B. MOBILISER TOUS LES LEVIERS ET CIBLER LES MÉTIERS EN TENSION

1. Allier formation et accompagnement dans une approche coordonnée et continue

Dans le déploiement du second plan d'investissement dans les compétences, et plus généralement dans la politique de formation des demandeurs d'emploi, les rapporteurs appellent à prendre en compte les priorités suivantes.

· l'amélioration du dialogue entre l'ensemble des acteurs participant, dans le cadre de leurs compétences respectives, à la prise en charge des personnes éloignées de l'emploi. Lors des auditions, a souvent été signalé une forme de cloisonnement des approches entre prescripteurs de formation et financeurs ou créateurs de formation, notamment concernant l'accompagnement des publics vulnérables. Par exemple, Catherine Seiler a indiqué que : « la dichotomie entre les fonctions d'orientation en formation et de financement de la formation cloisonne les approches. De nombreuses régions déplorent que les conseillers du service public de l'emploi (Pôle emploi et Mission locales principalement) n'orientent pas suffisamment les personnes peu qualifiées vers les programmes régionaux, tandis que les conseillers du service public de l'emploi regrettent souvent que l'offre de formation ne soit pas suffisamment adaptée aux besoins de ces publics. Ce sujet constitue un irritant récurrent du pilotage des politiques de formation »151(*).

À ce titre, les rapporteurs soulignent que les acteurs territoriaux jouent et continueront à jouer un rôle essentiel dans l'accompagnement de proximité des publics vulnérables. La maille intercommunale ou départementale permet souvent d'agir au plus près des personnes vulnérables ou des jeunes en situation de décrochage. La réforme annoncée du service public de l'emploi, présentée dans le cadre du projet de loi « Plein emploi » prochainement examiné au Sénat, devra donc assurer son ancrage territorial et préserver l'action et les moyens des régions et des Missions locales notamment. Les collectivités territoriales devront être associées à la gouvernance de la nouvelle architecture de « France Travail », et ce à tous les échelons.

La complémentarité et la permanence des missions devront aussi être préservée pour éviter la dispersion des efforts. Entendue par les rapporteurs, l'Alliance Villes Emploi notait que « la dynamique partenariale avec Pôle emploi est parfois entravée par le fait que l'opérateur est soumis à des injonctions fortes de la part de l'État, qui varient dans le temps selon les priorité. Cela ne facilite pas la continuité de l'action publique et la coordination des acteurs »152(*). Outre ces inefficacités et redondances, il convient de souligner l'agilité de l'action des collectivités territoriales, jusqu'au niveau du bloc communal, qui peut permettre une réponse « sur mesure » en termes d'accompagnement à la formation. L'Alliance Ville Emploi citait par exemple le cas du montage d'une formation en opérateurs de production en pharmacie, à défaut de certification sur ce métier : l'ensemble des acteurs locaux et régionaux se sont alliés pour créer une formation, identifier des candidats intéressés via les acteurs du PLIE, les Missions locales, Cap emploi, les associations d'insertion, et enfin pour travailler avec les entreprises sur leur attractivité en vue du recrutement153(*).

Recommandation n° 18 :

Veiller à assurer la pleine association des acteurs territoriaux de l'emploi et de l'insertion, en particulier les Régions et les Missions locales, aux réformes envisagées dans le cadre de la création de « France Travail » et du second Plan d'investissement dans les compétences (PIC).

· soutenant sur le long-terme les démarches « d'aller-vers » et de « sans-couture » ayant fait leurs preuves, permettant d'inscrire les publics les plus éloignés de l'emploi dans une démarche insérante, d'éviter les ruptures de prise en charge entre différents moments et différents acteurs, et alliant plus systématiquement accompagnement et formation. Selon l'Alliance Villes Emploi, par exemple, l'outil du CPF n'est pas réellement accessible aux publics les plus fragiles, qui ne peuvent s'en saisir seuls mais nécessitent un réel accompagnement ;

Des exemples de démarches engagées dans le cadre
du plan d'investissement dans les compétences

Plusieurs démarches initiées dans le cadre du PIC et ayant bénéficié de financements dédiés ont eu pour objectif d'atteindre les publics les plus éloignés de l'emploi ou les plus vulnérables :

 l'appel à projet « Repérer les invisibles » et l'appel à projet « Maraudes numériques », visant à identifier sur les réseaux sociaux, les plateformes de jeu en ligne, au sein de clubs de sports, d'association de quartiers ou grâce aux acteurs de terrain, des jeunes en situation de décrochage dans les zones urbaines comme rurales. Selon les chiffres transmis par l'ancienne Haut-commissaire aux compétences, près de 85 000 jeunes ont ainsi été contactés, dont environ la moitié s'est ensuite inscrite dans un parcours de remobilisation vers l'emploi ;

 l'appel à projet « 100 % inclusion », visant à mettre en place des parcours « sans couture » au profit des demandeurs d'emploi vulnérables (chômeurs de longue durée, peu ou pas qualifiés, femmes en difficulté, jeunes, personnes en situation de handicap ou d'illettrisme...). L'objectif est d'assurer une prise en charge continue dans une dynamique de retour à l'emploi, grâce à de nouveaux parcours alliant accompagnement, levée des freins périphériques à la formation, formation aux compétences socles, ou encore immersions en entreprise. 24 300 personnes ont été accompagnées dans le cadre de cet appel à projet, dont 42 % ont pu trouver un emploi (dont 60 % avec un contrat d'une durée de plus de six mois) et 18 % se sont inscrits en formation ;

 l'appel à projets « Intégration professionnelle des réfugiés », qui a permis d'accompagner 18 000 réfugiés vers un emploi, grâce notamment à la levée des freins périphériques matériels comme immatériels. 50 % ont pu trouver un emploi et 16 % sont entrés en formation qualifiante ou certifiante ;

 de nombreux projets de parcours « sans couture » portés par les régions en faveur des publics éloignés de l'emploi. Ainsi, la région Nouvelle Aquitaine a proposé un dispositif de formation intégrant des temps d'accompagnement sur mesure, et ciblant les publics les plus fragiles. 67 % des personnes accompagnées ont trouvé un emploi au cours des six mois suivant la fin de la formation.

· veillant à inclure dans l'accompagnement des publics vulnérables et éloignés de l'emploi un diagnostic des « freins périphériques » à l'emploi et à améliorer leur prise en charge dans le cadre des dispositifs de formation (voir plus bas) ;

· renforçant l'offre de formation orientée vers les publics les plus éloignés de l'emploi, notamment en ce qui concerne le socle de compétences et les « soft skills », qui sont des portes d'accès vers l'emploi ou la poursuite de la formation. En effet, si l'on a noté une augmentation de 30 % des entrées en formation préparatoire (remise à niveau, remobilisation, préqualification) en 2021 par rapport à 2017, ainsi qu'une meilleure insertion ou poursuite de formation à leur issue (+ 8 points) le comité scientifique d'évaluation du PIC a noté que le plan a simplement « permis d'interrompre la tendance à la baisse de ces formations » : l'effort de création de formations doit donc être maintenu et accentué.154(*) Il conviendra également de veiller au bon maillage territorial de cette offre de formation, pour qu'aucun territoire ne soit oublié : ce point a été particulièrement souligné par les syndicats représentatifs des salariés sollicités par les rapporteurs155(*).

Recommandation n° 19 :

Dans le cadre du déploiement du « Plan d'investissement dans les compétences 2 », veiller à :

 améliorer le dialogue et la coopération entre l'ensemble des acteurs participant à la prise en charge des personnes éloignées de l'emploi, en assurant la continuité de l'action des acteurs territoriaux de l'emploi et de l'insertion ;

 soutenir sur le long-terme les démarches « d'aller vers », et mieux lier formation et accompagnement ;

 renforcer au niveau national comme régional l'offre de formation orientée vers les publics les plus éloignés de l'emploi.

2. Intensifier l'effort d'orientation et de formation vers les métiers en tension

Plusieurs des personnes entendues par les rapporteurs ont aussi appelé à une plus grande orientation des dispositifs de formation vers les métiers en tension, qui représentent un gisement d'emploi immédiat pour ces personnes en quête d'insertion professionnelle.

Il pourrait ainsi être envisagé d'intégrer à l'orientation et à l'accompagnement des demandeurs d'emploi une sensibilisation aux opportunités offertes par les métiers en tension, afin d'améliorer la connaissance des métiers qui recrutent et, pour les personnes intéressées, de les orienter immédiatement vers les formations et les emplois correspondants. Les rapporteurs défendront un amendement en ce sens dans le cadre du projet de loi « Plein emploi » qui sera prochainement examiné au Sénat.

L'approche introduite par le second volet du « Plan de réduction des tensions de recrutement », présenté en octobre 2022 par le Gouvernement, est à ce titre intéressante. Elle propose d'expérimenter des « viviers de recrutement », rassemblant environ une centaine de personnes en recherche d'emploi, en mesure d'être rapidement formées pour occuper un poste parmi l'un des 23 métiers connaissant le plus de difficultés de recrutement (aides-soignants, infirmiers, accompagnants éducatifs et sociaux, conducteurs routiers, serveurs, commis de cuisine, cuisiniers, personnels d'étage...) au niveau national mais aussi local.156(*) Selon les éléments communiqués par le Gouvernement, trois secteurs seraient particulièrement ciblés : l'hôtellerie-restauration, le transport routier, et la santé et l'action sociale.

Cette sensibilisation accrue doit aller de pair avec un renforcement de l'offre de formation et une simplification de l'accès aux formations menant vers ces métiers en tension, notamment grâce aux financements issus du plan France 2030, comme évoqué plus haut.

Recommandation n° 20 :

Intégrer à l'orientation et à l'accompagnement des demandeurs d'emplois une sensibilisation aux opportunités offertes par les métiers en tension

Renforcer l'offre de formation à ces métiers.


* 151 Réponses de Catherine Seiler au questionnaire de la délégation.

* 152 Réponses de l'Alliance Ville emploi au questionnaire de la délégation.

* 153 Ibid.

* 154 Réponses de Catherine Seiler au questionnaire de la délégation.

* 155 Réponses de la CGT au questionnaire de la délégation.

* 156 Dossier de presse du Gouvernement pour la présentation du « Plan de réduction des tensions de recrutement, phase 2 », 14 octobre 2022.

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