENFORCER LE DIALOGUE ENTRE L'ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES : UN RÔLE DU PRÉFET À REPENSER

Afin de limiter l'impact des décisions de l'État sur l'équilibre des finances locales, il est nécessaire de renforcer, dans les territoires, le dialogue entre l'État et les collectivités. Plusieurs axes doivent être privilégiés à cette fin.

1. Mettre en place des conférences de dialogue placées sous l'égide des préfets

La rapporteure recommande l'instauration, auprès du préfet ou sous-préfet, d'une instance composée de représentants de collectivités locales pouvant être saisie de tout différend sur l'interprétation d'une norme.

La création de cette instance de dialogue a été intégrée en 2019 dans le cadre de l'examen du projet de loi dit « engagement et proximité », puis à l'article 4 quater de la loi 3DS à l'initiative de Rémy Pointereau : « Il est institué auprès du représentant de l'État, dans chaque département, une conférence de dialogue compétente, en particulier, pour donner un avis sur des cas complexes d'interprétation des normes, de mise en oeuvre de dispositions législatives ou règlementaires, pour identifier les difficultés locales en la matière, pour porter ses difficultés à la connaissance de l'administration centrale et pour faire des propositions de simplification. Elle est saisie par le représentant de l'État dans le département, l'un de ses membres, tout maire ou tout président d'établissement public de coopération intercommunale ».

Cette disposition n'a toutefois pas été retenue dans le texte définitif.

La rapporteure le regrette et réaffirme qu'une telle instance permettrait à tous les acteurs locaux, élus ou fonctionnaires, d'oeuvrer ensemble à améliorer les normes applicables aux collectivités territoriales, fournissant au préfet l'occasion de faire systématiquement remonter à l'administration centrale les difficultés identifiées localement. Un autre intérêt de ce dispositif serait d'améliorer sur le terrain l'application des normes et politiques publiques en permettant l'émergence et en formalisant une parole unique de l'État. En effet, très nombreux sont les élus qui déplorent le ralentissement, la complexification, voire le blocage de leurs projets en raison de normes ou d'injonctions contradictoires de la part de différentes administrations de l'État. Les conséquences financières peuvent être conséquentes, comme indiqué précédemment.

La rapporteure observe toutefois que cette instance de concertation peut être mise en place sans vecteur législatif. C'est pourquoi elle se réjouit que la ministre Dominique Faure se soit engagée, lors de son audition, à expérimenter la création de ces conférences de dialogue avec quelques préfets volontaires. Il conviendra de suivre les modalités de cette expérimentation ainsi que le bilan qui en sera tiré.

2. Donner au préfet autorité sur l'ensemble des services et agences de l'État

Comme indiqué plus haut, la grande majorité des élus déplorent le défaut d'appui des services de l'État dans la conduite de leurs projets, dans le contexte, déjà décrit, de l'inflation normative. En particulier, les petites communes sont trop souvent livrées à elles-mêmes et se trouvent parfois même dans l'ignorance du bon interlocuteur parmi les services de l'État.

D'une manière générale, la mission estime que notre pays a besoin d'un préfet ayant autorité sur l'ensemble des services, agences et opérateurs de l'État, et constituant un couple avec le maire, dans une relation d'écoute et de confiance mutuelles. Il convient, en particulier, de passer d'une logique de contrôle de légalité à celle de conseil aux collectivités territoriales47(*).

3. Renforcer le rôle du préfet et du sous-préfet en matière de conseil et d'ingénierie auprès des petites communes

Un État moderne et soucieux d'accompagner efficacement les collectivités territoriales, en particulier les plus petites d'entre elles, doit savoir jouer à plein sur le registre du conseil, et ce d'autant plus qu'il en va de la prévention de contentieux ultérieurs coûteux en temps et en argent.

Par ailleurs, un récent rapport de la délégation du Sénat aux collectivités territoriales pointe une implication des préfets inégale et partielle en matière d'ingénierie, sujet pourtant majeur pour les collectivités. Il invite ainsi le Gouvernement à délivrer une instruction ministérielle aux préfets pour les remobiliser et les accompagner sur leurs missions de délégué territorial de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT)48(*).

4. Simplifier la procédure relative au droit de dérogation du préfet afin de faciliter l'exercice de cette compétence

Le renforcement du dialogue entre l'État et les collectivités doit enfin conduire à un usage plus actif du pouvoir de dérogation aux normes.

Rappelons, à cet égard, que le décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet confère au représentant de l'État49(*) la possibilité de déroger à des normes arrêtées par l'administration de l'État pour prendre des décisions non règlementaires relevant de sa compétence dans sept matières50(*). Ces matières, relativement étendues, pourraient laisser à penser qu'il existe d'ores et déjà une forme de différentiation territoriale, à l'initiative du préfet mais qui ne peut, dans les faits, se faire qu'en accord avec les collectivités concernées.

Le décret impose toutefois quatre critères, cumulatifs, qui apparaissent particulièrement restrictifs pour les collectivités en ce qu'ils laissent au préfet une marge d'appréciation importante. La dérogation doit, en effet :

- être justifiée par un motif d'intérêt général et l'existence de circonstances locales ;

- avoir pour effet d'alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l'accès aux aides publiques ;

- être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France ;

- ne pas porter atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.

Peu de situations remplissent intégralement ces conditions, de sorte que le recours à cette dérogation est peu fréquent.

La rapporteure considère qu'il pourrait être envisagé, pour contribuer à la « respiration des territoires », de modifier ce décret pour rendre alternatifs les critères de motif d'intérêt général, d'une part, et l'existence de circonstances locales, d'autre part. De même, la frilosité du corps préfectoral sur le sujet, qu'on peut comprendre compte tenu de réflexes profondément ancrés, doit aujourd'hui être dépassée. Le 10 mai 2023, la Première ministre elle-même a constaté51(*) que le recours aux arrêtés de dérogation aux normes par les préfets était insuffisamment utilisé : avec 311 recours depuis 2020, cela représente approximativement une utilisation par an et par département depuis la publication du décret.

Au-delà de la simplification des critères qu'elle appelle de ses voeux, la rapporteure plaide également pour que les préfets se saisissent réellement du mécanisme. La Première ministre a ainsi demandé à tous les hauts fonctionnaires « d'assumer la différenciation, l'expérimentation, le tâtonnement », plaidant pour un « droit à l'erreur ». La rapporteure se réjouit de cette prise de conscience et formule le souhait que ces directives nouvelles trouvent leur concrétisation dans un recours plus marqué au décret du 8 avril 2020.

Cette évolution ne constituerait que le prolongement d'une règle existant déjà dans les départements d'outre-mer où la capacité à adapter le droit national52(*) ne porte pas atteinte à l'unité de la Nation. Tout en étant assortie des garde-fous nécessaires, en maintenant une initiative préfectorale, cette facilitation du droit d'adaptation contribuerait à atténuer, pour partie, le poids des normes et donc leur impact financier.

Recommandation n° 2 : Renforcer le dialogue État / collectivités dans les territoires

1. Mettre en place, à titre expérimental, dans certains départements, des conférences de dialogue, placées sous l'égide des préfets ou sous-préfets.

2. Donner au préfet autorité sur l'ensemble des services et agences de l'État.

3. Renforcer son rôle et celui du sous-préfet en matière de conseil et d'ingénierie auprès des petites communes.

4. Simplifier la procédure relative au droit de dérogation du préfet afin de faciliter l'exercice de cette compétence.


* 47 Voir le rapport d'information « À la recherche de l'État dans les territoires », rapport n° 909 (2021-2022) de Mme Agnès CANAYER et M. Éric KERROUCHE, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 29 septembre 2022 : http://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-909-notice.html

* 48 « ANCT : se mettre au diapason des élus locaux ! » : rapport d'information n° 313 (2022-2023) de Mme Céline BRULIN et M. Charles GUENÉ, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 2 février 2023.

* 49 Le décret s'appliquant à l'ensemble du territoire de la République, outre le Préfet de département et le Préfet de région, cette compétence est également attribuée au préfet de Mayotte, au représentant de l'État à Saint-Barthélemy, au représentant de l'État à Saint-Martin, au haut-commissaire de la République en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie ainsi qu'à l'administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna et à l'administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises.

* 50 Subventions, concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités territoriales ; Aménagement du territoire et politique de la ville ; Environnement, agriculture et forêts ; Construction, logement et urbanisme ; Emploi et activité économique ; Protection et mise en valeur du patrimoine culturel ; Activités sportives, socio-éducatives et associatives.

* 51 Un article d'acteurs publics, consultable par les personnes abonnées, rend compte de cette prise de position : https://acteurspublics.fr/articles/le-gouvernement-invite-les-prefets-a-oser-deroger-aux-normes.

* 52 Le principe d'adaptation législative s'applique dans les départements et régions d'Outre-mer régis par l'article 73 de la Constitution.