B. LA COMPLEXITÉ DE LA SIMPLIFICATION

La simplification des normes n'est jamais simple. Pire, il existerait une « une mécanique spontanée qui veut que tout projet de simplification du droit vienne, paradoxalement, ajouter à la complexité du cadre juridique existant »82(*). Lucidement, l''Union des entreprises de proximité (U2P) juge que « nous vivons dans une société complexe et il est illusoire de penser résorber toute le complexité »83(*).

1. Des lois de simplification (2007-2012)

Après la simplification par ordonnances en 1999-200484(*), le législateur s'est résolu à intervenir avec quatre lois de simplification d'origine parlementaire entre 2007 et 2012 à l'initiative du député M. Jean-Luc Warsmann.

Les deux premières propositions de loi, adoptées respectivement le 20 décembre 2007 et le 12 mai 2009, consistaient à clarifier certains textes désuets, à corriger des erreurs de rédaction, ou à abroger certaines obligations administratives pesantes. Une troisième proposition de loi, adoptée le 17 mai 2011, traduisait les mesures figurant dans le rapport rendu au Premier ministre par M. Jean-Luc Warsmann. Enfin, une quatrième proposition de loi, adoptée le 22 mars 2012, ambitionnait de simplifier l'environnement normatif des entreprises afin d'accélérer leur développement et de relancer l'embauche.

Sur cette dernière loi, le Sénat85(*) se montrait plus que circonspecte, constant un « épuisement du modèle des lois générales de simplification » : « pavillon de complaisance à des marchandises de toutes natures, qui parfois vont bien au-delà de la stricte simplification du droit (....) chaque nouvelle proposition de loi de simplification du droit - « véhicule législatif » tout trouvé pour quelques dispositions éparses que le Gouvernement, désormais tenu depuis la révision constitutionnelle de 2008 à une portion plus congrue de l'ordre du jour des assemblées, ne sait où placer - s'alourdit de toutes sortes d'habilitations à légiférer par ordonnance dans les domaines les plus divers, de transpositions tardives et urgentes de directives oubliées, de corrections de malfaçons législatives des plus variées et bien sûr de tous les amendements qui, sinon, continueraient à gésir au fond des tiroirs des ministères. Cette logique purement utilitaire du « véhicule législatif » - négation même de la valeur et de la qualité de la délibération parlementaire - aboutit d'ailleurs à des pratiques aberrantes, au premier rang desquelles celle consistant à placer dans plusieurs textes la même disposition pour s'assurer qu'elle pourra être promulguée au plus vite. Cette course des « véhicules législatifs » ne parvient pas, le plus souvent, à franchir l'obstacle du Conseil constitutionnel, qui n'hésite pas à arrêter dans leur élan ces nombreux « cavaliers législatifs », qui prolifèrent même dans les lois de simplification ».

Il en appelait à « une nouvelle méthode de simplification du droit, plus pragmatique et plus compréhensible », par « l'intermédiaire de textes sectoriels plus ciblés et plus lisibles ou en accessoire de réformes sectorielles, (...) permettant l'organisation de réels débats parlementaires. L'examen d'un projet de loi sur un domaine donné est l'occasion de simplifier le droit qui régit ce domaine, de façon à garantir la lisibilité et la cohérence d'ensemble des modifications ».

Le volume des lois de simplification était devenu en effet de plus en plus considérable :

Source : Rapport n° 224 (2011-2012) de M.  Jean-Pierre MICHEL, fait au nom de la commission des lois, déposé le 21 décembre 2011

Finalement l'exercice a été abandonné, en raison de :

- l'absence d'évaluation de l'impact des dernières lois de simplification sur les acteurs concernés, en particulier sur les entreprises, de sorte que n'est pas assez pris en compte l'inconvénient de l'instabilité législative et des coûts de sa mise en oeuvre,

- du fait que ce type de texte de simplification sert de réceptacle facile à toutes sortes de mesures en tous genres et constitue un appel aux dispositions en attente de « véhicule législatif », sans être pour autant des mesures de simplification :

« Toujours recommencée à mesure que des lois nouvelles sont votées et créent de nouvelles complexités, la simplification s'apparente à une oeuvre prométhéenne, tant la tâche est ardue si elle est envisagée uniquement pour elle-même, sans mise en perspective ni mise en cohérence avec les secteurs du droit qu'elle vise à simplifier. La répétition et le volume croissant des textes de simplification en témoignent » (rapport Sénat n°224, précité).

« Présentées sous la forme de textes gigantesques, difformes, comportant une multitude d'articles sans beaucoup de cohérence », elles étaient « une sorte « d'odes à l'inintelligibilité »86(*).

2. Un choc de simplification en 2013 au bilan mitigé

La délégation aux Entreprises a consacré l'un de ses premiers rapports à ce sujet, soulignant ainsi sa conscience de son importance87(*).

Elle avait tiré un bilan contrasté du « choc de simplification » annoncé en mars 2013. L'élan engagé avait été rapidement contrarié et dilué. Les résultats avaient été minimes pour les entreprises, souvent pointillistes et privilégiant les mesures d'affichage. Ils étaient surtout noyés dans l'afflux de nouvelles normes imposées aux entreprises dans le même laps de temps.

La délégation avait observé les succès rencontrés à l'étranger et s'était rendue aux Pays-Bas, en Allemagne, en Suède ainsi qu'à Bruxelles pour en tirer des enseignements et comprendre comment la France pourrait, elle aussi, réussir enfin à simplifier la vie de ses entreprises. Elle avait constaté que la France, à la différence de ses voisins européens, n'avait pas réussi à trouver une méthode efficace de simplification, s'appuyant sur une volonté politique durable et transpartisane.

Le rapport recommandait un profond changement de méthode pour penser la simplification comme un processus qualité au bénéfice de la compétitivité : faire du soutien à la compétitivité une priorité politique, se fixer des objectifs de réduction nette de la charge administrative supportée par les entreprises, simplifier le stock de règles qui leur sont applicables et dont l'efficacité doit être comparée avec les États voisins, rapprocher la culture politico-administrative des besoins des entreprises et, enfin, mieux légiférer pour freiner le flux de textes, notamment en associant les entreprises à l'élaboration de la loi et en faisant de l'étude d'impact préalable un outil de qualité de la norme, soumis à la contre-expertise publique d'un conseil indépendant du Gouvernement.

La mise en oeuvre du principe « Silence Vaut Acceptation » (SVA) avait été à cet égard emblématique de l'échec d'une simplification conduite par l'administration seule.

Mesure phare de la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens, ce principe, adopté sur amendement du Gouvernement lors de la discussion de la loi au Sénat, remettait en cause un principe général plus que séculaire, selon lequel le silence gardé par l'administration plus de deux mois valait décision de rejet. Idée novatrice et disruptive, ce nouveau principe, aujourd'hui codifié à l'article L 231-1 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA) fit néanmoins l'objet de dérogations, soit prévues limitativement par la loi (art. L 231-4 CRPA), soit par décrets en Conseil d'État fondés sur l'un des deux motifs : « eu égard à l'objet de certaines décisions ou pour des motifs de bonne administration » (art. L 231-5 CRPA).

Le bilan dressé par deux sénateurs en 201588(*) fut plus que mitigé. Près de deux ans après la promulgation de la loi et après l'édiction de 42 décrets, le nombre d'exception pour l'État (2 400) s'élevait presque au double du nombre de cas d'application (1 200, contre 400 avant la réforme).

Ainsi, « pour l'usager, le sort réservé à sa demande paraît tout sauf clair, malgré l'intervention des nouvelles technologies censées lui donner une information exhaustive sur le champ d'application du principe SVA ou le maintien dans certains cas du principe antérieur »89(*).

La commission des Lois du Sénat relevait ainsi la complexité de ce système pour les citoyens à qui il revenait, pour chaque procédure administrative, de :

a) déterminer l'autorité compétente pour traiter leur demande ;

b) transmettre leur dossier à l'administration concernée, de conserver l'accusé de réception ou de le solliciter si l'administration ne l'envoyait pas d'elle-même90(*) ;

c) connaître le régime applicable à sa demande En outre, si le Gouvernement avait publié une liste des cas où le silence vaut acceptation, il n'était pas possible de connaître les exceptions à ce principe sans consulter l'un des 42 décrets précités et de les regrouper par rubriques.

d) solliciter l'administration pour la délivrance d'une attestation actant la décision implicite d'acceptation.

Surtout, la non-reconduction du Conseil de la simplification pour les entreprises en 2017, malgré la recommandation de la délégation aux Entreprises de le pérenniser, a marqué une rupture, alors que la simplification nécessite la continuité en s'inscrivant dans le temps long.

3. Des lois BALAIS (2018 et 2022)

Le Bureau du Sénat a créé en janvier 2018 une mission de simplification législative, dite « mission B.A.L.A.I » (« Bureau d'abrogation des lois anciennes inutiles »). Elle vise à améliorer la lisibilité du droit en identifiant, puis en proposant l'abrogation de dispositions législatives devenues obsolètes. Cette mission s'est concrétisée par deux lois.

Une première proposition de loi tendant à abroger 44 lois adoptées entre 1819 et 1940 et qui seraient tombées en désuétude depuis est adoptée (loi n°2019-2332 du 11 décembre 2019 tendant à améliorer la lisibilité du droit par l'abrogation de lois obsolètes).

Une deuxième loi n° 2022-171 du 14 février 2022 tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit propose d'abroger 163 lois adoptées entre 1941 et 1980.

Mais les lois abrogées n'étant plus appliquées depuis plusieurs dizaines d'années, la portée concrète de l'exercice est réduite.

Par ailleurs, comme le souligne un rapport du Sénat91(*) : « Le risque d'une opération « BALAI » est donc d'abroger par erreur un texte d'apparence obsolète mais qui constituerait toujours, en réalité, la base légale d'un acte ou d'une situation actuels. Rupture dans le paiement d'une pension, nullité d'un acte, mise en oeuvre de la responsabilité de l'État du fait des lois, adoption d'une loi de validation... les conséquences d'une abrogation accidentelle pourraient être particulièrement lourdes et préjudiciables ». La plus grande prudence lors de l'examen des mesures d'abrogation envisagée conduit toujours à renoncer à l'abrogation d'un texte en cas de doute. L'avis du Conseil d'État, qui avait été demandé sur ces propositions de lois, et la collaboration de la direction des affaires juridiques de Bercy peuvent contribuer à réduire ce risque.

L'exercice d'abrogation peut créer de la complexité lorsque sont abrogées les lois ayant introduit ou modifié des dispositions toujours en vigueur : « À la question « Que se passe-t-il si on abroge la loi du 28 décembre 1977 qui a créé l'article 112 du code civil ? », certains juristes, praticiens ou « simples » citoyens répondront que l'article 112 est abrogé, d'autres que cet article sont toujours en vigueur, mais tous témoigneront de leur absence de certitude sur la réponse qu'ils fournissent », souligne la commission des Lois.

L'abrogation de certaines lois peut parfois introduire des risques « par ricochet ». En effet, des renvois au sein d'autres textes ont pu être établis par le législateur et il est parfois difficile de mesurer la conséquence de l'abrogation d'une disposition à laquelle un autre article fait référence.

Enfin, des lois peuvent être maintenues en vigueur pour des motifs symboliques, lorsqu'elles font partie de notre « patrimoine juridique ».

Une troisième proposition de loi, n°448 du 16 mars 2023, tendant à améliorer la lisibilité du droit applicable aux collectivités locales, entend : « nettoyer le paysage législatif de dispositions qui n'ont plus lieu d'être, mais aussi de l'adapter (à droit constant) en corrigeant des anomalies (références erronées, renvoi à des textes abrogés, coordinations oubliées...), en procédant à la codification de textes épars, en consacrant des règles posées par la jurisprudence susceptibles de servir de « mode d'emploi » sur le sens et la portée de la loi et, d'une manière générale, à prendre toute mesure de nature à faciliter la lecture et la compréhension du droit par les citoyens ».

4. Les recommandations de la délégation aux Entreprises de 2017

À la suite du précédent rapport d'information, trois initiatives parlementaires étaient engagées en septembre 2017 :

- l'introduction, dans la Constitution, de l'obligation, applicable aux projets et propositions de loi comme aux amendements, de compenser toute nouvelle charge pour les entreprises, quelle qu'en soit la nature, par la suppression d'une charge d'importance équivalente92(*) ;

- la reconduction du Conseil de la simplification pour les entreprises93(*), institué par le décret n° 2014-11 du 8 janvier 2014 et prorogé jusqu'au 1er juin 2017 par le décret n° 2016-1342 du 11 octobre 2016, était proposée mais en renouvelant ses missions et sa composition, afin qu'il assure une contre-expertise indépendante des études d'impact produites par l'administration. Ce Conseil de la simplification pour les entreprises transformé ferait l'objet d'un bilan après trois années d'activité pour, le cas échéant, être rapproché du Conseil national d'évaluation des normes compétent pour les normes applicables aux collectivités territoriales. Le principe selon lequel toute disposition de nature règlementaire ne peut être modifiée à plus d'une reprise au cours d'une législature, sauf cas spécifique et sécurisation du contrôle fiscal, était introduit94(*) ;

- une proposition de résolution relative à la simplification des normes entravant la vie économique, dont les objectifs étaient les suivants avait enfin été déposée :

Souligne la nécessité d'inscrire cette action dans la durée, de manière transversale, notamment en créant un réseau interministériel dédié à la simplification, supervisé par le Premier Ministre pour veiller à ce que chaque ministère ne crée pas de normes engendrant des coûts pour les entreprises sans supprimer de normes représentant un coût au moins équivalent ;

Souhaite la mise en place d'un référentiel fiable et partagé, à partir d'un chiffrage de la charge administrative actuellement supportée par les entreprises, afin de fixer des objectifs de réduction nette de cette charge ;

Juge nécessaire de procéder à une réévaluation de certaines règles de procédure particulièrement opaques et sources de complexité pour les entreprises, en matière d'autorisation ou de déclaration par exemple, à la lumière des règles en vigueur dans les pays voisins, qui peuvent être plus simples et plus efficaces en termes de sécurité, de santé et de protection de l'environnement ;

Invite à veiller à l'applicabilité des règles prises sur le fondement des expertises des agences nationales, en favorisant l'intégration d'experts représentant les partenaires sociaux dans les groupes de travail de ces agences et en confrontant leurs avis avec ceux de leurs homologues européennes ;

Appelle à orienter l'administration vers le service aux entreprises, notamment en donnant la priorité à la simplification, et à privilégier une approche tendant à fixer seulement les exigences essentielles dans la réglementation et à laisser aux entreprises le choix des moyens pour parvenir aux résultats attendus ;

Dès lors, estime important de passer d'une logique reposant sur la défiance et la nécessaire obtention d'autorisations à une logique fondée sur la confiance et le respect d'interdictions sous peine de sanctions ;

Souhaite le recours systématique aux « tests PME » trop rarement expérimentés par le précédent gouvernement et permettant d'évaluer directement avec les entreprises les conséquences d'un projet de réglementation, ainsi que la publication des résultats de ces tests.

Le constat et les recommandations avancées demeurent toujours valables dans leurs grandes lignes.

D'autres recommandations pertinentes émises à la même époque n'ont pas davantage été suivies d'effet.

Ainsi, le rapport de l'Assemblée nationale sur la simplification législative d'octobre 201495(*), citait le Secrétaire général du Gouvernement de l'époque selon lequel la dimension économique des études d'impact « demeure insuffisante et doit être améliorée », et estimant qu'au-delà des conséquences économiques, ce sont les conséquences sociales et sociétales qui apparaissent parfois mal évaluées dans les études d'impact, recommandait d'améliorer l'évaluation des conséquences économiques, sociales et sociétales des mesures envisagées.

Il préconisait que le principe d'une compensation de nouvelles charges par la suppression de charges existantes d'un niveau équivalent ne devait pas être circonscrit aux seuls projets d'actes réglementaires, mais qu'il devait être étendu aux projets de loi.

Cette recommandation aurait nécessité de compléter l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, qui indique quelles différentes rubriques doivent être renseignées dans le cadre d'une étude d'impact. Une rubrique supplémentaire aurait exigé « une quantification aussi précise que possible des charges administratives supprimées en contrepartie et à hauteur des charges administratives créées ». Cette recommandation n'a jamais été prise en considération par les gouvernements successifs.

5. La lutte contre la surtransposition des directives

La surtransposition est régulièrement dénoncée par les entreprises qui estiment qu'elle les place dans une position concurrentielle défavorable en leur imposant des charges que les autres entreprises européennes n'ont pas à supporter.

Trop souvent, la transposition de directives en droit français, par la loi comme par le règlement, ne se contente pas d'introduire les mesures nécessaires à la mise en oeuvre des objectifs fixés par le texte européen. Elle ajoute des dispositions nouvelles, que la directive n'impose pas, conserve des dispositifs antérieurs, qu'il n'y a plus lieu de maintenir, ou encore étend le champ d'application du texte européen.

Bien plus, elle n'exploite pas toujours les facultés ou exceptions ouvertes par le texte européen, qu'il s'agisse d'une directive ou d'un règlement, qui permettraient de ne pas alourdir les charges pesant sur les entreprises. Les directives établissent par exemple des seuils ou des taux définis sous forme de plafond ou de fourchettes, et la France choisit fréquemment de retenir des taux ou des seuils peu favorables aux PME, en les soumettant à des obligations que le texte européen n'impose qu'aux grandes entreprises.

Régulièrement, en 2003, 2004, 2011, 2013 et 2017 des circulaires ont entendu endiguer cette tendance à la surtransposition au sein de l'administration. Leur répétition signe leur échec.

En 2011, le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) a toutefois publié un « Guide de bonnes pratiques concernant la transposition des directives européennes ».

Par ailleurs, en mars 2016, un rapport identifiant des écarts réglementaires entre la France et les autres États membres a été remis au ministre de l'économie d'alors, M. Emmanuel Macron96(*).

La loi ESSOC, « pour un État au service d'une société de confiance », avait demandé des habilitations à légiférer par ordonnances afin de corriger des situations de surtransposition.

La direction générale du Trésor a organisé en 2017 une consultation publique sur la surtransposition dans le domaine financier. Clôturée fin novembre 2017, celle-ci a permis de faire remonter 209 mesures législatives ou réglementaires. Après étude, le Gouvernement a proposé de supprimer ou d'alléger certaines de ces dispositions de nature législative dans la loi PACTE, n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

Le Parlement, pour sa part, est régulièrement sensibilisé à ce phénomène, notamment, le Sénat, par sa délégation aux Entreprises, qui y a consacré en rapport d'information en 2018. Rare en effet sont ses déplacements sur le terrain à la rencontre des chefs d'entreprises qui ne mentionnent pas ce fléau.

Pour lutter contre la surtransposition, le Parlement dispose de deux instruments :

(i) Le mécanisme des avis motivés de l'article 88-6 de la Constitution permet aux parlements nationaux d'intervenir en amont. En dépit de sa lourdeur, il a été utilisé 30 fois. Par ailleurs, la commission des affaires européennes du Sénat a adopté, le 21 janvier 2014, un avis politique sur la question du recours systématique aux actes délégués, regrettant l'absence d'encadrement de cette pratique.

(ii) Suite au rapport d'information n° 614 (2017-2018) de la commission des affaires européennes et de la Délégation aux entreprises, du 28 juin 2018, un projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français du 3 octobre 2018, a été adopté par le Sénat le 7 novembre 2018. Il n'a pas eu de suite.

Il semblerait que le Gouvernement, échaudé par les modifications apportées par le Sénat, préfère désormais recourir à nouveau aux projets de loi sectoriels, comme le projet de loi PACTE, pour supprimer les écarts de transposition.

6. Le rôle proactif des commissions parlementaires

Le thème de la complexité des procédures et de la simplification législative infuse depuis longtemps dans la culture parlementaire. Néanmoins la contradiction entre la réponse aux attentes d'intervention de la société, en légiférant notamment, et l'invitation à l'abstention, dans un souci de désinflation législative, n'est pas simple.

Un exemple récent de prise en considération de la complexité administrative peut être donné avec une proposition de loi97(*) facilitant la réutilisation des eaux usées -seules 1 % le sont aujourd'hui. Alors qu'un avis de l'Agence régionale de santé, antérieurement requis, a été supprimé, une instruction ministérielle le considère toujours nécessaire. « Face à cette réglementation lourde faite de revirements et de disparités d'application », et afin « que les pratiques évoluent et que la procédure soit la plus simple possible » pour remédier aux risques de pénurie et de tensions autour de la ressource hydrique, la recommandation met en oeuvre une procédure d'autorisation simplifiée.

L'État peut se fixer des objectifs de simplification sans pour autant se donner les moyens d'y parvenir.

Un exemple frappant a été donné avec la loi n°2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables qui n'osait pas prendre les mesures appropriées de simplification des autorisations nécessaires.

En effet, comme l'a constaté la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat98(*), « sans simplifications substantielles apportées au cadre des autorisations administratives relatives aux projets d'énergies renouvelables, l'atteinte de l'objectif que s'est lui-même fixé le Gouvernement - diviser par deux les délais de déploiement des projets concernés, est illusoire ».

Dans cette configuration, c'est la plume du législateur qui se substitue à celle du gouvernement pour simplifier réellement, comme l'indiqué l'encadré ci--après :

Aussi, prenant acte d'un manque de propositions du Gouvernement sur ce sujet, la commission propose :

- la création de nouvelles dérogations procédurales temporaires (autorisation environnementale, enquête publique, recours contentieux) et un encadrement de la phase d'instruction des projets par les services de l'État ;

- l'attribution automatique de l'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité pour les lauréats d'un appel d'offres relatif aux énergies renouvelables ;

- l'instauration d'un fonds de garantie pour couvrir les risques contentieux des porteurs de projet ;

- la désignation de référents préfectoraux, dans chaque département, pour l'instruction de l'ensemble des autorisations relatives aux projets d'énergies renouvelables et des projets industriels nécessaires à la transition énergétique ;

- des évolutions pérennes aux régimes de l'évaluation environnementale, de l'autorisation environnementale, de la participation du public et du contentieux administratif, conçues avec le triple objectif de renforcer la concertation en amont pour les projets les plus importants, d'alléger, lorsque c'est possible, la charge pesant sur les services de l'État chargés de l'instruction des projets et d'accélérer la mise en oeuvre des projets en aval ;

- une amélioration de l'information du public dans le cadre de la procédure de participation du public par voie électronique (PPVE) en prévoyant la possibilité de consulter le dossier du porteur du projet dans les espaces France Services et à la mairie du territoire d'accueil du projet ;

- la mise à disposition par l'État des études techniques et environnementales nécessaires aux porteurs de projet dès le lancement de l'appel d'offres, afin de faciliter leur travail et de ne pas retarder le lancement des procédures ;

- la conclusion d'une concession d'occupation du domaine public dès la désignation du lauréat d'un AO pour l'éolien en mer, pour raccourcir les délais administratifs ;

- l'application à la zone économique exclusive des pouvoirs de régularisation du juge administratif, pour accroître la sécurité juridique des projets éoliens en mer.

Les évolutions, pragmatiques mais ambitieuses, proposées par la commission s'inscrivent en pleine cohérence avec les réflexions actuellement conduites au sein de l'Union européenne pour l'accélération du développement des énergies renouvelables. Elles visent à transformer nos actuelles faiblesses en véritables avantages comparatifs, par rapport à nos partenaires européens, pour rattraper notre retard.

Source : rapport n°82 du 26 octobre 2022, fait au nom de la commission de l'aménagement
du territoire et du développement durable sur le projet de loi relatif
à l'accélération de la production d'énergies renouvelables.


* 82 Bertrand du Marais : « Simplifier le droit : du mythe de Sisyphe à l'horticulture juridique ? », Revue française d'administration publique, vol. 157, no. 1, 2016, pp. 183-204.

* 83 Contribution écrite du 22 mars 2023.

* 84 Les trois premières lois de simplification du 16 décembre 1999 du 2 juillet 2003 et du 9 décembre 2004 habilitent le Gouvernement à prendre plusieurs dizaines d'ordonnances, notamment en matière de formalités pour les entreprises ; elles normalisent le recours à l'ordonnance dans le domaine de la simplification.

La large habilitation donnée au Gouvernement par la loi du 2 juillet 2003 a été amplement mise à profit, pas moins de 33 ordonnances ayant été adoptées sur son fondement, à un rythme encore jamais égalé sous la Vème République. Ces textes ont en effet modifié ou créé 639 dispositions législatives.

La loi de simplification du droit n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 comportait 65 articles après son examen par l'Assemblée nationale, soit deux fois plus que le projet de loi de 2003, et prévoyait près de 200 mesures de simplification, qui s'étendaient aux règles concernant l'urbanisme, le logement, les régimes sociaux agricoles, le sport ou encore le droit de la consommation.

* 85 Rapport n° 224 (2011-2012) de M.  Jean-Pierre MICHEL, fait au nom de la commission des lois, du 21 décembre 2011.

* 86 Bertrand du Marais, art. préc.

* 87 Rapport d'information « Simplifier efficacement pour libérer les entreprises » de Mme Élisabeth LAMURE et M. Olivier CADIC, fait au nom de la délégation aux entreprises n° 433 (2016-2017) - 20 février 2017.

* 88 Rapport d'information de la commission des lois du Sénat, n° 629, 2014-2015, du 15 juillet 2015.

* 89 Bertrand du Marais, art. préc.

* 90 Car si l'administration doit produire un accusé de réception au titre de l'article 19 de la loi DCRA du 12 avril 2000, il arrive, dans les faits, que cette obligation ne soit pas spontanément respectée.

* 91 Rapport n° 626 (2020-2021) de Mme  Catherine DI FOLCO, fait au nom de la commission des lois, déposé le 25 mai 2021.

* 92 Proposition de loi constitutionnelle n°721 du 28 septembre 2017 relative à la compensation de toute aggravation par la loi des charges pesant sur les entreprises. Elle aurait introduit un nouvel article 39-1 dans la Constitution selon lequel les projets et propositions de loi ainsi que les amendements tendant à introduire des charges supplémentaires pour les entreprises ne sont recevables que s'ils prévoient simultanément la suppression de charges équivalentes.

* 93 Proposition de loi n°723 du 28 septembre 2017 tendant à reconduire le Conseil de la simplification pour les entreprises et à renforcer leur sécurité juridique.

* 94 En prévoyant que l'absence de réponse de l'administration dans un délai de trois mois vaut acceptation de l'interprétation faite par le redevable de bonne foi.

* 95 Rapport d'information n°2268 du 9 octobre 2014 au nom de la mission d'information sur la simplification législative.

* 96 « Les écarts réglementaires entre la France et les pays comparables », rapport de MM. Julien Dubertret, Philippe Schil et Serge Catoire, au nom de l'Inspection générale des finances et du Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies.

* 97 Texte n° 392 (2022-2023) de Mme  Dominique ESTROSI SASSONE et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 3 mars 2023.

* 98 Rapport n° 82 (2022-2023) de M.  Didier MANDELLI, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, déposé le 26 octobre 2022.

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