B. MASSIFICATION DES GESTES MAIS PAS DES RÉNOVATIONS GLOBALES

Selon l'ONRE, en 2020, 2,1 millions de logements ont bénéficié d'au moins une des quatre principales aides pour leur rénovation énergétique : CITE, MPR, CEE ou TVA à 5,5 %. C'est une réelle satisfaction mais beaucoup de ces rénovations sont très partielles et parfois contreproductives. MaPrimeRénov' est un vrai succès avec plus de 650 000 demandes en 2021 et 2022, tout en permettant des gains énergétiques 40 % supérieurs au CITE. Mais pas plus de 10 % seraient des rénovations globales. En dehors des dispositifs dédiés à ce type de rénovation, dans 72 % des cas, il s'agit d'un simple changement de mode de chauffage au profit d'une pompe à chaleur. C'est positif en termes de décarbonation, mais cela ne contribue pas à faire disparaître les passoires ou à réduire la précarité énergétique, si rien n'est fait pour l'isolation du logement. Cela peut également être dangereux pour la stabilité du réseau électrique en accroissant la demande les jours de pointe ou en généralisant la climatisation.

Il faut ajouter qu'à ce stade, les mesures d'économie d'énergie et d'émission de gaz à effet de serre sont théoriques. Un rapport de l'Ademe de 2020 pointait le fait que dans le cadre des CEE, les gains réels ne représentaient vraisemblablement que 59 % des gains théoriques. Les résultats de l'étude lancée en début d'année 2023 par l'ONRE, qui exploitera les données réelles des compteurs intelligents d'un million de ménages, sont donc très attendus.

C. LES LIMITES D'UNE POLITIQUE EN COURS DE DÉPLOIEMENT

La loi Climat et résilience, votée à l'été 2021, constitue le cadre de la politique de rénovation. Elle a mis en place des outils et un calendrier de déploiement et d'obligations qui s'étale jusqu'en 2034. Cela assure une certaine visibilité et prévisibilité qui est nécessaire. Toutefois, certains outils sont à leurs prémices et certaines obligations ne sont pas encore entrées en vigueur. Toutefois, les investigations de la commission d'enquête font ressortir six difficultés principales.

« Le bâtiment est malade mais le thermomètre qu'est le DPE
donne une température différente selon le médecin »

Tout d'abord, il apparaît assez clairement que le diagnostic de performance énergétique (DPE) a été rendu opposable et est devenu l'instrument central de la politique de rénovation avant même d'être réellement fiabilisé. À l'été 2021, le « nouveau » DPE, qui faisait apparaître un trop grand nombre de passoires énergétiques, a dû être retiré et remplacé. Mais il est encore usuel qu'un même logement reçoive une note différente selon le diagnostiqueur.

Le label Reconnu garant de l'environnement (RGE), censé désigner les entreprises compétentes pour procéder aux opérations de rénovation qui bénéficient d'une aide publique, est contesté. Les entreprises le trouvent trop complexe ; les clients ne l'estiment pas protecteur. De fait, il impose les mêmes obligations à une entreprise artisanale et à une multinationale : un seul référent formé et cinq chantiers à contrôler, ce qui peut être trop pour l'une et rien pour l'autre. Actuellement, seules 60 000 entreprises du bâtiment sont labellisées, soit 15 % du total. Beaucoup d'entreprises l'ont abandonné car leurs clients ne peuvent prétendre à une aide significative d'ailleurs trop complexe à obtenir.

Quant à l'Accompagnateur Rénov' qui devrait garantir la bonne orientation des ménages et éviter les escrocs, il est en cours de déploiement. S'il n'est donc pas possible d'en faire un bilan, les travaux de la commission ont montré que sa création provoquait une réelle inquiétude des collectivités et des plateformes locales d'information qui ne comprennent pas bien comment ce nouvel acteur prendra place dans l'existant et comment il sera financé. Il suscite aussi la méfiance des meilleurs connaisseurs des pratiques frauduleuses qui craignent que, sans contrôle suffisant, s'installe une véritable entente de malfaiteurs sous forme de circuit en vase clos, de l'accompagnateur à l'entreprise qui contrôlera les travaux.

Quatrième écueil identifié, les copropriétés. La temporalité des prises de décision et la nécessité de rendre les copropriétaires solidaires n'ont pas été prises en compte. Dans un même immeuble, chaque appartement peut avoir un DPE différent et si celui qui a une mauvaise étiquette voudra faire des travaux avant 2025 ou 2028, ceux qui peuvent attendre bloqueront toute décision. Il est en outre difficile de préparer un dossier de copropriété sur plusieurs années alors que les aides changent tous les ans voire plus.

Maison à colombages menacée par une isolation par l'extérieur (Oise - Maisons Paysannes)

Cinquièmement, les particularités du bâti ancien, c'est-à-dire datant d'avant 1948, n'ont pas été prises en compte. Le cas des maisons à colombages isolées par l'extérieur avec du polystyrène est un cas d'école. Le bâti ancien paraît comme un véritable impensé de la politique de rénovation énergétique alors même qu'il représente un tiers des logements ! D'ailleurs plus d'un tiers de ces logements sont classés F ou G alors qu'ils sont souvent construits en matériaux locaux et plus agréables à habiter l'été.

Enfin, même si des progrès ont été accomplis ces dernières années avec la création d'un coordinateur entre les ministères du logement et de la transition écologique, ou très récemment avec celle du secrétariat général à la planification écologique (SGPE) qui n'a toutefois aucun poste dédié à la rénovation, le pilotage interministériel est encore insuffisant et morcelé. Le ministère de la culture, qui exerce pourtant la tutelle sur les écoles d'architecture ou qui est responsable de la conservation du patrimoine, n'avait, jusqu'à récemment, jamais été associé à la politique de rénovation !