TRAVAUX EN COMMISSION

Création de la mission d'information et désignation d'un rapporteur
(Mercredi 8 mars 2023)

M. Didier Mandelli, président. - Je cède à présent la parole à mon collègue Philippe Tabarot qui a une proposition à nous faire.

M. Philippe Tabarot. - Il y a maintenant environ un an et demi, nous examinions la loi « Climat et résilience », dont le volet « Se déplacer » prévoyait d'étendre le champ d'application des zones à faibles émissions-mobilité (ZFE-m) aux 43 agglomérations françaises comptant plus de 150 000 habitants, et d'en renforcer le régime, avec une interdiction échelonnée de 2023 à 2025 des véhicules disposant de vignettes Crit'air 5 à 3.

En tant que rapporteur à l'époque, et avec votre soutien, j'avais alerté sur la nécessité d'une approche plus souple et territorialisée des ZFE, permettant de mieux associer les collectivités territoriales à leur instauration et d'accompagner les particuliers, mais aussi les entreprises dans cette transition, par exemple en renforçant les dispositifs d'aide à l'acquisition de véhicules propres.

Malheureusement, comme vous le savez, notamment pour ceux qui ont participé à la commission mixte paritaire, certains n'avaient pas été sensibles, ou à tout le moins très partiellement, à nos propositions.

Deux ans plus tard, les remontées de terrain se multiplient pour dénoncer les incohérences entre l'objectif fixé par le Gouvernement et la réalité : manque de lisibilité du dispositif, insuffisance de l'offre des transports collectifs - tel n'est pour l'heure pas mon constat, mais c'est en tout cas ce que l'on entend beaucoup sur nos territoires - et des infrastructures dédiées aux mobilités douces dans nos agglomérations, faible disponibilité de l'offre de véhicules propres et reste à charge à l'acquisition demeurant très élevé, déploiement insuffisant des bornes de recharge pour les véhicules électriques, ou encore absence de moyens de contrôler efficacement le respect des restrictions, etc.

En l'état actuel des choses, on ne peut que craindre que la mise en place des ZFE ne conduise à un creusement des fractures sociales et territoriales au détriment des populations les plus fragiles et éloignées du coeur des villes, ce dont aucun d'entre nous ne peut se satisfaire.

L'actualité récente nous donne quelque part raison : la métropole de Lyon a récemment annoncé un report de deux ans de l'interdiction des véhicules Crit'air 2, compte tenu de l'insuffisance des mesures destinées au développement des alternatives aux véhicules polluants. Pas plus tard que la semaine dernière, Fabien Roussel, secrétaire général du Parti communiste français, a également appelé à décaler l'entrée en vigueur des interdictions de circulation, faute d'un accompagnement social adéquat de la part de l'État.

J'en viens donc au coeur de mon propos : il me semble essentiel que notre commission se penche à nouveau sur ce sujet des ZFE-m, par exemple sous la forme d'une mission d'information « flash », afin d'identifier rapidement des solutions à ces écueils. Je reconnais que le sujet est sensible, je pense que nous partageons globalement le diagnostic quant aux difficultés de mise en oeuvre des ZFE. Le débat qui s'est tenu en séance publique le 10 janvier dernier l'a d'ailleurs largement illustré.

Je vous soumets donc cette idée, mes chers collègues. L'idéal serait de lancer nos travaux assez rapidement. Je ne manquerai pas, si vous m'en donnez la possibilité, de vous associer bien sûr à ma réflexion, aux auditions que je serai susceptible d'organiser, également aux déplacements sur vos territoires, même si l'on ne pourra pas aller dans toutes les ZFE déjà existantes ou prochainement mises en place. L'idée est que le Sénat ne soit pas absent de ce débat. Nous avons été les premiers à dénoncer un certain nombre de difficultés de mise en place susceptibles de se faire jour, et je crois que l'évolution de la situation, malheureusement, nous donne raison.

M. Didier Mandelli, président. - Il est vrai que c'est un sujet - chacun le mesure - hautement inflammable, et je dirais dans des proportions susceptibles d'être bien supérieures à ce qui avait conduit à la mobilisation des gilets jaunes à l'époque. Je vous suggère donc de donner une suite favorable à cette proposition, et de laisser Philippe Tabarot conduire cette action le plus rapidement possible. Ce sujet d'actualité est très prégnant. Ces travaux seront ouverts à tous ceux qui souhaiteront y participer.

La commission désigne Philippe Tabarot rapporteur de la mission d'information sur les zones à faibles émissions.

Examen du rapport d'information
(Mercredi 14 juin 2023)

M. Jean-François Longeot, président. - Nous en venons à présent à notre second point de l'ordre du jour, à savoir l'examen du rapport de la mission d'information « flash » sur les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m). Avant toute chose, je tiens à remercier le rapporteur, Philippe Tabarot, d'avoir conduit ce travail sur un sujet particulièrement épineux dans des délais très brefs.

Pour rappel, les ZFE-m ont été créées par la loi d'orientation des mobilités (LOM), texte que notre commission avait examiné début 2019, en réponse aux problématiques de dépassements récurrents des normes de qualité de l'air dans certaines agglomérations. Leur régime s'est vu considérablement renforcé par la loi « Climat et résilience », texte que nous avons examiné à l'été 2021 et dont Philippe Tabarot était rapporteur sur le volet « Se déplacer ».

Ce rapport de la mission « flash » ZFE-m dont Philippe Tabarot va dans quelques instants nous présenter les grands axes constitue en cela un rapport d'application de la loi « Climat et résilience ». Il s'agit d'un jalon précieux qui, près de deux ans après l'adoption de la loi, nous permet de faire un point d'étape sur l'application de la loi et sur les éventuelles évolutions à envisager.

M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Je suis heureux de vous présenter les principales conclusions et recommandations du travail que j'ai eu l'honneur de conduire en tant que rapporteur de la mission d'information « flash » relative aux zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m). Je vous remercie de la confiance que vous m'avez accordée pour mener cette mission.

Comme vous le savez, cette mission a été créée en mars dernier, en réponse à un constat partagé : partout où elles sont mises en oeuvre, les ZFE-m font l'objet de vives inquiétudes et cristallisent un certain nombre de tensions. Afin de faire le point sur la situation et surtout de proposer des pistes pour améliorer l'acceptabilité du dispositif, j'ai souhaité, ces trois derniers mois, rencontrer les principaux acteurs des ZFE-m : collectivités territoriales, usagers - aussi bien particuliers que professionnels - ONG, acteurs économiques, administrations publiques, etc.

J'ai entendu 45 organisations et réalisé deux déplacements - le premier à Strasbourg, en présence de notre collègue Jacques Fernique et le second à Marseille - qui m'ont permis, au total, d'échanger avec 120 personnes concernées par cette question. J'ai également mis un point d'honneur à entendre les présidents ou vice-présidents des 11 agglomérations ayant mis en place une ZFE-m en application de la LOM, afin de recueillir leur retour d'expérience.

En outre, et afin de recueillir le ressenti de nos concitoyens sur le déploiement des ZFE-m, j'ai pris l'initiative d'organiser une consultation en ligne sur le site du Sénat. Mise en ligne pendant à peine un mois, cette consultation a battu tous les records de participation, puisqu'elle a recueilli plus de 51 000 réponses, en très grande majorité de la part de particuliers concernés, de près ou de loin, par l'entrée en vigueur d'une ZFE-m. Si cette consultation n'a aucunement valeur de sondage, les principaux résultats m'ont permis de mieux comprendre les préoccupations de nos concitoyens et de mettre en lumière certaines corrélations intéressantes, sur lesquelles j'aurai l'occasion de revenir.

Enfin, et alors que les modèles étrangers sont, en matière de ZFE-m, souvent présentés en exemple, j'ai souhaité recourir à une étude comparée afin d'explorer les modalités de mise en oeuvre retenues par certains de nos pays voisins. Je remercie d'ailleurs la division de la législation comparée pour son travail remarquable.

Avant toutes choses, je vous propose d'évoquer le contexte dans lequel les ZFE-m ont été instituées. Comme vous le savez, cet outil a été pensé pour lutter contre la pollution de l'air dans notre pays et les problèmes sanitaires qui en résultent : il est admis que la pollution atmosphérique déclenche ou aggrave de nombreuses pathologies notamment respiratoires, cardiovasculaires et neurologiques conduisant à réduire l'espérance de vie.

Les polluants les plus dangereux font l'objet d'une surveillance au niveau national, notamment les particules fines (PM10 et PM2,5) auxquelles on attribue 40 000 décès par an en France parmi les personnes âgées de plus de 30 ans et les oxydes d'azote (NOx), qu'on estime responsables de 7 000 morts par an.

Si ces vingt dernières années la qualité de l'air s'est nettement améliorée dans notre pays, de nombreuses agglomérations demeurent confrontées à des dépassements récurrents des seuils réglementaires. Cette situation a donné lieu à l'engagement de procédures contentieuses à l'encontre de la France par le Conseil d'État et, au niveau européen, par la Cour de justice de l'Union européenne. Depuis 2020, l'État français a été condamné à verser 30 millions d'euros d'astreinte du fait de l'insuffisance des actions engagées pour lutter contre la pollution de l'air.

Dans ce contexte, la première recommandation de mon rapport consistera à améliorer l'information des citoyens sur les enjeux sanitaires de premier plan soulevés par la pollution atmosphérique. Il me semble que sensibiliser les citoyens à ces questions ne peut que contribuer à améliorer l'acceptabilité des politiques mises en oeuvre pour améliorer la qualité de l'air, à commencer par les ZFE-m.

Pour autant, on est en droit de se questionner sur la capacité des ZFE-m à répondre à ces problématiques de santé publique de manière efficace. Trois points me semblent intéressants à mettre en avant.

Premièrement, si les ZFE-m permettent d'agir sur les émissions d'oxydes d'azote (NOx), dont le transport routier est la source principale dans notre pays (à 54 %), cet outil apparaît moins efficace pour réduire l'exposition aux particules fines, qui sont plus majoritairement générées par le secteur résidentiel, notamment le chauffage au bois, ainsi que, dans une plus faible mesure, par l'agriculture et l'industrie.

Deuxièmement, la part du transport routier dans la pollution atmosphérique peut sensiblement varier selon les territoires : elle est plus forte à Paris que dans des territoires dans lesquels le secteur industriel occupe une place importante, comme les Bouches-du-Rhône par exemple. Cela plaide pour une approche globale, mais aussi territorialisée pour lutter efficacement pour la pollution de l'air.

Troisièmement, les ZFE-m, à travers le système de classification Crit'air des véhicules, ne permettent de prendre en compte que les émissions polluantes liées au système d'échappement du véhicule, alors qu'une part importante des émissions de particules est liée au système de freinage et à l'abrasion des pneus.

Au total, il est trop tôt pour évaluer les résultats des ZFE-m mises en place en France à ce stade. Certaines agglomérations, comme la métropole de Lyon, font néanmoins part de premiers résultats encourageants s'agissant des émissions d'oxydes d'azote. Ailleurs en Europe, les résultats apparaissent contrastés : les ZFE-m de Stuttgart et de Bruxelles présentent des résultats positifs en termes de réduction des émissions, mais ils seraient apparemment plus mitigés dans la ZFE-m de Milan.

J'en viens à présent au vif du sujet : le déploiement des ZFE-m en France. Comme vous le savez, les ZFE-m sont les héritières de dispositifs plus anciens créés par la loi à partir des années 2010, les ZAPA puis les ZCR. En l'état actuel du droit, plusieurs régimes de ZFE-m coexistent et sont le fruit d'un empilement de « couches » successives. Le cadre général des ZFE-m a été posé par la loi d'orientation des mobilités (LOM) qui prévoit, en effet, plusieurs dispositifs : aux côtés des ZFE-m qui peuvent être créées à titre facultatif, a été rendue obligatoire la création de ZFE-m dans les zones connaissant des dépassements des normes de qualité de l'air. 11 ZFE-m ont ainsi été créées en application de la LOM. Dans ces zones, et jusqu'à récemment, les agglomérations concernées étaient libres de définir par arrêté les modalités de mise en oeuvre de la ZFE-m dans leur territoire, à la fois s'agissant de son application temporelle, des catégories de véhicules concernés ou encore des dérogations mises en place.

La loi « Climat et résilience », que nous avons adoptée il y a deux ans, et dont j'étais le rapporteur sur le volet « Se déplacer », a ajouté deux étages supplémentaires à cet « empilement » de régimes.

D'une part, elle prévoit que dans les ZFE-m rendues obligatoires en application de la LOM et dans lesquelles des dépassements de normes de qualité de l'air sont encore enregistrés, un schéma précis de restrictions de circulation s'applique, qui consiste à interdire l'accès à ces zones aux véhicules légers suivants : les véhicules classés Crit'air 5 en 2023, les véhicules classés Crit'air 4 en 2024 et les véhicules classés Crit'air 3 en 2025. Il s'agit d'un calendrier qui me semble, dans les conditions actuelles, précipité. J'aurai l'occasion de revenir sur ce point.

D'autre part, la loi « Climat et résilience » rend obligatoire la création, avant le 31 décembre 2024, d'une ZFE-m dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants.

Où en est-on aujourd'hui ? Comme évoqué précédemment, 11 ZFE-m ont d'ores et déjà été créées en application de la LOM. Pour 4 à 5 d'entre elles, d'après le ministère de la transition écologique, le schéma de restrictions de circulation que je viens de mentionner devrait s'appliquer.

À ce jour, on constate un déploiement en ordre dispersé des ZFE-m. Chacune des agglomérations concernées a fixé son propre calendrier d'entrée en vigueur des restrictions de circulation, pour tenir compte des situations et enjeux propres à chaque territoire. Certaines agglomérations ont fait le choix de mettre en oeuvre des restrictions de circulation avant les échéances prévues dans la loi, beaucoup ont également intégré des mesures s'appliquant aux véhicules lourds ou encore aux deux et trois roues motorisées. Certaines agglomérations ont mis en oeuvre une ZFE-m valable 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, quand d'autres la restreignent aux jours de semaine, de 8 heures à 20 heures par exemple.

En bref, les ZFE-m se déploient, mais ne se ressemblent pas. Pour certains usagers, et notamment pour les professionnels du transport de marchandises, cette hétérogénéité des règles retenues rend complexes les déplacements d'une ZFE-m à l'autre.

Cette situation ne devrait pas s'améliorer, compte tenu de l'obligation de création d'une ZFE-m dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants d'ici 2025. Au total, plus de quarante agglomérations devraient être concernées, ce qui pourrait, à terme, nuire davantage à la lisibilité du dispositif, voire devenir insupportable pour certains particuliers ou professionnels. Je pense à certaines régions, comme les Hauts-de-France ou encore Auvergne-Rhône-Alpes, qui devraient compter 6 ZFE-m d'ici 2025. Comment expliquer à un artisan travaillant à la fois à Lyon, Grenoble, Saint-Étienne et Annecy que son véhicule peut rentrer dans telle agglomération sur certains horaires, mais pas dans une autre ?

Aussi, afin d'anticiper le déploiement à plus grande échelle du dispositif et pour permettre une mise en oeuvre concertée des ZFE-m en cours avec celles à venir, je vous soumettrai une proposition de recommandation visant à organiser des conférences régionales pour permettre une meilleure articulation des dispositifs entre eux.

Cela étant dit, les ZFE-m étant un outil de santé publique, politique qui, il faut le rappeler, relève de la responsabilité de l'État, leur déploiement par les collectivités territoriales devrait, en toute logique, pouvoir s'appuyer sur un réel accompagnement de l'État. Beaucoup d'agglomérations nous ont indiqué que cet accompagnement n'était pas au rendez-vous, ni en matière d'information, ni en termes de soutien financier, ni s'agissant du contrôle, de telle sorte que plusieurs d'entre elles ont le sentiment d'être en première ligne pour mettre en oeuvre ce dispositif.

Si je résume : beaucoup d'acteurs regrettent que l'État n'ait pas mis en oeuvre une campagne nationale d'information du public. S'agissant du soutien financier, les moyens déployés dans le cadre du Fonds vert sont nettement sous-dimensionnés. Enfin, si j'en viens au contrôle, le déploiement de la lecture automatisée des plaques d'immatriculation par l'État accuse désormais quatre années de retard.

Au-delà de ce défaut d'accompagnement de l'État, que l'on ne peut que regretter, la mise en oeuvre des ZFE-m pose plusieurs difficultés majeures.

En premier lieu, les restrictions de circulation en vigueur et surtout celles à venir en application du schéma prévu par la loi « Climat et résilience » sont susceptibles de concerner, à court terme - et plus exactement d'ici un an et demi - environ un tiers du parc automobile national. Dans l'absolu, ces mesures nécessiteraient le remplacement de 13 millions de véhicules en moins de deux ans même si, j'y reviendrai, une part de ces véhicules pourrait évidemment ne pas être renouvelée grâce au report modal que les membres de notre commission appellent de leurs souhaits.

Or, et cela me conduit à mon second point, le renouvellement d'un tel volume de véhicules dans des délais aussi contraints suppose une très forte accélération du rythme d'évolution du parc observé ces dix dernières années, qui semble matériellement peu réaliste. En outre, si une offre de véhicules légers peu polluants est d'ores et déjà disponible, la situation est bien plus contrastée pour les véhicules les plus lourds.

Outre la question de la disponibilité, celle du coût des véhicules est également centrale. À ce jour, et malgré les aides existantes, le reste à charge pour les ménages comme pour les professionnels reste souvent trop élevé pour réellement permettre un verdissement du parc dans de tels délais.

Dans ce contexte, le dispositif ZFE-m tel qu'il existe aujourd'hui présente un risque de creusement des fractures sociales et territoriales. Les craintes que nous avions formulées il y a deux ans, à l'occasion de l'examen du projet de loi « Climat et résilience » se matérialisent aujourd'hui. En l'état, la mise en oeuvre des ZFE-m dans des délais aussi serrés, et sans accompagnement suffisant, est de nature à faire porter la contrainte prioritairement sur les ménages les plus modestes. Ainsi, dans le 3e arrondissement de Marseille, qui est l'arrondissement le plus pauvre de France, 52 % des véhicules sont classés Crit'air 5, 4 ou 3.

En outre, les ZFE-m contraindront sans doute davantage la mobilité des usagers éloignés de centres-villes qui ne disposent pas d'alternative satisfaisante et qui, de fait, sont plus dépendants de leur véhicule. Alors que la hausse des prix de l'immobilier a bien souvent conduit ces ménages à résider hors des agglomérations, dans des zones où les transports collectifs sont souvent moins denses, leur interdire l'accès lorsqu'ils souhaitent s'y rendre pour travailler ou pour leurs loisirs pourrait ainsi s'apparenter à une « triple peine ».

La consultation en ligne que j'évoquais tout à l'heure a d'ailleurs mis en lumière la corrélation entre le niveau d'acceptabilité d'une ZFE-m et le lieu d'habitation du répondant, d'une part, et le fait de disposer de solutions alternatives satisfaisantes, d'autre part.

Aussi, et compte tenu des nombreuses difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre des ZFE-m, il est nécessaire de prendre des décisions courageuses pour accompagner les changements de comportement en matière de mobilité, d'une part, et pour rendre les calendriers de mise en oeuvre plus réalistes, d'autre part.

Pour répondre à ces difficultés, je vous soumets trois axes de propositions. Le premier axe consiste à accélérer le verdissement du parc de véhicules routiers et je vous proposerai trois mesures.

Premièrement, renforcer les aides à l'acquisition de véhicules propres neufs. D'une part, je proposerai de renforcer et de mieux cibler le bonus écologique et la prime à la conversion, au bénéfice des ménages modestes et résidant à distance des agglomérations. D'autre part, je souhaite que soit généralisé le prêt à taux zéro pour l'acquisition de véhicules propres légers institué par la loi « Climat et résilience », pour en faire un dispositif pérenne touchant les ménages et entreprises situés dans ou à proximité des 43 ZFE-m imposées par la loi. Dans le même ordre d'idée, je propose de créer un prêt à taux zéro spécifique pour les poids lourds propres, comme je l'avais proposé lors de l'examen de la loi « Climat et résilience », auquel seront aussi éligibles les autocars.

Deuxièmement, compte tenu des capacités limitées du renouvellement du parc de véhicules existant, il me semble indispensable d'encourager le développement d'un marché de l'occasion pour les véhicules propres et le recours au rétrofit. À ce titre, je vous proposerai notamment de permettre aux particuliers et aux professionnels d'utiliser le bonus écologique pour acquérir un véhicule d'occasion classé Crit'air 1, en complément des véhicules électriques et hydrogène. Afin d'encourager le recours au rétrofit pour les véhicules lourds, pour lesquels l'offre de véhicules propres neufs est aujourd'hui très limitée, je proposerai de rendre ces véhicules éligibles à la prime au rétrofit et de permettre aux entreprises de bénéficier du suramortissement vert lorsqu'elles acquièrent un véhicule rétrofité dont le poids total autorisé en charge est supérieur à 2,6 tonnes.

Troisièmement, nombre d'acteurs entendus critiquent la complexité et le manque de lisibilité du système d'aides à l'acquisition actuel, qui repose sur une multiplicité de dispositifs au niveau national et local. Bien souvent, cette situation alimente un phénomène de non-recours aux aides que France urbaine estime de l'ordre de 50 %. Pour y remédier, je propose d'instituer, au niveau de chaque région, un guichet unique rassemblant l'ensemble des aides proposées par l'État et les collectivités territoriales du territoire concerné.

Le deuxième axe concerne le soutien aux alternatives à l'usage de la voiture. Si le déploiement des ZFE-m conduit de fait à encourager le renouvellement du parc, cet outil doit être pensé dans le cadre d'une politique plus globale de mobilités des personnes et des marchandises. Le remplacement de l'ensemble des véhicules les plus polluants par des véhicules «  propres » n'est pas en soi à rechercher et ne réglera pas, par exemple, la problématique de la congestion.

L'existence d'une offre de solutions alternatives satisfaisantes et régulières devrait, en toute logique, constituer un préalable à la mise en place d'une ZFE-m. C'est pourquoi il apparaît prioritaire de davantage faire coïncider les échéances d'entrée en vigueur des restrictions de circulation des véhicules en ZFE-m avec les perspectives d'accroissement de l'offre de transports collectifs et de mobilités douces.

Dans cette perspective, je vous proposerai une recommandation visant à créer un choc d'offre alternative de transports à l'autosolisme : développement des services express métropolitains, de pôle d'échanges multimodaux, de services de car express, abaissement du taux de TVA à 5,5 % sur les transports collectifs.

Je me permets d'ajouter qu'en matière de transports collectifs, une attention particulière doit être accordée aux territoires périurbains et ruraux, dans lesquels les alternatives aux véhicules individuels sont bien souvent insuffisantes. Or, d'après France urbaine, 50 % des mobilités dans une ZFE-m viennent de l'extérieur de cette zone.

Il s'agira également de « booster » la demande, afin de rendre plus attractifs les modes les moins polluants. Cela pourrait notamment passer par la création d'une aide, qui s'inspirerait d'un dispositif mis en oeuvre à Bruxelles, et qui permet, en échange de la mise au rebut d'un véhicule polluant, de bénéficier d'un budget mobilité à dépenser parmi un panier de services de mobilité : transports en commun, vélos, voitures électriques, taxis, etc.

J'en arrive au troisième et dernier axe : assouplir le calendrier de restriction de circulation pour lequel je vous soumettrai deux mesures.

Premièrement, je proposerai de rationaliser les calendriers d'entrée en vigueur des interdictions de circulation qui apparaissent sincèrement irréalistes du fait d'échéances trop rapprochées.

Les difficultés rencontrées dans les 11 ZFE-m instituées par la LOM prouvent que les craintes exprimées par le Sénat lors de l'examen de la loi « Climat et résilience » se sont concrétisées. Plusieurs agglomérations ont d'ailleurs déjà annoncé des reports de calendrier, quelle que soit leur couleur politique, faute d'un accompagnement suffisant pour les usagers. Les exemples étrangers démontrent que la progressivité du calendrier est la clé de la réussite des ZFE-m et un gage d'acceptabilité essentiel. À titre d'exemple, la ZFE-m de Bruxelles, instituée en 2018, prévoit un calendrier d'entrée en vigueur des interdictions de circulation qui s'étale sur 18 ans, jusqu'en 2036.

S'agissant des agglomérations de plus de 150 000 habitants qui devront mettre en place une ZFE-m d'ici à 2025, le constat est le même : plusieurs agglomérations ont indiqué que le calendrier était « impossible à tenir » et qu'il ne tenait pas compte des délais nécessaires au déploiement d'une offre suffisante en modes alternatifs à la voiture individuelle.

Enfin, les professionnels ont besoin de davantage de visibilité concernant les restrictions qui seront appliquées, en particulier pour les poids lourds et engins spéciaux qui ne disposent pas toujours, à ce stade, d'alternatives peu polluantes disponibles sur le marché.

En conséquence, je vous propose de rendre le calendrier actuel plus réaliste à travers trois leviers. Il s'agit d'abord de repousser à 2030 au plus tard l'entrée en vigueur des restrictions de circulation concernant les véhicules classés Crit'air 3 dans les ZFE-m « LOM » dans lesquelles le schéma de restrictions s'applique. Il s'agit ensuite de fixer au 1er janvier 2030, plutôt que 2025, la date butoir pour la création d'une ZFE-m dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants, en leur laissant la possibilité de recourir à des solutions alternatives plus efficaces - à travers la mise en place de zones à 30 km/h ou encore par la suppression de feux tricolores - ou d'avancer le calendrier si elles le souhaitent. Il s'agit enfin, dans l'ensemble des ZFE-m rendues obligatoires, d'autoriser la circulation des véhicules lourds classés Crit'air 2 jusqu'en 2030 dans l'ensemble des ZFE-m rendues obligatoires, comme c'est notamment le cas aux Pays-Bas et en Allemagne.

Deuxièmement, et c'est l'objet de la dernière proposition, compte tenu des contraintes qui pèsent sur le renouvellement du parc de véhicules, je vous proposerai une mesure d'accompagnement pragmatique permettant d'individualiser le système de vignettes Crit'air en fonction du degré d'entretien des véhicules.

L'entretien peut en effet avoir une incidence non négligeable sur la quantité de polluants émis par un véhicule et sur sa performance environnementale. Certains de nos voisins, comme l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas, sont d'ailleurs en train d'intégrer au contrôle technique un comptage des particules fines émises par les véhicules. La France avait adopté un dispositif similaire visant à renforcer le contrôle des émissions polluantes dans le cadre du contrôle technique dans la loi de transition énergétique en 2015, mais celui-ci est demeuré lettre morte, faute de publication du décret d'application par le Gouvernement.

Je propose donc d'enfin appliquer ce dispositif et d'instituer une dérogation d'accès aux ZFE-m pour les véhicules les mieux entretenus et respectant des seuils d'émissions de polluants atmosphériques qui pourraient être vérifiés lors du contrôle technique habituel. Ce dispositif aurait pour mérite de récompenser les comportements vertueux.

Je forme le voeu que de telles évolutions permettent de réconcilier amélioration de la qualité de l'air et acceptabilité des ZFE-m.

M. Jacques Fernique. - Je remercie Philippe Tabarot pour son travail, pour la qualité des apports de la mission d'information et sur son état d'esprit d'ouverture, permettant de partager collectivement un certain nombre d'auditions et de déplacements, dont celui à l'Eurométropole de Strasbourg.

Au cours de ces auditions, nous avons d'ailleurs pu constater que certains élus écologistes pouvaient faire référence, s'agissant des ZFE-m, à une forme d' « écologie punitive ». Ce n'est pas pour autant représentatif des élus écologistes en responsabilité, et je pense notamment à Bruno Bernard, président de la métropole de Lyon. Nombreux sont ceux qui soutiennent le dispositif des ZFE-m rendu obligatoire par la loi. Ils s'efforcent de le mettre en oeuvre avec beaucoup d'exigence pour que les conditions de sa réussite soient améliorées, et elles doivent l'être. C'est d'ailleurs ce que met en avant une partie des propositions du rapport d'information.

La liste des recommandations s'intitule : « Sortir de l'impasse ». À mon sens, l'image de l'impasse ne convient pas tout à fait. Je parlerai plutôt d'une route de montagne difficile pour s'extraire de la purée de pois et pouvoir respirer à l'air libre.

Pourquoi s'engager dans la voie des ZFE-m ? La pollution de l'air tue prématurément entre 42 000 et 97 000 personnes chaque année dans notre pays, selon les études. La France a été condamnée depuis des années pour ses mauvais résultats en la matière. Les conséquences économiques de cette pollution sont importantes : elles ont été estimées par le Sénat il y a quelques années à 98 milliards d'euros. Enfin, cette pollution touche les personnes fragiles : les jeunes enfants, les plus précaires et les plus pauvres.

Certes, il y a un vrai souci d'acceptabilité sociale des ZFE-m du fait de leur impact sur les milieux populaires. Cependant, prolonger la situation actuelle reviendrait d'une certaine façon à se résoudre à une situation sanitaire inacceptable, qui touche surtout les plus précaires.

Dans l'ascension difficile de cette route de montagne, se pose la question de l'altitude et du timing.

Pour l'altitude, certains souhaiteraient aller au-delà de la loi en ajoutant les véhicules classés Crit'air 2 à échéance 2028. Lyon a apporté quelques ajustements sur ce point, mais vise tout de même cette échéance. Il en va de même pour l'Eurométropole de Strasbourg, qui a conditionné cet objectif à deux évaluations intermédiaires en 2024 et 2026 pour estimer si cela est nécessaire au regard de la qualité de l'air effective, du déploiement des aides, des évolutions de report modal et de la disponibilité des véhicules.

Je crois que cette question de l'accélération de la « dédieselisation » dans un contexte de fin de ventes des moteurs thermiques neufs en 2035 est posée à raison. Elle se posera dans tous les cas si nous voulons obtenir des effets majeurs qui montreront que ces contraintes produisent des résultats utiles. À défaut, il sera difficile de faire accepter les ZFE-m.

En clair, avec le plan ZFE-m prévu par la loi actuelle - c'est-à-dire les véhicules classés Crit'air 5, 4, 3 - les émissions de dioxyde d'azote pourraient diminuer de 15 %. Si nous ajoutons à l'horizon 2028 et 2030 les véhicules classés Crit'air 2, ce chiffre sera porté à 70 % - d'où l'intérêt de l'échéance européenne de fin de vente des véhicules thermiques neufs en 2035.

C'est sur la question du timing que je suis en désaccord avec le rapporteur, ainsi qu'avec la position de la majorité sénatoriale, et ce depuis la loi « Climat et résilience ». J'ai bien peur que la proposition n° 8 n'occulte les propositions n° 1, 4, 5 et 7, qui sont positives. En effet, la proposition n° 8 conforte les tenants d'un immobilisme. Pour mon agglomération de Strasbourg, nous pourrions ainsi, dans l'esprit de cette recommandation, nous arrêter là où nous en sommes. Nous avons interdits les véhicules classés Crit'air 5 depuis 2022, avec sanctions depuis 2023, ceux classés Crit'air 4 depuis le 1er janvier de cette année, au moins en interdiction pédagogique, avec des sanctions à partir de l'année prochaine. Nous pourrions ainsi nous mettre en stand-by pour sept ans en attendant de passer aux véhicules classés Crit'air 3 en 2030. Je crois qu'au regard des impacts sanitaires et sociaux de la pollution de l'air, cette situation serait désastreuse.

Allons-nous réellement trop vite concernant les ZFE-m ? Avant tout, il faut dire que la France est en retard ; c'est son inaction passée qui l'a faite condamner et qui contraste fortement avec d'autres pays, comme l'Italie et les Pays-Bas. Nous aurions pu avoir 20 ans pour mener cette transition. Or, nous sommes contraints aujourd'hui d'aller plus vite et cela explique pourquoi les accompagnements à déployer doivent être à la hauteur.

Ainsi, très concrètement, la proposition n° 3 plaide pour assouplir le régime des sanctions. Or, avant de l'assouplir, il faudrait déjà le créer. La mise à disposition de radars dédiés par l'État devrait intervenir fin 2024, avec plus de quatre ans de retard, et encore, ce n'est toujours pas certain. Dans tous les cas, il faudra les déployer et s'assurer que le produit des amendes revienne aux collectivités mettant en place des ZFE-m.

Concernant la proposition n° 4, qui prévoit des aides pour faciliter l'acquisition de véhicules neufs et peu polluants, j'y suis favorable. Cependant, il faudrait supprimer, pour ceux pour lesquels cela est vraiment nécessaire, l'avance que doivent faire les bénéficiaires.

Passons maintenant à la proposition n° 6 relative à l'instauration d'un guichet unique régional ; je pense que la mise en oeuvre de cette proposition sera difficile si elle dépend de l'exécutif politique d'une région totalement défavorable au dispositif. Je crois avoir compris néanmoins que ce dispositif est envisagé sous l'égide du représentant de l'État dans la région.

S'agissant de la proposition n° 9 relative au contrôle technique, il nous paraît contre-productif de confier aux professionnels du contrôle technique la possibilité d'attribuer un passe-droit sur la base d'un certificat d'« Éco-entretien » qui risque d'être assez « fumeux »... Si le contrôle technique doit avoir un rôle à jouer, l'application systématique, à cette occasion, de la vignette Crit'air pourrait être le bon outil.

Vous l'aurez compris, toute la qualité du travail et des contributions de Philippe Tabarot ne m'empêche pas d'être en désaccord avec l'essentiel du message délivré par ses propositions de nature à alimenter, je le crains, ceux qui voudraient plutôt neutraliser une politique volontariste.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Je souhaite d'abord remercier Philippe Tabarot pour son travail.

Selon moi, entre le souhait et la réalité, il faut trouver des solutions pragmatiques.

J'aimerais rappeler ces 40 000 décès par an au niveau national, causés par la pollution de l'air. Je vis actuellement dans la métropole de Lyon, dans laquelle plus de 15 000 personnes sont soumises quotidiennement au dioxyde d'azote d'une façon excessive. Nous savons pertinemment qu'un certain nombre d'enfants auront des difficultés de santé dans le temps. Et c'est pour cette raison qu'ont été mises en place les ZFE-m.

Pour ce qui est de la métropole de Lyon, le calendrier de mise en oeuvre des ZFE-m était au départ très optimiste. Une partie des membres de la majorité, dont je suis, avait commencé à émettre des réserves concernant le respect d'un tel calendrier, position qui n'était pas partagée par l'ensemble des élus. Il existe en effet, au sein des communes de la métropole de Lyon, des différences de situations sociologiques entre les populations, qui expliquent les clivages entre les élus. Dans la commune de Villeurbanne par exemple, toute une partie de la population est soumise à la pollution et est également dans une situation économique ne lui permettant pas de suivre le mouvement. C'est le cas aussi notamment de la ville de Vénissieux.

Concernant la consultation en ligne réalisée par le Sénat, qui n'est pas un sondage, si je me fonde sur mon terrain, je retrouve les arguments qui expliquent le manque d'acceptabilité des ZFE-m. Je fais référence aux difficultés financières à acquérir un nouveau véhicule, ce qui explique pourquoi certains voulaient étaler le calendrier sur la durée. Une partie de la population travaille au sein de la métropole de Lyon, mais habite en dehors de celle-ci (dans les territoires du Nouveau Rhône et du Nord-Isère par exemple). Or, tous les élus affirment qu'il n'y a pas de transports en commun pour réaliser de tels trajets. Les habitants sont donc là aussi confrontés à des difficultés pour changer de véhicule, ce qui interpelle bien évidemment sur le calendrier. Il est vrai que si nous avions déjà les moyens de faire respecter les voies dédiées au covoiturage, ce serait une avancée.

Cela dit, prévoir d'infliger des amendes et des infractions à des populations qui sont déjà confrontées à des difficultés financières pour changer de véhicule ne permettra pas de les aider à aller vers ce changement ni de favoriser l'acceptabilité des ZFE-m.

La proposition n° 8 me pose problème : est-ce du pragmatisme que de repousser l'entrée en vigueur des restrictions au plus tard à 2030 ? À force de retarder la mise en oeuvre, cela pourrait être équivalent à renoncer. Or, il me semble qu'il ne faut pas renoncer. Je m'interroge donc sur cette proposition d'évolution du calendrier.

La proposition n° 1 vise à organiser des campagnes d'information nationale et locales pour sensibiliser les citoyens aux risques sanitaires liés à la pollution atmosphérique et aux principales sources d'émissions. J'avais interpellé le ministre à ce sujet. Effectivement, nous avons renvoyé la communication de la mise en place des ZFE-m aux collectivités territoriales, ce qui est un non-sens. Par exemple, lorsque la métropole de Lyon fait de la communication, elle ne le fait que pour ses 59 communes, et pas au-delà. C'est bien une communication nationale qu'il faut réaliser et qui permettrait de mieux faire comprendre l'objectif d'améliorer la santé de l'ensemble de nos concitoyens. Je partage donc cette proposition forte, qu'il va falloir concrétiser.

J'ajoute également que les métropoles risquent de ne pas avancer de la même façon concernant la mise en oeuvre des ZFE-m. Cela ne posera pas de difficultés qu'aux professionnels. Au sein de la métropole de Lyon, certains habitants vont travailler à Marseille. Ainsi, si les règles à Marseille sont différentes de celles qui existent à Lyon, des problèmes risquent de se poser.

Concernant la proposition n° 9 relative à la vignette « Éco-entretien », serait-il possible de préciser si elle prend en compte, en plus de la vignette Crit'air, le poids de la voiture par exemple ?

J'aimerais souligner les initiatives suisses. Les personnes qui habitent en dehors de Zurich bénéficient d'un accès libre aux transports en commun pour s'y rendre, à partir du moment où elles font du covoiturage et se garent sur des parkings. On propose également aux familles éloignées du centre de Zurich de pouvoir bénéficier d'un taxi deux fois par mois pour s'y rendre.

Il en va de même pour Strasbourg qui prévoit des alternatives pour permettre à certaines familles de s'y rendre, lorsqu'elles n'ont pas encore pu changer de voiture.

Enfin, il y a également des innovations technologiques, notamment en Bourgogne-Franche-Comté. Une entreprise a mis au point un produit pour nettoyer les moteurs. Cela ne réglera pas tous les problèmes, certes, mais l'entretien du moteur avec ce produit permet de réduire considérablement la pollution pour les véhicules de ville.

Mme Marta de Cidrac. - Tout d'abord, je souhaite véritablement saluer et remercier Philippe Tabarot pour tout le travail qu'il a effectué. Je me souviens, à l'occasion de la loi « Climat et résilience », de tous les débats que nous avons pu avoir autour de ce sujet-là.

Comme l'a très bien rappelé le rapporteur, 40 000 personnes décèdent de la pollution de l'air chaque année. Il faut que nous soyons tous très attentifs sur ce sujet.

Mais pour arriver à dépolluer cet air que nous respirons tous, il faut que l'acceptabilité des ZFE-m soit au rendez-vous.

Le rapporteur a évoqué un certain nombre d'exemples en termes de temps et de calendrier de mise en oeuvre de ce type de dispositif, notamment Bruxelles. C'est sur des temps longs que nous pouvons envisager une véritable sensibilisation, y compris vis-à-vis des usagers. Les propositions no 1 et 2 vont tout à fait dans ce sens-là.

Au-delà du calendrier, je souhaiterais souligner un deuxième point, à savoir l'aspect éminemment social qui doit être pris en compte. Aujourd'hui, en France, le véhicule, essentiellement thermique, est un outil pour la plupart de nos concitoyens, notamment dans les zones rurales. Rappelons-nous la crise des gilets jaunes. Cet aspect social renvoie aussi à la question des sanctions, sur laquelle nous devons nous interroger.

Le troisième point que je souhaite évoquer est celui de l'environnement.

Je crois que l'équilibre vers lequel tendent les propositions de Philippe Tabarot, répondent en partie aux trois aspects que je viens de souligner.

Je vais toutefois me permettre d'aller encore plus loin, car si le rapporteur évoque l'échéance de 2030, j'évoquerai celle de 2035 afin de faire le lien avec la fin du moteur thermique, qui a été décidé à cette date au sein de l'Union européenne. Cela signifie donc des voitures plus lourdes et une transformation du parc automobile. En d'autres termes, de nouvelles problématiques vont apparaître, telles que la pollution issue du freinage des pneumatiques.

Le rapporteur propose un décalage jusqu'en 2030, j'irai même plus loin, en évoquant 2035, pour articuler cela avec la fin du moteur thermique. Je me permets de signaler que nous légiférons aujourd'hui pour interdire de la circulation des véhicules, alors que les mesures de substitution ne sont pas encore mises en place. Aujourd'hui, ce qui peut nous arriver de pire, ce sont deux choses. La première, c'est que nous essayions de mettre en oeuvre un texte de loi inapplicable. Nous sommes législateurs donc je vous laisse imaginer la crédibilité de nos actions et de nos missions. La deuxième, c'est que les Français ne souhaitent plus que nous leur parlions d'environnement. Or, dans cette commission nous y sommes tous très sensibles.

M. Hervé Gillé. - J'aimerais tout d'abord exprimer mes regrets de ne pas avoir pu participer aux travaux de Philippe Tabarot en raison de mon investissement dans la mission d'information sur la gestion durable de l'eau en qualité de rapporteur.

Tout d'abord, le déploiement des ZFE-m ne peut s'inscrire qu'à partir du moment où une approche globale, suffisamment structurée, avec l'ensemble des autorités en compétence est définie. Au-delà d'une concertation que nous espérons tous, il va falloir aller plus vite et plus fort et imposer la mise en place de véritables schémas de mobilité, à l'échelle des régions, mais également des schémas de mobilité départementaux, qui seraient plus que souhaitables aujourd'hui. Cela permettrait d'arriver à conjuguer l'ensemble des efforts des autorités de transport et des communautés de communes. Il s'agit bien de créer toutes les conditions de rabattement et d'intermodalité, de telle manière que les mobilités puissent s'exécuter dans les meilleures conditions. C'est à mon sens pratiquement une condition d'entrée si l'on veut avancer dans le bon sens sur les mobilités, et notamment sur l'arrivée dans les métropoles. L'arrivée dans les métropoles doit en effet se faire de manière qualificative, à défaut, nous serons confrontés à de nombreuses difficultés.

Ma deuxième réflexion concerne l'interopérabilité financière et l'intermodalité du titre de transport. Nous voulons déployer des ZFE-m, sans toutefois créer les conditions pour faciliter l'interopérabilité et l'intermodalité des titres de transport, alors qu'il devrait s'agir d'une condition sine qua non. Selon moi, il faut vraiment que cette orientation et cette priorité soient clairement indiquées au sein des propositions.

Concernant maintenant les travaux de la mission d'information, je voudrais, en complément de l'intervention de Gilbert-Luc Devinaz, intervenir sur un sujet essentiel aujourd'hui : le leasing social. Il me semble que le rapporteur ne va pas assez loin sur cet aspect. Pour un coût inférieur à 100 euros, les usagers pourraient ainsi bénéficier d'un véhicule propre. Cette proposition-là n'est pas clairement évoquée dans les recommandations du rapporteur. Pourtant, c'est une orientation complémentaire qui permettrait d'embarquer d'autres collectivités dans une mutualisation des moyens au regard de ces populations en difficulté.

La proposition n° 7 suggère de définir de nouveaux dispositifs incitatifs au report modal, tels que la TVA à 5,5 % sur les transports collectifs et l'accès à des solutions alternatives de mobilité en cas de mise au rebut d'un véhicule polluant. J'y adhère totalement. Cependant, nous pourrions aller au-delà des transports collectifs et étendre cette proposition aux vélos notamment.

Mme Angèle Préville. - Je salue le travail du rapporteur, Philippe Tabarot, et le fait d'avoir placé la sensibilisation du public en première proposition.

Je souligne également le fait que les ZFE-m répondent à un problème de santé publique, notamment pour les populations qui vivent aux abords des rocades et des périphériques. J'avais d'ailleurs réalisé un travail relatif au covid-19 et à la pollution de l'air auprès de ces populations les plus précaires. Elles sont les premières concernées par la pollution, car elles habitent près des voies qui sont très empruntées.

J'aimerais également faire une remarque sur la hiérarchie des propositions. La proposition n° 7 qui vise à créer un choc d'offre de transports alternatifs à l'autosolisme, à laquelle je souscris totalement, devrait être placée plus haut. Il nous faut lutter contre l'autosolisme et ainsi détailler davantage les alternatives que sont la marche et le vélo, qui ne polluent absolument pas. Il faudrait également insister davantage sur le manque criant d'infrastructures, de parkings pour les vélos et de voies cyclables.

Par ailleurs, je suis aussi dubitative sur la proposition n° 8 qui préconise d'assouplir le calendrier de restrictions de circulation s'appliquant aux ZFE-m obligatoires pour le rendre plus réaliste. Je souscris à ce qui a été dit par mes collègues sur les voitures thermiques, le poids, la puissance et les vignettes Crit'air.

Enfin, je salue le fait que le rapporteur ait mentionné la problématique de la pollution liée à l'abrasion des pneus. J'avais pu travailler sur ce sujet dans le cadre de mon rapport sur la pollution plastique : un pneu perd deux kilos au cours de sa durée d'utilisation. Or, cette pollution n'est pas du tout prise en compte à ce jour.

M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Je suis heureux d'entendre le satisfecit de Jacques Fernique sur sept des neuf recommandations et j'entends les réserves émises sur les propositions nos 8 et 9.

La proposition n° 8 répond à un principe de réalité. À titre d'illustration, dans quelques années, plusieurs territoires seront en dépassement des normes de qualité de l'air, notamment Paris, Lyon et Marseille et devront donc appliquer le schéma de restriction de circulation des véhicules classés Crit'air 3 d'ici 2025. Or, il est difficile de croire que les personnes qui ont une vignette Crit'air 3, 52 % des habitants du 3e arrondissement de Marseille, le quartier le plus pauvre de France, seront en capacité de changer de véhicule dans moins d'un an et demi. En revanche, les territoires qui ne sont pas touchés par les dépassements et dans lesquels l'acceptabilité de la population est au rendez-vous pourront évidemment continuer à avancer à leur rythme.

Il ne s'agit donc pas d'une obligation pour les agglomérations qui souhaitent accélérer la mise en place de leur ZFE-m. En revanche, pour celles qui ont des obligations fixées par la loi en matière de restrictions de circulation, je ne suis pas certain qu'elles seront en capacité de tenir le calendrier prévu. D'ailleurs, on constate que la plupart des agglomérations qui ont souhaité anticiper ces échéances sont revenues en arrière.

La proposition n° 9 permet aux personnes qui entretiennent correctement leur véhicule d'obtenir une dérogation afin d'accéder à certaines ZFE-m. Cette proposition peut constituer une solution de repli à la proposition n° 8 si, le cas échéant, elle n'était pas retenue, afin d'atténuer les difficultés pour la population. Il me semble juste pour les personnes qui font des efforts sur l'entretien de leur véhicule qu'elles bénéficient de cette dérogation, dans la mesure où elles ne polluent pas plus que certaines voitures classées Crit'air 1 mal entretenues.

Pour répondre également à Gilbert-Luc Devinaz, ma proposition n° 8 s'inscrit dans un principe de réalité, qui est encore plus fort à Lyon. En effet, il existe un conflit très aigu entre la métropole de Lyon et l'État, qui sont en désaccord et se rejettent la responsabilité sur plusieurs points, dont celui du contrôle du respect des restrictions.

Pour ce qui concerne la coordination, l'échelon régional m'a en effet semblé être le plus pertinent. Nous sommes tous ici des décentralisateurs, en tant qu'élus de l'assemblée des territoires, et nous souhaitons que les territoires puissent chacun s'organiser. Cependant, avec la mise en place de quarante-trois ZFE-m dans les prochaines années, il sera nécessaire de disposer d'un référentiel commun afin de garantir un minimum de cohérence. L'idée n'est pas d'enlever du pouvoir aux territoires. Ce sont bien les présidents des métropoles et non les préfets de région qui sont les mieux placés pour définir le rythme de mise en oeuvre des ZFE-m.

Pour répondre à Marta de Cidrac, je pense qu'il est capital de délivrer un message de pragmatisme et de permettre aux territoires qui souhaitent aller plus vite dans la mise en oeuvre des ZFE-m de le faire. Cependant, les territoires qui se trouveront en difficulté au 1er janvier 2025 doivent, à mon sens, pouvoir disposer d'un temps supplémentaire pour organiser cette mise en oeuvre.

J'en viens au point soulevé par Hervé Gillé. Je suis également convaincu du caractère essentiel des schémas de mobilité. Tout passe par l'interopérabilité, les pôles d'échanges multimodaux et les transports en commun. C'est d'ailleurs pour cette raison que je propose un « choc d'offre » de transports alternatifs à la voiture. Je propose aussi d'instituer la TVA à 5,5 % sur les transports collectifs. L'objectif de ces mesures est de donner de l'oxygène aux autorités organisatrices des mobilités pour qu'elles puissent amplifier l'offre de transport en commun, notamment dans les zones qui en sont les moins bien dotées.

Je n'ai pas parlé du leasing social, tout simplement parce que je considère que le Gouvernement - d'après ses annonces - est en train de le mettre en place. Mais il est vrai que nous avons des difficultés à obtenir des informations précises sur sa mise en oeuvre effective. Je me permettrai donc d'interroger le ministre sur ce sujet tout à l'heure, lors des questions au Gouvernement.

S'agissant du point soulevé par Angèle Préville, l'information du public est en effet cruciale. La santé publique est de la responsabilité de l'État. Lorsque l'État souhaite informer, il sait le faire. Je pense notamment aux campagnes de sensibilisation à la télévision. Si l'État réalise un spot publicitaire qui interpelle sur l'état de santé d'un enfant, habitant au bord d'une rocade, qui étouffe à sa fenêtre à cause d'une crise d'asthme, la population sera sensibilisée. Il faut rappeler les chiffres : le transport routier est le troisième ou le quatrième émetteur de particules fines au niveau national, selon les particules prises en compte. En revanche, il est le principal émetteur de dioxyde d'azote, à hauteur de 54 %, qui représente 7 000 décès par an. On constate une amélioration de la qualité de l'air depuis 20 ans, même s'il reste du chemin à faire.

J'aimerais ajouter que le rapport d'information que je vous présente est empreint de justice sociale. Nous proposons de recentrer les aides sur les ménages les plus modestes, pratiquement à moyens constants. Ce rapport propose aussi de renforcer la lisibilité du système d'aides à l'acquisition : 50 % des personnes qui auraient droit à une aide ne la demandent pas, tant elles sont perdues dans notre système administratif. Le prêt à taux zéro est également une mesure sociale, pour laquelle nous nous sommes battus au moment de l'examen de la loi « Climat et résilience ». Enfin, la TVA à 5,5 % et l'individualisation du système de vignettes Crit'air pour les personnes entretenant correctement leur véhicule sont aussi deux mesures qui bénéficieront directement aux ménages modestes. Les ZFE-m manquent aujourd'hui d'acceptabilité sociale, non pas parce que les usagers ne veulent pas suivre le mouvement, mais parce qu'ils ne le peuvent pas. Il faut répondre à ces difficultés.

M. Ronan Dantec. - Nous sommes en train de rater une occasion : 2030 est une date trop lointaine pour permettre d'impulser une stratégie de changement du parc automobile. Autrement dit, nous allons conserver le modèle actuel pendant encore plusieurs années. C'est la noblesse de l'action politique que de parvenir à trouver un compromis entre des injonctions contradictoires. Mais repousser le calendrier à 2030 implique que plusieurs milliers de personnes supplémentaires mourront du fait de la pollution de l'air liée au transport routier dans les villes.

En donnant ainsi plus de pouvoir aux maires et aux présidents d'intercommunalités pour décaler jusqu'en 2030 la mise en place des ZFE-m, le risque existe d'une apparition systématique de contentieux pénal pour mise en danger de la vie d'autrui en cas, par exemple, d'épidémie de bronchiolites. Certes, si l'on ne modifie pas le calendrier et que l'on privilégie la rapidité, cela pourrait amener une contestation sociale liée aux difficultés à changer de véhicule, mais il ne faut pas négliger ce risque de contentieux pénal en cas de choix inverse.

J'entends que 2025 est une date trop précoce. Un décalage d'un an ou un an et demi pourrait être envisagé afin de trouver un compromis.

Par ailleurs, il me semble que l'on rate une occasion économique. Aujourd'hui, la France - et notamment Renault - est bien positionnée sur les véhicules électriques. Les ZFE-m bénéficient à Renault, qui peut ainsi garder son avance, d'autant plus que l'industrie automobile allemande renâcle sur la sortie du véhicule thermique en 2035. Il y a donc un enjeu industriel dans la mise en oeuvre des ZFE-m : soutenir l'avance de l'industrie française.

En revanche, 2030 serait un signal négatif par rapport à cet effort déployé par l'industrie française. Ce n'est pas une recommandation source de cohérence d'ensemble.

Enfin, l'État annonce des dispositifs d'aide pour les ménages les plus modestes, que l'on attend encore. Je rejoins le rapporteur : c'est sur ce point que doit porter l'effort. La difficulté des ménages les plus modestes à changer de véhicule sert de paravent à ceux qui repoussent le changement de leur véhicule, alors qu'ils en auraient les moyens. Le souci porté aux ménages modestes est d'ailleurs moins prononcé sur d'autres sujets comme le prix du stationnement en centre-ville qui aboutit à les en exclure de facto.

M. Rémy Pointereau. - Il faut être attentif à ne pas réveiller une nouvelle crise des gilets jaunes. À la veille de l'interdiction des moteurs thermiques en 2035, alors que les exigences d'isolation des logements ont été renforcées et que nous demandons aux propriétaires de changer leurs chaudières à gaz et à fioul, de nouvelles règles pourraient empêcher certains de nos concitoyens de circuler. Cela pose un problème d'acceptabilité sociale.

Comme le disait François Mitterrand, « il faut laisser du temps au temps ». Je suis agacé par une forme de culpabilisation permanente sur le prétendu retard de la France sur de nombreux sujets comme la qualité de l'eau et de l'air. N'oublions pas que l'Allemagne a encore des centrales à charbon. Par rapport aux autres pays, je dirais plutôt que nous sommes toujours en avance, car nous faisons en permanence de la sur-transposition.

Dans le cadre actuel, la mise en place des ZFE-m impliquerait de mettre fin à la circulation de 13 millions de véhicules en moins de deux ans alors qu'il y a une pénurie de véhicules neufs et que le marché de l'occasion explose. Il faut être réaliste et cesser de se mentir et de faire des effets d'annonce intenables.

En revanche, il est essentiel de mieux communiquer et de mener une campagne nationale de sensibilisation sur les problèmes liés à la qualité de l'air, notamment dans les vallées de montagne.

Le rapport d'information que nous présente Philippe Tabarot est le fruit d'un travail de consensus et de sagesse, dont j'approuve totalement les propositions.

M. Gérard Lahellec. - L'exercice qu'a mené Philippe Tabarot n'est pas simple. C'est un travail de synthèse, de mise en perspective, et de gestion des contradictions. Je suis pleinement d'accord avec l'attention portée aux enjeux sociaux dans le rapport. Je suis hostile à faire payer les plus pauvres, et quand les riches peuvent donner un peu, ce n'est que justice.

Je l'affirme tant pour des raisons pratiques de concrétisation et de faisabilité que pour des raisons politiques. Si demain, on envisage de créer encore des difficultés pour les plus pauvres, il y a un risque de réapparition d'un phénomène « gilets jaunes » avec une ampleur dix fois plus élevée. Nul ne peut dire où cela pourrait s'arrêter.

Il m'arrive souvent de dire qu'il ne faut pas confondre territoire et terrier. Le terrier c'est le repli sur soi ; le territoire c'est une approche commune. Or, nous sommes confrontés à un enjeu universel : il ne faut laisser personne sur le bord de la route, tout en tenant compte du réel et de la concrétisation du projet. De ce point de vue, les incitations sont plus efficaces que les sanctions. Je viens d'un territoire, la Bretagne, qui est une péninsule. Pour la parcourir, les routes sont la seule solution pour la desserte fine du territoire, même si l'on peut envisager quelques alternatives. Il faut tenir compte des mobilités dont ont besoin nos territoires ruraux, qui sont très complexes à mettre en oeuvre. C'est par exemple le cas de la mise en oeuvre des politiques de transport à la demande.

Le rapport d'information qui vous est présenté gagnerait, sans doute, à être plus clair sur le fait que le décalage de la mise en place des ZFE-m en 2030 n'est pas un renoncement. Mais il faut que nous ayons collectivement le souci d'une chose : rendre la loi applicable.

M. Jean-Michel Houllegatte. - La DATAR disait que le territoire ne doit pas être un terrier, mais un terreau sur lequel les initiatives doivent fleurir. Il y a aujourd'hui un consensus sur le fait que la pollution et la contamination de l'air sont un problème de santé publique.

L'Union européenne s'intéresse à cette question, particulièrement à travers la future norme « Euro 7 », sur laquelle la commission des affaires européennes dont je suis membre a récemment travaillé. Cette nouvelle norme permettra de prendre notamment en compte les particules abrasives liées aux pneus et au freinage. En revanche, nous avons été bien plus réservés concernant l'abaissement proposé par l'Union européenne pour les plafonds d'émission d'oxydes d'azote et de dioxyde de carbone. Il est en effet inutile de mettre en place une nouvelle norme plus restrictive qui coûterait 2 000 € à 2 500 € à l'achat des véhicules neufs, alors que la fin de leur commercialisation est prévue pour 2035. Toutefois, nous avons accueilli favorablement la prise en compte des particules fines abrasives. Cette mise en conformité induirait un surcoût à l'achat de l'ordre de 50 € à 200 €, selon les constructeurs.

Les ZFE-m sont une nécessité au regard des impacts sanitaires, néanmoins un double constat peut être dressé.

Premièrement, c'est une véritable cacophonie. Dans des conurbations comme celle de Dunkerque-Béthune-Lille-Valencienne-Douais-Lens, il y a un risque de différences de traitement si bien que les automobilistes peuvent ne plus s'y retrouver. C'est la même chose pour les conurbations comme celle d'Annemasse, Chambéry et Grenoble. Le « laissez faire, laissez passer » a été un des arguments des libéraux du XVIIIe siècle. Ne créons pas de nouvelles barrières. S'il y a des restrictions à faire, il faut donc qu'elles soient harmonisées.

Deuxièmement, comme cela a été abondamment rappelé, il y a des effets de bords : les risques de fracture sociale et de fracture territoriale, qui sont inséparables.

Il est vrai que la date de 2030 peut être discutée. Il faudrait conditionner le report de calendrier à l'élaboration d'une stratégie, car entre 2023 et 2030, il y a les élections municipales de 2026. Je ne veux pas déresponsabiliser les équipes en place, mais celles-ci pourraient penser que l'échéance de 2030 ne les concerne plus, puisque leur mandat prendra fin en 2026. Si l'on fait une proposition de report, il faut que cela soit conditionné à un plan d'action. Sinon en 2029, on pourra solliciter un nouveau report en arguant alors qu'en 2035, la fin de la mise sur le marché de véhicules thermiques neufs résoudra les problèmes.

En octobre 2022, une mission flash sur les mesures d'accompagnement de la création de zones à faibles émissions mobilité a été menée par deux députés, Gérard Leseul et Bruno Millienne. Une mesure m'avait semblé assez intéressante à propos des primo-accédants. Dans la continuité des débats actuels sur l'abaissement de l'âge minimal pour passer le permis de conduire à 17 ans, nous pourrions accompagner les jeunes alternants en ZRR pour qu'ils puissent avoir un permis bonifié, car ils rencontrent des freins très forts à leur mobilité.

M. Rémy Pointereau. - Il me semble que cela soulèverait un problème de constitutionnalité.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Je souhaite enfin évoquer les véhicules utilitaires légers, dont on parle moins. Ils sont fortement utilisés sur le plan logistique, afin de décarboner le dernier kilomètre. En revanche, pour les artisans, l'écart de coût entre un véhicule utilitaire léger électrique et son équivalent diesel demeure un obstacle à l'acquisition.

M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Concernant ce dernier point, il y a 6 millions de véhicules utilitaires légers en France. Je veux que le bonus écologique concernant les véhicules d'occasion leur bénéficie davantage et favoriser le retrofit, bien plus simple pour ces véhicules que pour d'autres segments de flotte, ainsi que le suramortissement pour ce qui concerne le transport de marchandises. Nous avons entendu les députés rapporteurs Leseul et Millienne, dont je salue l'excellent travail. Cependant, l'objet du rapport que je vous présente n'était pas de reprendre leurs propositions, très pertinentes au demeurant, mais d'en identifier de nouvelles. Il y a des aspects sur lesquels j'estime qu'ils ne sont pas allés suffisamment loin.

Plus largement, pourquoi avoir fait le choix de 2030 comme date butoir pour la mise en place des ZFE-m issues de la loi « Climat et résilience » ? Si les agglomérations concernées souhaitent les mettre en oeuvre avant cette date et qu'elles ont les moyens et les pouvoirs de police de le faire, rien ne les empêche de le faire. Elles peuvent également mettre en place des zones de circulation limitée 30 km/h et des aménagements urbains afin qu'il y ait moins de véhicules dans leurs centres-villes. Cette nouvelle date butoir n'est pas un frein à la mise en place de ces ZFE-m. Elle est pensée pour celles qui sont plus en difficulté afin de leur donner un peu plus de temps et ne pas faire les mêmes erreurs, notamment concernant l'information et les aides pour le public, qui ont été faites pour les ZFE-m précédentes, celles issues de la loi d'orientation des mobilités (LOM).

J'espère que dans 5 ans, les ambitieux projets du Gouvernement sur les réseaux express métropolitains dans les territoires, que ce soient les cars express ou les transports en commun en site propre (TCSP), seront beaucoup plus aboutis. Je m'attends aussi, à ce que l'interopérabilité fonctionne beaucoup mieux et que l'on ait des parkings relais à l'extérieur de chaque agglomération.

Je suis membre du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT France). À chaque réunion, des financements considérables sont votés sur ces projets. Il est plus cohérent d'articuler la mise en oeuvre de ces restrictions avec la montée en puissance des transports en commun, dont l'offre est encore limitée aujourd'hui. Voilà les raisons du choix de 2030 comme date butoir : synchroniser le schéma de restrictions de circulation avec le temps nécessaire au développement de l'offre de transports en commun.

S'agissant des observations formulées par Gérard Lahellec, je m'inscris tout à fait dans cet esprit d'inciter plutôt que de punir. En outre, ce choix de 2030 est tout le contraire d'un renoncement. Il y a d'autres partis politiques, non représentés ici, qui veulent mettre fin aux ZFE-m de l'extrême gauche à l'extrême droite de l'échiquier politique. Ce n'est pas notre cas. Je préconise d'adapter les ZFE-m à la situation que vivent nos concitoyens et les élus sur les territoires.

Concernant les remarques de Ronan Dantec, le calendrier des industriels de l'automobile est orienté vers la date de 2035 et la fin de la mise sur le marché des véhicules thermiques. Le report de calendrier sur la mise en oeuvre des ZFE-m ne va rien changer à leurs plans stratégiques.

J'aurais aimé vous entendre à propos du cas de certaines municipalités et métropoles qui reviennent en arrière, par exemple à Rouen, en expliquant qu'une mise en oeuvre trop rapide n'est pas possible. À Lyon, de même, sans aide supplémentaire de l'État, un retour en arrière est envisagé, notamment sur la fin du diesel en 2028. J'ai rencontré la présidente de l'Eurométropole de Strasbourg. Je doute fortement que ce calendrier soit maintenu, en particulier, là encore, sur la fin du diesel en 2028. In fine, je pense que ces agglomérations viendront d'elles-mêmes au calendrier que je vous propose aujourd'hui.

On peut, sinon, se mentir collectivement et affirmer qu'il n'y aura plus de pollution de l'air au 1er janvier 2025 avec l'application des ZFE-m. Or, les ZFE-m sans contrôle ne peuvent pas monter en puissance. Or, ces contrôles sont difficiles à mettre en place, car dans tous les territoires, l'État et les élus s'opposent sur ce sujet et se rejettent la responsabilité. Les métropoles considèrent que l'État doit prendre en charge cet enjeu de santé publique et la lecture automatisée des plaques et l'État déclare que les métropoles ne veulent pas procéder à ces contrôles à cause des échéances électorales en 2026. Ce n'est pas notre rôle de trancher ce débat. Quoi qu'il en soit, la situation ne sera pas réglée au 1er janvier 2025. Loin d'être incantatoire, le rapport d'information que je vous soumets se veut le plus pragmatique et le plus lucide possible. Il répond aux situations que j'ai constatées.

Enfin, s'agissant des risques contentieux auxquels s'exposeraient les élus locaux : il y a en effet des procédures contentieuses, souvent initiées par des associations de défense de l'environnement comme les Amis de la Terre. Les astreintes que l'État a dû payer ont ensuite été versées aux associations environnementales pour mener des actions de sensibilisation. Je considère que l'action politique ne peut être simplement guidée par le risque pénal, ce serait là une triste situation. Ce sujet est d'importance, il avait d'ailleurs été abordé à propos de la vaccination dans le cadre de la crise sanitaire à l'encontre du Premier ministre d'alors. Cependant, je ne peux me résoudre à ce que toute notre action politique soit dictée par la préoccupation pénale, sans quoi les magistrats pourraient prendre les décisions à la place des élus.

M. Rémy Pointereau. - Quelle est la situation à l'heure actuelle dans les autres pays d'Europe ayant mis en place des ZFE-m ? La France est-elle réellement en retard par rapport à ses voisins, comme on l'entend parfois ?

M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Nous ne sommes pas en retard, mais nous avons commencé plus tard que les autres si bien que la temporalité de mise en oeuvre du schéma de restrictions de circulation est beaucoup plus courte en France que chez nos voisins. Les autres pays ont commencé entre trois et quatre ans avant nous. La fin du diesel est évoquée pour 2028, notamment à Lyon et Strasbourg. Je pense toutefois que cela n'aura finalement pas lieu, alors que l'Allemagne et les Pays-Bas ne le feront pas avant 2030. Nous avons mis en place ces mesures de manière anticipée par rapport à nos voisins européens, mais, in fine, nous ne pourrons pas respecter ce calendrier. Tous les pays, toutefois, sont tenus par la fin des moteurs thermiques en 2035. C'est ce qui fixera le calendrier pour tout le monde. Nous ne sommes pas mieux placés que les autres pays européens, mais pas non plus beaucoup plus mal placés. Toutefois, vous avez raison sur ce point, le fait d'avoir commencé un peu plus tard amène un calendrier un peu plus resserré.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - « Donner du temps au temps », c'est nécessaire, mais pas pour la population exposée à la pollution.

Par ailleurs, il m'aurait semblé plus logique de déplacer la proposition n° 8 après la proposition n° 9. Nous écouterons avec attention la réponse du ministre cet après-midi sur les enjeux sociaux, lors des questions au Gouvernement. Sur la proposition n° 8, j'aurais préféré que l'on choisisse la date de 2028 avec des dérogations possibles jusqu'en 2030. Il faut se placer entre l'idéal et le pragmatisme. Mon groupe aurait pu privilégier une abstention positive, mais je pense que l'on votera favorablement, avec regrets.

La commission adopte le rapport d'information ainsi que ses recommandations et en autorise la publication.

M. Jean-François Longeot, président. - Sur ce sujet, nous avons à concilier des impératifs complètement opposés. Je salue le remarquable travail de Philippe Tabarot, qui a été fait dans un délai relativement court. C'est un sujet qui lui tient à coeur - comme à tous les membres de notre commission - sur un sujet complexe.

M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Merci, Monsieur le Président, pour votre confiance. Je tiens également à remercier Didier Mandelli, pour son soutien, ainsi que tous les commissaires.