C. L'OBJECTIF CIBLÉ D'UN PARTAGE PLUS ÉQUILIBRÉ DU CONGÉ PARENTAL AU SEIN DES COUPLES N'A PAS ÉTÉ ATTEINT

1. Les pères bénéficiaires : des oiseaux rares

Dans une perspective d'égalité entre les femmes et les hommes, la loi de 2014 ambitionnait d'accroître le partage des temps domestiques et parentaux au sein du couple. Elle s'inspirait pour cela de la réforme allemande de 2004 (voir encadré ci-après). L'étude d'impact de la loi indiquait que « l'effet attendu est un effet similaire à celui enregistré en Allemagne, où une réforme du même type a permis de multiplier par six en trois ans la proportion de pères prenant leurs congés (de 3 à 21%). Si on applique ce taux en France, ce sont donc 100 000 pères qui seront conduits à prendre leur congé »46(*). Le législateur a ainsi retenu le choix de pénaliser les couples dont le second parent ne recourt pas à la prestation afin d'inciter à un partage des responsabilités parentales. C'est sur ce point que la réforme est le plus loin d'avoir réalisé son ambition. En 2018, seules 2,5 % des familles partageaient la prestation entre les conjoints (2 % pour la prestation à taux plein).

Réforme des congés parentaux en Allemagne

Depuis 2005, l'Allemagne a profondément modifié sa politique familiale pour tenter d'enrayer la baisse du taux de fécondité et accroître la participation des femmes au marché du travail. Ces changements se traduisent par un effort financier important : + 26,6 Mds d'euros par an en 2017 par rapport à 2006.

L'indemnisation du congé parental (Basiselterngeld) a vu sa durée être raccourcie par la réforme de 2007 pour atteindre douze mois. Autrefois forfaitaire, elle a été revalorisée pour atteindre 65 % de la moyenne des revenus des douze derniers mois en cas de congé à temps complet et de 65 % de la différence avec les revenus actuels pour une interruption d'activité à temps partiel. Le montant est toutefois majoré à un seuil de 300 euros et plafonné à 1 800 euros. Les parents peuvent aussi choisir une indemnisation plus longue (24 mois) mais dont le montant est alors réduit de moitié (ElterngeldPlus).

L'éligibilité est plus souple qu'en France : il suffit de travailler moins de 30 heures par semaine sans condition de trimestres cotisés. Les familles disposant de plus de 500 000 euros de revenus en sont cependant exclues.

Enfin, une incitation au partage a été prévue : lorsque le second parent recourt à au moins deux mois de congé (ou quatre mois dans le cadre du ElterngeldPlus), la période de versement est étendue de deux mois (ou quatre mois). Pour l'ElterngeldPlus, quatre mois supplémentaires de congé sont octroyés lorsque les deux parents travaillent à temps partiel (de 25 à 30 heures par semaine) pendant quatre mois consécutifs.

La réforme a porté ses fruits : la proportion des pères n'a cessé de croître depuis 2007. En 2021, 25,3 % des 1,9 millions de bénéficiaires sont des pères (contre 20,9 % en 2015). Un écart important persiste cependant quant à la durée de bénéfice de la prestation : les mères y recourent pour une durée moyenne de 14,6 mois en 2021 contre 3,7 mois pour les hommes47(*).

Source : Rapport précité de l'Igas et Statistisches Bundesamt

Les pères bénéficiaires ont, en nombre, décru de 19 000 en 2014 à 15 000 pères en 2020. En proportion, ils ont néanmoins légèrement augmenté depuis 2014 pour atteindre 6,1 % des bénéficiaires de la prestation ; il faut donc y voir l'effet d'une diminution plus dynamique du nombre de mères bénéficiaires. Il est intéressant de noter, par ailleurs, que les trois-quarts des pères recourent à la PreParE à taux réduit, maintenant ainsi leur activité professionnelle, contre seulement 45 % des mères bénéficiaires48(*).

Dans un article publié en 202149(*), Hélène Périvier et Grégory Verdugo, auditionnés par les rapporteurs, montrent, en étudiant deux groupes de parents dont les enfants sont respectivement nés en décembre 2014 et en janvier 2015, que le taux de recours des pères, sous l'effet de la réforme, est passé de :

- 0,5 % à 0,8 % pour le congé à taux plein ;

- 1 à 1,8 % pour le congé à taux partiel (pour les pères ayant plus de deux enfants).

2. Les arbitrages économiques au sein des ménages, ainsi que des facteurs socio-culturels expliquent ce désintérêt pour le dispositif
a) Une indemnisation insuffisante pour contrecarrer des arbitrages économiques défavorables aux mères

Ainsi qu'il a été rappelé plus en amont, la réforme de 2014 a fait le choix de ne pas revaloriser l'indemnisation. L'étude d'impact annexée à la loi du 4 août 2014 justifiait ainsi que « les solutions consistant à améliorer le taux de remplacement peuvent avoir l'effet paradoxal de renforcer l'attractivité du CLCA pour les mères et ainsi d'amplifier leur sortie du marché du travail ». La loi de 2014 s'est donc écartée, sur ce point, de la réforme menée en Allemagne qui au contraire avait privilégié une indemnisation élevée.

La sous-représentation des hommes parmi les bénéficiaires de la PreParE est, en premier lieu, déterminée par des arbitrages économiques au sein des couples, le marché du travail étant marqué par une inégalité salariale persistante en défaveur des femmes. Dans 67,1 % des cas, les bénéficiaires de la PreParE percevaient un revenu d'activité inférieur que leur conjoint ou conjointe au cours de l'année précédant la naissance de leur benjamin50(*).

L'insuffisance de l'indemnisation a été unanimement présentée en auditions aux rapporteurs comme un élément ne favorisant pas l'engagement des pères dans le dispositif. Dans sa contribution écrite aux rapporteurs, Grégory Verdugo souligne que dans tous les pays ayant opté pour une indemnisation modeste du congé parental sur une durée longue (France, Royaume-Uni, Italie, Pays-Bas, etc.), une très faible participation des pères est observée. Au contraire, les pays scandinaves ou l'Allemagne, suivant le modèle d'un congé court et bien rémunéré, parviennent à entraîner une majorité des pères. Ainsi, selon lui, « les comparaisons internationales suggèrent que la principale raison de l'échec est la faiblesse de l'allocation versée ».

b) Les stéréotypes de genre

Des déterminants socio-culturels expliqueraient également l'écart entre les pères et les mères dans le recours à la prestation. L'étude précitée d'Hélène Périvier et Grégory Verdugo pointe la responsabilité des biais de genre dans le renoncement des hommes aux bénéfices de la prestation. En effet, les taux de non-recours à la PreParE des pères travaillant à temps partiel sont très élevés, alors même qu'ils y sont éligibles sans modification de comportement. Ces taux atteignent 80 % pour les pères d'un premier enfant et 70 % pour ceux d'au moins deux enfants, contre seulement 25 % pour les mères dans les deux cas. Ces taux diminuent légèrement avec le temps mais demeurent à un niveau très élevé, ce qui laisse suggérer aux chercheurs que « les pères ne demandent pas cette allocation soit parce qu'ils supposent qu'ils n'y ont pas droit, soit parce qu'ils estiment que le congé parental est une affaire de femme », soit enfin en raison d'un environnement professionnel qui les en dissuade51(*).


* 46 L'avis n° 794 (2012-2013), déposé le 23 juillet 2013, de Mme Michelle Meunier, rapporteure de la commission des affaires sociales du Sénat, recommandait en revanche à la prudence en soulignant, à juste titre, que « la réforme allemande [n'était] pas exactement de même nature que celle proposée ici ».

* 47 Statistisches Bundesamt, communiqué de presse, n° 141, 31 mars 2022.

* 48  D'après l'Observatoire national de la petite enfance (Onape), L'accueil du jeune enfant en 2020, édition 2021, p. 69.

* 49 H. Périvier, G. Verdugo (OFCE, Sciences Po), « Cinq ans après la réforme du congé parental (PreParE), les objectifs sont-ils atteints ? », Policy brief, 88, 6 avril 2021.

* 50 D'après l'Onape, rapport précité, p. 71.

* 51 H. Périvier, G. Verdugo, p. 10.