II. SE FORMER TOUT AU LONG DE LA VIE : RAPPROCHER LES ASPIRATIONS DES SALARIÉS ET LES BESOINS DES ENTREPRISES

Face aux grandes mutations de l'économie et de la société française, les emplois sont en évolution rapide, de même que les attentes des Français.

L'intégration de nouvelles technologies et de nouvelles organisations au sein des entreprises modifie les tâches et les rapports de travail. L'internationalisation et la digitalisation des activités rendent essentielle l'acquisition de nouvelles compétences linguistiques ou informatiques. Améliorer les modes de management demande une formation spécifique des personnes en poste de responsabilité.

En parallèle, la préparation et la gestion des périodes de transition professionnelle devient un enjeu de plus en plus important, alors que les Français aspirent à une plus grande mobilité professionnelle au cours de la vie et que les carrières professionnelles sont appelées à s'allonger au cours des prochaines années. La plupart des jeunes personnes interrogées n'envisagent plus désormais d'occuper le même poste ou d'exercer au sein de la même durant toute une vie et considèrent les transitions professionnelles, voire les alternances entre période d'emploi et période de chômage, comme des étapes usuelles d'une vie professionnelle. L'envie d'évolution professionnelle est forte, 57 % des salariés envisageant une évolution dans les deux ans à venir157(*), et les démarches telles que le bilan de compétences connaissent en conséquence une forte croissance (50 000 personnes accompagnées en 2020, 85 000 en 2021 et 100 000 en 2022).

La formation est un levier indispensable pour anticiper et s'adapter au mieux à ces évolutions. Selon un récent « Baromètre de la formation professionnelle », 86 % des Français se sentent concernés par la formation professionnelle continue et 64 % la voient comme un levier stratégique158(*).

En 2018, la loi « Avenir professionnel » de 2018 ambitionnait de créer une « société de compétences », en développant les parcours individuels de formation et en libéralisant l'offre de formation. Si des succès ont été enregistrés, notamment en matière d'accès à la formation, la réforme n'a pas garanti l'efficacité des actions de formation et ne semble pas être allée assez loin en matière d'accompagnement des transitions professionnelles. Elle n'a pas garanti un accès égal à la formation, les salariés des grandes entreprises et ceux en CDI à temps plein ont été plus nombreux à se former, comparativement à ceux des petites entreprises, en CDD ou à temps partiel159(*).

Pis, la réforme semble avoir entraîné une contraction du financement dédié à la formation des salariés en poste, notamment par le biais des plans de développement de compétences (PDC) au sein des entreprises. La CFE-CGC estime ainsi que « la part des fonds destinés aux salariés en poste a perdu, d'un point de vue macroéconomique, plus de 20 points en dix ans »160(*).

A. AMÉLIORER LA VISIBILITÉ DE L'OFFRE DE FORMATION, SIMPLIFIER LES PROCÉDURES ET LEVER LES OBSTACLES PÉRIPHÉRIQUES À LA FORMATION

1. Une offre de formation très vaste et dispensée par de nombreux acteurs, qui a pu conduire à un manque de lisibilité et à une qualité inégale

Les économistes travaillant sur la formation avaient identifié de longue date une faiblesse française en matière de formation continue. La part des salariés se formant au cours de leur vie professionnelle y est plus faible que dans la moyenne des pays de l'OCDE. Elle est particulièrement basse pour les personnes disposant de niveaux de qualification faibles. Selon les chiffres fournis par Glenda Quintini, les Français sont aussi plus nombreux à déclarer souhaiter se former mais ne pas pouvoir le faire, ou à ne pas se former car ils ne le souhaitent pas.

PARTICIPATION DES ADULTES À LA FORMATION CONTINUE (EN % DES ADULTES)

Source : Éléments transmis par Glenda Quitini, source PIAAC

Mesure structurante de la loi « Avenir professionnel », la réforme du compte personnel de formation (CPF) visait à développer le recours des salariés à la formation continue.

De fait, la part de la population active ayant eu recours au CPF pour réaliser une formation professionnelle continue a augmenté de 1,5 % en moyenne entre 2016 et 2019 à 2,8 % en 2020. Les demandeurs d'emploi et les jeunes ont particulièrement fait usage de ces nouvelles possibilités (38 % des dossiers financés par le CPF concernent des demandeurs d'emplois et la part des moins de 30 ans ayant recours au CPF a doublé). Le recours des employés et des ouvriers a fortement cru (+56 et +73 % entre 2019 et 2020), davantage que chez les cadres (+24 %). Selon le rapport d'évaluation de la loi « Avenir professionnel » réalisé par l'Assemblée nationale, ces chiffres témoignent d'une « démocratisation » de la formation continue via le saut quantitatif opéré par le CPF. D'un point de vue culturel et psychologique, cet engouement pour la formation doit être salué.

Toutefois, le développement de l'offre a également conduit à l'apparition de fraudes (fraude à l'éligibilité, démarches commerciales agressives, usurpations d'identité...), au préjudice estimé à 43 millions d'euros en 2021, et à une plus grande difficulté à contrôler la qualité des formations dispensées. De manière générale, beaucoup de salariés se disent « perdus » face à une offre foisonnante, parfois redondante, de formation. La multiplicité des prescripteurs et des prestataires de formation contribue à ce sentiment.

Pour soutenir la dynamique positive en faveur de la formation continue, il est important de mener un véritable effort de lisibilité de l'offre. Certaines collectivités territoires se sont déjà engagées dans des initiatives de « cartographie » ou de « carte virtuelle » de l'offre de formation, faisant apparaître nettement les compétences visées, le secteur de formation, le lieu géographique, la durée...

Outre la lisibilité, les efforts doivent porter sur la visibilité de cette offre de formation. Beaucoup de salariés estiment ne pas être suffisamment au fait de l'offre existant autour d'eux : aux catalogues doivent s'ajouter des actions d'information et de sensibilisation, portées notamment par les partenaires sociaux et les entreprises.

Les rapporteurs soulignent que la qualité des données recueillies en matière de formation (offre de formation, résultats des formations en termes d'évolution professionnelle, salariale, sur les missions...) est primordiale pour pouvoir orienter les politiques publiques de manière informée. À ce titre, on peut regretter que certaines études telles que l'enquête Défis menée par le CEREQ entre 2014 et 2021, qui couplait la vision des entreprises et celle des salariés, n'aient pas été reconduites. La fin du financement du Plan d'investissement dans les compétences, qui finançaient de nombreuses études, devra être compensée par de nouvelles sources de financement pour ces travaux161(*).

2. Veiller à la simplification des dispositifs de formation, parfois perçus comme rigides et complexes

Les conditions administratives encadrant les dispositifs de formation proposés ou financés par les pouvoirs publics sont souvent perçues comme trop complexes et trop rigides.

En particulier, l'exigence d'entrée en formation à échéances précises ne permet pas d'accommoder la diversité des parcours des demandeurs de formation, en cas de contrainte liée à l'emploi en cours ou à une fin de contrat. Il conviendrait de prévoir plusieurs sessions de certification chaque année, pour faciliter la fluidité des parcours de formation.162(*)

De même, l'impossibilité d'interrompre temporairement une formation, pour la reprendre par la suite est une difficulté en cas de parcours complexe ou fractionné, puisqu'elle contraint à « reprendre à zéro » les formations interrompues. Or, les formations les plus professionnalisantes sont souvent les plus longues, et donc les plus facilement soumises aux aléas.

Enfin, l'existence de nombreux acteurs intervenant dans les parcours de formation conduit souvent les demandeurs de formation à devoir répéter certaines étapes administratives et remplir de nombreux formulaires : Catherine Seiler, ancienne Haut-commissaire aux compétences, recommandait ainsi de déployer un principe de « dites-le nous une fois » en matière de formation pour fluidifier les parcours163(*).

Surtout, la complexité des dispositifs nuit à leur prise en main par les chefs d'entreprise, en particulier au sein des TPE-PME, moins outillés face aux exigences juridiques ou administratives. Il est impératif d'opérer un effort de simplification continue des dispositifs de formation, notamment lorsqu'ils incluent des périodes de formation en entreprise. Très appréciés des entreprises et des fédérations entendues par les rapporteurs, ces dispositifs de formation améliorent grandement la qualité des transitions entre formation et emploi, et assurent l'adéquation des compétences obtenues avec les besoins concrets des entreprises. Ils restent néanmoins souvent inaccessibles pour les entreprises, au vu des contraintes et des nombreuses conditions les entourant.

Recommandation n° 21 :

Favoriser la simplification continue des dispositifs de formation, en particulier ceux faisant intervenir les entreprises, en vue de les déployer plus largement et plus rapidement.

3. Lever les freins périphériques à la formation

Le faible recours à la formation peut aussi s'expliquer par la prévalence d'obstacles matériels et immatériels, non liés à la formation elle-même mais à l'environnement et le contexte dans lequel celle-ci intervient. Faute d'accompagnement, ces obstacles peuvent s'avérer dissuasifs. Pis, l'action de formation peut dans ces cas-là entraîner une rupture dans les parcours professionnels, et s'avérer aussi dommageable qu'une période de chômage.

Il est donc important de prévenir et de lever les freins périphériques à la formation, tels que :

· l'insuffisance de l'offre de logement ou d'hébergement à proximité du lieu de la formation ;

· l'absence de solution de garde d'enfants, en particulier déterminant dans l'accès des femmes à la formation ;

· l'existence de transports permettant d'accéder facilement au lieu de la formation, en particulier pour les personnes ne disposant pas de véhicule ou de permis de conduire.

Lever ces obstacles implique un effort concret et concerté de la part de plusieurs acteurs. D'abord, les acteurs privés comme publics du conseil et de l'accompagnement vers la formation (acteurs des ressources humaines au sein de l'entreprise, service public de l'emploi, acteurs locaux de l'emploi et de l'insertion...), afin d'identifier correctement les obstacles empêchant chaque personne d'accéder à la formation. Les rapporteurs défendront ainsi, dans le cadre de l'examen du projet de loi « Plein emploi », un amendement prévoyant un diagnostic systématique des freins périphériques lors de l'accueil d'un demandeur d'emploi.

Ensuite, une action plus large des collectivités territoriales et des services déconcentrés de l'État est nécessaire, pour s'assurer de l'offre adéquate de services, de logement et de transport au niveau de chaque bassin d'emploi (commune, établissement public de coopération intercommunale, département et en particulier la Région). Le projet de loi « Plein emploi » opère ce lien, en comportant notamment des mesures sur la garde d'enfants.

Enfin, dans la conception de l'offre de formation, des aides ponctuelles peuvent être prévues dans le cadre de chaque dispositif, quel que soit leur prescripteur, afin de faciliter la participation des publics pour lesquels les freins périphériques sont les plus dissuasifs.

Comme l'a indiqué Catherine Seiler : « L'animation est essentielle pour [...] mettre en place des démarches centrées sur les retours des usagers et recueillir de façon plus systémique les freins auxquels ils sont confrontés. Cela suppose de se positionner comme faiseur de solutions pour lever ces freins très concrets [...] »164(*).

Recommandation n° 22 :

Dans la conception et l'accompagnement des formations, veiller à l'identification et à la prise en charge des freins périphériques pour assurer l'accès le plus large à la formation.


* 157 Baromètre Territorial 2021 IFOP sur l'évolution professionnelle, août 2021.

* 158 « Baromètre de la formation professionnelle » Lefebvre Dalloz, 2023.

* 159 Réponses du CEREQ au questionnaire de la délégation.

* 160 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.

* 161 Réponses du CEREQ au questionnaire de la délégation.

* 162 L'accès à la certification professionnelle tout au long de l'année est un aspect qui a notamment été soulevé par les Acteurs de la compétence dans leurs réponses à la délégation.

* 163 Audition de Catherine Seiler par la délégation.

* 164 Réponses de Catherine Seiler au questionnaire de la délégation.

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