TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS EN RÉUNION PLÉNIÈRE

Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité - Audition du professeur Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), et de MM. Régis Aubry et Alain Claeys, rapporteurs sur l'avis du CCNE

(Mardi 11 octobre 2022)

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous entendons maintenant M. Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), pour la présentation de l'avis publié le 13 septembre dernier sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie. Sont également présents les deux rapporteurs de l'avis, M. Régis Aubry et M. Alain Claeys.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Cet avis fait suite à une autosaisine du CCNE et a vocation, selon ses propres termes, « à éclairer le débat citoyen, les pratiques des professionnels de santé et le législateur ».

Le CCNE considère de façon inédite qu'« il existe une voie pour une application éthique de l'aide active à mourir ». Dans le même temps, l'avis relève deux insuffisances : celle du développement des soins palliatifs dans notre pays, bien documenté dans un récent rapport de notre commission, et celle de la connaissance et de la mise en oeuvre de la loi du 2 février 2016, dite Claeys-Leonetti.

Partageant ce constat mais en tirant une conclusion différente, huit membres du CCNE ont souhaité publier une réserve, considérant que « franchir ce pas législatif sans ces efforts préalables représenterait un risque de renoncement que nous ne souhaitons pas prendre ».

Le 13 septembre dernier, le Président de la République a annoncé le lancement d'une Convention citoyenne sur la fin de vie, dont le pilotage a été confié au Conseil économique, social et environnemental (CESE) et que la Première ministre a saisie de l'interrogation suivante : « Le cadre d'accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d'éventuels changements devraient-ils être introduits ? ». Les conclusions de la convention sont attendues pour la fin mars 2023.

Dans cette attente, pourriez-vous nous exposer quelle serait cette « voie pour une application éthique de l'aide active à mourir » et en quoi le cadre législatif actuel devrait être modifié, le cas échéant, pour ouvrir cette voie ?

M. Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique. - Permettez-moi de rappeler les conditions dans lesquelles a été élaboré l'avis 139 intitulé Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité.

En juin 2021, j'ai souhaité que le CCNE s'autosaisisse de ce sujet, indépendamment d'une commande politique. Un groupe de travail a été constitué et trois rapporteurs ont été nommés. Ils ont auditionné plus de 40 personnes et ont présenté leur travail au CCNE en séance plénière. Toutefois, en fin d'année, une partie des membres du CCNE a changé. Ainsi l'avis 139 n'a-t-il été voté, à une très large majorité, que fin juin 2022.

Une partie des membres du groupe de travail a porté un avis minoritaire sur les recommandations qui pouvaient être faites, ce que je considère comme très sain sur un sujet aussi difficile. Elle a ensuite réfléchi aux conditions dans lesquelles elle souhaitait présenter cet avis minoritaire. Cela s'est fait sous la forme d'une réserve.

Le CCNE est une instance d'intelligence collective. Elle doit tenir compte des avis minoritaires ou différents. Toutefois, sur le fond, la très large majorité des membres du CCNE a voté cet avis, la réserve n'ayant été adoptée que par huit membres sur quarante-cinq.

L'avis comporte trois parties. La première rappelle tout ce qui a déjà été discuté au cours des vingt dernières années, et dresse le bilan de la loi Claeys-Leonetti. Cette loi est-elle suffisamment connue et appliquée ? La réponse est non, qu'il s'agisse du grand public ou des professionnels de santé. La politique de soins palliatifs menée en France depuis de nombreuses années n'est pas à la hauteur d'un grand pays comme le nôtre. Ainsi, dans un certain nombre de départements, il n'existe pas encore de soins palliatifs. Autre cas de figure, les soins palliatifs sont dans un corner par rapport à la structure hospitalière. En outre, dans les Ehpad ou à domicile, les soins palliatifs sont très peu développés.

Dans la deuxième partie de l'avis, nous nous sommes intéressés aux situations auxquelles la loi Claeys-Leonetti ne répondrait pas totalement. Nous avons identifié un certain nombre de cas concernant les personnes atteintes de maladies chroniques dégénératives ou de maladies incurables à moyen terme, soit au bout de quelques semaines ou quelques mois. Nous avons précisé les conditions éthiques dans lesquelles une porte pourrait être entrebâillée sur une vision nouvelle de ce que pourrait être une mort dans la dignité.

La troisième partie vise à permettre qu'un grand débat national puisse s'ouvrir sur ce sujet. Le Président de la République, dans son communiqué, a suivi le CCNE. Ce débat concernera le CESE, qui organisera une convention citoyenne, le CCNE et les espaces éthiques régionaux, qui mettront en place des réunions d'information pour les citoyens, lesquels sont perdus dans la terminologie, mais aussi le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, qui sera à l'écoute des équipes soignantes impliquées dans les soins palliatifs. Car, dans notre pays, on a médicalisé la mort depuis de nombreuses années, puisque 90 % des décès surviennent à l'hôpital.

Finalement, la question essentielle est la suivante : notre mort nous appartient-elle ou appartient-elle à la société, qui l'a déléguée aux médecins ? Cette question fondamentale est désormais sur la table.

M. Alain Claeys, rapporteur sur l'avis n° 139 du Comité consultatif national d'éthique sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie. - Le président du CCNE a posé le sujet de l'équilibre entre la solidarité et l'autonomie de la personne. Pourquoi avons-nous décidé de nous en autosaisir ?

Tout d'abord, le débat animait la société et des initiatives parlementaires avaient été prises. Ensuite, la situation des soignants dans les hôpitaux et les Ehpad témoignait d'un véritable mal-être, ces derniers constatant un manque de moyens pour prendre correctement en charge les patients. Enfin, la période du covid a engendré des drames dans les Ehpad.

Depuis vingt ans, les parlementaires ont travaillé pour relier les deux bouts de la chaîne, à savoir la solidarité et l'autonomie. Je pense à la loi de 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs - sous doute faudrait-il les renommer « soins d'accompagnement » -, qui témoigne de la volonté de solidarité de la Nation. Je pense également à la loi Kouchner de 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, qui vise à renforcer le pouvoir des patients dans le cadre de l'arrêt d'un traitement. Et je pense aussi à la loi Leonetti de 2005, qui concernait l'obstination déraisonnable. Ce sujet reviendra d'actualité dans les jours qui viennent, dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité. Je pense enfin à la loi de 2016, qui visait à créer trois nouveaux droits : la directive anticipée opposable, la personne de confiance et la sédation profonde et continue jusqu'au décès.

Dans ce cadre législatif, on a toujours cherché l'équilibre entre solidarité et autonomie, ce qui soulève trois questions.

Les trois questions auxquelles nous devions répondre sont assez simples.

D'abord, les lois que j'ai énumérées sont-elles correctement appliquées sur l'ensemble du territoire ou bien y a-t-il des inégalités sociales ou territoriales dans leur application ? Nous répondons que, clairement, de telles inégalités existent, par exemple en matière d'offre de soins palliatifs selon les départements, mais nous déplorons également l'absence, à l'échelon national, de recherche et de professeurs d'université-praticiens hospitaliers (PU-PH) dans cette discipline. Du reste, je parlais d'accompagnement et on constate une volonté de mobilité de la part des familles, afin de ne pas terminer sa vie à l'hôpital. Or le retard des soins palliatifs est grand, tant dans les Ehpad qu'à domicile.

Ensuite, y a-t-il une dévaluation la loi de 2016 ? Selon nous, non ; simplement, elle demeure méconnue. Par exemple, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers a dû recruter une infirmière ayant travaillé en cancérologie, en soins palliatifs et dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), afin de populariser la notion de directive anticipée, auprès tant des patients que du corps médical. On constate la même ignorance à l'égard de la sédation profonde et continue. Cette loi va faire l'objet d'une évaluation de l'Assemblée nationale.

J'en viens enfin à la troisième question, qui ne doit pas être dissociée des deux autres, car ce serait un contresens que de réduire l'avis du CCNE à l'aide active à mourir : existe-t-il des situations particulières auxquelles même la loi de 2016 ne répond pas et sur lesquelles on peut légitimement s'interroger ? On touche là à la question de l'autonomie, car il ne saurait y avoir d'autonomie sans solidarité. Une société qui laisserait aux personnes seules la prise en compte de la mort serait inacceptable. Nous avons donc abordé ce sujet, en nous demandant s'il était éthique pour le législateur de l'aborder et comment l'encadrer.

Sur les recommandations, je ne développe pas ; sans doute, il ne nous appartient pas de nous prononcer sur l'opportunité d'un référendum, mais, d'après nous, eu égard à la complexité du sujet, c'est à la démocratie représentative de s'en emparer, après l'organisation d'une conférence citoyenne.

M. Régis Aubry, rapporteur sur l'avis n° 139 du Comité consultatif national d'éthique sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie. - Je vous remercie, d'être attentifs à ces questions complexes. Ce sujet est difficile, car personne n'a d'expérience personnelle de la fin de vie et les expériences liées à un proche sont forcément douloureuses. C'est pourquoi il est difficile de débattre et c'est pourquoi nous avons tâché, pendant un an, de prendre de la distance par rapport à nos propres expériences.

Je veux insister sur les spécificités de notre autosaisine. Je précise que je suis médecin, professeur de médecine palliative et engagé sur le sujet depuis longtemps.

Nous ne devons pas ignorer le changement important de paradigme qui a lieu dans le champ médical sur ces questions. Nous sommes aujourd'hui confrontés à des situations impensées de fin de vie, engendrées par le progrès médical : nous sommes confrontés à des personnes souffrant de maladies chronicisées, incurables. C'est comme si l'on avait allongé le temps de la fin de l'existence et repoussé la question de la propre finitude de l'homme. Ainsi, certains cancers sont transformés en maladies chroniques, on augmente l'espérance de vie de certaines maladies neurodégénératives. Ces situations impensées sont liées au vieillissement, conséquence de ces avancées techniques : de plus en plus de personnes atteignent un âge très avancé et souffrent alors d'une polypathologie, de plusieurs maladies synchrones.

Dans ce contexte, nous sommes confrontés à trois types de questions.

D'abord, comment faire pour que la médecine ne fabrique pas de situations insensées ? Elle peut faire beaucoup de choses, mais ce n'est pas parce que l'on peut faire que l'on doit faire, quand faire conduit à de la souffrance.

Ensuite, les différents plans de développement des soins palliatifs suffisent-ils ? Nous insistons sur la nécessité d'intégrer une culture palliative à la pratique professionnelle de tous les professionnels de santé. Il faut, pour cela, actionner deux leviers, la formation et la recherche, insuffisamment mobilisés aujourd'hui. On ne forme pas assez à la réflexion sur la finitude de l'homme - les humanités médicales ont presque disparu - et à la réflexion éthique, interprofessionnelle et exigeant de savoir débattre, de savoir ne pas être trop sûr de soi.

Au-delà de ces deux questions, nous sommes et serons confrontés à des situations, rares, de personnes dont l'existence, avant la toute fin de leur vie, avant le champ d'application de la loi Claeys-Leonetti, n'est plus que souffrance. Ces personnes, qui doivent avoir bénéficié de soins palliatifs - on imagine mal que ce soit optionnel -, demandent une aide active à mourir. Nous avons réfléchi à la notion d'aide active à mourir.

Il faut distinguer, dans ce domaine, l'assistance au suicide de l'euthanasie. La première consiste à permettre à une personne d'accéder à un produit létal, qu'elle se délivre elle-même. Il faut savoir que, dans l'Oregon par exemple, un nombre important de personnes qui ont demandé l'aide active à mourir ne vont pas chercher le produit létal et que, parmi celles qui vont le chercher, plusieurs ne l'absorbent pas ; ainsi, ce n'est pas parce que l'on fait une demande que l'on va au bout de celle-ci. Par opposition, l'euthanasie - l'administration d'un produit létal par un tiers - est sans recours. Cette nuance est fondamentale. Nous essayons de travailler sur le respect de l'autonomie de la personne autant que sur notre devoir de solidarité à l'égard des personnes en grande souffrance.

Nous insistons également sur le fait que, à la lumière de quelques travaux de recherche, une demande ne signifie pas forcément une volonté ; elle peut exprimer, par exemple, un épuisement de vivre. Aussi, avant d'être l'expression d'une volonté, toute demande doit être analysée. On imagine mal que l'on accède, par simple demande, à l'assistance au suicide ; la demande doit être finement analysée et confirmée par un collectif, réitérée, ferme. Nous insistons sur cette distinction entre l'assistance au suicide et l'euthanasie.

L'assistance au suicide est le segment sur lequel il pourrait être, selon nous, éthique de faire évoluer le droit, afin de répondre, par solidarité, par respect pour l'autonomie de la personne, à certaines demandes. Ces situations sont, d'après mon expérience, très rares, mais cela ne doit pas nous empêcher d'y réfléchir.

Il nous faut donc tout à la fois concevoir une politique d'accompagnement de la vulnérabilité - vieillissement et soins palliatifs - qui soit à la hauteur des besoins, lesquels ne sont pas couverts aujourd'hui, et mener une réflexion sur l'assistance au suicide. Même s'il ne faut pas conditionner la seconde à la première, il nous semble indispensable de mener les deux de front ; on n'imagine pas de faire évoluer le droit relatif à l'assistance au suicide sans avoir une politique volontaire d'accompagnement des situations de vulnérabilité.

Toutes ces nuances nous paraissent essentielles. Nous avons la fâcheuse tendance de vouloir simplifier ce qui est complexe, mais, en l'occurrence, il ne faut pas y céder. D'où l'importance du débat public, car cette complexité doit être exposée et assumée. Il nous paraît fondamental de garder des nuances essentielles ; ensuite, sur ce fondement, on peut imaginer une évolution du droit.

Mme Corinne Imbert. - Six ans seulement se sont écoulés depuis la dernière intervention du législateur. La situation a-t-elle à ce point changé que le CCNE, qui jugeait en 2013 qu'il n'était pas souhaitable de légaliser l'assistance au suicide, estime maintenant nécessaire de le faire, en identifiant dans son avis une voie pour une application éthique d'une « aide active à mourir » ? Pour le justifier, cet avis fait référence à des éléments objectifs - des situations limites, l'allongement de la fin de vie en raison de la médicalisation - et des éléments subjectifs, comme l'extension de situations de solitude ou une demande croissante d'autonomie psychique. Pourrait-on circonscrire plus précisément les situations objectives ? Au fond, la voie qu'identifie l'avis ne revêt-elle pas une dimension plus subjective qu'objective, en prenant en compte les personnes qui veulent mourir plus que celles qui vont mourir, le suicide plus que la fin de vie ?

Un argument en faveur de la législation sur l'aide active à mourir consiste à affirmer que cela correspond à une demande claire de la société. Mais, d'une part, encore faudrait-il connaître l'état exact de l'opinion sur le sujet ; selon certains sondages, une partie importante de nos concitoyens préfère les soins palliatifs à l'aide active à mourir. D'autre part, la volonté peut changer : nombre de personnes arrivant dans une structure de soins palliatifs avec la volonté de mourir finissent, après quelque temps passé dans cette structure, par souhaiter vivre un peu plus longtemps. Or, une fois la loi votée, elle s'applique à tous.

Par ailleurs, la modification de la loi pour autoriser l'aide active à mourir ne pourrait-elle servir de prétexte à ne pas développer les soins palliatifs, qui sont, tout le monde en convient, insuffisants sur notre territoire ?

Enfin, que pensez-vous de l'évolution de l'expression « mourir dans la dignité », transformée par certains en « mourir dans la liberté » ?

M. Bernard Jomier. - Vos explications orales m'ont parfois semblé plus convaincantes que ce qui est écrit dans le rapport, ce qui renvoie à la difficulté de parler du sujet.

Le principe d'autonomie n'a cessé de prendre de l'importance au fil des lois de bioéthique, de sorte qu'il nous faut désormais nous interroger sur ses limites : est-ce que ma mort m'appartient ? Il est très difficile d'apporter une réponse à cette question.

Si cette évolution correspond à une demande de la société, il ne faut pas pour autant négliger le principe de l'intérêt général. Le législateur ne pourra pas trancher la question de la nécessité d'une nouvelle loi sans apporter une réponse à celle des limites du principe d'autonomie.

Vous tracez des lignes rouges, et la principale porte sur le réel accès des Français aux soins palliatifs. Mais qui peut croire que d'ici trois à cinq ans tous les Français auront accès à ces soins ? Je n'en suis vraiment pas convaincu, car la situation évolue à un rythme bien trop lent. On entend dire, dans le débat public, que le CCNE « ouvre la porte à une législation sur l'aide active à mourir » : j'en conclus que ce n'est pas pour demain.

On ne légifère pas à partir de l'expérience personnelle. C'est la raison pour laquelle je me suis abstenu lors du vote sur le texte de Marie-Pierre de La Gontrie, car le débat avait été trop empirique. En revanche, il a permis de poser la question fondamentale du suicide assisté par opposition à l'euthanasie. Jusqu'où accepte-t-on que les soignants interviennent ? Peuvent-ils participer directement au processus qui consiste à donner la mort ? Toute société fonctionne sur une répartition des rôles qui doit être compréhensible pour chacun.

Peut-on au nom du principe d'autonomie permettre qu'un citoyen accède au suicide assisté ? Et doit-on donner aux soignants la possibilité de participer au processus ? Telles sont les deux questions que la loi doit prendre en compte de manière bien distincte si l'on veut qu'elle soit applicable.

Mme Catherine Deroche, présidente. - L'Ordre des médecins travaille sur le sujet des soignants et rendra un rapport au début du mois de novembre prochain.

M. Alain Claeys. - La loi de 2016 ne couvre pas tous les sujets que nous abordons dans cet avis, notamment les situations exceptionnelles que nous avions déjà mentionnées dans nos précédents avis.

Parmi les facteurs objectifs, figure le fait que la sédation profonde ne peut pas être administrée médicalement quand le pronostic vital est engagé non à court mais à moyen terme. Or, sous réserve que des soins d'accompagnement existent, la question peut se poser dans certaines situations. C'est dans ce cadre que nous avons abordé le sujet de l'aide active à mourir.

Notre rapport manque-t-il de précision ? Je ne saurais le dire. Quoi qu'il en soit, il ne suffira pas d'un plan financier annoncé par le ministre pour régler le problème des soins d'accompagnement. Il faudrait, y compris dans la communauté médicale, une petite révolution pour que ces soins figurent dans le processus de prise en charge d'un patient dès lors que l'on diagnostique telle ou telle maladie. Les situations sont diverses. Parfois, ces soins n'existent pas au sein de l'hôpital, mais sont pratiqués ailleurs. Dans certains cas, les soins palliatifs sont prévus dès le début.

Il n'est pas forcément nécessaire d'en passer par une nouvelle loi, mais si le législateur décide d'aborder ce sujet, il faudra qu'il prévoie des programmes fléchés vers les soins d'accompagnement.

Quant à l'aide active à mourir, elle recouvre deux cas, à savoir l'assistance au suicide qui passe par la recherche du consentement, à travers une autonomie exprimée par la personne, et l'euthanasie, dès lors que nous avons voulu prendre en compte toute demande formulée par une personne autonome psychologiquement, mais incapable de la réaliser physiquement.

Notre groupe de travail n'a pas voulu trancher sur ce dernier point, laissant cela au législateur. Il s'est contenté d'établir l'existence de deux possibilités : soit la responsabilité incombe au médecin sous le contrôle d'un juge, soit on lève l'interdit, ce qui ouvre la possibilité de l'euthanasie. Les avis sont très partagés sur la question.

M. Régis Aubry. - Il nous faudrait bien plus que le temps imparti pour débattre de l'autonomie et de la dignité.

Quoi qu'il en soit, une vision absolutiste de l'autonomie n'est effectivement pas adaptée. Plus on est malade, plus on a besoin d'autrui pour exercer son autonomie. C'est ainsi que s'établit une relation de confiance entre le malade et son entourage. Plusieurs études publiées par l'Institut national d'études démographiques (Ined) montrent que plus on s'approche de la fin de son existence, plus souvent on change d'avis.

Toutefois, on ne peut pas nier son autonomie à une personne au seul motif qu'elle est malade. Certains cheminent pendant des semaines et des mois. Leur demande est élaborée, fruit de longues discussions. Il serait irrespectueux et indigne de considérer que la personne n'est plus capable d'autonomie au seul motif qu'elle est en fin de vie. D'où l'importance du travail d'accompagnement, d'écoute et d'aide au cheminement, qui reste insuffisamment valorisé. Trop souvent, l'acte technique prime le relationnel et l'humain. Or on prendrait un risque à se cantonner à la question du droit sans entreprendre de développer une culture palliative.

La priorité est moins l'évolution du droit que l'orientation des politiques publiques dans le domaine de la santé. L'accompagnement des personnes en situation de vulnérabilité doit-il s'inscrire plus largement dans un devoir de solidarité ? En effet, c'est au prisme de notre rapport à la solidarité que le débat public doit se faire. Je reste convaincu, quant à moi, que nous faisons société parce que nous faisons solidarité.

Enfin, je préfère employer le mot « dignité », comme le faisait Robert Badinter en l'appliquant à toute personne en vie. La dignité est une notion presque ontologique, dès lors que l'on est en vie. Voilà pourquoi il vaudrait mieux réfléchir à « vivre dans la dignité » plutôt qu'à « mourir dans la dignité ».

M. Alain Claeys. - Mais nous n'avons pas retenu l'expression dans le rapport.

Mme Corinne Imbert. - Certains disent « mourir dans la liberté ».

M. Régis Aubry. - La liberté est encore une autre notion.

Nous nous en sommes tenus aux mots d'« autonomie » et de « solidarité » en les nuançant. Ceux de « dignité » et de « liberté » sont des mots-valises que l'on peut utiliser dans un sens ou dans l'autre.

M. Jean-François Delfraissy. - Le CCNE prend la mesure de la complexité des enjeux. Son ambition est que ses travaux servent de boussole dans les discussions. La main ne peut que trembler lorsqu'on écrit sur un sujet aussi fondamental. Toutefois, d'autres pays ont su évoluer sur la question, de sorte qu'il est légitime que nous l'examinions aussi en France.

Il y a sept ou huit ans, nous n'aurions pas forcément rendu un avis très différent. J'en veux pour preuve que dans l'avis 129, publié à la suite des États généraux de la bioéthique, en 2018, figurait la mention de certaines situations très particulières.

Toutefois, le rôle du CCNE est-il de défendre quoi qu'il en coûte des valeurs qui se contredisent entre elles ou bien de prendre en compte les évolutions de notre société ?

Les soins palliatifs ont considérablement évolué au cours des dernières années, même si ce n'est sans doute pas suffisant. La médecine en vient à créer des conditions très particulières, certains patients pouvant se retrouver en cinquième ou sixième ligne de chimiothérapie pour un cancer en stade quatre. Que faire de ces cas très complexes qui n'existaient pas il y a dix ans ? N'est-ce pas le rôle du CCNE que de tenir compte des progrès de la science et des évolutions sociétales ?

En ce qui concerne les soignants, j'ai vécu les transformations qu'ils ont connues dans les années 1990, au moment de l'épidémie de sida. Il n'existait pas alors de loi et nous prenions des décisions en notre âme et conscience. Puis, le Parlement a élaboré des lois avec lesquelles la jeune médecine doit désormais composer.

N'y a-t-il pas une contradiction à demander au médecin de sauver de la mort et de donner la mort ? C'est certain. Dans les modèles, il faudra donc préciser la notion d'assistance à l'euthanasie : par exemple, dans le modèle suisse, la décision de fournir le médicament doit être collégiale.

Il conviendra aussi de prendre en compte le devoir de réserve. En effet, dès lors que 90 % des décès ont lieu en milieu médicalisé, faut-il que les médecins restent seuls à décider ou bien qu'une partie des décisions soit laissée dans les mains de l'individu ? D'autant que si les médecins ne souhaitent pas prendre de décision, ils peuvent exercer leur devoir de réserve.

L'Espagne a voté une loi sur le sujet, il y a trois ans, mais sans prendre le temps de se concerter avec les équipes soignantes, de sorte que le texte est bloqué, car personne ne veut l'appliquer. Il faut écouter les équipes soignantes et l'ensemble du corps médical qui accompagne les patients.

M. Régis Aubry. - On ne peut pas mettre sur le même plan l'implication du professionnel de santé dans l'assistance au suicide et dans l'euthanasie. Cette différence est fondamentale et n'apparaissait pas suffisamment dans la proposition de loi de M. Falorni.

M. Olivier Henno. - Monsieur Delfraissy, lorsque nous vous avions entendu au sujet du projet de loi relatif à la bioéthique, vous avez prononcé cette phrase terrible mais juste : « On meurt mal dans notre pays. »

Quand vous avez dit que 90 % des personnes mouraient à l'hôpital ou bien quand vous avez posé la question de savoir si notre mort nous appartenait à moins qu'elle n'appartienne à la société, qui l'a déléguée aux médecins, ces propos m'ont interpellé. Le principe d'autonomie semble l'emporter, dans notre société, sur celui de solidarité.

Très souvent, ceux qui se rapprochent de la mort souhaitent mourir chez eux ; or c'est loin d'être toujours possible, ce qui accentue l'angoisse de la mort et contribue à la montée du principe d'autonomie. Est-il inéluctable que 90 % des personnes meurent à l'hôpital ? Ne peut-on pas mourir dans la dignité même chez soi ?

M. Daniel Chasseing. - Certaines situations sont difficiles à tous les âges, qu'il s'agisse du cancer ou des maladies neurodégénératives. La loi suffit-elle à encadrer ces situations rares ? Dans certains cas, je ne le crois pas.

Si les personnes meurent rarement à domicile, c'est par manque d'accompagnement, qu'il s'agisse de la famille, des infirmiers ou du médecin. Tout est problème d'accompagnement. Même si l'immunothérapie a beaucoup progressé, de sorte que certains patients vivent jusqu'à des stades très avancés de leur maladie, il arrive toujours un moment où l'on est en difficulté et où l'on a besoin d'un accompagnement plus important.

La loi Claeys-Leonetti a permis des progrès considérables, notamment dans les départements ruraux comme la Corrèze. Dans les Ehpad, les familles ont pu apprécier l'accompagnement des soins palliatifs. Il faudrait les développer encore davantage, en amont.

Faut-il changer la loi pour ce faire ou bien simplement l'adapter ? Il convient en tout cas de la renforcer pour favoriser le développement des soins palliatifs, en collaboration avec les équipes soignantes.

Mme Victoire Jasmin. - Je suis heureuse d'entendre parler, dans ce débat, de « solidarité », de « dignité » et de « souffrance des soignants ». Cependant, comment a-t-on pu en venir à banaliser l'administration du Rivotril dans les Ehpad, il y a quelques mois ?

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous avons je crois tous connu dans notre entourage des situations de fin de vie et n'aurions jamais qualifié quiconque d'indigne, même lorsque la mort n'était pas celle que la personne souhaitait ou que l'on aurait souhaitée pour elle. L'expression « mourir dans la dignité », qui donne son nom à une association, m'a toujours perturbée, voire choquée, car il me semble que la dignité existe jusqu'au dernier souffle.

Quel regard portez-vous sur le cas de cette jeune femme belge qui s'est retrouvée en grande souffrance après les attentats, et qui a été euthanasiée à sa demande ?

Certains articles de presse laissent entendre que les mutuelles pourraient se positionner sur le sujet. Sans vouloir invoquer de manière caricaturale la motivation économique, ne faut-il pas craindre de ce type de positions une moindre incitation à développer les soins palliatifs ?

M. Régis Aubry. - Qu'est-ce que « bien mourir » ou « mourir heureusement » ? La mort est toujours une épreuve. Quand nous parlons de « mourir mal », c'est pour souligner l'insuffisance des moyens en matière d'accompagnement.

Le temps de la fin de vie s'accroît de sorte qu'il faut distinguer le lieu de la fin de vie et celui du mourir. Si mourir à domicile est l'option plébiscitée, elle reste difficile à mettre en oeuvre, car la société a changé et que les familles multigénérationnelles se raréfient. En outre, certaines professions ne sont pas assez valorisées, comme les aides à domicile, qui restent insuffisamment formées et rémunérées. C'est pourtant le noeud gordien du maintien à domicile.

Autre point important, la possibilité de ne pas être seul. Or l'on constate que la solitude en fin de vie est un phénomène qui se répand de manière très inquiétante dans notre pays.

L'enjeu concerne aussi certaines personnes âgées. L'avis 128 que nous avions publié montre qu'elles doivent souvent aller finir leur existence en Ehpad alors qu'elles ne le souhaitent pas. Certaines choisissent le suicide.

Quant au Rivotril, il se trouve que pendant la première vague de covid, le Midazolam, médicament utilisé pour provoquer la sédation, est venu à manquer. Or certaines situations de fin de vie dans les Ehpad ou à domicile ont nécessité de recourir au Rivotril pour endormir les personnes. Ce n'est toutefois pas le médicament le plus adapté.

M. Alain Claeys. - Que de progrès ont été accomplis en matière de soins palliatifs ! Toutefois, une petite révolution reste à mener sur les soins d'accompagnement. Si on ne prend pas de mesures, on tournera en rond. Par exemple, la tarification à l'activité (T2A) a été un progrès à l'hôpital. Les soins d'accompagnement ne peuvent-ils pas sortir de son champ ? Ce serait une décision à la portée directement efficace.

La réflexion sur la notion d'obstination déraisonnable est loin d'être aboutie. Le CCNE et le législateur devront s'en emparer.

M. Jean Sol. - Je vous remercie pour ce rapport riche sur un sujet compliqué.

Selon vous, avons-nous les moyens d'évaluer la loi de 2016 dans toutes ses composantes avant d'aller plus loin sur le sujet ?

Enfin, cessons de considérer la finitude comme un échec.

M. Jean-François Delfraissy. - Nous avons en France une culture assez faible en matière d'évaluation des politiques publiques. En outre, ce sont des cabinets d'audit externes qui s'en chargent. Il manque une expertise universitaire. À ce jour, alors que nous l'avions demandée dès le mois de juin 2021, nous ne disposons d'aucune évaluation claire de la loi. La Cour des comptes a été sollicitée par l'Assemblée nationale de sorte qu'une première forme d'évaluation devrait nous être transmise au mois de mars prochain.

Si la loi doit évoluer, il est essentiel que le Parlement inscrive dans le texte une évaluation des nouvelles dispositions dans un délai donné.

M. Régis Aubry. - Les médecins ont tendance à assimiler la fin de vie et la mort à un échec, ce qui nuit à l'idée d'un cheminement possible. Il est nécessaire de réfléchir aux niveaux de soins, d'interroger le sens des mots « soigner » ou « traiter ». Parfois, le médecin doit décider de ne pas faire. Dans un avis en préparation, nous nous questionnons sur les notions de « vivre » et de « soigner ». En miroir de ces notions, il y a la souffrance des soignants. Il est essentiel de développer une culture de la réflexion éthique, qui implique de savoir hésiter, de ne pas être sûr de soi et surtout de travailler collectivement.

Parfois, le temps des personnes malades et des familles ne croise plus celui des soignants. C'est dramatique.

M. Jean-François Delfraissy. - Nous publierons un nouvel avis d'ici à la fin du mois d'octobre qui portera sur les enjeux éthiques et les valeurs à privilégier pour la reconnaissance du système de soins. Nous y poserons la question du temps des soignants pour les familles et pour les patients.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous vous remercions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Enjeux philosophiques de la fin de vie - Audition de Mme Monique Canto Sperber, directrice de recherche au CNRS, membre du Comité consultatif national d'éthique, MM. Bernard-Marie Dupont, médecin, juriste, professeur d'éthique médicale, André Comte-Sponville, philosophe, essayiste, et Jacques Ricot, philosophe, chercheur associé au département de philosophie de l'université de Nantes

(Mercredi 29 mars 2023)

Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous commençons nos travaux de ce jour par une audition sur les enjeux philosophiques de la fin de vie.

Comme vous le savez, notre commission, après avoir entendu le président et les rapporteurs du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), a lancé sa propre mission d'information relative à l'évolution de la législation relative à la fin de vie dans la perspective de l'examen éventuel du projet de loi qui pourrait être déposé à l'issue des travaux de la convention citoyenne qui travaille sur cette thématique.

Les rapporteures Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Imbert et Michelle Meunier ont déjà organisé plusieurs auditions, ainsi que deux déplacements, l'un à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière et l'autre, ce lundi même, en Belgique.

Au regard de l'importance du sujet, il me semblait important que nous organisions également un cycle d'auditions en séance plénière. C'est dans ce cadre que nous avons le plaisir d'accueillir Mme Monique Canto-Sperber, directrice de recherche au CNRS et membre du CCNE, M. Bernard-Marie Dupont, médecin, juriste et professeur d'éthique médicale, M. André Comte-Sponville, philosophe et essayiste et M. Jacques Ricot, philosophe, chercheur associé au département de philosophie de l'université de Nantes.

Mme Monique Canto Sperber, directrice de recherche au CNRS, membre du Comité consultatif national d'éthique. - À dire vrai, je ne traiterai que d'un point, celui de l'ambiguïté morale de la notion d'aide active à mourir.

La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 prévoit une sédation profonde et continue jusqu'au décès des malades qui en font la demande et qui présentent une affection grave et incurable, causant des souffrances réfractaires aux traitements, avec un pronostic vital engagé à court terme. Elle reconnaît ainsi implicitement le droit du malade en fin de vie à recourir à une aide à mourir sous supervision médicale.

Toutefois, la loi Claeys-Leonetti ne s'applique pas aux personnes qui souffrent de maladies graves ou incurables, mais dont le pronostic vital n'est engagé qu'à moyen terme. Elle ne concerne pas non plus les malades dépendant d'un traitement vital, qui ne le supportent plus et veulent l'arrêter, au risque d'une survenue certaine du décès, mais seulement au bout de quelques mois et souvent dans de grandes souffrances.

Il arrive que ces personnes, dans les deux cas que je viens de rappeler, demandent de façon répétée qu'on les aide à mourir en dépit de l'accès aux soins palliatifs dont elles pourraient bénéficier. Ce sont là deux cas de fin de vie qui devraient justifier une évolution de la législation actuelle.

En effet, la sédation profonde et continue que prévoit la loi Claeys-Leonetti n'est envisageable que pour un malade qui se trouve dans les derniers moments de sa vie. Il s'agit alors, si l'on peut dire, de hâter la mort qui surviendrait de toute façon à brève échéance. À l'inverse, le type d'aide à mourir, dont il est question dans les débats actuels, correspond à une aide active, pour reprendre le terme couramment employé - et qui ne l'est pas à bon escient à mon sens, car la sédation n'a déjà rien d'une aide passive.

Cette aide active à mourir, dont la convention citoyenne, la société et différentes instances, y compris cette assemblée, débattent aujourd'hui, a pour but, non pas de hâter, mais de provoquer la mort d'un malade, qui n'est pas encore à proprement parler au terme de sa vie.

Les raisons pour lesquelles une personne peut vouloir abréger sa vie quand la maladie ne lui laisse aucun espoir de survie n'appartiennent qu'à elle. En revanche, la question de savoir si, dans de tels cas, une aide pour mourir peut être permise par la loi ne peut faire abstraction du système juridique qui est le nôtre, des principes moraux sur lesquels ce système est fondé et de la déontologie médicale. C'est un tout indissociable, le socle d'une société libérale.

Dans la mesure où une loi à venir sur l'aide active à mourir toucherait à une situation humaine à laquelle de nombreux Français ont déjà été confrontés dans leur entourage, familial ou amical, et à laquelle ils ont sans doute déjà réfléchi, il incombe au législateur, me semble-t-il, de justifier sa décision aussi rigoureusement que possible, et pas seulement en se référant au vote d'une assemblée représentative de la population française.

Deux formes d'aide à mourir sont en cause dans ce que je viens de dire.

Il y a tout d'abord l'assistance au suicide ou suicide assisté - je n'aime pas du tout cette expression, car il va de soi qu'il s'agit de malades qui voudraient vivre. Il s'agit d'aider une personne à mettre fin à sa vie sans souffrance, en lui fournissant les moyens de le faire. Concrètement, cela prendre la forme d'un breuvage à avaler - c'est le cas par exemple en Suisse - ou d'une sonde intestinale à activer - ce qui se pratique en Oregon - lorsque les malades en phase terminale ou à un stade avancé de la maladie ne parviennent plus à avaler.

Il reste que, dans les cas que je viens d'évoquer, le malade, jusqu'au dernier moment, c'est-à-dire jusqu'au moment où la mort devient irréversible, reste souverain. Il peut donc exprimer sa volonté d'utiliser ces moyens, mais également celle d'y renoncer in extremis.

Par contraste avec ce que je viens de décrire, l'euthanasie consiste dans le fait qu'un tiers donne la mort à une personne qui le lui a demandé, ce tiers étant le plus souvent un médecin administrant une injection, acte qui intervient dans la majorité des cas alors que la personne est inconsciente et, donc, plus en mesure d'exprimer sa volonté au moment où s'enclenche le processus final et irréversible.

La différence entre ces deux types d'aide tient à ce que, pour le suicide assisté, la personne se reconnaît libre de ce qu'elle fait d'elle-même jusqu'au moment ultime et que, par ailleurs, elle se reconnaît souveraine de ce qu'elle fait elle-même jusqu'au dernier moment. En outre, l'aide qui lui est apportée et qui conduira à sa mort volontaire est une aide indirecte, c'est-à-dire que l'on donne à la personne les moyens de mettre fin à ses jours, moyens qu'elle peut utiliser ou pas jusqu'au dernier instant.

Dans de nombreux cas, la substance létale n'est pas administrée, les malades préférant différer ce moment ou tout simplement y renoncer.

En revanche, pour ce qui est de l'euthanasie, il en va tout autrement, ne serait-ce que parce que l'on peut imaginer qu'une euthanasie soit pratiquée sur une personne encore consciente, qui ne peut simplement plus du tout faire un geste. C'est un cas qu'il faudrait certes traiter à part.

Lorsque l'euthanasie concerne une personne inconsciente, ce qui correspond à la situation traitée dans le rapport du Comité consultatif national d'éthique, il est clair que le malade ne peut plus, au moment du processus final, exprimer sa volonté, qui est d'une certaine manière, le dernier espace de sa liberté, le fondement de l'intégrité de la personne humaine, de sa possibilité d'être souverain sur ce qu'il s'impose à lui-même.

Par ailleurs, l'intervention du tiers est directe : il s'agit d'administrer la mort.

Les problèmes juridiques que pose une éventuelle évolution de la loi sur ces deux points, aussi bien pour l'euthanasie que pour le suicide assisté, sont considérables.

Pour l'euthanasie, c'est évident : le fait d'administrer la mort est considéré dans notre code pénal comme un assassinat, même si la personne qui meurt est consentante, puisque cela ne constitue pas un fait justificatif.

Les fondements de notre code pénal, ainsi que les principes fondamentaux sur lesquels ce code est établi, à savoir la prohibition de tuer, sont issus de prescriptions religieuses qui, dans le cas qui nous intéresse, sont totalement laïcisées. Il reste que cette prohibition de tuer est au fondement de la notion d'intégrité personnelle et de respect de la personne humaine, qui est elle-même au coeur de notre conception libérale. Je ne peux pas imaginer une société libre qui apporte la moindre nuance à ce principe absolu et fondamental pour la dignité humaine.

Dans nos sociétés, le consentement et l'expression ultime de la volonté constituent aussi un principe fondamental, que l'euthanasie, telle que je l'ai décrite, lorsqu'il s'agit d'administrer la mort à une personne inconsciente, tend à bafouer.

Les choses ne sont pas si simples que cela pour le suicide assisté. Le fait de procurer à une personne les moyens de mettre fin à ses jours fait l'objet d'une jurisprudence qui tend à considérer cet agissement comme un crime. Incontestablement, le fait de ne pas empêcher une personne de se servir des moyens de mettre fin à sa vie est un cas caractérisé de non-assistance à personne en danger.

Mais, au moins dans le cas de l'assistance au suicide, est préservée la souveraineté, la volonté de la personne, cet ultime espace de liberté, qui lui laisse au dernier moment la possibilité de se servir ou pas des moyens de mettre fin à ses jours.

Les raisons qui poussent une personne à le faire n'appartiennent qu'à elle et ne peuvent pas être jugées. Je ne prononcerai donc pas le moindre jugement moral là-dessus, car cela a trait à la sphère la plus intime, la plus personnelle de l'être humain.

En revanche, il me semble essentiel de préserver l'intégrité du choix du malade à ce moment ultime, décision dont nous sommes collectivement responsables, dont nos sociétés sont responsables. Or j'ai le sentiment que ce principe pourrait être en partie violé par une loi prévoyant d'étendre l'euthanasie.

Pour finir, je citerai deux exemples.

Le premier concerne ces personnes qui veulent se marier au dernier moment, pas tellement dans la perspective d'une vie commune, bien sûr, mais simplement parce que, symboliquement, il est important pour elles de contracter une union dans les derniers instants. Il est inimaginable qu'une telle union puisse être enregistrée ou officialisée, voire reçue, indépendamment du prononcé d'une volonté : on ne peut donc pas imaginer qu'une telle union soit actée si l'une des deux personnes est inconsciente.

Second exemple, celui d'une personne qui, devenue inconsciente, a demandé à mourir, volonté que l'équipe médicale, confrontée à cette situation, déciderait d'accomplir. Dans ce cas, il est incontestable que la responsabilité médicale des médecins serait engagée  - e ne vois pas comment une loi pourrait faire abstraction de cette dimension. Il faudrait alors définir des critères précis, comme la demande maintes fois exprimée par le patient de mourir ou le fait qu'il était impossible de faire autrement que de donner la mort selon l'équipe médicale.

Ainsi, le risque que des décisions arbitraires soient prises serait écarté : ce ne serait plus la volonté d'un seul médecin ou soignant qui influerait sur la mort du malade, mais une délibération conduite en commun au sein d'une équipe médicale. Il reste que cet acte ne peut pas être considéré comme allant de soi.

J'ai confiance en la sagacité des juges pour donner, dans ce type de cas, des instructions particulières, sans pour autant prononcer des poursuites ou des sanctions pénales : il s'agit de signaler clairement qu'il y a là un type d'actes qu'aucune loi ne peut légaliser.

Il est inutile d'adopter une loi sur l'euthanasie pour reconnaître et simplifier ce type de procès ou de situation, dont la fréquence est nettement moindre, reconnaissons-le, que les cas dont on vient de parler de suicide assisté ou même d'euthanasie d'une personne consciente.

M. Bernard-Marie Dupont, médecin, juriste, professeur d'éthique médicale. - C'est un plaisir de pouvoir débattre de manière contradictoire et sereine sur un sujet éminemment complexe.

J'affirme d'emblée qu'il ne faut pas légaliser ni dépénaliser, tout en précisant que je ne roule pour aucune chapelle et aucun parti politique. Je suis médecin hématologue et professeur d'université. J'ai eu la chance d'apprendre à connaître les soins palliatifs en Angleterre, puis en France et au Canada.

Dans une société binaire, on oppose trop facilement les bons et les méchants, ceux qui font de la technique et ceux qui font de l'humain, les pro-euthanasie et les pro-soins palliatifs. En réalité, ce sujet est éminemment complexe et mérite que l'on s'attarde sur sa dimension médicale.

J'ai longtemps été professeur de philosophie dans l'enseignement secondaire et supérieur : les questions de la vérité, de la limite, du franchissement, de l'autonomie du sujet ou de son indépendance m'ont toujours posé problème. Je suis kantien, c'est-à-dire que je défends une morale déontologique, exigeante, qui n'a pas forcément bonne presse aujourd'hui.

Pour en finir avec mon parcours, je suis également avocat, spécialiste des dommages corporels. La dimension juridique est également importante à cet égard.

Ce qui me frappe dans tous ces débats, qui ont le mérite d'exister en dépit de leur complexité, c'est que très souvent, trop souvent, on se contente d'à-propos, d'approximations ou de comparaisons hâtives avec les expériences menées à l'étranger. En réalité, ce n'est pas si simple.

Je constate hélas que les médecins sont souvent mis en difficulté, parce qu'on leur demande tout et son contraire.

Prenons le phénomène du « mourir », il fut un temps où l'unité de lieu, de temps et d'action dans la mort était saine : soit le patient était en en vie, soit on faisait le constat de son décès. Par définition, la mort était d'origine cardiovasculaire. Cet instant complexe du passage de la vie à la mort, qui est une énigme encore aujourd'hui, était mis de côté. On se contentait de constater la mort.

Or tout a basculé en 1959, lorsque deux internes français, Pierre Mollaret et Maurice Goulon, au cours d'un débat international, ont rapporté les premiers cas de patients qu'ils avaient « maintenus » en vie grâce à une ventilation mécanique, c'est-à-dire un appareillage extérieur, à une époque où ce type de système n'existait pas encore. Ces jeunes médecins ont ainsi prouvé que la mort n'était pas un phénomène aussi simple qu'on le pensait.

Aujourd'hui, il est possible de maintenir un patient en vie ou, en tout cas, en survie au moyen d'un appareillage basique - c'est le principe du défibrillateur par exemple. De fait, on a assisté en moins de soixante-dix ans à une révolution de la définition de la mort : on est ainsi passé d'une définition qui, pendant des siècles, a correspondu à une mort cardiovasculaire, à celle d'une mort cérébrale. Le coeur n'est plus qu'accessoire.

Mollaret et Goulon, sans le savoir d'ailleurs, ont donné naissance à la réanimation médicale telle que nous la connaissons. Cette spécialité médicale extrêmement récente contribue certes à bien des progrès, mais elle a aussi abouti à des situations médicales auxquelles on n'avait pas l'habitude d'être confrontés. C'est ce que j'appelle moi-même un « purgatoire laïc » ou un no man's land, le cas de ces personnes qui ne sont pas vraiment mortes, mais qui sont silencieuses pour certaines, qui sont parfois simplement victimes de paralysie, d'hémiplégie, de tétraplégie, ou qui, pour d'autres, sont plus ou moins conscientes, avec des altérations plus ou moins graves et plus ou moins étagées du tronc cérébral et du tronc cérébelleux.

Il faut avoir conscience que les médecins ont été mis devant ce fait accompli, l'émergence de progrès technologiques qui permettent tous les jours de soigner et de sauver nos proches, avec comme corollaire des situations extrêmement complexes - qu'elles soient anonymes ou médiatisées, comme les affaires Vincent Humbert et Vincent Lambert, par exemple.

Je veux rappeler une donnée importante, qui est tout autant médicale que philosophique : en maintenant en vie - ou en survie, je ne sais pas comment le dire - certaines personnes, au moins artificiellement, on a remplacé le temps de la mort par la durée, qui est souvent aussi celle de l'agonie. La mort n'est plus ce passage tragique et angoissant : elle est vécue comme un moment délayé, y compris dans les unités de soins palliatifs.

La science, pendant ce temps-là, a progressé. On est parvenu à rendre chroniques un certain nombre de pathologies, qui étaient jusqu'à une époque très récente immédiatement mortelles. C'est le cas du cancer lorsque, comme souvent, il est pris en charge suffisamment tôt.

J'insiste aussi sur le fait que, dans notre société occidentale, la mort s'est déplacée soit vers les hôpitaux, soit vers les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), soit vers les plateaux techniques. En France, près de trois personnes sur quatre risquent de décéder dans une structure de type hospitalier, et pas à leur domicile. Aussi seront-ils confrontés à un univers difficile, froid et quelque peu déshumanisant.

Autre remarque importante, je trouve un peu curieux qu'en France on applaudisse la médecine quand elle permet d'obtenir des résultats - on demande aux médecins de guérir, de vacciner, de découvrir toujours plus -, mais qu'on lui reproche certaines innovations qu'elle a contribué à introduire, comme la réanimation médicale, qui peut tout et son contraire. Les médecins seraient « jupitériens », verticaux, fermés à tout débat et à toute collégialité. Alors, il faut reconnaître que le paternalisme médical a existé et que nous gardons certains réflexes par moment, mais je répondrai aussi que la culture médicale est un fait à prendre en compte : en France, pays plus latin que ne le sont les pays anglophones, règne en effet dans nos hôpitaux ce principe de verticalité, ce qui n'est pas pour autant irrémédiable.

Aujourd'hui, les patients en fin de vie bénéficient de nombreux traitements. Cette dimension médicale est essentielle, j'y insiste. À chaque fois que l'on apporte des soins à ces malades, au travers d'une sédation par exemple, je peux vous garantir que la frontière est extrêmement étroite entre la prescription à visée antalgique et celle qui ne l'est pas. Il est souvent extrêmement difficile de trouver le point de rupture entre une décision prise en vue d'une sédation, comme le prévoit la loi Leonetti, et l'euthanasie qui, je le rappelle, suppose un accord au moins tacite entre le malade et une autre personne.

Autrement dit, il est extrêmement facile de franchir cette limite, sans que l'on puisse réellement démontrer, le cas échéant, les intentions homicides parfois réelles de certains soignants.

Confronté à l'euthanasie en tant qu'acteur et praticien de soins palliatifs, je peux vous dire que j'ai presque toujours décelé, parmi les dizaines, voire les centaines de personnes que j'ai pu assister, une souffrance existentielle, c'est-à-dire philosophique. L'angoisse devant la fin de vie est réelle.

Aujourd'hui, d'une certaine manière, on demande aux soignants une réponse médicale à une question philosophique. Or le problème n'est d'abord ni médical ni juridique, mais existentiel : le sens de la vie, du passage, l'instant de la mort dépassent largement le seul cadre du droit ou de la médecine.

Que l'on soit du côté des personnes qui militent pour le droit à mourir ou du côté des personnes favorables aux soins palliatifs, il faut admettre que l'on ne parviendra pas à résoudre le problème seul dans son coin. Il convient par conséquent de sortir de cette opposition binaire.

Pour terminer, je paraphraserai un passage du fascicule numéro 70 du Jurisclasseur civil relatif à la mort du doyen Bernard Beignier, professeur de droit civil à Toulouse : la mort en tant que telle doit rester un phénomène a-juridique.

En tant que praticien des soins palliatifs, ayant une vision concrète des choses, je pense qu'il faut apporter une réponse aux phénomènes récents que sont le manque de places dans les Ehpad, l'essor des maladies neurodégénératives, le vieillissement de la population. Nos concitoyens auront de plus en plus de mal à se faire soigner, à trouver des structures, des médecins, des hôpitaux dignes de ce nom. Que faire des personnes âgées ?

En dépit de la loi Leonetti, il est aujourd'hui extrêmement facile de faire disparaître quelqu'un sans même lui avoir demandé son avis. Je crains que, demain, si on légalise l'euthanasie, il n'y ait plus d'interdits.

Pour ma part, suivant en cela l'avis 63 du CCNE de janvier 2000, je suis favorable au maintien de l'interdit fondamental du « donner la mort » pour des raisons médicales. En revanche, je plaide pour la création d'une instance qui examinerait les exceptions à ce principe. Mais j'y insiste, ces exceptions ne feront que confirmer la règle.

Je suis en désaccord avec Mme Canto-Sperber sur un point : l'autonomie n'est pas l'indépendance. Le droit, ce sont des obligations qui engagent les deux parties. C'est une liberté fondamentale que de dire que l'on veut mourir ; en revanche, cette demande, ce choix engage la partie adverse, l'équipe soignante. Le patient n'est pas indépendant : il s'inscrit dans une histoire, une temporalité qui fait de lui un sujet autonome mais dépendant, c'est-à-dire en lien avec les uns avec les autres.

Il y a des droits de la mort, mais je ne pense pas qu'il y ait un droit à la mort. Il n'existe surtout pas un droit d'exiger des soignants qu'ils donnent la mort, parce qu'un patient aurait décidé de mourir.

M. André Comte-Sponville, philosophe, essayiste. - Merci de m'avoir invité. Je suis venu vous offrir un livre dont je suis l'auteur et qui s'intitule La clé des champs et autres impromptus. Le premier article de ce recueil concerne notre débat, puisqu'il porte sur l'euthanasie et le suicide assisté. Son titre est un clin d'oeil à Montaigne, la clé des champs signifiant le droit de s'en aller.

Je crois comme Montaigne, comme tous les Anciens, grecs et latins, et comme la plupart des penseurs non religieux aujourd'hui, que le droit de mourir, y compris volontairement, fait partie des droits de l'homme, même s'il est tout de même beaucoup moins important que le droit de vivre, et surtout beaucoup plus facile à assurer.

Le Sénat, lorsqu'il se préoccupe des moyens de vivre dignement de nos concitoyens, effectue un travail très compliqué. À côté, le droit de mourir est d'une assez grande simplicité, me semble-t-il.

J'ai été membre du Comité consultatif national d'éthique au début des années 2000. Je connais tous les arguments sur la fin de la vie, et je peux vous garantir qu'ils n'ont pas changé en vingt ans. En réalité, le sujet n'est pas si complexe que cela, même si juridiquement, il peut soulever un certain nombre de difficultés.

Le droit de vivre est plus important que le droit de mourir. La mort volontaire n'est pas du tout la liberté suprême, comme certains le prétendent, mais la liberté ultime. Dès lors que l'on aime la liberté, on a envie d'être libre jusqu'au bout, ce qui peut supposer, parfois, la mort volontaire.

Il ne s'agit pas du tout, malgré ce qu'en a dit notre Président de la République, du grand combat entre Éros et Thanatos, formule un peu inquiétante dans la bouche d'Emmanuel Macron, car cela laisserait entendre qu'il y a, comme l'avance Freud, d'un côté, la pulsion de vie et, de l'autre, la pulsion de mort. Évoquer à propos de la fin de vie un tel combat pourrait laisser croire qu'il y a, d'un côté, ceux qui sont pour la mort et qui sont donc favorables à l'euthanasie et, de l'autre, ceux qui sont pour la vie et qui y sont donc opposés.

Mais bien sûr que non ! Personne n'est pour la mort, tout le monde est pour la vie ! Nous sommes tous pour la vie et la liberté. La question de pouvoir mettre librement fin à sa propre vie est donc ouverte. Personnellement, je pense que le droit d'y mettre fin, je le répète, fait partie des droits de l'homme.

Ce que je connais de mieux en la matière est un alexandrin de Mallarmé, qui parle de ce « peu profond ruisseau calomnié la mort ». Cette dernière n'est pas un océan infini. En réalité, ce n'est même presque rien - surtout pour moi, qui suis athée -, voire moins que rien, comme le disait Lucrèce : c'est le néant. Je demande simplement à ce que chacun ait le droit de décider lui-même de sa mort dans certaines circonstances.

Souvenez-vous du cas Vincent Humbert, ce jeune homme de vingt ans, paralysé des quatre membres, aveugle, muet, ne pouvant plus bouger que le pouce de la main gauche, qui a supplié sa mère de l'aider à mourir. J'aurais fait comme lui et comme elle. Dès lors qu'il voulait mourir, de quel droit lui interdire de le faire ? Le jeune Vincent Humbert n'était pas en fin de vie. Autrement dit, il ne relevait pas de la loi Leonetti. Était-ce pour autant une raison pour l'empêcher de mourir ?

Mon ami Roland Jacquard, journaliste, et également mon premier éditeur, s'est suicidé à l'âge de 80 ans. Il n'était pas handicapé, mais il estimait qu'il avait assez vécu et a décidé d'en finir. Grâce à l'un de ses amis, il a pu mourir quand il l'a décidé. Tant mieux pour lui, mais tout le monde n'a pas la chance d'avoir un ami : on a donc parfois besoin de l'aide d'un médecin.

Il y a aussi le cas de la maladie d'Alzheimer. J'ai en tête l'exemple de mon père, qui souffrait de cette maladie, et à qui l'on a « offert » entre cinq et dix ans de vie supplémentaire au service de gérontologie de l'hôpital de Vaugirard. Personnellement, j'ai trois enfants : si je peux éviter à mes enfants le poids énorme, la souffrance, le souci d'avoir un père atteint d'Alzheimer pendant cinq ou dix ans, je le ferai en choisissant de mourir. C'est une question difficile, mais le droit au suicide fait partie des droits de l'homme, y compris quand on est atteint des premiers signes de cette maladie.

Ce droit suppose deux garanties.

D'abord, il faudra évidemment établir une clause de conscience, de telle sorte qu'aucun médecin, aucun soignant ne soit jamais obligé de donner la mort ni d'aider quiconque à mourir, si c'est contraire à ses valeurs morales ou religieuses. Une telle clause de conscience a été mise en place dans le cadre de la loi Veil sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Bien loin d'en empêcher la légalisation, cette clause l'a rendue possible. Je ne vois pas pourquoi il en irait autrement de ce que j'appelle l'IVV, l'interruption volontaire de vie.

Ensuite, il faudra bien sûr distinguer - je rejoins en cela Monique Canto-Sperber - le suicide assisté et l'euthanasie. Le suicide assisté suppose que le patient prenne lui-même le comprimé, la substance ou le breuvage létal qui mettra fin à sa vie, ou qu'il appuie lui-même sur la pompe actionnant la perfusion qui lui enverra le produit létal dans les veines ; l'euthanasie, elle, implique qu'un tiers, le plus souvent un médecin, accomplisse l'acte létal.

Ce n'est pas du tout la même chose. Les médecins me disent souvent qu'ils n'ont pas fait ce métier pour tuer des gens. Je les comprends parfaitement, d'autant que nous ne sommes pas tous du même côté de la seringue, si je puis dire. Pour les patients, l'euthanasie ou, éventuellement, le suicide assisté correspond à un service que l'on demande. Pour le médecin, le soignant, ce n'est pas un service, mais un homicide, car c'est lui qui manipule la seringue ! Je comprends tout à fait que les médecins soient pour le moins réticents.

Dans tous les cas où le suicide assisté est possible, il faut bien sûr le préférer à l'euthanasie, parce qu'il évite de faire supporter à un tiers cet acte d'homicide. Or ce suicide assisté est presque toujours possible - probablement dans 90 % à 95 % des cas. Dans les quelques cas où cela ne l'est pas - celui du jeune Vincent Humbert, par exemple -, il faut que les patients puissent requérir légitimement l'euthanasie.

Je pense par conséquent qu'il faut légaliser à la fois le suicide assisté et l'euthanasie, tout en indiquant que, dans tous les cas où les deux modalités seraient techniquement possibles, il faut privilégier sans aucune hésitation le suicide assisté.

Je ne m'attends pas à ce qu'une loi sur le sujet soit consensuelle, parce que cela est impossible. Souvenez-vous de la loi Veil : le problème moral posé par l'avortement était alors infiniment plus grave que celui que soulève le suicide assisté, qui n'a trait qu'à sa propre personne, tout simplement. C'est d'ailleurs ce qu'écrit Montaigne dans ses Essais : en substance, on n'est pas un meurtrier quand on met fin à sa vie. C'est pourquoi la question du suicide fait partie des libertés, non pas suprêmes, encore une fois, mais ultimes.

Dès lors, ne cherchons pas un consensus, mais un apaisement. La loi Veil est très éclairante de ce point de vue. Rappelez-vous le climat de tension, de drame et d'injustice vis-à-vis de Mme Veil, dans lequel ce débat s'est déroulé. Certaines personnes fort respectables sont encore opposées aujourd'hui à l'avortement, à sa légalisation ou à sa dépénalisation, mais le débat est désormais serein.

Une loi légalisant l'euthanasie et le suicide assisté, loi qui, par définition, ne sera pas consensuelle quand elle sera votée, pourrait favoriser un apaisement que, pour ma part, j'appelle de mes voeux.

M. Jacques Ricot, philosophe, chercheur associé au département de philosophie de l'université de Nantes. - Je vous remercie de nous offrir la possibilité de dialoguer, parce que, finalement, ces occasions existent, mais ne se concrétisent pas comme il le faudrait. Je le dis parce qu'il m'est arrivé de croiser André Comte-Sponville lors de colloques au cours desquels nous avons traité, et l'un et l'autre, de la question du suicide, qu'il m'est arrivé également de lire Monique Canto-Sperber ou Bernard-Marie Dupont, mais que nous n'avons jamais vraiment eu la chance - c'est un vrai regret de ma part - d'échanger nos arguments de manière sereine et apaisée.

Je ne suis pas un soignant, et encore moins un législateur, mais un simple philosophe. Depuis plus de trente ans en outre, je fréquente de façon quasi hebdomadaire les services hospitaliers, les services de soins palliatifs - j'ai été pendant dix-sept ans membre du comité d'éthique du CHU de Nantes. Étant moi-même bénévole d'accompagnement, je rencontre les personnes en fin de vie, ainsi que beaucoup de soignants, et j'apprends énormément à leur contact.

Durant huit ans, je me suis interdit de prendre la parole publiquement ou d'écrire quoi que ce soit sur cette question, qui était déjà, dans les années 1990, fortement idéologisée. Il m'a fallu fréquenter les services, revêtir parfois la blouse blanche pour oser balbutier un certain nombre de réalités, que j'ai apprises à côté de ceux qui sont au contact régulier, quotidien, des personnes en fin de vie. Il m'a fallu huit ans pour entrer dans la complexité du sujet.

J'aimerais vraiment que tous ceux qui parlent aujourd'hui haut et fort de cette question fassent cette même expérience, j'allais dire, d'humilité, qui ne consiste pas seulement à examiner des arguments, mais à connaître de l'intérieur ce qui se joue dans cette alliance thérapeutique si singulière et étrange, et qui est, pour moi, et de loin, la source d'enrichissement et d'instruction la plus élevée.

Ce n'est pas la première fois que des parlementaires m'invitent à réfléchir avec eux. J'ai énormément appris aux côtés de deux d'entre eux, avec lesquels je suis resté en contact : d'une part, le député de droite Jean Leonetti ; d'autre part, le député communiste Michel Vaxès, mort en 2014. Nous étions en accord absolu sur ces questions, alors même que ce dernier parlait, s'agissant de la légalisation de donner la mort, de « rupture civilisationnelle ».

Je ne vois pas comment une société peut instituer un droit de l'homme qui serait le droit au suicide. Les bras m'en tombent, philosophiquement et juridiquement parlant. Bien entendu, c'est une liberté, que Montaigne honore par ses beaux textes sur la « clé des champs », une liberté individuelle comme le disent les juristes, mais cela n'est pas un droit.

J'ai beaucoup apprécié la différence éthique faite tout à l'heure entre le geste euthanasique et le geste qui consiste à fournir un poison mortel à quelqu'un. Il s'agit de deux choses bien différentes, et je suis bien content d'avoir entendu André Comte-Sponville le dire ainsi, d'autant que j'avais cru lire que, pour lui, l'euthanasie n'était qu'une assistance médicale au suicide. Ce n'est pas ce qu'il vient de déclarer, et je m'en réjouis.

La semaine dernière, j'étais en visioconférence avec des médecins autrichiens - l'Autriche a légalisé le suicide assisté il y a un an. Ils m'ont livré le témoignage, la preuve que le suicide assisté et l'euthanasie étaient deux choses bien distinctes. Aujourd'hui, ces médecins, comme la société autrichienne dans son ensemble, sont tout à fait hostiles à une légalisation de l'euthanasie. Ils admettent le suicide assisté, mais refusent l'euthanasie avec la dernière énergie, y compris dans ces cas extrêmes où le malade n'aurait pas les moyens de porter lui-même le poison mortel à la bouche.

C'est d'ailleurs ce qui se passe dans la dizaine d'États américains qui ont légalisé le suicide assisté : le médecin est épargné de ce genre de geste létal. S'il commettait cet acte, il serait sanctionné par les tribunaux.

L'euthanasie et le suicide assisté sont deux choses différentes. Dans un récent article, le juriste Yves-Marie Doublet indique que le suicide assisté concerne 0,6 % des cas de mort assistée dans l'État de l'Oregon, alors que dans les pays qui ont légalisé l'euthanasie - Canada, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas et Espagne - la proportion d'euthanasies est quatre à cinq fois plus élevée que celle de suicides assistés, voire sept à huit fois plus, si l'on tient compte des euthanasies non déclarées. Selon les législations en vigueur, les dynamiques sont différentes.

D'abord, qu'est-ce que soigner veut dire ?

Je m'étonne d'entendre dire que l'euthanasie serait un soin. D'ailleurs, c'est non pas une affaire de dignité - il faut arrêter d'employer ce terme falsificateur, comme l'a rappelé M. Comte-Sponville -, mais de liberté.

Il nous faut trouver un consensus sur les termes employés. C'est une question d'ordre non seulement lexicographique, mais également d'éthique. Soigner, c'est guérir quand c'est possible et soulager toujours. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), donner la mort n'est pas un soin. L'euthanasie n'est effectivement pas un soin, car elle ne complète pas l'accompagnement médical, mais l'arrête ; elle ne succède pas aux soins palliatifs, mais les interrompt ; elle ne soulage pas le patient, mais l'élimine. Soulager la souffrance, ce n'est pas faire disparaître le souffrant, comme l'écrivait déjà en 1938 Bernanos dans Les Grands Cimetières sous la lune.

En février dernier, treize organisations, qui rassemblent quelque 800 000 soignants, notamment ceux qui se trouvent au contact régulier de la gestion de la fin de vie, ont appelé à « laisser le monde du soin à l'écart de toute implication dans une forme de mort administrée ». Une telle pratique contredit en effet le sens qu'ils essayent de donner à leur fonction. Toujours selon elles, « une légalisation d'une forme de mort médicalement administrée emporterait une modification essentielle de l'éthique soignante, en changeant le sens du mot soin ». Disciples de Socrate, philosophes ou non, nous devons être attentifs au sens des mots que nous utilisons. Puisse le législateur ne pas appeler « soin » un tel geste qui contredit le soin. Cela reviendrait à changer profondément le sens du métier de soignant, alors même qu'il est difficile de recruter, de former et d'accompagner.

J'apprécie que la clause de conscience spécifique soit envisagée, si l'évolution législative allait dans le sens que beaucoup de personnes souhaitent. Je précise que ce n'est pas la même chose que l'objection de conscience, que l'on trouve à l'article 47 du code de déontologie médicale. Sur le plan juridique, elles n'ont pas la même solennité : la première dépend du législateur, la seconde relève du règlement, qui est plus facilement modifiable. Du reste, personne ne semble contester l'idée d'instaurer cette clause de conscience.

À l'occasion d'une invitation à une conférence organisée par les responsables de quarante Ehpad et autres établissements médico-sociaux - ce ne sont ni des religieux ni des élus, mais des gens de terrain -, j'ai entendu leur souhait d'individualiser la clause de conscience et de la voir s'appliquer à leurs institutions. Selon eux, en effet, il leur appartient de dire à chaque patient, au travers d'une charte, que leur vie compte. D'ailleurs, il n'y a pas, semble-t-il, beaucoup de demandes persistantes d'euthanasie au sein de leurs établissements.

Selon le responsable de la maladie de Charcot à l'hôpital de Bordeaux, sur trois cent soixante malades, seule une personne a persisté à demander l'euthanasie. Je peux témoigner également de situations difficiles, mais beaucoup plus rares, à l'instar de celles dont les médias s'emparent. Le législateur doit-il pour autant se laisser impressionner par le discours médiatique, qui va dans le sens du spectacle et de l'émotion ?

J'en viens, ensuite, à ma seconde question : qu'est-ce qu'un législateur ? Je ne vous ferai pas la leçon - votre métier est noble et difficile -, mais j'exprimerai simplement plusieurs affirmations. Le droit pénal a non pas simplement une fonction répressive, mais également expressive et symbolique. À ce titre, il a pour objet de traduire les valeurs d'une société. Aussi, est-il bien utile de céder à la « fureur de légiférer », pour reprendre l'expression de M. Badinter ?

En effet, n'est-il pas tout aussi noble de dire que, dans certaines circonstances, le législateur doit s'abstenir, comme le suggérait le doyen Beignier ? La société n'a pas pour fonction de garantir les moyens de se suicider. Moi-même, je ne sais pas ce que je ferais dans une telle situation, peut-être céderais-je, par amour ou par amitié, à une telle sollicitation. Pour autant, je ne souhaite pas que la loi soit modifiée parce que je l'aurais transgressée. Si tel était le cas, il faudrait que je rendre compte de mon acte, qui serait, je l'espère, jugé avec indulgence par le tribunal civil et par celui de ma conscience. Du reste, pour Georges Canguilhem, médecin et philosophe, « en ces affaires compliquées, où quelquefois le médecin se trouve seul à seul avec son patient, il est nocif de légiférer ».

J'aimerais également mentionner une remarque de Portalis, selon laquelle, dans un siècle, seules trois ou quatre lois sont destinées à perdurer. Or il y a déjà eu quatre lois - le 9 juin 1999, le 4 mars 2002, le 22 avril 2005, et le 2 février 2016 -, en à peine dix-sept ans, et une cinquième est envisagée ; laquelle va perdurer ? « Ne légiférez qu'en tremblant », disait le doyen Carbonnier, un autre grand juriste. Le législateur doit aussi savoir se retenir.

La loi doit être générale, ainsi que l'a démontré Aristote. Si elle entre dans les détails, ce n'est plus une loi. Fallait-il aller plus loin que la formulation initiale de l'article 1er de loi Claeys-Leonetti, selon laquelle les actes médicaux « ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable » ? Le législateur l'a cru bon, en ajoutant, lorsque les traitements « apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ». Ainsi rédigé, l'article de loi ne permet pas le jugement déontologique du médecin ou judiciaire du juge. D'ailleurs, n'assistons-nous pas à une confusion entre le judiciaire et le juridique ? Il faut donner leur place aux jugements judiciaires, éthiques et médicaux.

Paul Ricoeur est, à ma connaissance, le seul grand philosophe de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle à avoir cherché à connaître de l'intérieur la problématique de la fin de vie - il a encadré des thèses sur les soins palliatifs. Ce débat semble opposer la revendication autonomiste d'individus à la difficulté de l'entendre, alors qu'il faut toujours que tel soit le cas.

L'article L. 1111-4 du code de la santé publique, issu de la loi du 4 mars 2002, indique que « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé ». C'est bien la personne qui, ultimement, doit consentir à ce qui lui est proposé, qu'il s'agisse d'examens diagnostics ou de traitements. Tel est, selon moi, le point le plus important du code de la santé publique.

L'important est non pas de dire que l'on est passé d'un paternalisme médical à un consumérisme médical, où le patient déciderait souverainement de ce qui est bon pour lui, mais d'affirmer que nous sommes dans une alliance thérapeutique, comme en témoigne le texte rédigé par les treize organisations, auquel j'ai fait précédemment référence. Lorsque la culture palliative est bien avancée, lorsque la formation est bien faite, seulement 0,3 % des personnes concernées, selon la seule étude chiffrée que je connaisse, persistent à demander l'euthanasie. Certes, près de 90 % des bien portants sont en faveur de la légalisation de l'euthanasie, mais seuls 0,3 % de ceux qui sont dans cette situation la réclament.

Interdire, ce n'est pas empêcher. Il ne faut pas que la loi se mêle de trop de choses. Il faut laisser faire la conscience morale et le jugement du juge.

Ma boussole est la citation suivante de Paul Ricoeur : « S'il faut avouer que les pratiques clandestines d'euthanasie active sont inéradicables et si l'éthique de détresse est confrontée à des situations où le choix n'est pas entre le bien et le mal, mais entre le mal et le pire, même alors le législateur ne saurait donner sa caution. » Je précise auparavant qu'il y a plus d'euthanasies clandestines en Belgique qu'en France proportionnellement à la population. Paul Ricoeur ajoute : « A-t-on oublié la réflexion d'Aristote sur l'équité confiée au sage lorsque la loi, trop abstraite et trop générale, ne peut plus prononcer une parole de justice dans une situation concrète marquée par l'urgence et la détresse ? »

Enfin, je citerai les propos écrits par Chesterton - j'ai placé cette citation en épigraphe de ma préface au livre Euthanasie, l'envers du décor - dans un livre sur l'eugénisme, paru en 1922 : « une loi produit toujours des fruits, bien au-delà de ce qu'elle avait cru circonscrire au départ ». Cela pourrait s'appliquer aujourd'hui.

En répondant à une demande qui émane du corps social et non pas de la majorité des personnes confrontées à une telle situation, on crée une offre. Comment pourrais-je continuer à donner le goût de vivre à ma mère, qui lit la presse, et ainsi faire mon devoir de fils, en lui montrant toute mon affection ? Je crains que la normalisation des esprits, qui est en cours au Canada en particulier, où 7 % des décès sont pratiqués par euthanasie, ou en Belgique, où les restrictions au départ sont levées les unes après les autres, nous fasse entrer dans une civilisation qui n'est pas celle que Michel Vaxès - un athée de gauche - appelait de ses voeux. Il faut faire attention à l'imaginaire que nous sommes en train de mettre en place et aux modifications de nos représentations.

Mme Brigitte Micouleau. - Monsieur Comte-Sponville, vous avez récemment écrit que dans certaines circonstances le droit au suicide devrait être garanti. Aussi, comment établir clairement les situations dans lesquelles le suicide assisté pourrait devenir légal ?

Une grande majorité de nos concitoyens serait favorable à l'euthanasie, mais est-ce également le cas du corps médical et des enseignants ? Si notre législation évolue, vous estimez que la clause de conscience serait indispensable, mais ne sera-t-elle pas invoquée par une majorité de soignants ?

M. Philippe Mouiller. - Qui dit droit à mourir dit obligations. Quelles sont donc les obligations qui pèseraient sur l'État, voire sur les sociétés privées, en matière d'organisation, de formation - je pense à l'accompagnement psychologique des médecins -, d'assurance, et de risque contentieux ? Il faut imaginer l'ensemble des scénarios qui découlent de la légalisation du droit à mourir, dont l'interprétation peut varier, entre ce qui est écrit dans la loi et ce qu'ont précisé les services administratifs. Jusqu'où irons-nous ?

Les partisans de ce droit illustrent souvent leur propos à partir de cas extrêmes, qui ne représentent que peu de personnes. Deux expressions reviennent toujours : souffrir et être une charge pour la famille. Premièrement, nous comprenons la souffrance physique d'une personne en fin de vie, mais la souffrance psychologique, qui existe, soulève la question de la motivation : à quoi renvoie cette souffrance ? De qui est-ce la souffrance ?

Deuxièmement, la légalisation d'un tel droit reviendrait à modifier les principes juridiques et fondamentaux de notre société, pour que la personne qui vieillit ne se considère plus comme une charge pour sa famille ! D'ailleurs, de quelle nature serait cette charge ? Morale, matérielle, et pourquoi pas financière ? Instaurer un droit de ne plus être une charge soulève des questions fondamentales pour notre société. Si tel était le cas, ce serait plutôt effrayant.

Mme Victoire Jasmin. - Dans les conditions actuelles de fonctionnement des hôpitaux - les moyens humains et matériels sont quasiment inexistants -, les démarches s'apparentent quelquefois à des maltraitances sanitaires - je pense à l'utilisation du Rivotril ou aux sédations permises en dehors de tout protocole.

Aujourd'hui, il est très difficile de prendre des décisions en la matière et d'appliquer des procédures dans les hôpitaux. Or je m'interroge, car dans mon département la population est de plus en plus vieillissante ; est-ce que les personnes concernées ont véritablement d'autres choix que ceux que vous préconisez ?

Mme Jocelyne Guidez. - Que pensez-vous de l'accompagnement actuel des familles au moment où l'un de leurs membres est sur le point de les quitter ?

Quelque vingt-quatre départements sont dépourvus d'une unité de soins palliatifs. Par conséquent, une personne qui a perdu sa tête ne peut pas partir en toute dignité. Pour les familles, c'est désastreux. Aussi, comment pourrait-on garantir l'accès de chacun à un accompagnement à la fin de vie, quels que soient leur pathologie et leur lieu de vie ?

Ne faudrait-il pas être capable de faire respecter la loi Claeys-Leonetti avant d'envisager de légaliser l'euthanasie ?

Mme Catherine Deroche, présidente. - Restons-en à l'aspect philosophique. Des tables rondes de juristes et de médecins auront lieu par la suite.

Mme Laurence Cohen. - Le sujet est délicat, car nous intervenons en tant que législateurs sur une question qui relève de l'intime. Au sein du groupe CRCE, et c'est sans doute aussi le cas dans les autres groupes politiques, notre position ne peut être que plurielle. L'enjeu n'est pas idéologique, mais religieux dans une certaine mesure ou de conviction lorsqu'on est athée.

Faut-il vraiment légiférer sur ce sujet ? On légifère de plus en plus et je m'interroge sur le bien-fondé de cette tendance. Toutefois, il est vrai qu'il faut un cadre si l'on veut éviter les dérives. En outre, il peut arriver que l'on doive accompagner un proche et que l'on se trouve confronté à la situation douloureuse de ne pas pouvoir répondre à ce qui est en réalité un appel à l'aide.

Je souscris aux propos de Victoire Jasmin sur l'insuffisance des moyens pour les soins palliatifs. Quand une personne demande à mourir et qu'on ne peut lui répondre qu'en adoucissant sa fin, mais en faisant perdurer ce temps perçu par elle comme extrêmement long, le sentiment d'impuissance est terrible pour ceux qui l'accompagnent et la douleur est bien plus forte encore pour la personne qui va partir.

Il faut donc légiférer. Il s'agit d'une liberté que nous devons laisser à chacun, tout en veillant à créer les conditions de l'égalité face à elle : telle est ma conviction.

D'après mon expérience sur le terrain, la loi Claeys-Leonetti est particulièrement peu connue. Elle n'est pas appliquée et cela pose problème.

M. Laurent Burgoa. - En tant que législateurs, nous devons garder à l'esprit que la loi est générale. La fin de vie est un sujet qui relève de l'intime et qui ne recouvre que des cas particuliers sur lesquels on ne peut pas généraliser.

Dans notre société, on a tendance à confondre la loi et la morale, ce qui me conduit à poser deux questions : toutes les lois sont-elles morales ? La morale doit-elle toujours être légalisée ?

M. Alain Milon. - Les parlementaires sont indemnisés pour faire la loi et pas pour multiplier les textes : je souscris à ce qui vient d'être dit. Le premier article de la loi Claeys-Leonetti, issu d'un amendement présenté au Sénat, prévoit que l'on installe des services de soins palliatifs sur tout le territoire national. Or il se trouve que, si ces services se déploient désormais un peu partout, les soins palliatifs ne sont pas mis en place comme il le faudrait : en effet, ils devraient intervenir dans l'accompagnement du patient depuis le début de sa maladie et non pas simplement à la fin de sa vie. Si c'était le cas, on éviterait sans doute les problèmes qui se posent aujourd'hui sur l'euthanasie et la fin de vie.

Vous avez différencié à juste raison le suicide assisté et l'euthanasie. Toutefois, comment être certain que le demandeur dispose de la plénitude de ses moyens intellectuels ?

Il me semble que nous sommes en train de subir la « dictature » de la philosophie, même si le terme est sans doute un peu fort. Pourquoi opposer la dignité et la liberté ? En tant que médecins, nous avons la liberté de tuer, mais en avons-nous la dignité ?

M. Olivier Henno. - Lors de l'examen de la loi bioéthique, j'avais été bouleversé par le propos du professeur Delfraissy selon lequel on meurt mal en France. La question des soins palliatifs se pose, en particulier à domicile.

S'il faut prendre en compte les enjeux de la souffrance et de la charge, il ne faut pas non plus négliger ceux de la dignité et de l'autonomie. Le regard que nous portons sur la mort semble évoluer : on en arrive à craindre moins la mort que la vie sans autonomie et sans dignité. La loi Claeys-Leonetti permet à certains malades de partir dans la dignité : celui qui souffre d'une insuffisance respiratoire pourra demander que l'on arrête le respirateur, mais cela ne sera pas forcément possible dans d'autres situations. D'où la décision que prennent certains de se rendre en Belgique ou en Suisse : c'est alors la question de l'égalité qui se pose, car tout le monde n'a pas les moyens de faire ce choix.

En tant que philosophes, considérez-vous que notre regard sur la mort est devenu plus tranquille ? N'y a-t-il pas un changement anthropologique qui est à l'oeuvre, certaines personnes préférant la mort tranquille non pas pour éviter la souffrance ou la charge, mais pour préserver leur dignité et leur autonomie ?

Mme Annick Jacquemet. - Je suis élue du département du Doubs, celui de la députée Paulette Guinchard, qui a toujours été opposée à l'aide active à mourir et au suicide assisté. Toutefois, quand elle a elle-même été confrontée à la maladie, elle a choisi de partir à l'étranger pour qu'on l'aide à finir ses jours dans les conditions qu'elle avait choisies. Il me semble, comme l'a dit M. Comte-Sponville, qu'il s'agit d'une « liberté » et d'un choix que l'on peut donner à certaines personnes qui souhaitent partir comme elles l'entendent.

Les personnes dépendantes peuvent sentir qu'elles sont une charge pour leur famille ou leur entourage. Comment les médecins parviennent-ils à distinguer ce qui relève d'un souhait réel de mourir et la volonté de ne pas être une charge pour la famille et la société ?

À Bruxelles, une jeune fille de 23 ans a demandé une aide à mourir à la suite d'un fort choc émotionnel qui lui a causé des problèmes psychologiques. Comment éviter les dérives, alors que les souffrances psychiques sont sans doute plus difficiles à identifier que les souffrances physiques ?

Mme Monique Canto-Sperber. - Le cadre de mon intervention était défini très précisément : il s'agissait de savoir si la loi Leonetti pouvait être complétée ou reprise dans le cas spécifique de personnes affectées par des maladies graves et incurables et qui ne sont pas au terme de leur vie, de sorte que l'application d'une sédation profonde ne peut pas valoir. Si ces personnes souhaitent arrêter leur traitement avec un pronostic fatal à court terme ou bien si elles souhaitent être aidées dans une démarche finale, cela s'inscrit clairement dans un accompagnement de fin de vie pour raison médicale.

Certes, la question des souffrances psychologiques, tout comme celles de l'accompagnement des familles ou des soins palliatifs, est très intéressante. Mais je me suis placée dans l'hypothèse selon laquelle les personnes concernées par mon propos avaient accès aux soins palliatifs. Tel est donc le cadre de notre réflexion sur la nécessité d'une proposition de loi.

J'ai été très sensible aux remarques que vous avez faites, en tant que législateurs, sur l'obligation de minimalisme en matière de loi. En effet, quand les textes sont trop nombreux, cela contribue à rendre la loi impuissante et maximise le risque de contradiction. En outre, il faut éviter de proposer un autre texte, alors qu'une loi existe déjà et n'est pas appliquée. Quoi qu'il en soit, si un nouveau texte devait être examiné, il est certain que sa cohérence avec l'ensemble des principes du système législatif devra être considérée.

J'ai tenté d'apporter un éclairage philosophique pour contribuer à mieux définir ce que pourrait être la portée d'une loi. Cet éclairage est nécessaire, car les principes moraux sont à la base des systèmes légaux et les inspirent, du moins dans les sociétés démocratiques. On peut donc difficilement envisager une évolution de la loi qui y porterait atteinte.

On ne peut pas remettre en question la différence qui existe entre un droit et une liberté, le droit créant une obligation d'exécution. Qu'il y ait un droit au suicide selon lequel une personne pourrait exiger qu'on lui donne les moyens d'accomplir sa volonté reste difficile à envisager. En revanche, personne ne conteste la liberté de se suicider, si l'on s'en tient au monde de l'immanence. La liberté est donc acquise quand le droit est en question.

Cela est d'autant plus vrai qu'il ne s'agit pas d'inscrire dans la loi un droit qui s'appliquerait aux malades, mais de permettre aux soignants, sans poursuite pénale, de laisser la personne se suicider. Le terme de « dépénalisation » serait donc plus justifié que celui de « légalisation » au sens propre. Dans cette perspective, la souveraineté de la personne qui exprime sa volonté de se suicider est une valeur essentielle, et cela jusqu'au moment où elle accomplit l'acte.

Dès lors, l'objection que vous avez exprimée sur l'impossibilité de toute certitude quant au fait que la personne dispose de tous ses moyens intellectuels et est pleinement souveraine de sa décision est parfaitement justifiée. Toutefois, dans laquelle de nos décisions humaines peut-on garantir que la raison l'emporte et que les passions, des sentiments passés ou des attachements variés n'interfèrent pas ? Une décision humaine résulte toujours de la conjonction de multiples facteurs, de sorte qu'il est quasiment impossible qu'elle découle, dans une pureté absolue, uniquement de la lucidité de la personne qui la prend et de la possession qu'elle a de ses moyens intellectuels. Dans les pays qui ont dépénalisé ou légalisé l'assistance au suicide, le processus prévoit une évaluation non pas pour remettre en cause la liberté de la personne d'exprimer sa volonté, mais pour tenter de l'éclairer afin qu'elle puisse pleinement se l'approprier.

Un principe fondamental sur lequel je veux insister est celui de la liberté de la personne, souveraine sur ce qui lui arrive, principe qu'a notamment reconnu la loi de 2012. Par ailleurs, il est également essentiel de respecter le principe de la non-intrusion d'autrui, l'aide devant rester indirecte. En effet, une loi qui légaliserait la possibilité de donner la mort serait contradictoire avec nos principes moraux et avec l'architecture même de notre code pénal. Je suis donc tout à fait opposée à une légalisation de l'euthanasie et même à sa dépénalisation.

Néanmoins, on ne peut pas ignorer le cas d'une personne qui demanderait à mourir de manière répétée et dont l'entourage pourrait attester la détermination. Le médecin se trouve alors responsable de sa décision, comme cela se passe aujourd'hui : si l'équipe médicale donne à la personne un moyen de mettre un terme à sa vie, sa responsabilité est engagée. C'est absolument inévitable, car l'acte découle forcément d'une décision humaine de donner la mort. Il peut ne pas y avoir de poursuites pénales et l'instruction peut être rapide, dès lors que l'équipe médicale présente des éléments justifiant sa décision au regard de la situation du patient et de l'accord de la famille. Cela est tout à fait possible, mais il ne s'agit pas d'une dépénalisation de l'acte qui consiste à fournir à autrui ce qui lui permettra de mettre un terme à sa vie.

M. André Comte-Sponville. - Premièrement, il ne s'agit pas d'opposer la dignité et la liberté et il me semble que l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) se trompe sur le vocabulaire. Il s'agissait de dire que certains de nos compatriotes meurent dans des conditions indignes, mais il va de soi que tous les êtres humains étant égaux en droit et en dignité, le mourant, même s'il souffre atrocement, a exactement la même dignité que ceux qui sont en bonne santé. La question n'est donc pas de dignité, mais de liberté.

Deuxièmement, il n'y a pas de vide juridique ni de silence de la loi. La mort n'est pas en dehors du droit, puisque l'homicide est interdit, de sorte que le médecin qui la donne est coupable. Certes, il faut légiférer le moins possible, mais parfois il faut le faire.

Troisièmement, il n'y a pas à choisir entre les soins palliatifs et l'euthanasie. On ne peut être que favorable au développement des soins palliatifs, d'autant que selon les médecins, mieux ils s'appliquent, plus la demande d'euthanasie recule.

Quatrièmement, dans quelles conditions peut-on rendre l'assistance au suicide légale ? Robert Badinter, constatant que le suicide n'était pas considéré en France comme un délit, se demandait pourquoi l'assistance au suicide en serait un. Il y a certes un paradoxe, mais il faut établir des limites et l'assistance médicale au suicide ne peut être autorisée que dans certains cas, qui sont selon moi le handicap très lourd, la maladie grave et incurable et l'extrême vieillesse. Il ne s'agit pas d'autoriser l'assistance au suicide dans n'importe quelle circonstance.

D'où la question du « droit de mourir », qui doit être distingué du « droit à mourir ». Les droits-libertés - « droit de » - sont définis par des interdits, alors que les droits-créance - « droit à » - le sont par des obligations. Si j'ai le droit de vivre, personne n'a le droit de me tuer ; si j'ai le droit à vivre, il faut que l'on m'assure les moyens de vivre. La notion est la même dans le cas du droit opposable au logement, qui implique que quelqu'un a l'obligation de me loger, en l'occurrence l'État. Par conséquent, je ne revendique pas un droit à la mort, mais le droit de mourir, non pas un droit-créance, mais un droit-liberté qui ne suppose aucune obligation, mais un interdit : personne n'a le droit de m'empêcher de mourir, si je veux le faire pour des raisons qu'une évaluation médicale a établies comme légitimes.

C'est pourquoi la clause de conscience pour le soignant est essentielle. Il est exclu de forcer un soignant à pratiquer une euthanasie ou à aider quelqu'un à se suicider si c'est contraire à ses valeurs morales ou religieuses.

Je suis un libéral : de quel droit la République prétend-elle limiter ma liberté quand celle-ci ne nuit aucunement à celle d'autrui ? Dès lors que l'on aime et la vie et la liberté, on ne peut que souhaiter que la vie soit libre jusqu'au bout.

M. Bernard-Marie Dupont. - Monsieur Comte-Sponville, il y a une différence entre l'IVG et l'euthanasie. Je suis un praticien à la fois de la médecine et du droit. Dans l'IVG, on peut identifier le geste et le calibrer, mais il est beaucoup plus compliqué de le faire en ce qui concerne l'euthanasie. La pratique quotidienne en est la preuve et je ne parle pas des affaires très médiatisées, traitées souvent de manière caricaturale.

Vous avez parlé du grand âge, mais celui-ci a été créé de toutes pièces, en grande partie par les médecins. Pourquoi considérer qu'il faut en finir avec le grand âge, parce qu'il coûte cher, qu'il ne sert à rien ou qu'on y aurait perdu sa dignité ? Au quotidien, malgré mon expérience, je peux passer des heures sur un dossier et être incapable de décider s'il y a eu une intention d'euthanasie ou pas. C'est une question extrêmement compliquée et je vous mets en garde sur cette grande différence.

La demande d'IVG repose sur un constat simple - le nombre de semaines d'aménorrhée - et sur des examens qui confirment l'existence d'une grossesse. Pour ce qui est de la fin de vie, il est très facile pour un médecin de faire partir quelqu'un sans être poursuivi, et c'est bien là le problème.

Vous invoquez la clause de conscience, mais selon moi elle n'est pas du tout satisfaisante. Si l'on me demande un acte d'euthanasie, je ne me déroberai pas et je verrai si je peux et dois y répondre. Et si je commets un acte d'euthanasie, je souhaite qu'il soit porté à la connaissance du parquet pour que, en vertu du droit, l'on décide ou non de me poursuivre ou de classer l'affaire. En effet, au nom de quoi les médecins seraient-ils autorisés à commettre des gestes qu'ils ne maîtrisent pas ?

Est-on jamais sûr de savoir si un patient est libre ou éclairé ? Je ne suis pas d'accord avec la réponse de Mme Canto-Sperber. Certains traitements de cancérologie ont pour effet secondaire d'induire une dépression. Faut-il la considérer comme un effet secondaire du médicament et la combattre par anticipation grâce à un antidépresseur ; ou bien faut-il considérer la demande d'aide à mourir qui découle de cette dépression comme l'expression libre d'une conscience éclairée et informée ? À ce stade de mon expérience médicale, je suis incapable de répondre.

Certes, il faut disserter, mais comment faire au quotidien quand un dossier médical de sept cents pages, sur le fondement duquel une personne risque de se retrouver devant le tribunal, finit par se résumer en une seule phrase ? Il est extrêmement dangereux de se reposer sur le fait qu'il y aura toujours une clause de conscience. Pour moi, l'opportunité d'une telle clause est un faux problème ; l'essentiel est de savoir à quoi et à qui j'ai affaire et quelle a été la nature de la demande.

Dans toute ma carrière, je n'ai jamais rencontré qu'une seule personne pour laquelle je suis certain que la décision était fondée, libre et éclairée. Pour le reste, je suis entièrement d'accord avec les propos d'Agnès Buzyn dans Le Monde du 17 mars dernier sur les dérives possibles. Nous sommes trop souvent dans un discours de bien portants.

J'ai connu Paulette Guinchard et j'ai eu l'occasion de travailler avec elle : elle était admirable et connaissait bien le monde de l'hôpital. Ce que montre son exemple, c'est que l'on peut changer d'avis selon la situation où l'on se trouve. On pourrait aussi citer le cas d'Henri Caillavet et de bien d'autres. Il faut laisser ouverte la possibilité de mourir. Je suis très inquiet à l'idée que l'on risque de ne pas tenir compte des détails internes au processus, qu'il s'agisse de la prescription, de la prise en charge ou de la nature de la demande. Un patient demande-t-il vraiment à mourir ou cherche-t-il surtout à ne pas être un poids ou une charge pour son entourage ?

En outre, qu'est-ce que le très grand âge ? Et au nom de quoi ceux qui ont atteint ce stade devraient-ils partir ? Où placera-t-on le curseur, à 90 ans, avant ou après ?

M. André Comte-Sponville. - Je n'ai parlé que de personnes qui demandaient à mourir. Personne ne va les tuer.

M. Bernard-Marie Dupont. - Je ne suis pas d'accord avec vous. Je suis un rural, originaire du Pas-de-Calais et j'ai bien vu ce que l'on faisait parfois des personnes âgées : parfois, on n'a rien d'autre à leur offrir que des Ehpad qui sont des mouroirs. N'y a-t-il pas dès lors une indignité dans notre comportement de bien portants, lorsque nous disons qu'il faut répondre à leur demande si elles disent qu'elles veulent partir ?

Le combat que nous devons mener est pour une vie digne et il doit inclure la possibilité d'une fin digne. Pour le reste, les frontières sont très floues et les dossiers auxquels sont confrontés les procureurs ou les juges sont éminemment complexes.

Quant aux conséquences sur le droit, on pourrait prendre l'exemple du secteur assurantiel. Les contrats d'assurance-vie ou d'assurance automobile évoluent dès lors que la personne est sous traitement médical. Les conséquences sur le droit seront énormes si l'on choisit de légaliser.

Pour ce qui est de mourir dans sa famille, une prise en charge existe déjà, mais qui reste très insuffisante.

Toutes les lois sont-elles morales ? Bien évidemment, non. Une dictature ne vit pas sans lois, bien au contraire. Le nazisme, par exemple, est un système éminemment juridique.

Ce qui m'obsède - et ce n'est pas une posture idéologique -, c'est que dans les pays où l'euthanasie a été dépénalisée ou légalisée, on n'a jamais pu maîtriser les dérives.

Vous parlez d'un choix individuel : certes, la question de la liberté est fondamentale, mais faut-il pour autant que, au nom de raisons idéologiques, politiques ou raciales, on choisisse à ma place sans que je sois informé ni d'accord ? Or, en dépit de la protection qu'offre la loi Leonetti et malgré l'existence de formations sur le sujet, qui restent insuffisantes, je peux vous assurer qu'il y a déjà des dérives, volontaires ou involontaires. La question de la liberté de choisir le moment de sa mort est certainement la question philosophique par excellence ; mais dans la pratique, elle est très compliquée à mettre en oeuvre et j'attire votre attention sur l'impossibilité de maîtriser les dérives.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je précise que les rapporteures ne se sont pas exprimées, car elles souhaitaient laisser les intervenants poser le débat sans raccourcir le temps de la discussion.

M. Jacques Ricot. - J'ai envoyé une contribution écrite qui complétera mes propos.

Les questions majeures auxquelles les soignants sont confrontés sont, plus que l'euthanasie, celles de l'obstination déraisonnable, du soulagement de la souffrance et de l'absence totale de culture palliative dans les études médicales et paramédicales. C'est là qu'est l'urgence.

Paulette Guinchard n'a jamais varié dans ses positions : elle a toujours été en faveur du suicide assisté et hostile à l'euthanasie. Elle n'a donc pas changé d'avis en allant finir ses jours en Suisse.

Quant à l'inégalité, elle vaut dans tous les compartiments de l'existence. Faut-il prévoir des mécanismes compensatoires pour ceux qui ne peuvent pas aller en Suisse ou en Belgique ? Il conviendrait d'abord de résoudre la question de savoir si la société trouve normal que les gens se suicident. Quand quelqu'un est suicidaire, les soignants font tout leur possible pour l'aider à retrouver goût à la vie sans penser d'emblée à l'envoyer en Suisse.

En ce qui concerne Henri Caillavet, même si je suis très hostile à la dépénalisation du suicide assisté et à la légalisation de l'euthanasie, j'étais son ami. Toute sa vie, il est resté encombré par le fait d'avoir tué son père qui n'était ni en fin de vie ni malade, et cela alors que celui-ci s'était montré tyrannique toute sa vie. Il faut être attentif à l'arrière-fond des situations.

En ce qui concerne Vincent Humbert, le tableau clinique qu'a dressé M. Comte-Sponville ne correspond pas à la réalité médicale. Son kinésithérapeute, son ergothérapeute et son médecin n'ont jamais eu le même discours que celui qui a été médiatiquement imposé et selon lequel il voulait mourir. Les médecins disent exactement le contraire. Combien de fois les choses se produisent-elles ainsi ?

J'étais l'ami de Guy Goureaux, qui était le bras droit de Jean-Marc Ayrault quand celui-ci dirigeait sa première municipalité. Il était atteint d'une maladie incurable, de sorte que les médecins disaient qu'il mourrait enfant. Il a survécu et n'est mort qu'à 85 ans après une vie bien remplie. Son fils disait qu'il avait été « en soins palliatifs toute sa vie ». Autrement dit, on peut être atteint d'un mal incurable et être soigné, ce qui n'est pas la même chose que d'en guérir.

Je suis pour une société qui développe l'éthique de l'autonomie et je suis un fervent partisan de la liberté - il ne faut pas empêcher juridiquement les gens de se suicider -, mais je considère aussi qu'une société digne de ce nom est celle qui reconfigure l'éthique de l'autonomie par une éthique de la vulnérabilité : elle doit prendre en compte la fragilité et la faiblesse de l'être humain, et plus largement le tragique de la condition humaine, qui reste immuable, quelles que soient les lois que vous pourrez voter.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous vous remercions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Enjeux juridiques nationaux et internationaux du débat sur la fin de vie -Audition de Mmes Bénédicte Boyer Béviere, maître de conférences en droit privé à l'université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis, Valérie Depadt, maître de conférences en droit privé à l'université Paris 13 - Sorbonne Paris Nord et M. Julien Jeanneney, professeur de droit public à l'université de Strasbourg

(Mercredi 5 avril 2023)

Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux de ce jour par une audition commune sur les enjeux juridiques nationaux et internationaux du débat sur la fin de vie.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.

Cette audition s'inscrit dans le cadre des travaux que nous conduisons sur la question de la fin de vie, menés par nos rapporteures, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Imbert et Michelle Meunier, ou en plénière, comme ce fut le cas la semaine dernière avec une table ronde sur les enjeux philosophiques de ce sujet.

Nous avons le plaisir d'accueillir :

- Mme Bénédicte Boyer-Béviere, maître de conférences en droit privé à l'université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis ;

- Mme Valérie Depadt, maître de conférences en droit privé à l'université Paris 13 - Sorbonne Paris Nord ;

- M. Julien Jeanneney, professeur de droit public à l'université de Strasbourg.

Mesdames, Monsieur, je vous propose de commencer cette audition commune par un propos liminaire relativement bref, afin de laisser toute leur place aux échanges qui suivront, en premier lieu à partir des questions des commissaires que pourront compléter les rapporteures si elles le souhaitent.

Madame Boyer-Bévière, vous avez la parole.

Mme Bénédicte Boyer-Bévière, maître de conférences en droit privé à l'université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis. - Je vous remercie, Madame la Présidente.

La question est de savoir si, aujourd'hui, la fin de vie est dans une situation satisfaisante, notamment du point de vue législatif. Il me semble essentiel d'indiquer, en préambule, que le traitement de la fin de vie à l'hôpital ou à domicile est insuffisant, au niveau matériel, au niveau humain et du point de vue de l'organisation des hôpitaux.

En 2019, par exemple, 26 départements ne disposaient pas d'unité de soins palliatifs ou d'au moins un lit pour 100 000 habitants. Il convient, avant tout, de prendre en considération cette situation. Quelle est l'utilité en effet de lois successives si, dans la pratique, les soins palliatifs ne fonctionnent pas et ne mettent pas en application la loi déjà existante ?

Convient-il de modifier la loi ? Il ne m'appartient pas de répondre à cette question. En revanche, au regard du droit et de l'éthique, la question est fondamentale. L'article L. 1110-5 alinéa 2 du code de la santé publique pose que « toute personne a le droit d'avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. » Il n'est donc pas possible de laisser les personnes en fin de vie souffrir dans des conditions abominables.

La décision de légiférer a pour objectif de répondre aux limites de la loi. Actuellement, la sédation profonde et continue est prévue pour les personnes en soins palliatifs et dont la vie est abrégée à court terme. Le législateur a donc choisi le court terme. Or le comité consultatif national d'éthique, dans son avis 139, souligne que des personnes en soins palliatifs peuvent être dans des situations de grande souffrance à moyen ou long terme. Ces personnes ne peuvent pas être laissées dans de telles situations.

La première question fondamentale est la suivante : convient-il d'envisager la sédation profonde ? Il n'en est pas beaucoup question, au contraire de l'euthanasie ou du suicide assisté. Aujourd'hui, la loi prévoit la sédation profonde à court terme. La sédation à moyen terme pourrait cependant représenter une situation intermédiaire. Le problème, dans une telle hypothèse, réside dans l'insuffisance des recherches sur la souffrance ressentie par les personnes lorsqu'elles sont endormies.

Convient-il d'envisager le suicide assisté (aide à mourir par une prescription médicale de produit létal) ou l'euthanasie (le médecin prescrit le produit létal et réalise l'acte) ? La question est complexe. Les parlementaires assument un rôle fondamental pour lire la balance entre éléments positifs et éléments négatifs. À mon sens, le suicide assisté et l'euthanasie doivent être limités, dans la loi, à des cas très exceptionnels, notamment lorsque la loi ne peut pas prendre en considération le moyen ou le long terme dans la souffrance réfractaire.

Une question vient se greffer sur les précédentes autour des risques. Si le suicide assisté ou l'euthanasie sont autorisés, comment évaluer l'autonomie de la volonté ? Il est d'autant plus important de prendre des mesures dans ce sens que les personnes sont atteintes de grande fragilité.

Il existe également des risques liés à la stigmatisation sociale, à la stigmatisation professionnelle, voire à l'auto-stigmatisation. En fin de vie, une personne pourrait en effet considérer qu'elle est un fardeau pour sa famille. L'hôpital pourrait également considérer que, par manque de lits en soins palliatifs et de places, comme c'est déjà le cas aujourd'hui, il doit s'orienter davantage vers l'euthanasie.

La question qui se pose est celle de la proportionnalité, entre, d'une part, l'apaisement apporté aux personnes et d'autre part, les risques à prendre en compte pour protéger les personnes. Dans tous les cas, la finalité reste la protection des individus dans une très grande vulnérabilité. L'ensemble des grands principes peuvent servir à évaluer cette proportionnalité : dignité, liberté, égalité, solidarité.

Il est important également de réfléchir à la situation des professionnels de santé par rapport au serment d'Hippocrate. Il peut être difficile pour eux de donner la mort puisqu'ils sont habitués à soigner. Je pense que toute législation devra aller dans le sens de la clause de conscience pour leur donner la liberté de choix. En cas de clause de conscience, la personne souffrante serait renvoyée vers un autre professionnel de santé. Il pourrait être envisagé également de créer cinq ou six unités en France destinées à prendre en charge les personnes souhaitant une euthanasie. Il s'agirait de services dédiés, pour décharger les professionnels de santé de ce poids. Il convient, par ailleurs, de prévoir des services spécifiques pour la prise en charge des personnes et des financements dédiés dans les établissements et par rapport à la tarification adaptée concernant les actes.

Pour terminer, j'insiste sur un point dont il n'est absolument pas question dans les débats, l'accessibilité du droit. Aujourd'hui, une partie des dispositions légales sont concentrées dans la partie législative du code de la santé publique. De nombreuses dispositions figurent dans le code de déontologie médicale, qui est un outil pour les médecins. Les individus ne lisent cependant pas nécessairement la partie réglementaire du code de la santé publique...Il me semble important par conséquent de restructurer le droit de la fin de vie et de regrouper certaines dispositions pour les rendre accessibles à tous. Dans le code de déontologie médicale, les médecins continueraient évidemment de prévoir leurs propres dispositions pour prendre en charge la fin de vie.

Je vous remercie.

Mme Valérie Depadt, maître de conférences en droit privé à l'université Paris 13 - Sorbonne Paris Nord. - Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, je me permettrai d'évoquer le ressenti des médecins car je travaille de façon étroite avec eux. Je pense qu'un juriste seul, face à ces questions, est impuissant. L'humilité est nécessaire dans le droit face aux professionnels. C'est pourquoi je parlerai de leur ressenti.

Parmi les questions qui se posent, il convient de distinguer la situation de la personne dont le pronostic vital est engagé à court terme et la situation de la personne dont le pronostic vital est engagé par la maladie à plus long terme. Le droit actuel répond aux situations d'extrême fin de vie en autorisant la sédation profonde et continue. Il s'agit d'un des apports majeurs de la loi de 2016.

Dans la loi de 2016, ce type de sédation a été conçu comme une mesure de soulagement et de lutte contre la souffrance. Il ne s'agit pas d'un moyen de mettre fin à la vie. En ce sens, cette sédation ne contrevient pas au serment d'Hippocrate. Pourtant, fréquemment, certains médecins apparaissent réticents face à cette sédation. Ils s'interrogent à plusieurs titres. Que vit et éprouve le patient, même s'il est endormi ? À quel niveau d'inconscience est-il rendu ? Surtout, les médecins se préoccupant d'éthique, quel sens donner à ce temps de sommeil artificiel ? Enfin, une question est également importante. Que vit la famille, qui voit parfois le corps donner des marques de souffrance ?

Lorsque ce type de sédation est appliqué à un patient pour lequel un prélèvement d'organe sur coeur arrêté est envisagé, les médecins arrêtent le respirateur. Le délai entre l'arrêt et le constat de décès par arrêt cardiaque est d'environ 15 minutes. Vincent Lambert est resté sédaté 9 jours avant de mourir. Ces journées ont été extrêmement difficiles à vivre pour les proches.

Nous voyons à quel point le temps de la sédation peut varier. Or la décision de raccourcir le temps de la sédation lorsqu'elle se prolonge implique d'injecter au patient des doses létales. Les médecins savent injecter une dose létale. Il ne s'agit plus cependant d'une sédation, comme elle est entendue par la loi, puisque le dosage aura pour objectif d'abréger la vie. Je suis consciente cependant de poser le problème sans y apporter de solution.

Au-delà de ces questions, la sédation profonde et continue ne peut pas répondre aux situations dans lesquelles le pronostic vital n'est pas engagé à court terme. Dans le cas contraire, le délai serait long. Les signes de souffrance seraient apparents. La personne ne décéderait pas des causes de sa maladie, mais d'infections multiples.

Aussi vous faut-il aborder la question d'une assistance au suicide, voire d'une euthanasie.

Le Président de la République a récemment souhaité l'élaboration d'un modèle français de fin de vie. Il me semble que cette expression souligne toute la difficulté de la transcription juridique d'un droit à l'aide active à mourir. À mon sens, cette expression signifie que la loi ne peut simplement acter la volonté des Français quant à l'ouverture d'un droit à une aide active à mourir. Elle doit l'acter dans le respect des valeurs essentielles d'humanité, de solidarité et d'accompagnement des plus vulnérables. Dans ce sens, la loi sur la fin de vie doit d'abord apporter des propositions de vie en réponse aux craintes que les Français expriment d'être abandonnés en situation de souffrance.

De ce point de vue, les deux questions de l'offre de soins palliatifs et d'un droit à choisir le moment de son décès sont liées. Elles sont différentes, mais liées dans le temps. L'insuffisance des soins palliatifs fausse le débat, parce que, dans le paysage désolé et désolant des soins de fin de vie, l'aide à mourir ne devra jamais devenir un moyen d'éviter l'agonie. Si une procédure d'assistance à une mort anticipée devait être légalement instituée, elle ne devrait pas pouvoir être mise en application sans que l'ensemble des soins médicaux techniquement possibles, envisageables en l'état des possibilités scientifiques, n'aient été préalablement proposés au patient. Il doit s'agir de soins de qualité, pouvant être dispensés le temps nécessaire. S'il en est autrement, l'aide active à mourir représentera une alternative par défaut à des soins de fin de vie de qualité.

La question de l'aide active ne peut se poser qu'en cas d'impuissance de la médecine à calmer la souffrance. Les médecins expliquent que lorsque la douleur, y compris psychique, est apaisée, la demande de mort devient exceptionnelle. Dès lors que le maintien de cette demande apparaît, en pratique, exceptionnelle, et que des soins palliatifs sont dispensés, ne sont-ce pas que ces cas exceptionnels que doit relayer la loi en permettant l'aide au suicide, non pas comme un droit universel cette expression - qui figure dans le rapport de la convention citoyenne, m'a marquée- mais comme un ultime recours.

La décision relèvera du Parlement, garant de la souveraineté nationale et du fait majoritaire, car la question est sociétale. Néanmoins, la question se distingue, car elle implique le médecin de façon majeure. C'est pourquoi un consensus doit être trouvé avec le corps médical.

La clause de conscience permet au médecin de ne pas pratiquer tel ou tel acte, en l'espèce l'acte létal. Le médecin est en revanche tenu de contacter un médecin qui accepterait. De tout temps, des médecins ont aidé des malades à mourir dans le cadre d'un colloque singulier. Aussi les médecins accepteront-ils probablement de pratiquer l'acte létal pour leurs patients. Il est en revanche peu probable qu'ils acceptent de prendre en charge un autre patient. Une des difficultés principales de légiférer est que la loi devra se frayer un chemin vers la volonté du patient, sans entraver le colloque singulier entre le patient et son médecin. Ce colloque doit être maintenu. Il ne peut être empêché par un droit créance à exiger l'euthanasie ou le suicide assisté. Un droit trop affirmé mettrait à mal ce colloque singulier tellement nécessaire au patient.

C'est pourquoi, plutôt que de parler des critères de minutie comme beaucoup de nos pays voisins, nous devons peut-être nous concentrer sur le moyen d'assurer au patient qu'il sera entendu, tout en protégeant un espace d'autonomie professionnelle qui permettra de respecter la singularité inhérente à chaque situation. Une loi ne répondra jamais à toutes les situations. Une telle démarche n'empêche pas, en outre, une intervention collégiale, afin que le médecin ne porte pas seul la décision.

Quoi qu'il en soit, le droit et ses limites devront être suffisamment solides pour résister à leur dépassement, tout en permettant un espace d'autonomie professionnelle qui respecte la singularité inhérente à chaque situation.

Dans le paysage actuel de la santé publique, les usagers du système de santé ont peur. Ils ont besoin d'être rassurés. Ils doivent savoir qu'ils seront pris en charge de la meilleure façon. Si cette prise en charge ne peut pas calmer leurs souffrances, ils doivent être certains qu'une ultime solution leur sera apportée.

Les usagers restent cependant des citoyens auxquels les pouvoirs publics doivent offrir une société qui privilégie la vie, en apportant aide et attention aux plus vulnérables, en prodiguant les soins le plus longtemps et le plus raisonnablement possible, et en accompagnant ensuite dignement le décès en dernier recours. Je crois pouvoir dire qu'un usager souhaitera être entendu le jour où il décidera de mettre fin aux traitements, sans pour autant, en tant que citoyen, souhaiter vivre dans une société qui ouvrirait trop largement la possibilité d'une fin de vie.

Comme il m'a été demandé de résumer quelques arrêts, je vous résume les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). La Cour s'est en effet prononcée à plusieurs reprises sur la question de l'aide active à mourir.

Dans l'arrêt Pretty contre Royaume-Uni de 2002, la Cour a consacré le droit au refus de soins, tout en refusant d'interpréter l'article 2 relatif au droit à la vie, comme conférant un droit diamétralement opposé au droit à la vie, à savoir le droit de mourir, ou un droit à l'autodétermination, en ce sens qu'il donnerait à tout individu le droit de choisir la mort.

Dans l'affaire Haas contre Suisse de 2011, un patient suisse atteint de troubles psychiques demandait que lui soit délivré du pentobarbital, afin de pouvoir « se suicider de manière digne ». La Cour a estimé que le droit positif helvète, en ce qu'il liait la délivrance de la substance à une prescription médicale, ne contrevenait pas aux dispositions de l'article 8 de la Convention, relatif au droit à la vie privée. Ainsi, la Cour a vu, dans le droit pour un individu de décider de sa fin de vie, un aspect du droit au respect de la vie privée. En revanche, elle s'est retranchée derrière l'absence de consensus des États pour ne pas leur imposer d'obligation positive en ce domaine.

En 2012, dans l'arrêt Koch contre Allemagne, le mari requérant avait fait valoir que le refus des juridictions nationales d'examiner au fond son grief relatif au refus de l'institut fédéral d'accorder à son épouse l'autorisation d'obtenir la dose nécessaire de pentobarbital qui lui aurait permis de se suicider dans l'intimité de son foyer avait entraîné une violation du droit (article 8, droit au respect de la vie privée et familiale). La Cour franchit une étape en condamnant l'interdiction du principe du suicide assisté en vigueur en Allemagne. Elle estime en effet qu'une juridiction doit pouvoir juger, au cas par cas, du bien-fondé des demandes individuelles de suicide. Elle en conclut que les États parties à la convention étaient loin d'avoir atteint un consensus sur le sujet. Elle en conclut par conséquent qu'il y avait lieu de reconnaître une marge d'appréciation considérable.

En 2013, dans le cadre de l'affaire Gross contre Suisse, les médecins consultés par la requérante ont refusé de lui délivrer l'ordonnance qu'elle demandait, au motif que celle-ci ne souffrait d'aucune pathologie clinique. La Cour européenne a condamné la Suisse pour violation de l'article 8 eu égard à sa législation qui, permettant d'obtenir une dose mortelle de médicament, ne fournit pas de directive suffisamment claire pour définir l'ampleur de ce droit. Cette question se pose à vous. La Cour a jugé que l'incertitude quant à l'issue de sa demande a causé une angoisse considérable à Mme Gross, qui ne serait pas survenue en présence de directives claires et approuvées par l'État.

Vient enfin l'arrêt Mortier contre Belgique en date du 4 octobre 2022. La Cour a été saisie par un requérant qui invoquait une violation de l'article 2 de la Convention européenne à la suite de l'euthanasie de sa mère, qui souffrait de dépression chronique depuis une quarantaine d'années. Le requérant prétend que l'État a manqué à ses obligations positives de protection de la vie, puisque la procédure prévue par la loi sur l'euthanasie n'aurait pas été respectée, rendant ainsi illusoires les garanties qu'elle prévoit. Dans son arrêt, la Cour rappelle qu'il n'est pas possible de déduire de l'article 2 de la convention un droit un mourir, tout en retenant que le droit à la vie consacré par l'article 2 n'interdisait pas, en soi, une dépénalisation conditionnelle par la loi belge de l'euthanasie. Pour la première fois, la Cour énonce qu'en ce sens, la mise en place de garanties adéquates et suffisantes est nécessaire. Elle observe trois éléments : l'existence d'un cadre législatif concernant les actes préalables ; le respect de ce cadre ; l'existence d'un contrôle a posteriori présentant des garanties suffisantes. S'agissant du contrôle a posteriori, en l'occurrence, la Cour a jugé les garanties insuffisantes. Le plus intéressant est néanmoins la portée plus générale dans l'observance par la Cour de ces trois éléments.

Je vous remercie de votre attention.

M. Julien Jeanneney, professeur de droit public à l'université de Strasbourg. - Mesdames et Messieurs les sénateurs, c'est toujours un plaisir pour un universitaire de venir vous présenter le fruit de ses recherches dans l'espoir de pouvoir contribuer à éclairer la représentation nationale. Vous m'avez demandé de vous éclairer sur le cadre juridique de la fin de vie dans différents pays. Professeur de droit constitutionnel, je m'intéresserai surtout à des principes constitutionnels, à des décisions rendues par des juridictions constitutionnelles, et au contexte dans lequel certaines lois ont été élaborées dans d'autres pays, conduisant à dépénaliser, à autoriser ou à organiser une aide active à mourir sous certaines conditions.

Je partirai, à cet égard, d'une tension qui traverse de nombreuses démocraties contemporaines. D'un côté, la provocation de sa propre mort est un acte d'autodétermination personnelle, qui prend la forme, classique dans sa brutalité même, du suicide. D'un autre côté, c'est un acte qui intéresse la société entière, en tant qu'il contrecarre le cours normal des choses. À la rencontre de ces deux tendances, différents parlements et juges constitutionnels ont choisi de faire évoluer leur droit dans le sens d'un plus grand accompagnement des candidats au trépas.

Encore faut-il préciser ce dont il est question. L'aide à mourir peut renvoyer à quatre actions distinctes qui soulèvent des questions différentes du point de vue du droit. Dans l'ordre de la préparation de la mort, nous pouvons distinguer l'interruption des traitements (les médecins se contentent de laisser la mort survenir en son temps en arrêtant de soigner) et les soins palliatifs (qui conduisent les médecins à prodiguer des soins destinés à soulager la souffrance du patient, notamment dans le cadre d'une sédation profonde et continue jusqu'au décès). À l'inverse, dans l'ordre du déclenchement de la mort, forme plus active d'aide à mourir qui soulève des questions juridiques distinctes, nous distinguons habituellement l'assistance au suicide (le patient est accompagné pour commettre, in fine, l'acte mortifère) et l'euthanasie stricto sensu (l'acte mortifère délibéré est commis par un auxiliaire, situation parfois nécessaire pour les plus malades qui ne pourraient pas se suicider eux-mêmes). Cette distinction est décisive en droit. En pratique, elle est extrêmement fine, soulevant des questions.

En la matière, il est relativement courant d'évoquer la situation de certains de nos pays voisins, pour différentes raisons. En premier lieu, certains d'entre eux ont privilégié des législations particulièrement libérales. En outre, des Français, anonymes ou célèbres, ont décidé de finir leurs jours dans ces pays. Enfin, ces pays sont parfois invoqués comme une forme d'épouvantail argumentatif, en les présentant, non sans caricature, comme des lieux où il serait possible d'orchestrer sa mort en cas de simple spleen passager et d'accéder ainsi facilement à des produits létaux.

Ainsi, la Suisse, dès 1941, prévoit que l'assistance au suicide dont le mobile est altruiste n'est plus réprimée. Les Pays-Bas ont dépénalisé l'assistance au suicide et l'euthanasie en 2001, sous certaines conditions : la demande répétée du malade, lorsqu'il peut s'exprimer ; le caractère incurable de sa maladie ; l'avis pris auprès d'autres médecins ; le signalement de la mort aux autorités. Quant à la Belgique, elle a dépénalisé l'euthanasie active en 2002, sous certaines conditions : le patient est majeur, capable et conscient (le texte a été étendu en 2014 aux mineurs dans des circonstances qui soulèvent des questions) ; le patient formule une demande « volontaire, réfléchie et répétée » ; sa situation médicale est « sans issue » ; le patient fait « état d'une souffrance physique ou psychique constante. »

Parmi les autres exemples de dépénalisation de l'assistance au suicide et/ou de l'euthanasie, figure le Luxembourg (en 2009 pour l'assistance au suicide et l'euthanasie), l'Espagne (en 1995 pour l'assistance au suicide et en 2021 pour l'euthanasie). Plus loin de l'Europe, la situation de la Nouvelle-Zélande est intéressante. Le choix s'est en effet porté sur un référendum pour légaliser l'euthanasie en 2020.

Quel est le rôle assumé plus particulièrement par les juges constitutionnels dans l'évolution des législations sur la fin de vie ? La question m'a été posée.

Ma première remarque porte sur le fait que les juges, de manière générale, s'attachent à se montrer en retrait. Ils laissent les parlements être les forums pertinents pour trancher ces questions épineuses. Il arrive néanmoins que les juges soient plus actifs. Ils peuvent conduire à provoquer des législations dans des conditions qui soulèvent un certain nombre de questions. Par ailleurs, les juges sont souvent sollicités, les juges constitutionnels en particulier. En effet, dans certains pays, il est parfois plus facile pour les personnes qui défendent la mise en place d'une aide active à mourir d'accéder au prétoire du juge constitutionnel que d'inciter les parlementaires à se saisir de la question. Ainsi s'explique le nombre élevé de décisions rendues à ce sujet par différentes juridictions constitutionnelles, mais également par des organes supranationaux de protection des droits de l'Homme, à l'instar de la CEDH. La décision Mortier contre Belgique, notamment, est particulièrement importante dans la mesure où la Cour européenne des droits de l'Homme a affirmé qu'une loi autorisant l'euthanasie ne méconnaissait pas, de ce simple fait, le droit à la vie garanti par l'article 2 de la Convention, tout en refusant l'existence d'un droit à mourir et en laissant une large marge d'appréciation aux États.

Dans le détail, les relations entre les juges constitutionnels et les parlements sont diverses. Il est possible de les rapporter à quatre grandes configurations.

Dans la première configuration, une réforme parlementaire est consolidée par une juridiction constitutionnelle. Le cas d'école est le cas belge. En 2002, le Parlement a autorisé l'euthanasie. Il l'a ouvert aux mineurs en 2014. Le 29 octobre 2015, la Cour constitutionnelle a inféré du droit au respect de la vie privée le droit de décider de mettre fin à sa vie pour éviter une fin de vie indigne et pénible.

Dans le deuxième cas de figure, une réforme parlementaire est neutralisée par une juridiction constitutionnelle. Au Portugal, en 2021, le Parlement a dépénalisé à la fois l'assistance au suicide et l'euthanasie sous conditions dans un cadre médical. Le Président de la République conservateur, opposé à la réforme, s'y est opposé en saisissant le tribunal constitutionnel, qui a déclaré la loi inconstitutionnelle au motif qu'elle comportait des catégories juridiques trop vagues, notamment concernant la question des souffrances. Le Parlement a adopté une nouvelle loi qui a subi un veto présidentiel en novembre 2021. Une nouvelle loi est actuellement en discussion.

La troisième configuration comporte une incitation juridictionnelle qui conduit à une réforme parlementaire. Trois situations méritent d'être distinguées.

La première d'entre elles, la « manière forte », nous est montrée par le tribunal constitutionnel fédéral allemand. Le 26 février 2020, tandis qu'il n'existait pas de loi autorisant l'aide active à mourir, il a censuré une loi qui prohibait l'assistance au suicide dans un cadre professionnel, en tirant du principe de dignité de la personne humaine inscrit dans la constitution, dont il avait déjà inféré un droit au libre épanouissement de sa personnalité, un droit de choisir sa mort qui n'est pas limité aux maladies graves ou incurables. Le tribunal constitutionnel consacre un principe constitutionnel de droit de choisir sa mort, conduisant le législateur à essayer de suivre ce principe. Un travail est ainsi en cours sur une loi en la matière.

De manière plus détournée, il arrive que des juges constitutionnels se fondent sur des réserves d'interprétation pour inciter le Parlement à légiférer. La réserve d'interprétation est le cas dans lequel une juridiction constitutionnelle déclare une loi conforme à la constitution en précisant que cette déclaration de constitutionnalité s'opère sous réserve du fait que tel ou tel article est interprété de telle ou telle manière. Dans ce cas, le juge constitutionnel affirme que la loi doit être légèrement réécrite dans une direction précise. En l'occurrence, en Colombie, en 1997, la Cour constitutionnelle a créé une cause d'irresponsabilité pénale en matière d'euthanasie, tout en invitant le Parlement à légiférer sur la question. En 2000, le Parlement a réagi, à l'inverse, en prohibant, de façon générale, l'euthanasie. En 2015, le ministre de la Santé a adopté un acte qui légalisait, en pratique, l'euthanasie, contre la loi. En 2021, la Cour a déclaré que la loi pénale prohibant l'euthanasie était conforme à la Constitution, sous réserve qu'en soit exclu l'acte réalisé avec le consentement du malade quel que soit l'avancement de la maladie, tout en invitant de nouveau le Parlement à légiférer pour mieux protéger le droit de mourir dans la dignité.

Enfin, la manière encore plus douce d'agir consiste à moduler dans le temps les effets d'une décision. Des juridictions constitutionnelles ont la possibilité de déclarer une loi contraire à la constitution, tout en repoussant dans le temps les effets de la décision, en particulier pour laisser au Parlement le soin de légiférer dans l'intervalle. Ce choix a été privilégié au Canada. En 2015, la Cour suprême a jugé que la prohibition pénale de l'aide à mourir méconnaissait le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité des personnes, tel qu'il est garanti par l'article de la Charte canadienne des droits et libertés, en tant qu'elle privait de cette aide certaines catégories de maladies. La Cour a repoussé d'un an puis de quatre mois les effets de sa décision ; dans l'intervalle, le Parlement a adopté une loi se conformant à la décision de la Cour.

Enfin, la quatrième configuration est celle dans laquelle la réforme procède de la juridiction elle-même en raison de l'inertie prolongée du Parlement, alors même que du temps lui avait été laissé pour aller dans cette direction. L'exemple nous est donné par la Cour constitutionnelle italienne dans l'affaire Marco Cappato. Marco Cappato était un ancien parlementaire européen activiste qui a volontairement accompagné en Suisse un célèbre disc-jockey victime d'un grave accident de voiture pour qu'il y bénéficie d'une assistance au suicide. De retour en Italie, il s'est rendu aux carabinieri au motif qu'il avait commis une infraction au regard du code pénal italien. Il souhaitait provoquer un grand débat sur l'aide à mourir. À l'occasion de son procès pénal, la question de la constitutionnalité de la loi pénale, qui fondait les poursuites à son encontre, a été soulevée. Dans ce cadre, la Cour constitutionnelle a rendu, en 2018, une première ordonnance, en principe provisoire, mais qui fixait déjà un certain nombre d'éléments. Dans le débat entre liberté de s'auto-déterminer et protection de la vie humaine, cette ordonnance invitait à reconnaître des causes d'irresponsabilité pénale lorsque la pathologie était incurable et les souffrances intolérables, quand le maintien en vie était artificiel et la capacité de prendre des décisions libres et conscientes néanmoins maintenue. La Cour constitutionnelle indiquait que, dans ce cas de figure, il convenait de créer une cause d'irresponsabilité pénale, sans elle-même trancher la question, mais en repoussant d'un an la décision. La Cour affirmait que sa décision n'était que provisoire, laissant un an au Parlement pour légiférer. Après un an, le Parlement n'avait cependant pas légiféré. En 2019, la Cour a donc rendu une décision définitive, constatant l'inertie prolongée du législateur et notant que le loi pénale était inconstitutionnelle en tant qu'elle ne prévoyait pas une exception dans le cas de figure identifié un an plus tôt.

Je passe rapidement sur le fait qu'en 2022, le même Mario Cappato a sollicité un référendum abrogatif d'initiative populaire. Cette procédure permet de demander l'abrogation d'une disposition législative par référendum. La Cour a bloqué le référendum, qui portait non plus sur l'assistance au suicide, mais sur l'euthanasie.

La Cour italienne, dans ce cas précis, a écrit la loi sur l'assistance au suicide du fait de l'inertie du Parlement. Elle a évité que la loi n'évolue en matière d'euthanasie. Il s'agit d'un cas extrêmement intéressant où la Cour constitutionnelle, en l'occurrence, a fait « cavalier seul ».

Mme Émilienne Poumirol. - Je m'interroge sur la place de cette audition aujourd'hui en commission. Un travail est en effet en cours dans le cadre de la mission sur les soins palliatifs. Je ne reviens donc pas sur le fond de la question, qui apparaît extrêmement complexe. J'espère que nous pourrons bientôt discuter d'un texte législatif en la matière.

En revanche, une phrase de Mme Bénédicte Boyer-Bévière m'a fait sursauter. Je la juge extrêmement choquante. Vous affirmez que, par manque de places à l'hôpital, il existe un risque que les soignants décident de tuer des patients pour libérer des places. Ce discours est intolérable. J'y vois une insulte à la profession médicale et aux professions de santé.

Mme Bénédicte Boyer-Bévière. - Je n'ai pas tenu ces propos. Simplement, lorsque le nombre de lits en soins palliatifs est limité, il y a à répondre de la situation. L'hôpital fonctionne à sa manière. De nouveaux patients sont attendus. Que faire ? Pendant la crise épidémique de covid-19, des situations intolérables ont par exemple eu lieu. Même si ces situations sont insupportables, elles existent. Je juge indispensable de les prendre en considération pour que le législateur et l'État interviennent, afin de mettre à disposition l'ensemble des moyens nécessaires à la fin de vie.

Mme Émilienne Poumirol. - Nous sommes tous conscients de l'absence d'un nombre suffisant de places en soins palliatifs. Vous ne pouvez pas pour autant affirmer qu'un médecin, en conscience, triera les patients.

Mme Bénédicte Boyer-Bévière. - Tels ne sont pas mes propos. Simplement, un service doit être géré.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Concernant la première remarque d'Emilienne Poumirol, je rappelle que la mission confiée à Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Imbert et Michelle Meunier est la suite de la mission qu'elles avaient menée sur les soins palliatifs, intitulée désormais « mission sur la fin de vie ». Un texte sera proposé le Président de la République l'a en tout cas affirmé.

La loi à venir est fréquemment présentée comme la suite de la loi Léonetti-Claeys. Selon moi, elles sont totalement différentes. La loi Léonetti-Claeys porte sur la sédation profonde et continue jusqu'au décès en cas de mort imminente à court terme, pour soulager les souffrances. Beaucoup de personnes et leurs familles souhaitent en effet éviter l'acharnement thérapeutique et bénéficier d'une mort apaisée. Je n'apprécie pas, par conséquent, que le texte à venir soit considéré comme la suite de la loi Léonetti-Claeys et je pense que Jean Léonetti ne l'apprécie guère davantage. Il s'agit d'un texte différent, qui consiste à répondre à une mort choisie par nos concitoyens.

Mme Michelle Meunier. - Je suis une des corapporteures de cette mission d'information. L'audition de ce matin complète, voire complexifie, les auditions précédentes. La semaine dernière, un philosophe a indiqué que la loi ne pourrait pas être consensuelle. Nous en sommes conscients. Il appartiendra aux politiques de prendre leurs responsabilités.

Je souhaite questionner Julien Jeanneney. Les Belges n'ont pas légalisé, mais dépénalisé, l'euthanasie. Quelle est la différence ?

Mme Corinne Imbert. - J'ai quelques questions courtes à vous poser. De votre point de vue de juristes, l'acte d'euthanasie est-il un soin ? Quelle est votre définition d'une mort naturelle ? Quelles conséquences juridiques la liberté de demander sa mort au nom de la dignité est-elle susceptible d'engendrer ? Quels sont les risques de « pente glissante » ?

Mme Valérie Depadt. - L'euthanasie est un acte qui consiste à injecter un produit létal afin que la personne décède. Il ne s'agit évidemment pas d'un soin, dans le sens où il ne s'agit pas d'une mesure de confort. Il s'agit d'une façon de mettre fin à des souffrances auxquelles il est impossible de mettre fin par ailleurs lorsqu'une personne est condamnée.

Dans le contexte dans lequel nous nous inscrivons, une mort naturelle est une mort qui s'oppose à une mort provoquée par une substance injectée.

Mme Catherine Deroche, présidente. - En Belgique, la personne est considérée comme décédée de mort naturelle.

Mme Valérie Depadt. - Selon moi, il ne s'agit pas d'une mort naturelle. Dans une mort naturelle, l'organisme cesse seul de fonctionner. Lorsqu'un produit est injecté pour faire cesser le fonctionnement de l'organisme, il ne s'agit pas d'une mort naturelle.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je pense que l'objectif, en Belgique, est d'éviter des poursuites.

Mme Valérie Depadt. - Par ailleurs, la dignité peut être définie comme notre égale appartenance à l'humanité. Parmi les arguments recensés, néanmoins, le respect de la dignité selon que l'acte létal est ou non autorisé reste totalement subjectif.

Enfin, concernant le risque de « pente glissante », il est certain que la loi ne répondra pas à l'ensemble des situations. Certaines personnes se verront refuser l'éventuel droit tel qu'il sera défini. Elles pourront défendre leurs positions notamment vis-à-vis des juridictions, en invoquant une stigmatisation ou une inégalité des droits. Selon une logique juridique, il existe un risque d'extension des décisions du législateur, certaines personnes non concernées par le dispositif pouvant faire valoir une inégalité de traitement.

M. Julien Jeanneney, professeur de droit public à l'université de Strasbourg. - La dépénalisation fait en sorte qu'un comportement incriminable devient libre, au sens du principe général de liberté en droit pénal qui rend possible de punir qu'à raison de ce qui a été explicitement interdit. Si, par une loi, vous décidez que le code pénal ne punit plus un comportement, ce comportement rentre dans le champ général des très nombreux comportements relevant du principe général de liberté. De son côté, la légalisation peut croiser partiellement la dépénalisation. Elle conduit à ce qu'une loi autorise explicitement les individus à agir d'une certaine manière, avec tout ce que permet une loi ; il ne s'agit pas uniquement de prévoir l'autorisation, mais également les conditions de l'autorisation. La dépénalisation fait basculer la pratique vers le champ général d'un principe de liberté ; la légalisation permet de fixer critères, conditions et procédures.

Nous pouvons considérer, par ailleurs, que la liberté serait accrue par la possibilité donnée aux individus d'accéder aux fins de vie dont il est question. En revanche, les contours juridiques de la dignité sont extrêmement vagues. La charge politique et morale y est extrêmement importante. Le fait d'invoquer la dignité ne me semble pas, par conséquent, aboutir à une solution toute prête qu'il serait facile de déduire de ce principe de dignité. En effet, il est tout à fait possible d'invoquer la dignité au soutien de l'idée selon laquelle il convient de permettre aux individus de choisir les conditions dans lesquelles ils souhaitent mourir, en particulier pour ceux qui, dans le cas contraire, subiront des souffrances atroces. À l'inverse, des personnes considéreront qu'il est indigne de rendre possible l'autorisation par l'État d'un acte positif conduisant à la mort des individus. À cet égard, je ne suis pas certain que le principe de dignité, même incontournable, vous soit d'une grande aide.

Enfin, le risque de « pente glissante » est un argument plus politique que juridique. Ma réponse de juriste consiste à vous rappeler que vous êtes les législateurs. Si vous prenez une décision, vous pourrez ensuite faire évoluer le droit ponctuellement sur des points précis, en y réfléchissant au préalable. L'idée selon laquelle le blocage d'une évolution permettrait de se prémunir contre le risque d'une évolution néfaste ultérieure me semble faible, dans la mesure où le législateur, dans quelques années, pourra, dans tous les cas, avancer beaucoup plus rapidement qu'aujourd'hui s'il le souhaite.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de sociétés savantes

(Mercredi 3 mai 2023)

Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous débutons nos travaux de ce jour par une audition commune de sociétés savantes au sujet de la fin de vie.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.

Cette audition s'inscrit dans le cadre des travaux que nous conduisons sur la question de la fin de vie, menés par nos rapporteures, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Imbert et Michelle Meunier, ou en plénière, comme ce fut le cas avant la suspension des travaux parlementaires, avec une table ronde sur les enjeux philosophiques de ce sujet, puis une autre table ronde sur les enjeux juridiques de ce sujet.

Nous avons le plaisir d'accueillir :

- le Dr Emmanuel de Larivière, qui représentera la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) ;

- le Pr Jacques-Olivier Bay, représentant de la Société française du cancer ;

- le Dr Sophie Moulias, qui représentera la Société française de gériatrie et gérontologie ;

- et le Pr Jérôme Honnorat, président de la Société française de neurologie.

Madame, Messieurs, je vous remercie d'avoir accepté de participer à cette table ronde et vous propose de commencer cette audition commune par un propos liminaire relativement bref, afin de laisser toute leur place aux échanges qui suivront, d'abord à partir des questions des commissaires que pourront compléter les rapporteures si elles le souhaitent.

Monsieur de Larivière, vous avez la parole.

Dr Emmanuel de Larivière, représentant de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs. - Je suis médecin de soins palliatifs dans une institution bordelaise petite par sa taille, mais importante sur le plan des soins palliatifs à Bordeaux et en Gironde, établissement dans lequel se trouve un service de soins de suite, avec des lits dits identifiés de soins palliatifs destinés à accueillir des patients atteints de tumeur cérébrale. Je suis responsable du pôle de soins palliatifs, qui compte une unité de soins palliatifs de douze lits et une équipe mobile de soins palliatifs à la fois intrahospitalière et extrahospitalière, qui intervient à domicile et en établissement médico-social, essentiellement en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Nous comptons également à Bordeaux un hôpital de jour de soins palliatifs, modèle qui devrait se développer à l'avenir. Cet hôpital a pour mission d'accueillir des patients ambulatoires qui sont à domicile pour une évaluation pluridisciplinaire autour des problématiques de la fin de vie et des soins palliatifs.

Je représente aujourd'hui la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, qui est une société savante créée dans les années 1990. Son objectif est de défendre une certaine idée du soin et de l'accompagnement, autour de trois refus : le refus d'abandonner le malade, le refus de l'obstination déraisonnable - qui reste une réalité aujourd'hui -, et le refus de donner délibérément la mort et de pratiquer une injection létale, quelles qu'en soient les modalités, euthanasie ou suicide assisté.

Pr Jacques-Olivier Bay, représentant de la Société française du cancer. - Merci d'avoir invité la Société française du cancer pour évoquer la fin de vie au regard de cette maladie, qui est malheureusement très fréquente et dont le nombre de malades augmente, ne serait-ce que par la chronicité du cancer. La fin de vie est un sujet important pour nous, car de nombreuses pathologies cancéreuses ne sont pas guérissables. Reste à définir cette fin de vie, parfois dans sa longueur, car certains malades peuvent vivre très longtemps.

En ce qui me concerne, je suis professeur des universités en oncologie médicale, avec une activité à la fois en hématologie, plus spécifiquement en onco-hématologie, mais également en oncologie médicale. J'assure la direction de ces deux services au sein du centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand.

Je représente ici la Société française du cancer. J'ai également l'honneur de présider le conseil d'administration de l'Agence de biomédecine, au sein de laquelle nous avons beaucoup travaillé sur ces sujets dans le cadre de la loi de bioéthique.

Dr Sophie Moulias, représentante de la Société française de gériatrie et gérontologie. - Merci d'avoir également convié la Société française de gériatrie. Je suis médecin gériatre, mais également docteur en éthique. Je travaille à l'hôpital Ambroise-Paré au sein de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris. J'y ai constitué en 2004 une unité de gériatrie aiguë. Actuellement, je développe l'équipe mobile gériatrique externe, dont l'objectif est de faire du soin dans les Ehpad et en ville afin de cultiver la culture gériatrique et palliative à l'extérieur de l'hôpital.

La gériatrie est une spécialité assez méconnue. Les patients sont d'ailleurs initialement assez réticents de s'adresser à nous ! Nous allions médico et psycho-social. À ce titre, nous avons développé de longue date une réflexion éthique tant sur l'approche et la qualité que la quantité des soins. Notre population est quelque peu particulière. On la limite souvent à la population d'Ehpad, alors que l'immense majorité des personnes âgées vivent à domicile. Les personnes extrêmement dépendantes qui vivent en Ehpad ne représentent, en effet, que moins de 5 % de la population à prendre en considération.

Nous rencontrons d'importants problèmes d'accès aux soins, que ce soit en ville ou à l'hôpital, la culture gériatrique n'étant pas suffisamment développée. Nous nous mobilisons de longue date sur plusieurs sujets. Le premier est l'âgisme, à savoir la discrimination du fait de l'âge, qui a toujours existé, mais qui s'est, sans doute, décomplexée depuis la covid. Nous sommes une société d'accompagnement. La mort fait partie de notre métier aussi bien que la vie, mais pour vivre, il faut accepter de vieillir. Aujourd'hui, ce qui devrait être un succès pour notre société, c'est-à-dire notre longévité hors norme par rapport à la majorité des pays du globe, semble être une problématique dont souffrent beaucoup la population âgée et notre spécialité. Nous avons également toute une tranche de métiers à développer, à savoir les métiers du grand âge en général, non seulement les métiers de soignants, mais aussi de nouveaux métiers qu'il reste à inventer. Ceci implique de réfléchir à la reconnaissance, aux savoirs, à la formation et au respect des uns et des autres. Nous évoquons très souvent le respect du patient, ce qui est tout à fait légitime, mais il faut également évoquer le respect du professionnel.

Pr Jérôme Honnorat, président de la Société française de neurologie. - Je suis neuro-oncologue à Lyon. Je m'occupe de la prise en charge des tumeurs cérébrales dans lesquelles les patients cumulent à la fois le cancer et le handicap neurologique qui survient assez rapidement, bien qu'il soit variable en fonction de la localisation de la tumeur. C'est une pathologie pour laquelle la mort est très prégnante. La tumeur la plus fréquente est, en effet, le glioblastome qui ne compte pas de traitement curatif. Cette maladie touche environ 3 000 patients en France, avec une médiane de survie d'environ 16 mois. Plusieurs patients sont ainsi systématiquement en soins palliatifs dans le service d'hospitalisation dont je m'occupe et qui prend également en charge tous les patients qui ont été diagnostiqués ou dont l'état s'aggrave.

Je représente aujourd'hui la Société française de neurologie. Au sein de notre société, la prise en charge des patients en fin de vie est extrêmement importante, tant pour les démences, qui ont une évolution extrêmement lente, les scléroses latérales amyotrophiques, qui présentent une médiane de survie de deux à trois ans et où les patients vont décéder en pleine conscience - même si cette notion mériterait sans doute d'être rediscutée - , les accidents vasculaires cérébraux et les accidents de la vie qui peuvent conduire à des handicaps extrêmement sévères, que les tumeurs cérébrales.

Je souhaiterais insister sur la façon dont les neurologues appréhendent la conscience et les phénomènes biologiques qui conduisent à cette capacité à appréhender le monde, qui se modifie en fonction de circonstances extérieures et propres à la personne. Pour prendre l'exemple de mon activité personnelle sur les glioblastomes, en 30 ans, je n'ai dû observer qu'un seul patient qui a réellement demandé à en finir. Chacun chemine et avance dans sa façon d'appréhender la maladie et le handicap n'est généralement jamais suffisant pour estimer qu'il faut s'arrêter.

Je souhaiterais également souligner le manque de moyens et d'enseignements dont disposent actuellement les médecins pour appréhender la fin de vie et sa prise en charge. Il existe des services de soins palliatifs, mais la situation est extrêmement hétérogène sur le territoire. Mon service compte par exemple en permanence deux à sept patients de soins palliatifs. Or le personnel supplémentaire alloué à cette activité est 0,8 ETP, ce qui ne correspond d'ailleurs à rien, car dans le même temps 1,2 ETP est en arrêt de travail pour différentes raisons. En réalité, ce sont les mêmes équipes qui font à la fois le diagnostic, le soin, le suivi et les soins palliatifs, et ce, avec très peu de moyens.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Vous qui vivez au quotidien ces fins de vie, ressentez-vous le besoin de légiférer de nouveau sur le sujet ? La ministre évoquait par exemple des cas comme ceux de la maladie de Charcot. Êtes-vous en phase avec les conclusions de la convention citoyenne ou ne pensez-vous pas que si nous allions plus loin, nous basculerions vers un autre modèle ?

Pr Jérôme Honnorat. - En ce qui concerne la neurologie, nous considérons disposer de l'arsenal nécessaire. Nous recourons à la sédation dans le cadre de la sclérose latérale amyotrophique pour des patients qui présentent une évolution de la maladie importante, qui sont insuffisants respiratoires, et pour lesquels la sédation va conduire à un arrêt de la vie un peu plus précoce et parfois dans des conditions bien plus apaisées et préparées. Pour les autres pathologies, entrent en ligne de compte les capacités du patient à décider. La fin de vie est, en effet, un élément extrêmement important de la vie. Certains patients nous rapportent d'ailleurs que les quatre, six ou huit derniers mois qu'ils ont vécus avec leur maladie leur ont semblé beaucoup plus condensés, plus forts, que ceux qu'ils avaient pu vivre auparavant. Ceci nécessite toutefois des échanges importants. Quand il n'y a plus de contact du tout, la situation est également difficile, mais je suis dubitatif sur le choix d'aller vite, car ceci peut impacter le processus de deuil des proches. Lorsque la situation est extrêmement tendue et complexe, les proches peuvent, en effet, considérer à un certain point qu'il est préférable que la personne parte. Dès lors, le processus de deuil est commencé. La problématique n'est ainsi pas simple. Aujourd'hui, la mort est cachée, elle se fait très souvent à l'hôpital et on oublie qu'elle est une évolution naturelle de la vie.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Dr Moulias, nous avons l'impression que nous mélangeons grand âge, grand handicap et cancer en phase terminale - c'est un peu du reste ce qu'a retraduit M. Comte-Sponville quand, auditionné par notre commission, il a indiqué être favorable au suicide assisté. Le grand âge fait pourtant aussi partie de la vie.

Dr Sophie Moulias. - M. Comte-Sponville est sans doute celui qui a tenu les propos les plus âgistes pendant l'épidémie de covid-19, ce qui est d'ailleurs quelque peu étonnant au regard de son âge. Le grand âge fait pourtant partie de la vie. Ce n'est pas une maladie. Même à un âge très avancé, on meurt toujours de maladie. Les centenaires ont plusieurs maladies chroniques et à un certain moment, l'une leur dit qu'il est temps de partir. On peut mourir tranquillement dans son lit sans soins palliatifs et sans douleur abominables. Il y a, en réalité la confrontation d'une posture philosophique à une posture pratique. C'est pour cela que nous sommes très inquiets au sein de la société française de gériatrie et gérontologie. La vision que nous avons du grand âge est assez négative. Pendant l'épidémie de covid-19, nous avons bien vu que nous adoptions volontiers une posture dominante au nom de la vulnérabilité, consistant à imposer aux autres ce qui nous semblait le mieux pour eux.

Nous sommes tous âgés de notre âge et le vieux ou le jeune de quelqu'un d'autre. Lorsque nous évoquons la « dépendance » dans le grand âge, nous lui préférons le terme de « handicap » chez les plus jeunes, alors qu'il serait peut-être plus simple d'utiliser le terme de « handicap » pour tous. Aujourd'hui, comme je l'ai indiqué plus tôt, nous résumons très souvent le grand âge à la démence et à l'Ehpad. Les personnes ne demandent pourtant pas à mourir en Ehpad ; elles demandent, que ce soit par leur parole ou leur corps, à être accompagnées, soignées et soulagées, et c'est une nécessité à laquelle nous ne parvenons pas à faire face partout. À mon sens, la loi Claeys-Leonetti est une loi destinée à accompagner les personnes qui vont mourir, alors que les conclusions de la convention citoyenne sont des arguments pour ceux qui veulent mourir. Les deux approches sont différentes. En tant que gériatre, je n'ai rencontré que très peu de personnes qui souhaitaient mourir et demander expressément à ce que l'on raccourcisse leur vie. En revanche, il y a des personnes qui souhaitent être soulagées et accompagnées. Il y a également des personnes qui disent « j'aimerais bien être morte », notamment en raison de l'isolement, que ce soit d'ailleurs à domicile ou en Ehpad. La souffrance sociale, même si elle ne se double pas nécessairement d'une souffrance psychologique, est une réalité quotidienne. Pour cette réalité, la mort ne nous paraît pas une réponse acceptable si nous ne mettons pas autre chose en place à côté.

Pr Jacques-Olivier Bay. - Mon confrère a évoqué des maladies terriblement dramatiques avec des atteintes neurologiques. En cancérologie, nous avons malgré tout une certaine « chance », celle de pouvoir nous appuyer sur l'organisation mise en place par l'INCa et les différents plans Cancer, qui nous ont permis de prendre conscience de toute l'utilité que pouvaient présenter les soins de support, et en leur sein, la prise en charge palliative.

Je rejoindrai les propos de mes confrères. Il est assez rare, y compris en cancérologie, de faire face à une demande de fin de vie brutale. Je ne dis pas que cela n'existe pas ; ce serait incongru de l'affirmer et c'est du reste peut-être ce qu'il faut aujourd'hui prendre en compte. La question est toutefois également de savoir pourquoi les patients en arrivent à ce souhait. Je constate bien souvent dans ma pratique que la loi Claeys-Leonetti n'est pas très bien appliquée. Il faudrait pour cela sensibiliser les médecins, les personnels paramédicaux, mais également l'ensemble de la société. Cette application permettrait de dénouer nombre de situations qui sont extrêmement complexes aujourd'hui. Je souhaiterais que nous insistions sur ce point, plutôt que de privilégier des « raccourcis ». Je pense que nous pouvons arriver à ces extrémités-là si tout a été fait avant. Or je ne pense pas que ce soit le cas aujourd'hui.

Dr Emmanuel de Larivière. - Je ne peux que confirmer ces propos sur les demandes de mort anticipée. De mon expérience de treize ans en médecine palliative - mon métier précédent était la médecine d'urgence -, le nombre de patients que j'ai accompagnés et qui ont persisté dans leur demande se compte sur les doigts d'une seule main. Ce qui est nouveau, c'est qu'il y a peut-être une accélération, du fait aussi sans doute du contexte médiatique et d'une évolution des représentations de la société. Cela reste néanmoins très anecdotique. Faut-il modifier la loi pour cela ? Je ne pense pas.

Vous évoquiez la sclérose latérale amyotrophique ou maladie de Charcot qui nécessiterait une évolution de la loi. Je suis beaucoup de patients atteints de cette maladie et je pense qu'il est important de ne pas les stigmatiser et de ne pas faire de cette éventuelle nouvelle loi une loi qui leur serait destinée. Certains ressentent d'ailleurs actuellement cette stigmatisation, avec le sentiment qu'ils seraient peut-être de trop sur cette Terre. Je trouve ainsi quelque peu inadapté que la ministre ait repris dans une interview récente l'exemple de la maladie de Charcot.

Je pense par ailleurs qu'il est important de ne pas réduire la loi Claeys-Leonetti à la sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès. Cette loi s'inscrit dans le prolongement de la loi Leonetti. J'ai d'ailleurs été assez touché par une tribune récente de Claire Fourcade, présidente de la SFAP, publiée conjointement avec un député communiste dans Le Journal du Dimanche, et qui affirmait que la loi Claeys-Leonetti était un « trésor national ». Je pense également que c'est le cas et que cette loi nous aide quotidiennement dans notre pratique de soins. Si nous instaurions une loi permettant l'administration d'un produit létal, ce serait effectivement un changement de direction. Nous nous occupons des patients qui vont mourir. S'il faut faire une nouvelle loi pour les patients qui veulent mourir, nous changerions de paradigme. Ce ne serait pas un prolongement des lois précédentes avec tout l'impact possible pour les professionnels de santé.

M. Bernard Jomier. - J'ai deux questions à vous poser. Monsieur de Larivière, vous avez rappelé dans votre première intervention que l'obstination déraisonnable était encore une réalité aujourd'hui. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? Quels sont ses mécanismes ? Est-ce lié aux proches, aux soignants ?

Ma deuxième question nous amène au coeur du débat. Il est incontestable que nos concitoyens sont majoritairement favorables à l'ouverture d'un droit pour chacun à décider de sa fin de vie. La convention citoyenne a toutefois montré que le fait d'entrer dans les modalités d'application faisait apparaître une grande complexité et une grande diversité d'opinions. Il est tout aussi incontestable que l'ensemble des sociétés savantes et la très grande majorité des professionnels des soins palliatifs ne sont pas favorables à une évolution de la loi.

Le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), dans son dernier avis, a tenté de concilier ces positions, en prévoyant une liste de conditionnalités très strictes, notamment en termes d'égalité d'accès de l'ensemble de nos citoyens aux soins palliatifs. Comment proposez-vous d'avancer ? Comment faire en sorte que les soins palliatifs soient une réalité dans notre pays et que dans un certain nombre de situations, peut-être très limitées en nombre, ce droit à une aide active à mourir puisse être ouvert à nos concitoyens ?

Mme Annick Jacquemet. - Professeur Honnorat, vous avez affirmé qu'un seul patient en 30 ans vous avait demandé cette aide à mourir. Pensez-vous que la difficulté vient plus de la famille ? Est-ce, en quelque sorte, elle qui souffre davantage ou du moins qui a le plus de mal à accepter ce départ qui approche ? L'accompagnement de la famille est-il aujourd'hui suffisant ? Nous avons tous vécu des situations complexes au niveau personnel et il peut être difficile de faire la part des choses en tant que législateur. Un membre de ma famille a, par exemple, demandé cette assistance à mourir en Suisse. Que faisons-nous pour ces personnes, même si elles restent peu nombreuses ? La convention citoyenne sur la fin de vie montre bien qu'il y a une évolution dans la société et je pense que nous nous devons d'y apporter une réponse. Nous savons en parallèle qu'il manque terriblement de médecins et d'unités de soins palliatifs. Comment les développer ?

M. Olivier Henno. - Je crois qu'il existe une quête éternelle de l'humanité pour prolonger la vie. Du point de vue des opinions occidentales, se pose toutefois désormais la question du sens de cette quête si survient une situation de dépendance. C'est ce que traduit, je pense, la convention citoyenne. Par rapport à ce basculement, plusieurs attitudes sont possibles. Au-delà de la législation, il n'y a d'ailleurs pas nécessairement besoin d'une aide pour partir, ce que traduit l'acte du suicide. Cette peur de la dépendance est, je crois, en tout cas, une réalité dans l'opinion. Quelle est votre position à ce sujet ? Avez-vous, par ailleurs, des échanges avec les sociétés savantes des pays qui ont légiféré sur l'aide à mourir, comme la Suisse ou la Belgique ?

M. Daniel Chasseing. - Les personnes en bonne santé affirment souvent qu'elles préféreraient mourir plutôt que vivre en situation de dépendance. Néanmoins, lorsque les personnes sont dépendantes ou ont des maladies extrêmement graves, elles demandent plutôt un accompagnement, avant éventuellement, à la toute fin, une sédation profonde et continue. Je pense que la loi Claeys-Leonetti est, de ce point de vue, très pertinente. Au sein de certains pays, notamment les Pays-Bas, certains spécialistes pensent d'ailleurs qu'avec un meilleur développement des soins palliatifs, il n'y aurait pas eu de loi sur l'euthanasie ou le suicide assisté.

En France, la convention citoyenne a eu le mérite de faire connaître les soins palliatifs. Ne faudrait-il pas simplement augmenter le personnel de ces services au sein de l'ensemble des départements et renforcer les unités mobiles, qui sont très utiles à domicile et en Ehpad ?

Pr Jacques-Olivier Bay. - Il est vrai que chacun évolue naturellement de position au cours de sa vie, notamment à l'occasion de problèmes de santé. Il faut ainsi toujours garder à l'esprit que les changements d'opinion sont constants.

Nous sommes aussi naturellement influencés par nos expériences personnelles, y compris en tant que médecins. À la fin de ma carrière, je garderai par exemple en mémoire quelques situations de patients qui m'auront marqué. Or ces situations peuvent, malgré tout, entraîner une distorsion dans nos mécanismes de raisonnement.

Je ne suis pas certain au titre de la Société française du cancer qu'il y ait une opposition à la prise en compte de situations dramatiques pour lesquelles une fin de vie, que ce soit par suicide assisté ou par euthanasie, puisse être requise et encadrée par une loi. Avant d'en arriver là, il faut toutefois être certain que tout ait pu être réalisé. Dans nos professions, nous assistons en effet surtout à une incapacité à proposer tous les soins de support qui seraient nécessaires.

Dr Sophie Moulias. - Je souhaiterais revenir sur la notion d'obstination déraisonnable que vous avez soulevée. Aujourd'hui, les citoyens ne connaissent pas les soins palliatifs. Ils ne connaissent pas les dispositifs légaux de personne de confiance ni la possibilité d'écrire ses directives anticipées, même si ceci est très complexe. Il est en effet très difficile d'imaginer sa propre mort si l'on n'a pas déjà expérimenté des situations personnelles ou de proches posant de manière aiguë des problématiques sur la fin de vie. En gériatrie, les familles demandent la vie, surtout depuis les « années covid-19 » où la réanimation a été vue comme salvatrice. Dans le grand âge, ce n'est pourtant pas le cas : les patients, pour de nombreuses raisons, vivent mieux lorsqu'ils ne vont pas en réanimation.

Si une loi peut s'avérer pertinente, encore faut-il en parallèle donner les possibilités de son application. La loi Claeys-Leonetti et la loi Leonetti, qui a permis le refus de soins et a posé clairement la question de l'obstination déraisonnable, sont, en ce sens, utiles, mais encore faut-il savoir comment qualifier la notion d'obstination déraisonnable et quels autres soins il est possible de proposer. La situation en soins de confort et de support est, en effet, loin d'être uniforme sur le territoire et nos concitoyens s'interrogent sur les possibilités offertes au-delà du soin curatif. Aucun d'entre nous n'abandonne ses patients, mais les citoyens ne le savent pas.

Aujourd'hui, le suicide n'est pas interdit en France, mais reste moralement très pénalisé. En tant que professionnels, nous avons l'obligation de réanimer une personne qui a cherché à se suicider. Cette obligation entrerait en conflit avec une éventuelle loi sur le suicide assisté. Ceci est bien mis en avant du reste par la Société française d'anesthésie et de réanimation. Le suicide, sans assistance, existe aussi dans le grand âge.

S'agissant du sens de prolonger la vie dans une situation de dépendance, cette question renvoie à la valeur de la vie. Jusqu'à présent, la vie vaut du jour de la naissance au jour de la mort. Faudrait-il moins considérer la vie en cas de grande dépendance ? Nous rencontrons également des familles qui projettent leur propre souffrance sur l'état du sujet. Nous n'avons pas de réponse philosophiquement, mais ces personnes présentent également des signes de vitalité, et ce, malgré leur grande dépendance. Humainement, accompagner ces personnes n'est pas un non-sens dans les pratiques médicales.

Cela rejoint également la question de l'anticipation. Je ne suis pas certaine que les directives anticipées soient, à cet égard, un outil très pratique. Néanmoins, échanger avec ses proches et son médecin traitant est, dans tous les cas, extrêmement utile, d'autant plus si un risque médical se profile. Toutes les études montrent néanmoins que les personnes veulent de la quantité de vie, pour voir leurs petits-enfants grandir ou voir le jour encore une nouvelle fois.

Nous échangeons avec la société belge et la société suisse, qui font partie des sociétés francophones de gériatrie et gérontologie. À chaque séminaire, une réflexion est menée sur les situations d'aide médicale à mourir. Chacune d'entre elles nous envie la loi Claeys-Leonetti. Elles sont notamment inquiètes de certains débordements, notamment s'agissant de l'augmentation d'actes pour des malades atteints d'Alzheimer, qui ont exprimé à un moment de leur vie, avant d'être atteints, qu'ils préféreraient partir plus vite en cas de maladie. Ces actes, qui se développent, ne sont, en outre, pas toujours déclarés. Une publication à ce sujet vient de le mettre en évidence aux Pays-Bas.

Si pour le suicide, les soignants ne sont pas nécessaires, ce n'est pas le cas pour l'euthanasie. Je crois toutefois sincèrement qu'il faut communiquer auprès de nos concitoyens. Les soins palliatifs ne sont pas suffisamment développés et certains éléments que nous réclamions depuis la loi Claeys-Leonetti n'ont pu voir le jour qu'après la deuxième vague de covid-19. Nous souhaiterions avant tout que cette insuffisance soit comblée pour proposer un accompagnement et un soin de qualité avant de proposer autre chose, qui sera peut-être nécessaire pour la société. Pousser la vie jusqu'au bout parfois au prix de l'acharnement thérapeutique ou bien ne rien faire n'est pas une alternative acceptable pour les professionnels que nous sommes.

Dr Emmanuel de Larivière. - Je n'ajouterai que quelques éléments. S'agissant des moyens, l'ensemble des professionnels de santé, quelle que soit leur spécialité et quel que soit leur mode d'exercice, doivent se saisir de la question de la fin de vie. Le développement d'une culture palliative est, en ce sens, indispensable, alors que chaque médecin généraliste accompagne aujourd'hui en moyenne deux à trois patients en fin de vie par an. Une réflexion doit être menée sur la notion d'obstination déraisonnable, qui est une réalité importante, car beaucoup de professionnels de santé ne prennent pas ce temps de la délibération collégiale. Celle-ci doit impliquer les médecins, mais également les infirmiers, les aides-soignants et le médecin traitant lorsqu'il est disponible. Aujourd'hui, il est encore malheureusement souvent plus simple de continuer les traitements, même s'ils n'ont plus vraiment de sens ou que le patient n'en souhaite plus. Beaucoup de patients ne savent pas, du reste, qu'il est possible de refuser la mise en route d'un traitement ou de demander son arrêt.

Je suis marqué par le cas d'une patiente très âgée, présentant une démence très avancée et une altération très importante de son état général, dialysée depuis une dizaine d'années avec une réflexion sur le maintien de cette dialyse qui n'arrive pas à aboutir depuis un an, alors que la personne risque de mourir dans les jours ou les semaines qui viennent.

Concernant les relations avec les autres sociétés savantes, je vous invite à consulter la chaîne YouTube de la SFAP. Nous menons très régulièrement des conférences avec les sociétés françaises et étrangères. La dernière concerne la Société de soins palliatifs d'Autriche, puisque ce pays a légiféré sur le suicide assisté. Nous avons également des échanges avec les Suisses, les Belges, les Néerlandais ou encore les Canadiens. Beaucoup d'entre eux nous disent d'ailleurs que les soins palliatifs ont plutôt été freinés par les votes de ces lois, contrairement à ce qui avait été promis.

Pr Jérôme Honnorat. - Beaucoup de choses ont déjà été dites. Je souhaiterais simplement revenir sur certains sujets avec des angles quelque peu différents.

L'obstination et le traitement déraisonnables existent, mais il faut imaginer le courage qu'il faut aux professionnels de santé pour dire aux patients les yeux dans les yeux : « nous allons arrêter de traiter la maladie et faire des soins palliatifs ». Les soins palliatifs ne sont, en effet, généralement pas compris. Ils sont considérés comme la fin de la vie. Or il s'agit d'une réorientation de la prise en charge. Au lieu de continuer à se battre contre une maladie, on va se concentrer sur le confort du patient et l'accompagner dans le temps qui est susceptible de lui rester, temps qui est non mesurable. J'ai d'ailleurs connu un patient en soins palliatifs pendant trois ans pour une tumeur cérébrale. Il y a, à cet égard, un problème de formation. Il faut, en effet, beaucoup de courage pour échanger avec un patient et sa famille sur les soins palliatifs. Il est bien plus facile de proposer une nouvelle chimiothérapie « pour la route ». Il y a également la question de l'urgence. Des patients peuvent, en effet, se retrouver en réanimation, car leur prise en charge n'était plus adaptée.

Le droit de décider de sa fin de vie est, à mon sens, un fantasme. Personne ne peut prévoir ce qui va lui arriver et décider de la façon dont cela peut se produire, sauf en se suicidant, évidemment.

Personne n'a évidemment envie d'être dépendant. Pourtant, certains événements de la vie peuvent entraîner un handicap. J'ai rencontré récemment quelqu'un qui n'avait ni bras ni jambes, qui vivait et qui avait même rencontré l'amour. Il n'est pas toujours nécessaire d'être indépendant pour vivre. Cette situation est évidemment toujours difficile. Néanmoins, j'explique systématiquement à mes patients qui ont des difficultés de marche et à qui je prescris un fauteuil roulant qu'il y a, au fond, peu de différence entre un fauteuil roulant et une voiture et qu'avec un fauteuil, on peut au moins se déplacer et réaliser certains actes de la vie quotidienne. La dépendance est relative. On peut vivre avec un handicap, et parfois même mieux qu'en n'étant pas handicapé.

Il faut, par ailleurs, expliquer la notion de soins palliatifs auprès de la société. Une éducation est, sur ce point, nécessaire.

Les échanges avec les sociétés savantes, notamment suisse et belge, sont assez paradoxaux. Nous avons également l'impression que deux mondes coexistent. Ceux qui requièrent le suicide assisté ou l'euthanasie sont des patients parallèles. Un neuro-oncologue suisse ou belge travaille pourtant de la même façon qu'un neuro-oncologue français. Il n'a pas parmi ses patients un volume beaucoup plus important de cas exceptionnels qui demandent la mort.

Que faire pour ces cas exceptionnels ? Je n'ai pas de solution. Je pense simplement que nous sommes très en dessous de ce que nous pourrions proposer en termes d'accompagnement. L'accompagnement de l'annonce du diagnostic prévu dans le cadre du plan cancer est encore un idéal loin d'être atteint, car nous n'avons pas les moyens ni les professionnels suffisants. Sur l'accompagnement de la fin de vie, nous sommes à des années-lumière de ce que nous devrions proposer.

Mme Florence Lassarade. - En tant que pédiatre, j'ai pu constater que la loi Claeys-Leonetti avait permis l'accompagnement en soins palliatifs en salle de naissance et avait contribué globalement à d'importants progrès. J'ai toutefois été interpellée par un patient atteint de la maladie de Charcot, qui m'a demandé d'évoquer, lorsque je serai parlementaire, le rôle des patients experts dans les débats.

Dans les milieux ruraux, j'ai l'impression que les patients ne sont, bien souvent, pas accompagnés. J'ai connaissance de personnes qui, aujourd'hui encore, meurent d'un cancer du pancréas dans les bras de l'infirmière dans d'atroces souffrances. Les soins palliatifs à domicile n'existent quasiment pas. J'ai accompagné mon mari atteint d'un cancer : quand, deux jours avant de mourir, il m'a affirmé que cela faisait deux jours qu'il souhaitait qu'on l'aide à mourir et que personne ne l'écoutait, je lui ai dit que cela n'allait pas tarder et cette parole a suffi à calmer son anxiété. Néanmoins, lorsque j'ai demandé à l'Institut Bergonié - dont il dépendait et qui ne nous a absolument pas accompagnés sur ce chapitre -, quel serait le protocole de fin de vie à domicile, celui-ci m'a indiqué que ce que je ferais serait beaucoup trop dangereux. C'est une réponse absurde ! L'accompagnement à domicile serait pourtant idéal pour bien des personnes. Sur le terrain, il n'y a pas eu de progrès, à mon sens, depuis les années 1990. Mon père, en tant que médecin généraliste, a accompagné de nombreux patients en fin de vie à domicile. Aujourd'hui, ce sont les infirmières qui sont encore très régulièrement confrontées à ces situations. Faut-il finalement protéger tous les acteurs de tout ou affronter les situations, poser les vraies questions et s'en référer aux patients experts ?

Mme Raymonde Poncet Monge. - Chacun s'accorde à dire qu'il faut une culture palliative et des soins palliatifs partout, mais il faut également arrêter de s'interdire de penser aux cas exceptionnels. Je suis allée en Suisse avec les ministres ; personne n'affirme que ces cas sont nombreux. Néanmoins, il faut les prendre en compte, d'autant plus que cela permettrait un certain apaisement au sein de la population générale. Aujourd'hui, soit ces cas exceptionnels sont gérés par un réseau médical de proximité, soit ils sont résolus à l'étranger, comme le montre d'ailleurs l'excellent film Les mots de la fin. Je regrette qu'il ait fallu se rendre en Suisse pour rencontrer une équipe palliative qui pensait qu'un accompagnement avec un suicide assisté était possible pour ces cas exceptionnels.

En France, il est malgré tout étonnant qu'aucune personne travaillant dans les soins palliatifs ne comprenne certaines des conclusions de la convention citoyenne. Il ne faut pas accuser la population de méconnaissance. Il existe, malgré tout, des cas irréductibles. Il y a quelque temps, des responsables de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs nous avaient indiqué qu'ils démissionneraient tous si la loi passait. Il y a quand même un problème français dans cette opposition tranchée de ces services. Il faut rappeler que les Suisses ont, malgré tout, développé les soins palliatifs avant de mettre en place un dispositif de suicide assisté.

Je souhaiterais terminer mon propos sur la sédation profonde et continue. Dans les cas où elle est pratiquée, il s'agit malgré tout d'un processus de mort qui s'enclenche, puisque le geste est irréversible. Nous ne décidons toutefois pas du moment. La demande dans ces cas-là serait justement de pouvoir en décider, afin que les proches du malade puissent être présents.

Mme Corinne Imbert. - Ma question fera référence à la recommandation n° 15 de l'avis 139 du CCNE : qu'est-ce que, pour vous, un « pronostic vital engagé à moyen terme » ?

Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Que répondez-vous à ceux qui opposent le droit à mourir au devoir de vivre ?

Vous avez tous souligné avoir rencontré très peu de personnes demandant à mourir au cours de vos carrières respectives. D'après le philosophe Jacques Ricot, que nous avons auditionné, on estime à 0,3 % la part des personnes en fin de vie qui réclament une euthanasie. Pensez-vous que si l'on dépénalisait l'euthanasie, le nombre de demandes augmenterait ? Nous nous sommes rendus en Belgique et un médecin soulignait qu'il avait reçu 42 Français l'année dernière ayant demandé l'euthanasie.

Pour finir, Dr Moulias, vous évoquiez l'isolement des personnes âgées qui pourraient, peut-être par solitude, s'orienter vers ce type de demande. Marie de Hennezel, dans une tribune récemment publiée dans Le Monde, mettait en évidence la possibilité d'une troisième voie entre l'acharnement thérapeutique et l'euthanasie, à savoir le respect du souhait du patient en fin de vie de ne plus s'alimenter. Avez-vous rencontré des situations de ce type ?

Mme Michelle Meunier. - Si la sédation profonde et continue jusqu'au décès n'est effectivement pas la seule mesure de la loi Claeys-Leonetti, elle est malgré tout la mesure qui avait été la plus débattue. Quelle avait été votre position sur le sujet en tant que soignant ?

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous assimilons souvent euthanasie et suicide assisté, alors que ces notions sont quelque peu différentes. Pensez-vous qu'autoriser le seul suicide assisté serait préférable ?

Dr Emmanuel de Larivière. - Le suicide assisté consiste à aider une personne qui réclame une mort anticipée à pouvoir se suicider, c'est-à-dire à lui procurer les produits qui lui permettront de se suicider. Le modèle suisse est organisé autour d'associations qui vont accueillir la personne et lui procurer les produits à administrer par la bouche ou par voie intraveineuse, mais c'est le malade lui-même qui va faire le geste. Dans le cadre du modèle américain, celui de l'Oregon, le malade fait la demande auprès d'un médecin qui établit la prescription, puis se rend à la pharmacie et fait ce qu'il veut du produit chez lui.

L'euthanasie fait, quant à elle, intervenir le soignant, qu'il soit médecin ou infirmier. Ceci vient, à mon sens, changer la relation des soignants avec leurs patients et entourages. Dit autrement, donner la mort ne peut, à notre sens, être un soin ; il ne faut pas mélanger les deux.

Si l'euthanasie ou le suicide assisté était légalisé, personne ne serait évidemment obligé de s'orienter vers ce choix. Néanmoins, tout le monde se poserait la question et devrait se la poser.

La notion de « pronostic vital engagé à moyen terme » est très difficile à définir. Le « court terme » a été défini comme allant de quelques heures à quelques jours dans le cadre des orientations de la SFAP ensuite reprises par la HAS. Le moyen terme va ainsi, sans doute, de quelques semaines à quelques mois. Dans mon expérience, il est toutefois très difficile de savoir si le patient va vivre encore trois, six ou douze mois. Lorsque le patient entre dans une période de fragilité, nous savons qu'à n'importe quel moment, son état peut se dégrader et la mort peut survenir. Je pourrais définir le moyen terme par une réponse négative que j'apporterais à la question « seriez-vous surpris si tel patient décédait dans les six à douze prochains mois ? ».

Les malades sont très fragiles, changent et ont des envies différentes. Je rejoins le Pr Bay quand il soulignait que l'esprit humain varie fortement en fonction de l'évolution de la maladie et des symptômes.

Pr Jérôme Honnorat. - S'agissant des soins palliatifs à domicile, il est certain que la situation en termes d'accès est extrêmement hétérogène sur le territoire. À Lyon, les soins palliatifs sont très développés, mais c'est moins le cas dès que l'on quitte l'agglomération. Le médecin traitant doit, en tout cas, être le pivot de la prise en charge de ses patients et, de ce point de vue, un changement culturel se fait jour : les médecins traitants ne sont pas ceux que l'on a connus il y a 40 ou 50 ans. Ceci doit être pris en compte dans le développement des soins palliatifs à domicile.

L'intervention du patient expert est effectivement encore confidentielle et il faut la développer.

La notion de « pronostic vital engagé à moyen terme » a une définition souple, ce qui est, à mon sens, très positif pour prendre en compte collégialement la situation propre à chaque patient. En revanche, il faut une maladie ou un processus en cours qui va conduire au décès. Il ne doit pas s'agir d'un handicap fixe.

Sur la notion de droit à mourir, je ne suis pas juriste, mais je ne comprends pas ce que vient faire le droit dans cette affaire. La mort va nous arriver à tous. Je ne pense pas qu'il soit pertinent de légiférer sur cela. Je reconnais parfaitement les demandes de certains patients. Quel cadre légal prévoir pour ceux qui sont incapables de se suicider du fait de leur handicap ? Ceci est exceptionnel. Faut-il, pour cela, adopter une loi ouvrant bien d'autres possibilités que la seule résolution de ces cas exceptionnels ? Je n'en suis pas certain.

Sur l'anorexie finale, je n'ai jamais observé de tels cas dans ma pratique quotidienne, mais je laisserai les spécialistes de gériatrie répondre.

Quant aux anciennes pratiques, je pense qu'elles méritent qu'on les recouvre d'un voile pudique. Les choses étaient faites en fonction de la loi et des circonstances, pas toujours bien. Je pense que l'on fait beaucoup mieux dans la prise en charge de la fin de vie que l'on ne le faisait il y a 40 ans.

Pr Jacques-Olivier Bay. - J'aimerais vraiment que nous ne donnions pas l'impression d'une opposition entre le monde médical et les citoyens. Nous sommes aujourd'hui insatisfaits de l'application de la loi Claeys-Leonetti. Au fond, nos réticences s'expliquent par le fait que nous n'avons pas l'impression d'avoir tout fait pour ne pas en arriver là. Ceci ne signifie pas qu'une loi n'est pas nécessaire, mais notre réticence est surtout liée à cette insatisfaction que nous ressentons au quotidien. Les inégalités territoriales, de ce point de vue, sont majeures. Dans certains endroits, le seul référent est le médecin traitant. Or le monde change, les médecins aussi et leur investissement évolue.

D'un point de vue médical, il existe une vraie différence entre aider un patient à mourir en l'endormant, en assistant, en faisant en sorte que la famille soit présente et en passant du temps, qui ira de quelques heures à quelques jours. Il s'agit d'un temps qui est majeur pour le deuil. Notre société doit accepter que la mort existe et que nous ne puissions pas décider de tout, mais qu'un accompagnement reste possible. Lorsque vous pratiquez une euthanasie, vous avez un stéthoscope sur un thorax et un coeur qui s'arrête. La différence est majeure. Mon confrère a évoqué le droit à mourir, je pense que nous avons un devoir à mourir. Madame la sénatrice Poncet Monge, vos propos sur la convention citoyenne m'ont bouleversé. Vous nous renvoyez à nous-mêmes. Cette insatisfaction par rapport à ce que nous faisons aujourd'hui nous conduit toutefois à ne pas souhaiter franchir un nouveau pas.

Quant au « pronostic vital engagé à moyen terme », l'incertitude de cette notion nous sert. Le rôle des familles a été rappelé. Ce sujet est extrêmement complexe. Certains patients vont souffrir beaucoup, vouloir avoir envie de mourir, mais changer d'avis le lendemain. Les familles peuvent également vous reprocher d'avoir dit la vérité au patient. À l'inverse, d'autres peuvent vous critiquer de ne rien avoir dit. Nous sommes dans des situations qui touchent à l'humain et sur tous ces sujets, il n'est pas facile de légiférer.

La formation des médecins et des équipes paramédicales aux soins palliatifs est, en revanche, majeure. Cette formation doit également s'entendre vis-à-vis de nos concitoyens, afin de mettre en évidence auprès d'eux qu'il existe d'autres possibilités permettant d'accompagner les malades dans des conditions satisfaisantes.

Madame la sénatrice Lassarade, vous avez rencontré une situation difficile et nous en avons tous connu, et nous en aurons encore. Je reste convaincu que la notion de patient expert est fondamentale. Il faut nous appuyer davantage sur les citoyens, qu'ils soient malades ou non d'ailleurs, même si les modalités de mise en oeuvre de ce principe sont sans doute plus complexes à définir. Néanmoins, celui qui sait le plus reste malgré tout l'usager. Ceci simplifierait en outre certaines problématiques, notamment en termes de moyens, vis-à-vis de nos administrations. L'organisation des soins que vous avez vécue est malheureuse. L'Institut Bergonié a, malgré tout, je pense, une organisation de prise en charge compétente, ce qui n'exclut pas certaines difficultés.

Dr Sophie Moulias. - Je suis d'accord avec les propos qui ont été tenus par mes confrères.

Nous n'avons pas pour métier d'écrire la loi et nous ne nous opposons pas à la réglementation si tant est que nous disposions des moyens pour la mettre en oeuvre. Il faut néanmoins écrire la loi avec ceux qui sont censés la porter. C'est la raison d'ailleurs pour laquelle nous vous remercions de nous avoir conviés à une telle audition.

Nous sommes toutefois inquiets des applications, des dérives possibles et de l'imprécision autour des questions de savoir qui pousse la seringue et qui administre les médicaments - ce qui renvoie à la différence entre le suicide assisté et l'euthanasie.

Le vocabulaire est riche : les soins palliatifs, les soins de confort, les soins de support... Néanmoins, quel que soit le terme utilisé, de nombreuses études montrent que si l'on met en place de tels soins très rapidement après un diagnostic de cancer par exemple, les patients vivent plus longtemps et se sentent souvent mieux. Il y a une question de temporalité.

Nous accompagnons tous des patients atteints de maladies chroniques, mortelles à court, moyen ou long terme. Cet accompagnement, s'il ne peut pas être réalisé correctement, doit prendre le temps de l'humanité, le temps d'être présent à l'autre, de répondre à ses inquiétudes, à ses questions existentielles, de donner des explications sur le geste médical, sur la façon dont le patient risque de mourir, également pour prévenir les aidants. Or ce temps n'est pas mis en place comme nous le souhaitons. Je travaille dans les Hauts-de-Seine, un département qui n'est pourtant pas parmi les plus mal lotis. Or il n'y a plus assez de médecins traitants et nous avons dû fermer une des équipes mobiles de soins palliatifs, faute de combattants ou, je dirais, faute d'âmes, faute de bras. Aujourd'hui encore, pour les patients, le recours à un psychologue n'est pas pris en charge, excepté dans le cadre des équipes mobiles.

L'accompagnement pourrait ainsi être pensé autrement. Il y a des métiers à créer. Aujourd'hui, ce n'est porté que par le bénévolat. Tous les autres pays qui ont écrit leur loi d'aide médicale à mourir l'ont toutefois fait il y a quelques années, avant le covid-19. Nous, nous réfléchissons après le covid-19, période pendant laquelle les soignants étaient en première ligne pour accompagner, pour injecter, ne pas injecter, ne pas avoir les médicaments ou ne pas avoir le droit aux médicaments, comme en Ehpad... Il leur est aujourd'hui demandé d'arrêter l'accompagnement et de passer à autre chose. Ce n'est pas nécessairement la réalité, mais c'est du moins ce raccourci psychique qui est ressenti. Se pose également, comme on l'a vu pendant le covid-19, la question du rapport au corps mort, de l'accès et du soutien aux proches après la mort du patient.

Les interrogations sont ainsi multiples. Si j'ai le droit à l'euthanasie, est-ce que je peux mourir chez moi, ou, si je ne fais pas ce choix, serais-je contraint d'aller à l'hôpital, car il n'y a pas d'hospitalisation à domicile dans mon périmètre ? Nous savons aujourd'hui que les branches de l'alternative ne se valent pas.

Nous sommes dans une société de l'immédiateté. Or il est proposé, d'un côté, une solution certaine et rapide, et de l'autre, une situation caractérisée par l'incertitude avec un accompagnement loin d'être toujours optimal. Aujourd'hui, de nombreux médecins refusent par exemple de prendre de nouveaux patients de plus de 60 ans, ce qui pose un vrai problème d'accès aux soins.

S'agissant des patients experts, nous travaillons pour notre part avec un tel patient. Celui-ci nous a par exemple fait remonter qu'il n'y avait pas d'accompagnement suffisant des familles. Sur ce point, l'accompagnement médical ne suffit pas. Il porte, en effet, sur des éléments très techniques et se place dans le temps de la mort, et non nécessairement dans le temps empathique.

S'agissant de la notion de « pronostic vital engagé à moyen terme », après 80 ans, le pronostic vital est en permanence engagé. Je suis d'accord avec mes collègues sur l'intérêt de conserver ce flou, car celui-ci permet d'échanger avec le patient et avec sa famille. Les discussions anticipées ont, dans ce cadre, tout leur intérêt. Les soignants peuvent, à un moment, inviter le patient à examiner s'il a des choses à faire, à organiser ou s'il souhaite voir ses proches, ce qui permet de s'orienter vers une autre dynamique. Le patient peut aussi choisir d'indiquer qu'il ne veut pas aller plus loin si la situation s'aggrave. Nous pouvons alors opter pour la sédation profonde et continue. Celle-ci est très souvent anticipée après un échange avec les patients. Certains, au contraire, le moment venu, ne veulent pas de morphine. Il est alors nécessaire de leur expliquer que ce n'est pas la morphine qui tue, mais la maladie et que la morphine soulage, le sommeil étant une autre drogue.

Si la loi est publiée, la demande augmentera-t-elle ? Je pense qu'il y aura nécessairement un effet d'annonce. D'ailleurs, la société belge nous a expliqué que de nombreuses demandes avaient été reçues à la mise en place de la loi, avant qu'une stabilisation ne soit constatée.

Il reste la question de la culpabilisation. À défaut d'accompagnement, quand on est très âgé, très handicapé, le droit n'est finalement plus le même, tant au niveau économique qu'au niveau de la santé. On sent bien que l'on devient un poids pour la société. Cette réflexion se rencontre chez les plus âgés, mais également chez les patients atteints de la maladie de Charcot qui commencent à s'interroger sur leur droit à vivre. Il ne faudrait pas que cela soit de ce fait-là. L'humain est assez ambivalent de ce point de vue. J'ai travaillé pendant six mois à Genève et j'ai rencontré des patients qui se reprochaient de ne pas avoir saisi le droit à mourir qu'ils avaient sollicité au regard de l'argent qu'ils avaient consacré à cette demande et qui ne serait pas donné à leurs enfants. Ils n'arrivaient pourtant pas à franchir ce pas-là. De même, lorsque l'on examine les statistiques de l'Oregon, il apparaît que de nombreuses personnes ne prennent pas les médicaments qu'elles ont pourtant demandés, ce qui pose d'ailleurs également la question du sort de ces substances.

Quant à l'anorexie, elle existe dans le grand âge dans les postures de repli qui sont observées en particulier aux entrées en Ehpad. Au bout d'un moment, soit les personnes ont accepté leur situation, surtout si elles continuent à être stimulées et entourées, soit elles restent dans une posture de refus d'alimentation. Il s'agit d'une posture potentiellement dépressive. Il s'agit également d'un refus de soin, puisque l'alimentation est un soin. Les familles demandent alors généralement immédiatement la pose de sondes naso-gastriques. Néanmoins, si quelqu'un a décidé qu'il allait mourir, à cet âge-là, il partira, quoi qu'on fasse. Mettre de la technicité ne sert à rien et ne fait que complexifier le processus. Il faut ainsi se donner un temps d'approche à l'autre, et non abandonner le patient à son sort faute de moyens. En Ehpad, il faut un médecin traitant qui prenne le temps d'examiner le patient et un médecin coordonnateur. Pourtant, au moins 30 % des Ehpad ne comptent pas de médecin coordonnateur. Ceci fait également partie des problématiques d'accompagnement que nous rencontrons au quotidien.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie pour cette audition.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de Mme Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

(Mardi 6 juin 2023)

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous recevons Mme Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, au sujet de la fin de vie. J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.

Cette audition s'inscrit dans le cadre des travaux sur la question de la fin de vie menés par nos rapporteures, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Imbert et Michelle Meunier, ou en plénière avec une table ronde sur les enjeux philosophiques, une autre sur les enjeux juridiques de ce sujet, ainsi qu'une audition conjointe de sociétés savantes. Par ailleurs, nous entendrons demain matin la présidente du comité de gouvernance et quatre membres de la convention citoyenne.

Madame la ministre, nous savons que vous avez beaucoup travaillé sur ce sujet qui concerne chacun d'entre nous. Nous attendons un éclairage sur les intentions du Gouvernement en matière d'évolution du droit et de mise à disposition réelle des soins palliatifs pour nos concitoyens. Nous souhaitons également que vous nous précisiez le calendrier envisagé par le Gouvernement pour l'examen d'un projet de loi, le cas échéant.

Mme Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministère de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de sa santé. - Permettez-moi en préambule, madame la présidente, de vous remercier pour cette invitation. Je sais la qualité des travaux que vous menez au sein de la commission des affaires sociales. J'ai suivi avec attention les travaux de la mission que vous avez lancée et me tiens à votre disposition pour répondre à vos interrogations sur ce sujet essentiel de la fin de vie.

Comme vous le savez, le Président de la République a souhaité, le 13 septembre dernier, ouvrir un débat national sur la fin de vie dans le prolongement de la remise de l'avis 139 du Comité consultatif national d'éthique (CCNE). Cette première étape s'est conclue par la remise du rapport produit par les 184 citoyens réunis pendant quatre mois dans le cadre de la Convention citoyenne sur la fin de vie, et le Président de la République a fixé, le 3 avril dernier, les orientations sur lesquelles il souhaitait que nous cheminions collectivement.

Le travail que nous venons d'engager dans cette deuxième phase repose sur deux piliers. Il s'agit d'abord de l'élaboration et de la mise en oeuvre, d'ici à la fin de l'année 2023, d'une stratégie décennale avec trois volets : les soins palliatifs, la prise en charge de la douleur et l'accompagnement de la fin de vie.

Le Président de la République a également annoncé l'élaboration d'un projet de loi d'ici à la fin de l'été, sur lequel je reviendrai ultérieurement.

Il me paraît utile de rappeler brièvement les travaux que le Gouvernement a menés simultanément à ceux de la Convention citoyenne pendant la première phase du débat national sur la fin de vie. L'action a ainsi conjugué les travaux de la Convention citoyenne sur la fin de vie et ceux de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, dans le prolongement des travaux de la mission d'information sur l'état des lieux des soins palliatifs réalisés par votre commission en septembre 2021. Nous prévoyons également de nous appuyer sur les travaux d'évaluation de la politique de développement des soins palliatifs par la Cour des comptes, dont la remise du rapport est prévue pour fin juin 2023.

Pour une mise en perspective des enjeux identifiés sur la fin de vie dans notre pays, j'ai souhaité articuler nos travaux autour de trois volets. Le premier volet concerne la liberté de choisir en fin de vie, avec les réponses que nous serons en mesure d'apporter à la question posée par le CCNE dans son avis 139 de septembre 2022. Le deuxième volet a pour objet de dresser un état des lieux des modalités de développement des soins palliatifs, avec les enjeux d'égalité, d'accès à la formation des professionnels de santé ou encore d'information de nos concitoyens, comme les directives anticipées. Le troisième volet, quant à lui, est dédié au sujet essentiel de l'accompagnement de la fin de vie et du deuil, avec, notamment, la place et le rôle des aidants ; nous avons tous en mémoire des situations personnelles dramatiques durant la crise de la covid-19, et nous menons un travail en ce sens.

Je souhaiterais d'abord vous présenter la méthode qui a été la mienne depuis le mois d'octobre dernier, avant de revenir sur les premiers enseignements et d'esquisser quelques pistes pour la suite.

Le Gouvernement a souhaité engager les travaux en cours de concertation en s'appuyant sur les travaux d'évaluation rendus par différentes instances. Sans prétendre à l'exhaustivité, je pense aux rapports de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la mort à hôpital en 2009, sur le registre national des directives anticipées en 2015, et sur les soins palliatifs et la fin de vie à domicile en 2017. Nous avons également pris en compte les travaux d'évaluation parlementaire de la loi du 2 février 2016, les travaux d'évaluation du plan 2015-2017 sur les soins palliatifs et l'accompagnement de la fin de vie, l'évaluation des dispositifs spécialisés de prise en charge des maladies neurodégénératives de 2022, le rapport sur les aidants et les solutions de répit de 2023, ainsi que les avis du CCNE de 2018 et de 2022.

J'ai souhaité, en parallèle, une accélération du déploiement de mesures du cinquième plan de développement des soins palliatifs et, plus particulièrement, la révision de la circulaire du 25 mars 2008 relative à l'organisation des soins palliatifs avec, en corollaire, un ajustement des moyens alloués aux soins palliatifs pédiatriques ; la publication de la nouvelle instruction devrait intervenir dans les prochains jours.

Dans le cadre de cette première étape de réflexion, j'ai mené de très nombreuses auditions et visites ; soit plus de 80 entretiens avec les principales parties prenantes à Paris et sur le terrain, des visites dans l'Hexagone et outre-mer d'une quinzaine d'établissements ou structures intervenant à domicile, et enfin des échanges avec près de 150 personnes, professionnels de santé, élus, autorités religieuses, obédiences maçonniques, responsables associatifs, personnalités des arts et des lettres, ainsi que des déplacements d'études pour échanger avec les autorités et les experts internationaux de pays ayant légalisé l'aide active à mourir plus ou moins récemment, ou ayant interrompu le processus - en Suisse, en Italie, en Belgique, au Royaume-Uni, en Espagne et en Oregon.

J'ai souhaité également l'installation et l'animation de deux groupes de travail, l'un avec les parlementaires, transpartisan et bicaméral - certains parmi vous y ont participé - et l'autre avec des professionnels de santé. Les membres de ces deux groupes ont été réunis de manière spécifique pour une sensibilisation et une appropriation des travaux menés, mais aussi associés à l'occasion d'ateliers thématiques, afin de réfléchir à des propositions conjointes sur l'anticipation et la culture palliative, l'accompagnement du deuil et des aidants, les réflexions éthiques et les dispositifs d'aide active à mourir. J'ai souhaité également saisir France Assos Santé pour recueillir les avis des structures concernées ; ces avis doivent m'être remis très prochainement.

Nous avons réalisé une saisine de la Conférence nationale de santé (CNS) pour mesurer les conditions favorisant la relation partenariale entre usagers et professionnels du système de santé. J'ai souhaité également connaître leurs recommandations sur les conditions nécessaires à l'engagement dans la durée des instances de démocratie en santé nationale et territoriale - CNS, conférences régionales de la santé et de l'autonomie (CRSA) et conseils territoriaux de santé (CTS) - dans le suivi des politiques de santé dans le domaine de la fin de vie.

En parallèle, une mission a été confiée à un groupe d'initiés aux questions de fin de vie - écrivains, sociologues, professionnels de santé, juristes, etc. -, réunis autour d'Érik Orsenna afin de travailler sur le champ lexical de la fin de vie, d'en questionner le sens et les usages par nos concitoyens. Ce groupe a été chargé de rédiger un lexique exploratoire à destination d'un large public, dont les contributions finales me seront adressées d'ici fin juillet.

J'en viens aux premiers enseignements qu'il nous est possible de tirer de ces travaux de réflexion et d'évaluation.

Les travaux d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti, notamment ceux de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, ont souligné des difficultés persistantes de mise en oeuvre de différentes mesures. Si cette loi a permis d'impulser une nouvelle dynamique à la prise en charge de la fin de vie et à la diffusion de la culture palliative en France, avec des mesures permettant une meilleure prise en charge de la souffrance et clarifiant l'usage de la sédation profonde et continue jusqu'au décès en phase terminale, nous constatons néanmoins plusieurs choses : la nécessité de renforcer les étapes et le caractère collégial du processus décisionnel conduisant à l'arrêt des traitements ; une mauvaise appréciation de l'impact de l'arrêt de l'hydratation et de l'alimentation ; une insuffisance de formation des différentes sédations ; et enfin des populations mal identifiées, notamment les mineurs et les malades de certains cancers.

Les questions liées à la fin de vie sont parmi les plus complexes auxquelles les professionnels de santé et le législateur sont confrontés dans le domaine de la santé. La loi du 2 février 2016, qui a constitué une avancée très importante par rapport à la loi de 2005, permet de répondre à l'immense majorité des situations de fin de vie. Beaucoup de chemin reste néanmoins à parcourir pour résorber le décalage entre la loi et la pratique.

Quels que soient la législation et le souci d'assurer sa mise en oeuvre rigoureuse sur le terrain, il n'y a pas de « bonne mort », de « mort zéro défaut », ni de « bonne solution à la mort ». Il faut garder à l'esprit le caractère profondément singulier, douloureux et complexe de chaque situation de fin de vie. Cependant, comme le soulignait le CCNE en 2018, « les questions éthiques ne seront jamais résolues par la loi » et « il existe une voie pour une consultation éthique d'une aide active à mourir à certaines conditions strictes, avec lesquelles il est inacceptable de transiger ». Dans son avis 139, rendu le 13 septembre dernier, le CCNE propose un nouvel équilibre entre autonomie et solidarité pour modifier le cadre actuel de la fin de vie en France.

Les travaux réalisés par la Convention citoyenne sur la fin de vie ont permis de souligner l'évolution de la société française. Ces 184 conventionnels ont incarné, par leur représentativité, la société française. Ils ont réalisé un véritable exercice de démocratie participative et ont respecté les avis différents, voire divergents, qui s'exprimaient. Une des membres de cette convention le disait encore hier : « Merci aux 75 % de membres de la Convention favorables à l'ouverture d'une aide active à mourir de nous avoir laissé 50 % du temps de parole et 50 % du contenu du rapport. » Je trouve cela très positif. Cela montre aussi à quel point, sur un sujet de société comme celui-ci, qui nous concerne tous, la réflexion et l'intelligence collectives peuvent aboutir à des propositions consensuelles.

Les travaux de la Convention citoyenne ont confirmé l'orientation favorable de la société française à la mise en place d'une aide active à mourir. Cette orientation, qui vise à élargir les droits des malades sur leur fin de vie, s'est confirmée au-delà de la perception du législateur ; celui-ci en avait toutefois soutenu l'expression via différentes propositions de loi initiées ces dernières années.

J'en viens à la deuxième phase des travaux lancés par le chef de l'État le 3 avril dernier. Les conclusions des travaux de la Convention citoyenne constituent un support important pour définir les contours du futur modèle d'aide active à mourir. Le chef de l'État a identifié certaines limites, soulignant notamment la stricte ouverture de l'aide active à mourir aux personnes majeures dont le pronostic vital serait engagé à moyen terme et disposant de leur plein discernement.

Nous disposons d'un important matériel pour travailler. Beaucoup de productions appuyant ces travaux ont été livrées ces derniers mois, et les vôtres viendront les compléter. Il est nécessaire de trouver un équilibre entre l'ouverture d'un nouveau droit pour les Français et les préoccupations légitimes des professionnels. Il ressort de mes différents déplacements à l'étranger qu'aucun modèle n'est duplicable in extenso dans notre pays. Pour construire ce modèle français de la fin de vie, il me semble indispensable d'avancer avec les soignants et l'ensemble des professionnels de santé et du médico-social qui sont au coeur de l'accompagnement des personnes en fin de vie, particulièrement lorsqu'elles souffrent des conséquences d'une maladie incurable.

Car la bienveillance est d'abord dans la préservation de l'humain jusque dans la mort. Elle débute bien en amont et repose sur celles et ceux qui sont autour de la personne qui veut mourir, professionnels et proches. Le modèle français de la fin de vie devra ainsi reposer sur au moins trois volets, à partir desquels nous avons initié des travaux : le développement des soins palliatifs dans le cadre d'un plan décennal en identifiant les mesures qui relèvent du législatif ; l'ouverture d'un nouveau droit vers une aide active à mourir sous conditions ; et une attention renforcée à la protection des personnes et aux droits des patients.

La loi devra cadrer les choses, identifier les critères d'entrée dans le parcours, poser des conditions très précises et des principes à respecter, ainsi que l'a indiqué le Président de la République le 3 avril dernier. À cet égard, l'analyse des dispositifs mis en place dans les pays étrangers - critères d'éligibilité, encadrement et traçabilité tout au long de la procédure -, réalisée par le Gouvernement pendant la phase de concertation, a permis d'identifier les glissements potentiels et les conditions pour les prévenir. Comme l'ont précisé le chef de l'État et la Première ministre, nous construirons ce projet de loi avec les parlementaires, en mobilisant la connaissance et l'expérience des soignants.

Concernant le plan décennal sur lequel le Gouvernement souhaite avancer en parallèle des travaux d'élaboration du futur projet de loi, j'ai installé, jeudi dernier, l'instance de réflexion stratégique. Sous la houlette du professeur Franck Chauvin et avec le concours de l'Igas, des experts et personnes qualifiées ont engagé des travaux visant à élaborer différents scénarios afin que nous soyons en mesure d'apporter des réponses concrètes à nos concitoyens dont la fin de vie constitue un moment de grande fragilité, ainsi qu'un soutien à leurs proches aidants, y compris durant la période de deuil.

Ce plan concernera également la prise en charge de la douleur sans considération de l'âge, avec une attention portée aux mineurs. Tout le monde - conventionnels, soignants, parlementaires, institutions - s'accorde sur le nécessaire renforcement des soins palliatifs, y compris à domicile, ainsi que sur le développement de l'anticipation et de la culture palliatives et de l'accompagnement du deuil.

Le rapport de la mission d'évaluation, réalisé par la commission des affaires sociales sur la loi du 2 février 2016, souligne qu'il faut poursuivre et accélérer la mise en place des mesures prévues, en particulier s'agissant de la formation des professionnels à la prise en charge de la douleur, à l'écoute du patient et au respect des volontés en termes d'arrêt des thérapeutiques. Il reste beaucoup à faire pour que les nouveaux droits apportés par cette loi soient mieux et plus largement appliqués.

Il nous faut travailler à promouvoir une approche transversale et ouverte des soins palliatifs, afin de favoriser l'appropriation par chacun de cette prise en charge spécifique et d'assurer une intégration palliative dans notre pays ; c'est ce que j'ai souhaité engager avec l'actualisation de la circulaire organisant l'offre de soins qui datait de 2008. Cette nouvelle instruction, bientôt publiée, insiste sur la structuration de la filière palliative et pose la première brique du plan décennal annoncé par le Président de la République, dédié aux soins palliatifs et à la prise en charge de la douleur.

Il était urgent, en effet, de réviser le logiciel de la politique des soins palliatifs, d'en rénover le pilotage et le portage en assurant les décloisonnements indispensables à une trajectoire d'intégration palliative à l'accompagnement de la fin de vie. Le rapport de la Cour des comptes sur la politique nationale de soins palliatifs nous sera remis très prochainement ; je suis certaine que les analyses et recommandations présentées nous seront très utiles.

Les travaux engagés dans cette deuxième phase sont essentiels, car la fin de vie et la mort nous concernent tous. Elles ne doivent pas rester un sujet tabou, mais, au contraire, retrouver place dans notre parcours de vie. L'accompagnement des plus fragiles doit tenir compte de toutes les évolutions et du fait que celles-ci créent parfois des situations auxquelles notre droit doit pouvoir répondre.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Madame la ministre, vous avez engagé beaucoup de travail et de concertation, au départ avec Olivier Véran et désormais de manière plus exclusive, semble-t-il. Par ailleurs, le ministre de la santé ayant, si j'ai bien compris, quelques réticences sur ce texte, c'est vous qui en assumez la responsabilité.

Parmi les trois volets évoqués, un consensus devrait se dégager sur les soins palliatifs et la protection des soignants. Reste le volet de l'aide active à mourir. Sur ce dernier point, la proposition de loi d'une collègue du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, dont j'étais la rapporteure, n'avait pas obtenu l'avis favorable du Sénat ; mais nous parlions alors d'assistance au suicide et d'euthanasie, et je comprends l'importance du travail sémantique engagé par Érik Orsenna. Au-delà des mots, jusqu'où ce texte pourra-t-il être défendu ? Le Président de la République a-t-il été plus précis dans sa demande ?

Mme Agnès Firmin-Le Bodo. - Le Président de la République a la volonté d'introduire un nouveau droit concernant l'aide active à mourir. Les travaux de co-construction menés à la fois avec les soignants et les parlementaires débutent la semaine prochaine. Je ne peux pas préjuger du résultat des travaux ni du choix de la sémantique, mais le principe est bien d'ouvrir un nouveau droit sous certains critères d'éligibilité - pas d'ouverture aux mineurs, pronostic vital engagé à moyen terme et faculté de discernement. Le projet de loi devra être présenté avant le 21 septembre prochain.

Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Avec cette nouvelle loi qui dépénaliserait l'euthanasie, ne craignez-vous pas de ne pas maîtriser les conséquences d'une telle ouverture ? Si l'on observe les exemples étrangers, il n'est pas rare de constater certaines dérives, un élargissement tôt ou tard des critères, ou encore une augmentation du nombre de cas de suicide.

Mme Agnès Firmin-Le Bodo. - Nous avons visité des pays comme la Belgique, qui légifère sur le sujet depuis vingt ans, ou l'Espagne, qui a fait le même choix depuis trois ans. Il s'agissait d'évaluer le nombre de personnes concernées et, concernant l'Espagne, de comprendre pourquoi l'on dénombrait aussi peu de cas après l'application de la loi.

Très peu de pays ont élargi leurs critères. La Belgique a légiféré, dix ans après, sur l'ouverture aux mineurs ; cela a fait quelques remous. Toujours en Belgique, il était important de pouvoir écouter les professionnels qui ne souhaitaient pas voir évoluer la loi et nous ont mis en garde contre certains glissements. Je me suis également rendue en Oregon afin de comprendre les raisons qui ont présidé au choix du suicide assisté il y a vingt-cinq ans. J'ai beaucoup échangé avec les législateurs, de manière à savoir les questions qu'ils se posent pour faire évoluer la loi. Ils sont, par exemple, en train de réfléchir à la question du moyen terme pour éventuellement en élargir la définition.

En allant voir comment cela fonctionne ailleurs, l'idée était de pouvoir collecter les critères d'éligibilité et, en fonction de ce qui nous a été rapporté, d'éviter certains glissements. Ces visites ont été très instructives. Par exemple en Oregon, lorsque j'ai interrogé sur le devenir du « petit flacon », ils ont été très surpris par ma question. Pour eux, la question ne se pose pas, les armes chez eux sont en circulation libre. On voit bien, sur un tel sujet, les différences culturelles ; aucun modèle, comme je l'ai dit, n'est duplicable in extenso.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Certes, il y a le cas de l'Oregon, mais pourquoi les autres modèles ne sont-ils pas duplicables en France ?

Je pointe certaines contradictions dans votre réflexion. Vous avez précisé que la loi de 2016 avait constitué une avancée très importante. Alors que tout le monde s'accorde à dire que cette loi n'est pas assez connue ni appliquée, vous réfléchissez à légiférer de nouveau. Pourquoi ne pas chercher, avant toute chose, à mieux faire appliquer cette loi ?

Vous précisez que les questions éthiques ne seront jamais résolues par la loi. Or, sur cette problématique du « bien mourir », la question est bien de savoir comment la loi peut améliorer les choses.

Depuis l'annonce, il y a dix-huit mois, du cinquième plan consacré aux soins palliatifs, avez-vous observé des avancées sur le sujet ?

Enfin, avec les débats parlementaires qui s'annoncent, ne craignez-vous pas que certaines choses dans la loi ne vous échappent ?

Mme Agnès Firmin-Le Bodo. - C'est le principe du débat parlementaire, je n'ai pas à craindre que des choses m'échappent ; cela s'appelle la démocratie, et chacun doit pouvoir exprimer ses idées. Nous avons, collectivement, l'opportunité de montrer à nos concitoyens que, sur un sujet de société aussi complexe et transpartisan, nous sommes capables de débattre en nous écoutant et en nous respectant.

La Convention citoyenne a ouvert la voie, et les nombreux débats auxquels j'ai pu participer dans vos circonscriptions montrent à quel point nos concitoyens ont envie de parler de ce sujet ; ils ne posent pas de questions, les témoignages engendrent d'autres témoignages, souvent contradictoires, et la conversation se fait ainsi.

L'idée est d'apporter un projet de loi et de le co-construire avec les élus ; et ensuite, le texte vivra son parcours parlementaire.

Pourquoi la loi Claeys-Leonetti ne suffirait-elle pas ? C'est l'avis du CCNE et, pour cette raison, le Président de la République a souhaité engager les débats. Au sein du CCNE, M. Claeys lui-même expliquait que la loi de 2016 ne répondait pas à toutes les situations. Dans la nouvelle loi, on pourra répondre à la question du moyen terme, auquel ne répond pas la loi précitée. L'idée est d'ouvrir un nouveau droit dont il convient encore de définir les modalités, mais cette nouvelle loi ne retirerait rien à personne. Pour donner un exemple, la loi Claeys-Leonetti ne pourra jamais répondre aux questions que pose la maladie de Charcot.

Concernant les soins palliatifs, la volonté du Président de la République a été très claire dès le 13 septembre. Après chaque plan quinquennal, on se pose toujours la même question : pourquoi encore vingt départements en France, à l'heure actuelle, ne disposent-ils pas d'unités de soins palliatifs ? Nous avons fait le choix de nous calquer sur le modèle de l'Institut national du cancer (INCa), en partant sur une stratégie à long terme afin de poser les bases et donner des perspectives.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Avant de céder la parole aux membres de la commission, je souhaite vous interroger sur l'éventualité d'une procédure accélérée.

Mme Agnès Firmin-Le Bodo. - Vous me posez la question alors que nous n'avons pas commencé à écrire le projet de loi. Mais je ne crois pas que, sur un tel sujet, une procédure accélérée soit envisageable. Précédemment, j'ai rappelé tous les travaux déjà effectués. Je ne veux pas préjuger de ce que décideront l'Assemblée nationale et le Sénat. Ces travaux nécessitent du temps, de la réflexion et des échanges, mais j'insiste sur le fait que l'on ne part pas de nulle part.

Mme Laurence Cohen. - Madame la ministre, je me réjouis des travaux de concertation que vous avez menés. Un tel sujet relève de l'intime et, en effet, transcende les partis politiques. Et on peut aussi évoluer au gré des échanges.

L'approche des trois volets me semble intéressante. La loi Claeys-Leonetti est une loi importante, mais peu connue et peu appliquée. En parallèle de la nouvelle loi, quelles mesures comptez-vous présenter pour faire mieux connaître cette loi de 2016 ?

Lorsqu'on évoque les soins palliatifs, il est nécessairement question de moyens humains et financiers. L'argent débloqué pour la mise en oeuvre des cinq plans - autour de 170 millions d'euros - est largement insuffisant, et cela entraîne des inégalités importantes concernant l'accès à ces soins palliatifs. Que comptez-vous faire pour remédier à ces inégalités ?

Enfin, comment faire en sorte que la culture des soins palliatifs soit mieux prise en compte au niveau de la formation, notamment universitaire ?

M. Daniel Chasseing. - Madame la ministre, vous avez indiqué que les prises en charge de fin de vie étaient, dans leur immense majorité, satisfaisantes. Sans doute faut-il renforcer les soins palliatifs et la formation à la prise en charge de la douleur, mais la loi Claeys-Leonetti donne satisfaction.

Vous avez précisé que la loi concernait les morts à moyen terme ; je ne sais pas trop ce que cela veut dire. Selon Theo Boer, professeur d'éthique aux Pays-Bas, 1 800 personnes - dont 90 % de malades en phase terminale de cancers - ont pratiqué l'euthanasie en 2002 ; actuellement, il estime ce chiffre à 7 600 personnes ; on constate donc une dérive. Et pour le professeur Boer, si les soins palliatifs avaient été mieux développés en 2002, ce vote pour l'euthanasie n'aurait jamais existé.

Je rappelle enfin que les malades, même très graves, demandent à guérir plutôt qu'à mourir. Par ailleurs, 80 % des personnes travaillant en soins palliatifs ou dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ephad) ont déclaré ne plus vouloir travailler dans les services si l'on changeait de paradigme, à savoir donner la mort plutôt que soigner. Ne craignez-vous que, malgré les garde-fous mis en place, on assiste à des dérives comme aux Pays-Bas ?

M. Laurent Burgoa. - Madame la ministre, à quelle échéance pensez-vous que chaque département pourra disposer d'une unité de soins palliatifs ? Et quel budget comptez-vous mobiliser pour obtenir ce résultat ?

Par ailleurs, une loi ne peut être que générale. Comment faire en sorte qu'elle soit juste et efficace pour résoudre chaque cas particulier ?

Mme Agnès Firmin le Bodo. - Monsieur Chasseing, les travaux que nous menons avec les soignants visent précisément à définir ce qu'est un pronostic vital engagé à moyen terme. Pour l'instant, en Oregon, le moyen terme est fixé à six mois, mais une réflexion est en cours.

Madame Imbert, de nombreuses raisons m'amènent à considérer qu'il n'existe pas de modèle duplicable. En effet, nous n'avons pas forcément la même culture que dans les autres pays. Ainsi, en Suisse, il n'y a pas de loi sur le sujet, de sorte que, par principe, tout ce qui n'est pas interdit est autorisé. Il n'y a pas de loi non plus en Italie, ils sont partis sur le concept de la désobéissance civile. En Belgique, j'ai constaté l'enjeu de la traçabilité du processus. Je tiens à ce que nous puissions avoir une traçabilité complète du processus en France, de manière à pouvoir l'évaluer et sécuriser les professionnels. Pour l'instant, nous n'avons aucun moyen de savoir combien de sédations profondes et continues ont été pratiquées.

En outre, les systèmes politiques varient d'un pays à l'autre, tout comme les systèmes de soins. Par exemple, en Suisse, le développement des soins palliatifs est intervenu après que le suicide assisté a été rendu possible. Les différences sont donc nombreuses, mais chaque pays offre des éléments intéressants pour construire une loi, en procédant de manière synthétique.

Tout le monde s'accorde à dire qu'il faut que les soins palliatifs évoluent. Malgré les plans quinquennaux, nous n'avons pas réussi à couvrir tous les départements en unités de soins palliatifs, même si des lits de soins palliatifs peuvent exister en dehors de ces unités. En effet, dans certains hôpitaux, on a préféré investir dans le curatif plutôt que de développer des unités de soins palliatifs où les patients décèdent inévitablement. Cela correspond à une tendance propre à la culture de notre pays, où l'on considère comme un échec de ne pas réussir à soigner un patient.

L'enjeu est donc de développer une culture du palliatif et il faut pour cela introduire une formation aux soins palliatifs dès les études de médecine. Les médecins, les infirmiers et les aides-soignants, notamment dans les Ehpad, doivent développer cette culture du palliatif. C'est un enjeu majeur.

Madame Cohen, il nous faut en effet avancer sur nos deux pieds et j'en ajouterai même un troisième, car il faut aussi ouvrir une réflexion sur les droits des patients. La rédaction des directives anticipées est un enjeu particulièrement important au sujet duquel nos compatriotes restent peu informés. En effet, parmi les personnes de plus de cinquante ans, 12 % seulement ont rédigé leurs directives anticipées. Nous devons donc mieux informer nos concitoyens sur les soins palliatifs et sur l'importance de rédiger des directives anticipées, et nous devons également mieux former l'ensemble des professionnels pour pouvoir développer les soins palliatifs à domicile. Nous souhaitons que, à la fin de 2024, les vingt départements qui n'ont pas encore d'unité de soins palliatifs en aient une.

De plus, nous tenons aussi à développer les unités de soins palliatifs pédiatriques, car la prise en charge de la douleur chez les enfants reste largement insuffisante. Des équipes régionales de soins palliatifs pédiatriques existent déjà ; nous développerons un schéma de quatre à six unités pour prendre en charge les cas les plus complexes. Notre objectif est d'établir une gradation : les cas complexes seront traités dans le cadre de l'unité de soins palliatifs pédiatriques, les autres pourront être suivis à domicile et nous développerons l'hospitalisation de jour en soins palliatifs pour anticiper la prise en charge de la douleur et celle de la dimension palliative.

Enfin, il ne faut pas opposer le développement des soins palliatifs et l'ouverture du nouveau droit que représente l'aide active à mourir. L'un ne retire rien à l'autre. J'ai pu constater sur le terrain combien il était nécessaire de toujours proposer un passage en soins palliatifs même à une personne qui serait éligible à l'aide active à mourir.

M. Alain Milon. - Quand la loi Leonetti a été votée, nous avons tous considéré qu'il s'agissait d'un grand progrès et nous avons tenté de la mettre en application. Or, la loi Claeys-Leonetti est intervenue trop tôt, alors que nous n'avions pas eu le temps d'appliquer toutes les dispositions de la loi Leonetti. Cette fois-ci, c'est dans un délai encore plus court que l'on nous propose ce texte sur l'aide active à mourir. A-t-on laissé suffisamment de temps pour mettre en application la loi Claeys-Leonetti ?

Vous parlez d'« aide active à mourir », mais sans préciser qui est actif ou qui doit l'être. Vous parlez aussi de l'ouverture d'un nouveau droit : qui l'exerce et à qui s'impose-t-il ?

Mme Véronique Guillotin. - Il est évident qu'il ne faut pas opposer les soins palliatifs et l'aide active à mourir. L'avis du CCNE ouvre une voie, mais reste chronologique, dans la mesure où il pose la question de savoir si l'aide active à mourir doit intervenir avant que les soins palliatifs soient suffisamment développés. Il me paraîtrait gênant que l'aide active à mourir devienne une forme imparfaite de soins palliatifs. Il est important de pouvoir soigner la douleur. Or la fin de vie à domicile est parfois vécue de manière douloureuse, car il est difficile pour l'entourage de trouver des professionnels de santé formés à l'accompagnement palliatif. En outre, le nombre de soignants reste insuffisant. Comment comptez-vous remédier à cela, y compris en matière budgétaire ?

M. Bernard Bonne. - Quelle différence faites-vous entre l'aide active à mourir et le suicide assisté ?

Au sujet du pronostic vital engagé à moyen terme, dont vous nous avez dit qu'il était pour l'instant fixé à six mois, il me semble que les médecins ne peuvent jamais savoir quand un patient va mourir : il est très difficile d'évaluer exactement ce moyen terme.

Ne faudrait-il pas faire une évaluation claire de l'application de la loi Claeys-Leonetti avant de mettre en place de nouvelles mesures ?

Vous avez rappelé l'importance de rédiger des directives anticipées, mais à partir de quel moment les mettra-t-on en oeuvre ? Dans certains cas, plusieurs années peuvent passer avant qu'une personne meure : doit-on appliquer d'emblée les directives anticipées ou bien faut-il attendre et combien de temps ?

Vous avez commencé votre propos en indiquant que le Président de la République avait décidé qu'il fallait une loi sur l'aide active à mourir. Mais si le Parlement est contre, j'espère qu'il pourra tout de même exercer ses prérogatives !

Mme Agnès Firmin Le Bodo. -. Monsieur Bonne, ne raccourcissez pas mes propos ! J'ai dit que le Président de la République souhaitait que nous travaillions à la construction d'un projet de loi qui sera présenté avant la fin de l'été. J'ai également précisé que le débat parlementaire devait avoir lieu.

La loi Claeys-Leonetti a bien été évaluée. Le rapport d'information publié par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale montre qu'elle ne parvient pas à répondre à l'ensemble des situations, ce qui correspond à l'avis rendu par le CCNE.

Il ne faut pas lier les directives anticipées et l'aide active à mourir. Si Vincent Lambert avait rédigé ses directives anticipées, il n'y aurait pas eu d'affaire, d'où l'importance d'informer nos concitoyens sur ce sujet. Toutefois, dans le cas d'une maladie incurable, Jean Leonetti n'est pas hostile à l'idée de prévoir des directives accompagnées.

L'aide active à mourir couvre l'euthanasie et le suicide assisté. La Belgique a légiféré sur les deux, mais les gens choisissent à 99 % l'euthanasie.

Toute la difficulté porte en effet sur la définition du moyen terme. Toutefois, la loi Claeys-Leonetti prévoit la sédation profonde et continue pour un pronostic engagé à très court terme : la question se pose donc dans les mêmes termes. Dans l'Oregon, où l'on a légiféré sur un pronostic vital engagé à moyen terme, c'est-à-dire à six mois, les médecins s'interrogent pour porter cette durée à neuf ou douze mois.

Encore une fois, il est important de proposer un accès aux soins palliatifs même à une personne qui serait éligible à l'aide active à mourir. C'est même nécessaire, car l'on peut toujours changer d'avis.

Pourquoi proposer ce texte maintenant ? Le CCNE a émis un avis et il était important de le prendre en compte. De plus, la société change rapidement et 75 % de nos concitoyens souhaitent que la loi évolue. L'idée est d'ouvrir ce nouveau droit dans certaines situations tout en travaillant à développer les soins palliatifs. Depuis le mois de septembre, nous menons une réflexion en ce sens avec des médecins, des infirmiers et des aides-soignants, favorables ou non à l'évolution de la loi. Hier matin, alors que nous en sommes à l'étape de la construction de la loi, les soignants nous ont fait des propositions techniques. Ainsi, la clause de conscience est un postulat de base qui semble faire consensus. Quelle que soit la modalité choisie pour l'aide active à mourir, le médecin interviendra forcément pour dire que le pronostic vital est engagé.

Quant à la formation des soignants, elle est essentielle et nous avons prévu une stratégie décennale. Nous souhaitons que les infirmiers en Ehpad soient formés et que des équipes mobiles puissent intervenir pour accompagner jusqu'au bout les résidents sans qu'ils aient à aller aux urgences.

M. Daniel Chasseing. - En Corrèze, nous n'avons pas d'unité de soins palliatifs, mais nous avons des lits identifiés « soins palliatifs » et cela fonctionne très bien, notamment en Ehpad et à domicile. Il faudrait les renforcer, mais le dispositif existe.

M. Alain Milon. - Je m'interroge sur les maladies incurables. Le cancer en était une, mais ne l'est pratiquement plus. Il en va de même pour le cancer de l'enfant. À force de ce qu'on pourrait qualifier d'« acharnement thérapeutique », on a fini par trouver des traitements efficaces. Si, dès lors qu'on leur diagnostique une maladie incurable, les patients peuvent choisir de mourir, cela n'entravera-t-il pas les recherches pour trouver des traitements efficaces ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Une partie des membres de la Convention citoyenne envisage que l'euthanasie puisse être demandée par une personne de confiance. La mort pourrait donc être donnée à une personne qui ne la demande pas. Que pensez-vous de cette proposition ?

Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Madame la ministre, il semble qu'Olivier Véran soit favorable à l'euthanasie et que vous penchiez plutôt vers le suicide assisté, alors que le ministre de la santé a dit que l'euthanasie n'était pas un souhait. Dans ces conditions, êtes-vous certaine de pouvoir élaborer un projet de loi ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. - Sur un sujet qui touche à l'intime, chacun a son opinion. Le Président de la République nous a demandé d'établir un projet de loi sur l'aide active à mourir et je ne préjuge pas de l'issue de nos travaux. L'important est que nous puissions rendre ce nouveau droit effectif.

En ce qui concerne la recherche, ses avancées sont incontestables. Ainsi, il y a dix ans 80 % des enfants atteints d'un cancer pédiatrique décédaient ; désormais, ils guérissent. Il faut donc continuer à travailler sur les nouvelles maladies qui sont découvertes et accélérer les recherches sur la maladie de Charcot, qui est au coeur de notre sujet, puisque, pour l'instant, rien ne permet de la prendre en charge. D'où la nécessité de donner le choix aux patients atteints de pouvoir bénéficier de l'aide active à mourir sans avoir à aller en Belgique ou en Suisse.

Madame Imbert, votre question porte sur la situation des cérébrolésés et je ne sais pas encore ce que la loi prévoira à ce sujet, mais l'enjeu est important.

Quant à l'évolution rapide de la société, au mois d'octobre dernier, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a rendu un avis modifiant radicalement le fondement ontologique de la convention, qui d'universel devient individuel.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Pour en revenir à la maladie de Charcot, un médecin que nous avons auditionné nous a dit que certains patients atteints de cette maladie vivaient mal le fait qu'on en parle autant au sujet de ce texte.

On déplore souvent l'insuffisance de la loi Claeys-Leonetti. Toutefois, celle-ci porte sur des cas où le diagnostic vital est engagé à très court terme, ce qui n'est pas le cas de ce texte, qui vise surtout à ouvrir un nouveau droit.

Certains intervenants au cours des auditions, dont André Comte-Sponville, finissent par faire la liste des cas vulnérables auxquels ce nouveau droit pourrait s'appliquer, qu'il s'agisse des personnes très âgées, de celles qui ont un handicap lourd ou qui souffrent d'une maladie très grave. Catégoriser ainsi les plus vulnérables en leur proposant l'aide active à mourir comme une solution, n'est-ce pas une forme de « décivilisation » pour reprendre un mot du Président de la République ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. - Notre rôle et le pacte républicain nous obligent à prendre en charge toutes les vulnérabilités. À ceux qui nous accusent de « décivilisation » en considérant que ce texte viserait à proposer l'aide active à mourir comme une forme de réponse à la situation des plus vulnérables, je renverrai l'accusation d'outrance. Le pacte républicain repose sur la solidarité et notre devoir est d'accompagner toutes les formes de vulnérabilité, qu'il s'agisse des personnes en situation de handicap ou des personnes âgées. D'où la nécessité de prévoir dans la loi des critères d'éligibilité et d'accès très clairs et très précis. Sans cela, je ne porterais pas ce texte. Ni le Président de la République ni la Première ministre ne souhaitent pour notre société qu'elle devienne celle où l'on proposerait l'aide active à mourir comme solution aux personnes handicapées ou aux personnes âgées.

Il ne s'agit pas de stigmatiser les patients atteints de la maladie de Charcot. Toutefois, nos concitoyens nous sollicitent souvent au sujet de cette maladie pour laquelle il n'existe pas de réponse thérapeutique et qui n'entre pas dans le champ de la loi Claeys-Leonetti. Il faut poursuivre les recherches pour trouver un traitement efficace et je ne crois pas qu'il sera nécessaire de la nommer spécifiquement dans le texte. En revanche, nous devrons prendre en compte la situation de tous ces malades qui s'expriment dans les médias et dont certains préparent leur départ en Suisse. Ils doivent pouvoir avoir le choix. Nous réfléchissons en tant que bien-portants mais nul ne sait comment il réagirait vraiment s'il était confronté à la maladie.

Enfin, ce débat est une occasion de nous interroger sur notre rapport à la mort, sujet difficile dont on parle peu. L'accompagnement du deuil est un autre enjeu majeur sur lequel nous souhaitons avancer. Pendant la crise sanitaire, certains de nos concitoyens sont décédés seuls en Ehpad ou à l'hôpital. La création d'un droit opposable à la visite dans ce type de situation se pose.

Nous n'avons pas souvent l'occasion de discuter de ces sujets et il faut nous en saisir, car tel est notre parcours de vie : un jour on naît, un jour on meurt.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Madame la ministre, nous vous remercions pour cet échange franc qui préfigure les débats que nous aurons à l'automne prochain.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie - Audition de Mme Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance, et de quatre membres de la convention citoyenne

(Mercredi 7 juin 2023)

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous recevons ce matin des représentants de la Convention citoyenne sur la fin de vie.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.

Elle s'inscrit dans le cadre de nos travaux sur la question de la fin de vie, menés par nos rapporteures Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Imbert et Michelle Meunier, et des auditions que nous avons organisées en plénière, comme, hier encore, l'audition de la ministre déléguée Agnès Firmin-Le Bodo.

Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne, qui pourra nous éclairer sur la manière dont celle-ci a conduit ses travaux, ainsi que quatre citoyens membres de cette convention, représentatifs de la diversité des points de vue exprimés en son sein.

Mme Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne sur la fin de vie. - Merci beaucoup de nous recevoir ce matin. J'ai eu le privilège de présider le comité de gouvernance de la Convention citoyenne sur la fin de vie, qui a commencé ses travaux le 9 décembre dernier, engageant 184 citoyens pendant neuf week-ends, le tout sur une durée de quatre mois.

Le comité de gouvernance avait pour mission de fixer le cadre méthodologique, d'arrêter les grands arbitrages et de définir le calendrier de travail. Nous avons souhaité, au regard des 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat, réunir un plus grand nombre de citoyens, visant un objectif d'au moins 170 participants, tout en s'assurant que ceux qui termineraient le travail l'auraient commencé. Il nous a donc été conseillé de tirer 185 citoyens au sort et, au final, 184 d'entre eux sont allés au bout de la démarche, ce qui atteste d'une volonté très forte de leur part de se saisir de cette question éminemment difficile. Je peux témoigner de leur rigueur, de leur exigence et de leur intelligence collective.

« Le cadre d'accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d'éventuels changements devraient-ils être introduits ? » Telle est la question que la Première ministre a souhaité nous soumettre et, pour y répondre, pour organiser la Convention citoyenne, elle a saisi le Conseil économique, social et environnemental (Cese), dont je suis membre.

Le travail s'est déroulé en trois phases : une phase d'appropriation et de rencontre ; une phase de délibération et une phase d'harmonisation et de restitution. La première phase a surtout permis d'expliciter le but de la démarche : les citoyens étaient là non pas pour établir une loi, mais pour apporter une contribution citoyenne à un débat national. Nous sommes effectivement convaincus, au sein du Cese, de l'importance de sortir des espaces de représentation d'intérêts classique sur certains sujets, en vue de contribuer à la construction des décisions prises par les personnes élues pour cela. Toute ambiguïté était donc levée.

Comment les travaux ont-ils été conduits ? Nous avons estimé dès le début, au sein du comité de gouvernance, qu'il n'était pas impératif d'atteindre un consensus. Notre travail s'articule donc entre une partie transversale et plutôt consensuelle - ce que nous appelons le « quoi qu'il en soit » - et une partie relative à la controverse autour de l'aide active à mourir. Il y a un seul rapport, une seule production, mais le texte fait apparaître les points de convergence comme les points de divergence, dans une forme de revendication de la complexité et de la nuance.

Un aspect qui, à titre personnel, me semblait important était d'éviter les humiliations, les polarisations, et de s'assurer que tous les points de vue se sentiraient représentés. Une anecdote à ce titre : le dernier jour avant le vote du livrable, une représentante d'un courant minoritaire a pris la parole et remercié les 75 % des membres d'avoir laissé aux 25 % minoritaires 50 % du temps de parole et 50 % de l'espace du rapport. Notre préoccupation a donc été de rester dans l'écoute, de considérer tous les points de vue et de ne rien imposer. Sans nier les individualités et l'intime, nous avons essayé de construire un cadre collectif permettant d'éclairer la décision publique et, potentiellement, de faire cheminer la société vers d'autres possibilités.

Mme Clothilde Audibert, membre de la Convention citoyenne sur la fin de vie. - Nous avons été réunis - 184 citoyens ont été tirés au sort - autour de la question posée par Mme la Première ministre, cherchant à construire du dialogue sur cette thématique complexe, touchant à la fois à l'intime et au collectif. Cette convention, c'est un exercice de démocratie participative, permettant de redonner la parole aux citoyens dans le souci d'enrichir le débat public, d'améliorer la qualité et la légitimité des décisions, et ainsi de mieux répondre aux attentes de la population.

Nous avons rencontré une soixantaine de spécialistes du sujet, ce qui nous a permis de débattre de manière éclairée et, à l'issue de ce débat, d'esquisser des perspectives et des propositions en tenant compte des différentes sensibilités exprimées au sein de la société française.

Les citoyens membres de la convention estiment, à 97 %, que le cadre d'accompagnement de la fin de vie doit être amélioré et, à 82 %, qu'il n'est pas adapté aux différentes situations rencontrées. La conviction commune est donc celle d'un renforcement nécessaire de cet accompagnement.

Plusieurs propositions collectives ont été adoptées à plus de 80 % des membres : le respect du choix et de la volonté du patient, l'information du grand public, le renforcement de la formation des professionnels de santé, l'octroi des budgets nécessaires à l'accompagnement de la fin de vie, le développement de l'accompagnement à domicile, l'accès garanti aux soins palliatifs pour tous et sur tout le territoire, l'égalité d'accès et l'amélioration du parcours de soins en fin de vie.

Notre réflexion commune a mis en exergue la nécessité de développer la culture palliative et les soins palliatifs dans une société plus solidaire, tout en octroyant des droits à ceux qui le demandent concernant leur fin de vie.

Notre travail, dont la vocation est d'alimenter la réflexion des pouvoirs publics, esquisse des propositions qui pourraient peut-être constituer le modèle français de l'aide active à mourir.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Pouvez-vous nous rappeler comment vous avez été choisis pour participer à cette convention ?

Mme Nathalie Berriau, membre de la Convention citoyenne sur la fin de vie. - Nous avons été tirés au sort à partir des numéros de téléphone : 85 % à partir du numéro de téléphone portable et 15 % à partir du numéro de téléphone fixe. Ensuite, sur le contingent de 2 000 personnes ayant accepté de participer à la démarche, cinq critères ont été appliqués pour garantir la diversité : âge, genre, localisation géographique, catégorie socioprofessionnelle et niveau d'étude. C'est ainsi qu'ont été désignés les 185 citoyens ayant débuté les travaux.

S'agissant de l'aide active à mourir, sujet central des débats de la convention citoyenne, trois positions se sont dégagées.

La Convention s'est prononcée à 76 % en faveur de l'ouverture de l'aide active à mourir, avec quatre modèles envisagés : le suicide assisté seul ; l'euthanasie seule ; le suicide assisté avec exception d'euthanasie ; le suicide assisté et l'euthanasie au choix. Ce dernier modèle a emporté 40 % des suffrages.

Les arguments avancés sont les suivants. Le cadre actuel d'accompagnement de la fin de vie ne répond pas à certaines situations de souffrance, notamment les situations de souffrance réfractaire physique ou psychique, et les soins palliatifs ne permettent pas non plus de prendre en charge toutes les situations des personnes en fin de vie. L'aide active à mourir vient combler les limites de la sédation profonde et continue jusqu'au décès - elle peut notamment apporter une solution pour des patients dont l'agonie dure plusieurs jours, voire dépasse la semaine. La rendre possible, c'est aussi mettre fin à une certaine hypocrisie à l'égard de l'euthanasie passive ou illégale, faire entrer une réalité dans le droit et protéger le corps médical.

L'aide active à mourir respecte la liberté de choix des individus en offrant la possibilité de préparer sa mort dans un cadre sécurisé et d'inclure ses proches dans le processus de fin de vie. Elle permet une fin de vie accompagnée, gage de solidarité et de fraternité. La légaliser, c'est proposer une mort solidaire, plutôt que solitaire.

La proposition que je défends ici est celle d'une aide active à mourir sous critères d'éligibilité. La majorité de la Convention citoyenne s'accorde sur la nécessité d'un parcours d'accès à l'aide active à mourir incluant conditions d'accès, garde-fous et mécanismes de contrôle, avec un préalable évident : la volonté du patient.

Les étapes de ce parcours sont au nombre de cinq : expression de la demande libre, éclairée et révocable à tout moment, accompagnement médical et psychologique complet, évaluation du discernement, validation de l'entrée dans le parcours via une procédure collégiale et pluridisciplinaire, encadrement par le corps médical de la réalisation de l'acte.

La Convention citoyenne est pour moi un dispositif formidable au service de la démocratie : y avoir recours au niveau national comme local serait un moyen de restaurer la confiance dans nos institutions, en intégrant les citoyennes et les citoyens dans les processus délibératifs.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Le panel comprend-il des membres de l'association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) ?

Mme Claire Thoury. - Nous avons appliqué les critères énoncés, sans exclure les soignants, les personnes ayant été confrontées récemment à une situation de fin de vie ou les militants. Mais personne ne s'est présenté comme un membre de l'ADMD ou de toute autre association.

M. Antonin de Bernard, membre de la Convention citoyenne sur la fin de vie. - Nous venons d'entendre la présentation d'une première position, celle d'une aide active à mourir conditionnée à certains critères. Pour les universalistes que je représente, le libre arbitre du sujet à disposer de lui-même fait foi, la volonté de la personne prime avant tout : nous prônons donc un accès universel à l'aide active à mourir.

Dans notre approche, toute demande d'aide active à mourir déclenche un parcours d'accompagnement spécifique et individualisé, adapté à la temporalité de la situation et dont l'avis est consultatif. Ce parcours pluridisciplinaire intègre de nombreuses étapes, constituant autant de garde-fous. La personne peut se rétracter à tout moment, ce caractère révocable de la demande lui étant rappelé à chaque étape. L'accompagnement et le suivi sont réels, avec des possibilités de désaxer le patient de son choix en lui offrant d'autres solutions et alternatives. Une procédure de contrôle et de traçabilité est mise en oeuvre et l'approche s'accompagne d'une clause de conscience pour les professionnels de santé.

En cas de perte ou d'absence de discernement, l'ouverture de l'euthanasie pourra être envisagée dans le cadre d'une procédure collégiale et pluridisciplinaire d'exception, initiée par le biais des directives anticipées, de la personne de confiance ou d'une demande des proches. En cas de désaccord entre un mineur, une personne en curatelle ou sous tutelle et les parents, un juge approprié statuera.

En permettant l'accès à l'aide active à mourir sans discrimination, nous replaçons le souffrant au coeur des considérations sociales, nous ne laissons personne à mi-chemin, nous offrons à tous une solution, un choix complémentaire sans obligation aucune de mener la démarche à son terme. Cette ouverture, néanmoins, ne doit pas empêcher de travailler à une augmentation des moyens alloués au système de santé, notamment aux services de soins palliatifs. La viabilité de cette approche est évidemment conditionnée à l'allocation d'un budget suffisant pour son application pleine et entière.

M. Micha Jovanovic, membre de la Convention citoyenne sur la fin de vie. - Je représente devant vous les citoyens de la Convention qui se sont exprimés contre l'évolution de la loi et l'ouverture de l'aide active à mourir. Groupe relativement important, nous entendons ici, non pas défendre le livrable, mais l'expliquer. Les chiffres avancés, par exemple, sont à relativiser : 75 % des membres de la Convention sont certes favorables à l'ouverture de l'aide active à mourir, mais seulement 40 % d'entre eux défendent une ouverture complète, incluant le suicide assisté et l'euthanasie au choix.

Pour notre part, nous nous inquiétons de l'évolution de notre modèle de civilisation vers une médecine « libérale », au sens où chacun pourrait demander à la carte ce qui l'arrangerait. Par ailleurs, nous n'avons pas été convaincus par les explications données s'agissant des garde-fous. Enfin, nous avons considéré que le coeur du débat devait être, non pas l'euthanasie ou le suicide assisté, mais l'hôpital, sa gestion, l'accompagnement des patients et les soins palliatifs. Il y a beaucoup à faire dans ces domaines et c'est, me semble-t-il, un préalable à toute autre discussion.

Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Je salue le travail qui a été effectué et vous en remercie. Je souhaite vous poser plusieurs questions. La première concerne l'influence que peuvent avoir sur la société les pratiques observées dans certains pays limitrophes, largement reprises par les médias. N'est-ce pas cela qui pourrait conduire à une loi sociétale progressiste ? Par ailleurs, comment peut-on parler d'hypocrisie quand 24 % des citoyens évoquent une méconnaissance et une application trop faible de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite Claeys-Leonetti ? Puisqu'il est question, également, d'« une mort solidaire, et non solitaire », considérez-vous l'euthanasie comme un soin ?

Je conclurai avec une réflexion plus personnelle. Il me semble, à la lecture de vos travaux, qu'il y a, d'un côté, des progressistes et, de l'autre, des conservateurs. Cela me dérange.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - J'ai peu de questions de fond, me sentant proche de vos réflexions et du résultat de vos travaux. La façon très rigoureuse et organisée dont vous en rendez compte m'amène à vous interroger sur l'organisation à proprement dite de la Convention. Par exemple, qui a concrètement rédigé le rapport final ? Des cadres du Cese ? D'autres personnes ? Sur le fond, certains exemples européens de législation vous ont-ils inspirés ? Ont-ils alimenté vos réflexions ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Rétrospectivement, la question à laquelle vous avez cherché à répondre vous semble-t-elle avoir été bien posée ? La loi, par hypothèse, n'est pas adaptée à toutes les situations...

Comment ont été appréhendées les notions de droit et de progrès ? L'un d'entre vous a évoqué la possibilité que l'euthanasie soit demandée par une personne de confiance, en dehors de toute rédaction de directives anticipées. Autrement dit, quelqu'un pourrait demander la mort d'une personne qui ne l'a pas demandé. Quels ont été les débats sur ce sujet ?

Enfin, pouvez-vous nous expliquer, madame Thoury, en tant que membre du Cese, pourquoi le conseil a eu besoin d'exprimer un nouvel avis favorable à l'euthanasie et au suicide assisté après la présentation des travaux de la Convention citoyenne, alors qu'il en avait déjà émis un avis semblable en 2018 ?

Mme Claire Thoury. - Le comité de gouvernance chargé de l'organisation des travaux de la Convention citoyenne était composé de 6 membres du Cese et de 8 personnalités extérieures, dont Jean-François Delfraissy, le président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) ; François Stasse, autre membre du CCNE ; la directrice du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie ; Cynthia Fleury, spécialiste des questions d'éthique ; Hélène Landemore et Sandrine Rui, deux chercheuses en charge des questions de participation citoyenne ; deux anciens participants à la convention citoyenne pour le climat.

L'absence de prise de position sur le sujet a été un critère dans le choix de la présidence de ce comité. Le président du Cese aurait par exemple pu le présider, mais il a préféré se déporter, ayant affiché des positions dans le cadre de ses fonctions passées.

S'agissant de l'avis récemment rendu par le Cese, celui-ci a été réformé par une loi de janvier 2021, qui en fait le carrefour de la participation des publics, donc la chambre chargée d'organiser les dispositifs de participation citoyenne. Mais, selon le Conseil constitutionnel, les travaux de ce type doivent être rattachés à des travaux du Cese.

Notre position a donc été de considérer que, dans le cadre d'un débat national sur la fin de vie ouvert par l'avis rendu par le CCNE en septembre 2022, il pouvait y avoir plusieurs contributeurs : la contribution de la Convention citoyenne est centrale, mais elle n'interdit pas celle du Cese, au titre de la société civile organisée.

Un dernier mot sur le rapport, il me semble qu'à aucun moment des termes comme « progressistes » ou « conservateurs » n'ont été employés.

Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - J'ai évoqué une impression personnelle...

Mme Claire Thoury. - Je me permets d'insister sur le fait que notre travail n'a jamais été organisé pour dire que certains avaient tort et d'autres raison. Trois positions différentes viennent de vous être présentées : elles figurent toutes dans le rapport.

Pour l'élaboration de ce livrable, des productions ont été réalisées au fil de l'eau, le groupe complet de 184 citoyens ayant évidemment travaillé par groupes ou ateliers de 10 à 30 personnes. Le collectif chargé de l'animation des travaux - ce n'est pas le comité de gouvernance - a rédigé un document martyr. Celui-ci a été découpé en plusieurs parties, dont la rédaction a été reprise par 7 à 10 citoyens. Enfin, les textes ont été affichés dans la salle hypostyle du Cese, où, pendant deux week-ends, les citoyens ont pu les lire et proposer des modifications.

Mme Clothilde Audibert. - Nous avons auditionné différents représentants de pays étrangers - Belgique, Suisse -, ainsi que des représentants du Québec et de l'État de l'Oregon. Nous en avons tiré des connaissances. Toutefois, notre souhait était bien, non pas de copier un modèle, mais d'élaborer notre propre modèle français.

M. Antonin de Bernard. - J'ai évoqué tout à l'heure les cas de perte ou d'absence de discernement pouvant conduire à envisager l'euthanasie, dans le cadre d'une procédure collégiale spécifique, initiée par le biais des directives anticipées, de la personne de confiance ou d'une demande des proches. L'absence de directives anticipées pour, par exemple, une personne en mort cérébrale ou avec un discernement aboli du fait d'une maladie neurodégénérative conduit à une situation complexe. Mais, universalistes comme tenants de l'aide active à mourir sous conditions, nous nous retrouvons sur le fait que l'on peut s'appuyer sur la personne de confiance : c'est le patient qui l'a désignée et il y a toujours la soumission à la procédure collégiale. Nous nous inscrivons aussi dans le cadre de la législation actuelle, selon laquelle il ne doit pas y avoir d'acharnement thérapeutique. En l'absence de proche, de personne de confiance, de directives anticipées, la situation est encore plus complexe, mais l'on peut recourir à la justice. Nous avons déjà été confrontés à de tels cas.

Mme Nathalie Berriau. - Je complète la liste précédemment exposée en signalant que nous avons aussi entendu les représentants des Pays-Bas. Bien évidemment, les exemples étrangers ne sont pas sans impact sur notre pays. Mais nous en sommes à la deuxième Convention citoyenne sur le sujet de la fin de vie et, même si les formats ne sont pas les mêmes, les conclusions convergent. Par ailleurs, les sondages montrent que la société souhaite voir la situation évoluer.

Effectivement, 24 % des citoyens ne connaissent pas la loi Claeys-Leonetti et de nombreuses personnes ne savent pas ce que sont les directives anticipées ou le principe de personne de confiance. Mais ce n'est pas vraiment le problème. Quand mes collègues et moi qui défendons l'aide active à mourir conditionnée parlons d'hypocrisie, nous évoquons en fait les euthanasies qui ne portent pas leur nom et, en quatre mois, nous avons reçu un certain nombre de témoignages sur de telles pratiques. La loi Claeys-Leonetti ne permet pas de résoudre tous les problèmes.

Peut-être ne l'avons-nous pas dit assez clairement, nous sommes tous favorables au sein de la Convention à une communication plus importante sur ces sujets.

L'euthanasie est-elle un soin ? Je pense que c'est le cas. Aujourd'hui, la médecine permet de vivre longtemps et personne ici ne peut dire qu'il mourra de mort naturelle - nous avons tous subi des opérations, tous pris des médicaments. En revanche, on se retrouve avec des personnes souffrant de polypathologies et il nous semble important de permettre à celles qui subiraient des souffrances impossibles à apaiser d'accéder à une aide active à mourir.

Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Le ministre de la santé a répondu négativement à cette même question !

Mme Nathalie Berriau. - M. Braun répond ce qu'il veut ; je vous donne la position de la Convention citoyenne.

M. Micha Jovanovic. - Habitant en Haute-Savoie, j'ai pu interroger une femme médecin en soins palliatifs de ma région qui, après avoir travaillé en Suisse, et malgré le préjudice financier que l'on peut imaginer, est retournée travailler en France. Elle ne regrette pas une seconde son choix.

Par ailleurs, l'idée d'une personne de confiance, désignée à un temps T, ou de directives anticipées, établies à un temps T, pose question : le discernement change ; on peut être manipulé ou influencé. Cette notion de discernement me paraît donc être un mauvais critère pour décider du destin d'un être humain.

Je dis cela toujours à propos du modèle suisse de suicide assisté, une mise en spectacle, une cérémonie assez macabre, qui a effrayé de nombreux membres de la Convention.

Effectivement, nous aurions eu intérêt à consacrer plus de temps à la formulation de la question de Mme la Première ministre et ses présupposés. Il s'agit en effet d'une question orientée. Connaissez-vous une loi qui serait parfaitement conforme à son objet et répondrait à toutes les situations ?... De toute évidence, non ! Les lois ont vocation à évoluer et, d'ailleurs, de nombreux citoyens opposés à l'aide active à mourir se sont prononcés en faveur d'une évolution législative.

Mme Laurence Cohen. - Je vous remercie franchement pour ce travail, son organisation et le respect - c'est un ressenti personnel - qui a été témoigné à chacun des points de vue exprimés. Comme on l'a souligné à plusieurs reprises, le sujet est complexe et, selon les rencontres ou les auditions, nos positions peuvent être ébranlées. Il faut donc rester humble et c'est une bonne chose que, en tant que législateurs, nous ayons l'opportunité de vous rencontrer.

Hier, nous avons reçu Agnès Firmin-Le Bodo, qui a évoqué trois volets chers au Gouvernement : le développement des soins palliatifs ; l'ouverture d'un nouveau droit qui serait l'aide active à mourir ; la protection des personnes et du droit des personnes. C'est une bonne façon d'appréhender la question.

Selon moi, il ne faut pas lâcher la dimension des soins palliatifs, secteur dans lequel les inégalités sont fortes entre territoires, donc entre personnes. On ne peut pas décorréler la question de la fin de vie de l'état actuel de notre système hospitalier.

Il est aussi important de considérer que la réflexion ne peut pas être uniquement privée, qu'elle implique la société entière. S'il faut revisiter la loi, c'est à mon sens, à nouveau, pour tenir compte de grandes inégalités : ceux qui ont les moyens financiers, qui ont une famille pour les accompagner ont accès à l'euthanasie ou au suicide assisté. On ne peut pas faire comme si cela n'existait pas !

Que fait-on, aujourd'hui, de ces inégalités sociales ?

M. Daniel Chasseing. - Je vous remercie tous pour vos explications.

La Convention citoyenne a fait connaître les soins palliatifs, que certains ne connaissaient pas. J'attire l'attention sur le fait que, dans certains départements, il n'y a pas d'unité de soins palliatifs en tant que telle, mais des lits sont fléchés pour cela et le dispositif fonctionne très bien.

Par ailleurs, en 2002 aux Pays-Bas, 90 % des personnes ayant subi une euthanasie étaient atteintes de maladies très graves avec pronostic de décès à brève échéance. Aujourd'hui, alors que le nombre d'euthanasies a fortement progressé dans ce pays, ce taux n'est plus que de 61 %. Quelles barrières mettre en place pour ne pas observer une telle dérive ?

La sédation profonde et continue mise en place dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti donne entière satisfaction, mais il faut effectivement renforcer l'accompagnement, notamment par un accroissement des personnels. Je rappelle à ce titre que la maladie peut conduire les personnes à revoir totalement leurs directives anticipées et que 80 % des personnels des soins palliatifs, tout comme plus de 80 % des personnels travaillant en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ne sont pas favorables au suicide assisté. Va-t-on prendre en compte l'avis de ces professionnels, confrontés quotidiennement à la fin de vie ?

J'ai également entendu : « une mort solidaire, plutôt qu'une mort solitaire ». De tels propos me paraissent tout à fait anormaux ; les soins palliatifs permettent une mort solidaire et tout à fait accompagnée.

Je signale aussi la position du Conseil d'État en cas de mort cérébrale : une décision collégiale peut intervenir et l'on n'est pas tenu à tout prix par les directives anticipées.

Enfin, pourquoi aller aussi directement au suicide assisté ou à l'euthanasie ? Pourquoi ne pas développer les soins palliatifs préalablement à toute décision ?

M. Bernard Jomier. - Je vous remercie et salue l'intelligence du travail que vous avez réalisé. Alors que, jusqu'à présent, la parole des citoyens sur le sujet ne nous parvenait que par le biais de sondages, vous êtes entrés dans la complexité de la question, parfaitement illustrée par vos votes successifs. Ce travail collectif citoyen me semble donc extrêmement sain et nous apporte une contribution certaine, à nous parlementaires, chargés de voter une possible évolution de la loi.

Je ne souhaite pas aujourd'hui entrer dans le débat de fond. J'observe simplement que la phase parlementaire qui s'ouvre sera très longue. Le Gouvernement va, pour une fois, respecter la procédure normale et ne pas imposer la procédure accélérée, ce qui implique un travail parlementaire pendant douze à dix-huit mois. Estimez-vous votre mission achevée ? Pensez-vous avoir encore un rôle à jouer au cours de cette procédure parlementaire, en interagissant avec nous, sénateurs ou députés ? On a vu les membres de la Convention citoyenne pour le climat exprimer une certaine frustration à l'issue de leurs travaux et continuer, par petits groupes ou collectifs, à produire des contributions. Cela me semble imparfait et je note la préoccupation qui a été la vôtre de maintenir tous les citoyens choisis dans le processus du début jusqu'à la fin. D'où ma question : comment envisagez-vous la suite ?

Mme Raymonde Poncet Monge. - Le rapport ne m'apparaît absolument pas manichéen et me semble représentatif des débats qui ont dû avoir lieu, étant observé que vouloir changer la loi n'est pas forcément un acte progressiste - nous en avons des exemples récents ! Par ailleurs, la question posée a été soulevée par le CCNE, qui a répondu, en cela, à une demande sociétale très forte.

Pour ma part, j'aimerais savoir si vous avez évalué, dans vos discussions formelles ou informelles, comment vos différentes positions ont bougé. Comme l'a indiqué Bernard Jomier, nous allons entrer dans un long tunnel parlementaire et je m'interroge sur les débats encore à mener pour que la société française puisse faire le même cheminement que le vôtre.

Enfin, simple parenthèse, je fais partie d'un groupe parlementaire qui s'est rendu en Suisse et nous n'avons rien trouvé d'effrayant dans le modèle suisse. Il sera intéressant d'en rediscuter...

Mme Florence Lassarade. - En complément des explications données sur le recrutement des membres de la Convention, quel est l'âge moyen des citoyens choisis ? Êtes-vous nombreux à avoir eu une expérience de fin de vie dans votre entourage ? Sur un plan très pratique, êtes-vous indemnisés pour les journées consacrées à la Convention ?

Mme Véronique Guillotin. - Vous avez évoqué à plusieurs reprises des lignes rouges, sans les mentionner expressément, et des conditions non remplies. Quelles lignes rouges avez-vous fixées ? À propos des conditions non remplies, vous mentionnez les budgets, les moyens ou l'équité territoriale, autant de domaines qui posent problème aujourd'hui en matière de soins palliatifs. Comment pensez-vous évaluer tout cela, dès lors que vous considérez impossible de mettre en place un système plus inégalitaire que le système actuel ?

Vous estimez par ailleurs que l'aide active à mourir doit s'accompagner d'un encadrement médical, ce qui n'est pas le cas du modèle de l'Oregon. Rejetez-vous donc a priori ce système ?

Mme Annick Jacquemet. - Sur la forme, que retenez-vous de cette expérience ? Comment avez-vous géré les désaccords ? Dans quelles proportions les avis des membres de la convention ont-ils pu évoluer au cours des travaux réalisés ? Je souhaiterais également savoir, madame Thoury, quel bilan et quelles pistes d'amélioration vous tirez de ces quatre mois de travaux, en vue de potentielles prochaines conventions citoyennes. Pensez-vous que tous les sujets puissent faire l'objet de telles conventions ?

M. Martin Lévrier. - Un député européen, élu de ma ville, mais qui n'a pas la même ligne politique, a battu en brèche vos auditions, estimant qu'elles étaient parfaitement orientées et qu'il n'y avait pas eu de véritable débat. J'ai été étonné de ne pas entendre d'affirmations contradictoires sur le sujet. Pouvez-vous me rappeler comment ont été choisies les personnes auditionnées ? Par ailleurs, pensez-vous que, si la loi Claeys-Leonetti avait été parfaitement appliquée, votre approche de la question posée aurait été la même ? Comment réagirez-vous si le Parlement modifie tout ou grande partie de vos préconisations ? Enfin, vous avez découvert ce que nous faisons, en tant que parlementaires, la majeure partie de notre temps... Cela vous donne-t-il envie de vous engager en politique ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Vous avez affirmé, madame Berriau, que la mort naturelle n'existe pas. Comment qualifiez-vous un décès brutal par infarctus massif ? Que pensez-vous de l'affirmation de nos voisins belges, qui considèrent une mort par euthanasie comme une mort naturelle ? Autrement dit, quelle est votre définition de la mort naturelle ?

M. Alain Duffourg. - La Convention citoyenne ou le Conseil national de la refondation, c'est la méthode Macron... Quid du Parlement dans tout cela ? Sur le fond, comment assurer la réelle mise en oeuvre des soins palliatifs dans les Ehpad ? Il me semble que, si la loi Claeys-Leonetti était appliquée dans son ensemble, beaucoup de problèmes seraient résolus.

M. Micha Jovanovic. - Il n'a pas été facile pour le clan des « contre » d'arriver jusqu'ici. Je représente plusieurs courants d'opinion, depuis les conservateurs jusqu'aux progressistes qui ont fini par évoluer pour se positionner contre l'évolution de la loi. Je me retrouve seul, ici, mais je m'en satisfais.

Notre groupe, dont les membres étaient initialement peu nombreux, a fini par représenter 39 % de la Convention citoyenne, ce qui n'est pas négligeable. L'évolution est venue de l'écoute des médecins, car ceux-ci ont convaincu beaucoup d'entre nous qu'il fallait s'attacher à développer les soins palliatifs avant d'envisager quoi que ce soit d'autre. Être à l'écoute des médecins est toujours une bonne chose.

Notre Convention a rejeté l'ouverture aux mineurs du droit à l'aide active à mourir. C'est une ligne rouge que la majorité d'entre nous a approuvée.

L'application pleine et entière de la loi Claeys-Leonetti est un prérequis obligatoire à l'ouverture d'un nouveau droit. Commençons par faire en sorte que le texte s'applique sur tout le territoire.

Cette expérience nous a permis d'aimer un peu plus la France et notre système démocratique. Je remercie chaleureusement le Cese pour cela.

Concernant la question délicate de l'orientation des débats, le problème vient surtout de la manière dont les questions ont été formulées et de l'ordre dans lequel elles ont été présentées. Nous souhaitions voter pour savoir combien de personnes étaient contre l'euthanasie, mais nous n'avons pas pu le faire. Nous aurions beaucoup à dire pour améliorer la démocratie participative, notamment en contribuant à la rédaction des questions, et ce quel que soit le groupe auquel nous appartenons. Nous avons lancé une réflexion sur ce sujet ; j'espère qu'elle sera utile pour de futures conventions.

Mme Nathalie Berriau. - Monsieur Chasseing, d'où vient le taux de 80 % des soignants que vous citiez ?

M. Daniel Chasseing. - Il provient d'une enquête de la société française d'accompagnement et de soins palliatifs (Sfap).

Mme Nathalie Berriau. - Dans le cadre de cette enquête, quelque 1 355 soignants ont dit qu'ils ne voudraient pas continuer de travailler dans les soins palliatifs si le texte était voté.

Il faut distinguer la position des médecins et celle des soignants. En effet, un sondage de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap) montre une grande dichotomie entre les deux, les soignants qui oeuvrent au chevet du patient étant plus favorables que les médecins à l'ouverture de l'aide active à mourir. Il faudrait étayer le taux de 80 % des soignants.

Pour éviter les dérives, nous proposons de ne pas présenter l'aide active à mourir comme une option ouverte à tous, mais de l'intégrer dans un parcours où s'exercera un suivi médical sérieux effectué par une équipe pluridisciplinaire.

Certes, les personnes malades peuvent changer d'avis, mais c'est aussi le cas des personnes en bonne santé. Il faut donc sans cesse réactualiser les directives anticipées. Les personnes de confiance et la famille jouent un rôle essentiel pour déterminer ce que peut souhaiter telle ou telle personne - c'est du moins ce que nous ont dit les équipes soignantes.

Cette expérience a montré qu'un collectif, dès lors qu'il dispose de suffisamment d'informations, est tout à fait capable de produire un rapport de qualité. Les conventions citoyennes peuvent fournir un appui aux parlementaires. Elles ne sont pas une invention de la méthode Macron, mais elles existent dans de nombreux pays, y compris au Pakistan et au Bangladesh.

Quand j'ai parlé de « mort naturelle », je faisais référence aux propos de la juriste Martine Lombard, auteure du livre intitulé L'ultime demande, ainsi qu'à ceux de Véronique Fournier, qui a créé le Centre d'éthique clinique de l'hôpital Cochin. Selon elles, personne ne meurt plus de mort naturelle dans la mesure où nous utilisons des médicaments depuis l'enfance. On peut ne pas être d'accord.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Quand un médecin légiste coche la case de « mort naturelle », c'est pour éviter qu'il y ait une enquête, ce qui est un autre sujet.

Mme Nathalie Berriau. - Ce que je souhaitais dire en utilisant cette expression, c'est que la médecine française est remarquable, mais dès lors qu'elle ne peut plus rien pour le patient, on constate un abandon de soins. Dire alors qu'il faut que la personne meure naturellement n'a pas de sens.

Nous n'avons pas souhaité opposer les soins palliatifs et l'aide active à mourir. Toutefois, même si la loi Claeys-Leonetti était appliquée dans son entièreté, elle ne permettrait pas de traiter le cas des patients dont le pronostic vital n'est pas engagé à court terme.

M. Antonin de Bernard. - Cette convention citoyenne a observé un principe de respect et d'écoute de chacun. Nous avons tous été confrontés à la fin de vie d'un proche ou d'un ami, de sorte que le sujet est forcément teinté d'émotion. C'est pourquoi nous avons pu bénéficier de l'accompagnement du Cese, ainsi que d'un accompagnement psychologique.

Trois volets ont été mis en avant par Mme Agnès Firmin-Le Bodo : le développement des soins palliatifs, l'ouverture de l'aide active à mourir et la protection des droits des personnes. Nous y souscrivons avec pour ligne rouge qu'il faut prévoir une évolution du budget de la santé pour développer les soins palliatifs, favoriser la formation du personnel et mettre fin à l'inégalité territoriale. Autre ligne rouge, l'ouverture de l'aide active à mourir doit être conditionnée à l'existence d'un parcours d'accompagnement.

Nous avons pu nous impliquer dans le processus démocratique au Cese et contester les méthodes proposées quand nous n'étions pas d'accord. La transparence et la traçabilité ont toujours été de mise.

Pour ce qui est de l'encadrement médical, il est nécessaire et nous ne devons pas suivre le modèle qui s'applique dans l'Oregon.

Concernant les dérives, toute évolution de la loi fait craindre qu'il s'en produise - cela a été le cas pour l'interruption volontaire de grossesse (IVG) ou pour la peine de mort. Toutefois, je reste persuadé que l'intelligence collective nous garde de ces dérives. Il n'est pas question de tomber dans une dystopie parce que nous ouvrons l'aide active à mourir. Personne ne défendrait l'ouverture de l'aide active à mourir sans condition ni possibilité de retour en arrière.

Mme Laurence Rossignol. - Qu'entendez-vous lorsque vous parlez de dérives liées à l'IVG ?

M. Antonin de Bernard. - Je faisais référence à la crainte que peut susciter toute évolution sociétale, mais dont l'objet n'est pas forcément fondé. Ainsi, pour ce qui est de ce texte, il concerne les personnes en souffrance et ne risque pas de favoriser un mouvement de masse vers l'euthanasie, car, en général, les gens souhaitent davantage vivre que mourir. Ouvrir ce droit en l'intégrant dans un parcours encadré par des spécialistes, c'est ouvrir une porte vers une possibilité que les gens n'utiliseront pas forcément. Ainsi, au Québec, on a constaté que le taux de personnes âgées qui finissaient par ne pas choisir cette voie restait important.

La Convention citoyenne a montré que l'intelligence collective pouvait faire beaucoup. Il est essentiel de redonner la parole aux citoyens pour rétablir leur confiance dans les institutions. Nous remercions le Cese pour cette expérience qui nous a permis de nous rapprocher de la démocratie et - pourquoi pas ? - d'envisager de nous lancer en politique.

Mme Clothilde Audibert. - Les conventions citoyennes favorisent la réflexion de la société tout entière. Les citoyens qui y participent sont engagés et s'intéressent au sujet qui leur est soumis. Il est important qu'ils puissent faire entendre leur vécu.

Nous sommes tombés d'accord à l'unanimité sur la nécessité de développer les soins palliatifs partout en France. En outre, comme le préconisait la commission temporaire Fin de vie, il faut « octroyer des droits à ceux qui le demandent tout en respectant les droits des autres ».

En tant que membres de la Convention citoyenne, nous avons poursuivi nos missions en fondant deux associations qui comptent des participants investis, impliqués et disponibles, notamment pour échanger avec les parlementaires dans toutes les régions. Nous organisons aussi des conférences-débats dans les hôpitaux. Nous intervenons dans le cadre des journées des droits en santé et nous lançons des événements dans les hôpitaux de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour sensibiliser nos concitoyens sur les droits des patients, qu'il s'agisse des directives anticipées, du rôle de la personne de confiance ou du refus de soins.

Cette expérience a été riche humainement et émotionnellement. J'ai été frappée par le respect dont nous avons su faire preuve les uns envers les autres.

Mme Claire Thoury. - Un travail remarquable a été conduit pendant quatre mois par cette convention citoyenne. L'indemnité versée est de 84 euros net par jour ; s'y ajoutent une compensation pour perte de revenus de 11 euros de l'heure pour ceux qui travaillent et ont dû poser des jours de congé, ainsi qu'un défraiement complet. Il ne faut pas que le dispositif soit fragilisé par d'éventuelles inégalités sociales.

Un exercice démocratique comme celui-ci ne peut pas laisser indifférent, surtout quand il porte sur la fin de vie : sur un tel sujet, on ne peut que donner un bout de soi-même et prendre un bout des autres. En tant que comité de gouvernance et équipe organisatrice, nous en avons retiré beaucoup d'espoir pour la démocratie. En effet, les Français nourrissent une forte défiance envers les institutions et il est important de pouvoir développer des outils pour les associer davantage à la décision publique.

Dans le cadre de cette convention, quelque 184 citoyens ont travaillé pendant vingt-sept jours sur la fin de vie, de sorte qu'ils ont acquis un niveau d'expertise remarquable. Évitons l'angélisme : l'organisation de cette convention citoyenne a demandé énormément de travail aux participants et à leurs encadrants. Toutefois, la démocratie étant une matière organique, il n'est pas possible de tout anticiper et certains aspects ont pu nous échapper.

Il me semble que la plupart des sujets peuvent être traités dans le cadre d'une convention citoyenne, en particulier ceux qui n'ont pas encore été défrichés ou bien ceux qui nourrissent le débat depuis très longtemps sans que l'on puisse avancer.

Il fallait du courage politique pour lancer une convention citoyenne sur la fin de vie, car cela nécessitait de faire un pas de côté pour demander aux citoyens d'aider les décideurs à construire une réponse politique exigeante.

Certes, le dispositif est perfectible. En revanche, nul ne peut sous-entendre que les citoyens ont été manipulés, car cela est faux et ne rend pas justice à l'intelligence des gens.

Enfin, la proportion des points de vue a été respectée lors des auditions et les soignants ont formé les trois cinquièmes de ceux que nous avons entendus.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous vous remercions de votre participation. Nous examinerons avec attention le rapport de la Convention lors du débat à venir. Je rappelle aussi que nous organisons de nombreuses réunions publiques sur le sujet dans nos territoires.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

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