IV. MIEUX MESURER ET LIMITER L'IMPACT DES DÉCISIONS RÈGLEMENTAIRES ET BUDGÉTAIRES DE L'ÉTAT SUR L'ÉQUILIBRE FINANCIER DES COLLECTIVITÉS

A. ÉTENDRE LES MOYENS ET LES MISSIONS DU CNEN ET DU CLF POUR QU'ILS EXERCENT PLEINEMENT LEURS MISSIONS

Comme indiqué plus haut, le CNEN, créé en 2013, à l'initiative du Sénat, est chargé d'évaluer l'impact technique et financier des normes applicables aux collectivités territoriales. L'avis du CNEN a vocation à éclairer le Gouvernement et le Parlement sur les impacts financiers des projets de normes pour les collectivités territoriales. La rapporteure estime indispensable d'étendre les moyens et les missions de cet organe afin qu'il puisse pleinement jouer son rôle d'évaluation financière des normes applicables aux collectivités, que ce soit en amont et en aval de leur production.

1. Suivre la mise en oeuvre de la charte d'engagements signée par le Sénat et le Gouvernement le 16 mars 2023

Le Sénat et le Gouvernement ont signé, le 16 mars 2023, une charte inédite d'engagements, à l'occasion des États généraux de la simplification. Cette charte contient certains engagements importants qui vont dans le sens du renforcement du CNEN dans sa mission d'évaluation financière. La rapporteure se réjouit d'une telle signature et espère que les engagements seront suivis d'effet.

a) Limiter le recours à l'urgence

Comme indiqué plus haut, les élus demandent une stricte limitation du recours aux procédures d'urgence et d'extrême urgence devant le CNEN. En effet, l'utilisation de ces procédures restreint fortement la capacité des élus locaux du CNEN à apprécier de façon satisfaisante l'impact financier des projets de normes qui lui sont présentés.

Conscient de cette situation, le Gouvernement s'est engagé, dans la charte précitée, à « limiter le recours aux procédures d'urgence pour les saisines du CNEN et assurera le suivi régulier de cet engagement ».

Cet engagement mérite d'être salué. La rapporteure estime toutefois nécessaire que le Gouvernement se fixe, à l'avenir, des objectifs plus ambitieux, tels que celui de ne pas dépasser 10 % de textes soumis en procédure d'urgence et 5 % en extrême urgence, étant rappelé que près de 25 % des textes examinés par le CNEN en 2022 ont fait l'objet d'une procédure d'urgence, voire d'extrême urgence.

b) Augmenter les moyens humains du CNEN

Autre engagement pris par le Gouvernement : veiller à l'adéquation entre les capacités du CNEN et ses missions. La rapporteure souhaite que cet engagement se traduise concrètement par un renforcement des moyens humains du CNEN.

En effet, le Conseil comprend au total 5,8 ETP38(*) qui se décomposent ainsi :

- 5 ETP (incluant trois chargés d'études juridiques, un conseiller juridique auprès du président du CNEN et une cheffe de section) ;

- 0,8 ETP (incluant le chef de bureau qui assure également d'autres missions et une apprentie à temps partiel).

Ces effectifs paraissent très limités au regard du nombre important de textes examinés par le CNEN chaque année :

Année

Nombre de textes examinés en séance par le CNEN

Nombre d'avis défavorables

% des avis défavorables

2017

355

32

9 %

2018

264

20

7,6 %

2019

287

13

4,5 %

2020

258

14

5,4 %

2021

287

27

9,4 %

2022

325

36

11,1 %

Source : rapport d'activité du CNEN (2017-2022)

Lors des auditions, de nombreuses personnes ont souligné l'insuffisance des moyens alloués au CNEN. À titre de comparaison, le NKR (Nationaler Normenkontrollrat), homologue allemand du CNEN, dispose de 23 ETP, dont une majorité de hauts fonctionnaires. S'il est toujours délicat d'effectuer des comparaisons pertinentes en droit international, surtout avec un État fédéral, la rapporteure estime que le NKR allemand pourrait inspirer utilement le renforcement du CNEN.

Des moyens renforcés permettraient au CNEN :

- d'exercer des missions d'évaluation financière a posteriori. La Direction générale des collectivités territoriale a en effet reconnu que « les moyens humains actuels du secrétariat du CNEN ne lui permettent pas de consacrer le temps nécessaire à la mise en oeuvre de l'évaluation ex post ». La compétence du CNEN s'exerce donc, en pratique, exclusivement sur le flux des textes, et non sur le stock ;

- de mieux vérifier la complétude, la rigueur et l'objectivité des évaluations financières préalables, cette fonction pouvant aller jusqu'à un rôle de certification des études et fiches d'impact.

c) Renforcer les liens entre le CNEN et le Sénat

La charte précitée comporte certaines dispositions permettant de resserrer les liens entre le CNEN et le Sénat. Sont ainsi prévus :

- la transmission systématique par le CNEN à la délégation aux collectivités territoriales du Sénat de l'ordre du jour des séances et du relevé de décisions à la suite de ses réunions ;

- la diffusion par le Gouvernement des avis publics du CNEN, lequel, par le développement d'une motivation détaillée, éclaire la Représentation nationale ;

- le recours au pouvoir d'audition de toute personne pouvant éclairer les débats du CNEN, et notamment des rapporteurs des projets de loi sur les projets d'actes règlementaires d'application qui lui sont soumis.

La mission préconise d'assurer un suivi rigoureux de ces dispositions afin de vérifier si elles permettent au Sénat d'exercer un rôle de veille et d'alerte sur les textes susceptibles d'avoir une incidence financière sur les collectivités territoriales.

2. Saisir le CNEN sur les lois de programmation des finances publiques

Les lois de programmation des finances publiques (LPFP) définissent les orientations pluriannuelles des finances publiques en s'inscrivant dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques. Ces orientations veillent à encadrer la préparation et le vote des budgets au cours de la période considérée.

Ces lois, dès lors qu'elles comportent des dispositions créant ou modifiant des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, doivent être soumises à l'examen du CNEN afin qu'il en évalue l'impact technique et financiers en application de l'article L. 1212-2 du CGCT. Pour autant, les deux dernières LPFP (2018-2022 et 2023-2027) n'ont fait l'objet d'aucune transmission au conseil.

Lors de son audition, Alain Lambert, président du CNEN, a regretté cette situation, même si la dernière LPFP n'est pas parvenue au terme de son examen parlementaire : « Les lois de programmation nous intéressent. Pourtant, nous n'en sommes pas saisis et j'ai dit mon embarras au Gouvernement, car la dernière loi de programmation énonce la stratégie financière de notre pays pour les années 2023-2027. Cela dit, cette loi n'est pas parvenue au terme de son examen parlementaire, la CMP du 15 décembre dernier n'étant pas parvenue à un accord ».

La rapporteure regrette également de telles pratiques contra legem et rappelle que dans son avis public n° 393579 en date du 25 septembre 2017 portant sur la loi de programmation des finances publiques 2018-2022, le Conseil d'État a explicitement rappelé cette obligation de consultation du CNEN : « les dispositions, qui créent des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics au sens de l'article L. 1212-2 du code général des collectivités territoriales, auraient dû en effet être soumises au Conseil national d'évaluation des normes. »

Par ailleurs, la rapporteure note avec intérêt la remarque d'Alain Lambert lors de son audition concernant le programme de stabilité (PSTAB). Ce dernier est trop pauvre concernant les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales : « Je vous recommande (...) d'examiner de près le programme de stabilité qui, lui, engage la France vis-à-vis de ses partenaires européens, avec des stratégies très précises. La loi de programmation des finances publiques n'est pas articulée au programme de stabilité, c'est paradoxal, puisque ce programme existe depuis 1999. Cependant, il ne donne pas d'indications suffisamment précises des relations entre l'État et les collectivités territoriales, au point que les finances locales paraissent les variables d'ajustement, alors que les collectivités sont indispensables à la mise en place des politiques publiques ». 

3. Renforcer le rôle du comité des finances locales (CFL) et le fusionner avec le CNEN
a) Des missions et des moyens distincts entre le CNEN et le CFL

Le rapprochement entre le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) et le Comité des finances locales (CFL) est régulièrement évoqué, en raison de l'impact des décisions des deux organismes sur les finances locales. A priori pourtant, le rôle conféré à chacun de ces deux organismes diffère, leur rapprochement ne constitue donc pas une évidence.

L'article L. 1212-2 du Code général des collectivités territoriales dispose que le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) « est consulté par le Gouvernement sur l'impact technique et financier des projets de loi créant ou modifiant des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics ». Le CGCT ne vise expressément que les lois ordinaires et ne prévoit donc pas de soumettre pour avis au CNEN les projets de loi de finances ni les projets de loi de financement de la sécurité sociale. D'ailleurs, le Conseil d'État, systématiquement saisi des projets de loi de finances, n'a jamais invité le Gouvernement à saisir préalablement le CNEN pour recueillir son avis.

À l'inverse, le Gouvernement consulte le comité des finances locales qui, conformément à l'article L. 1211-4 du CGCT, a « pour mission de fournir au Gouvernement et au Parlement les analyses nécessaires à l'élaboration des dispositions du projet de loi de finances intéressant les collectivités locales ».

Pour ces raisons, leurs moyens et leur composition diffèrent. Le secrétariat du CNEN est assuré par le bureau du financement des transferts de compétences au sein de la sous-direction des finances locales et de l'action économique de la direction générale des collectivités locales. Une section, au sein de ce bureau, composée de trois chargés d'études juridiques et d'une cheffe de section est dédiée à cette seule mission. Par ailleurs, un collaborateur à temps plein est affecté auprès du Président du CNEN, rémunéré sur préciput de la DGF. Le Président fait également ponctuellement appel à des stagiaires.

Enfin, un secrétariat, composé d'une personne, est chargé, principalement, de la réception des projets de texte soumis à l'examen de l'instance, de l'organisation matérielle et logistique des séances, de la rédaction des avis rendus par le Conseil ainsi que de l'élaboration des procès-verbaux.

Au prorata du temps consacré, le secrétariat du CNEN comprend donc 5,8 ETP en incluant à 80 % le chef de bureau qui assure également d'autres missions, et une apprentie à temps partiel. La masse salariale annuelle du CNEN s'établit ainsi à environ 390 000 euros dont 122 000 euros financés par la DGF et 268 000 euros par le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer.

Pour sa part, le comité des finances locales comprend trente-deux membres titulaires (2 députés, 2 sénateurs, 4 présidents de Conseil départemental, 2 présidents de Conseil régional, 15 maires, 7 présidents d'EPCI) ainsi que 11 représentants de l'État titulaires, et autant de suppléants de chaque catégorie39(*).

Il exerce trois types de compétences : un pouvoir de décision et de contrôle pour la répartition des principaux concours financiers de l'État aux collectivités locales40(*), une fonction consultative, obligatoire pour tous les décrets à caractère financier intéressant les collectivités locales et facultative sur tout projet de loi ou d'amendement concernant les finances locales, ainsi qu'un rôle de concertation et de proposition. Il s'est par exemple prononcé sur les réformes en matière d'intercommunalité ou encore de comptabilité communale.

b) Un fonctionnement peu satisfaisant du CFL au sein duquel les élus sont difficilement entendus

La composition actuelle du CFL vise à prendre en compte les intérêts de chaque échelon de l'action publique locale, et à obtenir ainsi un consensus quant à l'affectation des dotations de l'État aux collectivités. Ce consensus est toutefois de moins en moins fréquent : lors de sa réunion du 18 avril 2023, le comité des finances locales s'est prononcé contre le projet de décret « filets de sécurité », jugeant insuffisants les moyens apportés par l'État, pour 2023, en contrepartie de la hausse des prix de l'énergie et de la revalorisation du point d'indice décidée en 2022. Là aussi, la DGCL assure le secrétariat du CFL.

Dès lors, cette composition pourrait être revue, notamment pour faire une place plus importante aux élus.

De surcroit, si les communes d'outre-mer sont représentées, les horaires des réunions du CFL ne permettent que rarement leur présence ou alors à des horaires indécents.

Par ailleurs, dans les faits, la présentation du projet de loi de finances au CFL quelques heures avant son dépôt au Parlement n'est pas suffisante. Elle se borne à un propos général du ministre des comptes publics accompagné du ministre en charge des collectivités visant à décrire les principales mesures concernant les finances locales. Le temps d'échange est quasiment inexistant et, dans tous les cas, inutile puisqu'il intervient alors même que les mesures sont déjà finalisées par le Gouvernement.

Enfin, à ce jour, sa consultation est facultative sur le projet de loi de finances de l'année et n'est obligatoire que pour les décrets à caractère financier concernant les collectivités locales41(*), conformément à l'article L1211-3 du CGCT qui prévoit que « le Gouvernement peut le consulter sur tout projet de loi, tout projet d'amendement du Gouvernement ou sur toutes dispositions règlementaires à caractère financier concernant les collectivités locales. Pour les décrets, cette consultation est obligatoire. Lorsqu'un décret à caractère financier concernant les collectivités territoriales crée ou modifie une norme à caractère obligatoire, la consultation du comité des finances locales porte également sur l'impact financier de la norme ».

Il est également indispensable que les documents soient transmis le plus en amont possible des réunions. En effet, la transmission des documents (décrets, rapports de présentation...) se fait souvent tardivement et les documents utilisés par les ministères pour leur présentation orale ne sont jamais transmis avant les réunions. Il en résulte une asymétrie de l'information rendant les échanges difficiles.

La non-atteinte du quorum, quasi systématique, est assez révélatrice d'un éloignement des élus dont les avis sont peu pris en considération.

c) Le rapprochement entre le CNEN et le CFL comme réponse aux dysfonctionnements constatés

Compte tenu de leur vocation, examiner les projets de texte relatifs aux collectivités territoriales, et face à l'insuffisance des moyens dont ils disposent, la tentation d'un rapprochement entre les deux instances est légitime.

Sur le fond, même s'ils examinent des textes différents, sous un prisme également différent, ils ont en commun d'être le « point de jonction entre la machine administrative de l'État central et le dernier maillon de proximité que sont les collectivités territoriales »42(*) d'après André Laignel et Alain Lambert, respectivement présidents du Comité des Finances Locales et du Conseil National d'Évaluation des Normes. Ces deux éminents spécialistes des finances locales appellent à répondre à la crise démocratique en suscitant une meilleure gouvernance des finances publiques, particulièrement locales. Dans une tribune commune, ils plaident pour un rapprochement entre leurs deux institutions qu'ils vont jusqu'à qualifier de « Défenseur des libertés locales »3, sur le modèle du Défenseur des droits. Dès lors qu'il serait assorti des garanties nécessaires, la rapporteure fait sien le principe d'un rapprochement entre les deux organismes. Sans aller jusqu'à qualifier une telle autorité de Défenseur des libertés locales, fonction déjà exercée par le Sénat, cette nouvelle autorité deviendrait un interlocuteur naturel des territoires auprès du Parlement et de l'exécutif.

Par ailleurs, la Cour des comptes, dans son rapport d'octobre 202243(*), recommande également la mise en place d'une autorité indépendante chargée d'émettre un avis sur les projets de lois relatifs aux collectivités territoriales et de veiller au respect des principes d'équilibre des finances locales, de compensation des transferts de compétences et des suppressions de fiscalité et de réduction des inégalités entre collectivités.

Enfin, il est indispensable que les documents soient transmis le plus en amont possible des réunions. En effet, la transmission des documents (décrets, rapports de présentation...) se fait souvent tardivement et les documents utilisés par les ministères pour leur présentation orale ne sont jamais transmis avant les réunions. Il en résulte une asymétrie de l'information rendant les échanges difficiles.

La non-atteinte du quorum, quasi-systématique, est assez révélatrice d'un éloignement des élus dont les avis sont peu pris en considération.

Recommandation n°1 : Renforcer le dialogue État / collectivités au plan national

La mission recommande un rapprochement du Comité des finances locales (CFL) et du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN). Une telle évolution permettrait :

- de mieux évaluer, en amont et en aval, l'impact des décisions de l'État sur l'équilibre des finances locales ;

- de fournir un appui au Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, dans le cadre de la mise en place, en son sein, d'une fonction transversale de veille et d'alerte sur les textes ayant un impact sur les collectivités territoriales.

Ce nouvel organe devra :

- donner davantage de poids aux élus locaux ;

- comporter une section « outre-mer » ;

- être obligatoirement consulté sur les projets de loi de finances et les projets de loi de finances rectificative.

4. Créer un partenariat CNEN-INSEE

Avec 5,8 ETP à disposition (cf. supra), et malgré le grand professionnalisme de ses membres, le Conseil national d'évaluation des normes ne dispose actuellement pas des moyens de certifier les études d'impact ni d'évaluer ex ante le coût prévisionnel des normes ayant un impact sur les collectivités territoriales même si, au cours de son audition44(*), son Président a rappelé que « Le CNEN n'aurait guère de difficulté d'être désigné certificateur des études d'impact actuelles, car elles ont si peu de consistance, qu'il serait aisé de faire le simple constat de leur insuffisance - et je crois donc qu'une certification, effectivement, permettrait d'exiger un peu plus de travail préparatoire. »

Un véritable travail de certification supposerait de conférer au CNEN les moyens de mener une contrexpertise sur tous les travaux intéressant les collectivités, en particulier en matière de statistiques et d'études économiques. C'est le choix qu'a fait l'Allemagne où Destatis, l'équivalent allemand de l'Institut national de la statistique est chargé d'une mission d'évaluation du « coût de la bureaucratie », avec une équipe dédiée d'environ quatre-vingts agents, qui vient en appui tant du Gouvernement fédéral que de l'homologue allemand du Conseil national de contrôle des normes, le NKR (Nationaler Normenkontrollrat).

Cette équipe dédiée est chargée d'évaluer le gain ou le coût net de chaque nouvelle norme, à la fois ex ante et ex post, à la fois pour les administrations, fédérales ou locales, mais aussi pour les entreprises et pour les citoyens. La méthodologie utilisée est précise, régulièrement actualisée, et rendue publique. Le coût net de chaque mesure, éventuellement actualisé, est accessible sur le site Internet de Destatis. Contrairement à ce que l'INSEE a pu constater avec les collectivités territoriales françaises lorsqu'il effectue des enquêtes sur ces dernières, les acteurs allemands concernés répondent en masse à ces consultations, bien conscients de l'impact des évaluations des politiques publiques sur les choix à venir. Destatis est ainsi sensibilisé en permanence aux coûts de transposition et aux coûts indirects révélés dans le temps (aménagement des locaux, formations, équipements informatiques, etc.), ce qui lui permet de les intégrer avec précision au montant réel d'un nouveau dispositif mis en place par une norme. De manière générale, sont pris en compte l'ensemble des coûts de conformité, c'est-à-dire les coûts annuels courants, immédiatement constatés, et les coûts de transposition qui se révèlent dans le temps.

La rapporteure constate que la France ne dispose actuellement ni des mêmes moyens, ni des mêmes ambitions : le département des études et des statistiques locales (DESL) de la DGCL comprend 10 agents dont 7 statisticiens45(*) de l'Insee mis à disposition, en position normale d'activité.

Ils ont vocation à établir les statistiques relatives aux collectivités territoriales dans divers domaines (fiscalité, budgets, intercommunalité, fonction publique territoriale...) et à élaborer divers documents comme « Les collectivités locales en chiffres » ou encore les bulletins d'information statistique. En parallèle, et compte tenu du rôle spécifique de la DESL et de l'appui que lui apporte l'INSEE, il n'existe pas, au sein de l'INSEE, de département spécifiquement consacré aux collectivités territoriales.

La France souffre donc la comparaison avec son voisin allemand. Pourtant, la rapporteure considère qu'il est temps de se doter des moyens d'évaluer avec exactitude et impartialité les coûts de mise en conformité à la norme en renforçant les moyens de l'INSEE qui se verrait confier, au-delà de sa mission statistique, une mission de maitrise d'oeuvre pour une quantification des coûts de conformité supportés par les collectivités territoriales. L'indépendance de l'INSEE lui garantirait l'objectivité nécessaire à la réalisation d'une telle mission, toutefois conditionnée par l'attribution des moyens adéquats.

Sur ce point, le rapport conjoint46(*) du CNEN et du NKR est particulièrement éclairant sur la nécessité, d'une part, d'améliorer le chiffrage ex ante des normes ayant un impact sur les collectivités, d'autre part de tendre en France vers l'instauration d'un contrôle ex post collaboratif comme c'est le cas outre-Rhin, ce qui suppose dans les deux cas le recours à un organisme issu de la fusion du CFL et du CNEN aux moyens considérablement renforcés et bénéficiant de l'appui d'un département de l'INSEE consacré aux collectivités territoriales.


* 38 La masse salariale du CNEN (au prorata de leur temps de travail dédié à l'instance pour le chef de bureau et son adjoint) s'établit ainsi à environ 390 K€ dont 122 K€ financés par la DGF et 268 K€ par le ministère de l'intérieur et des outre-mer.

* 39 Article L. 1211-3 du code général des collectivités territoriales.

* 40 Article L. 1211-3 du code général des collectivités territoriales.

* 41 L'avis du comité des finances locales a été sollicité pour 798 décrets, 160 arrêtés et 32 ordonnances entre 1990 et 2022, là où celui du conseil national d'évaluation des normes a été sollicité pour 1305 décrets, 479 arrêtés et 108 ordonnances entre 2014 et 2022. Depuis 2014, le comité des finances locales a rendu 234 avis là où le conseil national d'évaluation des normes en a rendu 1 892 (chiffre Cour des comptes - rapport sur « Le financement des collectivités territoriales : des scénarios d'évolution », 2022.

* 42 Tribune commune d'André Laignel et d'Alain Lambert publiée le 13 janvier 2023 dans la Gazette des communes, « Nous avons besoin d'un Défenseur des libertés locales ! », consultable à l'adresse : https://www.lagazettedescommunes.com/845314/nous-avons-besoin-dun-defenseur-des-libertes-locales/

* 43 Voir le rapport de la Cour des comptes intitulé « Le financement des collectivités territoriales : des scénarios d'évolution », 2022.

* 44 Le compte rendu de l'audition est consultable à l'adresse : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230306/mi_finances_ct.html

* 45 Il s'agit de 2 cadres A+, et 5 cadres A.

* 46 Alain LAMBERT et Sabine KUHLMANN, « Rationaliser et évaluer les normes ; regards croisés franco-allemand », rapport conjoint du CNEN et du NKR, septembre 2021, consultable à l'adresse : https://www.cnen.dgcl.interieur.gouv.fr/inlinedocs/2c957f7fdf3c090391ecfa0c5520b789/rapport-definitif.pdf